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27/04/2023 | CJUE | N°C-104/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Lännen MCE Oy contre Berky GmbH et Senwatec Gmbh & Co. Kg., 27/04/2023, C-104/22


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

27 avril 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marque de l’Union européenne – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 125, paragraphe 5 – Compétence internationale – Action en contrefaçon – Compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis – Publicité affichée par un moteur de recherche utilisant un nom de domaine national de premier niveau – Publicité ne précisant pas la zone géographique de livraison – Él

ments à prendre en compte »

Dans l’affaire C‑104/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

27 avril 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marque de l’Union européenne – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 125, paragraphe 5 – Compétence internationale – Action en contrefaçon – Compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis – Publicité affichée par un moteur de recherche utilisant un nom de domaine national de premier niveau – Publicité ne précisant pas la zone géographique de livraison – Éléments à prendre en compte »

Dans l’affaire C‑104/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande), par décision du 14 février 2022, parvenue à la Cour le 15 février 2022, dans la procédure

Lännen MCE Oy

contre

Berky GmbH,

Senwatec GmbH & Co. KG,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. D. Gratsias, M. Ilešič (rapporteur), I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Lännen MCE Oy, par Mes E. Hodge et K. Tommila, asianajajat,

– pour Berky GmbH et Senwatec GmbH & Co. KG, par Me P. Eskola, asianajaja,

– pour la Commission européenne, par Mme P. Němečková, MM. S. Noë, J. Ringborg et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 125, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Lännen MCE Oy (ci-après « Lännen ») aux sociétés Berky GmbH et Senwatec GmbH & Co. KG, faisant partie d’un même groupe d’entreprises, au sujet de la prétendue contrefaçon de la marque de l’Union européenne WATERMASTER, dont Lännen est titulaire.

Le cadre juridique

Le règlement 2017/1001

3 L’article 122 du règlement 2017/1001, intitulé « Application des règles de l’Union en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale », dispose, à son paragraphe 2 :

« En ce qui concerne les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124 :

a) l’article 4, l’article 6, l’article 7, points 1, 2, 3 et 5, et l’article 35 du règlement (UE) no 1215/2012 [du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1)] ne sont pas applicables ;

[...] »

4 L’article 123 de ce règlement, intitulé « Tribunaux des marques de l’Union européenne », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres désignent sur leurs territoires un nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et de deuxième instance, chargées de remplir les fonctions qui leur sont attribuées par le présent règlement. »

5 L’article 124 dudit règlement, intitulé « Compétence en matière de contrefaçon et de validité », dispose :

« Les tribunaux des marques de l’Union européenne ont compétence exclusive :

a) pour toutes les actions en contrefaçon et – si le droit national les admet – en menace de contrefaçon d’une marque de l’Union européenne ;

b) pour les actions en déclaration de non-contrefaçon, si le droit national les admet ;

c) pour toutes les actions intentées à la suite de faits visés à l’article 11, paragraphe 2 ;

d) pour les demandes reconventionnelles en déchéance ou en nullité de la marque de l’Union européenne visées à l’article 128. »

6 L’article 125 du règlement 2017/1001, intitulé « Compétence internationale », énonce :

« 1.   Sous réserve des dispositions du présent règlement ainsi que des dispositions du règlement (UE) no 1215/2012 applicables en vertu de l’article 122, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

[...]

5.   Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124, à l’exception des actions en déclaration de non-contrefaçon d’une marque de l’Union européenne, peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ou sur le territoire duquel un fait visé à l’article 11, paragraphe 2 a été commis. »

7 L’article 126 de ce règlement, intitulé « Étendue de la compétence », prévoit :

« 1.   Un tribunal des marques de l’Union européenne dont la compétence est fondée sur l’article 125, paragraphes 1 à 4, est compétent pour statuer sur :

a) les faits de contrefaçon commis ou menaçant d'être commis sur le territoire de tout État membre ;

b) les faits visés à l’article 11, paragraphe 2 commis sur le territoire de tout État membre.

2.   Un tribunal des marques de l’Union européenne dont la compétence est fondée sur l’article 125, paragraphe 5, est compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal. »

Le règlement no 1215/2012

8 L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 dispose :

« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5) :

[...]

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

9 L’article 66, paragraphe 1, de ce règlement énonce :

« Le présent règlement n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Lännen, une société établie en Finlande, fabrique, notamment, des dragues amphibies qu’elle commercialise sous la marque de l’Union européenne WATERMASTER, enregistrée le 12 juillet 2004 sous le numéro 003185758.

11 Le 28 janvier 2020, cette société a saisi le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) d’une action en contrefaçon contre Berky et Senwatec, deux sociétés établies en Allemagne et appartenant à un même groupe d’entreprises.

12 Lännen reproche à Senwatec d’avoir commis, en Finlande, un acte de contrefaçon consistant à recourir au référencement payant, dans un moteur de recherche sur Internet opérant sous le domaine national de premier niveau pour cet État membre, permettant, à la suite d’une recherche du terme « Watermaster », d’afficher sur le site Internet de ce moteur de recherche une annonce publicitaire pour ses produits. Ainsi, au mois d’août 2016, la recherche, en Finlande, du terme « Watermaster » sur le site
www.google.fi faisait apparaître comme premier résultat une annonce publicitaire Google Adwords pour les produits de Senwatec, séparée des autres résultats de recherche par une ligne et contenant le mot « Publicité ».

13 La juridiction de renvoi relève que le lien publicitaire obtenu par cette recherche et le texte l’accompagnant ne contenaient aucun élément faisant spécifiquement référence à la Finlande ou à la zone géographique de livraison des produits de Senwatec. Cependant, cette juridiction indique que le site Internet de Senwatec auquel conduisait ce lien publicitaire contenait, entre autres, un texte en langue anglaise indiquant que les produits de Senwatec sont utilisés dans le monde entier ainsi qu’une
carte du monde sur laquelle étaient mis en évidence, par une coloration plus foncée, les pays dans lesquels Senwatec déclarait avoir une activité. La Finlande ne faisait pas partie de ces pays.

14 Lännen reproche à Berky d’avoir contrefait sa marque en recourant, au cours des années 2005 à 2019, au référencement naturel des images, librement accessibles sur le site Internet de partage de photos Flickr.com, des machines de cette société, au moyen d’une balise méta (meta tag) contenant le mot-clé « Watermaster », laquelle était destinée à permettre aux moteurs de recherche sur Internet de mieux identifier ces images. Ainsi, la recherche, en Finlande, du terme « Watermaster » sur le site
Internet www.google.fi faisait apparaître un lien vers une page présentant des images de machines de Berky.

15 La juridiction de renvoi souligne que le lien obtenu comme résultat de recherche était non pas un lien publicitaire, mais un résultat de recherche dit « organique ». Les légendes des images sur le service Flickr.com mentionnaient les noms des machines en anglais ainsi que leurs numéros de modèle. En outre, ces images étaient accompagnées du logo de Berky. Chaque image était accompagnée de plusieurs balises méta correspondant à des mots-clés, en langue anglaise et dans d’autres langues, notamment
le terme « Watermaster ».

16 Selon Lännen, Berky et Senwatec ont mené sur Internet des activités de promotion commerciale qui visaient le territoire de la République de Finlande et étaient visibles pour les consommateurs ou les professionnels dans cet État membre. Leurs produits seraient vendus dans le monde entier. Selon Lännen, la publicité en cause rédigée en langue anglaise s’adresserait à un public international et serait destinée à tous les pays dans lesquels elle est visible.

17 En défense, Berky et Senwatec contestent la compétence de la juridiction de renvoi, au motif que les faits de contrefaçon allégués n’ont pas été commis en Finlande.

18 Elles soutiennent que leurs activités de promotion commerciale n’ont pas visé la Finlande, État membre où elles n’offrent pas leurs produits à la vente et sur le marché duquel elles ne sont pas présentes. Ni le résultat d’une recherche sur le site Internet www.google.fi ni l’utilisation d’une balise méta employant le mot-clé « Watermaster » ne permettraient d’établir que leurs activités visaient la Finlande. Ainsi, afin d’établir la compétence de la juridiction de renvoi, il importerait non pas
que le contenu prétendument illicite soit visible en ligne en Finlande, mais plutôt que ce contenu ait un lien pertinent avec cet État membre.

19 La juridiction de renvoi indique que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si la carte figurant sur le site Internet de Senwatec démontre que la zone de livraison des produits de cette société est limitée à une aire géographique dont la Finlande semble être exclue. Selon Senwatec, cette carte serait un des éléments indiquant que la Finlande ne fait pas partie du marché dans lequel elle commercialise ses produits alors que, selon Lännen, le marché des produits de Senwatec serait
mondial et s’étendrait au-delà des zones couvertes par ladite carte.

20 La juridiction de renvoi estime, dans le cadre de la vérification de la compétence d’une juridiction saisie en raison du lieu où a été commis le fait de contrefaçon, qu’il convient, afin de déterminer les territoires des États membres dans lesquels se trouvent les consommateurs ou les professionnels auxquels sont destinées les publicités affichées sur un site Internet, de tenir compte, notamment, des zones géographiques de livraison des produits concernés.

21 Cette juridiction considère néanmoins que d’autres éléments pourraient se révéler pertinents aux fins d’une telle vérification, ainsi qu’il ressortirait des conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AMS Neve e.a. (C‑172/18, EU:C:2019:276), sans pour autant qu’il apparaisse clairement quels pourraient être ces autres éléments, la Cour ne s’étant pas prononcée sur ce point.

22 La juridiction de renvoi se demande, en particulier, si, afin de déterminer sa compétence en application de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, il peut être tenu compte de l’État membre du domaine national de premier niveau sous lequel opère le site Internet du moteur de recherche qui donne accès aux publicités constituant les faits de contrefaçon allégués.

23 C’est dans ces conditions que le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« La société A est établie dans l’État membre X, dans lequel se situe son siège, et elle a fait usage sur un site Internet, dans une publicité ou en tant que mot-clé, d’un signe qui est identique à la marque de l’[Union européenne] de la société B.

1) Peut-on considérer, dans la situation susvisée, que la publicité est destinée à des consommateurs ou professionnels dans l’État membre Y, sur le territoire duquel la société B a son siège, et le tribunal des marques de l’[Union européenne] de l’État membre Y est-il compétent en application de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 pour connaître d’une action en contrefaçon d’une marque de l’[Union européenne] lorsque la publicité affichée par la voie électronique, ou le site
Internet de l’annonceur auquel mène le lien que contient celle-ci, ne précise pas – à tout le moins pas expressément – la zone géographique de livraison des produits, ou n’exclue pas expressément un État membre de la zone de livraison ? Peut-on prendre en compte la nature des produits concernés par la publicité[,] ainsi que l’argument tiré de ce que le marché des produits de la société A serait mondial et, partant, couvrirait l’ensemble du territoire de l’Union européenne, y compris l’État
membre Y ?

2) Peut-on considérer que la publicité susvisée est destinée à des consommateurs ou professionnels dans l’État membre Y lorsque celle-ci s’affiche sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous le domaine national de premier niveau de cet État membre Y ?

3) En cas de réponse affirmative à la question 1 ou 2, quels sont les autres éléments qui, le cas échéant, doivent être pris en compte pour déterminer si la publicité est destinée à des consommateurs ou professionnels dans l’État membre Y ? »

Sur les questions préjudicielles

24 Par ses trois questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque de l’Union européenne, qui s’estime lésé par l’usage sans son consentement, par un tiers, d’un signe identique à cette marque dans des publicités et des offres à la vente en ligne pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée,
peut introduire une action en contrefaçon contre ce tiers devant un tribunal des marques de l’Union européenne de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent des consommateurs et des professionnels visés par ces publicités ou ces offres à la vente, nonobstant le fait que ledit tiers n’énumère pas de manière explicite et univoque cet État membre parmi les territoires vers lesquels une livraison des produits en cause pourrait se faire.

25 Il y a lieu de rappeler que, malgré le principe, prévu à l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, de l’application, à partir du 10 janvier 2015, de ce règlement aux actions en justice portant sur une marque de l’Union européenne, l’article 122, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 exclut, en ce qui concerne notamment les actions en contrefaçon d’une telle marque, l’application de certaines dispositions du règlement no 1215/2012, telle que celle des règles contenues aux articles 4
et 6, à l’article 7, paragraphes 1, 2, 3 et 5, ainsi qu’à l’article 35 de ce dernier. En raison de cette exclusion, la compétence des tribunaux des marques de l’Union européenne visés à l’article 123, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 pour connaître des actions en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne résulte des règles prévues directement par le règlement 2017/1001, lesquelles ont le caractère de lex specialis par rapport aux règles énoncées par le règlement no 1215/2012 (voir, par
analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

26 Par conséquent, une action en contrefaçon introduite le 28 janvier 2020, relève, en tant qu’elle porte sur une marque de l’Union européenne, des règles de compétence juridictionnelle énoncées par le règlement 2017/1001.

27 En vertu de l’article 125, paragraphe 1, de ce règlement, lorsque le défendeur a son domicile dans un État membre, le requérant porte son action devant les tribunaux de celui-ci.

28 Cela étant, l’article 125, paragraphe 5, dudit règlement énonce que le requérant peut « également » porter son action devant les tribunaux de l’État membre « sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ».

29 L’article 126 du règlement 2017/1001 précise, à son paragraphe 1, que, lorsqu’un tribunal des marques de l’Union européenne est saisi sur le fondement de l’article 125, paragraphe 1, de ce règlement, il dispose de la compétence pour statuer sur les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre et, à son paragraphe 2, que, lorsqu’un tel tribunal est saisi sur le fondement de l’article 125, paragraphe 5, dudit règlement, il ne peut statuer que sur les
faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dont il relève.

30 Il résulte de cette distinction que le requérant, selon qu’il choisit de porter l’action en contrefaçon devant le tribunal des marques de l’Union européenne du domicile du défendeur ou devant celui du territoire sur lequel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis, détermine l’étendue du champ de compétence territorial du tribunal saisi. En effet, lorsque l’action en contrefaçon est fondée sur l’article 125, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, elle vise potentiellement les
faits de contrefaçon commis sur l’ensemble du territoire de l’Union, alors que, lorsqu’elle est fondée sur le paragraphe 5 dudit article, elle est limitée aux faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un seul État membre, à savoir celui dont relève le tribunal saisi (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 40).

31 La faculté conférée au requérant de choisir l’un ou l’autre fondement, qui résulte de l’emploi du terme « également » figurant à l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, ne saurait être comprise en ce sens que le requérant peut, par rapport aux mêmes faits de contrefaçon, cumuler des actions fondées sur les paragraphes 1 et 5 de cet article, mais exprime seulement le caractère alternatif du for indiqué audit paragraphe 5, par rapport aux fors indiqués aux autres paragraphes dudit
article (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 41).

32 En prévoyant un tel for alternatif et en délimitant, à l’article 126, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, la compétence territoriale attachée à ce for, le législateur de l’Union permet au titulaire de la marque de l’Union européenne d’intenter, s’il le souhaite, des actions ciblées dont chacune porte sur les faits de contrefaçon commis sur le territoire d’un seul État membre (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 42).

33 En l’occurrence, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les faits de contrefaçon allégués par le titulaire de la marque de l’Union européenne tiennent à l’affichage en ligne de contenus relatifs aux produits de concurrents de ce titulaire, au moyen de référencements payants et naturels à partir d’un signe identique à cette marque, dans l’unique mesure où cet affichage a été destiné à des consommateurs ou à des
professionnels situés en Finlande.

34 Ainsi, afin de déterminer si cet affichage en ligne était effectivement destiné à des consommateurs ou à des professionnels situés en Finlande, la juridiction de renvoi demande, en particulier, si la nature des produits concernés, l’étendue du marché en cause et le fait que cet affichage avait lieu sur le site Internet d’un moteur de recherche opérant sous le domaine national de premier niveau de cet État membre sont des éléments pertinents pour vérifier sa compétence internationale en vertu de
l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 et, le cas échéant, si d’autres éléments doivent être pris en compte à cette fin.

35 À cet égard, bien que les faits de contrefaçon allégués à l’encontre de chacune des sociétés défenderesses au principal, qui font partie d’un même groupe d’entreprises, soient différents, une seule et même procédure juridictionnelle a été entamée devant la juridiction de renvoi.

36 Il y a lieu, dès lors, de déterminer si les faits de contrefaçon allégués à l’encontre de ces deux sociétés permettent d’établir, dans chacun des deux cas, un lien de rattachement suffisant avec l’État membre dont relève la juridiction saisie de l’action en contrefaçon, au titre de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

37 Par ailleurs, il convient de rappeler que la vérification de la compétence de la juridiction saisie d’une action en contrefaçon n’équivaut pas à un examen au fond de cette action (voir, par analogie, arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C‑12/15, EU:C:2016:449, point 44 et jurisprudence citée).

38 Il serait excessif d’exiger de la juridiction saisie d’une action en contrefaçon qu’elle procède, au stade de la vérification de sa compétence internationale en vertu de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, à un examen approfondi de ces éléments de fait et de droit complexes.

39 Partant, des éléments laissant raisonnablement supposer que des faits de contrefaçon ont pu être commis ou menacent d’être commis sur le territoire d’un État membre suffisent pour que le tribunal des marques de l’Union européenne de cet État membre soit compétent en vertu de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

40 Dans ce contexte, il y a lieu d’observer que, selon la jurisprudence de la Cour, le critère de compétence juridictionnelle exprimé par les termes « territoire [de l’État membre où] le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis », figurant à l’article 125, paragraphe 5, de ce règlement, se rapporte à un comportement actif de l’auteur de cette contrefaçon (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 44 et jurisprudence citée).

41 En particulier, pour ce qui est de l’obligation pour un tribunal des marques de l’Union européenne de s’assurer, au titre du contrôle de sa compétence juridictionnelle pour statuer sur l’existence d’une contrefaçon sur le territoire de l’État membre dont il relève en vertu dudit article 125, paragraphe 5, que les actes reprochés au défendeur ont été commis sur ce territoire, la Cour a jugé que, lorsque de tels actes consistent en des publicités et en des offres à la vente affichées par la voie
électronique pour des produits revêtus d’un signe identique ou similaire à une marque de l’Union européenne sans le consentement du titulaire de cette marque, il importe de considérer que ces actes ont été commis sur le territoire où se trouvent les consommateurs ou les professionnels auxquels ces publicités et ces offres à la vente sont destinées (voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).

42 Ainsi, lorsque l’affichage de contenus en ligne est, ne serait-ce que potentiellement, destiné à des consommateurs ou à des professionnels situés sur le territoire d’un État membre, sachant que des précisions quant aux zones géographiques de livraison des produits en cause constituent un indice doté d’une importance particulière aux fins de cette appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474, point 65), le titulaire d’une marque de l’Union
européenne dispose de la faculté d’introduire dans cet État membre, sur le fondement de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, une action aux fins de faire constater une atteinte à sa marque dans cet État membre. En effet, les tribunaux des marques de l’Union européenne de l’État membre de résidence des consommateurs ou des professionnels auxquels s’adressent des publicités et des offres à la vente sont particulièrement aptes à évaluer si la contrefaçon alléguée existe (voir, par
analogie, arrêt du 5 septembre 2019, AMS Neve e.a., C‑172/18, EU:C:2019:674, point 57).

43 En l’occurrence, il y a lieu de constater, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, que les zones géographiques de livraison des produits concernés ne sont pas mentionnées dans l’annonce publicitaire visée au point 12 du présent arrêt. Par ailleurs, la carte figurant sur le site web de Senwatec, qui prouverait, selon Lännen, la dimension géographique globale du marché de cette société, ne saurait, à elle seule, établir un lien de rattachement à la Finlande, étant
donné que le contexte dans lequel s’intègre cette carte ne permet pas de conclure que Senwatec dirige son activité vers le marché finlandais.

44 En l’absence d’éléments précis quant aux zones géographiques de livraison des produits en cause, le lien de rattachement à l’État membre concerné, en l’occurrence la Finlande, doit être établi au regard d’autres éléments pour que la requérante puisse, sur le fondement de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, introduire une action en contrefaçon devant une juridiction de cet État membre.

45 Certes, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, les dispositions du règlement 2017/1001 relatives aux actions en contrefaçon de marques de l’Union européenne ont le caractère de lex specialis par rapport aux règles énoncées par le règlement no 1215/2012. Cela n’a, toutefois, pas pour effet de priver ce règlement de pertinence afin d’éclairer et d’interpréter le sens de notions analogues à celles qu’il prévoit et qui, étant visées par le règlement 2017/1001, sont nécessaires à
l’interprétation de ce règlement.

46 À cet égard, s’agissant de l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1215/2012, la Cour a jugé que divers indices peuvent permettre de considérer qu’un commerçant dirige ses activités vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir, notamment, la nature internationale de l’activité, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel est établi le commerçant, la mention de
coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur Internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d’autres États membres l’accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi et la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres
(voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof, C‑585/08 et C‑144/09, EU:C:2010:740, point 93).

47 Cette liste, sans être exhaustive, contient des éléments qui peuvent être pertinents aux fins de l’application de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. En l’occurrence, est pertinente la mise à disposition de publicités et d’offres à la vente sur un site Internet avec un domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi.

48 Il y a lieu, cependant, de préciser que la simple accessibilité d’un site Internet sur le territoire couvert par la marque ne suffit pas pour conclure que les offres à la vente y affichées sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire (arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

49 Il découle des considérations qui précédent que relève d’un tel comportement actif le fait, pour une entreprise, de payer l’exploitant du site Internet d’un moteur de recherche avec un domaine de premier niveau national d’un État membre autre que celui dans lequel elle est établie, afin d’afficher, à destination du public de cet État membre, un lien vers le site de cette entreprise, permettant ainsi à un public spécifiquement ciblé d’accéder à l’offre de ses produits.

50 Partant, un tel référencement payant constitue un lien de rattachement suffisant, au titre de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, avec l’État membre dont le public est ainsi ciblé.

51 Quant à l’utilisation du signe enregistré comme marque en tant que balise méta sur un service de partage en ligne de photos relevant d’un domaine de premier niveau générique, il y a lieu de considérer qu’elle diffère d’un référencement payant aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’existence d’un comportement actif visant le territoire de l’État membre où le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis. En effet, dans un tel cas de référencement naturel, cette
condition ne semble pas pouvoir être remplie dans la mesure où, d’une part, un site Internet avec un domaine de premier niveau générique n’est destiné au public d’aucun État membre spécifique et, d’autre part, la balise méta n’est destinée qu’à permettre aux moteurs de recherche de mieux identifier les images contenues sur ce site Internet et, ce faisant, à en accroître l’accessibilité.

52 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi ne saurait se déclarer compétente, sur le fondement de l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, à défaut d’autres éléments permettant de prouver qu’un tel référencement naturel est destiné à un public établi en Finlande.

53 En ce qui concerne la nature des produits en question et l’étendue du marché géographique, il incombe à la juridiction saisie de l’action en contrefaçon d’apprécier au cas par cas dans quelle mesure ces éléments sont pertinents pour conclure qu’un référencement accessible sur le territoire couvert par la marque est destiné à des consommateurs situés sur celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, EU:C:2011:474, point 61).

54 Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 125, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque de l’Union européenne qui s’estime lésé par l’usage sans son consentement, par un tiers, d’un signe identique à cette marque dans des publicités et des offres à la vente en ligne pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, peut
introduire une action en contrefaçon contre ce tiers devant un tribunal des marques de l’Union européenne de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent des consommateurs et des professionnels visés par ces publicités ou ces offres à la vente, nonobstant le fait que ledit tiers n’énumère pas de manière explicite et univoque cet État membre parmi les territoires vers lesquels une livraison des produits en cause pourrait se faire, si ce même tiers a fait usage de ce signe en procédant à un
référencement payant sur le site Internet d’un moteur de recherche qui utilise un nom de domaine national de premier niveau de cet État membre. En revanche, tel n’est pas le cas du seul fait que le tiers concerné a procédé au référencement naturel des images de ses produits sur un service de partage en ligne de photos relevant d’un domaine de premier niveau générique, en ayant recours à des balises méta utilisant comme mot-clé la marque concernée.

Sur les dépens

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  L’article 125, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne,

  doit être interprété en ce sens que :

le titulaire d’une marque de l’Union européenne qui s’estime lésé par l’usage sans son consentement, par un tiers, d’un signe identique à cette marque dans des publicités et des offres à la vente en ligne pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, peut introduire une action en contrefaçon contre ce tiers devant un tribunal des marques de l’Union européenne de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent des consommateurs et des
  professionnels visés par ces publicités ou ces offres à la vente, nonobstant le fait que ledit tiers n’énumère pas de manière explicite et univoque cet État membre parmi les territoires vers lesquels une livraison des produits en cause pourrait se faire, si ce même tiers a fait usage de ce signe en procédant à un référencement payant sur le site Internet d’un moteur de recherche qui utilise un nom de domaine national de premier niveau de cet État membre. En revanche, tel n’est pas le cas du seul
fait que le tiers concerné a procédé au référencement naturel des images de ses produits sur un service de partage en ligne de photos relevant d’un domaine de premier niveau générique, en ayant recours à des balises méta utilisant comme mot-clé la marque concernée.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le finnois.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-104/22
Date de la décision : 27/04/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le markkinaoikeus.

Renvoi préjudiciel – Marque de l’Union européenne – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 125, paragraphe 5 – Compétence internationale – Action en contrefaçon – Compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis – Publicité affichée par un moteur de recherche utilisant un nom de domaine national de premier niveau – Publicité ne précisant pas la zone géographique de livraison – Éléments à prendre en compte.

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Marques


Parties
Demandeurs : Lännen MCE Oy
Défendeurs : Berky GmbH et Senwatec Gmbh & Co. Kg.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Ilešič

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:343

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