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23/03/2023 | CJUE | N°C-365/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre MR., 23/03/2023, C-365/21


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

23 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Article 55, paragraphe 1, sous b) – Exception à l’application du principe ne bis in idem – Infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts essentiels de l’État membre – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Article 52, paragraphe 1 –

Limitations apportées au principe ne bis in idem –
Compatibilité d’une déclaration nationale prévoyant une exception au princip...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

23 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Article 55, paragraphe 1, sous b) – Exception à l’application du principe ne bis in idem – Infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts essentiels de l’État membre – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Article 52, paragraphe 1 – Limitations apportées au principe ne bis in idem –
Compatibilité d’une déclaration nationale prévoyant une exception au principe ne bis in idem – Organisation criminelle – Infractions contre les biens »

Dans l’affaire C‑365/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Bamberg (tribunal régional supérieur de Bamberg, Allemagne), par décision du 4 juin 2021, parvenue à la Cour le 11 juin 2021, dans la procédure pénale contre

MR

en présence de :

Generalstaatsanwaltschaft Bamberg

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. D. Gratsias, M. Ilešič et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme S. Beer, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2022,

considérant les observations présentées :

– pour MR, par Mes S. Buhlmann et F. Ufer, Rechtsanwälte,

– pour la Generalstaatsanwaltschaft Bamberg, par M. N. Goldbeck, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, F. Halabi, M. Hellmann et U. Kühne, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement français, par Mmes A. Daniel et A.–L. Desjonquères, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme M. Augustin, M. A. Posch, Mmes J. Schmoll et K. Steininger, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid et M. M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte, d’une part, sur la validité de l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la
« CAAS »), au regard de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, d’autre part, sur l’interprétation des articles 54 et 55 de la CAAS ainsi que des articles 50 et 52 de la Charte.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée, en Allemagne, contre MR pour constitution d’une organisation criminelle et escroquerie aux placements financiers.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La CAAS

3 La CAAS a été conclue en vue d’assurer l’application de l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13).

4 Les articles 54 à 56 de la CAAS figurent sous le chapitre 3, intitulé « Application du principe ne bis in idem », du titre III de celle-ci, lui-même intitulé « Police et sécurité ». L’article 54 de la CAAS prévoit :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »

5 L’article 55 de la CAAS dispose :

« 1.   Une Partie Contractante peut, au moment de la ratification, de l’acceptation ou de l’approbation de la présente Convention, déclarer qu’elle n’est pas liée par l’article 54 dans l’un ou plusieurs des cas suivants :

[...]

b) lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté de l’État ou d’autres intérêts également essentiels de cette Partie Contractante ;

[...]

2.   Une Partie Contractante qui a fait une déclaration concernant l’exception mentionnée au paragraphe 1, [sous] b), précisera les catégories d’infractions auxquelles cette exception peut s’appliquer.

[...] »

6 L’article 56 de la CAAS énonce :

« Si une nouvelle poursuite est intentée par une Partie Contractante contre une personne qui a été définitivement jugée pour les mêmes faits par une autre Partie Contractante, toute période de privation de liberté subie sur le territoire de cette dernière Partie Contractante en raison de ces faits doit être déduite de la sanction qui sera éventuellement prononcée. Il sera également tenu compte, dans la mesure où les législations nationales le permettent, des sanctions autres que celles privatives
de liberté qui ont déjà été subies. »

La décision-cadre 2008/841/JAI

7 Le considérant 1 de la décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil, du 24 octobre 2008, relative à la lutte contre la criminalité organisée (JO 2008, L 300, p. 42), est ainsi libellé :

« L’objectif du programme de La Haye est d’améliorer les capacités communes de l’Union [européenne] et de ses États membres afin, notamment, de lutter contre la criminalité transnationale organisée. Cet objectif doit être poursuivi en particulier par le rapprochement des législations. Il est nécessaire de renforcer la coopération entre les États membres de [l’Union] pour faire face au danger que représentent les organisations criminelles et à leur prolifération et pour répondre efficacement aux
attentes des citoyens et aux besoins des États membres. À cet égard, le point 14 des conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 4 et 5 novembre 2004 indique que les citoyens d’Europe attendent de [l’Union] que, tout en garantissant le respect des libertés et droits fondamentaux, elle adopte une approche commune plus efficace des problèmes transfrontières tels que la criminalité organisée. »

8 Aux termes de l’article 2 de cette décision-cadre, intitulé « Infractions relatives à la participation à une organisation criminelle » :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que l’un des deux ou les deux types de comportements liés à une organisation criminelle décrits ci–après soi(en)t considéré(s) comme une (des) infraction(s) :

a) le fait pour toute personne de participer activement, d’une manière intentionnelle et en ayant connaissance soit du but et de l’activité générale de l’organisation criminelle, soit de son intention de commettre les infractions en cause, à ses activités criminelles, y compris en fournissant des informations ou des moyens matériels, en recrutant de nouveaux membres, ainsi que par toute forme de financement de ses activités, en sachant que cette participation contribuera à la réalisation des
activités criminelles de cette organisation ;

b) le fait pour toute personne de conclure avec une ou plusieurs personnes un accord visant à exercer une activité qui, si elle aboutit, reviendrait à commettre les infractions visées à l’article 1er, même lorsque cette personne ne participe pas à l’exécution proprement dite de l’activité. »

9 L’article 3 de ladite décision-cadre, intitulé « Sanctions », prévoit :

« 1.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que :

a) l’infraction visée à l’article 2, point a), soit passible d’une peine d’emprisonnement maximale comprise entre deux ans et cinq ans au moins ; ou

b) l’infraction visée à l’article 2, point b), soit passible de la même peine d’emprisonnement maximale que l’infraction en vue de laquelle l’accord est conclu, ou d’une peine d’emprisonnement maximale comprise entre deux ans et cinq ans au moins.

2.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que le fait que les infractions visées à l’article 2, telles que définies par l’État membre en question, aient été commises dans le cadre d’une organisation criminelle puisse être considéré comme une circonstance aggravante. »

Le droit allemand

10 Lors de la ratification de la CAAS, la République fédérale d’Allemagne a adopté une déclaration (BGBl. 1994 II, p. 631), au titre de l’article 55, paragraphe 1, de celle–ci, prévoyant, notamment, que la République fédérale d’Allemagne n’est pas liée par les dispositions de l’article 54 de la CAAS lorsque, conformément à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, les faits visés par le jugement étranger constituent l’infraction prévue à l’article 129 du Strafgesetzbuch (code pénal, ci–après
le « StGB »).

11 Cet article 129 du StGB, intitulé « Constitution d’organisations criminelles », dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« (1) Est puni d’une peine privative de liberté allant jusqu’à cinq ans ou d’une amende tout instigateur ou membre d’une organisation ayant pour but ou pour activité de commettre des infractions passibles d’une peine privative de liberté maximale d’au moins deux ans. Est puni d’une peine privative de liberté n’excédant pas trois ans ou d’une amende toute personne qui soutient une telle organisation ou sollicite des membres ou des sympathisants pour le compte de celle–ci.

(2) Une organisation est une association structurée, établie dans le temps, de plus de deux personnes visant à poursuivre un intérêt commun prépondérant, indépendante de toute définition des rôles de ses membres, de la continuité de l’adhésion et des caractéristiques de la structure.

[...]

(5) Dans les cas particulièrement graves visés au paragraphe 1, première phrase, une peine privative de liberté de six mois à cinq ans peut être infligée. En règle générale, le cas est particulièrement grave si l’auteur de l’infraction est l’un des meneurs ou des responsables de l’organisation. »

12 L’article 129b du StGB, intitulé « Organisations criminelles et terroristes à l’étranger ; Confiscation », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les articles 129 et 129a s’appliquent également aux organisations implantées à l’étranger. Si l’infraction concerne une organisation située en dehors des États membres de l’Union européenne, cela ne s’applique que si elle est commise dans le cadre d’une activité exercée dans le champ d’application territorial de la présente loi ou si l’auteur ou la victime est un allemand ou se trouve en Allemagne. Dans les cas visés à la deuxième phrase, l’infraction n’est poursuivie qu’avec l’autorisation du
Bundesministerium der Justiz und für Verbraucherschutz [(ministère fédéral de la Justice et de la Protection des consommateurs, Allemagne)]. L’autorisation peut être accordée pour le cas particulier ou, de manière générale, également pour la poursuite d’infractions futures relatives à une organisation spécifique. Pour se prononcer sur l’autorisation, le ministère examine si les aspirations de l’organisation sont dirigées contre les valeurs fondamentales d’un ordre public respectueux de la dignité
humaine ou contre la coexistence pacifique des peuples et si, au vu de l’ensemble des circonstances, elles semblent répréhensibles. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 MR, ressortissant israélien, résidant en dernier lieu en Autriche, a été condamné définitivement, le 1er septembre 2020, par le Landesgericht Wien (tribunal régional de Vienne, Autriche) à une peine d’emprisonnement de quatre ans pour escroquerie aggravée commise à titre professionnel et blanchiment d’argent.

14 MR a purgé une partie de cette peine et a ensuite bénéficié d’un sursis à l’exécution de la durée restante à partir du 29 janvier 2021. Cependant, par décision du même jour, MR a été placé en détention en Autriche, aux fins de sa remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen émis, le 11 décembre 2020, par l’Amtsgericht Bamberg (tribunal de district de Bamberg, Allemagne) pour constitution d’une organisation criminelle et escroquerie aux placements financiers. À l’expiration de cette période de
détention, le 18 mai 2021, il a été placé en rétention administrative aux fins d’un éloignement vers Israël, où il se serait trouvé à la date de l’introduction de la demande de décision préjudicielle.

15 Au titre de ce mandat d’arrêt européen émis contre MR, il est reproché à celui-ci d’avoir mis en place, en association avec d’autres personnes poursuivies, un système d’investissement frauduleux, dans le cadre duquel des investisseurs situés dans divers pays européens, dont l’Allemagne et l’Autriche, se voyaient proposer au moyen d’Internet des placements avantageux. En réalité, les sommes versées auraient été détournées au bénéfice, notamment, de MR, qui aurait agi comme l’un des meneurs de
l’organisation criminelle en cause.

16 Par ordonnance du 8 mars 2021, le recours de MR contre ce mandat d’arrêt européen, ainsi que contre le mandat d’arrêt national qui en constitue le fondement, a été rejeté par le Landgericht Bamberg (tribunal régional de Bamberg, Allemagne) au motif que, la condamnation de MR par le Landesgericht Wien (tribunal régional de Vienne) ayant été prononcée pour escroquerie commise au détriment des personnes lésées résidant en Autriche, alors que MR était à présent poursuivi devant le Landgericht Bamberg
(tribunal régional de Bamberg) du chef d’escroquerie commise contre des personnes lésées résidant en Allemagne, les faits concernés par ces deux procédures étaient différents, de sorte que le principe ne bis in idem, prévu à l’article 54 de la CAAS, ne trouvait pas à s’appliquer.

17 À titre subsidiaire, le Landgericht Bamberg (tribunal régional de Bamberg) a renvoyé à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, en précisant que MR était poursuivi pour une infraction visée à l’article 129 du StGB, lequel est couvert par la déclaration effectuée par la République fédérale d’Allemagne au moment de la ratification de la CAAS.

18 MR a saisi l’Oberlandesgericht Bamberg (tribunal régional supérieur de Bamberg, Allemagne), à savoir la juridiction de renvoi, d’une demande de réexamen visant cette ordonnance.

19 Eu égard aux conditions d’application de l’article 54 de la CAAS, la juridiction de renvoi émet des doutes sur la question de savoir si les faits pour lesquels MR a été condamné en Autriche sont ou non les mêmes que ceux pour lesquels il fait l’objet de poursuites en Allemagne.

20 Cela étant, la juridiction de renvoi estime que l’article 54 de la CAAS n’est pas nécessairement pertinent pour trancher le litige dont elle est saisie. En effet, MR est poursuivi du chef de constitution d’une organisation criminelle. Or, cette infraction, prévue à l’article 129 du StGB, est visée par la déclaration effectuée par la République fédérale d’Allemagne en vertu de l’article 55, paragraphe 1, de ladite convention au titre de celles pour lesquelles, en application de l’article 55,
paragraphe 1, sous b), de celle-ci, un État membre a la faculté d’indiquer qu’il n’est pas lié par les dispositions de l’article 54 de la CAAS lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre sa sûreté ou d’autres de ses intérêts également essentiels.

21 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que les infractions visées à cet article 129 du StGB sont, en principe, des infractions dirigées contre des intérêts essentiels de la République fédérale d’Allemagne. La simple existence d’organisations criminelles constituerait un danger potentiel pour la paix publique d’une intensité autre que celle résultant d’actes délictuels individuels en raison de la menace grave que la criminalité organisée fait peser sur la communauté. Ainsi, il serait
indifférent, afin d’apprécier si une organisation criminelle met en danger la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné, que cette organisation criminelle se livre exclusivement à des infractions contre les biens sans poursuivre, par ailleurs, d’objectif politique, idéologique, religieux ou philosophique ni chercher à exercer une influence sur la politique, les médias, l’administration publique, la justice ou l’économie par des moyens déloyaux.

22 Cela étant, la juridiction de renvoi indique que la question de la compatibilité de la déclaration de la République fédérale d’Allemagne avec l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS ne se pose que pour autant qu’il soit établi, au préalable, que la faculté prévue à cette dernière disposition est elle–même compatible avec l’article 50 de la Charte.

23 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Bamberg (tribunal régional supérieur de Bamberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 55 de la [CAAS] est-il compatible avec l’article 50 de la [Charte] et toujours valide, dans la mesure où il autorise qu’il soit fait exception au principe ne bis in idem, en ce qu’une partie contractante peut déclarer, au moment de la ratification, de l’acceptation ou de l’approbation de cette convention, qu’elle n’est pas liée par l’article 54 de la CAAS lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté de l’État ou d’autres intérêts
également essentiels de cette partie contractante ?

2) Si la première question appelle une réponse affirmative :

Les articles 54 et 55 de la CAAS et les articles 50 et 52 de la Charte s’opposent-ils à une interprétation par les juridictions allemandes de la déclaration faite par la République fédérale d’Allemagne au moment de la ratification de la CAAS concernant l’article 129 [du StGB], selon laquelle cette déclaration couvre également les organisations criminelles – telles que celle en cause – qui commettent exclusivement des infractions contre les biens et qui ne poursuivent par ailleurs aucun
objectif politique, idéologique, religieux ou philosophique et qui ne cherchent pas non plus à exercer une influence sur la politique, les médias, l’administration publique, la justice ou l’économie par des moyens déloyaux ? »

La procédure devant la Cour

24 La juridiction de renvoi a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour. À titre subsidiaire, cette juridiction a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.

25 En ce qui concerne, en premier lieu, la demande d’application de la procédure préjudicielle d’urgence, par décision du 7 juillet 2021, la cinquième chambre a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande, les conditions de l’urgence prévues à l’article 107 du règlement de procédure n’étant pas réunies.

26 S’agissant, en second lieu, de la demande d’application de la procédure accélérée, le président de la Cour a décidé, le 9 juillet 2021, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à cette demande.

27 En effet, il convient de rappeler que l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée.

28 Or, d’une part, l’incertitude juridique affectant une personne recherchée, telle que celle en cause au principal, ne constitue pas une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée (ordonnance du président de la Cour du 23 décembre 2015, Vilkas, C‑640/15, non publiée, EU:C:2015:862, point 10 et jurisprudence citée).

29 D’autre part, la circonstance qu’une demande de décision préjudicielle porte sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait suffire par elle–même à justifier qu’une affaire soit soumise à la procédure accélérée et le fait que l’intéressé ne se trouve pas actuellement en détention constitue un motif pour ne pas accueillir une demande de procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 20 septembre 2018, Minister for Justice and Equality, C‑508/18 et C‑509/18,
non publiée, EU:C:2018:766, points 11 et 13 ainsi que jurisprudence citée).

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

30 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, si la juridiction de renvoi s’interroge sur l’exception au principe ne bis in idem prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, elle nourrit également des incertitudes quant à la question de savoir si les poursuites dont le requérant au principal fait l’objet relèvent de ce principe.

31 À cet égard, il convient de rappeler que ledit principe constitue un principe fondamental du droit de l’Union, qui est désormais consacré à l’article 50 de la Charte [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 64 ainsi que jurisprudence citée].

32 En outre, le principe ne bis in idem, consacré également à l’article 54 de la CAAS, résulte des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Il convient donc d’interpréter ce dernier article à la lumière de l’article 50 de la Charte, dont il assure le respect du contenu essentiel [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 65 ainsi que jurisprudence citée].

33 L’article 50 de la Charte dispose que « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ainsi, l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les
poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 28).

34 S’agissant, en particulier, de la condition « idem », il découle des termes mêmes de cet article 50 que celui-ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 31).

35 À cet égard, au vu des éléments fournis par la juridiction de renvoi ainsi que des considérations soulevées par les parties intéressées tant dans leurs observations écrites qu’au cours de l’audience, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le critère pertinent afin d’apprécier l’existence d’une même infraction, au sens dudit article 50, est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées
entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée. Ainsi, cet article interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 128 ainsi que jurisprudence citée].

36 En outre, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la qualification juridique en droit national des faits et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée par l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 34 et jurisprudence citée).

37 À cet égard, il convient de préciser que la condition « idem » requiert que les faits matériels soient identiques. Par conséquent, le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les faits en cause sont non pas identiques, mais seulement similaires [voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 129 ainsi que jurisprudence citée].

38 Or, comme la Cour l’a précisé, l’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 130 ainsi que jurisprudence citée].

39 C’est à la juridiction de renvoi, seule compétente pour statuer sur les faits, et non à la Cour, qu’il incombe de déterminer si les faits faisant l’objet des poursuites en cause au principal sont les mêmes que ceux qui ont été définitivement jugés par les juridictions autrichiennes. Cela étant, la Cour peut fournir à ladite juridiction des éléments d’interprétation du droit de l’Union dans le cadre de l’appréciation de l’identité des faits [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft
München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 133 ainsi que jurisprudence citée].

40 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le requérant au principal aurait constitué et participé à une organisation criminelle de dimension transfrontalière, laquelle aurait opéré selon un modus operandi sophistiqué et dont les agissements auraient causé des dommages financiers à des milliers de victimes, les personnes lésées résidant, notamment, en Allemagne et en Autriche.

41 Eu égard aux informations fournies à la Cour, le requérant au principal a été condamné définitivement en Autriche pour « escroquerie aggravée commise à titre professionnel et blanchiment d’argent ».

42 Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que le législateur de l’Union attache une importance particulière à la lutte contre la criminalité organisée, comme le reflète la décision-cadre 2008/841 qui lui est consacrée. En effet, le considérant 1 de celle-ci indique, notamment, qu’il est nécessaire de renforcer la coopération entre les États membres de l’Union pour faire face au danger que représentent les organisations criminelles et à leur prolifération ainsi que pour répondre efficacement aux
attentes des citoyens et aux besoins des États membres. C’est ainsi que les articles 2 et 3 de cette décision-cadre imposent aux États membres de prendre les mesures nécessaires, d’une part, pour que certains types de comportements liés à une organisation criminelle soient considérés comme étant des infractions et, d’autre part, pour que, notamment, ces infractions soient passibles d’une peine d’emprisonnement maximale comprise entre deux ans et cinq ans au moins.

43 Dans ces conditions, afin de déterminer si le litige pendant devant elle relève de l’application du principe ne bis in idem, il reviendra à la juridiction de renvoi d’apprécier, en particulier, dans quelle mesure la condamnation déjà prononcée contre le requérant au principal par le Landesgericht Wien (tribunal régional de Vienne) l’a été sur la base des mêmes faits que ceux reprochés à celui–ci au titre du mandat d’arrêt européen émis contre lui par l’Amtsgericht Bamberg (tribunal de district de
Bamberg), ou, plutôt, comme il a été, notamment, évoqué au cours de l’audience devant la Cour, au seul titre des faits d’escroquerie commis contre les personnes lésées résidant en Autriche, et non pas ceux au préjudice des personnes résidant en Allemagne. Dans le second cas, il ne saurait être considéré que la décision antérieure définitive autrichienne concernant le requérant au principal a visé les mêmes faits que ceux visés par les poursuites entamées contre lui en Allemagne. Tout au plus
pourrait-il être considéré que ladite décision antérieure a visé des faits similaires ce qui, toutefois, ne suffit pas à considérer que la condition « idem » est remplie, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 37 du présent arrêt.

44 C’est sous la réserve de ces observations liminaires qu’il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur la première question

45 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, en ce qu’il permet à un État membre de déclarer qu’il n’est pas lié par les dispositions de l’article 54 de la CAAS lorsque les faits visés par un jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de cet État membre, l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS est valide au regard de l’article 50 de la Charte.

46 Ainsi qu’il a été rappelé aux points 31 et 32 du présent arrêt, l’article 54 de la CAAS, laquelle a été incorporée dans le droit de l’Union par le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam (JO 1997, C 340, p. 93), consacre, à l’instar de l’article 50 de la Charte, le principe ne bis in idem.

47 Dès lors, la possibilité, prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, pour un État membre de faire exception à ce principe lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de cet État membre, constitue une limitation du droit fondamental garanti à cet article 50 de la Charte.

48 Toutefois, une telle limitation peut être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 40 et jurisprudence citée).

49 Conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Selon la deuxième phrase dudit paragraphe, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs
d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

50 En l’occurrence, premièrement, la limitation du principe ne bis in idem doit être considérée comme étant prévue par la loi, dès lors qu’elle résulte de l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS (voir, par analogie, arrêt du 27 mai 2014, Spasic, C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, point 57).

51 Si l’exigence selon laquelle toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit être prévue par la loi implique que la base légale qui permet l’ingérence dans ces droits doit définir elle-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné, cette exigence se confond largement avec les exigences de clarté et de précision découlant du principe de proportionnalité, et c’est à ce titre qu’il convient de l’examiner (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BV, C‑570/20,
EU:C:2022:348, point 31 et jurisprudence citée).

52 Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une limitation du principe ne bis in idem respecte le contenu essentiel de l’article 50 de la Charte lorsque cette limitation consiste uniquement à permettre de poursuivre et de sanctionner à nouveau les mêmes faits afin de poursuivre un objectif distinct (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 43).

53 À cet égard, selon les termes mêmes de l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, l’exception que cette disposition prévoit à ce principe ne vaut que lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de l’État membre qui entend faire usage de cette exception.

54 Sans qu’il soit nécessaire, en l’occurrence, de définir de manière exhaustive ce que recouvre la notion de « sûreté de l’État », au sens de ladite disposition, celle-ci doit, en tout état de cause, être rapprochée, ainsi que l’a observé M. l’avocat général, au point 60 de ses conclusions, de celle de « sécurité nationale », laquelle est, notamment, visée à l’article 4, paragraphe 2, TUE.

55 S’agissant de cette dernière, la Cour a jugé que l’objectif de sauvegarde de la sécurité nationale correspond à l’intérêt primordial de protéger les fonctions essentielles de l’État et les intérêts fondamentaux de la société, par la prévention et la répression des activités de nature à déstabiliser gravement les structures constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales fondamentales d’un pays et, en particulier, à menacer directement la société, la population ou l’État en tant que tel
(voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 135, ainsi que du 20 septembre 2022, SpaceNet et Telekom Deutschland, C‑793/19 et C‑794/19, EU:C:2022:702, point 92 ainsi que jurisprudence citée).

56 Il s’ensuit que, outre leur particulière gravité, les infractions pour lesquelles, en ce qu’elles portent atteinte à la sûreté de l’État membre concerné, l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS autorise à faire exception au principe ne bis in idem doivent affecter cet État membre lui–même. Il en va de même des infractions contre les autres intérêts de l’État membre, visées à cette disposition. En effet, dès lors qu’ils doivent être essentiels à cet État membre de la même manière que l’est
la sûreté de celui-ci, ces autres intérêts doivent revêtir une importance analogue à celle–ci et, partant, être tout aussi inhérents audit État membre.

57 Par conséquent, l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, en ce qu’il prévoit la faculté pour un État membre de faire exception audit principe uniquement au titre d’infractions contre la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de cet État membre, respecte le contenu essentiel de ce même principe, dans la mesure où il permet audit État membre de réprimer des infractions qui l’affectent lui–même et, ce faisant, de poursuivre des objectifs qui sont nécessairement différents de ceux
pour lesquels la personne poursuivie a déjà été jugée dans un autre État membre.

58 Troisièmement, eu égard à l’importance de la répression des atteintes à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné, la limitation du principe ne bis in idem prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS répond à un objectif d’intérêt général.

59 Quatrièmement, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, celui-ci exige que les limitations qui peuvent notamment être apportées par des actes du droit de l’Union à des droits et à des libertés consacrés dans la Charte ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la satisfaction des objectifs légitimes poursuivis ou du besoin de protection des droits et des libertés d’autrui, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il
convient de recourir à la moins contraignante. En outre, un objectif d’intérêt général ne saurait être poursuivi sans tenir compte du fait qu’il doit être concilié avec les droits fondamentaux concernés par la mesure, ce en effectuant une pondération équilibrée entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, afin d’assurer que les inconvénients causés par cette mesure ne soient pas démesurés par rapport aux buts visés. Ainsi, la possibilité de justifier une
limitation au principe ne bis in idem garanti à l’article 50 de la Charte doit être appréciée en mesurant la gravité de l’ingérence que comporte une telle limitation et en vérifiant que l’importance de l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette limitation est en relation avec cette gravité (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C‑694/20, EU:C:2022:963, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

60 À ce titre, il y a lieu d’observer que la faculté prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS est apte à réaliser l’objectif d’intérêt général de répression par un État membre des atteintes à sa sûreté ou d’autres de ses intérêts également essentiels.

61 Par ailleurs, eu égard à la nature et à la particulière gravité de telles atteintes, l’importance de cet objectif d’intérêt général dépasse celle de la lutte contre la criminalité en général, même grave. Sous réserve du respect des autres exigences prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, un tel objectif est, dès lors, susceptible de justifier des mesures comportant des ingérences dans les droits fondamentaux qui ne seraient pas autorisées afin de poursuivre et de sanctionner les
infractions pénales en général (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 136, ainsi que du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána e.a., C‑140/20, EU:C:2022:258, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

62 Tel est, notamment, le cas d’une mesure consistant dans la possibilité pour un État membre de déclarer qu’il n’est pas lié par le principe ne bis in idem afin de poursuivre et de sanctionner des faits qui, s’ils ont déjà fait l’objet d’un jugement étranger, constituent une infraction contre sa sûreté ou d’autres de ses intérêts également essentiels. À cet égard, il convient également de relever que, en raison de son objet spécifique, l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS n’autorise que
des exceptions matériellement limitées à ce principe.

63 En outre, concernant le caractère strictement nécessaire de l’exception audit principe prévue à cette disposition, il y a lieu d’observer, tout d’abord, que l’article 55, paragraphe 2, de la CAAS exige qu’un État membre qui a fait une déclaration concernant l’exception mentionnée à cet article 55, paragraphe 1, sous b), précise les catégories d’infractions auxquelles cette exception peut s’appliquer. Il est donc requis des États membres souhaitant se prévaloir de ladite exception qu’ils adoptent
des règles claires et précises permettant aux justiciables de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet de nouvelles poursuites, même s’ils ont déjà fait l’objet d’un jugement étranger (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 51).

64 Ensuite, l’article 56 de la CAAS prévoit que, si un État membre engage une nouvelle poursuite contre une personne qui a été définitivement jugée pour les mêmes faits par un autre État membre, d’une part, toute période de privation de liberté subie sur le territoire de ce dernier en raison desdits faits doit être déduite de la sanction qui sera éventuellement prononcée et, d’autre part, qu’il y a lieu de tenir compte, dans la mesure où les législations nationales le permettent, des sanctions
autres que celles privatives de liberté qui ont déjà été subies.

65 Ainsi, la faculté, prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, de faire exception au principe ne bis in idem est assortie de règles de nature à garantir que les charges en résultant, pour les personnes concernées, sont limitées au strict nécessaire pour réaliser l’objectif visé au point 58 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 54).

66 Il s’ensuit qu’une telle faculté n’excède pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire afin de permettre à un État membre de réprimer les atteintes à sa sûreté ou à d’autres de ses intérêts également essentiels.

67 Eu égard aux considérations qui précèdent, l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS au regard de l’article 50 de la Charte.

Sur la seconde question

68 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, lu en combinaison avec l’article 50 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’interprétation par les juridictions d’un État membre de la déclaration effectuée par ce dernier au titre de l’article 55, paragraphe 1, de la CAAS selon laquelle cet État membre n’est pas lié par les dispositions de l’article 54 de la CAAS en
ce qui concerne l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle, lorsque l’organisation criminelle à laquelle la personne poursuivie a participé a exclusivement commis des infractions contre les biens.

69 Dans la mesure où, par une déclaration effectuée au titre de l’article 55, paragraphe 1, de la CAAS, un État membre entend mettre en œuvre la faculté de faire exception au principe ne bis in idem, prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, en indiquant que, pour les infractions visées, il n’est pas lié par les dispositions de l’article 54 de la CAAS, une telle déclaration est à même de respecter l’article 50 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, pour autant que sont
satisfaites les exigences prévues, à cet effet, par la CAAS, lesquelles, ainsi qu’il ressort de la réponse donnée à la première question, garantissent la compatibilité d’une telle faculté avec cet article 50 de la Charte.

70 Ainsi, il y a lieu de préciser, à titre liminaire, que, au-delà de la question de la portée des infractions en cause au principal, doivent être satisfaites les exigences exposées au point 63 du présent arrêt. À cet égard, la République fédérale d’Allemagne a, au moment de la ratification de la CAAS, effectué une déclaration publiée au Bundesgesetzblatt (Journal officiel de la République fédérale d’Allemagne) indiquant, conformément à l’article 55, paragraphe 2, de la CAAS, qu’elle n’est pas liée
par les dispositions de l’article 54 de la CAAS, notamment, lorsque les faits visés par le jugement étranger constituent une infraction visée à l’article 129 du StGB.

71 Dès lors, il apparaît qu’ont été adoptées des règles claires et précises permettant aux justiciables de prévoir que les faits ayant trait à la constitution d’une organisation criminelle sont susceptibles de faire l’objet de nouvelles poursuites même s’ils ont déjà fait l’objet d’un jugement étranger, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

72 À cet égard, il convient de préciser que l’existence de telles règles ne saurait être contestée au motif que, comme le fait notamment valoir la République d’Autriche dans ses observations écrites, elles requièrent d’effectuer des recherches nécessitant une certaine expertise juridique.

73 En effet, ainsi que la Cour l’a jugé, le fait que, d’une part, la personne concernée a, outre le libellé des dispositions pertinentes, à tenir compte de l’interprétation qui en est donnée par les juridictions nationales et que, d’autre part, cette personne est amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé n’est pas, en lui-même, de nature à remettre en cause le caractère clair et précis des règles relatives aux exceptions au principe
ne bis in idem (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, points 39 et 43).

74 Sous le bénéfice de ces précisions liminaires, il importe de souligner que les poursuites menées par exception à ce principe, en application d’une déclaration d’un État membre mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, ne peuvent avoir pour but, conformément à cette disposition, que de réprimer les atteintes à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de cet État membre. Par conséquent, il appartient aux juridictions nationales de vérifier
s’il est possible d’interpréter la déclaration effectuée par l’État membre concerné, au titre de l’article 55, paragraphe 1, de la CAAS, de telle sorte que les poursuites engagées au titre de cette déclaration respectent les exigences de cette disposition.

75 À cet égard, il y a lieu d’observer, premièrement, que relèvent au premier chef de l’exception prévue à cet article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS les infractions, telles que l’espionnage, la trahison ou les atteintes graves au fonctionnement des pouvoirs publics, qui, par leur nature même, se rattachent à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné.

76 Toutefois, il n’en découle pas pour autant que le champ d’application de cette exception se limite nécessairement à de telles infractions. En effet, il ne saurait être exclu que des poursuites au titre d’infractions dont les éléments constitutifs ne comprennent pas spécifiquement une atteinte à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels de l’État membre soient également susceptibles de relever de cette même exception, lorsque, eu égard aux circonstances dans lesquelles l’infraction a
été commise, il peut être dûment établi que la finalité des poursuites pour les faits en cause vise à réprimer des atteintes à cette sûreté ou à ces autres intérêts également essentiels.

77 Deuxièmement, en ce qu’elles concernent la sûreté ou d’autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné, les poursuites menées, au titre d’une infraction visée dans une déclaration mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, doivent, ainsi qu’il ressort des points 55, 56, 61 et 62 du présent arrêt, porter sur des faits qui affectent, avec une particulière gravité, l’État membre concerné lui-même.

78 Or, toute organisation criminelle ne porte pas, nécessairement et en tant que telle, atteinte à la sûreté ou aux autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné. Ainsi, l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle ne peut donner lieu à des poursuites au titre de l’exception au principe ne bis in idem prévue à cet article 55, paragraphe 1, sous b), que pour les organisations dont les agissements, en raison d’éléments qui les distinguent, peuvent être considérés
comme étant constitutifs de telles atteintes.

79 Dans ce contexte, les interrogations de la juridiction de renvoi ont trait à la pertinence qu’il y a lieu d’accorder au fait qu’une organisation criminelle se livre exclusivement à des infractions contre les biens, sans poursuivre aucun objectif politique, idéologique, religieux ou philosophique ni chercher à exercer une influence sur la politique, les médias, l’administration publique, la justice ou l’économie par des moyens déloyaux.

80 À cet égard, il convient, tout d’abord, de préciser que, en tout état de cause, les éléments visés au point précédent ayant trait aux objectifs poursuivis ou à l’influence recherchée ne sauraient suffire à qualifier une organisation criminelle comme portant nécessairement atteinte à la sûreté ou aux autres intérêts également essentiels de l’État membre concerné, sans que soit prise en compte la gravité des préjudices que ses activités ont causés à cet État membre.

81 Ensuite, il ne saurait être exclu que, dans certaines circonstances, une organisation criminelle qui se livre exclusivement à des infractions contre les biens porte atteinte à la sûreté ou aux autres intérêts également essentiels d’un État membre. À cet égard, pour que les agissements de cette organisation criminelle puissent être considérés comme consistant en une telle atteinte, ces infractions doivent, quelle que soit l’intention effective de ladite organisation et outre les atteintes à
l’ordre public qu’emporte toute infraction, affecter l’État membre lui-même.

82 Or, eu égard aux informations dont dispose la Cour, il n’apparaît pas que, malgré l’ampleur des atteintes aux biens des personnes lésées, les agissements de l’organisation criminelle en cause au principal aient eu pour effet de porter préjudice à la République fédérale d’Allemagne elle-même, de sorte que les agissements de cette organisation criminelle ne paraissent pas relever des infractions contre la sûreté de l’État ou d’autres de ses intérêts également essentiels, ce qu’il incombe à la
juridiction de renvoi de vérifier.

83 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la CAAS, lu en combinaison avec l’article 50 et l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’interprétation par les juridictions d’un État membre de la déclaration effectuée par ce dernier au titre de l’article 55, paragraphe 1, de la CAAS selon laquelle cet État membre n’est pas lié par les
dispositions de l’article 54 de la CAAS pour ce qui est de l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle, lorsque l’organisation criminelle à laquelle la personne poursuivie a participé a exclusivement commis des infractions contre les biens, pour autant que de telles poursuites visent, eu égard aux agissements de cette organisation, à sanctionner des atteintes à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels dudit État membre.

Sur les dépens

84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  1) L’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 55, paragraphe 1, sous b), de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, au regard de
l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

  2) L’article 55, paragraphe 1, sous b), de la convention d’application de l’accord de Schengen, lu en combinaison avec l’article 50 et l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à l’interprétation par les juridictions d’un État membre de la déclaration effectuée par ce dernier au titre de l’article 55, paragraphe 1, de cette convention selon laquelle cet État membre n’est pas lié par les dispositions de l’article 54 de ladite convention pour ce qui est de l’infraction du chef de constitution d’une organisation criminelle, lorsque l’organisation criminelle à laquelle la personne poursuivie a participé a exclusivement commis des infractions contre les
biens, pour autant que de telles poursuites visent, eu égard aux agissements de cette organisation, à sanctionner des atteintes à la sûreté ou à d’autres intérêts également essentiels dudit État membre.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-365/21
Date de la décision : 23/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Bamberg.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Article 55, paragraphe 1, sous b) – Exception à l’application du principe ne bis in idem – Infraction contre la sûreté ou d’autres intérêts essentiels de l’État membre – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Article 52, paragraphe 1 – Limitations apportées au principe ne bis in idem – Compatibilité d’une déclaration nationale prévoyant une exception au principe ne bis in idem – Organisation criminelle – Infractions contre les biens.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Politique d'immigration et d'asile

Principes, objectifs et mission des traités

Santé publique

Coopération judiciaire en matière pénale

Droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Charte des droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : MR.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:236

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