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22/12/2022 | CJUE | N°C-115/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Oriol Junqueras i Vies contre Parlement européen., 22/12/2022, C-115/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Perte de la condition d’éligibilité à la suite d’une condamnation pénale – Annonce de la vacance du siège d’un député européen – Demande de prendre d’urgence une initiative pour confirmer l’immunité d’un député européen – Recours en annulation – Irrecevabilité »

Dans l’affaire C‑115/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de

justice de l’Union européenne, introduit le 25 février 2021,

Oriol Junqueras i Vies, demeurant à Sant Joan de Vilatorrada (Espagne)...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Perte de la condition d’éligibilité à la suite d’une condamnation pénale – Annonce de la vacance du siège d’un député européen – Demande de prendre d’urgence une initiative pour confirmer l’immunité d’un député européen – Recours en annulation – Irrecevabilité »

Dans l’affaire C‑115/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 25 février 2021,

Oriol Junqueras i Vies, demeurant à Sant Joan de Vilatorrada (Espagne), représenté par Mes M. Marsal i Ferret et A. Van den Eynde Adroer, abogados,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par MM. N. Görlitz et J.-C. Puffer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenu par :

Royaume d’Espagne, représenté par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, M. Oriol Junqueras i Vies demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 15 décembre 2020, Junqueras i Vies/Parlement (T‑24/20, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2020:601), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l’annulation, d’une part, de la déclaration prenant acte de la vacance de son siège de député européen, faite par le président du Parlement européen en séance plénière le 13 janvier 2020 (ci-après la
« déclaration du 13 janvier 2020 »), et, d’autre part, du prétendu rejet, par ce dernier, de la demande de prendre une « initiative d’urgence » en vue de confirmer son immunité, présentée le 20 décembre 2019 par Mme Riba i Giner, députée européenne, sur le fondement de l’article 8 du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « rejet de la demande du 20 décembre 2019 »).

Le cadre juridique

Le protocole sur les privilèges et immunités

2 Le chapitre III du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE et FUE (ci-après le « protocole sur les privilèges et immunités »), relatif aux « [m]embres du Parlement européen », comprend notamment l’article 9 de ce protocole, qui énonce :

« Pendant la durée des sessions du Parlement [...], les membres de celui‑ci bénéficient :

a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b) sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement [...] ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement [...] de lever l’immunité d’un de ses membres. »

L’acte électoral

3 L’article 6, paragraphe 2, de l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 20 septembre 1976 (JO 1976, L 278, p. 1, ci-après l’« acte électoral dans sa version initiale »), tel que modifié par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 (JO 2002, L 283, p. 1) (ci-après l’« acte électoral »), prévoit :

« Les membres du Parlement [...] bénéficient des privilèges et immunités qui leur sont applicables en vertu du [protocole sur les privilèges et immunités]. »

4 L’article 7 de l’acte électoral dispose :

« 1.   La qualité de membre du Parlement [...] est incompatible avec celle de :

– membre du gouvernement d’un État membre,

– membre de la Commission [européenne],

– juge, avocat général ou greffier de la Cour de justice ou du Tribunal,

– membre du directoire de la Banque centrale européenne,

– membre de la Cour des comptes [européenne],

– [M]édiateur [européen],

– membre du Comité économique et social [européen],

– membre du Comité des régions,

– membre de comités ou organismes créés en vertu ou en application des traités instituant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique en vue de l’administration de fonds communautaires ou d’une tâche permanente et directe de gestion administrative,

– membre du conseil d’administration, du comité de direction ou employé de la Banque européenne d’investissement,

– fonctionnaire ou agent en activité des institutions [de l’Union européenne] ou des organes ou organismes qui leur sont rattachés ou de la Banque centrale européenne.

2.   À partir de l’élection au Parlement [...] en 2004, la qualité de membre du Parlement [...] est incompatible avec celle de membre d’un parlement national.

[...]

3.   En outre, chaque État membre peut étendre les incompatibilités applicables sur le plan national, dans les conditions prévues à l’article 8.

[...] »

5 Aux termes de l’article 8 de cet acte :

« Sous réserve des dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales.

Ces dispositions nationales, qui peuvent éventuellement tenir compte des particularités dans les États membres, ne doivent pas globalement porter atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin. »

6 L’article 12 dudit acte est libellé comme suit :

« Le Parlement [...] vérifie les pouvoirs des membres du Parlement [...]. À cet effet [il] prend acte des résultats proclamés officiellement par les États membres et statue sur les contestations qui pourraient être éventuellement soulevées sur la base des dispositions du présent acte, à l’exclusion des dispositions nationales auxquelles celui-ci renvoie. »

7 Aux termes de l’article 13 du même acte :

« 1.   Un siège devient vacant quand le mandat d’un membre du Parlement [...] expire en cas de sa démission ou de son décès ou de déchéance de son mandat.

2.   Sous réserve des autres dispositions du présent acte, chaque État membre établit les procédures appropriées pour que, au cas où un siège devient vacant, ce siège soit pourvu pour le reste de la période quinquennale visée à l’article 5.

3.   Lorsque la législation d’un État membre établit expressément la déchéance du mandat d’un membre du Parlement [...], son mandat expire en application des dispositions de cette législation. Les autorités nationales compétentes en informent le Parlement [...]

4.   Lorsqu’un siège devient vacant par démission ou décès, le président du Parlement [...] en informe sans retard les autorités compétentes de l’État membre concerné. »

Le règlement intérieur

8 Sous l’intitulé « Vérification des pouvoirs », l’article 3 du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur ») dispose :

1.   À l’issue des élections générales au Parlement [...], le Président invite les autorités compétentes des États membres à communiquer sans retard au Parlement les noms des députés élus, afin que l’ensemble de ceux-ci puissent siéger au Parlement dès l’ouverture de la première séance suivant les élections.

[...]

3.   Sur la base d’un rapport de la commission compétente, le Parlement procède sans retard à la vérification des pouvoirs et statue sur la validité du mandat de chacun de ses membres nouvellement élus, ainsi que sur les contestations éventuelles présentées conformément aux dispositions de l’acte [électoral], à l’exclusion de celles qui, en vertu dudit acte, relèvent exclusivement des dispositions nationales auxquelles celui-ci renvoie.

[...]

6.   La commission compétente veille à ce que toute information pouvant affecter l’éligibilité des députés ou l’éligibilité ou l’ordre de classement de leurs suppléants soit communiquée sans retard au Parlement par les autorités des États membres ou de l’Union, avec mention de la date de prise d’effet lorsqu’il s’agit d’une nomination.

Lorsque les autorités compétentes des États membres entament une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat d’un député, le [p]résident [du Parlement] leur demande à être régulièrement informé de l’état de la procédure, et en saisit la commission compétente, sur proposition de laquelle le Parlement peut se prononcer. »

9 Aux termes de l’article 4, paragraphes 2, 4 et 7, du règlement intérieur, intitulé « Durée du mandat parlementaire » :

« 2.   [...]

Si la commission compétente estime que la démission est compatible avec l’acte [électoral], une vacance est déclarée, qui produit ses effets à compter de la date indiquée par le député démissionnaire dans le procès‑verbal de démission, et le Président en informe le Parlement.

Si la commission compétente estime que la démission est incompatible avec l’acte [électoral], elle propose au Parlement de ne pas déclarer la vacance.

[...]4. Lorsque les autorités compétentes des États membres ou de l’Union ou le député concerné notifient au Président une nomination ou une élection à des fonctions incompatibles avec la qualité de député au Parlement [...], aux termes de l’article 7, paragraphe 1 ou 2, de [l’acte électoral], le Président en informe le Parlement, qui constate la vacance à compter de la date de l’incompatibilité.

Lorsque les autorités compétentes des États membres notifient au Président la fin du mandat d’un député au Parlement [...] en raison soit d’une incompatibilité supplémentaire en vertu de la législation de l’État membre en question, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de [l’acte électoral], soit de la déchéance du mandat dudit député en application de l’article 13, paragraphe 3, du même acte, le Président informe le Parlement du fait que le mandat de ce député a pris fin à la date communiquée
par les autorités compétentes de l’État membre. Lorsqu’aucune date n’est communiquée, la date de la fin du mandat est celle de la notification par l’État membre.

[...]

7.   Dans le cas où l’acceptation du mandat ou sa résiliation paraissent entachées soit d’inexactitude matérielle, soit de vice du consentement, le Parlement peut déclarer non valable le mandat examiné ou refuser de constater la vacance du siège. »

10 L’article 5 du règlement intérieur, intitulé « Privilèges et immunités », prévoit :

« 1.   Les députés jouissent des privilèges et immunités prévus par le [protocole sur les privilèges et immunités].

2.   Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement s’emploie à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’exercice de leurs fonctions. L’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député, mais une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés.

[...] »

11 L’article 7 du règlement intérieur, intitulé « Défense des privilèges et immunités », énonce :

« 1.   Lorsqu’est alléguée une violation, déjà commise ou sur le point de se produire, des privilèges et immunités d’un député ou d’un ancien député par les autorités d’un État membre, une demande peut être introduite conformément à l’article 9, paragraphe 1, pour que le Parlement décide s’il y a eu ou s’il est susceptible d’y avoir violation de ces privilèges et immunités.

2.   En particulier, une telle demande de défense des privilèges et immunités peut être introduite s’il est considéré que les circonstances pourraient constituer soit une restriction d’ordre administratif ou autre au libre déplacement des députés se rendant au lieu de réunion du Parlement ou en revenant, soit une restriction d’ordre administratif ou autre à une opinion ou à un vote émis dans l’exercice de leurs fonctions, ou encore que ces circonstances pourraient entrer dans le champ
d’application de l’article 9 du [protocole sur les privilèges et immunités].

[...]

5.   Lorsqu’une décision de ne pas défendre les privilèges et immunités d’un député a été prise, celui-ci peut, à titre exceptionnel, introduire une demande de réexamen de la décision en présentant de nouveaux éléments de preuve conformément à l’article 9, paragraphe 1. La demande de réexamen est irrecevable si un recours a été formé contre la décision en vertu de l’article 263 [TFUE] ou si le [p]résident [du Parlement] estime que les nouveaux éléments de preuve présentés ne sont pas suffisamment
étayés pour justifier un réexamen. »

12 L’article 8 du règlement intérieur, intitulé « Action d’urgence du Président en vue de confirmer l’immunité », est libellé comme suit :

« 1.   Dans les cas où un député est arrêté ou privé de sa liberté de déplacement en violation apparente de ses privilèges et immunités, le [p]résident [du Parlement] peut prendre d’urgence, après consultation du président et du rapporteur de la commission compétente, une initiative visant à confirmer les privilèges et immunités du député concerné. Le [p]résident [du Parlement] communique son initiative à la commission et en informe le Parlement.

[...] »

13 L’article 9 du règlement intérieur, intitulé « Procédures relatives à l’immunité », dispose :

« 1.   Toute demande adressée au [p]résident [du Parlement] par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député, ou par un député ou un ancien député en vue de défendre des privilèges et immunités, est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

2.   Avec l’accord du député ou de l’ancien député concerné, la demande peut être adressée par un autre député, qui est autorisé à représenter le député ou l’ancien député concerné à toutes les étapes de la procédure.

[...]

3.   La commission examine sans retard, en tenant compte toutefois de leur complexité relative, les demandes de levée de l’immunité ou de défense des privilèges et immunités.

4.   La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l’adoption ou le rejet de la demande de levée de l’immunité ou de défense des privilèges et immunités. Les amendements ne sont pas recevables. En cas de rejet de la proposition, la décision contraire est réputée adoptée.

5.   La commission peut demander à l’autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu’elle estime nécessaires pour déterminer s’il convient de lever ou de défendre l’immunité.

6.   Le député concerné reçoit la possibilité d’être entendu et peut présenter tout document ou élément de preuve écrit qu’il juge pertinent.

[...]

Le président de la commission invite le député à une audition, en lui indiquant la date et l’heure de celle-ci. Le député concerné peut renoncer à son droit d’être entendu.

[...]

7.   Lorsque la demande de levée ou de défense de l’immunité porte sur plusieurs chefs d’accusation, chacun d’eux peut faire l’objet d’une décision distincte. Le rapport de la commission peut, exceptionnellement, proposer que la levée ou la défense de l’immunité concerne exclusivement la poursuite de l’action pénale, sans qu’aucune mesure d’arrestation, de détention ni aucune autre mesure empêchant le député d’exercer les fonctions inhérentes à son mandat puisse être adoptée contre celui-ci, tant
qu’un jugement définitif n’a pas été rendu.

8.   La commission peut émettre un avis motivé sur la compétence de l’autorité en question et sur la recevabilité de la demande, mais ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui sont imputés au député, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire.

9.   La proposition de décision de la commission est inscrite à l’ordre du jour de la première séance suivant le jour de son dépôt. Il ne peut être déposé d’amendements à cette proposition.

[...]

Sans préjudice de l’article 173 [du règlement intérieur], le député dont les privilèges ou immunités font l’objet d’un examen ne peut intervenir dans le débat.

La ou les propositions de décision contenues dans le rapport sont mises aux voix à la première heure des votes qui suit le débat.

Après examen par le Parlement, il est procédé à un vote séparé sur chacune des propositions contenues dans le rapport. En cas de rejet d’une proposition, la décision contraire est réputée adoptée.

10.   Le [p]résident [du Parlement] communique immédiatement la décision du Parlement au député concerné et à l’autorité compétente de l’État membre concerné, en demandant à être informé de toute évolution et de toute décision judiciaire rendue dans la procédure concernée. Dès que le [p]résident [du Parlement] reçoit ces informations, il les communique au Parlement sous la forme qu’il juge la plus appropriée, le cas échéant après consultation de la commission compétente.

11.   La commission traite ces questions et examine tous les documents qu’elle reçoit en observant la plus grande confidentialité. L’examen par la commission des demandes relevant des procédures relatives à l’immunité a toujours lieu à huis clos.

12.   Le Parlement examine uniquement les demandes de levée de l’immunité d’un député qui lui sont communiquées par les autorités judiciaires ou par la représentation permanente d’un État membre.

[...]

14.   Toute demande relative au champ d’application des privilèges ou immunités d’un député adressée par une autorité compétente est examinée conformément aux dispositions ci-dessus. »

Les antécédents du litige

14 Les antécédents du litige, qui sont exposés aux points 15 à 31 de l’ordonnance attaquée, peuvent être résumés de la manière suivante.

15 M. Junqueras i Vies était vice-président du Gobierno autonómico de Cataluña (gouvernement autonome de Catalogne, Espagne) au moment de l’adoption de la Ley 19/2017 del Parlamento de Cataluña, reguladora del referéndum de autodeterminación (loi 19/2017 du Parlement de Catalogne, portant réglementation du référendum d’autodétermination), du 6 septembre 2017 (DOGC no 7449A, du 6 septembre 2017, p. 1), et de la Ley 20/2017 del Parlamento de Cataluña, de transitoriedad jurídica y fundacional de la
República (loi 20/2017 du Parlement de Catalogne, de transition juridique et constitutive de la République), du 8 septembre 2017 (DOGC no 7451A, du 8 septembre 2017, p. 1), ainsi que de la tenue, le 1er octobre 2017, du référendum d’autodétermination prévu par la première de ces deux lois, dont les dispositions avaient, dans l’intervalle, été suspendues par une décision du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne).

16 À la suite de l’adoption de ces lois et de la tenue de ce référendum, le Ministerio fiscal (ministère public, Espagne), l’Abogado del Estado (avocat de l’État, Espagne) et le Partido político VOX (parti politique VOX) ont engagé une procédure pénale contre plusieurs personnes, dont M. Junqueras i Vies, en considérant que celles-ci avaient pris part à un processus de sécession et s’étaient rendues coupables des infractions pénales de « rébellion » ou de « sédition », de « désobéissance » et de
« détournement de fonds publics ».

17 M. Junqueras i Vies a été placé en détention provisoire pendant la phase d’instruction de cette procédure, en application d’une décision adoptée le 2 novembre 2017 sur le fondement de l’article 503 de la Ley de Enjuiciamiento Criminal (code de procédure pénale).

18 Pendant la phase de jugement de ladite procédure, le requérant s’est présenté aux élections au Parlement européen organisées le 26 mai 2019 et a été élu député européen, ainsi qu’il ressort de la décision du 13 juin 2019 de la Junta Electoral Central (commission électorale centrale), portant « Proclamation des députés élus au Parlement européen aux élections organisées le 26 mai 2019 » (BOE no 142, du 14 juin 2019, p. 62477), adoptée conformément à l’article 224, paragraphe 1, de la Ley orgánica
5/1985, de Régimen Electoral General (loi organique 5/1985, portant régime électoral général), du 19 juin 1985 (BOE no 147, du 20 juin 1985, p. 19110, ci-après la « loi électorale espagnole »). Par cette décision, la commission électorale centrale a par ailleurs procédé à l’attribution aux personnes élues, en ce compris au requérant, des sièges dont dispose le Royaume d’Espagne au sein du Parlement.

19 Par une ordonnance du 14 juin 2019, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a rejeté la demande du requérant tendant à ce que lui soit accordée une autorisation extraordinaire de sortie de prison, sous surveillance policière, afin de lui permettre de se présenter devant la commission électorale centrale et d’y prononcer le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole requis par l’article 224, paragraphe 2, de la loi électorale espagnole.

20 Le 20 juin 2019, la commission électorale centrale a constaté que le requérant n’avait pas prononcé ce serment ou cette promesse et a, conformément à l’article 224, paragraphe 2, de la loi électorale espagnole, déclaré la vacance du siège de député européen attribué à celui-ci ainsi que la suspension de toutes les prérogatives qui pourraient lui revenir du fait de ses fonctions.

21 Le requérant a introduit, devant le Tribunal Supremo (Cour suprême), un recours contre l’ordonnance mentionnée au point 19 du présent arrêt, en se prévalant des immunités prévues à l’article 9 du protocole sur les privilèges et immunités.

22 Le 1er juillet 2019, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer sur ce recours et d’adresser à la Cour des questions préjudicielles dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115).

23 Le 2 juillet 2019, le président du Parlement a ouvert, en l’absence de M. Junqueras i Vies, la première session de la législature issue des élections au Parlement organisées le 26 mai 2019.

24 Le 4 juillet 2019, Mme Riba i Giner, députée européenne, a demandé, au nom de M. Junqueras i Vies, au président du Parlement, sur le fondement de l’article 8 du règlement intérieur, la prise de mesures d’urgence afin de garantir l’immunité parlementaire du requérant.

25 Le 22 août 2019, le président du Parlement a rejeté cette demande.

26 Par un arrêt du 14 octobre 2019, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a condamné M. Junqueras i Vies, d’une part, à treize années de privation de liberté et, d’autre part, à treize années d’incapacité absolue entraînant la perte définitive de toutes ses charges et fonctions publiques, y compris électives, ainsi que l’impossibilité d’en obtenir ou d’en exercer de nouvelles.

27 Par l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), la Cour a répondu aux questions préjudicielles évoquées au point 22 du présent arrêt. Elle a dit pour droit qu’une personne qui avait été officiellement proclamée élue au Parlement alors qu’elle faisait l’objet d’une mesure de placement en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pour infractions pénales graves, mais qui n’avait pas été autorisée à se conformer à certaines exigences prévues par le droit interne
à la suite d’une telle proclamation ainsi qu’à se rendre au Parlement en vue de prendre part à la première session de celui-ci, devait être regardée comme bénéficiant d’une immunité en vertu de l’article 9, deuxième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités. La Cour a précisé que cette immunité impliquait de lever la mesure de placement en détention provisoire afin de permettre à l’intéressé de se rendre au Parlement et d’y accomplir les formalités requises par le droit de l’Union. La
Cour a enfin indiqué que, si la juridiction nationale compétente estimait qu’il y avait lieu de maintenir cette mesure après l’acquisition, par l’intéressé, de la qualité de membre du Parlement, elle devrait demander dans les plus brefs délais la levée de l’immunité au Parlement, sur le fondement de l’article 9, troisième alinéa, du même protocole.

28 Le 20 décembre 2019, Mme Riba i Giner, députée européenne, a, au nom du requérant, de nouveau saisi le président du Parlement afin qu’il prenne, sur le fondement de l’article 8 du règlement intérieur, des mesures urgentes pour confirmer l’immunité du requérant (ci-après la « demande du 20 décembre 2019 »).

29 Par décision du 3 janvier 2020, la commission électorale centrale a déclaré l’inéligibilité du requérant en raison de sa condamnation à une peine privative de liberté par l’arrêt du 14 octobre 2019 mentionné au point 26 du présent arrêt. Le requérant a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal Supremo (Cour suprême) et a demandé qu’il soit sursis à son exécution.

30 Par une ordonnance du 9 janvier 2020, le Tribunal Supremo (Cour suprême) s’est prononcé sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), à l’égard de la procédure pénale concernant le requérant. Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’adresser au Parlement de demande de levée de l’immunité parlementaire du requérant, en se fondant notamment sur le fait que, lorsque celui-ci avait été proclamé élu, la procédure pénale le concernant était
arrivée à son terme et le délibéré avait débuté. Selon le Tribunal Supremo (Cour suprême), dès lors que le requérant avait obtenu la qualité de député européen au moment où la procédure pénale engagée contre lui se trouvait dans la phase de jugement, il ne pouvait pas invoquer d’immunité pour faire obstacle à la poursuite de cette procédure. Dans le dispositif de son ordonnance, le Tribunal Supremo a considéré, en particulier, qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser le déplacement du requérant au
siège du Parlement, d’autoriser sa libération, de déclarer la nullité de l’arrêt du 14 octobre 2019 et d’adresser de demande de levée de l’immunité au Parlement. Il a également décidé de communiquer son ordonnance à la commission électorale centrale et au Parlement. Le même jour, cette juridiction a décidé d’examiner la demande de sursis à l’exécution de la décision de la commission électorale centrale du 3 janvier 2020 selon la procédure ordinaire et a rejeté les demandes de mesures d’extrême
urgence présentées par le requérant.

31 Les 10 et 13 janvier 2020, Mme Riba i Giner, députée européenne, a complété la demande du 20 décembre 2019, présentée au nom de M. Junqueras i Vies, en demandant notamment au président du Parlement qu’il refuse de déclarer vacant le siège de celui-ci et en fournissant des documents supplémentaires.

32 Par la déclaration du 13 janvier 2020, le président du Parlement a annoncé, en séance plénière, que cette institution prenait acte, premièrement, à la suite de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), de l’élection du requérant au Parlement, avec effet au 2 juillet 2019 et, deuxièmement, à la suite de la décision de la commission électorale centrale du 3 janvier 2020 et de l’ordonnance du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 9 janvier 2020, de la vacance de son siège
à compter du 3 janvier 2020.

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

33 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 janvier 2020, M. Junqueras i Vies a demandé l’annulation, d’une part, de la déclaration du 13 janvier 2020 et, d’autre part, du rejet de la demande du 20 décembre 2019.

34 Par acte séparé du même jour, le requérant a assorti cette requête d’une demande en référé, sur le fondement des articles 278 et 279 TFUE, tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la déclaration du 13 janvier 2020 et du rejet de la demande du 20 décembre 2019, à ce qu’il soit enjoint au président du Parlement de prendre toutes mesures nécessaires pour protéger et rendre effectifs ses privilèges et immunités ainsi que pour protéger ses droits fondamentaux à exercer pleinement ses fonctions
de membre du Parlement, et enfin à ce qu’il soit enjoint au Royaume d’Espagne de le libérer immédiatement afin qu’il puisse exercer ses fonctions de membre du Parlement.

35 Par une ordonnance du 3 mars 2020, Junqueras i Vies/Parlement (T‑24/20 R, non publiée, EU:T:2020:78), le vice-président du Tribunal a rejeté cette demande en référé au motif que la condition relative au fumus boni juris n’était pas satisfaite.

36 Par une ordonnance du 8 octobre 2020, Junqueras i Vies/Parlement [C‑201/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:818], la vice-présidente de la Cour a rejeté le pourvoi formé par le requérant contre cette ordonnance du 3 mars 2020.

37 Le 15 décembre 2020, le Tribunal a adopté l’ordonnance attaquée, par laquelle, faisant droit aux exceptions d’irrecevabilité soulevées en défense par le Parlement, il a rejeté les conclusions de M. Junqueras i Vies tendant à l’annulation de la déclaration du 13 janvier 2020 et du rejet de la demande du 20 décembre 2019 comme étant dirigées contre des actes insusceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE.

38 Plus précisément, s’agissant des conclusions tendant à l’annulation de la déclaration du 13 janvier 2020, le Tribunal a jugé qu’elles étaient dirigées contre un acte purement informatif sans effet juridique sur la situation de M. Junqueras i Vies, car ne faisant que prendre acte, conformément à l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral, de la déchéance du mandat de l’intéressé intervenue sur le seul fondement du droit national, à la suite de sa condamnation pénale.

39 S’agissant des conclusions tendant à l’annulation du rejet de la demande du 20 décembre 2019, le Tribunal a jugé qu’elles étaient dirigées, en l’absence de décision expresse de rejet, contre un acte inexistant. À titre subsidiaire et en tout état de cause, le Tribunal a estimé que, dès lors que la possibilité de prendre une initiative d’urgence pour confirmer l’immunité d’un député européen, ouverte par l’article 8 du règlement intérieur, relevait d’un pouvoir discrétionnaire du président du
Parlement, excluant le droit d’exiger de ce dernier qu’il prenne une telle initiative, le rejet d’une telle demande ne pouvait être considéré comme un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

40 Par décision du président de la Cour du 9 juin 2021, le Royaume d’Espagne a été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement.

41 Par une ordonnance du 28 septembre 2021, le président de la Cour a rejeté la demande d’intervention présentée par MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres au soutien des conclusions de M. Junqueras i Vies.

42 Par son pourvoi, M. Junqueras i Vies demande à la Cour :

– d’annuler l’ordonnance attaquée ;

– de constater la recevabilité du recours présenté devant le Tribunal ;

– de renvoyer l’affaire au Tribunal afin que ce dernier statue sur les moyens sur lesquels il ne s’est pas encore prononcé, et

– de condamner le Parlement aux dépens afférents à la procédure relative à l’exception d’irrecevabilité soulevée dans l’affaire T‑24/20 et à la procédure de pourvoi.

43 Le Parlement demande à la Cour :

– de rejeter dans son intégralité le pourvoi comme étant non fondé et

– de condamner le requérant aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

Sur le pourvoi

44 M. Junqueras i Vies soulève quatre moyens à l’appui de son pourvoi. Par ses premier à troisième moyens, il conteste les motifs par lesquels le Tribunal a jugé irrecevables ses conclusions tendant à l’annulation de la déclaration du 13 janvier 2020. Par son quatrième moyen, il conteste les motifs par lesquels le Tribunal a jugé irrecevables ses conclusions tendant à l’annulation du rejet de la demande du 20 décembre 2019.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

45 Le Parlement soutient à titre principal que les premier, troisième et quatrième moyens du pourvoi sont irrecevables au motif qu’ils ne répondent pas aux exigences requises par l’article 256, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE, par l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que par l’article 168, paragraphe 1, sous d), et l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, faute d’indiquer de manière suffisamment précise les points de
motifs critiqués de l’ordonnance attaquée et les arguments juridiques sous-tendant sa demande. Le Parlement fait valoir que le premier moyen du pourvoi est également irrecevable en ce qu’il vise non pas à contester l’interprétation de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral retenue par le Tribunal, mais à remettre en cause sa lecture de la décision de la commission électorale centrale du 3 janvier 2020, ce qui relèverait de l’appréciation des faits ou de l’interprétation du droit national
et échapperait au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi.

46 Le requérant conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

47 S’il est vrai que les écritures développées par M. Junqueras i Vies au soutien des premier, troisième et quatrième moyens du pourvoi apparaissent parfois confuses, il convient toutefois de constater que le pourvoi mentionne les points de motifs critiqués de l’ordonnance attaquée et fait état, de manière suffisamment précise pour mettre la Cour à même de statuer, des arguments juridiques par lesquels le requérant entend remettre en cause ces points.

48 Par ailleurs, en ce qui concerne le premier moyen du pourvoi, il y a lieu de constater que, par son argumentation, le requérant tend à remettre en cause non pas l’appréciation des faits ou l’interprétation du droit national, mais l’interprétation de l’acte électoral retenue par le Tribunal.

49 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Parlement, les premier, troisième et quatrième moyens du pourvoi sont recevables.

Sur les premier à troisième moyens

Argumentation des parties

50 Les premier à troisième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, sont, comme indiqué au point 44 du présent arrêt, dirigés contre les motifs de l’ordonnance attaquée par lesquels le Tribunal a jugé que les conclusions de M. Junqueras i Vies tendant à l’annulation de la déclaration du 13 janvier 2020 étaient irrecevables.

51 Plus précisément, par son premier moyen, le requérant reproche au Tribunal d’avoir jugé que sa situation devait s’analyser comme une incompatibilité ou une déchéance de mandat, au sens de l’article 7, paragraphe 3, et de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral, alors qu’elle devait s’analyser comme une incompatibilité survenue ex post, ne relevant d’aucune de ces dispositions. Par son deuxième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit au regard de
l’article 4, paragraphe 7, du règlement intérieur, qui prévoit les cas dans lesquels le Parlement peut refuser de constater la vacance du siège d’un de ses membres. Enfin, par son troisième moyen, M. Junqueras i Vies soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, il ne résulte ni des articles 8 et 12 de l’acte électoral ni de l’article 3, paragraphe 3, du règlement intérieur que le Parlement ne pourrait remettre en cause la décision d’un État membre telle que celle en cause dans la
présente affaire.

52 Le Parlement et le Royaume d’Espagne estiment que ces moyens doivent être écartés.

Appréciation de la Cour

53 Il convient de relever que, aux termes de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de l’acte électoral, la qualité de membre du Parlement est incompatible avec l’exercice des fonctions énumérées à cette disposition. L’article 7, paragraphe 3, de cet acte permet aux États membres de prévoir des incompatibilités supplémentaires en étendant les incompatibilités applicables sur le plan national.

54 L’article 13 de l’acte électoral régit quant à lui les cas dans lesquels un siège de membre du Parlement devient vacant du fait de la démission, du décès ou de la déchéance du mandat de son titulaire. En vertu du paragraphe 3 du même article, lorsque la déchéance du mandat est expressément prévue par la législation d’un État membre, le mandat expire en vertu de cette législation et le Parlement en est informé par les autorités nationales.

55 L’article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement intérieur précise que, lorsque les autorités compétentes des États membres notifient au Parlement la fin du mandat d’un député européen en raison soit d’une incompatibilité supplémentaire relevant de l’article 7, paragraphe 3, de l’acte électoral, soit de la déchéance de son mandat, sur le fondement de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral, le président du Parlement informe le Parlement du fait que le mandat de l’intéressé a pris
fin à la date communiquée par les autorités nationales.

56 S’agissant, tout d’abord, de la base juridique de la déclaration du 13 janvier 2020, il ressort des points 57 à 67 de l’ordonnance attaquée que le Tribunal a estimé que le mandat de député européen de M. Junqueras i Vies avait pris fin du fait de la déchéance de son mandat telle qu’elle résulte de l’application du droit national, selon l’hypothèse prévue à l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral. Si, aux points 57 et 58 de cette ordonnance, le Tribunal a également mentionné l’article 7,
paragraphe 3, de l’acte électoral, c’est uniquement en raison du fait que l’article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement intérieur attache les mêmes conséquences à la survenance d’une incompatibilité supplémentaire relevant de cette disposition et d’une déchéance de mandat relevant de l’article 13, paragraphe 3, de cet acte.

57 Ce faisant, contrairement à ce que soutient le requérant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur quant à la base juridique de la déclaration du 13 janvier 2020. En effet, indépendamment de la terminologie retenue par le droit national, l’expiration du mandat de député européen, sur le fondement de ce droit, du fait d’une condamnation pénale, constitue bien un cas de déchéance de mandat, au sens de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral (voir, en ce sens, s’agissant de l’acte électoral dans
sa version initiale, arrêt du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P, EU:C:2005:429, point 49) et non une incompatibilité, au sens de l’article 7 de cet acte, dès lors qu’elle ne résulte pas du non-respect de l’interdiction de cumuler certaines fonctions.

58 Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir porté atteinte au droit du requérant à une protection juridictionnelle effective ou à son droit à un recours effectif et de l’avoir arbitrairement privé de son mandat en jugeant que la déclaration du 13 janvier 2020 était fondée sur l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral.

59 S’agissant ensuite de la marge d’appréciation dont dispose le Parlement en ce qui concerne les conséquences à tirer d’une déchéance de mandat trouvant son origine dans le droit national, il convient d’abord de rappeler que, conformément à l’article 5, paragraphes 1 et 2, et à l’article 13, paragraphe 2, TUE, le Parlement agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées par les traités.

60 Il convient également de préciser que, en l’absence d’adoption d’une procédure électorale uniforme, la procédure relative à l’élection des membres du Parlement reste régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales, sous réserve des dispositions de l’acte électoral, conformément à l’article 8 de cet acte.

61 Il ressort des termes mêmes de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral et de l’article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement intérieur que, lorsque la vacance du siège d’un membre du Parlement résulte de la déchéance de son mandat expressément prévue par le droit national, le mandat expire sur le seul fondement de ce droit, le Parlement étant simplement informé par les autorités nationales de la perte par l’intéressé de sa qualité de député européen.

62 Dans ce cas, il résulte de la jurisprudence de la Cour portant sur l’article 12, paragraphe 2, de l’acte électoral dans sa version initiale, mais qui est transposable à l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral dans sa version applicable au litige, que le Parlement ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour déclarer la vacance de siège résultant du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2009, Italie et Donnici/Parlement, C‑393/07 et C‑9/08, EU:C:2009:275, point 56), son rôle
consistant seulement à prendre acte de la vacance déjà constatée par les autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P, EU:C:2005:429, point 50).

63 En effet, c’est aux juridictions nationales compétentes, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE, ou à cette dernière, saisie d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 258 TFUE, qu’il appartient de contrôler la conformité au droit de l’Union de la procédure prévue par le droit national conduisant à la déchéance du mandat de membre du Parlement [voir, en ce sens, ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 8 octobre 2020, Junqueras
i Vies/Parlement, C‑201/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:818, point 66].

64 Le fait que, à la différence de l’acte électoral dans sa version initiale, l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral dans sa version applicable au litige n’emploie plus les termes « prendre acte » ne saurait remettre en cause l’analyse qui précède, dès lors qu’il ressort du libellé même de cette disposition ainsi que de celui de l’article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement intérieur que, en cas de déchéance de mandat expressément prévue par le droit national, le Parlement est
seulement informé, par les autorités nationales, de l’expiration du mandat en application du droit national.

65 Le Parlement a en revanche un rôle plus actif lorsque l’expiration du mandat résulte de la démission ou du décès d’un de ses membres, cas dans lesquels, conformément à l’article 13, paragraphe 4, de l’acte électoral, il revient à cette institution de constater elle-même la vacance de siège et d’en informer les autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P, EU:C:2005:429, point 50).

66 Dans ce contexte, la faculté du Parlement de refuser de constater la vacance du siège d’un de ses membres en cas d’inexactitude matérielle ou de vice du consentement, prévue à l’article 4, paragraphe 7, du règlement intérieur, ne peut de toute façon trouver à s’exercer dans les cas dans lesquels le Parlement ne dispose pas en premier lieu du pouvoir de constater une telle vacance. Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 62 du présent arrêt, le Parlement ne dispose pas d’un tel pouvoir lorsque la
vacance de siège résulte d’une déchéance de mandat relevant de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral.

67 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que le règlement intérieur est un acte d’organisation interne ne pouvant, sans méconnaître la hiérarchie des normes, instituer au profit du Parlement des compétences qui ne lui sont pas reconnues par un acte normatif, en l’occurrence par l’acte électoral (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2009, Italie et Donnici/Parlement, C‑393/07 et C‑9/08, EU:C:2009:275, points 47 et 48).

68 Eu égard à ce qui précède, c’est, en tout état de cause, sans erreur de droit que le Tribunal a jugé que cette institution ne pouvait faire usage de la faculté prévue à l’article 4, paragraphe 7, du règlement intérieur pour refuser de constater la vacance du siège de M. Junqueras i Vies.

69 Cette analyse est, comme l’a jugé le Tribunal au point 60 de l’ordonnance attaquée, confortée par le libellé des articles 8 et 12 de l’acte électoral ainsi que de l’article 3, paragraphe 3, du règlement intérieur, qui rappellent que la procédure électorale demeure régie par le droit national et qui précisent que le Parlement ne dispose que du pouvoir de statuer sur les contestations relatives à l’application de l’acte électoral, à l’exclusion de celles relatives à l’application des dispositions
nationales.

70 À cet égard, il y a lieu de souligner que les termes « procédure électorale », figurant à l’article 8, paragraphe 1, de l’acte électoral, ne désignent pas seulement les règles de vote et d’attribution des mandats mais également, contrairement à ce que soutient le requérant, les règles d’éligibilité des membres du Parlement. Il s’ensuit que l’inéligibilité ayant entraîné la déchéance de mandat de M. Junqueras i Vies en application de la loi électorale espagnole relève bien, comme l’a jugé le
Tribunal, de la « procédure électorale » régie par le droit national, au sens de l’article 8, paragraphe 1, de l’acte électoral, dont il n’appartient pas au Parlement de contrôler le respect.

71 Enfin, l’exception d’illégalité soulevée à titre subsidiaire par le requérant à l’encontre de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral et de l’article 4, paragraphe 7, du règlement intérieur doit, quant à elle, être écartée comme étant irrecevable, car soulevée pour la première fois dans le cadre du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, points 124 à 126).

72 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, dès lors que la déclaration du 13 janvier 2020 a un caractère purement informatif et ne produit donc pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de manière caractérisée la situation juridique de celle-ci, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les conclusions de M. Junqueras i Vies tendant à l’annulation de cette déclaration étaient dirigées contre
un acte insusceptible de faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE.

73 Il s’ensuit que les premier à troisième moyens du pourvoi doivent être écartés.

Sur le quatrième moyen

Argumentation des parties

74 Par son quatrième moyen, M. Junqueras i Vies conteste les motifs par lesquels le Tribunal a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à l’annulation du rejet de la demande du 20 décembre 2019. Il reproche au Tribunal d’avoir entaché l’ordonnance attaquée d’une erreur de droit en jugeant qu’une initiative du président du Parlement prise sur le fondement de l’article 8 du règlement intérieur n’avait pas de caractère contraignant pour les autorités compétentes des États membres et ne
produisait aucun effet sur la situation juridique du député européen concerné.

75 Le Parlement et le Royaume d’Espagne estiment que ce moyen doit être écarté.

Appréciation de la Cour

76 Il ressort des points 103 à 106 de l’ordonnance attaquée que, pour rejeter comme irrecevables les conclusions tendant à l’annulation du rejet de la demande du 20 décembre 2019, le Tribunal s’est fondé à titre principal sur le fait que, faute de réponse expresse du président du Parlement à cette demande et en l’absence de dispositions ou de circonstances spécifiques permettant de caractériser la naissance d’une décision implicite de rejet, ces conclusions étaient dirigées contre un acte
inexistant. Ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal a précisé, aux points 107 à 137 de l’ordonnance attaquée, que, à supposer que la déclaration du 13 janvier 2020 révèle l’existence d’une décision implicite de rejet de la demande du 20 décembre 2019, les conclusions du requérant tendant à l’annulation de cette décision devraient de toute façon être également rejetées comme étant irrecevables, car dirigées contre un acte insusceptible de faire l’objet d’un recours en annulation. En effet,
selon le Tribunal, à la différence d’une réponse apportée à une demande de défense des privilèges et immunités présentée sur le fondement de l’article 9 du règlement intérieur, la prise d’une initiative en vue de confirmer les privilèges et immunités d’un député européen sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement relève d’un pouvoir discrétionnaire du président du Parlement et n’a, dès lors, aucun caractère contraignant pour les autorités nationales compétentes ni aucun effet
juridique sur la situation du député concerné.

77 S’agissant des motifs retenus à titre principal par le Tribunal, le requérant se contente de faire état de la chronologie des faits antérieure à la demande du 20 décembre 2019, sans expliquer en quoi cette chronologie devrait conduire à considérer que le silence gardé par le président du Parlement sur cette demande aurait donné naissance à une décision implicite de rejet. Une telle argumentation doit, dans ces conditions, être regardée comme irrecevable. Elle ne permet pas de remettre en cause la
conclusion du Tribunal selon laquelle le recours formé par le requérant tendant à l’annulation du rejet de la demande du 20 décembre 2019 était dirigé contre un acte inexistant.

78 Dans ces conditions, l’argumentation développée pour le surplus par M. Junqueras i Vies au soutien du quatrième moyen du pourvoi, qui est dirigée contre les motifs retenus à titre surabondant par le Tribunal aux points 107 à 137 de l’ordonnance attaquée, doit être écartée comme étant inopérante.

79 Il s’ensuit que le quatrième moyen du pourvoi doit être écarté et que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

80 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

81 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce dernier, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

82 Le Parlement ayant conclu à la condamnation du requérant et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner ce dernier à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement.

83 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres et les institutions intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume d’Espagne, partie intervenante dans le cadre du présent pourvoi, supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) M. Oriol Junqueras i Vies supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.

  3) Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-115/21
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Perte de la condition d’éligibilité à la suite d’une condamnation pénale – Annonce de la vacance du siège d’un député européen – Demande de prendre d’urgence une initiative pour confirmer l’immunité d’un député européen – Recours en annulation – Irrecevabilité.

Dispositions institutionnelles

Privilèges et immunités


Parties
Demandeurs : Oriol Junqueras i Vies
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Bonichot

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:1021

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