ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
2 mars 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Reconnaissance dans un État membre des qualifications professionnelles – Directive 2005/36/CE – Droit d’exercer la profession d’enseignant d’école maternelle – Profession réglementée – Droit d’accès à la profession sur la base d’un diplôme émis dans l’État membre d’origine – Qualification professionnelle obtenue dans un pays tiers »
Dans l’affaire C‑270/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), par décision du 14 avril 2021, parvenue à la Cour le 27 avril 2021, dans la procédure
A
en présence de :
Opetushallitus
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement finlandais, par Mme M. Pere, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement estonien, par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme L. Armati, MM M. Huttunen, M. Mataija et Mme I. Söderlund, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 3, ainsi que de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22), telle que modifiée par la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 354, p. 132) (ci-après la « directive 2005/36 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par A au sujet de la décision de l’Opetushallitus (direction de l’enseignement, Finlande) rejetant sa demande de reconnaissance de la qualification professionnelle d’enseignant d’école maternelle.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 1 et 14 de la directive 2005/36 sont rédigés comme suit :
« (1) En vertu de l’article 3, paragraphe 1, point c), du traité, l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et des services constitue un des objectifs de la Communauté. Pour les ressortissants des États membres, il s’agit notamment du droit d’exercer une profession, à titre salarié ou non salarié, dans un autre État membre que celui où ils ont acquis leurs qualifications professionnelles. En outre, l’article 47, paragraphe 1, du traité prévoit que des
directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres sont arrêtées.
[...]
(14) Le mécanisme de reconnaissance établi par les directives 89/48/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16)] et 92/51/CEE [du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO 1992, L 209, p. 25)] reste
inchangé. [...] »
4 Aux termes de l’article 1er de la directive 2005/36 :
« La présente directive établit les règles selon lesquelles un État membre qui subordonne l’accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées (ci-après dénommé “État membre d’accueil”) reconnaît, pour l’accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres États membres (ci-après dénommé(s) “État membre d’origine”) et qui permettent au titulaire desdites
qualifications d’y exercer la même profession.
[...] »
5 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose :
« 1. La présente directive s’applique à tout ressortissant d’un État membre, y compris les membres des professions libérales, voulant exercer une profession réglementée dans un État membre autre que celui où il a acquis ses qualifications professionnelles, soit à titre indépendant, soit à titre salarié.
[...]
2. Chaque État membre peut permettre sur son territoire, selon sa réglementation, l’exercice d’une profession réglementée, au sens de l’article 3, paragraphe 1, point a), aux ressortissants des États membres titulaires de qualifications professionnelles qui n’ont pas été obtenues dans un État membre. [...] »
6 L’article 3 de ladite directive prévoit :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “profession réglementée” : une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; [...]
b) “qualifications professionnelles” : les qualifications attestées par un titre de formation, une attestation de compétence visée à l’article 11, point a) i) et/ou une expérience professionnelle ;
c) “titre de formation” : les diplômes, certificats et autres titres délivrés par une autorité d’un État membre désignée en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État membre et sanctionnant une formation professionnelle acquise principalement dans la Communauté. Lorsque la première phrase n’est pas d’application, un titre visé au paragraphe 3 est assimilé à un titre de formation ;
[...]
e) “formation réglementée” : toute formation qui vise spécifiquement l’exercice d’une profession déterminée et qui consiste en un cycle d’études complété, le cas échéant, par une formation professionnelle, un stage professionnel ou une pratique professionnelle.
La structure et le niveau de la formation professionnelle, du stage professionnel ou de la pratique professionnelle sont déterminés par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l’État membre en question ou font l’objet d’un contrôle ou d’un agrément par l’autorité désignée à cet effet ;
f) “expérience professionnelle” : l’exercice effectif et licite de la profession concernée dans un État membre ;
[...]
3. Est assimilé à un titre de formation tout titre de formation délivré dans un pays tiers dès lors que son titulaire a, dans la profession concernée, une expérience professionnelle de trois ans sur le territoire de l’État membre qui a reconnu ledit titre conformément à l’article 2, paragraphe 2, et certifiée par celui-ci. »
7 Aux termes de l’article 4, intitulé « Effets de la reconnaissance », de la directive 2005/36 :
« 1. La reconnaissance des qualifications professionnelles par l’État membre d’accueil permet aux bénéficiaires d’accéder dans cet État membre à la même profession que celle pour laquelle ils sont qualifiés dans l’État membre d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux.
2. Aux fins de la présente directive, la profession que veut exercer le demandeur dans l’État membre d’accueil est la même que celle pour laquelle il est qualifié dans son État membre d’origine si les activités couvertes sont comparables.
[...] »
8 L’article 13 de cette directive, intitulé « Conditions de la reconnaissance », dispose :
« 1. Lorsque, dans un État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées, l’autorité compétente de cet État membre permet aux demandeurs d’accéder à cette profession et de l’exercer, dans les mêmes conditions que pour ses nationaux, s’ils possèdent une attestation de compétences ou un titre de formation visé à l’article 11 qui est requis par un autre État membre pour accéder à cette même
profession sur son territoire ou l’y exercer.
Les attestations de compétences ou les titres de formation sont délivrés par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État membre.
2. L’accès à la profession et son exercice, tels que décrits au paragraphe 1, sont également accordés aux demandeurs qui ont exercé la profession en question à temps plein pendant une année ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente au cours des dix années précédentes dans un autre État membre qui ne réglemente pas cette profession et qui possèdent une ou plusieurs attestations de compétences ou preuves de titre de formation délivré par un autre État membre qui ne réglemente pas
cette profession.
Les attestations de compétences ou les titres de formation remplissent les conditions suivantes :
a) être délivrés par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État membre ;
b) attester la préparation du titulaire à l’exercice de la profession concernée.
L’expérience professionnelle d’un an visée au premier alinéa ne peut cependant être requise si le titre de formation que possède le demandeur certifie une formation réglementée.
[...] »
9 L’article 59, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« 1. Les États membres communiquent à la Commission [européenne] une liste des professions existantes réglementées, précisant les activités couvertes par chaque profession, ainsi qu’une liste des formations réglementées, et des formations à structure particulière, visées à l’article 11, point c) ii), sur leur territoire au plus tard le 18 janvier 2016. Tout changement apporté à ces listes est également notifié dans les meilleurs délais à la Commission. La Commission constitue et tient à jour une
base de données accessible au public des professions réglementées, comprenant une description générale des activités couvertes par chaque profession. »
Le droit finlandais
10 Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, du laki ammattipätevyyden tunnustamisesta (1384/2015) [loi relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (1384/2015)], cette loi régit la reconnaissance des qualifications professionnelles et la libre prestation des services conformément à la directive 2005/36. L’article 6 de cette loi précise les conditions d’une telle reconnaissance.
Le droit estonien
11 Les exigences de qualification des enseignants d’école maternelle en Estonie sont fixées par le haridusministri 26. augusti 2002. aasta määrus « Koolieelse lasteasutuse pedagoogide kvalifikatsiooninõuded » (RTL 2002, 96, 1486 ; RT I, 03.09.2013, 36) (règlement du ministre de l’Éducation relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle) du 26 août 2002 (ci-après le « règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle »).
12 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement :
« L’employeur évalue l’aptitude du travailleur à occuper la fonction ainsi que la conformité aux exigences de qualification prévues par le présent règlement. [...] »
13 En vertu de l’article 18 dudit règlement, les exigences de qualification d’un enseignant d’école maternelle sont un diplôme de l’enseignement supérieur ainsi que des compétences pédagogiques. L’article 37 du même règlement prévoit que les exigences de qualification ne s’appliquent pas aux enseignants qui travaillaient en qualité d’enseignant d’école maternelle avant le 1er septembre 2013 et qui sont qualifiés ou réputés être adéquatement qualifiés pour une fonction similaire conformément aux
dispositions du règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle en vigueur avant le 1er septembre 2013.
14 À la suite de l’adhésion de la République d’Estonie à l’Union européenne le 1er mai 2004, le Vabariigi Valitsuse 6. juuni 2005. a määrus nr 120 « Eesti Vabariigi kvalifikatsioonide ja enne 20. augustit 1991. a antud endise NSV Liidu kvalifikatsioonide vastavus » (RT I 2005, 32, 241 ; RT I, 28.07.2020, 6) (règlement no 120 du gouvernement relatif à la correspondance entre les diplômes de la République d’Estonie et les diplômes de l’ex-URSS délivrés avant le 20 août 1991), du 6 juin 2005, établit
la correspondance entre les qualifications qui étaient reconnues par l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques et qui étaient attribuées avant le 20 août 1991 et les niveaux d’enseignement général et d’enseignement supérieur du système éducatif de la République d’Estonie.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 A a présenté une demande de reconnaissance de ses qualifications professionnelles d’enseignant d’école maternelle auprès de la direction de l’enseignement sur la base des documents suivants :
– une attestation relative à l’obtention du diplôme « Koolieelsete lasteasutuste kasvataja » (éducation de la petite enfance) en 1980 en République socialiste soviétique d’Estonie ;
– une attestation relative à l’obtention du diplôme « Rakenduskõrghariduse tasemele vastava hotellimajanduse eriala õppekava » (cursus spécialisé pour la gestion hôtelière correspondant à un niveau d’enseignement supérieur) en 2006 ;
– une attestation relative à l’obtention du diplôme « Ärijuhtimise magistri kraad – Turismiettevõtlus ja teeninduse juhtimine » (Master en gestion d’entreprise – Gestion du tourisme et des services) en 2013, et
– un document, intitulé « Kutsetunnistus “Õpetaja, tase 6” » (attestation professionnelle « enseignant, niveau 6 »), délivré par l’association estonienne des enseignants en 2017.
16 Par ailleurs, il est constant que A a exercé les fonctions d’enseignant d’école maternelle en République socialiste soviétique d’Estonie entre les années 1980 et 1984, puis de nouveau dans une crèche privée en Finlande au cours des années 2016 et 2017.
17 Par décision du 8 mars 2018, la direction de l’enseignement a rejeté la demande de A.
18 Par jugement du 18 avril 2019, le Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande) a rejeté le recours formé par A contre la décision de la direction de l’enseignement. Cette juridiction a considéré que les qualifications et l’expérience professionnelles de A ne remplissaient pas les conditions permettant la reconnaissance d’une qualification professionnelle en vertu de la loi relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (1384/2015).
19 A a saisi la juridiction de renvoi, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), d’un pourvoi contre ce jugement.
20 En premier lieu, la juridiction de renvoi se demande si la profession d’enseignant d’école maternelle est une « profession réglementée » en Estonie, au sens de la directive 2005/36.
21 Elle relève que plusieurs éléments paraissent indiquer que cette profession serait bien une profession réglementée en Estonie. En effet, les conditions d’aptitude requises à l’égard d’un enseignant d’école maternelle, énoncées dans le règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle, seraient l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur et la possession de compétences pédagogiques. Or, ces dernières compétences seraient attestées par un document délivré,
sur demande, par l’association estonienne des enseignants au vu du dossier du demandeur et après un entretien.
22 La juridiction de renvoi note aussi que la République d’Estonie a fait inscrire la profession d’enseignant d’école maternelle dans une base de données des professions réglementées tenue par la Commission.
23 Toutefois, d’autres éléments nourrissent les doutes de la juridiction de renvoi quant au fait que la profession d’enseignant d’école maternelle soit une profession réglementée en Estonie.
24 Elle observe que, contrairement au droit finlandais, la réglementation estonienne n’exige pas que le diplôme de l’enseignement supérieur mentionné au point 21 du présent arrêt relève du domaine de la petite enfance.
25 En outre, elle note que l’employeur recrutant un tel enseignant dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si le candidat au poste d’enseignant d’école maternelle remplit les conditions du règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle. En particulier, l’attestation portant sur les compétences pédagogiques serait facultative et ne lierait pas l’employeur. Ce dernier apprécierait de manière autonome si le candidat possède les compétences pédagogiques
requises.
26 Dès lors, selon la juridiction de renvoi, deux employeurs distincts pourraient apprécier différemment les compétences pédagogiques d’un même candidat.
27 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si la réglementation estonienne réserve effectivement l’exercice de la profession d’enseignant d’école maternelle aux personnes qui remplissent des conditions déterminées et en interdit l’accès aux autres.
28 En deuxième lieu, en se plaçant dans l’hypothèse où la profession en cause serait considérée comme réglementée en Estonie, la juridiction de renvoi se demande si l’attestation délivrée à A par l’association estonienne des enseignants en 2017, mentionnée au point 15 du présent arrêt, peut être regardée comme une attestation de compétences ou un titre de formation, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2005/36, alors que l’expérience professionnelle qu’elle homologue a été acquise
à une époque où l’État membre d’origine était une république socialiste soviétique.
29 En troisième lieu, au sujet du diplôme obtenu en 1980 par A en République socialiste soviétique d’Estonie et de l’expérience qu’elle y a acquise entre les années 1980 et 1984, la juridiction de renvoi se demande si ce diplôme et cette expérience doivent être considérés comme attestant des qualifications professionnelles acquises dans un pays tiers, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 et si, en conséquence, ces qualifications ne pourraient être reconnues qu’à la condition
que l’intéressée justifie, en outre, d’une expérience professionnelle de trois ans acquise dans l’État membre d’origine, postérieurement à sa ré-accession à l’indépendance.
30 La juridiction de renvoi relève cependant qu’une loi estonienne de 2005 a assimilé aux diplômes obtenus en Estonie après sa ré-accession à l’indépendance les diplômes obtenus en République socialiste soviétique d’Estonie.
31 Dans ces conditions, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive [2005/36], en ce sens que doit être considérée comme profession réglementée une profession pour laquelle, d’une part, les conditions d’aptitude sont définies dans un règlement adopté par le ministre de l’Enseignement d’un État membre, le contenu des compétences pédagogiques requises à l’égard d’un enseignant d’école maternelle est défini dans une norme professionnelle et cet État membre a fait inclure la profession
d’enseignant d’école maternelle dans une base de données des professions réglementées tenue par la Commission, mais pour laquelle, d’autre part, le libellé du règlement portant sur les conditions d’aptitude requises aux fins de l’exercice de cette profession confère à l’employeur un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si les conditions d’aptitude, en particulier la condition tenant à la compétence pédagogique, sont remplies, et les modalités permettant d’attester de la possession de cette
compétence pédagogique ne sont pas réglementées dans ce règlement ni dans d’autres lois, règlements ou dispositions administratives ?
2) Dans l’hypothèse dans laquelle la réponse à la première question préjudicielle serait affirmative, une attestation relative à la compétence professionnelle délivrée par l’autorité compétente de l’État membre d’origine, dont l’obtention est subordonnée à une expérience professionnelle dans la profession en cause, doit-elle être considérée comme une attestation de compétence ou un titre de formation au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2005/36, lorsque l’expérience
professionnelle sur laquelle est fondée la délivrance de cette attestation a été acquise, d’une part, dans l’État membre d’origine à une époque à laquelle celui-ci était une république socialiste soviétique et, d’autre part, dans l’État membre d’accueil, mais non dans l’État membre d’origine postérieurement à la ré-accession de celui-ci à l’indépendance ?
3) Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 en ce sens qu’une qualification professionnelle fondée sur un diplôme qui a été obtenu dans un établissement d’enseignement situé sur le territoire géographique d’un État membre à une époque à laquelle cet État membre existait non pas en tant qu’État indépendant, mais en tant que république socialiste soviétique, et sur une expérience professionnelle qui a été acquise sur la base de ce diplôme dans ladite république
socialiste soviétique antérieurement à la ré-accession à l’indépendance dudit État membre doit être considérée comme étant une compétence professionnelle acquise dans un pays tiers, de sorte que, pour se prévaloir de cette qualification professionnelle, il faudrait en outre satisfaire à la condition d’une expérience professionnelle de trois ans acquise dans l’État membre d’origine postérieurement à la ré-accession de celui-ci à l’indépendance ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations préliminaires
32 Ainsi qu’il ressort du considérant 1 de la directive 2005/36, l’objectif qu’elle poursuit est de favoriser la reconnaissance des qualifications professionnelles afin de permettre aux ressortissants des États membres d’exercer une profession, à titre salarié ou non salarié, dans un autre État membre que celui où ils ont acquis leurs qualifications professionnelles et de contribuer ainsi à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union.
33 En vertu de ses articles 1er et 2, cette directive ne s’applique que si la profession en cause est réglementée dans l’État membre d’accueil.
34 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la profession d’enseignant d’école maternelle est, en Finlande, une profession réglementée. Par conséquent, l’accès dans cet État membre à cette profession et son exercice par les ressortissants d’un autre État membre sont régis par les dispositions de la directive 2005/36.
35 Lorsque la profession concernée est également réglementée dans l’État membre d’origine, l’État membre d’accueil doit permettre, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2005/36, l’accès à cette profession ou son exercice par les ressortissants d’autres États membres dans les mêmes conditions que ses ressortissants, s’ils possèdent une attestation de compétence ou un titre de formation requis par l’État membre d’origine.
36 À l’inverse, lorsque la profession en cause n’est pas réglementée dans l’État membre d’origine, il résulte de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2005/36 que l’accès à la profession et son exercice doivent être accordés dans l’État membre d’accueil si le demandeur a exercé la profession en question à temps plein pendant une année, ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente, au cours des dix années précédentes dans un autre État membre, et s’il possède une ou plusieurs
attestations de compétences ou preuves de titre de formation délivré par l’État membre d’origine. Toutefois, l’article 13, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 2005/36 prévoit que l’exigence relative à l’expérience professionnelle ne s’applique pas lorsque le demandeur possède un titre de formation qui certifie une formation réglementée.
37 Partant, la demande de reconnaissance de ses qualifications professionnelles d’enseignant d’école maternelle présentée par A dans l’État membre d’accueil, à savoir la République de Finlande, doit être appréciée au regard des conditions posées par l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2005/36 si cette profession est réglementée dans l’État membre d’origine, à savoir la République d’Estonie, et au regard des conditions de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2005/36 si elle ne l’est
pas.
Sur la première question
38 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme une profession réglementée, au sens de cette disposition, une profession pour laquelle la réglementation nationale exige des conditions d’aptitude pour y accéder et l’exercer mais laisse aux employeurs un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si ces conditions sont remplies.
39 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36, une « profession réglementée » est une « activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ».
40 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une profession doit être considérée comme réglementée, au sens des directives 89/48 et 92/51, lorsque l’accès à l’activité professionnelle qui constitue cette profession ou l’exercice de celle-ci est régi par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives établissant un régime qui a pour effet de réserver expressément cette activité professionnelle aux personnes qui remplissent certaines conditions et d’en interdire l’accès
à celles qui ne les remplissent pas (arrêts du 1er février 1996, Aranitis, C‑164/94, EU:C:1996:23, point 19, et du 8 mai 2008, Commission/Espagne, C‑39/07, EU:C:2008:265, point 33). Eu égard aux définitions figurant dans les directives 89/48 et 92/51, et compte tenu du considérant 14 de la directive 2005/36, cette jurisprudence est applicable par analogie à la notion de « profession réglementée », au sens de cette directive.
41 En l’occurrence, il importe de constater que, en Estonie, le règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle dispose, à son article 1er, paragraphe 1, que « [l]’employeur évalue l’aptitude du travailleur à occuper la fonction ainsi que la conformité aux exigences de qualification prévues par le présent règlement ».
42 Ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé et sans que cela ait été démenti par le gouvernement estonien, l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement confère à l’employeur un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si les conditions d’aptitude requises pour accéder à la profession d’enseignant d’école maternelle, en particulier la condition tenant aux compétences pédagogiques, sont remplies, de sorte que, en vertu de ladite disposition, deux employeurs distincts pourraient apprécier
différemment la question de savoir si un même demandeur remplit lesdites conditions.
43 Certes, le gouvernement estonien a expliqué devant la Cour que, lorsqu’une attestation délivrée par l’association estonienne des enseignants est présentée à l’employeur, ce dernier n’a aucune raison de douter des compétences pédagogiques du candidat. Toutefois, ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, ce gouvernement a indiqué que la législation estonienne ne prévoit aucune règle à cet égard. Cela confirme donc la lecture que fait la juridiction de renvoi de
l’article 1er, paragraphe 1, du règlement relatif aux exigences de qualification des pédagogues d’école maternelle, selon laquelle il appartient à l’employeur d’apprécier si les conditions d’aptitude sont remplies.
44 Un tel pouvoir d’appréciation doit être distingué du pouvoir de l’employeur de recruter ou non une personne remplissant les conditions d’aptitude pour accéder à la profession considérée et de choisir entre deux candidats remplissant ces conditions.
45 La situation qui résulte d’un tel pouvoir d’appréciation est de nature à brouiller la distinction entre les personnes qui possèdent les qualifications professionnelles requises par la réglementation nationale pour l’exercice de la profession considérée et celles qui ne les possèdent pas.
46 Dans ces conditions, le droit estonien ne garantit pas que l’accès et l’exercice de la profession en cause soient réservés aux personnes qui possèdent des qualifications professionnelles déterminées.
47 Dès lors, la profession d’enseignant d’école maternelle, telle qu’elle est organisée en Estonie, ne paraît pas pouvoir être qualifiée de « profession réglementée », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36.
48 Cette appréciation n’est pas remise en cause par les circonstances que la République d’Estonie considère la profession d’enseignant d’école maternelle comme « réglementée », qu’elle a inscrit cette profession sur la liste des professions existantes réglementées communiquée à la Commission et que ladite profession est mentionnée dans la base de données des professions réglementées tenue à jour par la Commission, en application de l’article 59 de la directive 2005/36.
49 En effet, d’une part, la définition de la notion de « profession réglementée », figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36, ne renvoie pas au droit des États membres. Aussi cette notion, au sens de la directive, relève-t-elle du seul droit de l’Union (arrêt du 21 septembre 2017, Malta Dental Technologists Association et Reynaud, C‑125/16, EU:C:2017:707, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
50 Par conséquent, le fait que la République d’Estonie considère la profession d’enseignant d’école maternelle comme « réglementée » et qu’elle l’ait inscrite sur la liste des professions existantes réglementées qu’elle a communiquée à la Commission ne suffit pas à permettre de qualifier cette profession de « profession réglementée », au sens de la directive 2005/36.
51 D’autre part, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36 ne renvoie pas davantage au contenu de la base de données tenue à jour par la Commission, mentionnée au point 48 du présent arrêt. Cette dernière ne possède, dès lors, qu’une valeur indicative.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que n’est pas considérée comme une « profession réglementée », au sens de cette disposition, une profession pour laquelle la réglementation nationale exige des conditions d’aptitude pour y accéder et l’exercer mais laisse aux employeurs un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si ces conditions sont remplies.
Sur la deuxième question
53 La deuxième question est expressément posée dans l’hypothèse où la profession en cause serait réglementée dans l’État membre d’origine, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36, et où la réponse à la première question serait, en conséquence, affirmative. Compte tenu de la réponse négative apportée à la première question, il n’y a donc pas lieu de répondre à la deuxième question.
Sur la troisième question
54 La troisième question est posée dans l’hypothèse où la profession en cause ne serait pas réglementée dans l’État membre d’origine.
55 Dans cette hypothèse, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, il résulte de l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2005/36 que l’accès à la profession et son exercice doivent être permis par l’État membre d’accueil si le demandeur a exercé la profession en question à temps plein pendant une année (ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente) au cours des dix années précédentes dans un autre État membre, et qu’il possède une ou plusieurs
attestations de compétences ou preuves de titre de formation délivré par l’État membre d’origine. Toutefois, l’article 13, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 2005/36 prévoit que la condition relative à l’expérience professionnelle d’un an dans un autre État membre au cours des dix dernières années n’est pas requise si le titre de formation que possède le demandeur certifie une formation réglementée.
56 En l’occurrence, contrairement à ce que requiert l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2005/36, A n’a pas exercé la profession d’enseignant d’école maternelle dans un autre État membre que l’État membre d’accueil au cours des dix années qui ont précédé sa demande.
57 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si le diplôme d’éducation de la petite enfance obtenu par A en 1980 en République socialiste soviétique d’Estonie peut être considéré comme un titre de formation certifiant une formation réglementée, au sens de l’article 13, paragraphe 2, troisième alinéa, de la même directive.
58 En effet, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36, « [e]st assimilé à un titre de formation tout titre de formation délivré dans un pays tiers dès lors que son titulaire a, dans la profession concernée, une expérience professionnelle de trois ans sur le territoire de l’État membre qui a reconnu ledit titre conformément à l’article 2, paragraphe 2, et certifiée par celui-ci ».
59 Il s’ensuit qu’il y a lieu de considérer que, par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que cette disposition est applicable dans l’hypothèse où le titre de formation présenté à l’État membre d’accueil a été obtenu sur le territoire d’un autre État membre à une époque où cet État membre existait, non pas en tant qu’État indépendant, mais en tant que république socialiste
soviétique, et où ce titre de formation a été assimilé par ledit État membre à un titre de formation délivré dans ce dernier après sa ré-accession à l’indépendance.
60 Il ressort du libellé même de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 que cette disposition concerne tout titre de formation délivré par un pays tiers et reconnu par un État membre conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la même directive.
61 Or, il convient de relever que le diplôme obtenu par A en 1980 en République socialiste soviétique d’Estonie ne saurait être regardé comme ayant été délivré par un pays tiers, au sens de cette disposition.
62 En effet, ainsi qu’il ressort des explications fournies à la Cour par la juridiction de renvoi, ce diplôme a été assimilé par la République d’Estonie, après sa ré-accession à l’indépendance et à la suite de son adhésion à l’Union, en vertu du règlement no 120 du gouvernement, du 6 juin 2005, relatif à la correspondance entre les diplômes de la République d’Estonie et les diplômes de l’ex-URSS délivrés avant le 20 août 1991, à un diplôme obtenu en République d’Estonie postérieurement à la
ré-accession de cet État membre à l’indépendance.
63 Par conséquent, ce diplôme doit être regardé comme un titre de formation délivré par un État membre et non par un pays tiers, contrairement aux prévisions de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36.
64 Il s’ensuit que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 n’est pas applicable dans des circonstances telles que celles du litige au principal.
65 Il résulte de tout ce qui précède que l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36 doit être interprété en ce sens que cette disposition n’est pas applicable dans l’hypothèse où le titre de formation présenté à l’État membre d’accueil a été obtenu sur le territoire d’un autre État membre à une époque où cet État membre existait non pas en tant qu’État indépendant, mais en tant que république socialiste soviétique, et où ce titre de formation a été assimilé par ledit État membre à un titre
de formation délivré dans celui-ci après sa ré-accession à l’indépendance. Un tel titre de formation doit être considéré comme ayant été obtenu dans un État membre et non dans un pays tiers.
66 Il importe d’ajouter que, au vu des réponses données aux points 52 et 65 du présent arrêt, dont il résulte que la demande de reconnaissance des qualifications professionnelles ne relève pas du champ d’application de la directive 2005/36, il appartient aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, ainsi que M. l’avocat général l’a précisé aux points 90 à 93 de ses conclusions, d’examiner la situation de A au regard des dispositions des articles 45 et 49 TFUE, conformément à la
jurisprudence de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2022, Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto (Formation médicale de base), C‑634/20, EU:C:2022:149, points 38 à 46 ainsi que jurisprudence citée].
Sur les dépens
67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, telle que modifiée par la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013,
doit être interprété en ce sens que :
n’est pas considérée comme une « profession réglementée », au sens de cette disposition, une profession pour laquelle la réglementation nationale exige des conditions d’aptitude pour y accéder et l’exercer mais laisse aux employeurs un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si ces conditions sont remplies.
2) L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2005/36, telle que modifiée par la directive 2013/55,
doit être interprété en ce sens que :
cette disposition n’est pas applicable dans l’hypothèse où le titre de formation présenté à l’État membre d’accueil a été obtenu sur le territoire d’un autre État membre à une époque où cet État membre existait non pas en tant qu’État indépendant, mais en tant que république socialiste soviétique, et où ce titre de formation a été assimilé par ledit État membre à un titre de formation délivré dans celui-ci après sa ré-accession à l’indépendance. Un tel titre de formation doit être considéré
comme ayant été obtenu dans un État membre et non dans un pays tiers.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le finnois.