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07/09/2023 | CJUE | N°C-209/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Demande de décision préjudicielle, introduite par Rayonen sad Lukovit., 07/09/2023, C-209/22


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

7 septembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Directive 2013/48/UE – Champ d’application – Réglementation nationale ne visant pas la qualité de suspect – Phase préliminaire de la procédure pénale – Mesure coercitive de fouille corporelle et de saisie – Autorisation a posteriori par le juge

compétent – Absence de contrôle
juridictionnel des mesures d’obtention de preuves – Articles 47 et 48 de la charte...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

7 septembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Directive 2013/48/UE – Champ d’application – Réglementation nationale ne visant pas la qualité de suspect – Phase préliminaire de la procédure pénale – Mesure coercitive de fouille corporelle et de saisie – Autorisation a posteriori par le juge compétent – Absence de contrôle
juridictionnel des mesures d’obtention de preuves – Articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Exercice effectif des droits de la défense des suspects et des personnes poursuivies lors du contrôle juridictionnel des mesures d’obtention de preuves »

Dans l’affaire C‑209/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie), par décision du 18 mars 2022, parvenue à la Cour le 18 mars 2022, dans la procédure pénale contre

AB,

en présence de :

Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. Hoogveld, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de
liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des principes de légalité et d’effectivité.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre AB pour détention de substances illicites, découvertes sur cette personne à la suite d’une fouille corporelle, laquelle a donné lieu à la saisie de ces substances.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2012/13

3 Les considérants 14 et 36 de la directive 2012/13 énoncent :

« (14) La présente directive [...] fixe des normes minimales communes à appliquer en matière d’information des personnes soupçonnées d’une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, sur leurs droits et sur l’accusation portée contre elles, en vue de renforcer la confiance mutuelle entre les États membres. Elle s’appuie sur les droits énoncés dans la [C]harte, et notamment ses articles 6, 47 et 48, en développant les articles 5 et 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”),] tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans la présente directive, le terme “accusation” est utilisé pour décrire le même concept que le terme “accusation” utilisé à l’article 6, paragraphe 1, de la [CEDH].

[...]

(36) Les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, devraient avoir le droit de contester, conformément au droit national, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations ou de divulguer certaines pièces de l’affaire conformément à la présente directive. Ce droit n’oblige pas les États membres à prévoir une procédure d’appel spécifique, un mécanisme séparé ou une procédure de réclamation permettant cette contestation. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », est libellé de la manière suivante :

« La présente directive définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux. Elle définit également des règles concernant le droit des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen d’être informées de leurs droits. »

5 Sous le titre « Champ d’application », l’article 2 de ladite directive prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Droit d’être informé de ses droits », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci-après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits :

a) le droit à l’assistance d’un avocat ;

b) le droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits et les conditions d’obtention de tels conseils ;

c) le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, conformément à l’article 6 ;

d) le droit à l’interprétation et à la traduction ;

e) le droit de garder le silence.

2.   Les États membres veillent à ce que les informations fournies au titre du paragraphe 1 soient données oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible, en tenant compte des éventuels besoins particuliers des suspects ou des personnes poursuivies vulnérables. »

7 L’article 8 de la directive 2012/13, intitulé « Vérification et voies de recours », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les informations communiquées aux suspects ou aux personnes poursuivies, conformément aux articles 3 à 6, soient consignées conformément à la procédure d’enregistrement précisée dans le droit de l’État membre concerné.

2.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à la présente directive. »

La directive 2013/48

8 Les considérants 12, 20 et 50 de la directive 2013/48 énoncent :

« (12) La présente directive définit des règles minimales concernant le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures visant à exécuter un mandat d’arrêt européen en vertu de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres [(JO 2002, L 190, p. 1)] [...] et le droit d’informer un tiers dès la privation de liberté ainsi que le droit, pour les personnes privées de liberté,
de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires. Ce faisant, elle favorise l’application de la Charte, et notamment de ses articles 4, 6, 7, 47 et 48, en s’appuyant sur les articles 3, 5, 6 et 8 de la CEDH tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans sa jurisprudence, fixe régulièrement des normes relatives au droit d’accès à un avocat. Cette jurisprudence prévoit notamment que l’équité de la procédure requiert qu’un suspect ou une
personne poursuivie puisse obtenir toute la gamme d’interventions qui sont propres à l’assistance juridique. À cet égard, les avocats des suspects ou des personnes poursuivies devraient être en mesure d’assurer sans restriction les aspects fondamentaux de la défense.

[...]

(20) Aux fins de la présente directive, l’interrogatoire n’inclut pas les questions préliminaires posées par la police ou par une autre autorité répressive ayant pour but d’identifier la personne concernée, de vérifier si elle détient des armes ou de vérifier d’autres questions de sécurité similaires, ou d’établir s’il y a lieu d’ouvrir une enquête, par exemple lors d’un contrôle routier, ou d’un contrôle aléatoire de routine lorsque le suspect ou la personne poursuivie n’a pas encore été
identifié.

[...]

(50) Les États membres devraient veiller à ce que les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à la présente directive. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a établi
qu’il serait, en principe, porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. Cela devrait s’entendre sans préjudice de l’utilisation de ces déclarations à d’autres fins autorisées par le droit national, telles que la nécessité de procéder à des actes d’instruction urgents ou d’éviter la commission d’autres infractions ou
des atteintes graves à une personne, ou liées à une nécessité urgente d’éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale lorsque l’accès à un avocat ou un retard dans le déroulement de l’enquête porterait irrémédiablement atteinte aux enquêtes en cours concernant une infraction grave. En outre, cela devrait s’entendre sans préjudice des dispositifs ou régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves et ne devrait pas empêcher les États membres de conserver un système en vertu
duquel tous les éléments de preuve existants peuvent être produits devant une juridiction ou un juge, sans qu’il y ait une appréciation distincte ou préalable quant à leur admissibilité. »

9 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », prévoit :

« La présente directive définit des règles minimales concernant les droits dont bénéficient les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que les personnes faisant l’objet d’une procédure en application de la décision-cadre [2002/584] [...], d’avoir accès à un avocat et d’informer un tiers de la privation de liberté, et le droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires. »

10 Sous le titre « Champ d’application », l’article 2 de ladite directive dispose, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. Elle s’applique jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir s’ils ont
commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

11 L’article 3 de la même directive est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

2.   Les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à partir de la survenance du premier en date des événements suivants :

a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b) lorsque des autorités chargées des enquêtes ou d’autres autorités compétentes procèdent à une mesure d’enquête ou à une autre mesure de collecte de preuves conformément au paragraphe 3, point c) ;

c) sans retard indu après la privation de liberté ;

d) lorsqu’ils ont été cités à comparaître devant une juridiction compétente en matière pénale, en temps utile avant leur comparution devant ladite juridiction.

3.   Le droit d’accès à un avocat comprend les éléments suivants :

a) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de rencontrer en privé l’avocat qui les représente et de communiquer avec lui, y compris avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire. Cette participation a lieu conformément aux procédures prévues par le droit national, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte à l’exercice effectif et à l’essence même des droits concernés. [...]

c) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit au minimum à la présence de leur avocat lors des mesures d’enquête ou des mesures de collecte de preuves suivantes, lorsque ces mesures sont prévues par le droit national et si le suspect ou la personne poursuivie est tenu d’y assister ou autorisé à y assister :

i) séances d’identification des suspects ;

ii) confrontations ;

iii) reconstitutions de la scène d’un crime.

[...]

6.   Dans des circonstances exceptionnelles et au cours de la phase préalable au procès pénal uniquement, les États membres peuvent déroger temporairement à l’application des droits prévus au paragraphe 3 dans la mesure où cela est justifié, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, sur la base d’un des motifs impérieux suivants :

[...]

b) lorsqu’il est impératif que les autorités qui procèdent à l’enquête agissent immédiatement pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale. »

12 Sous le titre « Voies de recours », l’article 12 de la directive 2013/48 prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que les personnes dont la remise est demandée dans le cadre de procédures relatives au mandat d’arrêt européen, disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive.

2.   Sans préjudice des règles et régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves, les États membres veillent à ce que, dans le cadre des procédures pénales, les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat, ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à l’article 3, paragraphe 6. »

Le droit bulgare

13 Conformément à l’article 54 du Nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale, DV no 86, du 28 octobre 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure pénale »), la personne poursuivie est la personne qui, en cette qualité, fait l’objet de poursuites pénales dans les conditions et selon les modalités prévues par ce code.

14 Sous le titre « Droits de la personne poursuivie », l’article 55 du code de procédure pénale prévoit :

« (1)   La personne poursuivie jouit des droits suivants : d’apprendre quelle infraction lui est reprochée et sur la base de quelle preuve ; de fournir ou de refuser de fournir des explications sur l’accusation ; de prendre connaissance du dossier, y compris des informations obtenues par des moyens spéciaux d’investigation, et de se procurer les extraits nécessaires ; de présenter des preuves ; de participer à la procédure pénale ; de faire des demandes, des remarques et des objections ; de
s’exprimer en dernier ; de former un recours contre les actes qui portent atteinte à ses droits et à ses intérêts légitimes ; et d’avoir un avocat. La personne poursuivie a droit à ce que son avocat participe à l’exécution des actes dans le cadre de l’enquête et aux autres actes de procédure auxquels elle participe, sauf si elle renonce expressément à ce droit. [...]

(2)   La personne poursuivie a le droit de recevoir des informations générales facilitant le choix de son avocat. Elle a le droit de communiquer librement avec son avocat, de le rencontrer en privé, de recevoir des conseils et toute autre aide juridique, y compris avant le début et pendant le déroulement de l’interrogatoire, et dans le cadre de tous les autres actes de procédure auxquels la personne poursuivie participe.

[...] »

15 L’article 164 de ce code, intitulé « Fouille », dispose :

« (1)   La fouille d’une personne dans le cadre d’une procédure préliminaire, sans autorisation d’un juge du tribunal de première instance compétent ou du tribunal de première instance dans le ressort duquel l’acte est effectué, est autorisée :

1. en cas de privation de liberté ;

2. lorsqu’il existe des raisons suffisantes de considérer que les personnes présentes lors de la perquisition ont dissimulé des objets ou des documents pertinents pour l’affaire.

(2)   La fouille est effectuée par une personne du même sexe, en présence de personnes requises pour assister à la procédure qui sont du même sexe.

(3)   Le procès-verbal de l’acte d’enquête effectué est présenté au juge pour approbation, sans tarder et au plus tard dans les 24 heures. »

16 Sous le titre « Procédure préliminaire », l’article 212 dudit code prévoit :

« (1)   La procédure préliminaire est ouverte par arrêté du procureur.

(2)   La procédure préliminaire est réputée ouverte par l’établissement d’un procès-verbal du premier acte de l’enquête, lorsqu’il est procédé à une inspection comprenant une constatation, une perquisition, une saisie ou l’interrogatoire de témoins, lorsque la réalisation immédiate de ces actes constitue l’unique possibilité de recueillir et conserver des preuves, ainsi que lorsqu’il est procédé à une fouille selon les modalités de l’article 164.

(3)   L’autorité d’enquête qui a réalisé un acte visé au paragraphe 2 en informe le procureur sans tarder et au plus tard dans les 24 heures. »

17 L’article 219 du même code, intitulé « Inculpation – Accusation et présentation de l’arrêté », dispose :

« (1)   Lorsqu’ont été recueillies suffisamment de preuves de la culpabilité d’une personne pour avoir commis une infraction de droit commun et lorsqu’il n’existe aucun motif de clôture de la procédure pénale, l’autorité d’enquête fait rapport au procureur et inculpe (ou met en accusation) la personne en adoptant un arrêté à cet effet.

(2)   L’autorité d’enquête peut également inculper (ou mettre en accusation) la personne en établissant un procès-verbal du premier acte d’enquête effectué à son égard ; elle en fait rapport au procureur.

(3)   L’arrêté d’inculpation (ou de mise en accusation) et le procès‑verbal visé au paragraphe 2 doivent indiquer :

1. la date et le lieu de leur émission ;

2. l’autorité émettrice ;

3. le nom complet de la personne inculpée, l’infraction qui lui est reprochée ainsi que sa qualification juridique ;

4. les preuves sur lesquelles se fonde l’inculpation, pour autant que cette indication ne risque pas d’entraver l’enquête ;

5. la mesure restrictive de liberté, si elle est imposée ;

6. les droits de la personne poursuivie découlant de l’article 55, y compris son droit de refuser de fournir des explications, ainsi que son droit de disposer d’un avocat mandaté ou commis.

[...]

(8)   Tant qu’elle n’a pas rempli ses obligations visées aux paragraphes 1 à 7, l’autorité d’enquête ne peut pas accomplir d’actes d’enquête impliquant la participation de la personne poursuivie. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 Le 8 février 2022, trois inspecteurs de police du Rayonno upravlenye Lukovit (commissariat d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie) ont arrêté et contrôlé un véhicule conduit par IJ dans lequel se trouvaient également AB et KL.

19 Avant même que le conducteur du véhicule n’ait fait l’objet d’un test de dépistage de stupéfiants, AB et KL ont déclaré aux inspecteurs de police qu’ils étaient en possession de stupéfiants. Cette information a été transmise oralement à l’enquêteur de garde auprès du commissariat d’arrondissement de Lukovit, qui a consigné ces déclarations dans un procès-verbal, en tant que signalement oral d’une infraction pénale.

20 Le test de dépistage du conducteur ayant eu un résultat positif, l’un des inspecteurs de police a procédé à une inspection du véhicule.

21 En outre, AB a fait l’objet d’une fouille corporelle pratiquée par l’enquêteur de garde, lequel a dressé un procès-verbal « de fouille et de saisie effectuées dans l’urgence et soumises à approbation a posteriori par le juge ». Le fait que cette fouille était effectuée sans l’autorisation préalable d’un juge a été motivée, dans ce procès-verbal, par l’existence « d’indices suffisants de détention d’objets interdits par la loi, visés dans un procès-verbal relatif au signalement oral d’une
infraction pénale ».

22 Lors de cette fouille, une substance stupéfiante a été trouvée sur AB. L’enquêteur de garde a alors informé, le jour même, le procureur du Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (parquet d’arrondissement de Lovech, antenne territoriale de Lukovit, Bulgarie) des résultats de cette fouille et de ce que celle-ci avait été effectuée dans le cadre d’une « procédure préliminaire », au sens de l’article 212 du code de procédure pénale, initiée par le commissariat d’arrondissement de
Lukovit.

23 Toujours dans le cadre de cette procédure préliminaire, mais postérieurement à la réalisation de la fouille, lors d’une audition au commissariat de police, des explications écrites ont été demandées à AB. Celui-ci a alors indiqué que les substances découvertes sur lui étaient des stupéfiants destinés à sa consommation personnelle.

24 Le 9 février 2022, le procureur du Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (parquet d’arrondissement de Lovech, antenne territoriale de Lukovit) a, sur le fondement de l’article 164, paragraphe 3, du code de procédure pénale, adressé au Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit, Bulgarie), la juridiction de renvoi, une demande d’approbation du procès-verbal de la fouille corporelle dont AB a fait l’objet et de la saisie qui s’en est suivie. Le litige au
principal porte sur cette demande d’approbation a posteriori de cette fouille et de cette saisie.

25 La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir si le contrôle juridictionnel prévu par le droit national sur les mesures coercitives d’administration de la preuve lors de la phase préliminaire de la procédure pénale constitue une garantie suffisante du respect des droits des suspects et des personnes poursuivies, telle que prévue par les directives 2012/13 et 2013/48.

26 En particulier, tout d’abord, cette juridiction indique que le droit national ne comporte pas de règle claire relative à la portée du contrôle juridictionnel des moyens contraignants de collecte de preuves dans le cadre de la procédure préliminaire et que, selon la jurisprudence nationale, le contrôle de la perquisition, de la fouille corporelle et de la saisie porte sur leur légalité formelle. À cet égard, elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à plusieurs reprises
la République de Bulgarie pour violation des articles 3 et 8 de la CEDH.

27 Ensuite, la juridiction de renvoi précise que le droit bulgare ne connaît pas la notion de « suspect », visée par ces directives, mais uniquement celle de « personne poursuivie ». Cette dernière qualification requerrait une décision du procureur ou de l’autorité d’enquête. Il existerait toutefois une pratique bien établie de la police et du ministère public consistant à retarder le moment à partir duquel la personne concernée est considérée comme une « personne poursuivie », ce qui, dans les
faits, aurait pour conséquence de contourner les obligations relatives au respect des droits de la défense de cette personne.

28 Enfin, il résulterait tant de la doctrine que de la jurisprudence nationales que le juge compétent, même lorsqu’il est convaincu que les droits de la défense de l’intéressé n’ont pas été respectés, ne peut pas contrôler l’inculpation ou la mise en accusation de celui-ci, dans la mesure où cela porterait atteinte à la prérogative constitutionnelle du procureur d’engager des poursuites pénales. Dans un tel cas, le juge qui contrôle les mesures contraignantes prises dans le contexte de la procédure
préliminaire ne pourrait qu’accepter l’acte d’investigation, dès lors que celui-ci a été réalisé dans des conditions d’urgence, même si cela implique une atteinte aux droits de la défense.

29 À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, même si le droit national ne connaît pas la notion de « suspect », l’article 219, paragraphe 2, du code de procédure pénale pourrait, en principe, garantir les droits de la défense de personnes pour lesquelles il n’existe pas de preuves suffisantes de leur culpabilité, mais qui, du fait de la nécessité d’effectuer des actes d’enquête avec leur participation, se verront attribuer le statut de « personnes poursuivies » et pourront donc bénéficier
des droits visés à l’article 55 du code de procédure pénale, lesquels satisfont aux exigences des directives 2012/13 et 2013/48.

30 Toutefois, cette disposition procédurale ne serait pas claire. Elle ferait en outre l’objet d’une application ambiguë et contradictoire, voire ne serait pas du tout appliquée. Or, selon la juridiction de renvoi, il ne ferait aucun doute que, en l’occurrence, AB a la qualité de personne « accusée d’une infraction », au sens de la CEDH, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, indépendamment de la qualification juridique de sa situation conformément au
droit national. Cela étant, en vertu de ce droit, une personne ne pourrait bénéficier de ses droits de la défense que si elle a acquis le statut de « personne poursuivie », ce qui dépendrait de la volonté de l’autorité menant l’enquête sous la surveillance du procureur.

31 À cet égard, la juridiction de renvoi estime que le fait de ne pas fournir d’informations et de ne pas permettre l’accès à un avocat à un stade précoce de la procédure pénale constitue un vice de procédure irrémédiable, susceptible d’entacher le caractère juste et équitable de l’ensemble de la procédure pénale ultérieure.

32 Dans ces conditions, le Rayonen sad Lukovit (tribunal d’arrondissement de Lukovit) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une situation de fait dans laquelle, au cours d’une enquête sur une infraction liée à la détention de stupéfiants et menée contre un citoyen au sujet duquel la police a des informations qu’il est en possession de stupéfiants, un acte contraignant (une fouille de la personne et une saisie) est effectué relève-t-elle du champ d’application [des directives 2013/48 et 2012/13] ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, quel est le statut d’une telle personne au sens [de ces] directives, lorsque le droit national ne reconnaît pas le statut de “suspect” et que la personne n’a pas été placée par une communication officielle sous le statut de “personne poursuivie” ? Et cette personne doit-elle bénéficier du droit à l’information et du droit d’accès à un avocat ?

3) Les principes de légalité et d’interdiction d’exercice arbitraire du pouvoir autorisent-ils une règle nationale, telle que la disposition de l’article 219, paragraphe 2, du code de procédure pénale, laquelle prévoit que c’est notamment par l’établissement du procès-verbal du premier acte de l’enquête menée contre l’intéressé que l’autorité d’enquête peut placer celui-ci sous le statut de personne poursuivie, dès lors que le droit national ne reconnaît pas le statut de “suspect” et que, en
vertu du droit national, les droits de la défense ne produisent leurs effets qu’à partir du moment où l’intéressé est formellement placé sous le statut de“personne poursuivie”, ce placement étant laissé à l’appréciation de l’autorité d’enquête ? Et une telle procédure nationale affecte-t-elle l’exercice effectif et la nature du droit d’accès à un avocat prévu à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la directive [2013/48] ?

4) Le principe d’effectivité du droit de l’Union autorise-t-il une pratique nationale selon laquelle le contrôle juridictionnel des mesures contraignantes de collecte de preuves – y compris des perquisitions et des saisies effectuées lors de la phase préliminaire de la procédure pénale – ne permet pas d’apprécier s’il y a eu une violation suffisamment caractérisée des droits fondamentaux des personnes suspectes et poursuivies, garantis par les articles 47 et 48 de la [Charte], [ainsi que par les
directives 2013/48 et 2012/13] ?

5) Les principes de l’État de droit autorisent-ils une réglementation et une jurisprudence nationales en vertu desquelles le tribunal n’a pas le pouvoir de contrôler le placement d’une personne sous le statut de personne poursuivie, alors même que c’est précisément et uniquement cet acte formel qui détermine si les droits de la défense seront garantis au citoyen dans le cas où des mesures d’enquête contraignantes sont mises en œuvre contre lui ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

33 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48 doivent être interprétés en ce sens que ces directives s’appliquent à une situation dans laquelle une personne, à l’égard de laquelle il existe des informations selon lesquelles elle est en possession de substances illicites, fait l’objet d’une fouille corporelle ainsi
que d’une saisie de ces substances, alors que le droit national ne connaît pas la notion de « suspect », visée par ces directives, et que ladite personne n’a pas été officiellement informée qu’elle aurait la qualité de « personne poursuivie ».

34 Les directives 2012/13 et 2013/48 ont pour objet commun de définir les règles minimales concernant certains droits des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. La directive 2012/13 vise plus particulièrement le droit d’être informé de ses droits et la directive 2013/48 se rapporte au droit d’avoir accès à un avocat, au droit d’informer un tiers de la privation de liberté, ainsi qu’au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et au droit
de communiquer avec les autorités consulaires. Il ressort, en outre, des considérants de ces directives que celles-ci s’appuient à cette fin sur les droits énoncés notamment aux articles 47 et 48 de la Charte et tendent à promouvoir ces droits à l’égard des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, points 36 et 37).

35 S’agissant du champ d’application de la directive 2012/13, la Cour a déjà jugé qu’il résulte de son article 1er et de son article 2, paragraphe 1, que cette directive se limite à définir des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux à partir du moment où une personne est informée par les autorités compétentes qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction
pénale ou qu’elle est poursuivie à ce titre (ordonnance du 6 septembre 2022, Delgaz Grid, C‑95/22, EU:C:2022:697, point 25).

36 Quant au champ d’application de la directive 2013/48, son article 2, paragraphe 1, prévoit que cette directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non.

37 À cet égard, la Cour a déjà jugé que le libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48, en particulier les termes « sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen », indique que, aux fins de l’applicabilité de cette directive, une information par les autorités compétentes d’un État membre de la personne concernée est suffisante, et ce quel qu’en soit le mode, le moyen par lequel une telle information parvient à
cette personne étant sans incidence [voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2020, VW (Droit d’accès à un avocat en cas de non‑comparution), C‑659/18, EU:C:2020:201, points 25 et 26].

38 Dès lors que les champs d’application respectifs des directives 2012/13 et 2013/48 sont définis dans des termes presque identiques à l’article 2 de chacune de celles-ci, il y a lieu de considérer que, en principe, ils se confondent. Ce constat concorde avec l’objectif commun aux deux directives d’assurer la protection des droits des personnes soupçonnées ou poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale. Il s’ensuit, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, que
la précision supplémentaire figurant à l’article 2 de la plus récente des deux directives, à savoir la directive 2013/48, selon laquelle l’information peut être transmise « par notification officielle ou par tout autre moyen » doit être considérée comme applicable à la directive 2012/13.

39 Il découle de ces considérations, premièrement, que deux éléments sont requis pour qu’une situation entre dans le champ d’application de ces directives. Il est ainsi nécessaire, d’une part, que les autorités nationales compétentes aient des soupçons que la personne concernée a commis une infraction pénale ou qu’elle soit poursuivie à ce titre, et, d’autre part, qu’une information à cet égard lui soit fournie par ces autorités au moyen d’une notification officielle ou par tout autre moyen.

40 Aux fins de l’application des directives 2012/13 et 2013/48, il importe donc que lesdites autorités s’assurent que la personne concernée a pris connaissance de ce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou fait l’objet de poursuites à ce titre.

41 Deuxièmement, il convient de relever que, afin d’assurer le bon déroulement d’une enquête pénale, les autorités nationales compétentes doivent avoir une certaine marge d’appréciation pour choisir le moment auquel elles informent la personne concernée qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivie à ce titre, à condition, toutefois, qu’il n’y ait pas un retard excessif dans la communication de cette information, qui empêcherait la personne concernée d’exercer de manière
effective ses droits de la défense, que les directives 2012/13 et 2013/48 visent à protéger.

42 En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que l’objet de la procédure au principal concerne une demande du procureur du Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (parquet d’arrondissement de Lovech, antenne territoriale de Lukovit) tendant à ce que soient approuvées, a posteriori, une fouille sur la personne de AB et une saisie des substances illicites découvertes à l’occasion de cette fouille. Cette dernière a été ordonnée et effectuée à la suite de l’aveu, par cette
personne, devant des agents de police, qu’elle était en possession de telles substances.

43 Lorsqu’une personne, telle que AB, formule ce type d’aveux devant des agents de police, elle s’expose à être considérée comme suspecte d’une infraction pénale. Lorsque, tirant les conséquences de cet aveu, ces agents procèdent à la fouille corporelle de la personne concernée et à la saisie de ce qu’elle a déclaré détenir, ces actes, d’une part, établissent que cette personne est désormais soupçonnée par une autorité compétente et, d’autre part, informent, implicitement mais nécessairement, ladite
personne de ce soupçon. Dans de telles circonstances, les deux conditions d’application des directives 2012/13 et 2013/48 apparaissent remplies.

44 À cet égard, apparaissent sans pertinence, aux fins de l’application de ces directives, d’une part, le fait que le droit de l’État membre concerné ne prévoit pas qu’une personne peut avoir la qualité de « suspect » et, d’autre part, le fait que AB n’a pas été officiellement informé qu’il aurait la qualité de « personne poursuivie ». En effet, le champ d’application des directives 2012/13 et 2013/48 doit être interprété de manière uniforme dans tous les États membres et ne saurait donc dépendre
des acceptions variables que les droits de ces États donnent aux notions de « suspect » et de « personne poursuivie » ni des conditions dans lesquelles s’acquièrent ces qualités selon ces droits.

45 Partant, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48 doivent être interprétés en ce sens que ces directives s’appliquent à une situation dans laquelle une personne, à l’égard de laquelle il existe des informations selon lesquelles elle est en possession de substances illicites, fait l’objet d’une fouille corporelle ainsi que d’une saisie de ces substances. Le fait que le
droit national ne connaît pas la notion de « suspect » et que ladite personne n’a pas été officiellement informée qu’elle aurait la qualité de « personne poursuivie » n’a pas d’incidence à cet égard.

Sur la quatrième question

46 Par sa quatrième question, qu’il convient de traiter avant la troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48, lus à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge saisi, en vertu du droit national applicable, d’une demande d’autorisation a posteriori d’une fouille
corporelle et de la saisie de substances illicites qui s’en est suivie, exécutées dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, n’est pas compétent pour examiner si les droits du suspect ou de la personne poursuivie, garantis par ces directives, ont été respectés à cette occasion.

47 En l’occurrence, la juridiction de renvoi précise que, si, conformément à l’article 164, paragraphe 3, du code de procédure pénale, la fouille corporelle effectuée dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure pénale doit être soumise à un contrôle juridictionnel a posteriori, ce contrôle ne porte, selon la jurisprudence nationale pertinente, que sur les exigences formelles dont dépend la légalité de cette mesure et de la saisie qui en a résulté, et ne permet pas à la juridiction
compétente d’examiner le respect des droits garantis par les directives 2013/48 et 2012/13.

48 Il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13, les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à cette directive.

49 Compte tenu de l’importance du droit à un recours effectif, protégé par l’article 47 de la Charte, et du texte clair, inconditionnel et précis de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13, cette dernière disposition s’oppose à toute mesure nationale faisant obstacle à l’exercice de voies de recours effectives en cas de violation des droits protégés par cette directive (arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 57).

50 La même interprétation s’impose s’agissant de l’article 12 de la directive 2013/48, selon lequel « les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales [...] disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive » (arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 58).

51 Il s’ensuit que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 imposent aux États membres d’assurer le respect du droit à un procès équitable et des droits de la défense, consacrés respectivement à l’article 47 et à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, en prévoyant une voie de recours effective permettant à tout suspect ou à toute personne poursuivie de saisir une juridiction chargée d’examiner si les droits qu’elle tire de ces
directives n’ont pas été violés.

52 Cela étant, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 disposent que le droit de faire constater les éventuelles violations de ces droits est accordé, respectivement, conformément « aux procédures nationales » et « au droit national ». Ces dispositions ne déterminent donc ni les modalités selon lesquelles les violations desdits droits doivent pouvoir être alléguées ni le moment, au cours de la procédure pénale, auquel cela peut être
fait, laissant ainsi aux États membres une certaine marge d’appréciation pour déterminer les procédures spécifiques qui seront applicables à cet égard.

53 L’intention du législateur de l’Union de reconnaître une telle marge d’appréciation est confirmée par les considérants des directives 2012/13 et 2013/48. En effet, d’une part, selon le considérant 36 de la directive 2012/13, le droit de faire constater le fait que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations ou de divulguer certaines pièces de l’affaire conformément à cette directive « n’oblige pas les États membres à prévoir une procédure d’appel
spécifique, un mécanisme séparé ou une procédure de réclamation permettant cette contestation ». D’autre part, le considérant 50 de la directive 2013/48 indique, en substance, que l’obligation, pour les États membres, de veiller à ce que les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés est sans préjudice des dispositifs ou des régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves et ne devrait pas empêcher les États membres de conserver un système en vertu duquel tous les
éléments de preuve existants peuvent être produits devant une juridiction « sans qu’il y ait une appréciation distincte ou préalable quant à leur admissibilité. »

54 Par ailleurs, les articles 47 et 48 de la Charte ne s’opposent pas à ce que les États membres ne soient, ainsi, pas tenus de créer des recours autonomes que les suspects ou les personnes poursuivies pourraient introduire en vue de défendre les droits qui leurs sont conférés par les directives 2012/13 et 2013/48. En effet, selon une jurisprudence constante, le droit de l’Union, en ce compris les dispositions de la Charte, n’a pas pour effet de contraindre les États membres à instituer des voies de
droit autres que celles établies par le droit interne, à moins, toutefois, qu’il ne ressorte de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours juridictionnelle permettant, fût-ce de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 62 et jurisprudence citée).

55 Il s’ensuit que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’un État membre limite le contrôle juridictionnel des mesures contraignantes de collecte de preuves d’une infraction pénale à leur légalité formelle si, par la suite, dans le cadre du procès pénal, le juge du fond est en mesure de vérifier que les droits de la personne poursuivie, visés par les directives 2012/13 et 2013/48, lues à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, ont été respectés.

56 En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique qu’il résulte d’une jurisprudence nationale constante que les informations recueillies auprès de personnes qui ont été interrogées en tant que témoins de leurs propres agissements ne sauraient être retenues en tant qu’éléments de preuve, ces personnes étant en réalité des suspects.

57 Ainsi que l’a indiqué, en substance, M. l’avocat général au point 72 de ses conclusions, cette jurisprudence semble permettre, au moins dans certains cas, d’exclure des informations et des éléments de preuve obtenus en méconnaissance des prescriptions du droit de l’Union, en l’occurrence de l’article 3 de la directive 2012/13, concernant la communication au suspect de ses droits, et de l’article 3 de la directive 2013/48, relatif à l’accès à un avocat.

58 Il n’est cependant pas possible, sur la seule base du dossier dont dispose la Cour, de déterminer si, en l’occurrence, les dispositions nationales pertinentes sont conformes aux exigences mentionnées au point 55 du présent arrêt. Il conviendrait, à cet effet, que la juridiction de renvoi s’assure de ce que, lorsque, dans le cadre d’un procès pénal, l’accusé ou le prévenu fait état d’irrégularités dans la procédure, liées à des violations des droits découlant de l’une de ces deux directives, le
juge du fond soit toujours en mesure de constater ces irrégularités et tenu de tirer toutes les conséquences qui résultent de ces violations, en particulier en ce qui concerne l’irrecevabilité ou la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions.

59 Dans l’hypothèse où le juge du fond n’aurait pas la possibilité de faire ce constat et de tirer les conséquences de ces violations, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, afin de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, le principe de primauté impose, notamment, aux juridictions nationales d’interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union [arrêt du 8 mars 2022,
Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 35 et jurisprudence citée].

60 À défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme, et compte tenu du fait que, ainsi qu’il ressort des points 49 à 51 du présent arrêt, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 ont un effet direct, le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, ces dispositions du droit de l’Union l’obligation d’assurer le plein effet des exigences résultant desdites dispositions dans le
litige dont il est saisi, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation nationale, même postérieure, qui serait contraire aux mêmes dispositions, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 108 ainsi que
jurisprudence citée].

61 Au regard des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48, lus à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge saisi, en vertu du droit national applicable, d’une demande d’autorisation a posteriori d’une fouille corporelle et de la saisie de
substances illicites qui s’en est suivie, exécutées dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, n’est pas compétent pour examiner si les droits du suspect ou de la personne poursuivie, garantis par ces directives, ont été respectés à cette occasion, pour autant, d’une part, que cette personne puisse faire constater par la suite, devant le juge saisi du fond de l’affaire, une éventuelle violation des droits découlant desdites directives et, d’autre part, que ce juge soit alors
tenu de tirer les conséquences d’une telle violation, en particulier en ce qui concerne l’irrecevabilité ou la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions.

Sur la troisième question

62 La troisième question préjudicielle vise l’interprétation des principes de légalité et d’interdiction de l’exercice arbitraire du pouvoir ainsi que de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la directive 2013/48 dans le cadre d’une réglementation nationale en vertu de laquelle seules les personnes formellement placées sous le statut de « personne poursuivie » obtiennent le bénéfice des droits découlant de cette directive, alors que le moment de ce placement est laissé à l’appréciation de
l’autorité d’enquête.

63 Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, d’une part, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (voir, en ce sens, ordonnance du 24 mars 2023, Direktor na Teritorialno podelenie na
Natsionalnia osiguritelen institut-Veliko Tarnovo, C‑30/22, EU:C:2023:259, point 33 et jurisprudence citée).

64 D’autre part, il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal [voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 37 ainsi que jurisprudence citée].

65 Or, il découle de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal concerne une demande d’approbation a posteriori, par un juge, d’une fouille corporelle et de la saisie de biens illicites qui s’en est suivie, exécutées dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale et que, aux fins de donner une réponse utile à la troisième question, il convient, en réalité, d’examiner, dans un tel cas de figure, la portée et la nature du droit d’accès à un avocat, prévu à
l’article 3 de la directive 2013/48.

66 Partant, il convient de considérer que, par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 de la directive 2013/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’un suspect ou une personne poursuivie peut faire l’objet, dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, d’une fouille corporelle et de la saisie de biens illicites, sans que cette personne bénéficie du droit d’accès à un avocat.

67 Conformément à son article 1er, la directive 2013/48 définit des règles minimales concernant, notamment, le droit dont bénéficient les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales d’avoir accès à un avocat et d’informer un tiers de la privation de liberté.

68 À cet égard, l’article 3, paragraphe 1, de cette directive impose aux États membres de veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités leur permettant d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

69 Cette règle de principe est précisée au paragraphe 2 du même article 3, qui prévoit que cet accès doit pouvoir être obtenu « sans retard indu » et, en tout état de cause, à partir de la survenance du premier en date de quatre événements spécifiques énumérés aux points a) à d) de ce paragraphe 2.

70 En outre, l’article 3, paragraphe 3, sous c), de la directive 2013/48 dispose que les suspects ou les personnes poursuivies ont droit au minimum à la présence de leur avocat lors des mesures d’enquête ou des mesures de collecte de preuves visées à cette disposition, lorsque ces mesures sont prévues par le droit national et si le suspect ou la personne poursuivie est tenu d’y assister ou autorisé à y assister.

71 Or, il convient de relever que la fouille corporelle et la saisie de substances illicites ne figurent pas parmi les événements mentionnés à l’article 3, paragraphe 2, sous a) à d), et paragraphe 3, sous c), de cette directive.

72 En particulier, en ce qui concerne, premièrement, le droit des suspects ou des personnes poursuivies, prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/48, d’avoir accès à un avocat avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire, il importe de souligner qu’il ressort du considérant 20 de la directive 2013/48 que, selon l’intention du législateur de l’Union, les questions préliminaires posées par la police ayant pour but,
notamment, d’établir s’il y a lieu d’ouvrir une enquête, par exemple lors d’un contrôle routier, ne constituent pas un « interrogatoire », au sens de cette directive et, donc, ne sont pas visées à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, comme conférant, en tout d’état de cause, aux suspects et aux personnes poursuivies le droit d’accéder à un avocat.

73 En ce qui concerne, deuxièmement, le droit des suspects ou des personnes poursuivies, prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2013/48, d’avoir accès à un avocat « sans retard indu » à partir de la privation de liberté, il convient de souligner que ce droit n’implique pas nécessairement que l’accès à un avocat se concrétise de manière immédiate, c’est-à-dire au moment même de cette privation de liberté.

74 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6 de la CEDH, à laquelle se réfère le considérant 12 de la directive 2013/48, que, s’agissant du droit à l’assistance d’un avocat, au sens du paragraphe 3, sous c), de cet article 6, une fouille effectuée lors d’un contrôle routier, et ayant donné lieu à des déclarations auto-incriminantes, ne révèle aucune restriction significative de la liberté d’action de la personne concernée, qui
pourrait suffire à rendre une assistance juridique obligatoire dès ce stade de la procédure (voir, en ce sens, Cour EDH, 18 février 2010, Zaichenko c. Russie, CE:ECHR:2010:0218JUD003966002, § 47 et 48).

75 De manière générale, afin de déterminer si l’absence d’accès à un avocat lors d’une fouille corporelle et d’une saisie de biens illicites a privé le suspect ou la personne poursuivie du droit garanti à l’article 3 de la directive 2013/48, il convient d’avoir égard aux dispositions du paragraphe 1 de cet article, qui exige d’examiner si cet accès a été accordé dans un délai et selon des modalités permettant au suspect ou à la personne poursuivie d’exercer ses droits de la défense de manière
concrète et effective.

76 Il revient, en l’occurrence, à la juridiction compétente, conformément au droit national, d’effectuer les vérifications nécessaires en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes à cet égard. Plus précisément, il lui appartiendra de vérifier si la présence d’un avocat au moment de la fouille corporelle pratiquée sur AB et de la saisie de substances illicites qui s’en est suivie était objectivement nécessaire aux fins d’assurer effectivement les droits de la défense de cette personne.

77 Il convient à cet égard de préciser que, sous réserve de vérification par la juridiction nationale compétente, les mesures dont AB a fait l’objet n’apparaissent pas, a priori, prises dans un contexte tel que, au moment où celles-ci sont intervenues, l’intéressé aurait dû bénéficier du droit d’accès à un avocat, au sens de l’article 3 de la directive 2013/48.

78 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 3 de la directive 2013/48 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit qu’un suspect ou une personne poursuivie peut faire l’objet, dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, d’une fouille corporelle et de la saisie de biens illicites, sans que cette personne bénéficie du droit d’accès à un avocat, à condition qu’il découle de l’examen de l’ensemble des circonstances
pertinentes qu’un tel accès n’est pas nécessaire pour que ladite personne puisse exercer ses droits de la défense de manière concrète et effective.

Sur la cinquième question

79 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si les principes de l’État de droit doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation et une jurisprudence nationales en vertu desquelles le juge national « n’a pas le pouvoir de contrôler le placement d’une personne sous le statut de personne poursuivie, alors même que [...] cet acte formel détermine si les droits de la défense seront garantis à cette personne dans le cas où des mesures d’enquête contraignantes
sont mises en œuvre contre elle ».

80 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (ordonnance du 27 mars 2023, Belgische Staat, C‑34/22, EU:C:2023:263, point 43 et jurisprudence citée).

81 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, ordonnance du 27 mars 2023, Belgische Staat, C‑34/22, EU:C:2023:263, point 44 et
jurisprudence citée).

82 En l’occurrence, la cinquième question se réfère de manière générale aux « principes de l’État de droit », sans que la demande de décision préjudicielle comporte, par ailleurs, l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger, dans le cadre de cette question, sur l’interprétation de ces « principes », de sorte que la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à ladite question est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision dans
le cadre du litige au principal.

83 Il s’ensuit que la cinquième question est irrecevable.

Sur les dépens

84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ainsi que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit
des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires,

doivent être interprétés en ce sens que :

ces directives s’appliquent à une situation dans laquelle une personne, à l’égard de laquelle il existe des informations selon lesquelles elle est en possession de substances illicites, fait l’objet d’une fouille corporelle ainsi que d’une saisie de ces substances. Le fait que le droit national ne connaît pas la notion de « suspect » et que ladite personne n’a pas été officiellement informée qu’elle aurait la qualité de « personne poursuivie » n’a pas d’incidence à cet égard.

  2) L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48, lus à la lumière des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale selon laquelle le juge saisi, en vertu du droit national applicable, d’une demande d’autorisation a posteriori d’une fouille corporelle et de la saisie de substances illicites qui s’en est suivie, exécutées dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, n’est pas compétent pour examiner si les droits du suspect ou de la personne poursuivie, garantis par ces directives, ont été respectés à cette occasion, pour autant, d’une
part, que cette personne puisse faire constater par la suite, devant le juge saisi du fond de l’affaire, une éventuelle violation des droits découlant desdites directives et, d’autre part, que ce juge soit alors tenu de tirer les conséquences d’une telle violation, en particulier en ce qui concerne l’irrecevabilité ou la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions.

  3) L’article 3 de la directive 2013/48

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit qu’un suspect ou une personne poursuivie peut faire l’objet, dans le cadre de la phase préliminaire d’une procédure pénale, d’une fouille corporelle et de la saisie de biens illicites, sans que cette personne bénéficie du droit d’accès à un avocat, à condition qu’il découle de l’examen de l’ensemble des circonstances pertinentes qu’un tel accès n’est pas nécessaire pour que ladite personne puisse exercer ses droits de la défense de
manière concrète et effective.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-209/22
Date de la décision : 07/09/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Directive 2012/13/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Directive 2013/48/UE – Champ d’application – Réglementation nationale ne visant pas la qualité de suspect – Phase préliminaire de la procédure pénale – Mesure coercitive de fouille corporelle et de saisie – Autorisation a posteriori par le juge compétent – Absence de contrôle juridictionnel des mesures d’obtention de preuves – Articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Exercice effectif des droits de la défense des suspects et des personnes poursuivies lors du contrôle juridictionnel des mesures d’obtention de preuves.

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux

Charte des droits fondamentaux

Justice et affaires intérieures

Coopération judiciaire en matière pénale

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Demande de décision préjudicielle, introduite par Rayonen sad Lukovit.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 09/09/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:634

Source

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