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02/03/2023 | CJUE | N°C-477/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, IH contre MÁV-START Vasúti Személyszállító Zrt., 02/03/2023, C-477/21


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Articles 3 et 5 – Repos journalier et repos hebdomadaire – Réglementation nationale prévoyant une période de repos hebdomadaire minimale de quarante-deux heures – Obligation d’octroyer le repos journalier – Modalités d’o

ctroi »

Dans l’affaire C‑477/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’articl...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Articles 3 et 5 – Repos journalier et repos hebdomadaire – Réglementation nationale prévoyant une période de repos hebdomadaire minimale de quarante-deux heures – Obligation d’octroyer le repos journalier – Modalités d’octroi »

Dans l’affaire C‑477/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Miskolci Törvényszék (cour de Miskolc, Hongrie), par décision du 28 juin 2021, parvenue à la Cour le 3 août 2021, dans la procédure

IH

contre

MÁV-START Vasúti Személyszállító Zrt.,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour IH, par M. L. Tóth, ügyvéd,

– pour MÁV-START Vasúti Személyszállító Zrt., par M. S. Szabó et Mme I. Tóthné Pelle, ügyvédek,

– pour le gouvernement hongrois, par Mme Zs. Biró-Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes D. Recchia et K. Talabér‑Ritz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 5 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IH à son employeur, MÁV-START Vasúti Személyszállító Zrt. (ci-après « MÁV-START »), au sujet de l’octroi de périodes de temps de repos journalier à l’occasion de l’octroi de périodes de temps de repos hebdomadaire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/88, celle-ci « fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail ».

4 L’article 3 de cette directive, intitulé « Repos journalier », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d’une période minimale de repos de onze heures consécutives. »

5 L’article 5 de ladite directive, intitulé « Repos hebdomadaire », prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures auxquelles s’ajoutent les onze heures de repos journalier prévues à l’article 3.

Si des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient, une période minimale de repos de vingt-quatre heures pourra être retenue. »

6 Aux termes de l’article 15 de la même directive, intitulé « Dispositions plus favorables » :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. »

Le droit hongrois

Le code du travail

7 L’article 104, paragraphe 1, de l’a munka törvénykönyvéről szóló 2012. évi I. törvény (loi no I de 2012, établissant le code du travail) (Magyar Közlöny 2012/2., ci-après le « code du travail ») prévoit :

« Un temps de repos est accordé d’une durée d’au moins onze heures consécutives entre la fin d’une journée de travail et le début de la journée de travail suivante (ci-après le “repos journalier”). »

8 L’article 105, paragraphe 1, de ce code dispose :

« Deux jours de repos sont accordés par semaine (jours de repos hebdomadaire). Les jours de repos hebdomadaire peuvent également faire l’objet d’une répartition variable. »

9 L’article 106 dudit code énonce :

« 1.   Au lieu de jours de repos hebdomadaire, un travailleur peut se voir accorder un temps de repos hebdomadaire ininterrompu d’une durée d’au moins quarante-huit heures par semaine.

[...]

3.   Lorsque le programme de répartition du temps de travail est variable, un travailleur peut, au lieu du temps de repos hebdomadaire prévu au paragraphe 1 et sous réserve de l’application mutatis mutandis du paragraphe 2, se voir accorder par semaine un temps de repos hebdomadaire ininterrompu d’au moins quarante heures et incluant un jour civil. Le travailleur doit bénéficier d’un temps de repos hebdomadaire moyen d’au moins quarante-huit heures par semaine en prenant comme référence le cadre
de planification du temps de travail ou la période de comptabilisation. »

La loi no CLXXXIII de 2005, relative au trafic ferroviaire

10 L’article 68/A, paragraphe 4, de l’a vasúti közlekedésről szóló 2005. évi CLXXXIII. törvény (loi no CLXXXIII de 2005, relative au trafic ferroviaire) (Magyar Közlöny 2005/172.) prévoit :

« Par dérogation aux paragraphes 1 à 3, les dispositions de l’article 68/B, paragraphe 1, [...] sont également applicables aux conducteurs de véhicules ferroviaires qui ne sont pas considérés comme des travailleurs mobiles des chemins de fer effectuant des prestations dans le cadre de l’interopérabilité transfrontalière. »

11 L’article 68/B, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« En ce qui concerne les travailleurs mobiles des chemins de fer effectuant des prestations dans le cadre de l’interopérabilité transfrontalière, la durée du repos journalier en résidence est d’au moins douze heures consécutives par période de vingt-quatre heures. »

La convention collective

12 En vertu de l’article 46, point 1, de la convention collective conclue entre MÁV-START et des organisations syndicales (ci-après la « convention collective »), les conducteurs de train doivent bénéficier d’un repos journalier d’une durée de douze heures (repos journalier en résidence), qui court à compter de leur arrivée à leur domicile et qui prend fin avec leur départ de leur domicile vers leur lieu de travail (délai de route).

13 Conformément à l’article 47, point 1, de cette convention collective, les conducteurs de train bénéficient de deux jours de repos hebdomadaire, qui doivent être pris de manière à ce qu’une période d’au moins quarante-huit heures de repos ininterrompu sépare deux périodes de service.

14 Le point 4 de l’article 47 de ladite convention prévoit que, en vertu de l’article 106 du code du travail, il peut être accordé aux conducteurs de train, au lieu des jours de repos prévus au point 1 de cet article, un temps de repos ininterrompu d’au moins quarante-deux heures par semaine. Dans ce cas, le travailleur doit bénéficier d’un temps de repos hebdomadaire moyen d’au moins quarante-huit heures en prenant comme référence le cadre de planification du temps de travail.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 IH est employé par MÁV-START en qualité de conducteur de train. Son lieu de travail est le site d’exploitation de MÁV-START situé à Miskolc (Hongrie). IH effectue son travail exclusivement en Hongrie.

16 IH est soumis à la convention collective. Son emploi s’inscrit dans un cadre de planification mensuelle du temps de travail assorti non pas de jours de repos hebdomadaire, mais d’un temps de repos hebdomadaire accordé par l’employeur sur la base d’une période de référence hebdomadaire.

17 Conformément à la convention collective, MÁV-START accordait à IH, entre deux périodes de travail, un temps de repos journalier en résidence de douze heures, auquel s’ajoutait un délai de route normalisé de deux fois trente minutes.

18 Par ailleurs, une fois par semaine, MÁV-START lui accordait un temps de repos hebdomadaire d’au moins quarante-huit heures consécutives. Lorsque, pour une semaine particulière, l’octroi d’un tel repos n’était pas possible, MÁV-START octroyait à IH un temps de repos ininterrompu d’au moins quarante-deux heures, de manière à le faire bénéficier d’un temps de repos hebdomadaire moyen d’au moins quarante-huit heures en prenant comme référence le cadre de planification mensuelle du temps de travail.

19 Cela étant, lorsque ce temps de repos hebdomadaire était accordé à IH, de même que lorsqu’il prenait un congé, il ne lui était octroyé ni repos journalier ni délai de route.

20 IH a saisi la juridiction de renvoi, la Miskolci Törvényszék (cour de Miskolc, Hongrie), afin d’obtenir le versement d’un salaire impayé, en faisant valoir qu’il avait droit au bénéfice de la période de repos journalier immédiatement avant ou après ses périodes de repos hebdomadaire ou de congés.

21 Devant cette juridiction, MÁV-START soutient que le repos journalier doit être octroyé entre deux périodes de travail qui se succèdent au cours d’une même période de vingt-quatre heures, et non lorsqu’aucune nouvelle période de travail n’est prévue, par exemple lorsqu’un repos hebdomadaire ou un congé est accordé. Selon elle, cela se justifie en raison de l’objet du repos journalier, qui serait de permettre au travailleur de reprendre ses forces entre deux périodes de travail. En outre, au cours
de chaque période de sept jours, il serait nécessaire d’accorder un temps de repos hebdomadaire d’une durée plus longue, qui remplacerait le repos journalier.

22 La juridiction de renvoi relève que, en vertu d’habilitations découlant de la directive 2003/88 et du code du travail, la convention collective déroge, d’une manière favorable aux travailleurs, aux règles relatives au repos journalier et au temps de repos hebdomadaire.

23 En effet, le repos journalier est de douze heures, lesquelles dépassent ainsi le minimum de onze heures prévu à l’article 3 de la directive 2003/88 et peuvent en outre être intégralement passées par le travailleur à son domicile, en raison des délais de route normalisés.

24 S’agissant du repos hebdomadaire, la juridiction de renvoi affirme que la version en langue hongroise de l’article 5 de la directive 2003/88 est légèrement différente des versions en langues anglaise, allemande et française, notamment dans la mesure où la version en langue hongroise définit la notion de « repos hebdomadaire », au sens de cet article 5, de telle façon que tout travailleur doit bénéficier, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption
de vingt-quatre heures « et, en plus » (« továbbá »), des onze heures de repos journalier prévues à l’article 3 de cette directive. Les versions en langues anglaise, allemande et française emploient, quant à elles, respectivement, les termes « plus », « zuzüglich » et « s’ajoutent » au lieu de « et, en plus ».

25 Cette juridiction se demande ainsi s’il convient d’interpréter ladite notion de « repos hebdomadaire » en ce sens que, soit après la période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures, il y a encore lieu d’accorder le repos journalier d’une durée minimale de onze heures, soit, ainsi qu’elle tend à le considérer, la période de vingt-quatre heures et celle de onze heures s’additionnent pour former ensemble la période minimale de repos hebdomadaire, de telle sorte que le travailleur
doit bénéficier, en tout, d’un temps de repos hebdomadaire minimum de trente-cinq heures consécutives.

26 À cet égard, ladite juridiction relève que la réglementation hongroise fixe la durée du temps de repos hebdomadaire à quarante-huit heures, avec un minimum de quarante-deux heures, et que la notion de « temps de repos hebdomadaire », telle qu’utilisée dans le code du travail ainsi que dans la convention collective, ne comporte pas de référence au repos journalier ni à sa durée.

27 Enfin, la juridiction de renvoi se demande si le repos journalier doit être accordé entre la fin du travail journalier concerné et le début du travail le lendemain (ou, le même jour, entre la fin d’une période de travail et le début de la période de travail suivante) ou bien, de façon plus générale, entre la fin d’une journée de travail et le début de la journée de travail suivante, même si cette dernière débute plusieurs jours plus tard.

28 Dans ces conditions, la Miskolci Törvényszék (cour de Miskolc) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 5 de la directive [2003/88], lu en combinaison avec l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que le repos journalier prévu à l’article 3 de [cette] directive fait partie du repos hebdomadaire ?

2) [...] [L]’article 5 de la directive [2003/88], lu en combinaison avec l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’il ne fixe, conformément à l’objectif de [cette] directive, que la durée minimale du repos hebdomadaire et que, ainsi, le repos hebdomadaire doit être d’au moins 35 heures consécutives si cela n’est pas exclu par des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail ?

3) L’article 5 de la directive [2003/88], lu en combinaison avec l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que, lorsque le droit de l’État membre et la convention collective applicable prévoient qu’un temps minimal de repos hebdomadaire de 42 heures consécutives doit être accordé, le repos journalier de 12 heures garanti par le droit national et par la convention collective doit être accordé en plus, après le travail journalier précédant le repos hebdomadaire,
si cela n’est pas exclu par des conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail ?

4) L’article 3 de la directive [2003/88], lu en combinaison avec l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que le travailleur a droit à la période minimale de repos à accorder au cours d’une période de 24 heures dans le cas aussi où aucun temps de travail n’a, pour quelque raison que ce soit, été planifié pour lui pour la période de 24 heures suivante ?

5) En cas de réponse affirmative à la [quatrième question], les articles 3 et 5 de la directive [2003/88], lus en combinaison avec l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doivent-ils être interprétés en ce sens que le repos journalier doit être accordé avant le repos hebdomadaire ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

29 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que le repos journalier prévu à l’article 3 de cette directive fait partie de la période de repos hebdomadaire visée à cet article 5 ou si ce dernier article ne fixe que la durée minimale de ladite période de repos hebdomadaire.

30 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en établissant le droit de chaque travailleur à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, la directive 2003/88 précise le droit fondamental expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et doit, par conséquent, être interprétée à la lumière de cet article 31, paragraphe 2. Il s’ensuit notamment que les dispositions de la directive 2003/88 ne sauraient faire l’objet d’une interprétation restrictive au détriment des droits
que le travailleur tire de celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija (Période d’astreinte dans un lieu reculé), C‑344/19, EU:C:2021:182, point 27 et jurisprudence citée].

31 Dans ces conditions, il convient, afin de répondre aux questions posées, d’interpréter cette directive en tenant compte de l’importance du droit fondamental de chaque travailleur à des périodes de repos journalier et hebdomadaire (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 33).

32 Il importe également de rappeler que la directive 2003/88 a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant, notamment, la durée du temps de travail. Cette harmonisation au niveau de l’Union européenne en matière d’aménagement du temps de travail vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en faisant bénéficier
ceux-ci de périodes minimales de repos notamment journalier et hebdomadaire (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Fetico e.a., C‑588/18, EU:C:2020:420, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

33 Ainsi, les États membres sont tenus, conformément aux dispositions des articles 3 et 5 de la directive 2003/88, de prendre les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, respectivement, d’une période minimale de repos de onze heures consécutives au cours de chaque période de vingt-quatre heures et, au cours de chaque période de sept jours, d’une période minimale de repos sans interruption de vingt‑quatre heures, à laquelle s’ajoutent les onze heures de repos journalier prévues audit
article 3 (arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 38 et jurisprudence citée).

34 Pour garantir la pleine effectivité de la directive 2003/88, il importe donc que les États membres garantissent le respect de ces périodes minimales de repos (arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 40).

35 Ainsi, compte tenu de l’objectif essentiel poursuivi par la directive 2003/88, qui est de garantir une protection efficace des conditions de vie et de travail des travailleurs ainsi qu’une meilleure protection de leur sécurité et de leur santé, les États membres sont tenus de garantir que l’effet utile de ces droits soit intégralement assuré, en les faisant bénéficier effectivement des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire prévues par cette directive. Il s’ensuit que les
modalités définies par les États membres pour assurer la mise en œuvre des prescriptions de la directive 2003/88 ne doivent pas être susceptibles de vider de leur substance les droits consacrés à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et aux articles 3 et 5 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, points 42 et 43).

36 À cet égard, il y a également lieu de rappeler que le travailleur doit être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de telle sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits (arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, point 44 et jurisprudence citée).

37 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la question de savoir si le repos journalier prévu à l’article 3 de la directive 2003/88 fait partie de la période de repos hebdomadaire visée à l’article 5.

38 À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que cette directive prévoit le droit au repos journalier et le droit au repos hebdomadaire dans deux dispositions distinctes, à savoir, respectivement, à l’article 3 et à l’article 5 de celle-ci. Cela indique qu’il s’agit de deux droits autonomes qui, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 49 à 51 de ses conclusions, poursuivent des objectifs distincts, consistant, pour le repos journalier, à permettre au
travailleur de se soustraire à son milieu de travail pendant un nombre déterminé d’heures qui doivent non seulement être consécutives, mais aussi succéder directement à une période de travail, et, pour le repos hebdomadaire, à permettre au travailleur de se reposer au cours de chaque période de sept jours.

39 Par conséquent, il convient de garantir aux travailleurs la jouissance effective de chacun de ces droits.

40 En second lieu, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour citée au point 35 du présent arrêt, que les modalités définies par les États membres pour assurer la mise en œuvre des prescriptions de la directive 2003/88 ne doivent pas être susceptibles de vider de leur substance les droits consacrés à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et aux articles 3 et 5 de cette directive. À cet égard, il y a lieu de constater qu’une interprétation selon laquelle le repos
journalier ferait partie du repos hebdomadaire reviendrait à vider de sa substance le droit au repos journalier visé à l’article 3 de ladite directive, en privant le travailleur de la jouissance effective de la période de repos journalier prévue à cette disposition, lorsqu’il bénéficie de son droit au repos hebdomadaire.

41 À cet égard, force est de constater que l’article 5, premier alinéa, de la directive 2003/88 ne se limite pas à fixer globalement une période minimale au titre du droit au repos hebdomadaire, mais prend soin de préciser qu’à cette période s’ajoute celle devant être reconnue au titre du droit au repos journalier, soulignant ainsi le caractère autonome de ces deux droits. Cela confirme que le droit au repos hebdomadaire n’a pas vocation à englober, le cas échéant, la période correspondant au droit
au repos journalier, mais doit être reconnu en plus de ce dernier droit.

42 En outre, il importe que l’effet utile des droits conférés aux travailleurs par la directive 2003/88 soit intégralement assuré, ce qui implique nécessairement l’obligation pour les États membres de garantir le respect de chacune des prescriptions minimales édictées par cette directive (arrêt du 11 avril 2019, Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, C‑254/18, EU:C:2019:318, point 33).

43 Il s’ensuit que la période de repos journalier, prévue à l’article 3 de la directive 2003/88, s’ajoute non pas aux vingt-quatre heures de repos visées à l’article 5 de cette directive pour former une période totale de repos hebdomadaire d’au moins trente-cinq heures, mais à la période de repos hebdomadaire, autonome et distincte, d’au moins vingt-quatre heures prévue à cette disposition.

44 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 5 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que le repos journalier prévu à l’article 3 de cette directive ne fait pas partie de la période de repos hebdomadaire visée audit article 5, mais s’y ajoute.

Sur la troisième question

45 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 5 de la directive 2003/88, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une réglementation nationale prévoit une période de repos hebdomadaire dépassant une durée de trente-cinq heures consécutives, il y a lieu d’accorder au travailleur, en plus de cette période, le repos journalier tel qu’il est garanti par l’article 3 de cette
directive.

46 Dans la décision de renvoi, cette juridiction fait observer, d’une part, que la réglementation nationale en cause au principal utilise la notion de « temps de repos hebdomadaire », qu’elle fixe en principe à quarante‑huit heures, et qui ne peut être inférieur à quarante-deux heures, et, d’autre part, que cette réglementation ne comporte pas de référence au repos journalier ni à la durée de celui-ci. Or, ledit « temps de repos hebdomadaire » a une durée qui dépasse les trente-cinq heures qui
résultent de l’addition de la période minimale de repos de vingt‑quatre heures prévue à l’article 5 de la directive 2003/88 et de la période minimale de repos de onze heures prévue à l’article 3 de celle‑ci.

47 À cet égard, il convient de souligner que l’article 5 de la directive 2003/88 ne comporte aucun renvoi au droit national des États membres. Dès lors, les termes qu’il utilise doivent être appréhendés comme des notions autonomes du droit de l’Union et interprétés de manière uniforme sur le territoire de cette dernière, indépendamment des qualifications utilisées dans les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Maio Marques da Rosa, C‑306/16, EU:C:2017:844, point 38 et
jurisprudence citée).

48 Il s’ensuit que la notion de « temps de repos hebdomadaire » prévue par la réglementation nationale en cause au principal est sans incidence sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 2003/88.

49 Cela étant précisé, il y a lieu de rappeler que la période minimale de repos hebdomadaire prévue à cette disposition est de vingt-quatre heures ininterrompues. Toutefois, l’article 15 de cette directive autorise les États membres à appliquer ou à introduire des dispositions plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou à favoriser ou à permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre des partenaires sociaux plus favorables à cette
protection. C’est ainsi que, conformément à la convention collective applicable au litige au principal, le travailleur concerné s’est vu accorder un repos hebdomadaire d’au moins quarante-deux heures. En pareil cas, les heures de repos hebdomadaire ainsi accordées au-delà du minimum requis à l’article 5 de la directive 2003/88 sont régies non pas par cette directive, mais par le droit national (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, points 34
et 35).

50 Toutefois, le fait de prévoir de telles dispositions plus favorables en matière de repos hebdomadaire que celles qu’exige, en tant que seuil minimum, la directive 2003/88 ne saurait priver le travailleur d’autres droits qui lui sont octroyés par cette directive, et plus particulièrement du droit au repos journalier.

51 En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’exercice de telles compétences propres, par un État membre, ne saurait, pour autant, avoir pour effet de porter atteinte à la protection minimale garantie aux travailleurs par ladite directive et, en particulier, au bénéfice effectif de la période minimale de repos journalier prévue à l’article 3 de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2020, Fetico e.a., C‑588/18, EU:C:2020:420, point 32).

52 Partant, afin de garantir aux travailleurs la jouissance effective du droit au repos journalier consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et à l’article 3 de la directive 2003/88, ce dernier doit être accordé indépendamment de la durée du repos hebdomadaire prévue par la réglementation nationale applicable.

53 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que les articles 3 et 5 de la directive 2003/88, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une réglementation nationale prévoit une période de repos hebdomadaire dépassant une durée de trente-cinq heures consécutives, il y a lieu d’accorder au travailleur, en plus de cette période, le repos journalier tel qu’il est garanti par l’article 3 de cette
directive.

Sur les quatrième et cinquième questions

54 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’est accordée à un travailleur une période de repos hebdomadaire, celui-ci a également le droit de bénéficier d’une période de repos journalier précédant ladite période de repos hebdomadaire.

55 Il ressort de la décision de renvoi que, en l’occurrence, MÁV-START n’accordait une période de repos journalier que si une nouvelle période de travail était prévue dans les vingt-quatre heures suivant la fin d’une période de travail donnée. Si aucune nouvelle période de travail n’était prévue, par exemple lorsqu’un repos hebdomadaire ou un congé était accordé, MÁV-START considère qu’il n’y avait plus d’obligation d’accorder le repos journalier.

56 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que, pour pouvoir se reposer effectivement, le travailleur doit bénéficier de la possibilité de se soustraire à son milieu de travail pendant un nombre déterminé d’heures qui doivent non seulement être consécutives, mais aussi succéder directement à une période de travail, afin de permettre à l’intéressé de se détendre et d’effacer la fatigue inhérente à l’exercice de ses fonctions (arrêt du 14 octobre 2010, Union
syndicale Solidaires Isère, C‑428/09, EU:C:2010:612, point 51 et jurisprudence citée).

57 Il s’ensuit que, après une période de travail, tout travailleur doit immédiatement bénéficier d’une période de repos journalier, et ce indépendamment du point de savoir si cette période de repos sera ou non suivie d’une période de travail. En outre, lorsque le repos journalier et le repos hebdomadaire sont accordés de manière contiguë, la période de repos hebdomadaire ne peut commencer à courir qu’une fois que le travailleur a bénéficié du repos journalier.

58 Dans ces conditions, il convient de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 3 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’est accordée à un travailleur une période de repos hebdomadaire, celui-ci a également le droit de bénéficier d’une période de repos journalier précédant ladite période de repos hebdomadaire.

Sur les dépens

59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 5 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

le repos journalier prévu à l’article 3 de cette directive ne fait pas partie de la période de repos hebdomadaire visée audit article 5, mais s’y ajoute.

  2) Les articles 3 et 5 de la directive 2003/88, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’une réglementation nationale prévoit une période de repos hebdomadaire dépassant une durée de trente-cinq heures consécutives, il y a lieu d’accorder au travailleur, en plus de cette période, le repos journalier tel qu’il est garanti par l’article 3 de cette directive.

  3) L’article 3 de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

lorsqu’est accordée à un travailleur une période de repos hebdomadaire, celui-ci a également le droit de bénéficier d’une période de repos journalier précédant ladite période de repos hebdomadaire.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-477/21
Date de la décision : 02/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Miskolci Törvényszék.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Articles 3 et 5 – Repos journalier et repos hebdomadaire – Réglementation nationale prévoyant une période de repos hebdomadaire minimale de quarante-deux heures – Obligation d’octroyer le repos journalier – Modalités d’octroi.

Droits fondamentaux

Charte des droits fondamentaux

Politique sociale


Parties
Demandeurs : IH
Défendeurs : MÁV-START Vasúti Személyszállító Zrt.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:140

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