ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
2 mars 2023 ( *1 )
Table des matières
I. Le cadre juridique
A. Le droit international
B. Le droit de l’Union
1. La directive « habitats »
2. La directive « oiseaux »
C. Le droit polonais
1. La loi sur les forêts
2. Le règlement relatif aux exigences de bonne pratique
3. La loi relative à la protection de la nature
4. La loi relative à l’information sur l’environnement
5. La loi sur la protection de l’environnement
II. La procédure précontentieuse
III. La procédure devant la Cour
IV. Sur le recours
A. Sur le premier grief
1. Sur la violation des dispositions relatives à la protection des espèces
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
2. Sur la violation des dispositions relatives à la protection des habitats
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
B. Sur le second grief
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’exception d’irrecevabilité du second grief
b) Sur le manquement
V. Sur les dépens
« Manquement d’État – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Article 6, paragraphes 1 à 3, article 12, paragraphe 1, sous a) à d), article 13, paragraphe 1, sous a), et article 16, paragraphe 1 – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Article 4, paragraphe 1, article 5, sous a), b) et d), et article 9, paragraphe 1 – Gestion forestière fondée sur la bonne pratique – Plans de gestion forestière –
Convention d’Aarhus – Accès à la justice – Article 6, paragraphe 1, sous b), et article 9, paragraphe 2 – Examen de la légalité, quant au fond et à la procédure, des plans de gestion forestière – Droit de recours des organisations de défense de l’environnement »
Dans l’affaire C‑432/21,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 15 juillet 2021,
Commission européenne, représentée par Mme M. Brauhoff, MM. G. Gattinara, C. Hermes et Mme D. Milanowska, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,
avocate générale : Mme L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :
– en ayant introduit dans le système national des dispositions selon lesquelles la gestion forestière fondée sur la bonne pratique n’enfreint aucune disposition relative à la conservation de la nature relevant de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la
« directive “habitats” »), et de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci‑après la « directive “oiseaux” »), la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 6, paragraphe 2, de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à d), de l’article 13, paragraphe 1, sous a) et d), et
de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, sous a), b) et d), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », et
– en ayant exclu la possibilité pour les organisations de défense de l’environnement d’attaquer en justice les plans de gestion forestière, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », en liaison avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 216, paragraphe 2, TFUE, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’article 6, paragraphe 1,
sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »).
I. Le cadre juridique
A. Le droit international
2 L’article 6 de la convention d’Aarhus, intitulé « Participation du public aux décisions relatives à des activités particulières », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Chaque partie :
a) applique les dispositions du présent article lorsqu’il s’agit de décider d’autoriser ou non des activités proposées du type de celles énumérées à l’annexe I ;
b) applique aussi les dispositions du présent article, conformément à son droit interne, lorsqu’il s’agit de prendre une décision au sujet d’activités proposées non énumérées à l’annexe I qui peuvent avoir un effet important sur l’environnement. Les parties déterminent dans chaque cas si l’activité proposée tombe sous le coup de ces dispositions ;
c) peut décider, cas par cas, si le droit interne le prévoit, de ne pas appliquer les dispositions du présent article aux activités proposées répondant aux besoins de la défense nationale si cette partie estime que cette application irait à l’encontre de ces besoins. »
3 L’article 9 de cette convention, intitulé « Accès à la justice », dispose :
« [...]
2. Chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné
a) ayant un intérêt suffisant pour agir ou, sinon,
b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une partie pose une telle condition, puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par loi pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres
dispositions pertinentes de la présente convention.
Ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne et conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice dans le cadre de la présente convention. À cet effet, l’intérêt qu’a toute organisation non gouvernementale répondant aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2 est réputé suffisant au sens du point a) ci-dessus. Ces organisations sont également réputées avoir des droits
auxquels il pourrait être porté atteinte au sens du point b) ci-dessus.
Les dispositions du présent paragraphe 2 n’excluent pas la possibilité de former un recours préliminaire devant une autorité administrative et ne dispensent pas de l’obligation d’épuiser les voies de recours administratif avant d’engager une procédure judiciaire lorsqu’une telle obligation est prévue en droit interne.
3. En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement.
4. En outre, et sans préjudice du paragraphe 1, les procédures visées aux paragraphes 1, 2 et 3 ci-dessus doivent offrir des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s’il y a lieu, et doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. Les décisions prises au titre du présent article sont prononcées ou consignées par écrit. Les décisions des tribunaux et, autant que possible, celles d’autres organes doivent être accessibles au
public.
[...] »
B. Le droit de l’Union
1. La directive « habitats »
4 L’article 1er de la directive « habitats » énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) conservation : un ensemble de mesures requises pour maintenir ou rétablir les habitats naturels et les populations d’espèces de faune et de flore sauvages dans un état favorable au sens des points e) et i) ;
[...]
j) site : une aire géographiquement définie, dont la surface est clairement délimitée ;
k) site d’importance communautaire : un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d’habitat naturel de l’annexe I ou une espèce de l’annexe II dans un état de conservation favorable et peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de “Natura 2000” visé à l’article 3, et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions
biogéographiques concernées.
Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les sites d’importance communautaire correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ;
l) zone spéciale de conservation : un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ;
[...] »
5 L’article 2 de cette directive est ainsi libellé :
« 1. La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.
2. Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.
[...] »
6 L’article 6 de ladite directive prévoit :
« 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.
2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.
3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent
leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.
4. Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.
Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »
7 L’article 12, paragraphe 1, de la même directive dispose :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :
a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;
b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;
c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;
d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »
8 Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la directive « habitats » :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces végétales figurant à l’annexe IV point b) interdisant :
a) la cueillette ainsi que le ramassage, la coupe, le déracinage ou la destruction intentionnels dans la nature de ces plantes, dans leur aire de répartition naturelle ;
b) la détention, le transport, le commerce ou l’échange et l’offre aux fins de vente ou d’échange de spécimens desdites espèces prélevés dans la nature, à l’exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de la présente directive. »
9 L’article 16 de la même directive énonce :
« 1. À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) :
a) dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;
b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
c) dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
d) à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV.
2. Les États membres adressent tous les deux ans à la Commission un rapport, conforme au modèle établi par le comité, sur les dérogations mises en œuvre au titre du paragraphe 1. La Commission fait connaître son avis sur ces dérogations dans un délai maximal de douze mois suivant la réception du rapport et en informe le comité.
[...] »
2. La directive « oiseaux »
10 L’article 1er de la directive « oiseaux » est ainsi libellé :
« 1. La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.
2. La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. »
11 L’article 4 de cette directive prévoit :
« 1. Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.
À cet égard, il est tenu compte :
a) des espèces menacées de disparition ;
b) des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats ;
c) des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte ;
d) d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.
Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.
Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.
2. Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. [...]
[...]
4. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »
12 L’article 5 de ladite directive dispose :
« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :
a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ;
b) de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;
[...]
d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;
[...] »
13 Aux termes de l’article 9 de la même directive :
« 1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après :
a) – dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,
– dans l’intérêt de la sécurité aérienne,
– pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,
– pour la protection de la flore et de la faune ;
b) pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions ;
c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités.
2. Les dérogations visées au paragraphe 1 doivent mentionner :
a) les espèces qui font l’objet des dérogations ;
b) les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés ;
c) les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises ;
d) l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes ;
e) les contrôles qui seront opérés.
3. Les États membres adressent à la Commission chaque année un rapport sur l’application des paragraphes 1 et 2.
[...] »
C. Le droit polonais
1. La loi sur les forêts
14 L’article 6, paragraphe 1, de l’ustawa o lasach (loi sur les forêts), du 28 septembre 1991 (Dz. U. de 1991, no 101, position 444), dans sa version consolidée (Dz. U. de 2018, position 2129) (ci-après la « loi sur les forêts »), énonce :
« Les termes utilisés dans la loi sont les suivants :
[...]
6) plan de gestion forestière – le document de base de la gestion forestière préparé pour un site spécifique, contenant une description et une évaluation de l’état de la forêt et les objectifs, tâches et méthodes de gestion forestière ;
[...] »
15 L’article 14b de cette loi, qui a été introduit le 1er janvier 2017 par l’article 2 de l’ustawa o zmianie ustawy o ochronie przyrody oraz ustawy o lasach (loi portant modification de la loi relative à la protection de la nature et de la loi sur les forêts), du 16 décembre 2016 (Dz. U. de 2016, position 2249), est ainsi libellé :
« 1. Les propriétaires forestiers mettent en œuvre les objectifs et principes de gestion forestière indiqués dans la loi, en particulier ils remplissent les obligations visées à l’article 9, paragraphe 1, à l’article 13, paragraphe 1, et à l’article 14, paragraphe 4, de la manière qu’ils déterminent, à moins que la manière de remplir une obligation donnée n’ait été déterminée par la loi.
[...]
3. La gestion forestière exécutée conformément aux exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière ne viole pas les dispositions relatives à la conservation de ressources, de formations et de composantes naturelles particulières, notamment les dispositions de l’article 51 et de l’article 52 de [l’ustawa o ochronie przyrody (loi relative à la protection de la nature), du 16 avril 2004 (version consolidée Dz. U. de 2018, position 1614) (ci-après la “loi relative à la protection de la
nature”)]. »
16 L’article 22 de la loi sur les forêts prévoit :
« 1. Le ministre de l’Environnement approuve un plan de gestion forestière pour les forêts étant la propriété du Trésor public et des plans de gestion forestière simplifiés pour les forêts faisant partie des ressources de la propriété agricole du Trésor public.
[...]
4. Le ministre de l’Environnement supervise l’exécution des plans de gestion forestière pour les forêts étant la propriété du Trésor public et l’exécution des plans de gestion forestière simplifiés pour les forêts faisant partie des ressources de la propriété agricole du Trésor public.
[...] »
2. Le règlement relatif aux exigences de bonne pratique
17 Les exigences de bonne pratique de gestion forestière sont prévues dans le rozporządzenie Ministra Środowiska w sprawie wymagań dobrej praktyki w zakresie gospodarki leśnej (règlement du ministre de l’Environnement relatif aux exigences de bonne pratique de gestion forestière), du 18 décembre 2017 (Dz. U. de 2017, position 2408) (ci‑après le « règlement relatif aux exigences de bonne pratique »).
18 Le paragraphe 1 de ce règlement dispose :
« Les exigences suivantes en matière de bonnes pratiques de gestion forestière sont définies ainsi :
1) avant les travaux de gestion forestière, une inspection sur le terrain doit être effectuée dans la section forestière ou la parcelle de terrain sur laquelle les opérations sont prévues afin de vérifier la présence d’espèces protégées ou de sites potentiels pour leur présence ;
2) avant d’effectuer des travaux de gestion forestière, les sites où se trouvent des espèces protégées, les lieux importants pour les espèces protégées qui doivent être préservés doivent être temporairement marqués ou il faut assurer d’une autre manière que ces sites et ces lieux sont connus par l’entrepreneur des travaux ;
3) si la présence de sites d’espèces protégées ou de sites potentiels d’espèces protégées est révélée pendant les travaux, les points 1 et 2 sont appliqués mutatis mutandis, y compris, le cas échéant, la modification immédiate du mode d’exécution des travaux et, si nécessaire, des mesures appropriées pour minimiser ou compenser les dommages causés ;
4) sur les berges des plans d’eau et des cours d’eau, à moins de 10 mètres de la rive, il convient de laisser : les troncs d’arbres tombés, les broussailles, les grosses pierres afin de faciliter l’accès à l’eau et la migration des animaux ;
5) pendant la période de reproduction des oiseaux, les arbres sur lesquels des oiseaux nicheurs ont été identifiés ne doivent pas être abattus ;
6) les arbres creux doivent être laissés jusqu’à leur décomposition naturelle ;
7) les arbres morts sont laissés de manière à assurer la continuité du bois mort, la quantité de bois mort ne devant toutefois pas présenter notamment de risque d’incendie ou d’agents biotiques nuisibles ;
8) les enclaves dans la forêt, y compris les clairières et les prairies où des sites d’espèces protégées associés à des zones ouvertes ont été identifiés, sont maintenues dans un état non détérioré par l’enlèvement d’arbres et d’arbustes si nécessaire et par le fauchage avec élimination de la biomasse ;
9) les masses d’eau et les cours d’eau en milieu forestier sont laissés dans leur état naturel ou, dans des cas particuliers, proche de l’état naturel ;
10) les lits de cours d’eau ne doivent pas être utilisés pour le transport du bois ;
11) la planification et la mise en œuvre des activités de gestion forestière tiennent compte de la nécessité de préserver la diversité des phases de développement des peuplements forestiers au niveau du paysage ;
12) il est recommandé d’assurer la part des espèces de début de succession dans les peuplements d’arbres, notamment le bouleau, le tremble, le saule marsault. La part des espèces susmentionnées supérieure à 10 % dépend de la décision du propriétaire de la forêt, compte tenu de critères naturels, sociaux et économiques ;
13) la restauration et le boisement doivent tenir compte :
a) des conditions naturelles régionales,
b) de la régionalisation des semences au sens de la législation sur les matériels forestiers de reproduction,
c) des conditions d’habitat et de l’état de l’environnement naturel ;
14) avant d’effectuer les coupes de régénération, il faut choisir le type de coupe en fonction de la méthode de régénération prévue : naturelle ou artificielle ;
15) la régénération naturelle est utilisée lorsque le stock mère à partir duquel le peuplement autogame doit être établi est de haute qualité et se compose d’espèces souhaitables sur le même site, que les conditions d’habitat permettent d’obtenir une régénération naturelle et que cette régénération garantit plus de 50 % de la superficie cultivée et la stabilité du peuplement ;
16) dans les peuplements mûrs pour la régénération, gérés par des coupes à blanc de plus de 1 ha, les touffes d’arbres anciens doivent être laissées à l’état naturel et ne pas occuper plus de 5 % de la superficie de la coupe à blanc ;
17) la coupe à blanc ne doit pas être pratiquée directement sur les sources, les rivières, les lacs, les tourbières et les cours d’eau d’amont, ainsi que sur les lieux de mémoire nationale et de culte religieux ; dans ces endroits, il est recommandé de laisser des zones d’écotone naturelles ou d’en créer, notamment en plantant des arbustes, s’ils sont absents, et en les entretenant ;
18) lorsque les mesures techniques à mettre en œuvre lors des opérations d’entretien, de récolte et d’abattage l’exigent, des itinéraires d’exploitation sont établis dans les peuplements sous forme de bandes de surface forestière libre d’arbres et d’arbustes, dont la largeur et l’espacement doivent permettre la réalisation des opérations d’entretien, de récolte et d’abattage ;
19) les méthodes chimiques de protection des forêts ne peuvent être utilisées que lorsqu’il est impossible ou déraisonnable d’utiliser d’autres méthodes, la sécurité des personnes, des animaux et de l’environnement étant toujours prise en compte dans le choix des produits phytosanitaires. »
3. La loi relative à la protection de la nature
19 Les articles 48 à 50 de la loi relative à la protection de la nature disposent que le ministre de l’Environnement, agissant en concertation avec le ministre de l’Agriculture, détermine, par la voie de règlement, notamment les espèces végétales, animales et fongiques protégées, les interdictions les concernant, ainsi que les méthodes de leur protection.
20 Les articles 51 et 52 de cette loi prévoient les interdictions possibles concernant les espèces animales et végétales protégées.
21 L’article 56 de ladite loi prévoit une possibilité, pour les autorités compétentes, d’autoriser les activités faisant l’objet des interdictions visées aux articles 51 et 52 de la même loi.
4. La loi relative à l’information sur l’environnement
22 L’article 44 de l’ustawa o udostępnianiu informacji o środowisku i jego ochronie, udziale społeczeństwa w ochronie środowiska oraz o ocenach oddziaływania na środowisko (loi relative à l’information sur l’environnement et sa protection, à la participation du public à la protection de l’environnement et aux études d’incidence sur l’environnement), du 3 octobre 2008 (version consolidée Dz. U. de 2018, position 2018) (ci-après la « loi relative à l’information sur l’environnement ») accorde aux
organisations environnementales le droit de participer à une procédure nécessitant une participation du public, le droit de former un recours administratif contre une décision prise dans le cadre d’une procédure requérant la participation du public, ainsi que le droit d’introduire un recours devant un tribunal administratif contre une telle décision.
5. La loi sur la protection de l’environnement
23 Aux termes de l’article 323 de l’ustawa – Prawo ochrony środowiska (loi sur la protection de l’environnement), du 27 avril 2001 (version consolidée Dz. U. de 2019, position 1396) (ci-après la « loi sur la protection de l’environnement ») :
« 1. Toute personne directement menacée d’un dommage ou ayant subi un préjudice du fait d’une atteinte illicite à l’environnement peut exiger de l’entité responsable de la menace ou de l’atteinte qu’elle rétablisse l’état de fait licite et prenne des mesures préventives, notamment en mettant en place des installations ou des équipements destinés à empêcher la menace ou l’atteinte ; lorsque cela est impossible ou excessivement difficile, elle peut exiger la cessation de l’activité à l’origine de
la menace ou de l’atteinte.
2. Lorsque la menace ou l’atteinte concerne l’environnement en tant que bien commun, la demande visée au paragraphe 1 peut être introduite par le Trésor public, une unité de gouvernement local, ainsi qu’une organisation environnementale. »
II. La procédure précontentieuse
24 Le 20 décembre 2011, la Commission a lancé une procédure EU Pilot [dossier EUP(2011) 2856] et a demandé aux autorités polonaises des clarifications sur l’exemption, prévue par la réglementation polonaise, des obligations visées par les directives « habitats » et « oiseaux » en ce qui concerne les opérations en matière de gestion forestière. Eu égard aux solutions proposées par ces autorités, la Commission a décidé de clôturer la procédure EU Pilot.
25 Compte tenu des informations et des plaintes qui lui ont été par la suite soumises, la Commission a considéré que la violation du droit de l’Union était avérée. En outre, elle a relevé que le droit polonais ne garantissait pas aux organisations de défense de l’environnement la possibilité de contester les plans de gestion forestière par les voies administrative et judiciaire, enfreignant ainsi l’obligation d’assurer la protection juridictionnelle des droits conférés à ces organisations par les
directives « habitats » et « oiseaux ».
26 Le 20 juillet 2018, la Commission a adressé à la République de Pologne une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle a soutenu, en premier lieu, que, en introduisant dans le système national des dispositions selon lesquelles la gestion forestière fondée sur les exigences de bonne pratique n’enfreint aucune disposition relative à la conservation de la nature relevant des directives « oiseaux » et « habitats », la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de
l’article 6, paragraphes 1 et 2, de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à d), de l’article 13, paragraphe 1, sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, sous a), b) et d), et de l’article 9 de la directive « oiseaux ». En second lieu, ladite institution a allégué que, en empêchant les organisations de défense de l’environnement d’attaquer en justice les plans de gestion forestière susceptibles d’avoir un effet
significatif sur un site Natura 2000 et, par conséquent, en excluant de la protection juridictionnelle effective les droits de ces organisations découlant de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et concernant ces plans, la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », en liaison avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 216, paragraphe 2, TFUE, l’article 47 de la
Charte, ainsi qu’avec l’article 6, paragraphe 1, sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.
27 Le 20 septembre 2018, la République de Pologne a répondu à cette lettre de mise en demeure.
28 Le 26 juillet 2019, la Commission a émis un avis motivé, reçu le même jour par la République de Pologne, dans lequel cette institution a maintenu les griefs formulés dans la lettre de mise en demeure, tout en demandant à la République de Pologne d’adopter, dans le délai de deux mois à compter de la réception dudit avis motivé, les mesures nécessaires pour se conformer à celui-ci.
29 Le 26 septembre 2019, la République de Pologne a répondu à l’avis motivé en contestant les manquements allégués par la Commission tout en annonçant, s’agissant du premier grief avancé par celle-ci, l’adoption future de nouvelles dispositions destinées à clarifier l’état de la législation en vigueur.
30 N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
III. La procédure devant la Cour
31 Par lettre du 7 juillet 2022, la Commission a, en réponse aux questions posées par la Cour, informé celle-ci que la mention, dans les conclusions contenues dans le dispositif de la requête dans sa version en langue de procédure relatives à son premier grief, de l’article 13, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « oiseaux » était uniquement due à une erreur de plume et a rectifié ces conclusions en ce sens que celles-ci
devraient faire référence non pas à ces dispositions mais, respectivement, à l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
32 À cet égard, il convient de rappeler que l’objet du recours introduit en vertu de l’article 258 TFUE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition et que, par conséquent, l’avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Commission/Chypre, C‑515/14, EU:C:2016:30, point 12).
33 Cette exigence répond à la finalité de la procédure précontentieuse qui, selon une jurisprudence établie, consiste à donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense contre les griefs formulés par la Commission [voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation), C‑213/19, EU:C:2022:167, point 131 et
jurisprudence citée].
34 En l’espèce, il convient de constater, d’une part, que tant dans la lettre de mise en demeure et l’avis motivé que dans l’argumentation développée dans sa requête, la Commission a visé, de manière constante, l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » et l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », sans faire référence aux dispositions erronées mentionnées dans les conclusions de la requête dans sa version en langue de procédure. D’autre part, cette mention n’a
nullement induit la République de Pologne en erreur puisque tant dans son mémoire en défense que dans son mémoire en duplique, cet État membre s’est référé, d’une façon conséquente, à l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
35 Il en découle que la République de Pologne a manifestement été en mesure de faire pleinement valoir ses moyens de défense à l’égard des griefs formulés par la Commission, et ce tant dans le cadre de la procédure précontentieuse que dans le contexte du présent recours, sans que les erreurs de plume relevées au point 31 du présent arrêt aient en rien affecté les droits de la défense dudit État membre.
36 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que le premier grief de la requête de la Commission doit être lu en ce sens qu’il vise l’article 6, paragraphes 1 et 2, l’article 12, paragraphe 1, sous a) à d), l’article 13, paragraphe 1, sous a), et l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », ainsi que l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, sous a), b) et d), et l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
IV. Sur le recours
A. Sur le premier grief
1. Sur la violation des dispositions relatives à la protection des espèces
a) Argumentation des parties
37 Par son premier grief, la Commission fait valoir, en substance, que l’introduction, dans le droit polonais, d’une disposition selon laquelle la gestion forestière exercée en vertu des exigences de bonne pratique forestière n’enfreint aucune disposition relative à la conservation de la nature relevant des exigences prévues par les directives « oiseaux » et « habitats » constitue une transposition incorrecte des dispositions susmentionnées de ces directives.
38 S’agissant de la protection des espèces, la Commission rappelle, dans sa requête, que les articles 12 et 13 de la directive « habitats » et l’article 5 de la directive « oiseaux » prévoient l’obligation d’établir des systèmes de protection stricte pour les espèces animales énumérées à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats » et pour les espèces végétales énumérées à l’annexe IV, sous b), de cette directive, ainsi que l’obligation de protéger les oiseaux sauvages, conformément à la
directive « oiseaux ». En outre, si l’article 16 de la directive « habitats » et l’article 9 de la directive « oiseaux » permettent de déroger auxdites obligations, ces dérogations seraient, selon la jurisprudence de la Cour, d’interprétation stricte.
39 Or, la Commission considère que la réglementation polonaise ne répond pas aux exigences d’une transposition correcte et ne fournit pas un cadre juridique pour un système cohérent d’interdictions et de dérogations conforme auxdites dispositions de ces deux directives.
40 À cet égard, s’agissant de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, qui prévoit que la gestion forestière effectuée conformément aux exigences de bonne pratique forestière n’enfreint pas les dispositions de la loi relative à la protection de la nature, la Commission relève, en particulier, que le règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne prévoit pas la condition, visée à l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », selon laquelle l’activité ne doit pas nuire
« au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».
41 Dans ce cadre, la Commission soutient que ce règlement ne prévoit aucune interdiction ou obligation de cesser les travaux de gestion forestière sur ces sites en cas de découverte d’espèces protégées.
42 En outre, contrairement aux exigences posées à l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », le règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne prévoirait pas qu’une dérogation aux règles de la protection des espèces est possible seulement s’il n’existe pas « une autre solution satisfaisante ».
43 Ce règlement ne prévoirait non plus aucune obligation d’appliquer l’un des motifs de dérogation énoncés à l’article 16 de la directive « habitats » ou à l’article 9 de la directive « oiseaux ».
44 À cet égard, la Commission rappelle, s’agissant des interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive « habitats », que, selon la jurisprudence de la Cour, la condition relative au caractère intentionnel de la capture ou de la mise à mort de spécimens de ces espèces visées par cette disposition est également remplie lorsque l’auteur de l’acte a uniquement accepté la possibilité d’une telle capture ou mise à mort (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Föreningen
Skydda Skogen, C‑473/19 et C‑474/19, EU:C:2021:166, point 51 ainsi que jurisprudence citée). Pareil constat vaudrait pour l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».
45 La Commission fait, par ailleurs, référence à la lettre du directeur général des forêts de l’État, du 6 mars 2018, adressée aux directeurs des directions régionales des forêts de l’État, dans laquelle ce directeur général a constaté que, si l’application des dispositions du règlement relatif aux exigences de bonne pratique est volontaire, il n’en reste pas moins que, en cas d’opérations contraires à ces dispositions, le propriétaire forestier doit, toutefois, obtenir à chaque fois une dérogation,
à savoir le consentement de l’autorité compétente en matière de conservation de la nature pour mener les opérations concernées. De l’avis de la Commission, cette lettre confirme que l’objectif poursuivi à l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts est d’établir une exemption générale de l’obligation de demander des dérogations individuelles.
46 Dans son mémoire en défense, la République de Pologne rétorque que, conformément aux articles 48 à 50 de la loi relative à la protection de la nature, le ministre de l’Environnement définit, par voie de règlement, les espèces végétales, animales et fongiques relevant des différentes catégories de protection, qui requièrent de déterminer des zones de protection de leurs refuges ou de leurs sites (et, s’agissant des animaux, également de leurs sites de reproduction ou de présence régulière), et qui
sont, conformément à cette loi, protégées par des interdictions appropriées, prévues aux articles 51 et 52 de cette loi. En application de ces dispositions, les espèces particulièrement précieuses seraient protégées conformément aux règlements respectifs du ministre de l’Environnement en matière de protection des espèces.
47 L’introduction dans l’ordre juridique polonais des exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière n’aurait pas modifié les principes découlant des articles 48 à 50 de la loi relative à la protection de la nature et des règlements d’exécution prévoyant les interdictions à l’égard d’espèces strictement protégées.
48 S’agissant du règlement relatif aux exigences de bonne pratique, il devrait être examiné dans le contexte des dispositions de la loi relative à l’information sur l’environnement, ainsi que de l’ustawa o zapobieganiu szkodom w środowisku i ich naprawie (loi sur la prévention et la réparation des dommages environnementaux), du 13 avril 2007 (version consolidée, Dz. U. de 2020, position 2187) (ci-après la « loi sur la prévention et la réparation des dommages environnementaux »). Or, l’obligation de
maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces découlerait des dispositions desdites lois. Partant, le fait que le règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne prévoit pas expressis verbis la condition selon laquelle l’activité en cause ne doit pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces dans leur aire de répartition naturelle » ne le rendrait pas contraire aux dispositions pertinentes des directives
« habitats » et « oiseaux ».
49 L’argument de la Commission selon lequel le règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne prévoit aucune obligation de cesser les travaux de gestion forestière sur les sites en cause serait contredit par le libellé du paragraphe 1, point 3, de ce règlement.
50 En cas d’identification de sites d’espèces protégées, le propriétaire de la forêt serait tenu de modifier les opérations de gestion forestière en appliquant des mesures de limitation de manière à éviter la mise à mort, la destruction ou la perturbation intentionnelles. Lorsque le propriétaire de la forêt souhaite effectuer des opérations de gestion forestière dans une zone où un site d’une espèce protégée a été décelé, il serait tenu d’obtenir une dérogation individuelle conformément aux
conditions générales découlant de l’article 56 de la loi relative à la protection de la nature, ces conditions reflétant les conditions prévues à l’article 16 de la directive « habitats » et à l’article 9 de la directive « oiseaux ».
51 La République de Pologne ajoute que le règlement relatif aux exigences de bonne pratique prévoit une protection additionnelle des espèces par rapport à celle prévue dans les dispositions législatives générales. En effet, il serait possible qu’un spécimen d’espèce protégée s’établisse dans un nouveau lieu de vie après l’élaboration du plan des tâches de conservation d’un site spécifique Natura 2000. Dans un tel cas, grâce aux visites sur le terrain, le propriétaire de la forêt pourrait même éviter
les effets préjudiciables non intentionnels.
52 Étant donné que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts ne déroge pas aux dispositions des directives fixant les exigences en matière de protection des espèces, il ne serait pas nécessaire que le règlement relatif aux exigences de bonne pratique contienne les conditions et les éléments énumérés à l’article 16 de la directive « habitats » et à l’article 9 de la directive « oiseaux ».
53 En ce qui concerne la lettre du directeur général des forêts de l’État, du 6 mars 2018, évoquée par la Commission, la République de Pologne soutient que cette lettre ne comporte pas une interprétation contraignante de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts.
54 En réponse à l’argument de la Commission fondé sur l’arrêt du 4 mars 2021, Föreningen Skydda Skogen (C‑473/19 et C‑474/19, EU:C:2021:166), cet État membre rétorque que les opérations de gestion forestière au sens strict ne sont pas des opérations consistant à détruire ou à tuer intentionnellement des spécimens d’espèces protégées.
55 En outre, la Commission n’aurait pas démontré que l’autorité qui a adopté le règlement relatif aux exigences de bonne pratique a voulu la capture ou la mise à mort d’un spécimen d’une espèce animale protégée ou, à tout le moins, a accepté la possibilité d’une telle capture ou mise à mort.
56 Dans son mémoire en réplique, la Commission fait observer que l’argument de la République de Pologne selon lequel le règlement relatif aux exigences de bonne pratique est appliqué et doit être examiné ensemble avec les dispositions des lois respectives dans le domaine de l’environnement ne trouve pas de fondement ni dans les dispositions de ce règlement ni dans la pratique relative à son application.
57 En ce qui concerne la possibilité de modifier les travaux de gestion forestière, évoquée par la République de Pologne, la Commission fait observer que changer les modalités d’exécution des travaux lorsque des espèces protégées sont identifiées dans la zone concernée ne garantit pas que ces activités n’entraîneront pas de perturbations ou ne causeront pas la mort de spécimens de ces espèces protégées.
58 En réponse à l’argument de la République de Pologne concernant l’arrêt du 4 mars 2021, Föreningen Skydda Skogen (C‑473/19 et C‑474/19, EU:C:2021:166), la Commission soutient que les opérateurs effectuant des activités de gestion forestière peuvent être conscients de l’existence d’un risque de destruction des habitats ou des espèces et peuvent accepter ce risque.
59 Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne réitère que c’est sur le fondement des articles 48 à 50 de la loi relative à la protection de la nature que le ministre de l’Environnement a fixé des interdictions pour certaines espèces. Or, étant donné que l’article 14b de la loi sur les forêts ne fait pas référence auxdites dispositions de la loi relative à la protection de la nature, il ne saurait être soutenu que la République de Pologne a violé les interdictions visées aux articles 12
et 13 de la directive « habitats » et à l’article 5 de la directive « oiseaux ».
60 En outre, aucune disposition du règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne prévoirait une dérogation aux interdictions visées aux articles 12 et 13 de la directive « habitats » ou à l’article 5 de la directive « oiseaux ». Partant, il ne serait pas nécessaire que ce règlement énonce les exigences résultant de l’article 16 de la directive « habitats » et de l’article 9 de la directive « oiseaux ».
61 Cet État membre estime que la Commission interprète l’exigence relative à la modification des travaux de manière trop générale et incorrecte, en la présentant comme une exigence susceptible d’entraîner des perturbations ou la destruction d’un site de reproduction ou d’une aire de repos.
62 La République de Pologne ajoute qu’il existe plusieurs manières de modifier les travaux, qui dépendent en grande partie de l’emplacement, des conditions du site, de la durée des travaux, de la composition des espèces, du couvert forestier et, surtout, de l’objet de la protection et de la biologie d’une espèce en cause.
63 S’agissant de l’arrêt du 4 mars 2021, Föreningen Skydda Skogen (C‑473/19 et C‑474/19, EU:C:2021:166), la République de Pologne soutient, d’une part, que les opérations de gestion forestière ne constituent pas des actes de mise à mort ou de capture intentionnelles, au sens de cet arrêt. D’autre part, conformément au paragraphe 1, point 3, du règlement relatif aux exigences de bonne pratique, si un propriétaire forestier identifie, notamment dans le cadre d’une inspection du terrain, une espèce
protégée, il serait tenu de prendre des mesures pour modifier ses opérations initiales, de manière à ne pas permettre la capture ou la mise à mort intentionnelles. Ces modalités seraient conformes audit arrêt.
b) Appréciation de la Cour
64 S’agissant, en premier lieu, de la directive « habitats », il convient de rappeler que l’article 12, paragraphe 1, de celle-ci oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales visées à cette disposition, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant les activités que ladite disposition énumère à ses points a) à d).
65 Plus particulièrement, l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoit, sous a), l’interdiction de toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature, sous b), l’interdiction de la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration, sous c), l’interdiction de la destruction ou du ramassage intentionnels des œufs dans la nature et, sous d),
l’interdiction de la détérioration ou de la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.
66 L’article 13, paragraphe 1, sous a), de cette directive énonce, quant à lui, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces végétales visées par cette disposition interdisant la cueillette, ainsi que le ramassage, la coupe, le déracinage ou la destruction intentionnels dans la nature de ces plantes, dans leur aire de répartition naturelle.
67 Dans le même temps, l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » dispose que, à condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions, notamment, des articles 12 et 13 de cette directive dans les cas énumérés aux points a) à e) dudit article 16, paragraphe 1.
68 S’agissant, en second lieu, de la directive « oiseaux », son article 5 prévoit que, sans préjudice des articles 7 et 9 de cette directive, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de ladite directive et comportant, notamment, l’interdiction des activités énumérées aux points a) à e) dudit article 5.
69 Plus particulièrement, ledit article 5 de la directive « oiseaux » prévoit, sous a), l’interdiction de tuer les oiseaux ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée, sous b), l’interdiction de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids, et sous d), l’interdiction de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif
eu égard aux objectifs de cette directive.
70 Dans le même temps, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 de celle-ci s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs énumérés dans cette première disposition.
71 S’agissant de la directive « habitats », d’une part, la Cour a jugé que les articles 12, 13 et 16 de celle-ci forment un ensemble cohérent de normes visant à assurer la protection des populations des espèces concernées, de sorte que toute dérogation qui serait incompatible avec cette directive violerait tant les interdictions énoncées aux articles 12 ou 13 de celle-ci que la règle selon laquelle des dérogations peuvent être accordées conformément à l’article 16 de la même directive (arrêt du
20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni, C‑6/04, EU:C:2005:626, point 112).
72 Par ailleurs, soulignant que les habitats et les espèces menacés font partie du patrimoine naturel de l’Union européenne, de telle sorte que l’adoption de mesures de conservation incombe, à titre de responsabilité commune, à tous les États membres, la Cour a précisé que, dans le cadre de cette directive, laquelle pose des règles complexes et techniques dans le domaine du droit de l’environnement, les États membres sont spécialement tenus de veiller à ce que leur législation destinée à assurer la
transposition de ladite directive soit claire et précise (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Commission/Pologne, C‑46/11, non publié, EU:C:2012:146, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
73 D’autre part, en ce qui concerne la directive « oiseaux », la Cour a jugé que les critères sur la base desquels les États membres peuvent déroger aux interdictions prévues par cette directive doivent être repris dans des dispositions nationales suffisamment claires et précises, étant donné que l’exactitude de la transposition revêt une importance particulière dans une matière où la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres (arrêt du 26 janvier
2012, Commission/Pologne, C‑192/11, non publié, EU:C:2012:44, point 56).
74 Dans la présente affaire, il convient d’observer que, aux termes de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, la gestion forestière exécutée conformément aux exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière ne viole pas les dispositions relatives à la conservation de ressources, de formations et de composantes naturelles particulières, notamment les dispositions de l’article 51 et de l’article 52 de la loi relative à la protection de la nature.
75 Or, ladite loi relative à la protection de la nature transpose, dans l’ordre juridique polonais, les dispositions des directives « habitats » et « oiseaux ». Plus particulièrement, les dispositions des articles 51 et 52 de cette loi prévoient des interdictions concernant les espèces animales et végétales protégées et ont, selon la République de Pologne, été adoptées, notamment, aux fins de la mise en œuvre des articles 12 et 13 de la directive « habitats » ainsi que de l’article 5 de la
directive « oiseaux ».
76 À cet égard, il importe de constater que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, est rédigé de manière générale et a une portée très large. En effet, cette disposition fonde, selon son libellé même, une présomption selon laquelle la gestion forestière exécutée conformément au paragraphe 1 du règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne viole pas, notamment, lesdits articles 51 et 52. Dans ces conditions, elle revient à permettre, sous réserve du respect desdites exigences,
qu’il soit dérogé, de manière générale, aux dispositions de droit interne mettant en œuvre les articles 12 et 13 de la directive « habitats » et l’article 5 de la directive « oiseaux » aux fins des opérations déployées dans le cadre d’une telle gestion forestière, lorsque ces opérations impliquent des actes interdits par ces dernières dispositions.
77 Quant à l’affirmation de la République de Pologne selon laquelle la gestion forestière ne comprend pas d’opérations impliquant de tels actes interdits, force est de constater que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts est apte à autoriser les opérations de gestion forestière en général, y compris lorsque celles-ci sont susceptibles d’impliquer des actes interdits en vertu des dispositions nationales mettant en œuvre les articles 12 et 13 de la directive « habitats » ainsi que
l’article 5 de la directive « oiseaux », et, notamment, ceux consistant à détruire ou à tuer intentionnellement des spécimens d’espèces protégées.
78 À cet égard, la Cour a déjà jugé que les interdictions figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » sont susceptibles de s’appliquer à une activité, telle qu’une activité d’exploitation forestière, dont l’objet est manifestement autre que la capture ou la mise à mort, la perturbation d’espèces animales ou la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs (arrêt du 4 mars 2021, Föreningen Skydda Skogen, C‑473/19 et C‑474/19, EU:C:2021:166, point 53).
79 L’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts est, par conséquent, susceptible d’être interprété et appliqué par les autorités nationales comme constituant une dérogation à l’ensemble des dispositions polonaises transposant les dispositions des directives « habitats » et « oiseaux », et notamment celles mettant en œuvre les articles 12 et 13 de la directive « habitats » ainsi que l’article 5 de la directive « oiseaux ».
80 Ensuite, il convient de constater que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts ainsi que le paragraphe 1 du règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne correspondent pas aux conditions, prévues à l’article 16 de la directive « habitats » et à l’article 9 de la directive « oiseaux », que doivent satisfaire les États membres souhaitant déroger notamment aux articles 12 et 13 de la directive « habitats » ainsi qu’à l’article 5 de la directive « oiseaux ».
81 En effet, la comparaison entre, d’une part, le libellé du paragraphe 1 du règlement relatif aux exigences de bonne pratique, qui énumère ces exigences, et, d’autre part, les cas dans lesquels les États membres peuvent déroger aux dispositions des directives « habitats » et « oiseaux », conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous a) à e), de la directive « habitats » et à l’article 9, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « oiseaux », permet de constater que lesdites exigences ne
correspondent pas auxdits cas visés par ces deux directives.
82 À cet égard, la condition, prévue à l’article 16 de la directive « habitats », selon laquelle il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, ne figure pas dans le règlement relatif aux exigences de bonne pratique, sans que soit pertinent, aux fins de ce dernier constat, le fait de savoir si le respect de toutes ces exigences
permettrait ou non de maintenir les espèces concernées dans un état de conservation favorable, ainsi que la République de Pologne semble, en substance, l’affirmer. De même, la condition, prévue à l’article 9 de la directive « oiseaux », prévoyant qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante, n’est pas prévue par les dispositions dudit règlement.
83 En outre, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, le paragraphe 1 du règlement relatif aux exigences de bonne pratique ne contient aucune référence aux motifs de dérogation énoncés à l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
84 Enfin, si la République de Pologne soutient également que d’autres dispositions législatives polonaises permettraient de répondre aux conditions de dérogation prévues à l’article 16 de la directive « habitats » et à l’article 9 de la directive « oiseaux », il n’en demeure pas moins que, à supposer même que cette circonstance soit démontrée, il existerait, dans un tel cas, une contradiction entre, d’une part, la dérogation générale prévue à l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts et,
d’autre part, ces autres dispositions législatives prétendument applicables.
85 Or, une contradiction entre les différentes dispositions nationales non seulement comporte une atteinte au principe de sécurité juridique, mais est également de nature à induire en erreur les autorités administratives chargées de la mise en œuvre des dispositions d’une directive de l’Union concernant les modalités d’application du régime de protection (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2012, Commission/Pologne, C‑192/11, non publié, EU:C:2012:44, point 58).
86 La réalité de ce risque apparaît d’ailleurs s’être avérée en l’espèce, comme cela ressort de la lettre du directeur général des forêts de l’État, du 6 mars 2018, adressée aux directeurs des directions régionales des forêts de l’État et mentionnée par la Commission, dont il résulte que ce directeur général partait de la prémisse selon laquelle le propriétaire forestier n’est pas tenu d’obtenir une dérogation pour des opérations forestières conformes aux exigences de bonne pratique.
87 Dans ces conditions, il convient de constater que, en adoptant l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, prévoyant que la gestion forestière exécutée conformément aux exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière ne viole pas les dispositions relatives à la conservation de ressources, de formations et de composantes naturelles particulières, le législateur polonais a méconnu ses obligations découlant de l’article 12, paragraphe 1, de l’article 13, paragraphe 1,
sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 5, sous a), b) et d), et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
2. Sur la violation des dispositions relatives à la protection des habitats
a) Argumentation des parties
88 S’agissant de la protection des habitats, la Commission rappelle, dans sa requête, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux » préconisent l’adoption de mesures de conservation pour des zones spécifiques. Or, l’application de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts et du règlement relatif aux exigences de bonne pratique signifierait qu’il n’est plus nécessaire d’adopter et de mettre en œuvre en Pologne des
mesures de protection à l’égard de ces zones, en violation desdites dispositions des directives « habitats » et « oiseaux ».
89 À cet égard, la Cour aurait jugé que les dispositions nationales qui ne sont pas établies et appliquées pour des zones spécifiques ne peuvent pas satisfaire aux exigences et assurer l’effet utile de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », les mesures de conservation d’une zone spécifique devant être complètes, claires et précises (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, points 77 et 85).
90 Le règlement relatif aux exigences de bonne pratique étant très général, il ne saurait satisfaire aux exigences visées au point précédent du présent arrêt.
91 Aux yeux de la Commission, il existe un risque que, dans le cas où une opération en cause s’avère conforme à la bonne pratique, conformément à l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, elle serait dispensée de respecter les principes de conservation des sites concernés, y compris les sites Natura 2000. Par conséquent, il existerait un risque que les mesures de conservation qui peuvent être définies dans les plans de conservation du réseau Natura 2000 ne soient pas mises en œuvre.
92 Or, conformément à la jurisprudence de la Cour, les États membres ne sauraient autoriser des interventions qui risquent de compromettre sérieusement les caractéristiques écologiques des sites qui abritent des types d’habitats naturels et/ou des espèces prioritaires (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C‑404/09, EU:C:2011:768, point 163).
93 Pour ces raisons, ainsi que pour celles présentées par la Commission en ce qui concerne la violation, par la République de Pologne, des articles 12 et 16 de la directive « habitats » et des articles 5 et 9 de la directive « oiseaux », il conviendrait de constater que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts et le règlement relatif aux exigences de bonne pratique constituent une transposition incorrecte de l’obligation, énoncée à l’article 6, paragraphe 2, de la
directive « habitats », d’éviter la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces.
94 Dans son mémoire en défense, la République de Pologne répond que, conformément à la réglementation polonaise, les opérations de gestion forestière doivent être conformes aux mesures de protection fixées dans les plans des tâches de conservation spécifiques des sites Natura 2000.
95 Conformément à l’article 46 de la loi relative à l’information sur l’environnement, tous les plans de gestion forestière dans la zone Natura 2000 seraient soumis, avant leur adoption, à la procédure de l’évaluation stratégique de l’impact sur l’environnement, qui analyse le niveau d’incidence des mesures projetées sur la zone Natura 2000. Conformément à l’article 55, paragraphe 2, de cette loi, le projet ne saurait être adopté, sauf si les prémisses visées à l’article 34 de la loi relative à la
protection de la nature existent, dans le cas où l’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement indique qu’il peut y avoir un impact négatif significatif sur la zone Natura 2000.
96 L’objectif du règlement relatif aux exigences de bonne pratique serait précisément d’exclure les collisions avec les objectifs de conservation, relatives aux zones Natura 2000 valant pour les sites d’espèces protégées, en les identifiant, puis en modifiant les opérations de gestion forestière. Lesdites opérations devant être conformes aux plans des tâches de conservation et aux plans de conservation des zones Natura 2000, la République de Pologne souligne que ce règlement ne libère pas les
propriétaires des forêts de l’obligation de respecter lesdits plans.
97 S’agissant de la prétendue violation de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats », la Commission n’aurait produit aucun élément de preuve pour étayer ses allégations et se limiterait à conclure qu’il existe « un risque » que les mesures de protection définies dans les plans de conservation ne soient pas mises en œuvre.
98 En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans l’examen du respect de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », la Commission ne saurait apprécier la réglementation nationale en cause sans tenir compte du contexte normatif dans lequel celle‑ci s’inscrit. La Commission devrait démontrer que les mesures adoptées en application de la réglementation contestée ne permettent pas effectivement d’éviter la détérioration des habitats (arrêt du 4 mars 2010, Commission/France,
C‑241/08, EU:C:2010:114, point 23).
99 S’agissant, plus particulièrement, des dispositions du règlement relatif aux exigences de bonne pratique, la République de Pologne souligne qu’elles ressemblent à celles définies dans les plans des tâches de conservation pour les différentes zones Natura 2000 et prévoient des mesures qui contribuent ainsi à l’amélioration et à la sauvegarde des habitats ainsi qu’à la lutte contre la perturbation des espèces. Partant, ce règlement assurerait une meilleure réalisation des objectifs visés à
l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats ».
100 Dans son mémoire en réplique, la Commission soutient que le libellé clair tant de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts que du règlement relatif aux exigences de bonne pratique étend la dérogation aux mesures de conservation au sens de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ». Si la République de Pologne souligne à juste titre qu’il existe d’autres mesures de conservation, elle ne prendrait
toutefois pas position sur le risque d’une interprétation littérale des dispositions introduisant une dérogation aussi large.
101 De l’avis de la Commission, la dérogation prévue par les dispositions combinées de l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts et dudit règlement s’étend aux dispositions de la loi relative à la protection de la nature, qui transposent l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » et l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », ce qui est déjà en soi contraire à ces deux directives. Cette institution souligne que ladite dérogation a pour effet que des
pratiques soient réputées compatibles avec l’obligation de conservation prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » au seul motif qu’elles sont conformes au règlement relatif aux exigences de bonne pratique. Or, ce règlement ne suffirait pas pour justifier une dérogation aux dispositions des directives « habitats » et « oiseaux ».
102 Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne souligne que la Commission n’a pas apporté la preuve que les opérations de gestion forestière, mises en œuvre sur la base du règlement relatif aux exigences de bonne pratique, s’écartent des règles fixées dans les plans spécifiques des tâches de conservation et les plans spécifiques de conservation des sites Natura 2000. Or, conformément à l’article 33, paragraphe 1, de la loi relative à la protection de la nature, les opérations de gestion
forestière dans le site Natura 2000 ne pourraient pas avoir un effet négatif important sur les objectifs de conservation de cette zone. Cette règle trouverait à s’appliquer également aux opérations de gestion forestière réalisées sur le fondement du règlement relatif aux exigences de bonne pratique.
103 En réponse à l’argument de la Commission concernant l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » et l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », la République de Pologne fait valoir que l’article 33, paragraphe 1, point 1, de la loi relative à la protection de la nature prévoit expressément qu’il est interdit d’entreprendre toute activité qui est susceptible de détériorer l’état des habitats naturels ou des habitats d’espèces végétales et animales pour la protection
desquels un site Natura 2000 a été désigné, ou de porter atteinte aux espèces pour la protection desquelles un site Natura 2000 a été désigné. Le libellé de cette disposition polonaise ne laisserait aucun doute sur le fait qu’elle s’applique également lorsque des opérations de gestion forestière sont mises en œuvre sur le fondement du règlement relatif aux exigences de bonne pratique.
b) Appréciation de la Cour
104 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels et des espèces concernés.
105 Le paragraphe 2 de cet article 6 dispose que les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations sont susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de ladite directive.
106 S’agissant de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », il dispose que les espèces concernées font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.
107 En ce qui concerne la protection des habitats, prévue à l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » et à l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », la Cour a déjà jugé que ces dispositions, sous peine d’être privées de tout effet utile, exigent non seulement l’adoption des mesures de conservation nécessaires au maintien d’un état de conservation favorable des habitats et des espèces protégés au sein du site concerné, mais également, et surtout, leur mise en œuvre
effective [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 213].
108 En outre, l’exactitude de la transposition de l’article 6 de la directive « habitats » prévoyant la protection des habitats des espèces revêt une importance particulière lorsque, comme le prévoit cette directive, la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 78).
109 Or, il importe de relever que, ainsi qu’il a été constaté aux points 76 et 79 du présent arrêt, la dérogation aux exigences de la protection des espèces animales et végétales, prévue à l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, est rédigée de manière générale et a une portée très large. Elle est, par conséquent, susceptible d’être interprétée et appliquée par les autorités nationales comme constituant une dérogation à l’ensemble des dispositions polonaises transposant les
dispositions des directives « habitats » et « oiseaux ».
110 Partant, même si, dans le cadre de sa défense, le gouvernement polonais fait référence aux autres dispositions législatives polonaises qui mettent en œuvre l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » et l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », il convient de constater que l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts et le règlement relatif aux exigences de bonne pratique n’assurent pas la clarté et la précision requises s’agissant de la transposition et
de la mise en œuvre desdites dispositions des directives « habitats » et « oiseaux ».
111 À cet égard, dans la mesure où le gouvernement polonais relève lui‑même que ces exigences « ressemblent à celles définies », notamment, au titre des plans de conservation pour les différentes zones Natura 2000, force est de constater que ce gouvernement ne conteste pas que les premières exigences ne correspondent pas parfaitement aux exigences découlant de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
112 En tout état de cause, les exigences de bonne pratique de gestion forestière visées par le paragraphe 1 du règlement relatif aux exigences de bonne pratique s’appliquent, de manière générale, aux opérations forestières, indépendamment des caractéristiques des zones dans lesquelles ces opérations sont déployées et, par conséquent, en faisant abstraction des caractéristiques des habitats et des espèces susceptibles d’être affectés par celles-ci. Il en découle que le respect de ces exigences ne
saurait garantir que les conditions spécifiques découlant de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », lesquelles se rapportent à des habitats et à des espèces concrètes, soient satisfaites.
113 Dans ces conditions, il convient de constater que, en adoptant l’article 14b, paragraphe 3, de la loi sur les forêts, prévoyant que la gestion forestière exécutée conformément aux exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière ne viole pas les dispositions relatives à la conservation de ressources, de formations et de composantes naturelles particulières, le législateur polonais a méconnu ses obligations découlant de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats »
ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ».
114 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le premier grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de l’article 12, paragraphe 1, de l’article 13, paragraphe 1, sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, sous a), b) et d), et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », est fondé.
B. Sur le second grief
1. Argumentation des parties
115 Dans sa requête, la Commission allègue que, dans la mesure où la loi sur les forêts ne confère aux plans de gestion forestière qu’un caractère interne, les droits des organisations de défense de l’environnement ne sont pas garantis. En effet, un acte approuvant un tel plan ne revêtirait pas le caractère d’une décision administrative, l’article 22, paragraphe 1, de la loi sur les forêts ne faisant pas référence à une décision administrative, alors que la même loi prévoirait expressément la forme
d’une décision administrative en ce qui concerne d’autres actes des organes administratifs.
116 Le caractère exclusivement interne des actes d’approbation des plans de gestion forestière serait confirmé par la jurisprudence du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne). Dans son arrêt du 12 mars 2014 (II OSK 2477/12), cette haute juridiction polonaise aurait confirmé le rejet de la requête contre un plan de gestion forestière introduite par une organisation de défense de l’environnement comme étant irrecevable, en raison du fait qu’un acte du ministre de
l’Environnement approuvant ce plan ne constituait pas une décision administrative susceptible d’être attaquée devant une juridiction.
117 Aussi, dans son ordonnance du 17 octobre 2017 (II OSK 2336/17), le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) aurait confirmé, pour les mêmes raisons, le rejet, par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne), comme étant irrecevable, d’une requête introduite par le Rzecznik Praw Obywatelskich (Médiateur, Pologne) contre un acte du ministre de l’Environnement approuvant une annexe du plan de gestion forestière.
118 La procédure de l’approbation d’un plan de gestion forestière ayant donc un caractère « interne », elle ne serait pas considérée comme étant une procédure requérant la participation du public. Par conséquent, en ce qui concerne de tels plans, les organisations de défense de l’environnement seraient privées des droits procéduraux, dont le droit d’introduire un recours devant un tribunal administratif contre une décision prise dans le cadre d’une telle procédure, énoncés à l’article 44,
paragraphes 1 à 3, de la loi relative à l’information sur l’environnement, et seraient habilitées seulement à soumettre des observations et des propositions, conformément aux articles 39 à 41 de cette dernière loi.
119 De l’avis de la Commission, cette situation juridique est incompatible avec l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et avec l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, ainsi qu’avec la jurisprudence constante de la Cour.
120 À cet égard, la Cour aurait jugé qu’une organisation de défense de l’environnement répondant aux exigences posées à l’article 2, paragraphe 5, de cette convention devrait pouvoir contester, dans le cadre d’un recours visé à l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, non seulement la décision de ne pas procéder à une évaluation appropriée des incidences du plan ou du projet considéré sur le site concerné, mais également, le cas échéant, l’évaluation réalisée en ce qu’elle serait
entachée de vices (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, points 58 à 61).
121 Dans ce contexte, la Commission soutient que les plans de gestion forestière doivent être qualifiés comme étant des « plans ou projets », au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », et comme étant des « décisions », au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la convention d’Aarhus. Partant, l’article 9, paragraphe 2, de cette convention serait applicable aux plans de gestion forestière, avec pour conséquence que les organisations de défense de l’environnement
devraient pouvoir participer aux procédures concernant le contrôle environnemental de ces plans ainsi que pouvoir saisir un tribunal ou un autre organe indépendant et impartial afin d’assurer la protection de leurs droits.
122 S’agissant de l’expression « plan ou projet », au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », la Cour aurait jugé que le terme « projet », qui figure dans cette disposition, est plus large que celui contenu dans la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, et rectificatif JO 2015, L 174, p. 44) (arrêt du 7 novembre 2018,
Coöperatie Mobilisation for the Environment e.a., C‑293/17 et C‑294/17, EU:C:2018:882, points 65 et 66).
123 De nombreuses opérations de gestion forestière répondant à la définition plus étroite de « projet », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/92, celles-ci devraient donc, a fortiori, être qualifiées de « projets », au sens de la directive « habitats » (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, C‑411/17, EU:C:2019:622, point 123).
124 S’agissant de l’argument de la République de Pologne selon lequel la convention d’Aarhus ne serait pas applicable en l’espèce, la Commission rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour, toutes les mesures adoptées sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » relèvent du champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, de cette convention (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 56).
125 En outre, il découlerait de l’arrêt du 14 janvier 2021, Stichting Varkens in Nood e.a. (C‑826/18, EU:C:2021:7, point 58), que les organisations de défense de l’environnement doivent avoir accès à la justice indépendamment de leur participation à la procédure décisionnelle concernant le plan ou le projet concerné.
126 Dans son mémoire en défense, la République de Pologne soutient, à titre liminaire, que le second grief est irrecevable dans la mesure où il ne respecte pas les exigences de clarté et de précision fixées par la jurisprudence de la Cour. En effet, le niveau de protection découlant des principes d’équivalence et d’effectivité définis par la jurisprudence de la Cour et applicables en ce qui concerne l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte, serait différent de celui qui résulte de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.
127 En outre, la Commission n’aurait pas expliqué la raison pour laquelle le second grief de sa requête ne concerne que l’impossibilité pour les organisations environnementales d’attaquer en justice les actes d’approbation des plans de gestion forestière, bien qu’il découlerait de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus qu’une catégorie plus large de justiciables, à savoir le public concerné, devrait bénéficier dudit droit.
128 La République de Pologne soutient que, en tout état de cause, le second grief est non fondé.
129 À cet égard, cet État membre rappelle que la Cour a jugé que les décisions entrant dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » relèvent du champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus seulement si elles sont visées à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de cette convention, à savoir seulement si elles concernent des « activités », au sens de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016,
Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 57).
130 La République de Pologne ajoute que l’objet de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt avait trait à une activité spécifique et non pas, comme dans la présente affaire, à l’appréciation des documents de planification que constituent les plans de gestion forestière.
131 Cet État membre est d’avis qu’un plan de gestion forestière constitue soit un plan, soit une stratégie ou un programme et que, par conséquent, il relève de l’article 7 de la convention d’Aarhus. À cet égard, les exigences fixées par l’article 6, paragraphes 3, 4 et 8 de cette convention devraient être respectées. En revanche, rien ne permettrait de considérer qu’un plan de gestion forestière puisse être considéré comme étant une « activité proposée », au sens de l’article 6, paragraphe 1,
sous b), de ladite convention.
132 Il en résulterait qu’un « projet » est une action (réalisation, intervention), alors qu’un « plan » est un document (plan, programme) élaboré ou adopté par une autorité au moyen d’une procédure législative spécifique et est exigé par des dispositions législatives.
133 La République de Pologne constate que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la convention d’Aarhus, les parties à cette convention déterminent dans chaque cas si l’activité proposée relève de l’article 6 de ladite convention. Or, il ne découlerait ni du droit de l’Union ni du droit polonais que cette disposition s’applique aux plans de gestion forestière.
134 Lesdits plans de gestion forestière ne sauraient non plus être considérés comme étant des projets d’un point de vue fonctionnel et téléologique.
135 L’objectif principal des plans de gestion forestière serait de préserver la durabilité, la continuité et la viabilité des forêts. Or, dans sa requête, la Commission percevrait, d’une manière erronée, la gestion forestière comme une série de projets séparés. Cette institution aborderait la question de l’abattage des arbres, à savoir les coupes exploitables, indépendamment des régénérations futures et d’autres interventions de gestion forestière, ainsi qu’en faisant abstraction du fait que toutes
ces interventions sont planifiées sur des périodes de dix ans et que ces périodes constituent, en réalité, les éléments d’un processus continu et ininterrompu de maintien durable des forêts.
136 Cet État membre conclut que la Commission n’a pas démontré qu’un plan de gestion forestière constitue une « activité », au sens de la convention d’Aarhus, et relève, de ce fait, du champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, de cette convention.
137 S’agissant de la jurisprudence des juridictions polonaises, citée dans la requête de la Commission, la République de Pologne soutient que cette jurisprudence n’est pas suffisante pour étayer l’argumentation de ladite institution présentée dans le cadre du second grief.
138 Plus concrètement, les arrêts du Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie), du 30 avril 2009 (IV SA/Wa 2036/08), du 14 juin 2012 (IV SA/Wa 516/12) et du 28 janvier 2015 (IV SA/Wa 2004/14), confirmeraient que le ministre de l’Environnement est tenu de conférer aux actes approuvant les plans de gestion forestière la forme d’une décision administrative.
139 La jurisprudence du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) aurait en outre confirmé que les juridictions administratives ont une obligation d’interpréter la réglementation nationale en conformité avec le droit de l’Union. En ce qui concerne les plans de gestion forestière, l’interprétation conforme retenue par les juridictions administratives serait susceptible de conduire à la conclusion qu’un acte approuvant le plan de gestion forestière revêt la forme d’une décision
administrative susceptible de faire l’objet d’un recours introduit par les organisations environnementales en application de l’article 44, paragraphe 3, de la loi relative à l’information sur l’environnement.
140 La République de Pologne ajoute que, conformément à la réglementation polonaise, le juge de droit commun peut être saisi d’une action visant en substance à contester un plan de gestion forestière, c’est-à-dire les opérations effectuées en exécution desdits plans.
141 La République de Pologne précise également que le second grief est non fondé ratione materiae. En effet, dès lors que la violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » est alléguée par la Commission, ce grief devrait concerner uniquement les plans de gestion forestière qui portent sur des opérations de gestion forestière susceptibles d’affecter les sites Natura 2000 de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, et qui, de ce
fait, doivent faire l’objet d’une évaluation appropriée de leurs incidences sur lesdits sites. Cependant, seule une partie des forêts concernées par les plans de gestion forestière porte sur des zones Natura 2000. Or, dans son argumentation développée dans le cadre du second grief, la Commission ne ferait aucune distinction entre ces deux cas de figure.
142 Dans son mémoire en réplique, la Commission fait observer que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la République de Pologne en ce qui concerne le second grief est dépourvue de fondement.
143 Dans l’arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 63), la Cour aurait reconnu que l’article 47 de la Charte pouvait être lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. En outre, dans les arrêts du 3 octobre 2019, Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland e.a. (C‑197/18, EU:C:2019:824, point 32), ainsi que du 14 janvier 2021, Stichting Varkens in Nood e.a. (C‑826/18, EU:C:2021:7, point 64), elle aurait jugé que le sens
autonome de l’article 47 de la Charte n’intervient que lorsqu’est apprécié le caractère justifié ou non d’une restriction du droit à un recours effectif. Or, la présente affaire aurait pour objet non pas une restriction de ce droit, mais le défaut d’accès à la justice pour les organisations de défense de l’environnement.
144 En réponse à l’argument soulevé par la République de Pologne selon lequel la définition d’un « projet » ou d’un « plan » devrait être établie conformément aux directives 2011/92 et 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (JO 2001, L 197, p. 30), la Commission rappelle que, entre l’approbation d’un plan de gestion forestière et l’intervention sur l’environnement sous la forme
d’activités de gestion forestière, il n’existe aucune autre étape de validation de telles activités qui serait susceptible d’aboutir à une décision administrative pouvant être contestée, soit par voie administrative, soit en justice.
145 S’agissant de la jurisprudence nationale évoquée par la République de Pologne dans son mémoire en défense à l’appui de sa thèse selon laquelle un plan de gestion forestière serait attaquable devant un tribunal, la Commission fait valoir que cet État membre a fait référence aux décisions d’une juridiction hiérarchiquement inférieure, tandis que les arguments de la Commission seraient fondés sur la jurisprudence du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).
146 En tout état de cause, la possibilité d’une interprétation conforme au droit de l’Union par les juridictions polonaises ne saurait dispenser le législateur polonais de son obligation de remédier au défaut de conformité du droit polonais avec le droit de l’Union.
147 En ce qui concerne le droit de déposer des plaintes et des propositions en vertu de l’article 221 du code de procédure administrative polonais, celui-ci n’ouvrirait pas la possibilité de saisir une juridiction administrative pour attaquer directement une décision approuvant un plan de gestion forestière.
148 S’agissant de la possibilité de former un recours auprès d’un tribunal administratif contre une décision relative aux conditions environnementales pour les projets nécessitant l’évaluation de leur incidence sur l’environnement, la Commission souligne que, conformément aux dispositions de la loi sur les forêts, un plan de gestion forestière n’est pas considéré comme étant un projet nécessitant une telle évaluation et un permis environnemental.
149 En réponse à l’argument de la République de Pologne faisant référence aux articles 322 à 324 de la loi sur la protection de l’environnement, la Commission fait valoir que les actions civiles ne permettent pas aux organisations de défense de l’environnement de contester directement un plan de gestion forestière en justice. Ce type de recours concernerait la responsabilité civile en cas d’atteinte à l’environnement, la juridiction de droit commun saisie d’un recours ne pouvant pas éliminer de
l’ordre juridique polonais un plan de gestion forestière entaché d’irrégularités.
150 Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne soutient que la Commission n’a pas indiqué si, selon elle, il est possible qu’un même acte, en l’occurrence un plan de gestion forestière, soit à la fois une « activité particulière », telle que visée à l’article 6 de la convention d’Aarhus, et un « plan/programme relatif à l’environnement », tel que visé à l’article 7 de cette convention. En effet, un plan de gestion forestière devrait être considéré comme étant un plan relatif à
l’environnement, au sens tant de l’article 7 de la convention d’Aarhus que de l’article 2, sous a), de la directive 2001/42, ainsi que des dispositions du droit polonais transposant ces actes juridiques, à savoir notamment l’article 46 de la loi relative à l’information sur l’environnement. Or, conformément à l’article 7 de la convention d’Aarhus, les plans et les programmes relatifs à l’environnement ne relèveraient que des paragraphes 3, 4 et 8 de l’article 6 de cette convention, tandis que
seules les activités proposées relèveraient de l’article 6 dans son ensemble.
151 La République de Pologne ajoute que l’article 6 de la convention d’Aarhus concerne les « activités particulières », alors qu’un plan de gestion forestière ne prévoit aucune activité particulière avec mention d’une date et d’un lieu d’exécution, mais prévoit seulement des tâches à accomplir au cours d’une période de dix ans.
152 Ni un plan de gestion forestière, ni des mesures prévues dans un tel plan ne seraient énumérés à l’annexe I de la convention d’Aarhus et, par conséquent, ils ne relèveraient pas du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de cette convention. S’agissant de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de ladite convention, les parties à celle-ci seraient habilitées à déterminer dans chaque cas si l’activité en cause relève de cet article.
153 S’agissant des voies de recours civiles destinées à remédier aux irrégularités des plans de gestion forestière, la Commission n’aurait pas expliqué les raisons pour lesquelles elle estime que ces voies sont insuffisantes et pourquoi seul le droit de contester devant une juridiction administrative les décisions approuvant les plans de gestion forestière satisferait aux exigences découlant des dispositions visées par le second grief.
154 À cet égard, un recours civil permettrait de supprimer des opérations de gestion forestière spécifiques qui étaient prévues dans un plan de gestion forestière et dont la mise en œuvre a été approuvée par le district forestier.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’exception d’irrecevabilité du second grief
155 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’un recours formé en application de l’article 258 TFUE doit présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que cet État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué [arrêt du 28 avril 2022, Commission/Bulgarie (Mise à
jour des stratégies marines), C‑510/20, EU:C:2022:324, point 17 et jurisprudence citée].
156 En particulier, le recours de la Commission doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons l’ayant amenée à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu des traités [arrêt du 28 avril 2022, Commission/Bulgarie (Mise à jour des stratégies marines), C‑510/20, EU:C:2022:324, point 18 et jurisprudence citée].
157 Dans la présente affaire, la Commission a allégué dans sa requête que, en ayant exclu la possibilité, pour les organisations de défense de l’environnement, d’attaquer devant un tribunal les plans de gestion forestière, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu en liaison avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 216, paragraphe 2, TFUE, l’article 47 de la Charte ainsi qu’avec
l’article 6, paragraphe 1, sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.
158 Dans la motivation du second grief, la Commission a souligné le lien entre cette disposition de la directive « habitats » et lesdites dispositions de la convention d’Aarhus et, accessoirement, l’article 216, paragraphe 2, TFUE, tout en faisant référence à la jurisprudence de la Cour que cette institution estime pertinente à cet égard.
159 Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que la Commission n’a pas satisfait, s’agissant de sa requête, aux obligations qui lui incombent conformément à la jurisprudence citée aux points 155 et 156 du présent arrêt en ce qui concerne lesdites dispositions de la convention d’Aarhus et du traité FUE.
160 En revanche, l’argumentation exposée dans la requête ne comporte aucune référence à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte ni n’expose, a fortiori, en quoi ces dispositions du droit de l’Union sont pertinentes aux fins de statuer sur le second grief, de telle sorte qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de se pencher sur lesdites dispositions dans le cadre de l’examen du présent recours.
161 Par ailleurs, l’argument de la République de Pologne tenant à la prétendue incohérence de l’objet de la requête et du raisonnement développé par la Commission dans le cadre du second grief, mentionné au point 126 du présent arrêt, concerne l’examen au fond du recours en manquement.
162 S’agissant de l’argument de la République de Pologne visé au point 127 du présent arrêt, il suffit de rappeler que, dans le système établi par l’article 258 TFUE, la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour intenter un recours en manquement et qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’opportunité de son exercice (arrêt du 18 novembre 2010, Commission/Espagne, C‑48/10, non publié, EU:C:2010:704, point 32 et jurisprudence citée).
163 Partant, la République de Pologne ne saurait invoquer utilement le fait que la Commission n’a pas allégué, dans le cadre du second grief, l’absence de l’accès au tribunal, conformément à la réglementation polonaise, du public concerné dans son ensemble afin que ce grief soit déclaré irrecevable en tant qu’il concerne les organisations de défense de l’environnement (voir, par analogie, arrêt du 7 mai 2009, Commission/Portugal, C‑530/07, non publié, EU:C:2009:292, point 30).
164 Dans ces conditions, l’exception d’irrecevabilité du second grief de la requête de la Commission, soulevée par la République de Pologne, doit être rejetée.
b) Sur le manquement
165 Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site, mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des
dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.
166 L’article 6, paragraphe 1, sous a), de la convention d’Aarhus prévoit que chaque partie applique les dispositions de cet article lorsqu’il s’agit de décider d’autoriser ou non des activités proposées du type de celles énumérées à l’annexe I. Aux termes du sous b) de cette disposition, chaque partie applique aussi les dispositions dudit article, conformément à son droit interne, lorsqu’il s’agit de prendre une décision au sujet d’activités proposées non énumérées à l’annexe I qui peuvent avoir un
effet important sur l’environnement, les parties déterminant dans chaque cas si l’activité proposée tombe sous le coup de ces dispositions.
167 Conformément à l’article 9, paragraphe 2, de cette convention, chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné ayant un intérêt suffisant pour agir ou, sinon, faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une partie pose une telle condition, puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité, quant au
fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 de ladite convention et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice de l’article 6, paragraphe 3, de celle-ci, des autres dispositions pertinentes de la même convention.
168 S’agissant des plans de gestion forestière, qui font l’objet du second grief de la requête de la Commission, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, point 6, de la loi sur les forêts définit un tel plan comme « le document de base de la gestion forestière préparé pour un site spécifique, contenant une description et une évaluation de l’état de la forêt et les objectifs, tâches et méthodes de gestion forestière ».
169 Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de la loi sur les forêts, le ministre de l’Environnement approuve un plan de gestion forestière pour les forêts qui sont la propriété du Trésor public et des plans de gestion forestière simplifiés pour les forêts faisant partie des ressources de la propriété agricole du Trésor public.
170 À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que la Cour a déjà eu l’opportunité d’examiner un plan de gestion forestière, tel que prévu par la réglementation polonaise, au regard de la directive « habitats », et a appliqué, à cet égard, les exigences prévues à l’article 6, paragraphe 3, de cette directive [voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, points 106 à 193].
171 Partant, cette disposition, qui porte sur « tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative », est susceptible de s’appliquer aux plans de gestion forestière visés à l’article 22 de la loi sur les forêts.
172 S’agissant des rapports entre, d’une part, l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et, d’autre part, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, la Cour a déjà jugé que les décisions prises par les autorités nationales compétentes dans le cadre dudit article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », qu’elles portent sur une demande de participation à la procédure d’autorisation, sur l’appréciation de la nécessité d’une évaluation environnementale des incidences
d’un plan ou d’un projet sur un site protégé ou encore sur le caractère approprié des conclusions tirées d’une telle évaluation quant aux risques de ce projet ou de ce plan pour l’intégrité d’un tel site, et qu’elles soient autonomes ou intégrées dans une décision d’autorisation, sont des décisions qui relèvent du champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 56).
173 En effet, les décisions prises par les autorités nationales entrant dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », qui ne portent pas sur une activité énumérée à l’annexe I de la convention d’Aarhus, sont visées à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de cette convention et relèvent donc du champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, de celle-ci, dans la mesure où ces décisions impliquent que les autorités compétentes apprécient, préalablement à toute
autorisation d’activité, si celle-ci, dans les circonstances de l’espèce, est susceptible d’avoir un effet important sur l’environnement (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 57).
174 Quant à l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, cette disposition circonscrit la marge d’appréciation dont les États membres disposent dans la détermination des modalités des recours qui y sont visés en ce que celle-ci a comme objectif d’accorder un « large accès à la justice » au public concerné qui inclut les organisations de défense de l’environnement répondant aux exigences posées à l’article 2, paragraphe 5, de cette convention (arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske
zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838, point 58).
175 À cet égard, il convient de constater que, même si la convention d’Aarhus, et notamment son article 6, paragraphe 1, sous b), laisse aux États parties une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’examen d’effets importants sur l’environnement d’une activité en cause, il n’en demeure pas moins que, compte tenu de la jurisprudence visée aux points 172 et 173 du présent arrêt, la directive « habitats » concrétise les exigences qu’il convient de formuler s’agissant de l’importance des
effets sur l’environnement dans le domaine de la protection européenne de la nature. Or, les effets négatifs sur les objectifs de conservation de zones européennes de protection devraient en principe être considérés comme importants au sens de cette disposition de la convention d’Aarhus, les organisations de défense de l’environnement ayant donc le droit de demander que les autorités compétentes vérifient, au cas par cas, si les activités proposées sont susceptibles d’avoir un tel effet
important.
176 Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, prévoit une obligation, pour la République de Pologne, d’assurer la possibilité, pour les organisations de protection de l’environnement, de saisir un tribunal d’une demande visant à examiner d’une façon effective la légalité, quant au fond et à la
procédure, des plans de gestion forestière, au sens des dispositions de la loi sur les forêts, pour autant que ces plans relèvent de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
177 Par ailleurs, la réglementation prévoyant un tel accès à un tribunal doit répondre aux exigences de clarté et de précision, posées dans le domaine du droit de l’environnement conformément à la jurisprudence de la Cour (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2012, Commission/Pologne, C‑46/11, non publié, EU:C:2012:146, point 27 et jurisprudence citée).
178 En l’occurrence, au regard du dossier dont dispose la Cour, il convient de constater que la réglementation polonaise ne satisfait pas aux exigences visées aux points 176 et 177 du présent arrêt.
179 En particulier, s’agissant de l’article 22, paragraphe 1, de la loi sur les forêts, qui prévoit que le ministre de l’Environnement approuve un plan de gestion forestière, la Commission a invoqué dans sa requête la jurisprudence du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), visée aux points 116 et 117 du présent arrêt, selon laquelle cet acte d’approbation ne constitue pas une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel.
180 Dans sa réponse à cet argument de la Commission, la République de Pologne ne conteste pas l’existence de ladite jurisprudence, mais se limite à invoquer les décisions d’une juridiction inférieure, à savoir celles du Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie), qui plaideraient en faveur de la possibilité d’attaquer devant le juge administratif l’approbation, par le ministre de l’Environnement, d’un plan de gestion forestière.
181 À cet égard, il convient de rappeler que des décisions de justice isolées ou fortement minoritaires dans un contexte jurisprudentiel marqué par une autre orientation, ou encore une interprétation démentie par la juridiction suprême nationale, ne sauraient être prises en compte (voir, par analogie, arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie, C‑129/00, EU:C:2003:656, point 32).
182 En tout état de cause, lorsqu’une législation nationale fait l’objet d’interprétations juridictionnelles divergentes pouvant être prises en compte, les unes aboutissant à une application de ladite législation compatible avec le droit de l’Union, les autres aboutissant à une application incompatible avec celui-ci, il y a lieu de constater que, à tout le moins, cette législation n’est pas suffisamment claire pour assurer une application compatible avec le droit de l’Union (arrêt du 9 décembre
2003, Commission/Italie, C‑129/00, EU:C:2003:656, point 33).
183 En outre, la circonstance, à la supposer avérée, que la pratique des autorités nationales serait propre à assurer une application conforme aux dispositions d’une directive ne saurait, à elle seule, présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire aux exigences de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2012, Commission/Pologne, C‑192/11, non publié, EU:C:2012:44, point 58 et jurisprudence citée).
184 S’agissant de l’article 323 de la loi sur la protection de l’environnement, auquel la République de Pologne s’est référée dans son mémoire en défense, conformément auquel, selon cet État membre, le juge de droit commun peut être saisi d’une action visant en substance à contester les opérations effectuées en exécution d’un plan de gestion forestière, il convient de constater que, d’une part, cette disposition se limite à accorder le droit d’agir devant ce juge à toute personne directement menacée
d’un dommage ou ayant subi un préjudice du fait d’une atteinte illicite à l’environnement.
185 Or, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, qui accorde l’accès à la justice aux membres du public concerné, ne prévoit pas, à cet égard, la condition relative à la menace directe d’un dommage ou d’un préjudice du fait d’une atteinte illicite à l’environnement.
186 D’autre part, ledit article 323 de la loi sur la protection de l’environnement ne prévoit pas la possibilité d’examiner la légalité, quant au fond et à la procédure, des plans de gestion forestière, mais permet uniquement de demander le rétablissement d’un état de fait licite et de prendre des mesures préventives, notamment en mettant en place des installations ou des équipements destinés à empêcher la menace ou la survenance du dommage. Lorsque cela s’avère impossible ou excessivement
difficile, la cessation de l’activité à l’origine du risque peut être sollicitée.
187 Il s’ensuit que les éléments fournis à la Cour par la République de Pologne ne permettent pas de considérer que cette voie de recours serait de nature à permettre d’assurer d’une manière effective la possibilité pour des organisations de protection de l’environnement de soumettre les plans de gestion forestière relevant de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » à un contrôle judiciaire en ce qui concerne le fond et la procédure de l’adoption de ces plans.
188 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le second grief, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, est fondé.
Sur les dépens
189 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) En ayant adopté l’article 14b, paragraphe 3, de l’ustawa o lasach (loi sur les forêts), du 28 septembre 1991, telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o ochronie przyrody oraz ustawy o lasach (loi portant modification de la loi relative à la protection de la nature et de la loi sur les forêts), du 16 décembre 2016, qui prévoit que la gestion forestière exécutée conformément aux exigences de bonne pratique en matière de gestion forestière ne viole pas les dispositions relatives à la
conservation de ressources, de formations et de composantes naturelles particulières, notamment les dispositions des articles 51 et 52 de l’ustawa o ochronie przyrody (loi relative à la protection de la nature), du 16 avril 2004, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de l’article 12, paragraphe 1, de l’article 13, paragraphe 1, sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai
1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, sous a), b) et d), et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17.
2) En ayant omis d’adopter toutes les dispositions législatives nécessaires pour assurer la possibilité, pour les organisations de protection de l’environnement, de saisir un tribunal d’une demande visant à examiner d’une manière effective la légalité, quant au fond et à la procédure, des plans de gestion forestière, au sens des dispositions de la loi sur les forêts, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43,
telle que modifiée par la directive 2013/17, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous b), et l’article 9, paragraphe 2, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005.
3) La République de Pologne est condamnée aux dépens.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le polonais