CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 6 juillet 2023 ( 1 )
Affaire C‑354/22
Weingut A
contre
Land Rheinland-Pfalz
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Organisation commune des marchés – Vins – Désignation et présentation des vins – Appellations d’origine et indications géographiques – Règlement délégué (UE) 2019/33 – Article 54, paragraphe 1 – Étiquetage – Indication de l’exploitation viticole – Notion d’“exploitation” – Rattachement territorial – Vinification entièrement effectuée dans l’exploitation viticole – Participation à la vinification de tiers à l’exploitation viticole – Installation louée pour le
pressurage en dehors de l’établissement principal de l’exploitation viticole éponyme »
1. Le droit de l’Union réglemente en détail les appellations d’origine, les indications géographiques et les mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, ainsi que l’étiquetage et la présentation des vins.
2. Les produits de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée peuvent inclure dans leur étiquetage et leur présentation, de manière facultative, certaines mentions identifiant l’exploitation viticole dont ils proviennent. Tel est ce que prévoit l’article 54, paragraphe 1, second alinéa, du règlement délégué (UE) 2019/33 ( 2 ), dont l’annexe VI énumère ces mentions pour certains États membres.
3. Dans le litige à l’origine du présent renvoi préjudiciel, un viticulteur allemand entend utiliser la mention « Weingut » (domaine viticole) dans la présentation de ses vins, alors que les raisins dont ils sont issus sont cultivés, récoltés et pressés dans une propriété appartenant à un tiers, située à 70 km de celle du viticulteur, que ce dernier loue.
4. Devant le refus de l’administration d’accepter la mention « Weingut » dans la présentation de ces vins, un différend est survenu dans lequel il conviendra de déterminer, en substance :
– si, par « exploitation », il faut entendre un espace physique défini, comprenant uniquement les vignobles ainsi que les bâtiments et installations de vinification qui ne sont pas séparés des terres du producteur de vin ;
– si l’on peut admettre que la vinification a été entièrement effectuée dans l’exploitation viticole quand les raisins sont pressés dans une installation de pressurage louée par le producteur en dehors du périmètre de sa propriété. Si tel est le cas, se pose la question de savoir quel degré de contrôle du processus de vinification est requis de ce producteur.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le règlement (UE) no 1308/2013
5. Aux termes de l’article 3 du règlement (UE) no 1308/2013 ( 3 ), intitulé « Définitions » :
« [...]
3. Les définitions figurant dans [...] le règlement (UE) no 1307/2013 [ ( 4 )] [...] s’appliquent aux fins du présent règlement [...]
[...] »
6. L’article 122 du règlement no 1308/2013, intitulé « Pouvoirs délégués », se lit comme suit :
« 1. Afin de tenir compte des spécificités du secteur vitivinicole, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 227 en ce qui concerne les règles et les restrictions portant sur :
[...]
c) les indications facultatives pour :
[...]
iii) les termes faisant référence à une exploitation et les conditions de leur utilisation ;
[...] »
2. Le règlement no 1307/2013
7. L’article 4 de ce règlement, intitulé « Définitions et dispositions connexes », dispose :
« 1. Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b) “exploitation”, l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre ;
[...] »
3. Le règlement délégué 2019/33
8. Aux termes du considérant 48 de ce règlement délégué :
« La mention de l’exploitation qui gère le vignoble dont sont issus les produits de la vigne et au sein de laquelle s’effectue tout le processus de vinification peut constituer une valeur ajoutée pour les producteurs et l’indication d’une qualité supérieure pour les consommateurs. Il devrait donc être permis aux producteurs d’indiquer le nom de l’exploitation sur l’étiquette d’un produit de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée. »
9. L’article 1er dudit règlement délégué, intitulé « Objet », énonce ce qui suit :
« Le présent règlement établit des dispositions complétant le règlement [no 1308/2013] [...] en ce qui concerne :
[...]
f) l’étiquetage et la présentation. »
10. Sous le chapitre IV, intitulé « Étiquetage et présentation », section 2, intitulée « Indications facultatives », l’article 54 du règlement délégué 2019/33, lui-même intitulé « Indication de l’exploitation », dispose :
« 1. Les mentions se référant à une exploitation figurant à l’annexe VI, autres que l’indication du nom de l’embouteilleur, du producteur ou du vendeur, sont réservées aux produits de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée.
Ces mentions ne sont utilisées que si le produit de la vigne est élaboré exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation et si la vinification est entièrement effectuée dans cette exploitation.
[...] »
11. L’article 55 de ce règlement délégué, intitulé « Référence aux noms des unités géographiques plus petites ou plus grandes que la zone qui est à la base de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée », prévoit ce qui suit :
« 1. Conformément à l’article 120, paragraphe 1, [sous] g), du règlement [no 1308/2013], et sans préjudice des articles 45 et 46, seul un produit de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée, d’une indication géographique protégée ou d’une indication géographique d’un pays tiers peut comporter sur son étiquette une référence au nom d’une unité géographique qui est plus petite ou plus grande que la zone de cette appellation d’origine ou de cette indication géographique.
2. Lorsqu’il est fait référence aux noms des unités géographiques qui sont plus petites que la zone qui est à la base de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique, le demandeur délimite avec précision la zone de l’unité géographique en question dans le cahier des charges du produit et le document unique. Les États membres peuvent établir des règles concernant l’utilisation de ces unités géographiques.
[...] »
12. L’annexe VI du règlement délégué 2019/33, intitulée « Mentions visées à l’article 54, paragraphe 1 », indique les mentions suivantes s’agissant de l’Allemagne : « Burg, Domäne, Kloster, Schloss, Stift, Weinbau, Weingärtner, Weingut, Winzer ».
B. Le droit allemand : la Weinverordnung (décret sur le vin)
13. L’article 38, paragraphe 1, de ce décret ( 5 ) prévoit que l’indication de l’exploitation est admise pour les vins Federweißer, Landwein (vins de pays), Qualitätswein (vins de qualité), Prädikatswein (vins de qualité supérieure), Sekt (vins mousseux), Qualitätsperlwein (vins pétillants de qualité) ou Qualitätslikörwein (vins de liqueur de qualité) uniquement conformément à l’article 54, paragraphe 1, du règlement délégué 2019/33, lu en combinaison avec son annexe VI. À l’article 38,
paragraphes 3 et 5, dudit décret, il est fait référence à la mention « Gutsabfüllung ».
II. Les faits, le litige au principal et les questions préjudicielles
14. Le propriétaire (ci-après le « viticulteur A ») d’une exploitation viticole située à Zell, dans la région de la Moselle allemande, produit du vin non seulement à partir des raisins de ses propres vignobles, mais également à partir d’autres vignobles qu’il loue.
15. L’un de ces vignobles loués, de 2,15 ha, se situe à environ 70 km de Zell, dans une exploitation viticole appartenant au viticulteur B.
16. Les deux viticulteurs ont conclu un contrat en vertu duquel B cultive les vignes de A selon ses instructions et, en outre, loue à ce dernier chaque année, à titre exclusif, une installation de pressurage pour une période de 24 heures à compter de la récolte de la surface louée.
17. Le pressurage est effectué dans l’exploitation du viticulteur B selon les pratiques œnologiques du viticulteur A. Le vin ainsi obtenu est versé dans des cuves transportées vers l’établissement principal du viticulteur A par le personnel qui est à son service.
18. Le viticulteur A entend utiliser les mentions « Weingut » et « Gutsabfüllung » pour le vin pressé dans l’installation de pressurage qu’il loue au viticulteur B.
19. Le Land Rheinland-Pfalz (Land de Rhénanie-Palatinat, Allemagne, ci-après le « Land ») estime que, dans ces conditions, le viticulteur A ne peut pas utiliser ces deux mentions.
20. Saisi du litige, le Verwaltungsgericht Trier (tribunal administratif de Trèves, Allemagne) a, par jugement du 16 mai 2019, accueilli le recours introduit par le viticulteur A et considéré que ce dernier était autorisé à utiliser les mentions « Weingut » et « Gutsabfüllung ». L’élément déterminant, pour cette juridiction, était que la direction effective, la surveillance permanente et la responsabilité exclusive de la vinification incombaient au viticulteur A.
21. Le Land a interjeté appel devant l’Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supérieur de Rhénanie-Palatinat, Allemagne) qui, par arrêt du 12 août 2020, a réformé le jugement de première instance et rejeté le recours du viticulteur A.
22. La juridiction d’appel susmentionnée a fondé sa décision, en substance, sur les arguments suivants :
– en vertu des dispositions combinées de l’article 54, paragraphe 1, et de l’annexe VI du règlement délégué 2019/33, la mention « Weingut » implique que la vinification ait lieu dans une exploitation qui ne se présente pas seulement comme une unité organisationnelle, mais qui constitue un seul et même ensemble opérationnel avec un établissement stable durablement affecté par son propriétaire à la production vitivinicole et dans lequel travaille du personnel soumis à son pouvoir de direction. Une
séparation des étapes de la vinification, comme celle du pressurage, est en contradiction avec l’idée selon laquelle « tout doit rester entre les mêmes mains » ;
– le contrat de location de l’installation de pressurage ne garantit pas que toutes les phases de la production du vin se déroulent sous la direction et la responsabilité de la même personne. Au contraire, le contrat prévoit que le pressurage peut avoir lieu aussi bien en présence du producteur que de celle d’un opérateur de l’installation de pressurage au service de son propriétaire, ce qui ne garantit pas la direction et la responsabilité continues du viticulteur A.
23. Un pourvoi a été formé par le viticulteur A contre l’arrêt rendu en appel devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La vinification peut-elle avoir été entièrement effectuée dans l’exploitation viticole qui donne son nom [à l’appellation viticole] (ci-après l’“exploitation viticole éponyme”), au sens de l’article 54, paragraphe 1, [second] alinéa, du règlement délégué [2019/33], si le pressurage des raisins a lieu dans une installation de pressurage louée pour 24 heures à une autre exploitation viticole et qui, pendant cette période, est à la disposition exclusive de l’exploitation viticole éponyme ?
2) Dans l’affirmative, est-il nécessaire que le pressurage des raisins soit effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole éponyme ou, en tout cas, qu’elle soit supervisée sur place, ou bien le pressurage peut-il également être effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole qui loue l’installation de pressurage des raisins, selon les instructions de l’exploitation viticole éponyme ?
3) Si le pressurage peut également être effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole qui loue l’installation de pressurage, ceux-ci peuvent‑ils, en cas de problèmes survenant de manière inopinée, être habilités à intervenir dans le pressurage sur la base d’une décision autonome ?
4) Le fait que l’exploitation viticole qui loue l’installation de pressurage des raisins et effectue le pressurage ait un intérêt propre dans la manière dont le pressurage est effectué s’oppose-t-il à ce que la vinification soit affectée à l’exploitation viticole éponyme parce que la convention d’exploitation des vignobles également conclue avec cette entreprise prévoit un supplément, lié au rendement et à la qualité par hectolitre de vins dits Kabinettwein, Spätlesewein (Vendanges Tardives) et
Auslesewein, à la redevance fondée sur la surface et due en contrepartie de l’exploitation ? »
III. La procédure devant la Cour
24. La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 1er juin 2022.
25. Des observations écrites ont été déposées par le viticulteur A ainsi que par la Commission européenne. Tous deux, de même que le Land, ont participé à l’audience qui s’est tenue le 3 mai 2023.
IV. Analyse
A. Sur la première question préjudicielle
26. La juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’on peut considérer que la vinification a été entièrement effectuée dans l’exploitation viticole éponyme, si le pressurage a lieu dans un pressoir loué pour 24 heures à une autre exploitation viticole ( 6 ).
27. Selon elle :
– l’évolution de la réglementation montre que le libellé de l’article 57, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 607/2009 ( 7 ) entraîne une restriction, car, depuis lors, la vinification doit être effectuée « entièrement » dans l’exploitation viticole ;
– le sens et la finalité de la réglementation semblent être de protéger l’identification des exploitations viticoles qui exploitent elles-mêmes les vignobles et assurent la vinification de bout en bout, associée à l’attente des consommateurs que le vin soit de qualité supérieure ;
– néanmoins, cette affirmation n’est pas tout à fait incontestable. Si la location de vignes situées à une distance considérable de l’établissement principal de l’exploitation est sans incidence sur l’indication, il apparaît logique que la location d’un pressoir pour effectuer le pressurage sur place et éviter le transport des raisins ne soit pas pertinente non plus. En fait, l’utilisation commune d’installations d’exploitation est courante dans la production de vin et judicieuse du point de vue
de la gestion d’entreprise.
28. Le règlement délégué 2019/33 a été adopté par la Commission en vertu de l’habilitation que lui confère l’article 122 du règlement no 1308/2013 ( 8 ). Parmi les aspects auxquels les actes délégués peuvent être étendus figurent « les termes faisant référence à une exploitation et les conditions de leur utilisation » [article 122, paragraphe 1, sous c), iii), de ce règlement].
29. Dans le cadre susmentionné, l’article 54 du règlement délégué 2019/33 énonce les conditions dans lesquelles peut être utilisée l’« [i]ndication de l’exploitation ». Il renvoie à l’annexe VI de ce règlement en ce qui concerne l’énumération des mentions pouvant figurer ( 9 ) sur l’étiquetage ou dans la présentation du produit et se référant à une exploitation.
30. Il ressort de l’article 54 dudit règlement délégué que ces mentions :
– doivent être distinctes de l’indication du nom de l’embouteilleur ;
– sont réservées aux produits de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée ;
– ne peuvent être « utilisées que si le produit de la vigne est élaboré exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation et si la vinification est entièrement effectuée dans cette exploitation ».
31. C’est cette dernière condition qui a suscité les doutes, justifiés, de la juridiction de renvoi et qui a donné lieu à des interprétations divergentes, mais également fondées, de la part des juridictions de première instance et d’appel. Les deux autres conditions, que nul ne conteste en l’espèce, ne font pas l’objet du débat.
32. Ma réponse à la présente question préjudicielle portera sur la notion d’« exploitation viticole » et sur l’exigence selon laquelle le processus de vinification doit y être entièrement effectué.
1. Exploitation viticole
33. À première vue, l’article 54, paragraphe 1, second alinéa, du règlement délégué 2019/33 semble établir un lien entre le terme « exploitation » et la surface physique sur laquelle le viticulteur qui entend utiliser la mention (en l’occurrence « Weingut ») cultive ses propres vignes et mène à bien le processus de vinification.
34. La disposition susmentionnée exige, comme je l’ai déjà indiqué, que les raisins aient été récoltés dans les vignobles cultivés par l’exploitation et que la vinification ait été entièrement effectuée dans cette exploitation ( 10 ). Le considérant 48 du règlement délégué 2019/33 confirme ce qui précède lorsqu’il fait référence à l’« exploitation qui gère le vignoble dont sont issus les produits de la vigne et au sein de laquelle s’effectue tout le processus de vinification » ( 11 ).
35. Selon cette première interprétation de la règle susmentionnée, l’« exploitation » serait assimilée au domaine agricole regroupant les surfaces de vigne cultivées ainsi que les bâtiments et installations dans lesquels le raisin (qui y est récolté) subit le processus de vinification. Telle est l’approche retenue par la juridiction d’appel.
36. Il est néanmoins possible d’entendre par « exploitation » l’ensemble des éléments, matériels et humains, organisés au service de la production. Dans cette acception, l’exploitation serait davantage associée à la notion d’« entreprise » et moins à sa base géographique. Le fait qu’un vin se rattache à une exploitation viticole n’impliquerait pas nécessairement qu’il provient des vignobles situés sur les parcelles cultivées de cette dernière.
37. Les différentes connotations sémantiques du terme « exploitation » conduisent à des résultats divergents :
– si l’exploitation équivaut à une propriété au sens géographique, ni les vignobles ni une installation de pressurage situés en dehors de cette exploitation ne satisfont aux conditions énoncées à l’article 54 du règlement délégué 2019/33 ;
– en revanche, si l’exploitation est considérée comme une entreprise, la localisation physique des vignobles ou de l’installation de pressurage n’est pas déterminante (pour autant que les exigences de contrôle que j’évoquerai par la suite soient respectées).
38. L’approche linguistique est loin d’être concluante, car le règlement délégué 2019/33, tout en utilisant la notion d’« exploitation », ne la définit pas. Le règlement no 1308/2013 ne précise pas non plus directement cette notion, mais renvoie, en son article 3, paragraphe 3, aux définitions figurant, entre autres, dans le règlement no 1307/2013 ( 12 ).
39. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013, on entend par « exploitation », « l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre ».
40. Ces renvois en chaîne sont importants, dans la mesure où, si la notion d’« exploitation » contenue dans le règlement no 1307/2013 vaut pour le règlement no 1308/2013, elle sera également valable pour le règlement délégué 2019/33, qui en résulte. Il s’agit de la même notion et son interprétation doit donc être uniforme ( 13 ).
41. L’approche axée sur les aides agricoles n’est pas sans lien avec la réglementation du vin : les produits vitivinicoles entrent, en tant que produits agricoles, dans le champ d’application du règlement no 1308/2013, conformément à son article 1er, lu en combinaison avec son annexe I, partie XII.
42. En somme, tout semble indiquer que, y compris en ce qui concerne le règlement délégué 2019/33, le terme « exploitation » n’identifie pas nécessairement une surface agricole unique.
2. Jurisprudence de la Cour relative à la notion d’« exploitation »
43. La juridiction de renvoi soutient à juste titre que, en l’absence de définition de la notion d’« exploitation » dans le règlement délégué 2019/33, il est judicieux de recourir à la jurisprudence ayant interprété cette notion dans le domaine de la production agricole.
44. Le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) fait preuve d’une connaissance approfondie de la jurisprudence de la Cour. Il indique, dans la décision de renvoi, que cette jurisprudence a « précisé à plusieurs reprises les circonstances dans lesquelles une unité de production simplement louée doit être rattachée à une exploitation et gérée par l’exploitant » ( 14 ).
45. Il ajoute, en citant les arrêts correspondants, que, pour la Cour :
– le critère déterminant est, en particulier, de savoir si l’agriculteur dispose d’une autonomie suffisante aux fins de l’exercice de son activité agricole ( 15 ) ;
– il n’est pas nécessaire qu’il existe, au profit de l’agriculteur, un pouvoir de disposition illimité, mais celui-ci doit disposer d’une certaine marge de manœuvre dans la conduite de son activité agricole ( 16 ) ;
– l’exercice parallèle d’une activité non agricole, de par son intensité, sa nature, sa durée et son calendrier, ne doit pas gêner sensiblement l’activité de l’agriculteur qui détermine l’attribution ( 17 ). Ce n’est que dans ce cas que l’agriculteur peut être considéré comme gérant de manière autonome les installations louées ( 18 ).
46. En effet, la Cour s’est prononcée sur le rattachement de surfaces agricoles à une exploitation et a défini des critères relatifs à sa gestion, en rapport avec des dispositions qui utilisaient le terme « exploitation » de manière semblable à celle du règlement no 1307/2013 (auquel renvoient le règlement no 1308/2013 et, par l’intermédiaire de celui-ci, le règlement délégué 2019/33).
47. Cette jurisprudence accorde une attention particulière à l’élément « unités » (ou « unités de production »), en tant que parties intégrantes d’une « exploitation », en lien avec sa gestion ou son administration.
48. Dans l’arrêt Landkreis Bad Dürkheim, la Cour a considéré que, pour admettre l’utilisation d’une surface agricole en tant que composante des unités de production gérées par un agriculteur, la nature de la relation juridique sur laquelle cette utilisation s’appuie était sans pertinence ( 19 ). La Cour a souligné qu’« une superficie fait partie de l’exploitation de l’agriculteur lorsque ce dernier dispose du pouvoir de la gérer aux fins de l’exercice d’une activité agricole [à l’égard de laquelle]
l’agriculteur doit disposer [...] d’une autonomie suffisante aux fins de l’exercice de son activité agricole » ( 20 ).
49. La déconnexion territoriale des unités de production est plus prononcée dans l’arrêt du 8 mai 2003, Agrargenossenschaft Alkersleben (C‑268/01, EU:C:2003:263). Dans cette affaire, un producteur dont l’exploitation se trouvait dans un Land allemand avait transféré l’essentiel de sa production dans un autre Land. Pour la Cour, le changement dans les unités de production exploitées n’était pas déterminant : le producteur est libre de choisir le lieu de production. En revanche, il doit gérer un
ensemble d’unités de production (même si elles ne lui appartiennent pas) situées sur le territoire géographique d’un État membre ( 21 ).
50. Dans l’arrêt Avio Lucos, la Cour a interprété la notion d’« exploitation » en rapport avec le règlement no 1307/2013, en soulignant, une fois de plus, le lien entre les unités de production et le fait qu’elles sont gérées par l’agriculteur (et non pas nécessairement qu’elles lui appartiennent) ( 22 ).
51. La ligne directrice qui se dégage des arrêts susmentionnés conduit à une lecture de la notion d’« exploitation » qui ne la limite pas aux seules terres dont le producteur est propriétaire, mais qui permet de l’étendre à des terres louées (et, par conséquent, situées sur des surfaces agricoles distinctes de celles du producteur lui-même).
3. Application de ces critères à la présente affaire
a) En ce qui concerne les « raisins récoltés dans des vignes appartenant à l’exploitation viticole »
52. Eu égard à la ligne directrice susmentionnée, il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que le produit que le producteur entend présenter sous la mention « Weingut » ait été élaboré à partir de raisins récoltés dans des vignes qui, sans appartenir physiquement à l’exploitation éponyme, sont situées sur des terres louées par le producteur ( 23 ). La portée fonctionnelle, et non pas purement territoriale, du terme « exploitation » le permettrait.
53. Toutes les parties qui sont intervenues à l’audience, y compris le Land, ont unanimement défendu ce point de vue. La position du Land est particulièrement pertinente, dans la mesure où celui-ci admet que l’exploitation viticole dont l’indication figurera dans la présentation du vin peut comprendre des vignobles appartenant à des tiers (et éloignés), dont l’exploitant n’est pas propriétaire.
54. Comme je l’ai déjà indiqué ( 24 ), la juridiction de renvoi semble tirer la même conclusion : la location de vignes situées à une distance considérable de l’établissement principal du viticulteur ne devrait pas, en principe, avoir d’incidence sur l’utilisation des mentions faisant référence à l’exploitation viticole ( 25 ).
55. À la différence de l’article 5 du règlement (CEE) no 997/81 ( 26 ), l’article 54, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement délégué 2019/33 réserve les mentions en cause en l’espèce « aux produits de la vigne bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée » ( 27 ).
56. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, le fait que les vignobles loués soient situés à environ 70 km de Zell, lieu de l’établissement principal du producteur, ne pose aucun problème, puisqu’ils appartiennent à la même région couverte par une indication géographique protégée ( 28 ).
57. Le cadre réglementaire prévoit en outre, de manière spécifique, la possibilité d’associer qualité et unités territoriales de production de vin plus petites. L’article 120, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1308/2013, tel que complété par l’article 55 du règlement délégué 2019/33, autorise la mention, sur l’étiquetage ou dans la présentation des vins, en tant qu’indication facultative, du « nom d’une unité géographique qui est plus petite ou plus grande que la zone de cette appellation
d’origine ou de cette indication géographique ».
58. L’emploi de l’expression « unité géographique » pour se référer à ces zones plus petites et son absence corrélative pour désigner l’exploitation agricole éponyme démontrent que cette dernière ne doit pas nécessairement être constituée de terres comprises dans un même périmètre appartenant au producteur. Au contraire, l’exploitation éponyme peut inclure des terres appartenant à autrui, cédées ou louées au producteur, qui y exerce son activité agricole.
59. Ce qui précède se heurte à une objection que la juridiction de renvoi a mise en exergue ( 29 ) : si l’inclusion (sur l’étiquetage ou dans la présentation du vin) des mentions faisant référence à l’exploitation viticole vise à « mieux informer les consommateurs sur le lieu d’élaboration des produits de la vigne, et en particulier lorsque le lieu est bien connu des consommateurs » ( 30 ), ces derniers ne sont-ils pas induits en erreur si la notion d’« exploitation » est interprétée dans le sens
susmentionné ?
60. Cette objection n’est pas sans poids, mais est surmontable. Le consommateur se fiera à un vin de qualité supérieure présenté à l’aide de la mention qui donne son nom à l’exploitation et a droit à ce que le lien entre vin et exploitation ne disparaisse pas. Pour qu’il en soit ainsi, il n’est toutefois pas indispensable que le vin provienne précisément de terres appartenant au producteur ; il suffit que le vin soit élaboré sous sa direction, sa responsabilité et son contrôle, en tant qu’exploitant
au sens fonctionnel souligné précédemment.
b) En ce qui concerne le pressurage en tant que partie intégrante du processus de vinification
61. L’article 54, paragraphe 1, second alinéa, du règlement délégué 2019/33 distingue la récolte des raisins, d’une part, et leur vinification, d’autre part. Le processus de vinification comprend différentes phases, parmi lesquelles le pressurage.
62. Il convient donc de déterminer si la notion d’« exploitation » utilisée jusqu’à présent ( 31 ) est valable lorsque, en application de la disposition susmentionnée, la vinification doit être entièrement effectuée dans l’exploitation éponyme ( 32 ).
63. J’estime que les considérations relatives à l’interprétation flexible et fonctionnelle de la notion d’« exploitation » (non liée à la dimension géographique, mais plutôt à la gestion, à l’administration et à la responsabilité du producteur à l’égard des unités utilisées pour la production) peuvent être transposées non seulement à la culture et à la récolte du raisin, mais également au pressurage, dans le cadre du processus de vinification.
64. Sous cet angle, la vinification sera effectuée entièrement dans l’exploitation éponyme, même si une partie de ce processus a lieu dans une installation située en dehors du périmètre des terres appartenant au producteur, si le pressoir fait partie de cette exploitation (l’exploitation éponyme) au sens fonctionnel indiqué précédemment.
65. Une fois admis que les travaux de culture et de récolte du raisin, essentiels au résultat final, n’exigent pas de lien géographique avec les terres appartenant au viticulteur (celui-ci pouvant en louer d’autres qui feront partie de son exploitation), il y a lieu de constater que le même raisonnement vaut, a fortiori, pour le pressurage du vin ( 33 ).
66. Les participants à l’audience, y compris le Land, ont, là aussi, partagé cette analyse. La localisation physique du pressoir n’est pas l’élément déterminant. Il sera toutefois indispensable que le viticulteur propriétaire de l’exploitation éponyme exerce un contrôle adéquat sur le pressurage, ce qui constitue l’objet des autres questions préjudicielles.
67. Cette solution n’est pas contraire à la jurisprudence de la Cour relative au déroulement des processus de vinification, dont on ne peut tirer des solutions univoques, dans la mesure où cette jurisprudence s’est focalisée sur les particularités de chaque cas d’espèce. C’est ce que souligne à juste titre la juridiction de renvoi lorsqu’elle indique que :
– l’arrêt du 18 octobre 1988, Erzeugergemeinschaft Goldenes Rheinhessen ( 34 ), ne permet pas de tirer des enseignements applicables à la présente espèce, car cette affaire concernait la mise en bouteille et non la vinification. En outre, les dispositions interprétées à cette occasion différaient de celles qui régissent la présente affaire ;
– les considérations ressortant de l’arrêt du 29 juin 1994, Baux, n’apportent guère plus de précisions ( 35 ). Bien que la Cour y ait déclaré que la réglementation applicable n’exigeait pas que les viticulteurs soient propriétaires des installations de vinification, cette constatation faisait référence à la différenciation par rapport à la propriété d’une société coopérative qui fonctionnait elle‑même comme une « exploitation ». Cette société coopérative cultivait les raisins dans ses vignes et
élaborait le vin dans ses propres installations.
68. Parmi les cas de figure visés dans les deux arrêts susmentionnés, la situation à l’origine de l’arrêt Baux ( 36 ) présente une certaine similitude avec celle qui prévaut en l’espèce, car l’affaire portait sur l’utilisation de la mention « château » pour indiquer le nom d’une exploitation viticole. Or, la Cour a jugé ( 37 ) que la règle applicable au litige :
– d’une part, garantissait « [...] aux consommateurs qui [achetaient] du vin portant certaines dénominations prestigieuses, telles que celle de “château”, que les principales étapes du processus d’élaboration de ce vin, à savoir celles qui vont de la récolte à la vinification, [avaient] été développées sous la direction effective, le contrôle étroit et permanent et la responsabilité exclusive d’un exploitant auquel [pouvait] être attribuée la qualité du produit » ( 38 ) ;
– d’autre part, exigeait « que les raisins soient tous récoltés dans les vignes faisant partie de cette exploitation et que des procédures fiables soient instaurées pour garantir la vinification séparée des raisins récoltés sur les terres appartenant à l’ancien domaine du château » ( 39 ).
69. L’arrêt du 29 juin 1994, Baux (C‑403/92, EU:C:1994:269), présente une certaine ambivalence, qui découle des particularités de cette affaire. Bien que conforme à l’idée essentielle de direction effective de l’exploitation et de responsabilité du producteur auquel est attribuée la qualité du vin, il n’en introduit pas moins une certaine ambiguïté quant au lien géographique avec les raisins produits sur les terres du « château ».
70. La Cour précise que la réglementation « n’exige pas [...] que la vinification soit opérée dans des installations situées dans un domaine qui inclut un château », ni que « les exploitants viticoles soient eux-mêmes propriétaires des installations de vinification ». Toutefois, elle semble ensuite plaider en faveur d’un lien géographique entre la vinification et les terres sur lesquelles les vignobles sont effectivement cultivés.
71. Au vu de l’ensemble de ces éléments, j’estime que le pressurage des raisins peut être considéré comme réalisé dans l’exploitation éponyme lorsqu’il est effectué dans un pressoir loué, mis à la disposition exclusive du propriétaire de cette exploitation.
72. Ainsi, et compte tenu des coûts élevés que les installations de pressurage peuvent représenter ( 40 ), l’entrée sur le marché des petits producteurs sur un pied d’égalité est facilitée ( 41 ). Si l’emploi des mentions de qualité faisant référence à une exploitation était réservé aux viticulteurs disposant sur leurs propres terres de l’ensemble des unités de production, les possibilités d’utilisation de ces mentions seraient limitées aux grandes entreprises, au détriment de la compétitivité et
des petits producteurs ( 42 ).
73. Comme l’indique la juridiction de renvoi, cette solution a été retenue dans un autre État membre (la République d’Autriche) ( 43 ), qui autorise l’externalisation, en vertu de contrats, des opérations de transformation, de production, de pressurage ou de filtrage du vin. La République d’Autriche ne semble pas exiger un rattachement strict de l’établissement stable à l’exploitation viticole éponyme ( 44 ).
74. La réponse affirmative à la première question préjudicielle ouvre la voie à l’examen des questions suivantes.
B. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
75. Ces deux questions, qui peuvent être analysées conjointement, sont posées dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la première. Cette hypothèse étant vérifiée, il convient de noter que la juridiction de renvoi fait référence à l’intervention des collaborateurs, employés par l’exploitation ou étrangers à celle‑ci, dans le pressurage du raisin dans l’installation louée.
76. Ses interrogations sont plus particulièrement les suivantes :
– « Est-il nécessaire que le pressurage des raisins soit effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole éponyme ou, en tout cas, qu’elle soit supervisée sur place, ou bien le pressurage peut-il également être effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole qui loue l’installation de pressurage des raisins, selon les instructions de l’exploitation viticole éponyme ? »
– « Si le pressurage peut également être effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole qui loue l’installation de pressurage, ceux-ci peuvent-ils, en cas de problèmes survenant de manière inopinée, être habilités à intervenir dans le pressurage sur la base d’une décision autonome ? »
77. Lors de l’audience, les parties et la Commission ont précisément concentré leurs observations sur des aspects liés aux collaborateurs intervenant dans le pressurage. Le Land a fait part de ses préoccupations quant aux mécanismes de contrôle de la direction, de la surveillance et de la responsabilité du producteur, lorsque celui-ci a loué des installations techniques et a fait appel à des prestataires de services externes.
78. Il ressort de la jurisprudence susmentionnée que le producteur doit, en tout état de cause, s’assurer que la vinification réalisée dans des installations louées, mais faisant partie de son exploitation viticole (au sens fonctionnel déjà décrit), utilise les mêmes techniques ou pratiques que celles qui sont employées dans l’exploitation dont il est propriétaire.
79. Le viticulteur qui effectue le pressurage du raisin dans un pressoir loué doit donc le faire en assumant « la direction effective, le contrôle étroit et permanent et la responsabilité exclusive » ( 45 ) de cette étape (ainsi que d’autres) du processus d’élaboration du vin.
80. Sous réserve de la condition susmentionnée, rien ne s’oppose à ce que le pressurage soit effectué par les collaborateurs qui font habituellement fonctionner le pressoir ( 46 ), et non par ceux de l’exploitation éponyme. Toutefois, pour que le processus soit attribuable au propriétaire de cette dernière, le viticulteur locataire du pressoir doit contrôler (soit en personne, soit par l’intermédiaire de ses employés ou de prestataires de services) que le pressurage respecte ses prescriptions.
81. Je ne crois pas qu’il suffise de donner des instructions générales au bailleur du pressoir, car il n’est pas exclu que des événements imprévus surviennent au cours de l’opération de pressurage et nécessitent l’adoption de décisions immédiates. Ces décisions ne peuvent être prises que par le producteur ou le personnel qui est à son service, sans que celles-ci puissent être déléguées à des tiers, dans la mesure où il est le seul, avec le personnel qui est à son service, à maîtriser les
caractéristiques spécifiques de sa méthode de vinification.
82. Je ne pense pas que la Cour doive aller au-delà de l’énoncé de ce critère. Ce sont les autorités administratives (le cas échéant, les conseils régulateurs de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée) qui devront le concrétiser par des règles plus précises.
83. En dernier ressort, il appartient au juge de renvoi de déterminer si le degré d’intervention du producteur dans les opérations de pressurage effectuées dans le pressoir qu’il loue répond aux exigences susmentionnées. Le contrat conclu en vue de la location des installations constituera un élément pertinent (mais non le seul) pour définir les limites des activités de chacune des parties.
C. Sur la quatrième question préjudicielle
84. La juridiction de renvoi souhaite savoir dans quelle mesure le fait que le bailleur du pressoir où l’opération de pressurage est effectuée a un intérêt économique propre dans la manière dont cette opération est réalisée peut avoir une influence. Cet intérêt pourrait résulter de ce que le contrat a prévu un supplément de prix, lié au rendement et à la qualité.
85. Il appartient à la juridiction appelée, dans chaque cas, à résoudre un litige en la matière de déterminer si une clause contractuelle fait naître un risque économique susceptible d’entrer en conflit avec la responsabilité exclusive du propriétaire de l’exploitation viticole éponyme.
86. Je suis cependant d’avis que la rémunération et les incitations convenues n’entravent pas nécessairement la capacité effective de décision et de contrôle du producteur à l’égard des opérations de pressurage. En tant que responsable du processus de vinification, il est également dans son propre intérêt que, sans compromettre l’application des techniques ou des pratiques qui déterminent les caractéristiques œnologiques de ses vins, le pressurage permette d’obtenir des rendements supérieurs tout en
maintenant la qualité du produit.
V. Conclusion
87. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre au Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) de la manière suivante :
L’article 54, paragraphe 1, second alinéa, du règlement délégué (UE) 2019/33 de la Commission, du 17 octobre 2018, complétant le règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les demandes de protection des appellations d’origine, des indications géographiques et des mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, la procédure d’opposition, les restrictions d’utilisation, les modifications du cahier des charges, l’annulation de la protection,
l’étiquetage et la présentation,
doit être interprété en ce sens que :
– il peut être admis que la vinification a été entièrement effectuée dans l’exploitation viticole éponyme lorsque le pressurage des raisins a eu lieu dans un pressoir appartenant à un tiers, loué pendant 24 heures et mis à la disposition exclusive de l’exploitation viticole éponyme, pour autant que le propriétaire de cette dernière assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité de l’opération ;
– sous réserve de ces mêmes conditions de direction effective, de contrôle étroit et permanent ainsi que de responsabilité du propriétaire de l’exploitation éponyme, rien ne s’oppose à ce que les collaborateurs de l’exploitation agricole qui loue le pressoir interviennent dans le pressurage du raisin, et à ce que le contrat de location comporte des clauses prévoyant un supplément de prix lié au rendement et à la qualité par hectolitre de vin.
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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.
( 2 ) Règlement délégué de la Commission du 17 octobre 2018 complétant le règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les demandes de protection des appellations d’origine, des indications géographiques et des mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, la procédure d’opposition, les restrictions d’utilisation, les modifications du cahier des charges, l’annulation de la protection, l’étiquetage et la présentation (JO 2019, L 9, p. 2).
( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671), dans sa version issue du règlement (UE) 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, modifiant les règlements (UE) no 1308/2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles,
(UE) no 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, (UE) no 251/2014 concernant la définition, la description, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des produits vinicoles aromatisés et (UE) no 228/2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union (JO 2021, L 435, p. 262).
( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608).
( 5 ) Weinverordnung in der Fassung der Bekanntmachung vom 21. April 2009 (BGBl. I S. 827), die zuletzt durch Artikel 1 der Verordnung vom 21. Oktober 2022 (BGBl. I S. 1873) geändert worden ist [décret sur le vin dans sa version publiée le 21 avril 2009 (BGBl. I S. 827), modifiée en dernier lieu par l’article 1er de l’arrêté du 21 octobre 2022 (BGBl. I S. 1873) (ci-après le « décret sur le vin »)].
( 6 ) Il est constant que, pendant cette période, le pressoir loué est à la disposition exclusive de l’exploitation viticole éponyme.
( 7 ) Règlement de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d’application du règlement (CE) no 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole (JO 2009, L 193, p. 60).
( 8 ) Le règlement no 1308/2013, en énonçant les dispositions relatives à la commercialisation de certains produits, consacre une section à la réglementation de l’étiquetage et de la présentation dans le secteur vitivinicole (section 3, intitulée « Étiquetage et présentation dans le secteur vitivinicole », du chapitre I, intitulé « Règles relatives à la commercialisation », du titre II, lui‑même intitulé « Règles relatives à la commercialisation et aux organisations de producteurs »).
( 9 ) Pour l’Allemagne, cette annexe vise, entre autres, la mention « Weingut ». Elle énumère également les mentions « Burg », « Domäne », « Kloster », « Schloss », « Stift », « Weinbau », « Weingärtner » et « Winzer ». Elle n’inclut pas la mention « Gutsabfüllung », que prévoit le droit allemand en vertu de l’article 38 du décret sur le vin. Par conséquent, je ne me référerai qu’à la mention « Weingut », qui est la mention propre au droit de l’Union.
( 10 ) D’autres versions linguistiques peuvent être lues dans le même sens. Ainsi, la version en langue allemande indique : « die Weinbereitung vollständig in diesem Betrieb erfolgt » ; la version en langue anglaise énonce : « the winemaking is entirely carried out on that holding » ; la version en langue espagnole se lit comme suit : « la vinificación se ha efectuado enteramente en esa explotación », et la version en langue italienne dispose : « la vinificazione è interamente effettuata
nell’azienda ».
( 11 ) Mise en italique par mes soins.
( 12 ) En vigueur à la date du litige, il a été remplacé par le renvoi aux définitions figurant dans le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural
(Feader), et abrogeant les règlements (UE) no 1305/2013 et (UE) no 1307/2013 (JO 2021, L 435, p. 1).
( 13 ) Voir arrêt du 26 octobre 2006, Kibler (C‑275/05, EU:C:2006:682, point 22) : « [I]l ressort de la notion d’“exploitation” visée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), du règlement [(CEE)] no 857/84 [du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l’application du prélèvement visé à l’article 5 quater du règlement (CEE) no 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO 1984, L 90, p. 13)] [...] que, aux fins dudit règlement, l’exploitation est l’ensemble des unités de
production gérées par le producteur. Dès lors que la même notion est visée [à l’article] 7, paragraphe 1, du règlement no 857/84, et [à l’article] 7, premier alinéa, points 2, 3 et 4, du règlement [(CEE)] no 1546/88 [de la Commission, du 3 juin 1988, fixant les modalités d’application du prélèvement supplémentaire visé à l’article 5 quater du règlement (CEE) no 804/68 (JO 1988, L 139, p. 12)], il y a lieu d’interpréter lesdites dispositions de manière uniforme. En outre, dans la mesure où ces
dispositions poursuivent le même objectif et étant donné que la seconde disposition citée est la mesure d’application de la première, force est de constater qu’il convient de donner auxdites dispositions, dans l’intérêt de la sécurité juridique, une interprétation uniforme. »
( 14 ) Décision de renvoi, point 18.
( 15 ) Arrêts du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim (C‑61/09, EU:C:2010:606, point 62), et du 2 juillet 2015, Wree (C‑422/13, EU:C:2015:438, point 44).
( 16 ) Arrêt du 2 juillet 2015, Demmer (C‑684/13, EU:C:2015:439, points 61 et 62). À mon sens, l’utilité de cet arrêt en l’espèce est moindre : l’affaire portait alors sur les restrictions imposées à un agriculteur en vue de garantir la sécurité du trafic aérien.
( 17 ) Arrêt du 2 juillet 2015, Demmer (C‑684/13, EU:C:2015:439, points 69 et 70).
( 18 ) Arrêt du 15 janvier 1991, Ballmann (C‑341/89, EU:C:1991:11, point 15).
( 19 ) Arrêt du 14 octobre 2010 (C‑61/09, EU:C:2010:606, points 52, 54, 55, 58 et 62). L’absence de pertinence du titre en vertu duquel le producteur gère l’exploitation est constante dans la jurisprudence (arrêts du 8 mai 2003, Agrargenossenschaft Alkersleben, C‑268/01, EU:C:2003:263, point 30, et du 24 juin 2010, Pontini e.a., C‑375/08, EU:C:2010:365, point 62).
( 20 ) Il a été fait ultérieurement référence à cette jurisprudence dans l’arrêt du 2 juillet 2015, Wree (C‑422/13, EU:C:2015:438, point 44).
( 21 ) Arrêt du 8 mai 2003, Agrargenossenschaft Alkersleben (C‑268/01, EU:C:2003:263, points 30 à 33). Le contexte normatif était celui du règlement (CEE) no 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO 1992, L 405, p. 1).
( 22 ) Arrêt du 7 avril 2022 (C‑176/20, EU:C:2022:274, point 36). Ces unités de production gérées par l’agriculteur peuvent inclure, par exemple, des animaux appartenant à autrui qui sont utilisés pour le pâturage, pour autant que l’agriculteur détienne sur ces animaux un pouvoir de disposition suffisant aux fins de l’exercice de son activité agricole.
( 23 ) En partant du principe, naturellement, que les vignes louées se trouvent dans le périmètre de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée.
( 24 ) Voir point 27 des présentes conclusions.
( 25 ) Décision de renvoi, point 31.
( 26 ) Règlement de la Commission du 26 mars 1981 portant modalités d’application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins (JO 1981, L 106, p. 1).
( 27 ) Il est logique qu’il en soit ainsi, dans la mesure où il est essentiel pour les appellations d’origine et les indications géographiques que la qualité, les caractéristiques ou la réputation du produit soient dues ou attribuables à une origine géographique [article 93, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1308/2013].
( 28 ) Landwein der Mosel (https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/food-safety-and-quality/certification/quality-labels/geographical-indications-register/details/EUGI00000004687).
( 29 ) Décision de renvoi, point 24.
( 30 ) Considérant 49 du règlement délégué 2019/33.
( 31 ) Comme l’indique la juridiction de renvoi, les critères dégagés dans le domaine général de la production agricole doivent être interprétés strictement lorsqu’ils s’appliquent à la réglementation viticole, étant donné le lien étroit entre l’établissement de production stable et l’exploitation viticole éponyme.
( 32 ) Cette condition a été introduite par l’article 57 du règlement no 607/2009. Jusqu’alors, il était exigé que « la vinification ait été effectuée dans cette exploitation » [article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 1608/76 de la Commission, du 4 juin 1976, portant modalités d’application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins (JO 1976, L 183, p. 1)].
( 33 ) En l’espèce, le pressurage, selon le viticulteur A, ne nécessiterait pas plus de trois heures effectives (point 1 de la section de ses observations écrites consacrée à la première question préjudicielle).
( 34 ) 311/87, EU:C:1988:483.
( 35 ) C‑403/92, EU:C:1994:269.
( 36 ) Arrêt du 29 juin 1994 (C‑403/92, EU:C:1994:269). L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 997/81 était applicable.
( 37 ) Arrêt du 29 juin 1994, Baux (C‑403/92, EU:C:1994:269, point 13). Là encore, le vin devait provenir « exclusivement de raisins récoltés dans l’exploitation en question et [...] la vinification [devait avoir] été effectuée dans cette même exploitation ».
( 38 ) Arrêt du 29 juin 1994, Baux (C‑403/92, EU:C:1994:269, points 14 et 15). Mise en italique par mes soins.
( 39 ) Arrêt du 29 juin 1994, Baux (C‑403/92, EU:C:1994:269, point 19 et, dans le même sens, point 24).
( 40 ) Lors de l’audience, des exemples de coûts inhérents aux installations de pressurage ont été fournis et il a été souligné que leur utilisation partagée par plusieurs viticulteurs était rationnelle sur le plan économique (comme la juridiction de renvoi l’a également constaté). La Commission a, en outre, avancé des motifs œnologiques, le transport du raisin récolté vers une installation de pressurage éloignée étant susceptible de nuire à sa qualité.
( 41 ) La viabilité économique de ces petites exploitations est une préoccupation du législateur de l’Union. Selon le considérant 13 du règlement 2021/2117, « [...] le secteur vitivinicole de l’Union se caractérise également par un très grand nombre d’exploitations agricoles familiales de petite taille, ce qui se traduit par un éventail varié de vins ». Ce considérant préconise de garantir la viabilité économique de leurs projets.
( 42 ) Conformément à l’article 40, paragraphe 1, TFUE, « [e]n vue d’atteindre les objectifs prévus à l’article 39 [politique agricole commune], il est établi une organisation commune des marchés agricoles ». Selon l’article 40, paragraphe 2, TFUE, « [l]’organisation commune [...] doit exclure toute discrimination entre producteurs [...] de l’Union ».
( 43 ) L’article 22, point 2, du Bundesgesetz über den Verkehr mit Wein und Obstwein (loi fédérale relative au commerce du vin et du vin de fruits), dans sa version publiée le 17 novembre 2009 (BGBl. I Autriche no 111/2009), modifiée par la loi du 29 mai 2019 (BGBl. I Autriche no 48/2019), lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 2, point 1, de la Verordnung des Bundesministers für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft über die Bezeichnung von
Weinen (décret du ministre fédéral de l’Agriculture et des Forêts, de l’Environnement et de la Gestion de l’eau relatif à la désignation des vins), dans la version publiée le 1er avril 2011 (BGBl. II Autriche no 111/2011), modifiée en dernier lieu par le décret modificatif du 23 juillet 2018 (BGBl. II Autriche no 184/2018).
( 44 ) Point 32 de la décision de renvoi.
( 45 ) Arrêt du 29 juin 1994, Baux (C‑403/92, EU:C:1994:269, point 15).
( 46 ) Ainsi que l’a souligné la Commission lors de l’audience, ce sont eux qui connaissent le mieux le fonctionnement de l’installation.