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12/01/2023 | CJUE | N°C-677/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Fluvius Antwerpen contre MX., 12/01/2023, C-677/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 12 janvier 2023 ( 1 )

Affaire C‑677/21

Fluvius Antwerpen

contre

MX

[demande de décision préjudicielle formée par le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Opérations imposables – Assujetti – Consommation illégale d’électricité – Facturation de l’électricité consommée illégalement par le gestio

nnaire de réseau de distribution compétent – Notion d’“activité économique” – Notion d’“autre organisme de droit public” – Portée négligeable des ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 12 janvier 2023 ( 1 )

Affaire C‑677/21

Fluvius Antwerpen

contre

MX

[demande de décision préjudicielle formée par le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Opérations imposables – Assujetti – Consommation illégale d’électricité – Facturation de l’électricité consommée illégalement par le gestionnaire de réseau de distribution compétent – Notion d’“activité économique” – Notion d’“autre organisme de droit public” – Portée négligeable des activités citées à l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2006/112 »

I. Introduction

1. Dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, la Cour est appelée à se pencher sur les conséquences, au titre du droit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), d’un « vol d’électricité ». La juridiction de renvoi se demande en effet si le consommateur illégal d’électricité doit payer l’électricité consommée, majorée de la TVA due, ou s’il ne doit payer que le prix net, hors TVA. Dans le cas d’espèce, la consommation illégale de l’électricité avait eu lieu à l’adresse de résidence
de l’utilisateur à des fins de consommation personnelle, avait été découverte par le gestionnaire du réseau de distribution et avait ensuite été facturée au « voleur d’électricité ».

2. La Cour est ainsi saisie de la question de principe de savoir si, tout comme le consommateur respectant la loi, le consommateur agissant illégalement doit se voir imposer la TVA lorsqu’il consomme de l’électricité dans une proportion correspondante ou s’il peut « faire l’économie » de la TVA. Cela dépend en définitive exclusivement du point de savoir si un approvisionnement « involontaire » du consommateur par un assujetti constitue une opération imposable et non exonérée au sens du droit de la
TVA.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3. Le cadre juridique au titre du droit de l’Union est dessiné par la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « directive TVA ») ( 2 ).

4. L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA prévoit :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel. »

5. L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA dispose ce qui suit :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

6. Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA :

« Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non‑assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes de droit public ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe I et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables. »

7. L’article 14, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), de la directive TVA détermine quand il y a livraison :

« 1.   Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

2.   Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :

a) la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. »

8. L’article 15, paragraphe 1, de la directive TVA concerne la livraison d’électricité et précise :

« Sont assimilés à des biens corporels l’électricité, le gaz, la chaleur, le froid et les choses similaires. »

B.   Le droit belge

9. La directive TVA a été transposée en Belgique à travers le code de la TVA. Des dispositions relatives à la fourniture d’énergie et à sa facturation se trouvent en outre dans l’arrêté relatif à l’énergie flamand.

10. L’article 5.2.3, paragraphe 1, de l’arrêté relatif à l’énergie prévoit qu’un client domestique dont le contrat de fourniture est résilié par son fournisseur d’électricité, par exemple en raison d’un défaut de paiement, et qui ne conclut pas de nouveau contrat de fourniture auprès d’un autre fournisseur d’énergie, continue à être approvisionné par le gestionnaire de réseau de distribution.

11. Il existe depuis le 1er mai 2018, après la modification du décret sur l’énergie et de l’arrêté relatif à l’énergie, des dispositions spéciales réglementant le prélèvement illégal d’énergie et l’indemnité due dans ce cas. Elles se trouvent actuellement à l’article 1.1.3, 40° /1, lu en combinaison avec l’article 5.1.2 du décret sur l’énergie et l’article 4.1.2 de l’arrêté relatif à l’énergie.

12. L’article 1.1.3, 40° /1, du décret sur l’énergie définit la notion de « fraude à l’énergie » comme tout acte illégitime commis par quiconque, tant activement que passivement, et associé à l’obtention d’un avantage illégitime.

13. L’article 5.1.2 du décret sur l’énergie dispose en outre que les frais exposés par le gestionnaire de réseau afin de remédier à la fraude à l’énergie visée à son article 1.1.3, 40° /1, les frais de la coupure, la régularisation du raccordement ou de l’installation de mesurage, le nouveau raccordement, l’avantage indûment obtenu, les coûts liés à un avantage indûment obtenu et les intérêts sont à charge de l’utilisateur du réseau concerné. Il est également précisé que le gestionnaire de réseau ou
son mandataire récupèrent les coûts précités ainsi que l’avantage indûment obtenu et les intérêts directement auprès de l’utilisateur du réseau.

14. L’article 4.1.2., paragraphe 1, de l’arrêté relatif à l’énergie prescrit comment doit être calculé l’avantage indûment obtenu et quels sont les postes qui en font partie. L’avantage indûment obtenu porte ainsi notamment sur les coûts évités pour l’énergie fournie (article 4.1.2., paragraphe 1, troisième alinéa, 4°, de cet arrêté).

15. L’article 4.1.2., paragraphe 3, de l’arrêté relatif à l’énergie prévoit en outre que l’indemnité qui est facturée pour l’avantage indûment obtenu est déterminée de manière précise et qu’elle inclut les taxes, les prélèvements et la TVA.

III. Les faits et la procédure préjudicielle

16. La personne physique MX (ci-après le « défendeur ») a été poursuivi par le gestionnaire de réseau de distribution Fluvius Antwerpen (ci-après « Fluvius ») en vue du paiement de 813,41 euros (TVA comprise) pour la consommation d’électricité durant la période allant du 7 mai 2017 au 7 août 2019.

17. D’après les informations publiques disponibles sur Internet, le gestionnaire de réseau de distribution Fluvius semble être une personne morale de droit public chargée, en tant qu’association de plusieurs communes, de missions d’intérêt général. La gestion du réseau de distribution de gaz et d’électricité au sens des dispositions flamandes en fait notamment partie. Fluvius estime être doté d’une personnalité civile qui est désignée par le Royaume de Belgique comme une forme juridique sui generis.

18. Fluvius a facturé au défendeur la fourniture d’électricité à hauteur de 813,41 euros, y compris 131,45 euros de TVA. Cette facturation n’est pas intervenue parce que Fluvius a fourni de l’électricité au défendeur en raison de l’obligation de service public au titre de l’article 5.2.3, paragraphe 1, de l’arrêté relatif à l’énergie. Elle est intervenue parce que le défendeur avait prélevé de l’électricité à son adresse de résidence sans conclure de contrat avec un fournisseur commercial d’énergie
et sans qu’auparavant son contrat ait été résilié à cette adresse par un (autre) fournisseur commercial d’énergie. La juridiction de renvoi est d’avis que le prélèvement d’électricité à partir du réseau sans conclusion d’un contrat commercial et sans le déclarer au gestionnaire de réseau de distribution peut être considéré comme un acte illégal entraînant l’obtention d’un avantage indu, et constitue ainsi une fraude à l’énergie.

19. La facturation est intervenue après que Fluvius a constaté au cours du temps ce prélèvement effectif d’électricité (ci-après le « prélèvement illégal »). Sur la base d’une comparaison entre l’indication du compteur au début et à la fin du prélèvement illégal, la consommation pour cette période a été facturée à concurrence d’une somme de 813,41 euros, dont 131,45 euros de TVA.

20. Le règlement de raccordement est déterminant pour la période susmentionnée facturée par Fluvius. Ce règlement de raccordement ne contient cependant pas d’indications quant au montant de l’indemnité qui est facturée en cas de prélèvement illégal, et il ne dit rien non plus sur le point de savoir si la TVA doit être prélevée sur cette indemnité. Il est simplement indiqué sous l’intitulé « Prélèvement illégal d’énergie et indemnité de régularisation » que tant la consommation enregistrée que celle
qui, le cas échéant, ne l’aura pas été à la suite d’un prélèvement seront facturées au consommateur par le gestionnaire de réseau de distribution.

21. Fluvius est d’avis que le gestionnaire de réseau peut facturer à l’utilisateur un prélèvement, même lorsque celui-ci est intervenu sans contrat de fourniture. En vertu du code de la TVA belge, la TVA devrait être prélevée sur ce prélèvement illégal. En effet, d’après le code de la TVA, il y aurait une livraison d’un bien soumise à TVA lors de la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom et, plus
généralement, en vertu d’une loi, d’un décret, d’une ordonnance, d’un arrêté ou d’un règlement administratif.

22. Avant le 1er mai 2018, aucun texte réglementaire ne se prononçait explicitement sur le point de savoir si la TVA devait ou non être appliquée au montant à verser par la personne qui a illégalement prélevé de l’énergie – la juridiction de renvoi désigne ce montant comme une indemnité. Depuis le 1er mai 2018, des règles existent à ce sujet à la suite de la modification du décret sur l’énergie et de l’arrêté relatif à l’énergie ; elles prévoient la facturation de la TVA. La juridiction de renvoi se
demande toutefois si ces dispositions qui prévoient le prélèvement de la TVA violent la directive TVA.

23. Le vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique) a par conséquent décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [2006/112] doivent-elles être interprétées en ce sens que le prélèvement illégal d’énergie est une livraison de biens, à savoir le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ?

2) Dans la négative, l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive [2006/112] doit-il être interprété en ce sens que le prélèvement illégal d’énergie est une livraison de biens, à savoir la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ?

3) L’article 9, paragraphe 1, de la directive [2006/112] doit-il être interprété en ce sens que Fluvius Antwerpen ayant droit à une indemnité pour l’énergie illégalement prélevée, il doit être considéré comme un assujetti au motif que le prélèvement illégal est la conséquence d’une “activité économique” de Fluvius Antwerpen, à savoir l’exploitation d’un bien corporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence ?

4) Si l’article 9, paragraphe 1, de la directive [2006/112] doit être interprété en ce sens qu’un prélèvement illégal d’énergie constitue une activité économique, l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive [2006/112] doit-il être interprété en ce sens que Fluvius Antwerpen est une autorité publique et, dans l’affirmative, l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, [de cette directive] doit-il être interprété en ce sens que le prélèvement illégal d’énergie est le résultat
d’une activité de Fluvius qui n’est pas négligeable ? »

24. Au cours de la procédure devant la Cour, Fluvius, le gouvernement belge et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. La Cour, en application de l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure, a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.

IV. Appréciation en droit

25. Avec ses deux premières questions, la juridiction de renvoi souhaite en définitive savoir si le prélèvement illégal d’électricité au détriment du gestionnaire de réseau de distribution est une opération imposable et non exonérée au sens du droit de la TVA. L’article 15 de la directive TVA définit l’électricité comme un bien corporel. Étant donné que celui-ci a été consommé par le défendeur, l’existence d’une livraison en vertu de l’article 14, paragraphe 1 ou paragraphe 2, de cette directive est
envisageable (voir section A). S’il y a livraison imposable et non exonérée d’électricité, la juridiction de renvoi souhaiterait en outre savoir si Fluvius exerce de ce fait une activité économique (voir section B) et si l’article 13 de ladite directive exclut éventuellement lui-même un assujettissement (voir section C).

A.   Prélèvement illégal d’électricité en tant que livraison en vertu de l’article 14, paragraphe 1 ou paragraphe 2, sous a), de la directive TVA (première et deuxième questions préjudicielles)

26. Les deux premières questions visent à voir préciser si, et d’après quelle disposition, il y a en l’espèce une livraison à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Si le défendeur s’était comporté dans le respect de la loi, personne ne douterait qu’il y a eu livraison imposable et non exonérée d’électricité (électricité au sens de l’article 15 de cette directive). La question se pose uniquement parce que le défendeur a prélevé l’électricité sans avoir
conclu de contrat de fourniture d’électricité avec un fournisseur d’énergie et sans que soient remplies les conditions d’un rapport d’obligation légal comme celui d’un « service de base » fourni par le gestionnaire de réseau de distribution.

27. Il y a donc, en vertu du droit belge, « vol d’électricité » au détriment du gestionnaire de réseau de distribution ; ce dernier l’a cependant découvert et il souhaite désormais que le « voleur » paye l’électricité prélevée. L’arrêté relatif à l’énergie applicable désigne cela comme l’avantage indu de l’utilisateur (le « voleur ») qui peut être facturé en tant qu’indemnité. Dans d’autres États membres, il serait éventuellement question d’indemnité compensatoire, voire de dédommagement.

28. Les conditions de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA et de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, lus en combinaison avec l’article 15 de ladite directive, sont dans les faits toutes réunies. En vertu de ces dispositions, la livraison à titre onéreux de biens effectuée par un assujetti agissant en tant que tel sur le territoire d’un État membre relève de la TVA. Le lieu de la livraison était la Belgique, Fluvius était un gestionnaire de réseau de distribution
assujetti (la troisième question examinera dans la section B s’il a effectivement agi en tant que tel) et l’électricité est, en vertu de l’article 15 de la même directive, assimilée à un bien corporel.

29. Avec le prélèvement de l’électricité, le pouvoir de disposition est également passé (en vertu de l’article 14 de la directive TVA) de Fluvius au défendeur qui a immédiatement consommé cette électricité. Fluvius était éventuellement opposé à cette consommation, mais il ne pouvait pas l’empêcher. On peut donc dire que Fluvius a objectivement procédé – bien que le cas échéant contre sa volonté – à une livraison de biens au défendeur. Le défendeur doit désormais verser pour cela une somme d’argent
dont le montant dépend de la quantité d’électricité consommée, de sorte que cette livraison a également eu lieu à titre onéreux.

30. Prima facie, la directive TVA ne traite pas l’utilisateur illégal d’électricité (en l’espèce le défendeur) autrement que l’utilisateur d’électricité respectueux de la loi. Les deux utilisateurs doivent verser pour la livraison objective de l’électricité (l’un en vertu du contrat, l’autre aux termes de la loi) un prix incorporant la TVA. Ni la nature de la taxe sur la consommation du droit de la TVA ni le principe de neutralité ou le principe de proportionnalité ne font obstacle à cette
conclusion. Au contraire, le principe de neutralité impose fondamentalement l’égalité de traitement des activités légales et illégales ( 3 ).

31. Et pourtant, la juridiction de renvoi belge estime visiblement que ce prélèvement illégal d’électricité par le défendeur pourrait être une opération non imposable. Le défendeur ne pourrait alors, en vertu de la directive TVA, pas se voir imposer la TVA. La question décisive se pose dès lors de savoir si une livraison d’électricité, en principe imposable et non exonérée, doit être traitée comme n’étant pas imposable au seul motif que le consommateur s’est procuré lui-même l’objet de la livraison
(en l’occurrence l’électricité) illégalement, mais est néanmoins tenu – non contractuellement, mais aux termes de la loi – de verser un montant correspondant, dépendant de la quantité consommée.

1. L’imposition d’activités illégales dans le droit de la TVA

32. À ma connaissance, la Cour ne s’est jusqu’à présent pas encore prononcée sur la question de l’acquisition illégale d’un bien de consommation par le bénéficiaire de la prestation. Il existe cependant une jurisprudence constante au sujet du traitement des activités illégales du prestataire en droit de la TVA.

33. Le principe de la neutralité fiscale s’oppose, en matière de perception de la TVA, à une différenciation généralisée entre les transactions illicites et les transactions licites ( 4 ). Selon la Cour, une différenciation n’est autorisée que dans les cas dans lesquels, en raison des caractéristiques particulières de certaines marchandises, toute concurrence entre un secteur économique licite et un secteur illicite est exclue ( 5 ).

34. Une telle exception res extra commercium ne s’applique en tout cas pas en l’espèce. L’électricité n’est pas une marchandise dont la commercialisation est interdite du fait de sa nature ou de ses caractéristiques. Par voie de conséquence, une livraison légale tout comme une livraison illégale d’électricité doivent être traitées de la même manière du point de vue du droit de la TVA.

35. La jurisprudence n’a certes jusqu’à maintenant concerné que les activités illégales du prestataire. Les bénéficiaires des prestations peuvent cependant eux aussi agir commercialement et être donc des concurrents. S’ils n’ont pas pleinement droit à la déduction de la taxe en amont, la non‑imposition de leurs activités illégales constituerait pour eux un avantage concurrentiel et violerait ainsi le principe de neutralité fiscale. L’acquisition illégale d’un bien de consommation par le bénéficiaire
de la prestation doit par conséquent être traitée de la même manière que son acquisition légale.

2. Caractère de la TVA en tant qu’impôt général sur la consommation

36. Le caractère de la TVA en tant qu’impôt général sur la consommation plaide également en faveur d’une égalité de traitement de la consommation, tant légale qu’illégale, de l’électricité. La TVA vise à frapper la capacité financière du consommateur, que celui-ci manifeste par une dépense d’actifs en vue de se procurer un avantage consommable ( 6 ). L’électricité illégalement consommée constitue un tel avantage consommable. Le « voleur d’électricité » doit ici aussi dépenser de l’argent.

37. Si, d’une manière générale, la charge financière encourue pour la consommation d’un bien de consommation par le consommateur doit être imposée, il ne saurait alors y avoir de différence selon que cette consommation est intervenue illégalement et éventuellement à l’insu, voire contre la volonté du prestataire tant que de l’argent a dû être dépensé à cet effet.

38. Cette approche peut déjà être déduite de la jurisprudence de la Cour. Dans quelques-unes de ses décisions, la Cour a constaté qu’il y a livraison ou fourniture de services à titre onéreux lorsqu’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue ( 7 ). Le point décisif était à cet égard celui de savoir si l’étendue des avantages était en lien avec le montant de la contre-prestation ( 8 ). Étant donné qu’il existe en l’espèce un lien direct entre le volume de l’électricité
illégalement prélevée (c’est-à-dire de l’avantage) et le montant réclamé par Fluvius, il y aurait livraison à titre onéreux d’électricité de Fluvius au défendeur.

39. Même si la Cour s’est par la suite davantage appuyée sur le fait qu’un service est uniquement fourni « à titre onéreux » s’il existe un rapport juridique entre le prestataire et le bénéficiaire de la prestation ( 9 ), cela n’y change rien. La Cour n’a en effet jusqu’à présent pas précisé quelle qualité devrait avoir ce rapport juridique. Dans le champ d’application d’un impôt général sur la consommation, cela doit être interprété de manière plutôt large ( 10 ). Il ne doit précisément pas
nécessairement s’agir d’un rapport contractuel « normal », car même un « engagement sur l’honneur » ne pouvait pas faire obstacle au lien entre la prestation et la rémunération versée « par honneur » ( 11 ).

40. Par conséquent, un rapport juridique quelconque entre le prestataire et le bénéficiaire de la prestation suffit. Il s’agira la plupart du temps d’un rapport contractuel, mais cela n’exclut pas un rapport juridique légal. Le facteur décisif est le lien direct entre le versement de l’argent et un bien de consommation concret ( 12 ). C’est la raison pour laquelle la Cour a également admis l’existence d’une prestation à titre onéreux lorsque devait être versée en raison de la résiliation anticipée
une « pénalité contractuelle » correspondant au prix qui aurait dû être versé même en l’absence de résiliation ( 13 ). Il en allait de même pour l’utilisation d’une place de stationnement par l’utilisateur en violation du contrat ( 14 ).

41. Il existe également dans la présente affaire un lien direct entre le versement de l’argent et la consommation de l’électricité prélevée. Du fait de l’arrêté relatif à l’énergie qui régit la rémunération de cette électricité, il existe indubitablement un rapport juridique, à savoir un rapport juridique légal entre le gestionnaire de réseau de distribution (Fluvius) et le consommateur (le défendeur).

42. On pourrait difficilement justifier, notamment eu égard à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les raisons pour lesquelles le consommateur d’électricité honnête serait frappé d’une taxe que le consommateur d’électricité malhonnête (illégal) n’a pas à supporter alors qu’il existe un marché commun pour ces prestations et que les deux doivent dépenser de l’argent pour le même avantage consommable. On ne saurait en tout cas pas discerner de raisons objectives pour
cette différence de traitement.

3. Raisonnement a contrario tiré de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA

43. Ce résultat est confirmé par un raisonnement a contrario tiré de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA. Cette disposition pose clairement que la transmission de la propriété d’un bien (il s’agit du modèle type de l’attribution du pouvoir de disposition au sens de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive) vaut livraison, même lorsque cette transmission a lieu en raison d’une réquisition faite par l’autorité publique ou aux termes de la loi et qu’une indemnisation doit
être versée pour cela.

44. Les conditions de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA ne sont certes pas remplies en l’espèce – contrairement à ce que soutient le gouvernement belge. Cette disposition suppose en effet que la transmission de la propriété d’un bien ait lieu sur le fondement d’une réquisition faite par l’autorité publique ou aux termes de la loi ( 15 ). Le cas d’application classique de ladite disposition est par conséquent l’expropriation contre versement d’une indemnisation.

45. La transmission de la propriété du bien (en l’occurrence l’électricité) n’a cependant pas lieu ici sur le fondement d’une réquisition faite par l’autorité publique ou aux termes de la loi, mais en raison du prélèvement illégal par le défendeur et la consommation immédiate. Fluvius est simplement obligé dans les faits de tolérer ce prélèvement. Le paiement par le défendeur est en revanche dû aux termes de la loi (ici, l’arrêté relatif à l’énergie).

46. L’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA repose cependant sur l’idée qu’il ne devrait pas y avoir de différence selon que l’assujetti transfère un bien de consommation à titre onéreux de son plein gré ou que ce transfert a lieu contre son gré, mais contre rémunération. Cette approche est devenue encore plus claire dans la proposition de la Commission de la sixième directive. Il y était encore indiqué, à l’article 5, paragraphe 2, de cette proposition, qu’était considérée comme
livraison « f) la transmission avec paiement d’une indemnité de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom, lorsque la cession amiable de ce bien aurait été passible de la taxe » ( 16 ). Cela exposait plus clairement encore que le législateur visait à une égalité de traitement pour un même approvisionnement des consommateurs. La raison pour laquelle et sur quel fondement un bien de consommation est transféré contre versement d’une
contre-prestation ne devrait pas faire de différence.

47. Cette appréciation peut encore être discernée dans les termes de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de la directive TVA. Elle peut, selon nous, être aussi aisément transposée à la présente affaire. Si le propriétaire de l’électricité (Fluvius) ne peut pas empêcher le transfert de propriété qui intervient au moyen du prélèvement illégal, mais qu’il reçoit aux termes de la loi une rémunération qui est fonction de la consommation, cela plaide en faveur d’une livraison (forcée) à titre onéreux
soumise à la TVA. Il en va en particulier ainsi lorsque l’opération serait soumise à la TVA si le propriétaire de l’électricité devait l’avoir livrée volontairement (c’est-à-dire de manière contractuellement convenue).

48. En effet, si un transfert de propriété qui a lieu contre son gré parce que la loi le prescrit constitue une livraison, cela vaut a fortiori pour un transfert de propriété qui a également lieu contre son gré, mais que la loi n’impose pas, celle-ci imposant en revanche une obligation de rémunération. Dans les deux cas, le propriétaire doit nécessairement accepter la perte de propriété et obtient en contrepartie une rémunération ou une indemnisation de la part du bénéficiaire de la prestation (le
consommateur).

4. Conclusion intermédiaire

49. Nous sommes ainsi d’avis – en accord avec la Commission – que les conditions matérielles de l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA sont déjà remplies. Du fait du prélèvement de l’électricité, Fluvius a réalisé (ou plutôt toléré) une livraison d’électricité qui doit aux termes de la loi être rémunérée. Il y a ce faisant une livraison à titre onéreux.

50. L’article 2, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA doit donc être interprété en ce sens que, tout comme dans le cas d’un prélèvement légal, le prélèvement illégal de l’électricité constitue une livraison à titre onéreux de biens lorsque la rémunération à verser aux termes de la loi est aménagée en fonction de la consommation. Le consommateur d’énergie agissant de manière malhonnête ne saurait être traité plus favorablement du point de vue
du droit de la TVA que le consommateur d’énergie agissant honnêtement.

B.   Approvisionnement au moyen d’un prélèvement illégal d’électricité en tant qu’activité économique d’un gestionnaire de réseau de distribution comme Fluvius (troisième question préjudicielle)

51. La troisième question de la juridiction de renvoi concerne l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA. La juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si un gestionnaire de réseau de distribution qui, normalement, ne joue pas le rôle de fournisseur d’électricité doit être considéré comme un assujetti en ce qui concerne les quantités d’électricité illégalement prélevées.

52. Cela concerne en définitive la question de savoir comment qualifier les activités à titre onéreux qui ne relèvent pas de l’activité à proprement parler principale. Cette question se pose plus souvent pour les personnes physiques étant donné qu’elle concerne au fond la distinction entre l’activité commerciale (et donc assujettie à la TVA) et l’activité privée (non assujettie à la TVA). Il semble toutefois improbable que la livraison à titre onéreux d’électricité par un gestionnaire de réseau de
distribution, qui devrait sinon compenser à ses frais les quantités d’électricité manquantes, puisse constituer une activité non commerciale (voire privée).

53. La livraison d’électricité est en effet, ici, directement liée à l’activité de gestionnaire de réseau de distribution. Il semble qu’en Belgique le gestionnaire de réseau de distribution doive compenser à ses frais les quantités d’électricité perdues du fait du prélèvement illégal de l’électricité par des tiers. Par conséquent, la loi déjà (ici l’arrêté relatif à l’énergie) impute ce risque de livraisons « inconscientes » dans le cadre d’un rapport juridique légal à l’activité économique de
Fluvius. Il s’agit ce faisant pour Fluvius d’un risque commercial inhérent à son activité en tant que gestionnaire de réseau de distribution.

54. L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA doit par conséquent être interprété en ce sens que la livraison d’électricité par un gestionnaire de réseau de distribution constitue aussi une activité économique de celui-ci lorsque et parce qu’elle manifeste le risque de son activité économique en tant que gestionnaire de réseau de distribution.

C.   Qualité d’assujetti d’un gestionnaire de réseau de distribution de droit public d’après l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA (quatrième question préjudicielle)

55. La quatrième question préjudicielle a deux parties. La première partie de la quatrième question préjudicielle est libellée ainsi qu’elle vise à savoir si « l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive [2006/112] [doit] être interprété en ce sens que Fluvius Antwerpen est une autorité publique [(entendue comme un “autre organisme de droit public” étant donné que, dans certaines versions linguistiques, l’article 13 de cette directive n’utilise pas du tout la notion d’“autorité
publique” et que, dans d’autres, il ne l’utilise pas pour décrire le statut de la personne qui agit)] ». Il s’agit là d’une question d’appréciation des faits de l’espèce pour laquelle la juridiction de renvoi est seule compétente.

56. La Cour ne dispose pas d’indications de fait suffisantes qui lui permettraient de répondre à une question reformulée visant à savoir si un gestionnaire de réseau de distribution ayant la forme juridique de Fluvius doit être considéré comme un « autre organisme de droit public ». Si Fluvius devait être, par exemple, comme il le soutient lui‑même, une personne de droit privé, il n’y aurait pas d’« autre organisme de droit public ».

57. Il est difficilement conciliable avec les termes de la directive TVA d’interpréter la notion d’« autorité publique » dans le sens d’une « entité de droit privé ». Il en va a fortiori ainsi si l’article 13, paragraphe 1, de cette directive doit effectivement faire l’objet d’une « interprétation stricte » ( 17 ). La Cour a pourtant visiblement considéré dans l’affaire Saudaçor qu’il était possible qu’une société de capitaux organisée en vertu du droit privé soit considérée dans certaines
circonstances comme un « autre organisme de droit public » ( 18 ). Elle a cependant formulé les conditions à cet effet (intégration dans l’organisation de l’administration publique, accomplissement d’actes relevant de prérogatives de l’autorité publique, prérogatives de puissance publique) ( 19 ) de telle sorte qu’elles ne peuvent en réalité jamais être réunies en ce qui concerne une société de capitaux organisée d’après le droit privé.

58. D’après les informations publiques disponibles sur Internet, le gestionnaire de réseau de distribution Fluvius semble cependant être une personne morale de droit public, qui en tant qu’association de plusieurs communes est chargée de missions d’intérêt général. On peut dès lors aisément parler d’un « autre organisme de droit public » et la première partie de la quatrième question de la juridiction de renvoi est sans objet.

59. Dans la seconde partie de la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive TVA. Cette disposition prévoit que les organismes de droit public, même lorsqu’ils exercent des activités qui leur appartiennent dans le cadre de la puissance publique, ont la qualité d’assujettis pour certaines activités citées dans l’annexe I de cette directive (l’approvisionnement en électricité en fait partie –
voir le point 2 de cette annexe). Il en va également ainsi même si le traitement de ces activités en tant qu’opérations non imposables ne conduisait pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance (article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ladite directive). Une exception est cependant faite à cet assujettissement de principe, à l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la même directive, « dans la mesure où [ces activités] ne sont pas négligeables ». La juridiction de
renvoi souhaite obtenir une interprétation de cette dernière exception.

60. Elle semble visiblement partir de la prémisse erronée qu’il convient de nier en soi l’assujettissement des activités de portée négligeable au sens de l’annexe I de la directive TVA. L’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de cette directive constitue cependant une réglementation qui ne s’applique que si les conditions de l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive sont réunies. Elle est uniquement supposée garantir que les organismes de droit public chargés de ces activités typiques
d’approvisionnement des consommateurs citées dans l’annexe I de la même directive soient en soi traités comme des assujettis, même s’ils devaient agir dans le cadre de la puissance publique. Si, par conséquent, les conditions de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa (activité dans le cadre de la puissance publique), ou deuxième alinéa (pas de distorsion de la concurrence d’une certaine importance), de la directive TVA ne sont déjà pas réunies, le troisième alinéa et l’exception qui y est
posée pour les activités négligeables importent peu.

61. La juridiction de renvoi n’a cependant pas exposé pourquoi la fourniture d’électricité par Fluvius en sa qualité de gestionnaire de réseau de distribution, couverte par l’annexe I, point 2, de la directive TVA, constituerait une activité qui lui revient dans le cadre de l’exercice de la puissance publique (article 13, paragraphe 1, de cette directive). Le fait que Fluvius doit réclamer dans une juridiction civile la contre-prestation pour la fourniture de l’électricité plaide plutôt contre cette
hypothèse. Il est de même impossible pour la Cour de juger si l’absence de caractère imposable de ces livraisons conduit à des distorsions de concurrence d’une certaine importance (article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ladite directive). Cela dépendrait du volume des livraisons d’électricité que la juridiction de renvoi n’a pas non plus communiqué. Les chiffres présentés par Fluvius suggèrent plutôt l’existence d’une distorsion de la concurrence.

62. Si la juridiction de renvoi devait néanmoins parvenir à la conclusion que la fourniture d’électricité dans le cadre du prélèvement illégal est une activité qui appartient à Fluvius dans le contexte de l’exercice de la puissance publique et que son absence d’imposition ne conduit pas non plus à des distorsions de la concurrence d’une certaine importance, l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive TVA serait alors applicable. Fluvius devrait alors, en raison des livraisons
d’électricité couvertes par l’annexe I de cette directive, être considéré comme un assujetti, à moins que la portée de ces activités soit négligeable. Toutefois, même dans ce cas de figure, cette exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de ladite directive ne viendrait selon nous pas à s’appliquer en l’espèce.

63. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué ailleurs ( 20 ), l’article 13 de la directive TVA part de la prémisse selon laquelle les activités de l’État en tant qu’assujetti dans le cadre de l’exercice de la puissance publique n’ont pas à être taxées une nouvelle fois par ce dernier pour préserver la neutralité concurrentielle ( 21 ). En règle générale, de telles « activités officielles » observées selon la typologie qui s’impose ne sont déjà pas des activités économiques au sens de l’article 9 de la
directive TVA.

64. Si tel est néanmoins le cas, l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA, entendu dans le sens d’une règle simplificatrice, empêche que cela fasse naître des obligations fiscales (obligations de paiement, d’enregistrement et de déclaration). Par voie de conséquence, il ne peut y avoir des « activités de portée négligeable », au sens de l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de cette directive, que si l’approche de simplification est encore pertinente. Cela suppose que les seules
activités de portée négligeable au sens de l’annexe I de ladite directive fassent désormais naître pour l’organisme de droit public des obligations spéciales de paiement, d’enregistrement et de déclaration.

65. Ce n’est pas le cas en l’espèce parce que Fluvius est déjà un assujetti du fait de l’activité de gestionnaire de réseau de distribution. Le caractère imposable des livraisons d’électricité du fait du prélèvement illégal ne fait pas naître d’obligations supplémentaires qui devraient être prévenues au moyen des règles de simplification. Cette approche restrictive correspond à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA est d’interprétation stricte (
22 ).

V. Conclusion

66. Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles du vredegerecht te Antwerpen (justice de paix d’Anvers, Belgique) :

1) L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lu en combinaison avec son article 14, paragraphe 1,

doit être interprété en ce sens que :

le prélèvement illégal d’énergie constitue une livraison de biens à titre onéreux si la rémunération à verser aux termes de la loi est aménagée en fonction de la consommation.

2) L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112

doit être interprété en ce sens que :

un gestionnaire de réseau de distribution peut également exercer une activité économique lorsqu’il fournit à titre supplémentaire aussi de l’électricité. Il en va ainsi lorsque cette livraison, notamment en raison d’un prélèvement illégal d’électricité, manifeste un risque de son activité économique en tant que gestionnaire de réseau de distribution.

3) Il ne peut y avoir des activités de portée négligeable au sens de l’article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2006/112 que si l’organisme de droit public n’est pas considéré comme un assujetti en raison d’autres activités.

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( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 (JO 2006, L 347, p. 1) dans la version en vigueur au cours des années litigieuses (de mai 2017 à août 2019).

( 3 ) Kokott, J., EU Tax Law, Beck/Hart, Munich, 2022, p. 127 ; § 3, points 33 et suiv. ainsi que 36 et suiv. avec d’autres références.

( 4 ) Voir notamment arrêts du 29 juin 1999, Coffeeshop  Siberië  (C‑158/98, EU:C:1999:334, points 14 et 21) ; du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling (C‑439/04 et C‑440/04, EU:C:2006:446, point 50), et du 10 novembre 2011, Rank Group (C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 45).

( 5 ) Cela vaut par exemple pour les stupéfiants et la fausse monnaie. Voir arrêts du 5 juillet 1988, Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat (289/86, EU:C:1988:360, point 20) ; du 6 décembre 1990, Witzemann (C‑343/89, EU:C:1990:445, point 19) ; du 2 août 1993, Lange (C‑111/92, EU:C:1993:345, point 16) ; du 28 mai 1998, Goodwin et Unstead (C‑3/97, EU:C:1998:263, point 9) ; du 11 juin 1998, Fischer (C‑283/95, EU:C:1998:276, point 21), et du 29 juin 1999, Coffeeshop  Siberië  (C‑158/98,
EU:C:1999:334, point 21). Expressément d’un avis contraire cependant, par exemple le Bundesverwaltungsgericht suisse, arrêt du 3 mai 2007 – A-1342/2006, BVGE-2007‑23, points 5.5.1 et suiv. (au sujet des stupéfiants).

( 6 ) Voir, à titre d’exemples, arrêts du 18 décembre 1997, Landboden-Agrardienste (C‑384/95, EU:C:1997:627, points 20 et 23 – « Seule la nature de l’engagement pris doit être prise en considération : pour relever du système commun de TVA, un tel engagement doit impliquer une consommation ») ; du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a. (C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 37 – « fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il
fournit »), et du 3 mai 2012, Lebara (C‑520/10, EU:C:2012:264, point 23).

( 7 ) Arrêt du 8 mars 1988, Apple et Pear Development Council (102/86, EU:C:1988:120, point 12). De même, voir arrêts 16 octobre 1997, Fillibeck (C‑258/95, EU:C:1997:491, point 12), et du 29 juillet 2010, Astra Zeneca UK (C‑40/09, EU:C:2010:450, point 27 avec d’autres références).

( 8 ) Arrêt du 8 mars 1988, Apple et Pear Development Council (102/86, EU:C:1988:120, point 15). Voir également arrêt du 16 octobre 1997, Fillibeck (C‑258/95, EU:C:1997:491, point 16).

( 9 ) Arrêt du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 14). De manière similaire, voir arrêts du 11 mai 2017, Posnania Investment (C‑36/16, EU:C:2017:361, point 31), et du 2 mai 2019, Budimex (C‑224/18, EU:C:2019:347, point 30).

( 10 ) Pour une interprétation large, voir également nos conclusions dans l’affaire MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia (C‑295/17, EU:C:2018:413, points 34 et suiv.).

( 11 ) Arrêt du 17 septembre 2002, Town & County Factors (C‑498/99, EU:C:2002:494, points 16 et suiv.).

( 12 ) Voir, en ce sens également, arrêt du 20 janvier 2022, Apcoa Parking Danmark (C‑90/20, EU:C:2022:37, points 37 et suiv.).

( 13 ) Arrêt du 22 novembre 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia (C‑295/17, EU:C:2018:942, points 41 et suiv.).

( 14 ) Arrêt du 20 janvier 2022, Apcoa Parking Danmark (C‑90/20, EU:C:2022:37, points 33 et 34).

( 15 ) Arrêts du 13 juin 2018, Gmina Wrocław (C‑665/16, EU:C:2018:431, point 37), et du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit) (C‑604/19, EU:C:2021:132, point 56).

( 16 ) Proposition de la Commission de la sixième directive en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée, COM(73) 950 du 20 juin 1973.

( 17 ) Arrêts du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C‑288/07, EU:C:2008:505, point 60) ; du 29 octobre 2015, Saudaçor (C‑174/14, EU:C:2015:733, point 49) ; du 22 février 2018, Nagyszénás Településszolgáltatási Nonprofit Kft. (C‑182/17, EU:C:2018:91, point 54), et du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit) (C‑604/19, EU:C:2021:132, point 77).

( 18 ) Arrêt du 29 octobre 2015, Saudaçor (C‑174/14, EU:C:2015:733, points 61 et 68).

( 19 ) Arrêt du 29 octobre 2015, Saudaçor (C‑174/14, EU:C:2015:733, points 56 et suiv.).

( 20 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Gmina O. (C‑612/21, EU:C:2022:874, point 62).

( 21 ) Voir, sur la question de l’« auto-imposition de l’État », nos conclusions dans l’affaire Gemeente Borsele et Staatssecretaris van Financiën (C‑520/14, EU:C:2015:855, points 23 et suiv.).

( 22 ) Arrêts du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C‑288/07, EU:C:2008:505, point 60) ; du 29 octobre 2015, Saudaçor (C‑174/14, EU:C:2015:733, point 49) ; du 22 février 2018, Nagyszénás Településszolgáltatási Nonprofit Kft. (C‑182/17, EU:C:2018:91, point 54), et du 25 février 2021, Gmina Wrocław (Conversion du droit d’usufruit) (C‑604/19, EU:C:2021:132, point 77).


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-677/21
Date de la décision : 12/01/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Opérations imposables – Article 2, paragraphe 1, sous a) – Notion de “livraison de biens à titre onéreux” – Article 9, paragraphe 1 – Activité économique – Article 14, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a) – Livraison de biens – Consommation illégale d’électricité – Principe de neutralité de la TVA – Facturation au consommateur d’une indemnité incluant le prix de l’électricité consommée – Réglementation régionale d’un État membre – Assujetti – Entité sui generis missionnée par des communes – Notion d’“organisme de droit public” – Directive 2006/112/CE – Article 13, paragraphe 1, troisième alinéa, et annexe I – Assujettissement de principe de la distribution d’électricité – Notion de “caractère négligeable de l’activité”.

Fiscalité

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : Fluvius Antwerpen
Défendeurs : MX.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:24

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