ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
4 mai 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 1er, paragraphe 3 – Champ d’application – Article 8 – Article 12 – Sécurité et santé des travailleurs de nuit au travail – Niveau de protection des travailleurs de nuit adapté à la nature de leur travail – Directive 89/391/CEE – Article 2 – Travailleurs du secteur public et travailleurs du secteur privé – Article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Égalité de
traitement »
Dans les affaires jointes C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21,
ayant pour objet quinze demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Rayonen sad – Kula (tribunal d’arrondissement de Kula, Bulgarie), par décisions du 10 août 2021 et du 18 novembre 2021, parvenues à la Cour respectivement le 25 août 2021 et le 30 novembre 2021, dans les procédures
OP (C‑529/21),
MN (C‑530/21),
KL (C‑531/21),
IJ (C‑532/21),
GH (C‑533/21),
EF (C‑534/21),
CD (C‑535/21),
AB (C‑536/21),
AB (C‑732/21),
BC (C‑733/21),
CD (C‑734/21),
DE (C‑735/21),
EF (C‑736/21),
FG (C‑737/21),
GH (C‑738/21)
contre
Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. T. von Danwitz et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour la Commission européenne, par Mmes D. Drambozova, D. Recchia et C. Valero, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 12 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des
travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de quinze litiges opposant des fonctionnaires d’un service d’arrondissement de la Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti (direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur, Bulgarie) à cette direction générale au sujet de la comptabilisation et de la rémunération des heures de travail de nuit que ces fonctionnaires ont effectuées.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2003/88
3 L’article 1er de la directive 2003/88, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :
« 1. La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.
2. La présente directive s’applique :
a) aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail, et
b) à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail.
3. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la directive [89/391], sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive.
[...] »
4 L’article 2 de la directive 2003/88, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
3. “période nocturne” : toute période d’au moins sept heures, telles que définies par la législation nationale, comprenant en tout cas l’intervalle entre 24 heures et 5 heures ;
4. “travailleur de nuit” :
a) d’une part, tout travailleur qui accomplit durant la période nocturne au moins trois heures de son temps de travail journalier accomplies normalement ;
b) d’autre part, tout travailleur qui est susceptible d’accomplir, durant la période nocturne, une certaine partie de son temps de travail annuel, définie selon le choix de l’État membre concerné :
i) par la législation nationale, après consultation des partenaires sociaux, ou
ii) par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux au niveau national ou régional ;
5. “travail posté” : tout mode d’organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris le rythme rotatif, et qui peut être de type continu ou discontinu, entraînant pour les travailleurs la nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines ;
6. “travailleur posté” : tout travailleur dont l’horaire de travail s’inscrit dans le cadre du travail posté ;
[...] »
5 L’article 8 de cette directive, intitulé « Durée du travail de nuit », est libellé comme suit :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :
a) le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures ;
b) les travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes ne travaillent pas plus de huit heures au cours d’une période de vingt‑quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit.
Aux fins du point b), le travail comportant des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes est défini par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit. »
6 L’article 12 de ladite directive, intitulé « Protection en matière de sécurité et de santé », dispose :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :
a) les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection en matière de sécurité et de santé, adapté à la nature de leur travail ;
b) les services ou moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit et des travailleurs postés soient équivalents à ceux applicables aux autres travailleurs et soient disponibles à tout moment. »
La directive 89/391
7 L’article 2 de la directive 89/391, intitulé « Champ d’application », prévoit :
« 1. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).
2. La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.
Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive. »
Le droit bulgare
Le code du travail
8 Aux termes de l’article 140 du Kodeks na truda (code du travail) (DV no 26, du 1er avril 1986, et DV no 27, du 4 avril 1986), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après le « code du travail ») :
« 1. La durée hebdomadaire normale du travail de nuit pour une semaine de travail de cinq jours ouvrables ne peut dépasser trente‑cinq heures. La durée journalière normale du travail de nuit pour une semaine de travail de cinq jours ouvrables ne peut dépasser sept heures.
2. Constitue du travail de nuit le travail fourni entre 22 heures et 6 heures, cette tranche horaire s’étendant, pour les travailleurs de moins de 16 ans, de 20 heures à 6 heures.
[...] »
9 En vertu de l’article 143 du code du travail :
« 1. Constitue des heures supplémentaires le travail qui est fourni par le travailleur en dehors du temps de travail prévu pour lui, à la demande de l’employeur ou du supérieur hiérarchique ou alors que ce dernier en a connaissance et ne s’y oppose pas.
[...] »
La loi relative au ministère de l’Intérieur
10 L’article 142 du zakon za Ministerstvo na vatreshnite raboti (loi relative au ministère de l’Intérieur), du 28 mai et du 19 juin 2014 (DV no 53, du 27 juin 2014, p. 2), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après la « loi relative au ministère de l’Intérieur »), dispose :
« 1. Les agents du ministère de l’Intérieur sont :
1) des fonctionnaires de police et de la direction générale “Sécurité incendie et protection civile” ;
2) des fonctionnaires ;
3) des agents contractuels.
[...] »
11 Dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur du zakon za izmenenie i dopalnenie na zakona za Ministerstvo na vatreshnite raboti (loi portant modification et complément de la loi relative au ministère de l’Intérieur), du 11 juin et 1er juillet 2020 (DV no 60, du 7 juillet 2020, p. 3), l’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur prévoyait :
« 1. La durée normale du travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est de 8 heures par jour et de 40 heures hebdomadaires pour une semaine de travail de 5 jours.
[...]
3. Le temps de travail des fonctionnaires est calculé en jours ouvrés sur une base quotidienne, alors qu’il est comptabilisé sur une période de 3 mois pour ceux qui effectuent du travail posté de 8, de 12 ou de 24 heures. Un poste d’une durée de 24 heures constitue une exception. [...] En cas de travail posté, du travail de nuit peut être effectué de 22 heures à 6 heures, le temps de travail ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par période de 24 heures.
[...]
9. Les modalités relatives à l’organisation et à la répartition du temps de travail ainsi qu’à la comptabilisation de ce dernier, à la rémunération du travail des fonctionnaires effectué en dehors des heures normales de travail, au régime du service, au temps de repos et aux congés des fonctionnaires sont déterminées par ordonnance du ministre de l’Intérieur.
[...] »
12 Dans sa version applicable à partir de l’entrée en vigueur de la loi portant modification et complément de la loi relative au ministère de l’Intérieur, du 11 juin et 1er juillet 2020, l’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur est libellé comme suit :
« 1. La durée normale du travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est de 8 heures par jour et de 40 heures par semaine pour une semaine de travail de 5 jours. La durée normale du travail de nuit est de 8 heures par période de 24 heures. Est considéré comme du travail de nuit un travail effectué entre 22 heures et 6 heures.
2. Un temps de travail réduit est prévu pour les fonctionnaires qui exercent leurs fonctions dans des conditions spécifiques, en étant exposés à des risques pour leur vie et leur santé.
3. Le temps de travail des fonctionnaires est calculé en jours ouvrés sur une base quotidienne, alors qu’il est comptabilisé sur une période de 3 mois pour ceux qui effectuent du travail posté de 8, de 12 ou de 24 heures. Un poste d’une durée de 24 heures constitue une exception.
[...]
10. Les modalités relatives à l’organisation et à la répartition du temps de travail ainsi qu’à la comptabilisation de ce dernier, à la rémunération du travail effectué en dehors des heures normales de travail, au régime du service, au temps de repos et aux congés des fonctionnaires, au sens de l’article 142, paragraphe 1, point 1, et paragraphe 3, sont déterminées par ordonnance du ministre de l’Intérieur. »
13 L’article 188, paragraphe 2, de cette loi est rédigé comme suit :
« Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur qui travaillent entre 22 heures et 6 heures bénéficient de la protection spéciale prévue au code du travail. »
Les ordonnances adoptées par le ministre de l’Intérieur conformément à l’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur
14 L’article 3, paragraphe 3, de la naredba no 8121z-776 (ordonnance no 8121z-776), du 29 juillet 2016 (DV no 60, du 2 août 2016, p. 16), abrogée le 14 janvier 2020, prévoyait :
« Il est possible d’imposer aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de travailler également pendant la nuit, de 22 heures à 6 heures, les heures effectuées ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par période de 24 heures. »
15 L’article 3, paragraphe 2, de la naredba no 8121z-36 (ordonnance no 8121z-36), du 7 janvier 2020 (DV no 3, du 10 janvier 2020, p. 3), abrogée le 21 octobre 2020, était libellé comme suit :
« Il est possible d’imposer aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de travailler également pendant la nuit, de 22 heures à 6 heures, les heures effectuées ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par période de 24 heures. »
16 L’article 3, paragraphe 2, de la naredba no 8121z-1174 (ordonnance no 8121z-1174), du 21 octobre 2020 (DV no 93, du 30 octobre 2020), abrogée le 15 décembre 2020, disposait :
« Il est possible d’imposer aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de travailler également pendant la nuit, de 22 heures à 6 heures, les heures effectuées ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par période de 24 heures. »
L’ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire
17 L’article 8 de la naredba za strukturata i organizatsiata na rabotnata zaplata (ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire), du 17 janvier 2007 (DV no 9, du 26 janvier 2007, p. 2), était libellé comme suit :
« Pour chaque heure ou fraction d’heure de travail de nuit accomplie entre 22 heures et 6 heures, les travailleurs perçoivent une rémunération supplémentaire pour travail de nuit d’un montant minimum de 0,25 lev bulgare [(BGN)] (environ 0,13 euro). »
18 Dans sa version applicable à partir de l’entrée en vigueur du postanovlenie za izmenenie na Naredbata za strukturata i organizatsiata na rabotnata zaplata (arrêté portant modification de l’ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire), du 21 juillet 2020 (DV no 66, du 24 juillet 2020, p. 7), cette disposition prévoit :
« Pour chaque heure ou fraction d’heure de travail de nuit accomplie entre 22 heures et 6 heures, les travailleurs perçoivent une rémunération supplémentaire pour travail de nuit égale à au moins 0,15 % du salaire minimum national, sans pouvoir être inférieure à 1 BGN. »
19 L’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire énonce :
« Lors du calcul du temps de travail accumulé, les heures de nuit sont converties en heures de jour avec un coefficient égal au rapport entre la durée normale du travail de jour et de nuit, définie pour le lieu de travail concerné. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
20 Les requérants au principal ont le statut de fonctionnaire et exercent les fonctions de pompiers au sein du service d’arrondissement de Kula (Bulgarie) de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur.
21 Les procédures au principal se rapportent à la période allant du 31 janvier 2018 au 31 décembre 2020, au cours de laquelle les requérants au principal ont travaillé dans le cadre d’un travail posté d’une durée de 24 heures, comptabilisées sur une base trimestrielle. Pendant cette période, les requérants au principal ont effectué un travail de nuit, entre 22 heures et 6 heures, en accomplissant 8 heures de travail de nuit par période de 24 heures.
22 La juridiction de renvoi observe que, dans la législation bulgare, le régime général du travail de nuit figure dans le code du travail, lequel prévoit, d’une part, que le travail de nuit ne peut dépasser 7 heures par période de 24 heures et, d’autre part, que les heures supplémentaires, qui sont constitutives d’un travail effectué en dehors du temps de travail prévu, donnent lieu à une augmentation de rémunération, qui semble s’élever à 50 %.
23 Elle ajoute que, en revanche, selon le régime spécial du travail prévu par la loi relative au ministère de l’Intérieur, la durée normale du travail de nuit est de 8 heures par période de 24 heures et que si, à l’instar du régime général du travail de nuit, ce régime prévoit que les heures supplémentaires sont constitutives d’un travail effectué en dehors du temps de travail prévu, la durée normale du travail de 8 heures ne donne lieu qu’à un supplément de 0,25 BGN par heure.
24 Les requérants au principal soutiennent que le travail de nuit constitue, dans la mesure où il correspond à la différence entre la durée normale du travail de nuit qui s’applique à eux et la durée normale du travail de nuit qui s’applique aux travailleurs du secteur privé, à savoir une heure, des heures supplémentaires. Or, ces heures supplémentaires ne donneraient pas lieu à une augmentation de la rémunération telle que prévue par le code du travail. En effet, le régime spécial du travail de
nuit prévu par la loi relative au ministère de l’Intérieur se limiterait à prévoir que le travail de nuit donne lieu à un supplément de rémunération de 0,25 BGN par heure. Les requérants au principal considèrent donc que le mode de calcul de la rémunération du travail de nuit prévu par la loi relative au ministère de l’Intérieur est discriminatoire et qu’ils devraient être soumis au régime le plus favorable, à savoir le régime général.
25 La juridiction de renvoi relève que les requérants au principal, qui sont des fonctionnaires au sein d’un service d’arrondissement de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur, bénéficient de certains avantages par rapport aux travailleurs dont le travail est régi par le régime général du travail de nuit prévu par le code du travail, tels que des congés payés plus longs ou des indemnités de départ à la retraite d’un montant plus élevé.
26 Elle se demande donc si de telles personnes peuvent être soumises à des conditions de travail moins favorables à d’autres égards, notamment en ce qui concerne le fait que la durée normale du travail de nuit est fixée à 8 heures en ce qui les concerne.
27 Dans ces conditions, le Rayonen sad – Kula (tribunal d’arrondissement de Kula, Bulgarie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées en des termes identiques dans les affaires C‑529/21 à C‑536/21 et dans les affaires C‑732/21 à C‑738/21 :
« 1) La directive 2003/88 s’applique-t-elle lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile, s’y opposent de manière contraignante, étant donné que :
– l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88 dispose que celle-ci s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la directive 89/391 ;
– l’article 2, paragraphe 2, de la directive 89/391 dispose que celle-ci n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante ?
2) Lors de l’appréciation de l’équivalence des moyens appropriés de protection, au sens de l’article 12, sous b), de la directive 2003/88, d’une catégorie de travailleurs qui travaillent de nuit et dont la durée du travail de nuit n’est pas supérieure à 7 heures par période de 24 heures par rapport à une autre catégorie de travailleurs qui fournissent également du travail de nuit et dont la durée du travail de nuit n’est pas supérieure à 8 heures, mais qui bénéficient d’avantages comme davantage
de jours de congés payés, des indemnités de départ à la retraite d’un montant plus élevé, un supplément de rémunération pour ancienneté plus élevé, convient‑il de prendre en considération les avantages dont jouissent les travailleurs de la seconde catégorie ? »
Sur la procédure devant la Cour
28 La juridiction de renvoi a demandé que les renvois préjudiciels soient soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour dans les affaires C‑529/21 à C‑536/21.
29 Le 9 septembre 2021, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.
30 Par les décisions du président de la Cour du 24 septembre et du 16 décembre 2021, respectivement, les affaires C‑529/21 à C‑536/21 et les affaires C‑732/21 à C‑738/21 ont été jointes et la procédure devant la Cour a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto (C‑262/20, EU:C:2022:117).
31 Cette procédure a été reprise le 28 février 2022.
32 Par la décision de la Cour du 13 décembre 2022, les affaires C‑529/21 à C‑536/21 et les affaires C‑732/21 à C‑738/21 ont été jointes aux fins de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2003/88 s’applique à des activités telles que celles des requérants au principal qui sont des fonctionnaires exerçant les fonctions de pompiers au sein de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur et qui sont considérés comme étant des travailleurs de nuit, étant donné, d’une part, que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88 définit le champ
d’application de celle-ci en faisant expressément référence à l’article 2 de la directive 89/391 tandis que, d’autre part, conformément à son article 2, la directive 89/391 n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.
34 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les affaires dont est saisie la juridiction de renvoi concernent seulement l’application de la directive 2003/88 à des fonctionnaires exerçant les fonctions de pompiers qui travaillent régulièrement de nuit. Ainsi, comme la Commission européenne le suggère, il y a donc lieu de comprendre la première question comme visant à savoir si l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88, lu en combinaison avec l’article 2 de la directive 89/391, doit
être interprété en ce sens que la directive 2003/88 s’applique aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, qui sont considérés comme des travailleurs de nuit.
35 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler, tout d’abord, que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88, lu en combinaison avec l’article 2 de la directive 89/391, auquel il renvoie, ces directives s’appliquent à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, afin de promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail et de réglementer certains aspects de l’aménagement de leur temps de travail (arrêt du 3 mai 2012, Neidel,
C‑337/10, EU:C:2012:263, point 20).
36 Deuxièmement, il s’ensuit que le champ d’application de la directive 89/391 doit être conçu de manière large, de sorte que les exceptions à ce champ d’application, prévues à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de celle-ci, doivent être interprétées de manière restrictive. En effet, ces exceptions n’ont été adoptées qu’aux seules fins de garantir le bon fonctionnement des services indispensables à la protection de la sécurité, de la santé ainsi que de l’ordre publics en cas de circonstances
d’une gravité et d’une ampleur exceptionnelles (arrêt du 3 mai 2012, Neidel, C‑337/10, EU:C:2012:263, point 21 et jurisprudence citée).
37 Troisièmement, la Cour a jugé que le critère énoncé à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391 pour exclure certaines activités du champ d’application de cette directive et, partant, de celui de la directive 2003/88 est fondé non pas sur l’appartenance des travailleurs à l’un des secteurs de la fonction publique visés à cette disposition, considéré dans sa globalité, mais exclusivement sur la nature spécifique de certaines missions particulières exercées par les
travailleurs des secteurs visés par ladite disposition, nature qui justifie une exception aux règles en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en raison de la nécessité absolue de garantir une protection efficace de la collectivité (arrêt du 15 juillet 2021, Ministrstvo za obrambo, C‑742/19, EU:C:2021:597, point 56).
38 La Cour a constaté à cet égard que, même si certains services doivent faire face à des événements qui, par définition, ne sont pas prévisibles, les activités auxquelles ces services donnent lieu dans des conditions normales, et qui répondent d’ailleurs à la mission qui a précisément été impartie à de tels services, n’en sont pas moins susceptibles d’être organisées à l’avance, y compris en ce qui concerne les horaires de travail de leur personnel (arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01
à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 57).
39 Dans ce contexte, la Cour a jugé que la directive 2003/88 doit s’appliquer aux activités des sapeurs-pompiers, quand bien même elles sont exercées par les forces d’intervention sur le terrain et peu importe qu’elles aient pour objet de combattre un incendie ou de porter secours d’une autre manière, dès lors qu’elles sont effectuées dans des conditions habituelles, conformément à la mission impartie au service concerné, et ce alors même que les interventions auxquelles ces activités peuvent donner
lieu sont, par nature, non prévisibles et susceptibles d’exposer les travailleurs qui les exécutent à certains risques quant à leur sécurité et/ou à leur santé (arrêt du 21 février 2018, Matzak, C‑518/15, EU:C:2018:82, point 27).
40 Par conséquent, la directive 2003/88 doit s’appliquer aux activités des travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, qui sont considérés comme des travailleurs de nuit, pour autant que ces activités sont exercées dans des conditions habituelles. Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si les activités des requérants au principal sont exercées dans de telles conditions.
41 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88, lu en combinaison avec l’article 2 de la directive 89/391, doit être interprété en ce sens que la directive 2003/88 s’applique aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, qui sont considérés comme étant des travailleurs de nuit, pour autant que ces travailleurs exercent leurs activités dans des conditions habituelles.
Sur la seconde question
42 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, aux fins de l’appréciation de l’équivalence des services ou des moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit et des travailleurs postés, telle qu’exigée à l’article 12, sous b), de la directive 2003/88, il est nécessaire de prendre en compte les différences éventuelles existant entre différentes catégories de travailleurs de nuit dans un État membre.
43 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 12, sous b), de la directive 2003/88 prévoit que les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient de services ou de moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé équivalents à ceux applicables aux « autres travailleurs ». Cette disposition régit non pas la relation entre les travailleurs de nuit de différents secteurs ou domaines, mais la relation entre les travailleurs de nuit et les
travailleurs de jour en ce qui concerne les services ou les moyens de protection ou de prévention dont ils bénéficient.
44 Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de
l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêts du 15 juillet 2021, Ministrstvo za obrambo, C‑742/19, EU:C:2021:597, point 31, et du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », С-262/20, EU:C:2022:117, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
45 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, la seconde question vise, effectivement, l’applicabilité du principe général d’égalité de traitement, énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En effet, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les conditions de travail éventuellement plus favorables dont les travailleurs de nuit du secteur privé bénéficient, conformément à
l’article 12, sous a), de la directive 2003/88, doivent également être appliquées aux travailleurs de nuit du secteur public.
46 Partant, la seconde question doit être considérée comme visant, en substance, à savoir si l’article 12 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 20 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la durée normale plus courte du travail de nuit fixée dans le droit national pour les travailleurs du secteur privé ne s’applique pas aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers.
47 S’agissant, en premier lieu, du niveau de protection en matière de sécurité et de santé que les États membres doivent octroyer aux travailleurs de nuit, il convient de relever, premièrement, que l’article 12, sous а), de la directive 2003/88 exige que les États membres tiennent compte de la nature du travail de nuit lorsqu’ils déterminent ce niveau de protection, tandis que, aux termes de l’article 12, sous b), de cette directive, les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient de
services ou de moyens appropriés de protection et de prévention équivalents à ceux applicables aux « autres travailleurs ».
48 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 31, paragraphe 1, de la Charte prévoit que « [t]out travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et que l’article 31, paragraphe 2, de celle-ci précise que « [t]out travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés », l’article 12 de la directive 2003/88 concrétisant
ainsi ce droit fondamental consacré à l’article 31 de la Charte.
49 En outre, la Cour a jugé que l’obligation prévue à l’article 12, sous a), de cette directive de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection adapté à la nature de leur travail laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne les mesures appropriées à mettre en œuvre (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117,
point 48 ainsi que jurisprudence citée).
50 Deuxièmement, cette obligation doit être mise en œuvre de manière à atteindre les objectifs de protection fixés par la directive elle-même. En particulier, les États membres doivent veiller à assurer le respect des principes de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs lorsqu’ils déterminent le niveau de protection nécessaire en matière de santé et de sécurité des travailleurs de nuit. Dès lors, ils doivent veiller à ce que les travailleurs de nuit bénéficient d’autres mesures
de protection en matière de durée du travail, de salaire, d’indemnités ou d’avantages similaires, permettant de compenser la pénibilité particulière qu’implique ce type de travail, mise en exergue, notamment, par la directive 2003/88, et, partant, de reconnaître la nature du travail de nuit (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 51).
51 Troisièmement, il y a également lieu de rappeler que, eu égard à la plus grande pénibilité du travail de nuit par rapport à celle du travail de jour, la réduction de la durée normale du travail de nuit par rapport à celle du travail de jour peut constituer une solution appropriée en vue d’assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs concernés, bien que cela ne soit pas la seule solution possible. Selon la nature de l’activité concernée, l’octroi de périodes de repos
supplémentaires ou de périodes de temps libre, par exemple, pourrait également contribuer à la protection de la santé et de la sécurité de ces travailleurs (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 53).
52 S’agissant, en second lieu, de la pertinence du principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte, aux termes duquel « [t]outes les personnes sont égales en droit », il convient de rappeler, premièrement, que la Cour a jugé que ce principe constitue un principe général du droit de l’Union, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel
traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation concernée, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117,
point 58 ainsi que jurisprudence citée).
53 Deuxièmement, il convient de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux institutions de l’Union européenne ainsi qu’aux États membres uniquement lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de l’Union et, selon une jurisprudence constante, la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de cette disposition, présuppose
l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale concernée qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre, compte tenu des critères d’appréciation définis par la Cour (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 60 ainsi que jurisprudence citée).
54 À cet égard, il convient de relever, d’une part, que l’article 140, paragraphe 1, du code du travail énonce que la durée normale du travail de nuit pour une semaine de 5 jours ouvrables est de 7 heures. Ainsi que la juridiction de renvoi le souligne, cette disposition s’applique aux travailleurs du secteur privé. D’autre part, en vertu de l’article 187, paragraphe 3, de la loi relative au ministère de l’Intérieur, en cas de travail posté, le travail de nuit peut être effectué de 22 heures
à 6 heures, le temps de travail des fonctionnaires de ce ministère ne devant pas dépasser en moyenne 8 heures par période de 24 heures. Ainsi que la Cour l’a constaté, ces dispositions précisent les modalités de travail applicables au travail de nuit, relatives à la sécurité et à la santé, et en particulier, la limite de la durée du travail de nuit. De telles dispositions constituent une mise en œuvre de la directive 2003/88 et, partant, relèvent du champ d’application du droit de l’Union (arrêt
du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, points 61 à 63).
55 Troisièmement, dans la mesure où la juridiction de renvoi considère que la réglementation nationale en cause au principal instaure un régime applicable aux travailleurs du secteur privé plus favorable que celui applicable à ceux du secteur public, y compris les requérants au principal, il convient de relever que la Cour a jugé qu’une différence de traitement fondée sur le caractère statutaire ou contractuel de la relation de travail est susceptible, en principe, d’être appréciée au regard du
principe d’égalité de traitement, lequel constitue un principe général du droit de l’Union, désormais consacré aux articles 20 et 21 de la Charte (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 65).
56 En ce qui concerne l’exigence tenant au caractère comparable des situations en présence aux fins de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, la Cour a précisé, tout d’abord, que ce caractère comparable doit être apprécié non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui caractérisent ces situations, à la lumière notamment de l’objet et du but de la réglementation nationale qui institue la
distinction concernée ainsi que, le cas échéant, des principes et des objectifs du domaine dont relève cette réglementation nationale (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 67 ainsi que jurisprudence citée).
57 Il incombe à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de procéder aux vérifications nécessaires afin, d’une part, d’identifier les catégories de travailleurs pertinentes et, d’autre part, de déterminer si l’exigence tenant au caractère comparable des situations en présence est satisfaite (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 70 ainsi que jurisprudence citée).
58 Toutefois, la Cour, saisie d’une demande de décision préjudicielle, est compétente pour apporter, au vu des éléments figurant au dossier dont elle dispose, des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans la solution du litige au principal (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 71 ainsi que jurisprudence citée).
59 À cet égard, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi distingue des catégories de travailleurs de nuit abstraites, à savoir, d’une part, celle des « travailleurs de nuit du secteur public », bien que fournissant l’exemple de la catégorie particulière des fonctionnaires de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de l’Intérieur, et, d’autre part, celle des « travailleurs de nuit du secteur privé ».
60 Or, la Cour a jugé que, en vertu de l’article 20 de la Charte, l’appréciation du caractère comparable des situations en présence aux fins de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être effectuée non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui caractérisent ces situations, à la lumière notamment de l’objet et du but de la réglementation nationale qui institue la distinction concernée
ainsi que, le cas échéant, des principes et des objectifs du domaine dont relève cette réglementation nationale (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 67).
61 En outre, s’il ressort des demandes de décision préjudicielle que les travailleurs du secteur public bénéficient d’avantages supplémentaires par rapport aux travailleurs du secteur privé, il n’est cependant pas précisé si ces avantages sont directement liés à la nature du travail de nuit effectué par les travailleurs du secteur public concernés par les affaires au principal, à savoir les fonctionnaires de la direction générale « Sécurité incendie et protection civile » du ministère de
l’Intérieur, ou ont un but différent.
62 Il y a également lieu de relever que la juridiction de renvoi n’a pas précisé, pour le cas de figure où l’existence d’une différence de traitement de deux catégories de travailleurs se trouvant dans une situation comparable devrait être constatée, quels buts seraient éventuellement poursuivis par la législation nationale établissant une telle différence de traitement.
63 Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi de déterminer, premièrement, si les catégories de travailleurs concernées se trouvent dans une situation comparable, deuxièmement, s’il existe une différence de traitement de ces catégories et, troisièmement, si cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation considérée, et qu’elle est proportionnée à ce but (voir, en
ce sens, arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto , C‑262/20, EU:C:2022:117, point 80).
64 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 12 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 20 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la durée normale du travail de nuit fixée à sept heures dans la législation d’un État membre pour les travailleurs du secteur privé ne s’applique pas aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, si une telle différence de traitement, pour autant que les catégories de travailleurs concernées
se trouvent dans une situation comparable, est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par cette législation, et qu’elle est proportionnée à ce but.
Sur les dépens
65 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lu en combinaison avec l’article 2 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail,
doit être interprété en ce sens que :
la directive 2003/88 s’applique aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, qui sont considérés comme étant des travailleurs de nuit, pour autant que ces travailleurs exercent leurs activités dans des conditions habituelles.
2) L’article 12 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à ce que la durée normale du travail de nuit fixée à sept heures dans la législation d’un État membre pour les travailleurs du secteur privé ne s’applique pas aux travailleurs du secteur public, tels que les pompiers, si une telle différence de traitement, pour autant que les catégories de travailleurs concernées se trouvent dans une situation comparable, est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible
poursuivi par cette législation, et qu’elle est proportionnée à ce but.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.