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26/01/2023 | CJUE | N°C-660/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procureur de la République contre K.B. et F.S., 26/01/2023, C-660/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 26 janvier 2023 ( 1 )

Affaire C‑660/21

Procureur de la République

Procédure pénale

contre

K.B.,

F.S.

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Article 82, paragraphe 2, TFUE – Principes de confiance et de reconnai

ssance mutuelle – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Droit d’être informé de son droit de garder le silence – Directive 2012/...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 26 janvier 2023 ( 1 )

Affaire C‑660/21

Procureur de la République

Procédure pénale

contre

K.B.,

F.S.

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Article 82, paragraphe 2, TFUE – Principes de confiance et de reconnaissance mutuelle – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Droit d’être informé de son droit de garder le silence – Directive 2012/13/UE – Articles 3 et 4 – Droits de la défense – Protection juridictionnelle effective – Jurisprudence nationale interdisant au juge pénal de relever d’office une
violation des droits procéduraux tirés du droit de l’Union – Autonomie procédurale des États membres – Principes d’équivalence et d’effectivité »

1. « Unis dans la diversité », telle est la devise de l’Union européenne ( 2 ) et tels sont les termes du défi qu’elle doit relever dans sa construction, tant l’équilibre entre ces deux pôles peut être difficile à trouver. Il en va ainsi dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, laquelle renvoie traditionnellement à la souveraineté nationale, et plus particulièrement de la procédure pénale, considérée à juste titre comme l’« un des domaines pénaux parmi les plus enracinés dans
les traditions juridiques ou la culture juridique des États, voire dans leurs traditions culturelles ou leur culture tout court » ( 3 ).

2. La présente affaire concerne précisément le sujet délicat de la mission du juge pénal lors de la phase de jugement, la Cour devant répondre à la question suivante : est-il de l’office du juge de relever un vice de procédure tiré de la violation du droit de la personne poursuivie d’être informée de son droit de garder le silence ?

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. Sont pertinents dans le cadre de la présente affaire l’article 82, paragraphe 2, TFUE, les articles 3, 4 et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13/UE ( 4 ), l’article 47 et l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

Le droit français

4. L’article 63‑1 du code de procédure pénale (ci-après le « CPP) prévoit :

« La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu au treizième alinéa :

1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l'objet ;

2° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6° de l'article 62-2 justifiant son placement en garde à vue ;

3° Du fait qu'elle bénéficie :

– du droit de faire prévenir un proche et son employeur ainsi que, si elle est de nationalité étrangère, les autorités consulaires de l'État dont elle est ressortissante, et, le cas échéant, de communiquer avec ces personnes, conformément à l'article 63-2 ;

– du droit d'être examinée par un médecin, conformément à l'article 63‑3 ;

– du droit d'être assistée par un avocat, conformément aux articles 63‑3‑1 à 63‑4‑3 ;

– s'il y a lieu, du droit d'être assistée par un interprète ;

– du droit de consulter, dans les meilleurs délais et au plus tard avant l'éventuelle prolongation de la garde à vue, les documents mentionnés à l'article 63‑4‑1 ;

– du droit de présenter des observations au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention, lorsque ce magistrat se prononce sur l'éventuelle prolongation de la garde à vue, tendant à ce qu'il soit mis fin à cette mesure. Si la personne n'est pas présentée devant le magistrat, elle peut faire connaître oralement ses observations dans un procès-verbal d'audition, qui est communiqué à celui-ci avant qu'il ne statue sur la prolongation de la mesure ;

– du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.

Si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate.

Mention de l'information donnée en application du présent article est portée au procès-verbal de déroulement de la garde à vue et émargée par la personne gardée à vue. En cas de refus d'émargement, il en est fait mention.

En application de l'article 803‑6, un document énonçant ces droits est remis à la personne lors de la notification de sa garde à vue. »

5. L’article 385, premier alinéa, du CPP prévoit :

« Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction. »

6. Aux termes de l’article 802 de ce code :

« En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. »

Les faits à l’origine du litige, les procédures au principal et la question préjudicielle

7. Dans la soirée du 22 mars 2021, des agents de police judiciaire ont constaté la présence suspecte sur un parking d’entreprise de deux individus tentant de se dissimuler à leur vue. Les agents ont observé que le réservoir d’un poids lourd stationné sur ce parking était ouvert et que des jerricans se trouvaient à proximité. À 22 h 25, ils ont, dans le cadre d’une enquête de flagrance pour des faits de vol de carburant, procédé à l’interpellation des deux suspects, K.B. et F.S, lesquels ont été
menottés pour prévenir toute tentative de fuite.

8. Après avoir interrogé K.B. et F.S., les agents de police ont avisé un officier de police judiciaire, qui a demandé la présentation immédiate des deux personnes interpellées aux fins de leur placement en garde à vue.

9. Ces agents ont ensuite fait appel à un autre officier de police, qui s’est présenté sur les lieux à 22 h 40 et a procédé à la fouille du véhicule de K.B. et F.S. Cet officier leur a également posé des questions, auxquelles ceux-ci ont répondu. Lors de la fouille du véhicule, des éléments à charge ont été découverts, tels que des bouchons, un entonnoir et une pompe électrique.

10. À 22 h 50, le procureur de la République a été avisé du placement en garde à vue de F.S. et de K.B., lesquels se sont vu notifier leurs droits, respectivement, à 23 heures et 23 h 06.

11. La juridiction de renvoi, appelée à juger K.B. et F.S. pour des infractions de vol de carburant en réunion, constate que des actes d’investigation ont été effectués et des propos auto-incriminants recueillis avant que K.B. et F.S. ne se soient vu notifier leurs droits, tels que prévus aux articles 3 et 4 de la directive 2012/13. Compte tenu du caractère tardif du placement en garde à vue, de l’avis au procureur de la République et de la notification des droits, notamment du droit de se taire, la
fouille du véhicule, la garde à vue des suspects et tous les actes qui en découlent devraient, en principe, être annulés.

12. La juridiction de renvoi indique à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (France), sauf circonstance insurmontable, tout retard tant dans la notification aux personnes interpellées de leurs droits que dans l’information du procureur de la République constitue un motif de nullité de la mesure de garde à vue de ces personnes.

13. Toutefois, la Cour de cassation aurait également décidé que les juridictions de jugement n’ont pas le droit de soulever d’office une exception de nullité de la procédure, à l’exception de l’incompétence, du fait qu’il est loisible au prévenu, lequel dispose du droit d’être assisté d’un avocat lorsqu’il comparaît ou est représenté devant une juridiction de jugement, de soulever une telle nullité, ce prévenu possédant la même faculté en appel s’il n’a pas comparu ou s’il n’a pas été représenté en
première instance ( 5 ).

14. Or, lors de l’audience de jugement de K.B. et F.S., leurs conseils respectifs n’ont pas soulevé d’exception de nullité de procédure.

15. Selon la juridiction de renvoi, il découlerait de cette jurisprudence de la Cour de cassation que ce n’est pas le juge pénal qui assure la primauté et l’effet utile du droit de l’Union pour le justiciable, mais son avocat. De ce fait, dans les affaires de petite délinquance et/ou pour les justiciables qui ne sont pas assistés par un avocat, le juge ne pourrait pas assurer l’effectivité du droit de l’Union en constatant, le cas échéant, d’office la violation de ce dernier.

16. À cet égard, la juridiction de renvoi fait état de la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en l’absence de règles de l’Union en la matière, comme en l’espèce, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations
similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité). Or, dans l’arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck ( 6 ), la Cour a jugé que le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une règle de procédure nationale qui interdit au juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, d’apprécier d’office la compatibilité d’un acte de
droit interne avec une disposition de l’Union, lorsque cette dernière n'a pas été invoquée dans un certain délai par le justiciable.

17. En outre, la juridiction de renvoi se réfère à la jurisprudence de la Cour dans le domaine de la protection du consommateur, dans laquelle celle-ci a conclu à l’existence d’une obligation du juge national d’examiner d’office la violation de la directive 93/13/CEE ( 7 ), dans la mesure où un tel examen permet d’aboutir aux résultats prescrits par cette directive. Cette jurisprudence reconnaîtrait au juge national son statut d’autorité d’un État membre ainsi que son obligation corrélative d’acteur
à part entière du processus de transposition des directives, dans un contexte spécifique caractérisé par l’infériorité d’une partie à la procédure. Or ce raisonnement relatif au consommateur pourrait tout à fait être transposé au prévenu en matière pénale, ce dernier n’étant pas nécessairement assisté par un avocat pour faire valoir ses droits.

18. La juridiction de renvoi souligne que, si la Cour décidait que l’interdiction de la constatation d’office de la violation d’une disposition nationale visant à transposer une directive est contraire au droit de l’Union, le juge national pourrait s’assurer de l’effectivité de ce dernier, et ce même lorsque le justiciable n’a pas d’avocat ou lorsque celui-ci n’a pas relevé de violation du droit de l’Union. En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que, si elle peut soulever d’office la
notification tardive du droit de garder le silence, elle pourra annuler les actes déterminants pour établir la culpabilité des prévenus, à savoir la fouille du véhicule et les propos auto-incriminants recueillis, de même que la garde à vue ainsi que les actes qui en découlent.

19. Dans ces conditions, le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« Les articles 3 (Droit d’être informé de ses droits) et 4 (Déclaration des droits lors de l’arrestation) de la [directive 2012/13], l’article 7 (Droit de garder le silence) de la [directive (UE) 2016/343], lus ensemble avec l’article 48 (Présomption d’innocence et droits de la défense) de la [Charte], doivent-ils être interprétés en ce qu’ils s’opposent à l’interdiction faite au juge national de relever d’office une violation des droits de la défense tels qu’ils sont garantis par [ces
directives] , et plus particulièrement en ce qu’il lui est interdit de relever d’office, aux fins d’annulation de la procédure, l’absence de notification du droit de se taire au moment de l’arrestation ou une notification tardive du droit de se taire ? »

La procédure devant la Cour

20. Les parties défenderesses au principal, les gouvernements français et irlandais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites et présenté des observations orales lors de l’audience du 20 septembre 2022.

Analyse

21. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 4 de la directive 2012/13 ainsi que l’article 7 de la directive 2016/343 ( 8 ), lus à la lumière de l’article 48 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique judiciaire interdisant au juge pénal chargé d’apprécier la culpabilité de la personne poursuivie de relever d’office, aux fins d’annulation de la procédure ( 9 ), la violation du droit d’être informée de son droit de
garder le silence.

Sur l’applicabilité de la directive 2012/13

22. Au cours de l’audience a été soulevée la question de l’applicabilité de la directive 2012/13 au regard des termes de son article 2, paragraphe 1, selon lequel celle-ci s’applique « dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre ». Cette formulation serait de nature à exclure l’application ratione temporis de cette directive pour toute situation
antérieure à la notification officielle de cette information.

23. Il y a lieu de rappeler que la directive 2012/13 a pour objet, selon son article 1er, de définir des règles minimales concernant les droits dont bénéficient les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, notamment celui d’être informés de leurs droits. Le champ d’application de cette directive est défini à son article 2. L’article 3 de ladite directive prévoit que « [l]es États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent
rapidement des informations concernant [...] les droits procéduraux [...] de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits ».

24. Comme le mentionne le considérant 19 de la directive 2012/13, le droit d’être informé de ses droits vise à préserver l’équité de la procédure pénale et à garantir l’effectivité des droits de la défense, dès les premières étapes de cette procédure. En effet, ainsi qu’il résulte du point 24 de la proposition de directive de la Commission, du 20 juillet 2010 [COM(2010) 392 final], à l’origine de la directive 2012/13, la période qui suit immédiatement la privation de liberté présente le plus grand
risque d’extorsion abusive de confessions, de telle sorte qu’« il est essentiel que toute personne soupçonnée ou poursuivie soit rapidement informée de ses droits, c’est-à-dire sans délai après son arrestation et de la façon la plus efficace possible ». Le considérant 19 de la directive 2012/13 souligne en outre que le droit d’être informé de ses droits doit être mis en œuvre « au plus tard avant le premier interrogatoire officiel du suspect ou de la personne poursuivie par la police », une
déclaration écrite contenant des informations sur les droits procéduraux applicables devant être fournie « rapidement », conformément au considérant 22 de cette directive, en cas d’arrestation ou de détention de la personne concernée ( 10 ).

25. Il découle de ces éléments que les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale doivent être informées de leurs droits le plus rapidement possible à partir du moment où les soupçons dont elles font l’objet justifient, dans un contexte autre que l’urgence, que les autorités compétentes restreignent leur liberté au moyen de mesures de contrainte et, au plus tard, avant leur premier interrogatoire officiel par la police ( 11 ). La communication des droits devant donc intervenir, pour
pouvoir être effective, à un stade précoce de la procédure, la Cour a jugé que l’information par les autorités compétentes d’un État membre des personnes concernées qu’elles sont soupçonnées ou poursuivies pour avoir commis une infraction pénale est possible par notification officielle ou « par tout autre moyen » ou « quel qu’en soit le mode », le moyen par lequel une telle information parvient à ces personnes étant sans incidence ( 12 ).

26. En outre, il importe de souligner que, conformément au considérant 14 de la directive 2012/13, cette dernière s’appuie sur les droits énoncés dans la Charte, et notamment ses articles 6, 47 et 48, en développant les articles 5 et 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), et que le terme
« accusation » dans cette directive est utilisé pour décrire le même concept que le terme « accusation » employé à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. À cet égard, il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne est officiellement inculpée par les autorités compétentes ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre elle ont des répercussions importantes sur sa situation. Ainsi, notamment, une personne qui a été arrêtée parce qu’elle est
soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale peut être considérée comme étant « accusée d’une infraction pénale » et prétendre à la protection de l’article 6 de la CEDH ( 13 ). En particulier, tout « accusé », au sens de cet article, a le droit d’être informé de son droit de garder le silence ( 14 ).

27. Or il résulte de la décision de renvoi que, dans la soirée du 22 mars 2021, l’attention des policiers a été attirée par la présence de deux individus sur un parking d’entreprise, s’affairant autour d’un camion dont le réservoir était ouvert, avec des jerricans à proximité, et tentant de se dissimuler à leurs yeux, situation ayant conduit à l’interpellation et au menottage des intéressés. Par ces actes coercitifs univoques, il a été porté à la connaissance de ces derniers qu’ils étaient suspectés
d’avoir commis une infraction pénale, en l’occurrence un vol de carburant, ce qui détermine l’application de la directive 2012/13. Partant et conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 2012/13, les deux individus concernés avaient le droit d’être informés rapidement de leurs droits et, notamment, de celui de garder le silence.

28. Je relève, enfin, que l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13, évoquée au point 22 des présentes conclusions, reviendrait à faire de la notification tardive et donc irrégulière des droits prévus un motif de sa non-application, ce qui n’est pas, logiquement et juridiquement, acceptable.

Sur la portée de la demande de décision préjudicielle

29. Il me semble nécessaire, en premier lieu, de s’interroger quant au sens exact de la question préjudicielle eu égard à sa formulation. Il ressort de cette dernière que la juridiction de renvoi semble limiter son interrogation à la seule problématique d’une incompatibilité avec le droit de l’Union de l’interdiction prétorienne nationale du relevé d’office, en contradiction avec le souhait de cette juridiction de pouvoir exercer une telle compétence. Ainsi, la question préjudicielle dont se trouve
saisie la Cour ne porterait pas sur l’existence d’une éventuelle obligation de relevé d’office imposée au juge national par le droit de l’Union dans les circonstances de l’affaire au principal.

30. Cette acception de la question préjudicielle me paraît sujette à caution, dans la mesure où la juridiction nationale fait explicitement référence, dans la décision de renvoi, à la jurisprudence de la Cour concluant à l’existence d’un « devoir » pour le juge national d’examiner d’office la violation du droit de l’Union dans le domaine de la protection du consommateur contre les clauses abusives. Il est clair que cette juridiction considère que la jurisprudence susmentionnée doit trouver à
s’appliquer dans l’affaire au principal eu égard à l’assimilation des prévenus aux consommateurs, compte tenu de leur position commune d’infériorité dans les procédures concernées. À cet égard, il est symptomatique d’observer que tant les parties défenderesses au principal que les gouvernements français et irlandais ainsi que la Commission ont intégré, dans leurs observations, des éléments de réponse quant à l’existence d’une obligation de relevé d’office issue du droit de l’Union, question qui
me semble, en effet, difficile d’écarter purement et simplement en l’état de la décision de renvoi.

31. Il convient de relever, en second lieu, que le droit de l’Union envisage le droit de garder le silence des suspects ou des personnes poursuivies dans deux instruments juridiques distincts, à savoir la directive 2012/13 et la directive 2016/343. La première, à ses articles 3 et 4, prévoit l’existence du droit d’être informé et du droit de garder le silence alors que la seconde, à son article 7, consacre ce dernier en tant que droit substantiel avec celui de ne pas s'incriminer soi-même, décrits
tous les deux comme des aspects de la présomption d'innocence. Selon les considérants 26 et 27 de la directive 2016/343, le droit de garder le silence et le droit de ne pas s'incriminer soi-même s'appliquent à propos de questions concernant l'infraction pénale reprochée et impliquent que les autorités compétentes ne doivent pas contraindre les suspects ou les personnes poursuivies à fournir des informations si ces personnes ne souhaitent pas le faire, le second considérant renvoyant à
l’interprétation donnée par la Cour EDH ( 15 ).

32. Cette juridiction considère que le droit de ne pas témoigner contre soi-même concerne au premier chef le respect de la volonté d’un accusé de garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou l’oppression, au mépris de la volonté de l’accusé. La raison d’être de ces droits tient notamment à la protection de l’accusé contre une coercition abusive de la part des
autorités, ce qui permet d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la CEDH ( 16 ). Ainsi, l’article 7 de la directive 2016/343 et l’article 6 de la CEDH partagent une même acception desdits droits, soit une protection, à l’occasion des interrogatoires, contre l’obtention de preuves par la contrainte, en dépit de l’expression préalable de la volonté du suspect de garder le silence.

33. Je relève que, eu égard aux faits de l'affaire au principal, tels qu'ils ressortent de la décision de renvoi, n’est donc pas directement en cause la substance du droit de garder le silence consacré à l’article 7 de la directive 2016/343 visé dans la question préjudicielle et décrit ci-dessus. La problématique soulevée par la présente affaire a pour contexte le fait que la notification aux suspects de leur droit de garder le silence a été effectuée tardivement en violation des articles 3 et 4 de
la directive 2012/13, transposés dans le droit national, prévoyant qu’une telle information doit intervenir rapidement. Dans ces circonstances, l’article 7 de la directive 2016/343 n’apparaît pas pertinent aux fins de la réponse que la Cour est appelée à fournir en l’espèce.

34. En outre, il ressort de la décision de renvoi que l’affaire au principal concerne l’existence d’une voie de recours effective, telle que prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13, qui exige que « les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester, conformément aux procédures nationales, le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à la présente directive ».

35. Partant, il convient de constater ( 17 ), d’une part, que ce sont en particulier les articles 3 et 4 de la directive 2012/13 ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de cette dernière qui sont en cause dans l’affaire au principal et, d’autre part, que ces dispositions concrétisent les droits fondamentaux à un procès équitable et au respect des droits de la défense, tels qu’ils sont consacrés notamment à l’article 47 et à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et doivent être interprétés à la
lumière de ces derniers ( 18 ). À cet égard, il ressort des explications relatives à la Charte – lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation – que les articles 47 et 48 de la Charte assurent, dans le droit de l’Union, la protection conférée par les articles 6 et 13 de la CEDH ( 19 ). La Cour doit, dès lors, veiller à ce que l’interprétation qu’elle
effectue de ces articles de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti aux articles 6 et 13 de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour EDH ( 20 ).

36. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 4 de la directive 2012/13 ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de celle-ci, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une disposition nationale empêchant le juge, lors de la phase de jugement non précédée d’une instruction préparatoire ( 21 ), de relever d’office la
violation du droit de la personne poursuivie d’être informée de son droit de garder le silence, constitutive d’une exception de nullité de procédure, et, dans l’affirmative, si le droit de l’Union reconnaît au juge national la faculté ou lui impose l’obligation de relever d’office une telle violation.

37. La réponse à cette question implique, selon moi, que l’interprétation des dispositions de la directive 2012/13 s’effectue également en tenant compte des limites inhérentes à la base juridique sur laquelle cette directive a été adoptée.

Sur la base juridique de la directive 2012/13

38. En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 67 TFUE énonce que « [l]’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ». L’article 82, paragraphe 2, TFUE, qui relève de la troisième partie, titre V, chapitre 4 (intitulé « Coopération judiciaire en matière pénale »), de ce traité, dispose que « [d]ans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la
reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres ».

39. L’article 82, paragraphe 2, sous b), TFUE, qui constitue la base juridique de la directive 2012/13, ne permet que l’établissement de règles minimales en matière de « droits des personnes » dans la procédure pénale, cette directive ne pouvant donc contenir de dispositions déterminant la juridiction compétente pour connaître des violations alléguées des droits substantiels reconnus dans celle-ci, ni la nature et l’étendue du contrôle juridictionnel, à défaut d’attribution de compétence au
législateur de l’Union sur ce point ( 22 ).

40. Partant, la directive 2012/13 participe à l’établissement d’une harmonisation minimale des procédures pénales dans l’Union et ne saurait être interprétée comme étant un instrument complet et exhaustif. Elle laisse les États membres libres, ainsi que le précise son considérant 40, d’étendre les droits qu’elle prévoit, afin d’assurer également un niveau de protection plus élevé dans des situations qui ne sont pas explicitement envisagées par celle-ci, le niveau de protection ne devant jamais être
inférieur aux normes établies par la CEDH, telles qu’elles sont interprétées par la jurisprudence de la Cour EDH ( 23 ).

41. Ainsi que le souligne à juste titre la Commission, les dispositions de droit primaire susmentionnées visent à préserver les particularités des procédures pénales nationales et impliquent que l’interférence du droit de l’Union avec les règles régissant ces procédures soit limitée, ce qui me paraît difficilement compatible avec une interprétation par la Cour de la directive 2012/13 concluant à une possibilité, voire à une obligation, pour le juge national de relever d’office, lors de la phase de
jugement non précédée d’une instruction préparatoire, la violation des droits procéduraux reconnus par celle-ci.

42. Il convient, en second lieu, de rappeler que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme cela est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et donc dans le respect du droit
de l’Union qui les met en œuvre. Tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose sur le premier, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures ( 24 ).

43. À cet égard, il ressort des considérants 3, 4, 10 et 14 de la directive 2012/13 que celle-ci tend, par l’édiction de règles minimales communes encadrant le droit à l’information dans les procédures pénales, à renforcer la confiance mutuelle entre les États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale afin de faciliter la reconnaissance des décisions en matière pénale. Comme l’énonce le considérant 4 de la directive 2012/13, « [l]a reconnaissance mutuelle des décisions pénales ne peut
être efficace que dans un climat de confiance, au sein duquel non seulement les autorités judiciaires, mais aussi tous les acteurs de la procédure pénale considèrent les décisions des autorités judiciaires des autres États membres comme équivalentes aux leurs, ce qui implique une confiance mutuelle en ce qui concerne non seulement le caractère approprié des règles des autres États membres, mais aussi l’application correcte de ces règles ».

44. Il y a lieu d’ajouter que le principe de confiance mutuelle entre les États membres impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit. Ainsi, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres peuvent être tenus, en vertu de ce
droit, de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de sorte qu’il ne leur est pas possible non seulement d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union, mais également, sauf dans des cas exceptionnels, de vérifier si cet autre État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux garantis par l’Union ( 25 ).

45. Cette jurisprudence traduit une présomption de confiance réciproque dans les systèmes nationaux de protection des droits fondamentaux, qui ne peut être renversée que dans des hypothèses extrêmement restreintes comme devant caractériser des « circonstances exceptionnelles ». Ladite jurisprudence a vocation à s’appliquer à l’ensemble des instruments de droit dérivé portant sur l’exécution des décisions de condamnation pénale infligeant une peine, à savoir la décision-cadre 2002/584/JAI ( 26 ), la
décision-cadre 2008/909/JAI ( 27 ) et la décision-cadre 2008/675/JAI ( 28 ).

46. Outre la préservation des spécificités des systèmes juridiques nationaux et la présomption d’équivalence de ces derniers dans la protection des droits fondamentaux, la problématique juridique soulevée par la juridiction de renvoi doit aussi être examinée au regard du principe de l’autonomie procédurale des États membres, laquelle est encadrée par le nécessaire respect des exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité ( 29 ).

Sur l’autonomie procédurale encadrée des États membres

47. Il est constant que les droits que K.B. et F.S. tirent de l’article 3, paragraphe 1, sous e), et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2012/13 ont été violés dans le cadre de la procédure pénale en cause au principal. L’obligation imposée par ces dispositions aux autorités nationales d’informer les suspects et les personnes poursuivies de leur droit de garder le silence revêt une importance essentielle pour la garantie effective de ces droits et, ainsi, pour le respect de l’article 47 et
de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte. En effet, en l’absence de cette information, la personne concernée ne pourrait connaître l’existence et la portée desdits droits ni en réclamer le respect, de sorte qu’elle serait dans l’impossibilité d’exercer pleinement ses droits de la défense et de bénéficier d’un procès équitable ( 30 ). Il importe, toutefois, de rappeler que, dans le cas présent, les deux individus interpellés se sont bien vu notifier leurs droits mais avec retard, ce qui
aboutit à la conclusion d’une violation de ces droits, le retard n’étant justifié par aucune circonstance insurmontable ( 31 ).

48. S’agissant des conséquences de cette violation, il résulte des observations du gouvernement français que le droit national distingue les nullités d’ordre public, concernant l’organisation, la composition et les compétences des juridictions, et les nullités d’ordre privé, établies dans l’intérêt des parties. Ces dernières ne sont sanctionnées que si l’existence d’un grief aux intérêts de celui qui les invoque est démontrée, à l’exception de certaines garanties particulièrement importantes, telles
que celle de garder le silence, dont la violation est considérée comme faisant nécessairement grief, et ne peuvent être relevées d’office par le juge. Cette dernière règle résulte de l’interprétation donnée par la Cour de cassation de l’article 385, premier alinéa, du CPP.

49. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13 impose aux États membres de veiller à ce que, conformément aux procédures prévues par le droit national, les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient le droit de contester le fait éventuel que les autorités compétentes ne fournissent pas ou refusent de fournir des informations conformément à cette directive. Ainsi, le législateur de l’Union a laissé aux États membres le soin de décider
de la nature et des modalités concrètes des voies de recours dont disposent les intéressés ainsi que des conséquences devant découler d’une violation des droits prévus à la directive 2012/13.

50. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres, de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. À ce titre, conformément au principe de coopération loyale désormais
consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité). Ces exigences d’équivalence et
d’effectivité expriment l’obligation générale pour les États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, y compris les droits de la défense ( 32 ).

Sur le principe d’équivalence

51. S’agissant du principe d’équivalence, rien dans le dossier dont dispose la Cour ne fait apparaître, a priori, que ce principe serait méconnu par l’application de l’article 385, premier alinéa, du CPP dans le cas d’une violation des droits issus de la directive 2012/13. En effet, cet article, tel qu’interprété dans la pratique judiciaire incriminée, régit les conditions dans lesquelles une nullité de procédure peut être invoquée devant le tribunal correctionnel, indépendamment de la question de
savoir si cette nullité résulte de la méconnaissance d’un droit individuel qui trouve son fondement dans des dispositions du droit national ou dans des dispositions du droit de l’Union ( 33 ).

Sur le principe d’effectivité

52. Pour ce qui concerne le principe d’effectivité, il importe de rappeler que le droit de l’Union n’a pas pour effet de contraindre les États membres à instituer des voies de droit autres que celles établies par le droit interne, à moins, toutefois, qu’il ne ressorte de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours juridictionnelle permettant, fût-ce de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, ou
que la seule voie d’accès à un juge revient à contraindre les justiciables d’enfreindre le droit ( 34 ).

53. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que chaque cas, dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union, doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu
de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure ( 35 ).

54. Selon les termes de cette jurisprudence, l’appréciation du respect du principe d’effectivité exige non pas l’analyse de l’ensemble des voies de droit existant dans un État membre, mais une analyse contextualisée de la disposition dont il est prétendu qu’elle porte atteinte à ce principe, ce qui peut impliquer l’analyse d’autres dispositions procédurales qui sont applicables dans le cadre de la voie de recours dont le caractère effectif est mis en doute ou celle de voies de recours ayant le même
objet que cette dernière ( 36 ). La Cour considère que les arrêts rendus ne sont donc que le résultat d'appréciations au cas par cas, portées en considération de l'ensemble du contexte factuel et juridique propre à chaque affaire, qui ne sauraient être transposées automatiquement dans des domaines différents de ceux dans le cadre desquels elles ont été émises ( 37 ).

55. Il me semble important de souligner la difficulté que représente une telle appréciation au regard du mode de saisine de la Cour, en l’occurrence le renvoi préjudiciel. Dans ce cadre, il y a lieu, en effet, de se référer prioritairement à la décision de renvoi pour connaître de la réglementation nationale applicable, information complétée, dans l’hypothèse du caractère lacunaire de cette décision comme en l’espèce, par les observations écrites des parties intéressées ainsi que, le cas échéant,
par les termes des débats lors de l’audience. En l’espèce, la contextualisation requise me semble devoir inclure plusieurs dispositions du droit national.

56. S’agissant, en premier lieu, du rôle du ministère public en France, le gouvernement français fait valoir qu’il résulte des dispositions pertinentes du CPP ( 38 ) que celui-ci a pour mission de concilier la défense des intérêts généraux de la société, en poursuivant les infractions à la loi pénale, et le respect des libertés individuelles, en étant gardien des droits des justiciables tout au long de la procédure. S’il est vrai que l’interprétation des dispositions concernées de la
directive 2012/13 n’implique pas, à strictement parler, une appréciation de la notion d’« autorité judiciaire », il importe néanmoins de souligner le caractère très controversé d’une telle qualification en ce qui concerne le ministère public français.

57. Appelée à se prononcer sur la capacité de celui-ci à contrôler valablement les mesures de garde à vue au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la CEDH, selon lequel « [t]oute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », la Cour de cassation, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour EDH ( 39 ), a jugé que le ministère public, ne présentant pas les garanties d’indépendance et
d’impartialité et étant partie poursuivante, n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article précité ( 40 ). Au contraire, le Conseil constitutionnel (France) a toujours considéré que l’autorité judiciaire qui assure le respect de la liberté individuelle comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet et que le contrôle des 48 premières heures de garde à vue par le ministère public n’est pas contraire à la Constitution ( 41 ). Ajoutons à cela que, si le ministère public français
s’est vu reconnaître par la Cour la qualité d’autorité judiciaire, c’est exclusivement dans le cadre spécifique de l’émission d’un mandat d’arrêt européen, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584. La Cour a estimé que les membres du parquet, qui, en France, ont la qualité de magistrats, agissent de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un tel mandat ( 42 ).

58. Au-delà du relativisme juridique quant à la définition d’une autorité judiciaire, y compris au sein d’un même État, et du constat corrélatif de la difficulté objective qui en ressort quant à l’appréhension d’un système juridique national, il me semble difficile, dans ce contexte, de considérer que le contrôle préventif effectué par le ministère public français, en l’occurrence défaillant, est de nature à assurer, à lui seul, l’effectivité de la protection garantie par la directive 2012/13.

59. Il ressort, en deuxième lieu, des observations écrites et orales du gouvernement français que le droit à un avocat est garanti tout au long de la procédure pénale ( 43 ), ce qui au demeurant ne fait pas débat dans la présente affaire, et se trouve facilité par les dispositifs d’aide juridictionnelle, permettant aux personnes sans ressources ou ayant des revenus modestes d’obtenir la prise en charge totale ou partielle par l’État des frais de procédure dont les honoraires d’avocat, et de
commission d’office, par lequel un avocat désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats ou par le président de juridiction afin d’assister un justiciable dans le cadre d’une procédure pénale, soit à la demande du justiciable, parce qu’il n’en a pas ou n’a pas eu le temps d’en choisir un, soit parce que la procédure exige la présence d’un avocat et que le justiciable n’en a pas.

60. S’agissant du rôle de l’avocat, je relève que, à l'issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté, l'avocat peut présenter des observations écrites, qui sont jointes à la procédure, et les adresser au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue. Or l'avocat peut, notamment, consulter le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, ce qui lui permet
d’en vérifier le respect, y compris dans la dimension temporelle ( 44 ).

61. Lors de l’audience de jugement sur le fond ( 45 ), la présence d’un avocat est rendue obligatoire pour certaines procédures, telles que celles de comparution immédiate comportant un jugement à délai très rapproché après les faits incriminés, sur reconnaissance préalable de culpabilité, devant la cour d’assises (France) qui juge les crimes et dans toutes les procédures pénales concernant un mineur. Quand l'avocat n'est pas obligatoire, la personne poursuivie peut, à son initiative, être assistée
ou représentée par un avocat de son choix ou demander un avocat commis d’office, le cas échéant le jour même de l’audience. Il convient de rappeler que, si l’exception de nullité de procédure n’a pas été soulevée en première instance par un prévenu non comparant ou non représenté, il possède la même faculté en cause d’appel.

62. Il importe de souligner, en troisième lieu, que l’article préliminaire du CPP comprend un alinéa selon lequel, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. En outre et surtout, depuis une loi du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 31 décembre de la même année, l’article susvisé comprend un nouvel alinéa selon
lequel, « [e]n matière de crime ou de délit, le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés est notifié à toute personne suspectée ou poursuivie avant tout recueil de ses observations et avant tout interrogatoire, y compris pour obtenir des renseignements sur sa personnalité ou pour prononcer une mesure de sûreté, lors de sa première présentation devant un service d’enquête, un magistrat, une juridiction ou toute personne ou tout service mandaté par l’autorité judiciaire. Aucune
condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites sans que ledit droit ait été notifié ».

63. Ces dispositions sont essentielles en ce qu’elles permettent de remédier automatiquement à la méconnaissance du droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits prévus par la directive 2012/13, s’agissant particulièrement des droits à l’assistance d’un avocat et de garder le silence, en « neutralisant » les déclarations des intéressés irrégulièrement recueillies lors de la phase d’enquête aux fins de l’appréciation de leur responsabilité pénale.

64. En quatrième lieu, s’il est constant que la formation de jugement n’a pas le pouvoir de relever d’office la nullité des procès-verbaux non régulièrement établis, elle doit tirer de l’irrégularité constatée un défaut de force probante de ceux-ci. Ainsi, l’article 429 du CPP, évoqué lors de l’audience, prévoit que tout procès-verbal ou rapport n’a de valeur probante que s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa
compétence ( 46 ). Aucune force probante ne s’attache aux actes irréguliers. La juridiction de renvoi devrait donc écarter les pièces de procédures irrégulières en leur déniant toute valeur probatoire, étant observé que la déchéance de la force probante d’un procès-verbal ne procède pas de son annulation. Elle pourrait, en fonction de son appréciation des éléments du dossier demeurant valables, décider d’après son intime conviction de relaxer, le cas échéant, les deux prévenus. Force est de
constater que cette disposition permet d’exclure des informations et des éléments de preuve obtenus en méconnaissance des prescriptions du droit de l’Union, en l’occurrence des articles 3 et 4 de la directive 2012/13. L’irrégularité constatée ne reste donc pas sans remède ( 47 ).

65. Il apparaît ainsi que l’existence, dans l’ordre juridique français, de telles règles procédurales garantit l’effectivité du droit de l’Union et que l’interdiction faite à la juridiction de renvoi de relever d’office une exception de nullité de procédure tirée de la notification tardive aux deux prévenus de leur droit de garder le silence, motif de nullité d’ordre privé, ne méconnaît pas le principe d’effectivité, dans la mesure où cette règle n’est pas, par elle-même, de nature à rendre
pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les suspects ou les personnes poursuivies tirent de l’article 3, paragraphe 1, sous e), et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2012/13, lus en combinaison avec l’article 8, paragraphe 2, de cette dernière.

66. Cette conclusion ne saurait être remise en cause au regard de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte. À cet égard, il suffit d’observer que, lorsque les justiciables disposent, dans le domaine du droit de l’Union concerné, d’une voie de recours juridictionnelle permettant d’assurer le respect des droits qu’ils tirent du droit de l’Union, ce qui paraît être le cas dans l’ordre juridique français, une règle de droit national qui empêche la juridiction de jugement de soulever
d’office une exception de nullité de procédure au titre de la violation de dispositions protégeant l’intérêt privé de ces personnes ne saurait s’analyser comme une limitation, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, du droit à un recours effectif et à un procès équitable ni des droits de la défense garantis respectivement par l’article 47 et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte ( 48 ).

67. L’interprétation ainsi proposée du droit de l’Union me paraît compatible avec la jurisprudence de la Cour et de la Cour EDH concernant la question du relevé d’office.

Sur la jurisprudence européenne en matière de relevé d’office

Sur la jurisprudence de la Cour

68. Dans les contentieux civil et administratif, la Cour a considéré que le droit de l’Union, et en particulier le principe d’effectivité, ne requiert pas, en principe, des juridictions nationales qu’elles soulèvent d’office un moyen tiré de la violation de dispositions de ce droit, indépendamment de l’importance de celles-ci pour l’ordre juridique européen, lorsque l’examen de ce moyen les obligerait à sortir des limites du litige tel qu’il a été circonscrit par les parties, en se fondant sur
d’autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l’application desdites dispositions a fondé sa demande. Cette limitation du pouvoir du juge national se justifie par le principe selon lequel l’initiative d’un procès appartient aux parties et que, en conséquence, lorsque le droit procédural national offre une véritable possibilité à la partie concernée de soulever un moyen fondé sur le droit de l’Union, le juge national ne saurait agir d’office que dans des cas
exceptionnels où l’intérêt public exige son intervention ( 49 ).

69. La Cour a également indiqué ( 50 ) que cette jurisprudence ne saurait être remise en question par celle issue des arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437), et du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial (C‑240/98, EU:C:2000:346), visés dans la décision de renvoi, laquelle, respectivement, se caractérise par les circonstances propres à l’affaire aboutissant à priver le requérant au principal de la possibilité de faire valoir utilement l’incompatibilité d’une disposition
nationale avec le droit de l’Union et se justifie par la nécessité d’assurer au consommateur la protection effective visée par la directive 93/13 ( 51 ).

70. Il est constant que la matière des clauses abusives a constitué la porte d’entrée du développement de l’office du juge national en droit de la consommation, lequel s’est vu attribuer le pouvoir puis le devoir de relever d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle ( 52 ). Selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel
en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci. Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit
entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers ( 53 ).

71. À cet égard, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. En outre, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième
considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. C’est en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, combinaison normative sans équivalent dans la directive 2012/13, que la Cour a encadré la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent
de cette directive, tout en précisant que la protection du consommateur n’est pas absolue ( 54 ). La Cour a ainsi précisé que le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à exiger qu’une juridiction nationale doive non seulement compenser une omission procédurale d’un consommateur ignorant ses droits, mais également suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné ( 55 ).

72. Le juge de renvoi considère possible une transposition de la jurisprudence susmentionnée à la procédure de l’affaire au principal en excipant plus particulièrement de la situation partagée d’infériorité des consommateurs ( 56 ) et des prévenus, approche qui ne me paraît pas pouvoir être retenue. Rappelons que l’affaire au principal relève de la matière pénale, domaine sans rapport avec les obligations contractuelles et dans lequel il incombe tant au législateur qu’au juge d’assurer la
conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public, la recherche des auteurs d’infractions et la répression de celles-ci, d’une part, et les droits fondamentaux de la personne poursuivie, d’autre part, tout en veillant à ce que la procédure se déroule dans un délai raisonnable. En outre, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir répressif, l’État vise à protéger non seulement les intérêts des victimes d’infractions, mais aussi les intérêts plus généraux de la société constitutifs
de l’intérêt public au sens large.

73. Dans ce contexte, il importe de souligner que, depuis l’adoption de la décision-cadre 2002/584, la coopération judiciaire en matière pénale s’est dotée progressivement d’instruments juridiques dont l’application coordonnée est destinée à renforcer la confiance des États membres envers leurs ordres juridiques nationaux respectifs dans le but d’assurer la reconnaissance et l’exécution dans l’Union des jugements en matière pénale afin d’éviter toute impunité des auteurs d’infractions ( 57 ), tout
en garantissant le caractère équitable de la procédure pénale. La directive 2012/13 fait partie, comme l’indiquent les considérants 11, 12 et 14 de celle-ci, de cet ensemble d’instruments juridiques concrétisant la feuille de route, adoptée par le Conseil en 2009, visant à renforcer les droits des suspects ou des personnes poursuivies tout au long de cette procédure ( 58 ). L’effet cumulé de ces instruments, ajoutés aux dispositions de la Charte, de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour EDH
ainsi qu’aux dispositifs nationaux, confère une protection réelle et étendue aux intéressés dont le statut n’est donc pas comparable, y compris dans le niveau d’information, à celui d’un consommateur dans sa relation contractuelle avec un professionnel ( 59 ). Dans ces circonstances, toute forme de transposition à la présente affaire de la solution, appliquée à l’article 6 de la directive 93/13, d’assimilation de la norme européenne aux règles internes d’ordre public me paraît exclue.

74. Il est enfin nécessaire d’évoquer, à ce stade, la jurisprudence récente de la Cour portant sur le rôle du juge dans le cadre, d’une part, d’une procédure pénale fondée sur des informations ou des éléments de preuve obtenus en méconnaissance des exigences résultant de la directive 2002/58/CE ( 60 ) et, d’autre part, d’une procédure de contrôle des conditions de légalité de la rétention de ressortissants de pays tiers qui découlent du droit de l’Union.

75. En premier lieu, la Cour a jugé que l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, interprété à la lumière du principe d’effectivité, impose au juge pénal national d’écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatibles avec le droit de l’Union, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à l’encontre de personnes soupçonnées d’actes de
criminalité, si ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d’un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d’influencer de manière prépondérante l’appréciation des faits ( 61 ). S’il s’agit bien, en l’occurrence, du principe d’effectivité appliqué dans une procédure pénale comme dans l’affaire au principal, cette dernière ne concerne pas des éléments de preuve provenant d’un domaine échappant à
la connaissance des juges dont l’admissibilité comporterait un risque pour le respect du principe du contradictoire et, partant, du droit à un procès équitable.

76. En second lieu, la Cour a dit pour droit que l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/115/CE ( 62 ), l’article 9, paragraphes 3 et 5, de la directive 2013/33/UE ( 63 ) et l’article 28, paragraphe 4, du règlement (UE) no 604/2013 ( 64 ), lus en combinaison avec les articles 6 et 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que le contrôle, par une autorité judiciaire, du respect des conditions de légalité de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers qui découlent du
droit de l’Union doit conduire cette autorité à relever d’office, sur la base des éléments du dossier portés à sa connaissance, tels que complétés ou éclairés lors de la procédure contradictoire devant elle, l’éventuel non-respect d’une condition de légalité qui n’a pas été invoquée par la personne concernée ( 65 ).

77. Cette solution me paraît dictée par un contexte normatif spécifique, radicalement distinct de celui de la présente affaire. La Cour a d’abord précisé que, si la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté, consacré à l’article 6 de la Charte, la finalité d’une telle mesure, au sens de la directive 2008/115, de la directive 2013/33 et du règlement no 604/2013, n’est pas la poursuite ou la répression d’infractions pénales. La Cour a,
ensuite et surtout, relevé que le législateur de l’Union ne s’est pas limité à établir des normes communes de fond quant aux conditions de la rétention, mais a également instauré des normes communes procédurales, ayant pour finalité d’assurer qu’il existe, dans chaque État membre, un régime qui permet à l’autorité judiciaire compétente de libérer, le cas échéant après un examen d’office, la personne concernée dès qu’il apparaît que sa rétention n’est pas, ou plus, légale ( 66 ). La Cour a mis en
exergue le fait que le placement en rétention ordonné par une autorité administrative fait l’objet d’un contrôle juridictionnel soit d’office, soit à la demande de la personne concernée, alors que, s’agissant du maintien de la mesure, l’autorité compétente est tenue d’effectuer ce contrôle d’office, même si l’intéressé n’en fait pas la demande. Dans un contexte normatif marqué par l’existence d’une saisine d’office du juge lorsqu’il apparaît que les conditions de légalité de la rétention ne sont
pas, ou plus, satisfaites, pouvant se traduire par une procédure dans laquelle la personne retenue serait non comparante, il était théoriquement difficilement concevable d’aboutir à une solution autre que celle du relevé d’office par le juge du non-respect d’une condition de légalité de la rétention « qui n’a pas été invoquée par la personne concernée ».

78. C’est au regard de cet encadrement strict de la mesure de rétention, rappelé ci-dessus, que la Cour a écarté sa jurisprudence habituelle sur l’absence a priori d’obligation de relevé d’office dans le contentieux administratif dans lequel s’applique le principe dispositif et la mise en œuvre du principe d’effectivité ( 67 ). Or, dans le cas présent, un tel encadrement par le droit de l’Union, sur un plan procédural, fait manifestement défaut, ce qui interdit à mon sens toute forme de
transposition de la solution retenue en matière de contrôle juridictionnel de la rétention.

Sur la jurisprudence de la Cour EDH

79. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 de la CEDH, la Cour EDH doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable, en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Le respect des exigences du procès équitable s’apprécie donc au cas par cas, à l’aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l’examen isolé de tel ou tel point ou incident, bien qu’il ne puisse être exclu qu’un élément déterminé soit à
ce point décisif qu’il permette de juger de l’équité du procès à un stade précoce ( 68 ). Compte tenu de la nature du droit de ne pas témoigner contre soi-même et du droit de garder le silence, cette juridiction considère que, en principe, il ne peut y avoir de justification au défaut de signification de ces droits à un suspect. Toutefois, dans l’hypothèse où ce dernier n’en aurait pas été informé, elle doit rechercher si, malgré cette lacune, la procédure dans son ensemble a été équitable ( 69
).

80. Cette appréciation d’ensemble peut inclure la vérification de l’effectivité de l’assistance juridique, dont le droit est garanti à l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la CEDH. La Cour EDH considère que, conformément à l’indépendance du barreau par rapport à l’État, la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, que ce dernier soit commis d’office ou rétribué par son client. Toutefois, si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou est suffisamment
portée à l’attention des autorités d’une autre manière, ces dernières doivent prendre des mesures pour s'assurer que l’accusé bénéficie effectivement du droit à l’assistance judiciaire. Reste que l’État ne peut être tenu pour responsable de toute défaillance d’un avocat désigné aux fins de l’aide judiciaire ( 70 ).

81. La responsabilité de l’État peut ainsi être engagée lorsqu’un avocat manque tout bonnement d’agir pour le compte de l’accusé ( 71 ) ou ne respecte pas une règle de pure forme requise pour l’exercice d’un recours, sans que cela puisse être assimilé à une conduite erronée ou à une simple défaillance dans l’argumentation ne pouvant générer cette responsabilité, la Cour EDH ayant également retenu, au titre d’un ensemble de circonstances, le fait que le requérant était un étranger ne connaissant pas
la langue de la procédure et qui se trouvait confronté à des accusations pouvant entraîner une lourde peine de prison. Dans ce dernier cas de figure, la Cour EDH a considéré que la juridiction nationale aurait pu inviter l’avocat d’office à compléter ou à corriger son mémoire de recours plutôt que de déclarer le pourvoi irrecevable ( 72 ).

82. Outre le fait que le rôle de la Cour EDH est de trancher les litiges dont elle est saisie, et non de se prononcer in abstracto ni d’uniformiser les différents systèmes juridiques, eu égard aux circonstances particulières de chaque affaire ( 73 ), je relève que les situations susmentionnées, correspondant à une approche restrictive, se distinguent des circonstances de l’affaire au principal. Il importe, à cet égard, de souligner que le droit d’être informé de ses droits procéduraux et celui de
garder le silence sont des droits personnels, dont les détenteurs disposent librement, et c’est aux seuls prévenus et à leurs conseils de définir la stratégie de défense qui peut comprendre la non-invocation d’une violation de ces droits pour des motifs propres aux intéressés ( 74 ). Cette situation ne saurait, en elle-même, être nécessairement assimilée à celle de « carence manifeste » appelant des mesures positives de la part de la juridiction compétente ( 75 ). Lors de l’audience de jugement,
le juge n’a pas à se substituer aux parties dans le choix de leurs stratégies de défense.

Conclusion intermédiaire

83. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il est proposé à la Cour de dire que les articles 3 et 4 de la directive 2012/13, ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte et à la lumière des principes d’équivalence et d’effectivité, ne s’opposent pas à l’interprétation d’une disposition nationale empêchant le juge, lors de la phase de jugement non précédée d’une instruction préparatoire,
de relever d’office la violation du droit de la personne poursuivie d’être informée de son droit de garder le silence.

84. L’interrogation des droits nationaux ( 76 ) ne me paraît pas devoir conduire à une autre interprétation. Loin de refléter la summa divisio classique entre système accusatoire et système inquisitoire impliquant, respectivement, un rôle censément passif ou actif du juge, un regard croisé sur les différents ordres juridiques nationaux souligne l’interpénétration de ces deux systèmes ainsi que la diversité et la complexité des procédures pénales, reposant sur des combinaisons de règles, qui rendent
délicat et même relatif l’exercice comparatif. Qu’ils prévoient ou non des mécanismes de sanctions, parfois automatiques, de la violation du droit à l’information fondés sur des règles d’admissibilité des preuves ou de nullité des actes de procédure irréguliers, les systèmes nationaux peuvent ainsi définir avec plus ou moins de rigueur le rôle imparti à la personne poursuivie, et corrélativement au juge, dans la mise en œuvre de ces mécanismes.

85. Reste que l’ensemble des ordres juridiques nationaux pris en compte consacre le système de la liberté de la preuve, renvoyant à celle du juge dans l’appréciation de celle-ci, et que, si ces ordres juridiques peuvent suivre des voies procédurales différentes, ils partagent tous la même préoccupation ou le même objectif, à savoir ne pas faire produire d’effet à un acte de procédure irrégulier comme procédant d’une violation du droit d’être informé, notamment, de son droit de garder le silence.
Ainsi qu’il est mentionné à juste titre dans la « note de recherche » 22/006, à défaut de l’élimination formelle d’un élément de preuve par le juge, un vice de procédure se produisant dans le cadre de l’obtention de cette preuve peut toujours être pris en compte dans le cadre de la décision au fond, s’agissant de la valeur probante de cet élément, ce que nous avons précisément observé aux points précédents des présentes conclusions pour l’ordre juridique français.

86. Est-il, dès lors, nécessaire et même opportun pour la Cour d’adopter une solution reconnaissant une faculté, voire imposant au juge une obligation de relever d’office dont il est impossible, en l’état, de mesurer toutes les conséquences sur les architectures subtiles des procédures nationales, qui expriment toutes la recherche d’un équilibre, si difficile à trouver, entre les nécessités de la répression des infractions et les droits des personnes poursuivies à un procès équitable ( 77 ), et sur
les organisations judiciaires nationales ( 78 ) ? Par ailleurs, la mise en œuvre par le juge du relevé d’office ne se conçoit évidemment que dans le strict respect du principe du contradictoire, ce qui pourra se traduire par un allongement de la procédure ( 79 ).

87. Une telle solution ne me paraît pas nécessaire pour conforter la légitimité de la confiance mutuelle que suppose la reconnaissance mutuelle. Il est constant que le droit de l’Union s’est considérablement étoffé dans le domaine de la coopération judiciaire pénale, au point qu’il est désormais possible d’évoquer un acquis ou un patrimoine commun important ayant permis un alignement vers le haut des systèmes juridiques nationaux en termes de protection des droits procéduraux des suspects ou des
personnes poursuivies et une réelle progression de l’intégration de ces systèmes dans l’Union. Dans ce contexte, il importe de souligner, comme l’a fait d’une part le gouvernement français, que le problème en l’espèce n’est pas de trouver, dans le cadre d’une pseudo-compétition interétatique, le système national assurant la meilleure protection de ces droits ( 80 ) et, comme l’a fait d’autre part la doctrine, qu’il n’existe pas de droit subjectif à bénéficier du système le plus protecteur des
droits individuels ( 81 ).

88. S’agissant d’une question exprimant les spécificités des systèmes juridiques nationaux, que les auteurs des traités se sont engagés à préserver ( 82 ), et de l’interprétation d’une directive réservant littéralement aux suspects ou aux personnes poursuivies ou à leur avocat le soin de faire sanctionner les violations des droits y contenus, il me semble que la Cour se doit de faire preuve de prudence et se soucier de l’acceptabilité de sa réponse auprès des ordres juridiques nationaux ( 83 ).
Selon le philosophe et écrivain français des Lumières, Montesquieu, « il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu'il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante » ( 84 ). Dans le cas présent et appliquée à la démarche prétorienne, cette conjuration devrait conduire, en tout état de cause, au rejet d’une solution d’obligation de relevé d’office qui alourdirait encore les tâches des juges nationaux, confrontés à une application simultanée des
normes internes, du droit primaire et dérivé de l’Union, dont la Charte, et des normes conventionnelles, dont la CEDH, œuvrant dans des conjonctures institutionnelles marquées par de fortes disparités ( 85 ) et encourant le risque d’un engagement de responsabilité au regard de leur devoir de légalité. Car, petit rappel quant à l’incontournable composante humaine du processus juridictionnel, le juge est aussi faillible que les autres acteurs du procès pénal qu’il convient de ne pas
déresponsabiliser.

Conclusion

89. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit au tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône (France) :

Les articles 3 et 4, ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que des principes d’équivalence et d’effectivité,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à l’interprétation d’une disposition nationale empêchant le juge, lors de la phase de jugement non précédée d’une instruction préparatoire, de relever d’office la violation du droit de la personne poursuivie d’être informée de son droit de garder le silence, pour autant que les règles de procédure nationales garantissent, d’une part, le droit d’accès des suspects ou des personnes poursuivies à un avocat avant et lors de la phase de jugement et, d’autre part, la prise en
considération du caractère illégal des actes de procédure effectués ou des éléments de preuve obtenus en méconnaissance de ce droit par le biais de mécanismes de nullité ou d’inadmissibilité de ces derniers ou lors de l’appréciation de la force probante de ceux-ci.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Déclaration no 52 incorporée au traité de Lisbonne signée par 16 des 27 États membres.

( 3 ) Weyembergh, A., « L’harmonisation des procédures pénales au sein de l’Union européenne », Archives de politique criminelle, no 26, éd. Pédone, 2004 (https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2004-1-page-37.htm).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1).

( 5 ) Cour de cassation, 6 février 2018, pourvoi no 17-82826.

( 6 ) C‑312/93, EU:C:1995:437.

( 7 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

( 8 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1).

( 9 ) L’expression « annulation de la procédure » peut prêter à confusion, en ce sens que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’étendue d’une annulation, qui relève d’une appréciation du juge, est commandée par le critère de l’acte, support nécessaire. En d’autres termes, l’annulation n’est étendue qu’aux actes dont l’acte ou la pièce annulée constitue le « support nécessaire » (voir, notamment, arrêt du 15 octobre 2003, pourvoi no 03-82.683).

( 10 ) Arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765, points 51 et 52).

( 11 ) Arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765, point 53).

( 12 ) Voir, par analogie, arrêt du 12 mars 2020, VW (Droit d’accès à un avocat en cas de non-comparution) (C‑659/18, EU:C:2020:201, points 24 à 26), concernant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2013/48/UE, du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de
liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), qui définit le champ d’application de cette dernière dans des termes presque identiques à ceux de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 [arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765, point 38)].

( 13 ) Arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi) (C‑564/19, EU:C:2021:949, point 121).

( 14 ) Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 272).

( 15 ) Même si l’article 6 de la CEDH ne les mentionne pas expressément, le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues, qui sont au cœur de la notion de « procès équitable » consacrée par cet article. La CEDH visant à garantir des droits non pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs, la Cour EDH estime inhérent au droit de ne pas témoigner contre soi-même, au droit de garder le silence et au droit
à une assistance juridique que tout « accusé », au sens dudit article 6, a le droit d’être informé de ces droits [Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 266 et 272)].

( 16 ) Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 266).

( 17 ) Je rappelle que, dans le cadre de la procédure de coopération prévue à l’article 267 TFUE, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation d’une disposition particulière du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation de ce droit qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de
ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal [arrêt du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction) (C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 37)].

( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction) (C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 42).

( 19 ) Arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a. (C‑358/16, EU:C:2018:715, point 50).

( 20 ) Arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi) (C‑564/19, EU:C:2021:949, point 101).

( 21 ) Cette précision me paraît s’imposer pour caractériser la procédure au principal, laquelle est régie par l’article 385, premier alinéa, du CPP.

( 22 ) On relèvera avec intérêt que le législateur peut également, sur le fondement de l’article 82, paragraphe 2, TFUE, adopter des règles minimales concernant l’admissibilité des preuves entre les États membres [sous a)], les droits des victimes de la criminalité [sous c)] et des éléments spécifiques de la procédure pénale autres que ceux visés aux points a) à c) de cette disposition, à la condition que ces éléments aient été identifiés préalablement par une décision adoptée à l’unanimité par le
Conseil, après approbation du Parlement. Les conditions d’adoption de ce troisième type de règles méritent d’être soulignées. Il en va de même du paragraphe 3 de cet article 82 sur la possibilité pour un membre du Conseil de s’opposer à un projet de directive qui, selon lui, porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale.

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, points 36 et 54), et, par analogie, arrêt du 19 septembre 2018, Milev (C‑310/18 PPU, EU:C:2018:732, point 47).

( 24 ) Arrêt du 11 mars 2020, SF (Mandat d’arrêt européen – Garantie de renvoi dans l’État d'exécution) (C‑314/18, EU:C:2020:191, points 35 et 36).

( 25 ) Avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, points 191 et 192).

( 26 ) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24), ci-après la « décision-cadre 2002/584 ». Dans l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), la Cour a reconnu la faculté pour l’autorité judiciaire
d’exécution de mettre fin à la procédure de remise dans le contexte d’une atteinte alléguée au droit fondamental de la personne concernée à un procès équitable à partir d’un contrôle en deux temps, à savoir la constatation, sur le fondement d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés concernant le fonctionnement du système judiciaire dans l’État membre d’émission, de l’existence de défaillances systémiques ou, du moins, généralisées conduisant à un risque réel de violation du contenu
essentiel de ce droit et, dans l’affirmative, la vérification in concreto de l’existence de motifs sérieux et avérés de croire que cette personne courra un tel risque en cas de remise à cet État. La très grande rigueur de ce contrôle démontre l’importance et la force du principe de reconnaissance mutuelle visant à faire exécuter les décisions de condamnation telles qu’elles ont été prononcées.

( 27 ) Décision-cadre du Conseil du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27). Le motif de non-exécution du mandat d’arrêt européen retenu dans l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), constituerait, mutatis
mutandis, un motif de non-transfèrement au titre de la décision-cadre 2008/909.

( 28 ) Décision-cadre du Conseil du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États membres de l’Union européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale (JO 2008, L 220, p. 32). Voir arrêt du 5 juillet 2018, Lada (C‑390/16, EU:C:2018:532, points 37 et 38).

( 29 ) L’application de ces deux principes est évoquée au point 19 de la décision de renvoi.

( 30 ) Voir, par analogie, arrêt du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction) (C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 78).

( 31 ) Voir point 8 de la décision de renvoi.

( 32 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 49) ; du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, points 35 et 36), et du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction) (C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 75).

( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction) (C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 76). Il importe de souligner que les règles nationales d’ordre public, relatives à l’organisation, la composition et la compétence des juridictions et dont la méconnaissance doit être relevée d’office par le juge, n’ont pas, à l’évidence, un objet similaire à celui des dispositions du droit de l’Union concernées [voir arrêts du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05
à C‑225/05, EU:C:2007:318, points 29 et 30), et du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175)].

( 34 ) Arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia (C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 62).

( 35 ) Arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437, point 14) ; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 33), et du 11 septembre 2019, Călin (C‑676/17, EU:C:2019:700, point 42).

( 36 ) Arrêt du 28 juin 2022, Commission/Espagne (Violation du droit de l'Union par le législateur) (C‑278/20, EU:C:2022:503, points 59 et 60).

( 37 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, EU:C:2002:705, point 37).

( 38 ) Aux termes de l’article 31 du CPP, le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu. Dans ses fonctions de direction de la police judiciaire, conformément à l’article 39‑3 du CPP, il est en charge de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et il veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et soient accomplies à charge et à décharge, dans le
respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée.

( 39 ) Cour EDH, 29 mars 2010, Medvedyev e.a. c. France, CE:ECHR:2010:0329JUD000339403, et 23 novembre 2010, Moulin c. France (CE:ECHR:2010:1123JUD003710406).

( 40 ) Arrêts de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 (pourvoi no 10‑83.674) et du 18 janvier 2011 (pourvoi no 10‑84.980).

( 41 ) Conseil constitutionnel, 30 juillet 2010, QPC no 2010-14/22.

( 42 ) Arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, points 52 à 58).

( 43 ) Dans l’arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑305/05, EU:C:2007:383, point 31), la Cour a rappelé que selon la jurisprudence de la Cour EDH, la notion de « procès équitable » visée à l’article 6 de la CEDH est constituée de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe de l’égalité des armes, le droit d’accès aux tribunaux ainsi que le droit d’accès à un avocat tant en matière civile que pénale.

( 44 ) Voir articles 63‑4‑3 et 64‑4‑3 du CPP.

( 45 ) Il convient de relever que, en cas de poursuites par convocation prévue à l’article 390‑1 du CPP, comme c’est le cas des deux prévenus en cause, l’article 388‑4 du CPP énonce que les avocats des parties peuvent consulter le dossier de la procédure au greffe du tribunal judiciaire dès la délivrance de la citation ou au plus tard deux mois après la notification de la convocation et que, à leur demande, les parties ou leur avocat peuvent se faire délivrer une copie des pièces du dossier.

( 46 ) Voir Murbach-Vibert, M., et Payen, H., « Relevé d’office des nullités et office du juge pénal », AJ Pénal, Lyon, 2018, p. 403. Les procès-verbaux, relatant un acte tel qu’une audition ou la fouille d’un véhicule, valent à titre de simples renseignements en principe et constituent donc une preuve parmi les autres éléments du dossier sans valeur supérieure. Ils sont ainsi laissés à la libre appréciation du juge et les parties peuvent librement les contester dans le cadre d’un débat
contradictoire devant la juridiction de jugement.

( 47 ) Comme nous le verrons ci-après avec l’analyse comparative des droits des États membres, cette disposition du droit français relève des mécanismes connus de ces différents États permettant une prise en considération du caractère illégal des actes de procédure effectués ou des éléments de preuve obtenus en méconnaissance des droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies par le biais de mécanismes de nullité ou d’inadmissibilité et/ou lors de l’appréciation de la force probante de
ces actes ou éléments.

( 48 ) Voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2021, Randstad Italia (C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 57), et du 7 juillet 2022, F. Hoffmann-La Roche e.a. (C‑261/21, EU:C:2022:534, point 57).

( 49 ) Voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 41), et du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, points 32 et 33). Dans ses conclusions dans l’affaire Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:3, point 42), relative à un recours contre une décision d’interdiction de séjour parvenu au stade de la procédure en cassation, l’avocat général Mengozzi avait estimé que la juridiction de renvoi n’interrogeait pas la Cour quant à la portée du
principe d’effectivité aux motifs selon lesquels « la circonstance que le juge administratif de dernière instance ne puisse pas examiner d’office ou doive rejeter comme étant irrecevable un moyen tiré de la violation du droit d’être entendu soulevé pour la première fois devant lui ne signifie aucunement que les règles de procédure internes rendent impossible ou excessivement difficile l’invocation de la violation d’un tel droit devant les juridictions nationales. Au regard du principe d’effectivité,
ce qui importe, selon la jurisprudence de la Cour, est que les parties aient eu une véritable possibilité de soulever un moyen fondé sur le droit de l’Union devant une juridiction nationale [...] En d’autres termes, ce principe n’exige pas du juge national qu’il pallie la carence ou l’omission des parties dès lors que ces dernières ont eu une véritable possibilité, au titre des règles de procédures internes, d’invoquer un moyen tiré de la violation du droit de l’Union. Comme tel est assurément le
cas en l’espèce, le requérant au principal ayant, au demeurant, bénéficié de la représentation d’un avocat dès l’introduction du recours en première instance, l’application du principe d’effectivité ne conduit pas à ce que la juridiction de renvoi doive examiner d’office un moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, indépendamment de l’importance de ce droit pour l’ordre juridique de l’Union ». Je relève que, dans l’arrêt du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175,
point 28), la Cour a expressément suivi ces conclusions en indiquant que, « dans l’affaire au principal, se pose la question liée au respect non pas du principe d’effectivité, mais exclusivement du principe d’équivalence ».

( 50 ) Arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, points 39 et 40).

( 51 ) La base juridique de cette directive est l’ancien article 100 A du traité instituant la Communauté économique européenne prévoyant l’adoption de mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objets l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

( 52 ) Cour de cassation, « Contentieux des clauses abusives : illustration d’un dialogue des juges », Recueil annuel des études, La Documentation française, 2022.

( 53 ) Arrêts du 11 mars 2020, Lintner (C‑511/17, EU:C:2020:188, point 23), et du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a. (C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, points 51 et 52). La Cour a jugé que, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13 assure aux consommateurs, l’article 6 de cette directive doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes
d’ordre public qui permet au juge national d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle [arrêt du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito (C‑488/11, EU:C:2013:341, points 44 à 46)].

( 54 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a. (C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, points 53 à 55 et 58).

( 55 ) Arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 41) ; du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a. (C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 60), et du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive) (C‑170/21, EU:C:2022:518, point 48).

( 56 ) Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les pouvoirs reconnus au juge national ont été considérés comme nécessaires pour assurer au consommateur une protection effective, eu égard notamment au risque non négligeable que celui-ci soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les exercer. La Cour a estimé que, dans des litiges dont la valeur est souvent limitée, les honoraires d'avocat peuvent être supérieurs à l'intérêt en jeu, ce qui, ajouté à l’impossibilité de
solliciter une aide juridictionnelle, peut dissuader le consommateur de se défendre contre l'application d'une clause abusive.

( 57 ) Arrêt du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077, point 43).

( 58 ) Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1) ; directive 2013/48 ; directive 2016/343, et directive (UE) 2016/1919 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2016, concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le
cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen (JO 2016, L 297, p. 1).

( 59 ) Je note que la Cour EDH considère que c’est au stade de l’enquête qu’un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable et que, dans la plupart des cas, cette vulnérabilité ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat [Cour EDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie (CE:ECHR:2008:1127JUD003639102, § 52 et 54, et Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 253)], étant rappelé que l’accès à
ce dernier est garanti par la directive 2013/48 et le droit national.

( 60 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO 2002, L 201, p. 37), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après la « directive 2002/58 »).

( 61 ) Arrêts du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a. (C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, points 226 à 228), et du 2 mars 2021, Prokuratuur (Conditions d’accès aux données relatives aux communications électroniques) (C‑746/18, EU:C:2021:152, point 44).

( 62 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

( 63 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).

( 64 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).

( 65 ) Arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid et X (Examen d’office de la rétention) (C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 94).

( 66 ) Arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid et X (Examen d’office de la rétention) (C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, points 83 et 85).

( 67 ) Arrêt du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid et X (Examen d’office de la rétention) (C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, points 74, 86 et 94).

( 68 ) La Cour EDH souligne qu’un grief de violation, au stade de l’enquête d’une procédure pénale, de droits énoncés expressément ou implicitement à l’article 6 de la CEDH se matérialise généralement pendant la phase de jugement, avec les débats sur l’admission des preuves recueillies, et que, si elle n’a pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les preuves ont été recueillies, a été
équitable dans son ensemble. À cette fin, la Cour EDH prend en compte différents facteurs et, notamment, le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves au cours de cette phase, ainsi que le respect ou non de ce dispositif, la possibilité ou non pour le requérant de contester l’authenticité des preuves recueillies et de s’opposer à leur production, l’utilisation faite des preuves et, en particulier, le point de savoir si elles sont une
partie intégrante ou importante des pièces à charge sur lesquelles s’est fondée la condamnation, ainsi que la force des autres éléments du dossier et l’existence dans le droit et la pratique internes d’autres garanties [Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 254 et 274)].

( 69 ) Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 250, 251 et 273).

( 70 ) Cour EDH, 19 décembre 1989, Kamasinski c. Autriche (CE:ECHR:1989:1219JUD000978382, § 65) ; Cour EDH, 24 novembre 1993, Imbrioscia c. Suisse (CE:ECHR:1993:1124JUD001397288, § 41, et Cour EDH, 26 juillet 2011, Huseyn et autres c. Azerbaïdjan (CE:ECHR:2011:0726JUD003548505, § 180).

( 71 ) Cour EDH, 13 mai 1980, Artico c. Italie, CE:ECHR:1980:0513JUD000669474, § 33 et 36.

( 72 ) Cour EDH, 10 octobre 2002, Czekalla c. Portugal (CE:ECHR:2002:1010JUD003883097, § 65, 66, 68 et 71). Dans un arrêt du 20 janvier 2009, Güveç c. Turquie (CE:ECHR:2009:0120JUD007033701, § 131), la Cour EDH a exceptionnellement fait application de sa jurisprudence quant à l’effectivité de l’assistance juridique dans un cas où cette dernière était assurée par un avocat privé mais dans des circonstances singulièrement différentes de la présente affaire. Tenant compte du jeune âge du requérant
(15 ans), de la gravité des infractions dont il était inculpé (notamment des activités tendant à la sécession du territoire national, alors punissables de la peine capitale), des allégations apparemment contradictoires formulées contre lui par la police et par un témoin à charge, du fait qu’il a été manifestement mal représenté par son avocat (qui n’avait pas comparu à plusieurs audiences) et des nombreuses absences du requérant aux audiences, elle a conclu que la juridiction de jugement aurait dû
promptement réagir afin de garantir au requérant une représentation en justice effective.

( 73 ) Cour EDH, 9 novembre 2018, Beuze c. Belgique (CE:ECHR:2018:1109JUD007140910, § 148).

( 74 ) Il est possible, à cet égard, de citer un acte de procédure irrégulier, mais suggérant l’innocence du prévenu, ou insuffisant, en tout état de cause, à établir celle-ci au regard des autres éléments de preuve valables contenus dans le dossier, ou la situation d’un prévenu ayant déjà indemnisé la victime avant l’audience et désireux d’admettre sa responsabilité pénale lors de cette dernière.

( 75 ) Cette conclusion s’impose indépendamment du statut, non précisé dans la décision de renvoi, des conseils des deux prévenus, avocats désignés aux fins de l’aide judiciaire ou rétribués par ces prévenus. Les parties défenderesses au principal se sont référées à plusieurs reprises lors de l’audience à l’arrêt de la Cour EDH du 7 octobre 2008, Bogumil c. Portugal (CE:ECHR:2008:1007JUD003522803, § 46 à 50), concernant une personne assistée par un avocat stagiaire puis un avocat commis d’office qui
n’est intervenu dans la procédure que pour demander à être relevé de ses fonctions et donc remplacé par une nouvelle avocate d’office désignée le jour même de l’audience et ayant pu étudier le dossier un peu plus de cinq heures, durée jugée trop brève pour une affaire grave pouvant déboucher sur une lourde condamnation. Dans ces circonstances, sans aucun rapport avec la présente affaire, la Cour EDH a estimé que la juridiction nationale aurait pu de sa propre initiative ajourner les débats.

( 76 ) Voir note de recherche 22/006 sur l’office du juge pénal en cas de violation du droit de la personne poursuivie d’être informée de ses droits procéduraux, établie dans le cadre de la présente affaire, à la demande de la Cour, par la direction de la Recherche et Documentation de la Cour. Il convient de se référer à la seule partie de cette note relative à la phase de jugement non précédée d’une instruction préparatoire qui correspond à l’affaire au principal. Outre le fait que ce document ne
porte que sur les droits de 19 États membres, sa teneur traduit l’objective difficulté d’appréhension des systèmes juridiques nationaux, au regard de l’articulation des règles procédurales et de l’organisation judiciaire, des dispositions législatives et des jurisprudences nationales y afférentes, parfois contradictoires, ainsi que des commentaires doctrinaux.

( 77 ) Je partage pleinement, à cet égard, l’observation de la Cour EDH selon laquelle un procès pénal implique en général une interaction complexe de différents aspects de la procédure pénale [Cour EDH, 13 septembre 2016, Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 274)].

( 78 ) Je renvoie aux appréhensions du gouvernement irlandais quant à l’incidence du relevé d’office sur un système pénal caractérisé par une immense majorité d’affaires traitées dans le cadre de procédures simplifiées sur reconnaissance de culpabilité à l’origine d’une organisation comportant un nombre peu élevé de juges en comparaison de celui des avocats.

( 79 ) Outre la nécessaire interrogation de l’autorité de poursuite, il devrait y avoir celle des victimes d’infractions pénales dont les États membres doivent, conformément à la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (JO 2012, L 315, p. 57), leur garantir la possibilité de participer à la
procédure pénale et, particulièrement, d’être entendues au cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuve. Peut ainsi être envisagée la situation d’une victime, le cas échéant résidant dans un État membre autre que celui de la commission et de la poursuite de l’infraction, non comparante, qui a sollicité par écrit une indemnisation par l’auteur présumé de l’infraction. Le respect du contradictoire devrait aboutir à un ajournement du procès et au débat subséquent sur le sort de la
personne poursuivie aux fins de garantir sa présence à la date de renvoi et à un éventuel placement en détention de celle-ci dans l’attente du procès, alors même que cette dernière serait encore susceptible, eu égard à son passé judiciaire, de bénéficier d’un sursis assortissant l’infliction d’une peine d’emprisonnement.

( 80 ) Faudrait-il considérer que l’interdiction du relevé d’office rend le droit français moins protecteur qu’un autre ordre juridique le prévoyant mais n’incluant pas la règle, consacrée dans le droit susvisé, selon laquelle les personnes poursuivies ou leur avocat doivent avoir la parole en dernier lors du procès pénal ?

( 81 ) Weyembergh, A., « L’harmonisation des procédures pénales au sein de l’Union européenne », Archives de politique criminelle, no 26, éd. Pédone, 2004, p. 60 (https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2004-1-page-37.htm). Je relève que, dans l’arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, points 55 à 64), la Cour a jugé, en considération des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, que l’automaticité de la remise d’une personne condamnée par défaut
faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’impose même si l’État membre d’exécution développe dans son ordre constitutionnel une conception plus exigeante du droit à un procès équitable.

( 82 ) La réponse que la Cour est appelée à donner doit également intégrer l’article 51, paragraphe 2, de la Charte selon lequel la présente Charte n’étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles [...] pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités ». L’interprétation des dispositions pertinentes de la directive 2012/13, à la lumière des articles 47 et 48 de la
Charte, ne saurait, dès lors, conduire à une ingérence excessive dans les droits procéduraux nationaux.

( 83 ) J’observe que, pour sa part et alors qu’elle y a été invitée à plusieurs reprises dans des conclusions d’avocats généraux, la Cour n’a pas, à ma connaissance, qualifié le moyen tiré de la violation des droits de la défense d’ordre public et, en conséquence, pouvant ou devant être relevé d’office par le juge de l’Union. Par ailleurs, dans l’arrêt du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175), elle n’a pas déduit du caractère fondamental du principe général du respect des droits
de la défense dans le droit de l’Union qu’il devait être assimilé aux règles nationales d’ordre public, impliquant en principe le relevé d’office par le juge dans l’hypothèse de leur violation, revêtant une importance équivalente en droit national.

( 84 ) Lettres persanes, lettre 79.

( 85 ) Voir rapport 2022 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (https://www.coe.int/fr/web/cepej/cepej-work/evaluation-of-judicial-systems).


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-660/21
Date de la décision : 26/01/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Articles 3 et 4 – Obligation pour les autorités compétentes d’informer rapidement les suspects et les personnes poursuivies de leur droit de garder le silence – Article 8, paragraphe 2 – Droit d’invoquer la violation de cette obligation – Réglementation nationale interdisant au juge pénal du fond de relever d’office une telle violation – Articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


Parties
Demandeurs : Procureur de la République
Défendeurs : K.B. et F.S.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:52

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