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08/12/2022 | CJUE | N°C-600/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, QE contre Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest., 08/12/2022, C-600/21


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

8 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 3, paragraphe 1 – Article 4 – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause – Clause portant sur la déchéance du terme d’un contrat de prêt – Dispense contractuelle de mise en demeure »

Dans l’affaire C‑600/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l

article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 16 juin 2021, parvenue à la Cour le 28 septembre...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

8 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 3, paragraphe 1 – Article 4 – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause – Clause portant sur la déchéance du terme d’un contrat de prêt – Dispense contractuelle de mise en demeure »

Dans l’affaire C‑600/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 16 juin 2021, parvenue à la Cour le 28 septembre 2021, dans la procédure

QE

contre

Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J.‑C. Bonichot et S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour QE, par Me S. Viaud, avocat,

– pour la Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, par Me M.-A. Doumic-Seiller, avocate,

– pour le gouvernement français, par Mmes A.-L. Desjonquères et N. Vincent, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant QE à la Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest, établissement bancaire de droit français (ci-après l’« établissement bancaire »), au sujet d’une saisie-vente opérée au domicile de QE après que l’établissement bancaire a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt conclu entre ces deux parties.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

4 L’article 4 de cette directive dispose :

« 1.   Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.   L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

Le droit français

5 L’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige au principal, prévoyait que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 Par acte notarié du 17 mai 2006, l’établissement bancaire a consenti à QE un prêt destiné à l’acquisition d’un bien immobilier d’un montant de 209109 euros remboursable sur 20 ans.

7 Les conditions générales du contrat de prêt prévoyaient que l’établissement bancaire pourrait prononcer la déchéance du terme du contrat de prêt, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, et ce sans formalité ni mise en demeure, dans le cas d’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires. Le contrat de prêt prévoyait, par ailleurs, la possibilité pour QE de demander une modification d’échéances susceptible de lui permettre, le cas échéant,
de prévenir un risque d’impayé.

8 L’échéance exigible au 10 décembre 2012, pour un montant de 904,50 euros, n’ayant pas été réglée, ni celle du mois de janvier 2013, l’établissement bancaire a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt le 29 janvier 2013, sans mise en demeure préalable, conformément au contrat en cause au principal, et a fait procéder à une saisie-vente au domicile de QE le 17 septembre 2015.

9 Soutenant que le procès-verbal de saisie comportait des irrégularités, QE a saisi le juge de l’exécution, le 13 octobre 2015, en vue de faire annuler la procédure de saisie-vente.

10 QE s’est pourvu en cassation, devant la juridiction de renvoi, contre l’arrêt rendu le 3 octobre 2019 par la cour d’appel de Versailles (France) dans lequel celle-ci refusait de reconnaître le caractère abusif de la clause de déchéance du terme du contrat en cause au principal. QE soutient, notamment, que la clause de ce contrat prévoyant la dispense de mise en demeure serait constitutive d’une clause abusive eu égard aux critères dégagés par l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14,
EU:C:2017:60).

11 La juridiction de renvoi indique que, selon sa jurisprudence constante, il résulte des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur version applicable au litige au principal, que, si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet et précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire
obstacle. Elle précise néanmoins qu’elle admet qu’il puisse être dérogé à cette exigence d’une mise en demeure par une stipulation expresse et non équivoque du contrat dès lors que le consommateur est informé des conséquences de la méconnaissance de ses obligations.

12 La juridiction de renvoi se demande cependant, d’une part, si, au regard de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4 de la directive 93/13, un contrat de prêt peut prévoir une dispense de mise en demeure préalablement au prononcé de la déchéance du terme d’un contrat de prêt. D’autre part, elle émet des doutes quant au caractère abusif d’une clause de ce contrat qui prévoit la déchéance du terme de celui-ci de plein droit dans le cas d’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’une
échéance, au regard notamment des critères dégagés dans l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60).

13 À cet égard, la juridiction de renvoi fait remarquer, en premier lieu, qu’il peut être soutenu, en faveur du caractère abusif d’une telle clause, qu’elle permet au prêteur de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable et sans laisser à l’emprunteur la possibilité de s’expliquer sur le manquement qui lui est imputé. Au contraire, plaiderait en faveur de l’absence de caractère abusif d’une telle clause, le fait que, pour être valable, elle doit être prévue de manière expresse et non
équivoque dans le contrat de prêt, de telle sorte que l’emprunteur est parfaitement informé de ses obligations ainsi que le fait que celui-ci dispose toujours de la possibilité de saisir le juge pour contester l’application de la clause et faire sanctionner un abus dans cette application par le prêteur.

14 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi confronte la clause en cause au principal, relative à la déchéance du terme du contrat de prêt en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, aux critères dégagés dans l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), dans le cadre de l’appréciation de l’éventuel caractère abusif de cette clause.

15 Au regard du critère selon lequel la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, la juridiction de renvoi estime qu’il pourrait être admis que le défaut de règlement par le consommateur d’une mensualité au terme prévu caractérise l’inexécution par celui-ci d’une obligation présentant un caractère essentiel, dès lors qu’il
s’est engagé à s’acquitter des mensualités prévues et que cet engagement a déterminé celui du prêteur.

16 Au regard du critère conduisant à apprécier si un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires, comme le prévoit la clause en cause au principal, caractérise une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, la juridiction de renvoi relève que, compte tenu d’un contexte caractérisé par l’allongement de la durée des crédits et la baisse des taux d’intérêts, les montants des impayés peuvent être relativement faibles au
regard de la durée et du montant des prêts au moment du prononcé de la déchéance du terme du contrat, de sorte que le caractère suffisamment grave de l’inexécution est discutable et qu’il pourrait être davantage tenu compte de l’équilibre global des relations contractuelles. Par ailleurs, déterminer dans chaque cas particulier, au regard de la durée et du montant du prêt, le caractère suffisamment grave de l’inexécution de nature à justifier l’exigibilité immédiate du prêt pourrait être source
d’inégalité entre les consommateurs.

17 Au regard des critères consistant à vérifier si la faculté laissée au professionnel de prononcer la déchéance du terme du contrat de prêt déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de l’exigibilité du prêt, la juridiction de renvoi souligne que le droit commun applicable
en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, tout en autorisant qu’il soit dérogé à cet envoi par les parties et en exigeant, alors le respect d’un préavis raisonnable. En l’occurrence, la clause en cause au principal prévoyant un délai de préavis de 30 jours, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au caractère suffisant de ce délai aux fins de permettre à l’emprunteur de
contacter le prêteur, de s’expliquer sur le manquement imputé et de trouver une solution pour apurer le ou les impayés. Elle relève cependant que le contrat en cause au principal prévoit la possibilité pour l’emprunteur de demander une modification d’échéances susceptible de lui permettre, le cas échéant, de prévenir un risque d’impayé. Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si les critères dégagés dans l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), sont cumulatifs
ou alternatifs et, dans l’hypothèse où ils seraient cumulatifs, si le caractère abusif d’une clause telle que celle en cause au principal ne pourrait pas être exclu au regard de l’importance relative d’un seul de ces critères.

18 Dans ces conditions, la Cour de cassation (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L[’article] 3, paragraphe 1, et [l’article] 4 de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2) L’arrêt [...] du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14[, EU:C:2017:60]), doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?

3) L[’article] 3, paragraphe 1, et [l’article] 4 de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de 30 jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?

4) Les quatre critères dégagés par la Cour [...] dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14[, EU:C:2017:60]), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5) Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

19 À la suite de l’affirmation par l’établissement bancaire, dans ses observations écrites déposées devant la Cour, que, « dès le 17 juin 2021, soit au lendemain de la [demande de décision préjudicielle], [QE] s’est acquitté de l’ensemble des sommes dues [à l’établissement bancaire] », le président de la Cour a, par décision du 11 mars 2022, adressé une demande d’informations à la juridiction de renvoi par laquelle celle-ci a été priée de confirmer si cette circonstance était exacte et, si tel était
le cas, de se prononcer sur l’incidence de cette circonstance sur l’objet du litige au principal. Il a également été demandé à la juridiction de renvoi, pour le cas où elle considérerait que le litige au principal est désormais dépourvu d’objet, d’informer la Cour de sa volonté de maintenir sa demande de décision préjudicielle et, le cas échéant, d’en indiquer les raisons.

20 La juridiction de renvoi a répondu que QE ne s’était pas désisté de son pourvoi, de telle sorte que l’instance est toujours pendante devant elle. Elle a indiqué en outre qu’il apparaît qu’une réponse aux questions posées est nécessaire aux fins de statuer sur le pourvoi dont elle est saisie.

21 Par lettre du 21 avril 2022, le greffe de la Cour a prié QE, en premier lieu, de lui indiquer s’il entendait maintenir son pourvoi devant la juridiction de renvoi et, en second lieu, de se prononcer sur l’affirmation de l’établissement bancaire selon laquelle le litige au principal serait devenu sans objet dès lors qu’il se serait acquitté de l’ensemble des sommes dues en exécution du prêt en cause au principal et des décisions de justice intervenues antérieurement entre lui et cet établissement.

22 QE a confirmé son intention de maintenir son pourvoi en cassation et a fait valoir que le litige au principal n’était pas devenu sans objet notamment au motif que l’éventuelle constatation par la juridiction de renvoi que la clause en cause au principal est abusive pourrait lui permettre d’agir en répétition de l’indu contre l’établissement bancaire.

23 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de
l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, point 37).

24 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit
nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, point 38).

25 Compte tenu des informations fournies tant par la juridiction de renvoi que par les parties au principal, il y a lieu de constater, d’une part, que le litige au principal est toujours pendant devant le juridiction de renvoi et, d’autre part, qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que le problème décrit dans la demande de décision préjudicielle est devenu hypothétique, dans la mesure notamment où il ne saurait être exclu que QE ait un intérêt à obtenir, dans le cadre de ce litige, une décision
sur le caractère abusif de la clause en cause au principal.

26 Il s’ensuit que les questions posées par la juridiction de renvoi sont recevables.

Sur le fond

Sur la quatrième question

27 Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), doit être interprété en ce sens que les critères qu’il dégage pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause crée au
détriment du consommateur, sont cumulatifs ou alternatifs.

28 Selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive, lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

29 Au point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), la Cour a, en substance, constaté que afin de déterminer si une clause conventionnelle produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, la juridiction nationale doit examiner notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente
un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national confère au consommateur des moyens adéquats et efficaces lui permettant, lorsque celui-ci est soumis à
l’application d’une telle clause, de remédier aux effets de l’exigibilité du prêt.

30 Tout d’abord, il convient de relever qu’il ne ressort pas de ce point°66 que ces critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont cumulatifs ou alternatifs.

31 Ensuite, il y a lieu de souligner que l’adverbe « notamment », figurant au point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), laisse entendre que lesdits critères ne sont pas exhaustifs.

32 Enfin, au point 67, premier tiret, de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), la Cour a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, qui implique de déterminer si celle-ci crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des
parties au contrat, doit être effectué au regard, notamment, de toutes les circonstances qui entourent la conclusion de celui-ci.

33 Or, considérer les critères dégagés au point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), comme étant soit cumulatifs, soit alternatifs reviendrait à restreindre cet examen du juge national.

34 L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 définit de façon particulièrement large les critères permettant d’effectuer ledit examen en englobant expressément « toutes les circonstances » qui entourent la conclusion du contrat concerné (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 42). Ainsi, l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doit être effectuée en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le professionnel
pouvait avoir connaissance à la date de la conclusion du contrat concerné et qui étaient de nature à influer sur l’exécution ultérieure de celui-ci, une clause contractuelle pouvant être porteuse d’un déséquilibre entre les parties qui ne se manifeste qu’en cours d’exécution du contrat (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 54).

35 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la quatrième question que l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), doit être interprété en ce sens que les critères qu’il dégage pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause crée au détriment du consommateur, ne peuvent
être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national doit examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.

Sur la cinquième question

36 Compte tenu de la réponse apportée à la quatrième question, il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question qui concerne l’hypothèse où les critères dégagés au point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), seraient cumulatifs.

Sur la deuxième question

37 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’une échéance d’un prêt peut, au regard de la durée et du montant du prêt, constituer à lui seul une inexécution suffisamment grave du contrat de prêt, au sens de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60).

38 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour en la matière porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive et à l’annexe de celle‑ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la même directive, étant entendu qu’il appartient à ce juge de se prononcer, en tenant compte de
ces critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il en ressort que la Cour doit se limiter à fournir à la juridiction de renvoi des indications dont cette dernière est censée tenir compte afin d’apprécier le caractère abusif de la clause concernée (arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 57 et jurisprudence citée).

39 Ainsi qu’il ressort du point 66 de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d’examiner, notamment, si, au regard de la durée et du montant du prêt, le manquement reproché au débiteur est d’une telle gravité qu’il justifie la
faculté du prêteur de prononcer la déchéance du prêt, rendant immédiatement exigibles les sommes dues.

40 Ainsi, il n’est pas exclu qu’une juridiction nationale puisse être amenée à conclure qu’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires constitue une inexécution suffisamment grave du contrat.

41 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’une échéance de prêt peut, en principe, au regard de la durée et du montant du prêt, constituer à lui seul une inexécution suffisamment grave du contrat de prêt, au sens de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60).

Sur les première et troisième questions

42 Par ses première et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause contractuelle qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai.

43 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive qu’une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive, lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat (ordonnance du 2 juillet 2020, STING Reality, C‑853/19, non publiée, EU:C:2020:522, point 52).

44 Ainsi, c’est la circonstance que la clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle qui permet au juge national, saisi d’une demande en ce sens, de procéder à l’examen du caractère abusif d’une telle clause, conformément aux fonctions qui lui incombent en vertu des dispositions de la directive 93/13 (voir, en ce sens, ordonnance du 2 juillet 2020, STING Reality, C‑853/19, non publiée, EU:C:2020:522, point 54).

45 En revanche, la seule circonstance qu’une clause comporte une obligation expresse et non équivoque ne saurait la soustraire au contrôle de son caractère abusif à l’aune de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, sous réserve de l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

46 En effet, aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, l’appréciation du caractère abusif des clauses d’un contrat ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 31).

47 À cet égard, la Cour a jugé que les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’« objet principal du contrat », au sens de ladite disposition, doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. En revanche, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de ladite notion (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB
Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 32).

48 À toutes fins utiles, il convient d’ajouter qu’il n’apparaît pas que la clause en cause au principal relève de la notion d’« objet principal du contrat » au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

49 Par ailleurs, afin de savoir si une clause qui prévoit une faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt crée, au détriment du consommateur, un « déséquilibre significatif » entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, la juridiction nationale doit examiner, ainsi qu’il est mentionné au point 35 du présent arrêt, l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, y compris si cette faculté déroge aux règles de droit
commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques. C’est à travers une telle analyse comparative que le juge national pourra évaluer si et, le cas échéant, dans quelle mesure le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur (arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 59).

50 Dans ce contexte, le juge national doit également vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle (arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 69).

51 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, sous réserve de l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, ils s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de
plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) L’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60), doit être interprété en ce sens que les critères qu’il dégage pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause crée au
détriment du consommateur, ne peuvent être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais doivent être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national doit examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.

  2) L’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13

doivent être interprétés en ce sens que :

un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’une échéance de prêt peut, en principe, au regard de la durée et du montant du prêt, constituer à lui seul une inexécution suffisamment grave du contrat de prêt, au sens de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60).

  3) L’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13

doivent être interprétés en ce sens que :

sous réserve de l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, ils s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et crée au détriment du consommateur un déséquilibre
significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-600/21
Date de la décision : 08/12/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 3, paragraphe 1 – Article 4 – Critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause – Clause portant sur la déchéance du terme d’un contrat de prêt – Dispense contractuelle de mise en demeure.

Rapprochement des législations

Protection des consommateurs


Parties
Demandeurs : QE
Défendeurs : Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest.

Composition du Tribunal
Avocat général : Medina
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:970

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