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01/12/2022 | CJUE | N°C-564/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, BU contre Bundesrepublik Deutschland., 01/12/2022, C-564/21


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

1er décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droits fondamentaux – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Article 11, paragraphe 1, article 23, paragraphe 1, et article 46, paragraphes 1 et 3 – Accès aux informations versées au dossier du demandeur – Intégralité du dossier – Métadonnées – Communication de ce dossier sous la forme de fichiers électroniques individuels non

structurés – Information par écrit – Copie
numérisée de la décision revêtue d’une signature manuscrite – Tenue du dos...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

1er décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droits fondamentaux – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Article 11, paragraphe 1, article 23, paragraphe 1, et article 46, paragraphes 1 et 3 – Accès aux informations versées au dossier du demandeur – Intégralité du dossier – Métadonnées – Communication de ce dossier sous la forme de fichiers électroniques individuels non structurés – Information par écrit – Copie
numérisée de la décision revêtue d’une signature manuscrite – Tenue du dossier électronique sans archivage d’un dossier papier »

Dans l’affaire C‑564/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Wiesbaden (tribunal administratif de Wiesbaden, Allemagne), par décision du 3 septembre 2021, parvenue à la Cour le 14 septembre 2021, dans la procédure

BU

contre

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (dixième chambre),

composée de MM. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, MM. I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour BU, par M. J. Leuschner, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. F. Erlbacher et Mme L. Grønfeldt, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11, paragraphe 1, de l’article 23, paragraphe 1, de l’article 45, paragraphe 1, sous a), et de l’article 46, paragraphes 1 à 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après
la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BU, un demandeur d’asile, à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), représentée par le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) (ci-après le « BAMF »), au sujet du rejet de la demande de protection internationale du requérant au principal, dans le cadre duquel le représentant de ce dernier a présenté une demande en référé, tendant à la communication
du dossier administratif complet de celui-ci, présenté sous la forme d’un fichier unique au format PDF (Portable Document Format) et comportant une numérotation continue des pages.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes des considérants 25 et 50 de la directive 2013/32 :

« (25) Afin de pouvoir déterminer correctement les personnes qui ont besoin d’une protection en tant que réfugiés[,] au sens de l’article 1er de la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967,] ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, chaque demandeur devrait
avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir sa demande à tous les stades de la procédure. Par ailleurs, la procédure d’examen de sa demande de protection internationale devrait, en principe, donner au demandeur au moins : [...] le droit à une notification correcte d’une décision et à une
motivation de cette décision en fait et en droit, la possibilité de consulter un conseil juridique ou tout autre conseiller, le droit d’être informé de sa situation juridique aux stades décisifs de la procédure, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, et, en cas de décision négative, le droit à un recours effectif devant une juridiction.

[...]

(50) Conformément à un principe fondamental du droit de l’Union, les décisions prises en ce qui concerne une demande de protection internationale, les décisions relatives à un refus de rouvrir l’examen d’une demande après que cet examen a été clos, et les décisions concernant le retrait du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire font l’objet d’un recours effectif devant une juridiction. »

4 L’article 11 de cette directive, intitulé « Conditions auxquelles sont soumises les décisions de l’autorité responsable de la détermination », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que les décisions portant sur les demandes de protection internationale soient communiquées par écrit. »

5 L’article 23 de ladite directive, intitulé « Portée de l’assistance juridique et de la représentation », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que le conseil juridique ou un autre conseiller reconnu en tant que tel ou autorisé à cette fin en vertu du droit national, qui assiste ou représente un demandeur en vertu du droit national, ait accès aux informations versées au dossier du demandeur sur la base duquel une décision est prise ou le sera. »

6 L’article 45 de la même directive, intitulé « Règles de procédure », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, lorsque l’autorité compétente envisage de retirer la protection internationale à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride conformément aux articles 14 ou 19 de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les
réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)], la personne concernée bénéficie des garanties suivantes :

a) être informée par écrit que l’autorité compétente procède au réexamen de son droit à bénéficier d’une protection internationale, ainsi que des motifs de ce réexamen ; [...]

[...] »

7 L’article 46 de la directive 2013/32, intitulé « Droit à un recours effectif », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.   Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i) les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

[...]

3.   Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance. »

Le droit allemand

La loi relative au droit d’asile

8 L’article 31 de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), du 26 juin 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1126), telle que publiée le 2 septembre 2008 (BGBl 2008 I, p. 1798), dans sa version applicable au litige au principal, intitulé « Décision de l’Office fédéral sur les demandes d’asile », dispose, à son paragraphe 1 :

« La décision de l’Office fédéral est rendue par écrit. Elle doit être motivée par écrit. Les décisions susceptibles de recours doivent être notifiées aux intéressés sans tarder. [...] »

Le code de justice administrative

9 L’article 99 de la Verwaltungsgerichtsordnung (code de justice administrative), du 21 janvier 1960 (BGBl. 1960 I, p. 17), dans sa version applicable au litige au principal, dispose, à son paragraphe 1 :

« Les autorités sont tenues de produire les actes et les dossiers, de transmettre les documents électroniques et de fournir des renseignements. Lorsque la révélation du contenu de tels actes, dossiers, documents électroniques ou renseignements porterait préjudice à l’État fédéral ou à un Land ou lorsque les faits doivent être tenus secrets en vertu d’une loi ou en raison de leur nature, la plus haute autorité de tutelle compétente peut refuser la production de ces actes et de ces dossiers, la
transmission de ces documents électroniques et la fourniture de ces renseignements. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Le requérant au principal a présenté une demande de protection internationale qui a été rejetée par le BAMF par la décision du 18 décembre 2019 (ci-après la « décision du 18 décembre 2019 »). Cette décision est fondée, en particulier, sur l’avis d’un agent du BAMF chargé des questions spécifiques au pays dont BU est ressortissant. Le contenu de cet avis a été repris sous la forme d’une citation dans l’exposé des faits figurant dans ladite décision.

11 Conformément à la pratique administrative du BAMF, l’agent qui a statué sur la demande de protection internationale du requérant au principal a apposé sa signature manuscrite sur la décision du 18 décembre 2019, a numérisé cette décision et a sauvegardé le document issu de la numérisation de ladite décision dans le dossier administratif électronique de l’intéressé. Le requérant au principal a reçu une impression de ce document. En revanche, l’original de la même décision a été détruit après sa
numérisation.

12 Le requérant au principal a saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre la décision du 18 décembre 2019.

13 Au cours de la procédure juridictionnelle au principal, le BAMF a répondu en produisant le dossier électronique du requérant au principal, complété par ledit avis, sous la forme de plusieurs documents distincts au format PDF ainsi que d’un ensemble de données structurelles au format XML (Extensible Markup Language), lesquelles nécessitent l’utilisation d’un logiciel approprié en vue de reproduire la structure initiale du dossier, telle que celle-ci se présente pour le BAMF. Il ressort du dossier
dont dispose la Cour que les juridictions nationales concernées détiennent un tel logiciel et que celui-ci est publiquement accessible et peut être téléchargé gratuitement sur Internet par d’autres personnes, y compris les représentants des demandeurs. Cependant, même en cas d’utilisation de ce logiciel, le dossier concerné est dépourvu d’une numérotation continue des pages.

14 Le représentant du requérant au principal a demandé à ce que le BAMF lui communique son dossier administratif complet, présenté sous la forme d’un fichier unique au format PDF et comportant une numérotation continue des pages. À la suite du rejet de cette demande, il a présenté à la juridiction de renvoi une demande en référé à cet égard.

15 Le BAMF fait valoir, à cet égard, qu’un dossier ne doit pas obligatoirement être transféré aux personnes concernées dans le même format que celui dans lequel il se présente devant lui. Il soutient que la mise à disposition du contenu des dossiers en vertu du droit de l’Union peut être effectuée également en accordant au demandeur l’accès pour consultation. Par ailleurs, il serait raisonnable d’exiger d’un représentant du demandeur de télécharger un logiciel qui est disponible gratuitement. En
outre, une numérotation continue des pages ferait obstacle à l’efficacité d’un échange numérique structuré des dossiers.

16 D’une part, la juridiction de renvoi considère que la demande du représentant du requérant au principal est fondée, dès lors que le dossier électronique de ce dernier n’est ni accessible ni produit dans son intégralité, en application de l’article 99, paragraphe 1, du code de justice administrative.

17 À cet égard, la juridiction de renvoi estime que la tenue correcte de dossiers par l’administration est essentielle pour garantir la transparence de l’action publique et la possibilité de contrôler cette dernière, afin que l’obligation d’un État de droit démocratique de rendre des comptes soit satisfaite. Cette obligation implique, selon elle, qu’une trace documentaire objective de tous les événements pertinents essentiels composant le processus administratif soit conservée, afin, notamment, de
permettre le contrôle du pouvoir exécutif par le juge administratif. Elle fait observer que le législateur est parti du principe que l’administration respectait la loi et que, par conséquent, celui-ci n’a pas offert la possibilité à ce juge de contraindre celle-ci à produire des dossiers administratifs. L’administration concernée devrait dès lors, en vertu des principes de l’État de droit et du procès équitable, s’acquitter promptement de l’obligation de communiquer ces dossiers dans leur
intégralité, tels qu’ils se trouvent à la disposition de cette administration, à toutes les parties à une procédure. C’est uniquement dans un tel cas de figure qu’il serait satisfait aux exigences de l’article 23 de la directive 2013/32.

18 Or, la partie imprimée du dossier administratif électronique géré par le BAMF, qui a été communiquée à la juridiction de renvoi, ne comprendrait pas l’intégralité du contenu de ce dossier. En effet, la juridiction de renvoi considère qu’il est indispensable que soient communiquées, dans le cadre de l’accès au dossier, également les métadonnées de celui-ci, telles que les accès au dossier, les insertions et les effacements des documents, l’historique du dossier, des liens avec d’autres procédures
concernant le demandeur ou des membres de sa famille, qui ne seraient pas accessibles au juge ni au représentant du demandeur.

19 En définitive, la juridiction de renvoi considère que le représentant du demandeur et le juge compétent devraient pouvoir accéder en ligne à l’intégralité du dossier administratif de l’intéressé, tel qu’il se trouve entre les mains de l’administration. Ce serait seulement à cette condition que l’exigence visée à l’article 23 de la directive 2013/32, selon laquelle le représentant du demandeur d’asile doit avoir accès aux « informations versées au dossier du demandeur », et le principe du droit à
un procès équitable seraient respectés.

20 D’autre part, la juridiction de renvoi relève que ce ne sont pas les originaux des actes administratifs concernés qui sont communiqués. En effet, selon la pratique administrative du BAMF, ces originaux, portant la signature de l’auteur de la décision concernée, doivent être d’abord numérisés et ensuite détruits, de telle sorte que subsiste seulement, en définitive, une copie électronique de ceux-ci.

21 Or, la juridiction de renvoi considère que l’exigence énoncée à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32, selon laquelle une décision portant sur une demande d’asile doit être communiquée par écrit implique, en principe, la signature manuscrite de l’auteur de cette décision. Elle relève qu’une telle interprétation correspond à la définition de la notion de « forme écrite » figurant à l’article 126 du Bürgerliches GesetzBuch (BGB) (code civil) et que, dans l’arrêt du 28 mai 2020,
Asociación de fabricantes de morcilla de Burgos/Commission (C‑309/19 P, EU:C:2020:401), la Cour a également jugé qu’une signature scannée ne constituait pas une signature originale. En outre, elle observe que le BAMF n’a pas recours à la signature électronique qui pourrait permettre de satisfaire l’exigence de signature, ainsi que l’article 25 du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour
les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE (JO 2014, L 257, p. 73), en témoigne.

22 Ainsi, la juridiction de renvoi considère que, dans le cas de figure où l’original d’une décision portant sur une demande d’asile est détruit et où subsiste seulement une copie numérisée de cette décision, cette dernière ne présente pas le caractère écrit requis par la directive 2013/32. En particulier, si une copie peut présenter l’apparence juridique d’une reproduction de l’original de l’acte administratif concerné, son intégrité ne serait pas certaine.

23 Enfin, la juridiction de renvoi se demande si, alors que l’original d’un acte administratif a été détruit, le fait que subsiste seulement une copie de cet acte peut donner lieu à l’annulation de celui-ci et si, en l’occurrence, elle ne doit pas rejeter la demande du représentant du requérant au principal visant à accéder à l’intégralité du dossier administratif de l’intéressé et enjoindre au BAMF, dans le cadre de la procédure principale, d’adopter une nouvelle décision écrite.

24 C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Découle-t-il du droit à un procès équitable consacré à l’article 47 de la [Charte] que, même lorsqu’il est présenté sous forme électronique, le dossier administratif que l’autorité concernée est tenue de présenter dans le cadre d’un accès au dossier ou d’un contrôle juridictionnel doit être complet et comporter une numérotation continue des pages, de sorte à permettre de suivre les modifications ?

2) L’article 23, paragraphe 1, et l’article 46, paragraphes 1 à 3, de la directive [2013/32] font-ils obstacle à une pratique administrative nationale suivant laquelle les autorités communiquent en règle générale au représentant du demandeur d’asile et au juge uniquement un extrait d’un système électronique de gestion des documents qui contient une accumulation incomplète, non structurée et non chronologique, de fichiers électroniques au format PDF, sans que ceux-ci soient pourvus d’une structure
ou d’une chronologie des événements et encore moins rendent l’intégralité du contenu du dossier électronique ?

3) Découle-t-il de l’article 11, paragraphe 1, et de l’article 45, paragraphe 1, sous a), de la directive 2013/32 qu’une décision doit être revêtue de la signature manuscrite du décideur de l’autorité responsable de la détermination, être versée au dossier ou également notifiée au demandeur en tant que document portant une signature manuscrite ?

4) Le caractère manuscrit au sens de l’article 11, paragraphe 1, et de l’article 45, paragraphe 1, sous a), de la directive 2013/32 est-il préservé lorsque la décision est signée par le décideur, mais ensuite scannée et l’original détruit, et que le caractère écrit de la décision n’est donc que partiel ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

25 Selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption à cet égard. Partant, dès lors que les questions posées portent sur
l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à ces questions (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C‑485/19, EU:C:2021:313, point 38 et jurisprudence
citée).

26 En premier lieu, dans ses observations écrites, le gouvernement allemand exprime ses doutes en ce qui concerne la pertinence des première et deuxième questions, en tant qu’elles concernent l’étendue du droit d’accès au dossier. Ces doutes sont fondés sur la considération selon laquelle l’accès aux métadonnées, qui serait en cause dans le litige au principal, n’est pas nécessaire à la juridiction de renvoi pour se prononcer sur le bien-fondé de la décision de rejet de la demande de protection
internationale dont elle est saisie.

27 Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi n’a pas formé celle-ci devant la Cour pour statuer sur la légalité de cette décision de rejet, mais en vue de statuer sur la demande en référé du requérant au principal, tendant à la production d’un dossier administratif complet, sous la forme d’un fichier unique au format PDF et comportant une numérotation continue des pages. Il est dès lors pertinent, pour la juridiction de renvoi, de se demander si un tel
dossier peut être considéré comme complet, même s’il ne contient pas les métadonnées qui sont à la disposition de l’administration lorsque celle‑ci utilise ce dossier.

28 En deuxième lieu, dans ses observations écrites, la Commission européenne s’interroge également sur la pertinence des première et deuxième questions. Ainsi, elle indique ne pas comprendre le rapport entre le principe du droit à un procès équitable et la réalité ou l’objet du litige au principal. Par ailleurs, au motif qu’il ne ressortirait pas de la décision de renvoi que le représentant du demandeur n’aurait pas été en mesure de télécharger le logiciel pour consulter le dossier de ce dernier et
dès lors de représenter son client, elle doute que la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une pratique nationale imposant au représentant du demandeur de protection internationale de télécharger un logiciel pour consulter le dossier de l’intéressé soit nécessaire aux fins de trancher le litige au principal sur le fond.

29 D’une part, s’agissant des considérations de la juridiction de renvoi relatives au principe du droit à un procès équitable, il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle que cette juridiction considère que ce principe, consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, exige l’accès à l’intégralité du dossier du demandeur, tel que ce dossier est détenu par l’administration. Or, ladite juridiction se demande précisément si, eu égard au mode de transmission des informations
figurant au dossier du requérant au principal, en cause dans le litige dont elle est saisie, il peut être considéré que l’accès à l’intégralité de ce dossier est assuré. La pertinence de ces considérations en l’occurrence ne fait dès lors aucun doute.

30 D’autre part, s’agissant de l’interprétation des première et deuxième questions, retenue par la Commission, selon laquelle ces questions visent, notamment, à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une pratique nationale imposant au représentant du demandeur de protection internationale de télécharger un logiciel pour consulter le dossier de celui-ci, il y a lieu de relever que lesdites questions portent non pas sur l’impossibilité matérielle du représentant du demandeur d’accéder au dossier
de celui-ci, mais sur l’accès intégral à ce dossier et sous une forme permettant de l’appréhender de la même manière que l’administration concernée. En effet, la juridiction de renvoi considère que la solution retenue en l’occurrence par le BAMF, laquelle requiert, notamment, le téléchargement d’un logiciel gratuit par le représentant du demandeur, ne permet pas de satisfaire à de telles exigences.

31 Dès lors, les première et deuxième questions sont recevables.

32 En troisième lieu, cependant, force est de constater que, s’agissant des troisième et quatrième questions, il peut être relevé que, dans la mesure où la décision contestée par le requérant au principal est une décision portant rejet de la demande de protection internationale présentée par ce dernier, l’issue du litige au principal ne semble pas requérir, en tant que telle, l’interprétation de l’article 45, paragraphe 1, sous a), de la directive 2013/32, visée par ces questions. En effet, cette
disposition s’applique aux hypothèses dans lesquelles l’autorité compétente envisage de retirer la protection internationale à une personne à laquelle celle-ci a déjà été octroyée. Ainsi, seule l’interprétation de l’article 11, paragraphe 1, de cette directive, qui s’applique aux décisions portant sur les demandes de protection internationale et qui est également visée par les troisième et quatrième questions, semble utile à la solution du litige au principal. Au demeurant, la juridiction de
renvoi ne fournit aucune explication permettant de comprendre de quelle manière l’interprétation de cet article 45, paragraphe 1, sous a), est nécessaire pour lui permettre de trancher ce litige. Il s’ensuit que les troisième et quatrième questions sont irrecevables en tant qu’elles portent sur l’interprétation dudit article 45, paragraphe 1, sous a).

Sur les première et deuxième questions

33 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 1, et l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique administrative nationale en vertu de laquelle l’autorité administrative ayant statué sur une demande de protection internationale communique au représentant du
demandeur une copie du dossier électronique relatif à cette demande sous la forme d’une suite non structurée de fichiers distincts au format PDF, dépourvue d’une numérotation continue des pages, et dont la structure peut être visualisée au moyen d’un logiciel gratuit et librement accessible sur Internet.

34 À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de relever que l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2013/32 met en œuvre le droit d’accès au dossier dans le cadre des procédures relatives à des demandes de protection internationale en prévoyant que le conseil juridique qui assiste ou représente le demandeur a accès aux informations versées au dossier de celui-ci sur la base duquel une décision est prise ou le sera.

35 Ensuite, s’agissant de l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32, cette disposition met en œuvre le principe de protection juridictionnelle effective en prévoyant que les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95, à tout le moins dans le cadre des procédures de recours devant
une juridiction de première instance.

36 Enfin, il convient de rappeler que, dans le cadre de la protection des droits et des libertés garantis par le droit de l’Union et du droit à une protection juridictionnelle effective, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte garantit le droit à un procès équitable, dont un des aspects particuliers est constitué par le respect des droits de la défense, lesquels impliquent, aux termes de cet alinéa, la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Ceux-ci doivent être respectés
dans toute procédure ouverte contre une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief. L’exercice effectif de ces droits a pour corollaire nécessaire le droit d’accès au dossier (arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, points 59 à 61 ainsi que jurisprudence citée).

37 Cependant, il résulte d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux, tels que le respect des droits de la défense, en vertu de cet article 47, y compris le droit à la divulgation des documents pertinents pour la défense, ne constituent pas des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et n’impliquent pas, au regard du but poursuivi, une
intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, points 62 et 68 ainsi que jurisprudence citée).

38 Pour ce qui est spécifiquement du droit d’accès au dossier, il résulte d’une jurisprudence bien établie que celui-ci implique que la personne visée par un acte lui faisant grief ait la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires concernant d’autres personnes, des documents internes de
l’autorité qui a adopté l’acte et d’autres informations confidentielles (arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

39 Quant aux documents qui doivent être inclus dans le dossier d’instruction, il convient de relever qu’il résulte également de la jurisprudence de la Cour que, s’il ne saurait appartenir à la seule autorité qui a pris la décision faisant grief, de déterminer les documents utiles à la défense de la personne concernée, il lui est toutefois permis d’exclure les éléments qui n’ont aucun rapport avec les éléments de fait et de droit qui étayent les motifs de cette décision et qui ne sont, par
conséquent, d’aucune pertinence pour l’issue de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

40 La Cour a, par ailleurs, jugé que l’existence d’une violation des droits de la défense, y compris le droit d’accès au dossier, doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 97 et jurisprudence citée).

41 Plus précisément, les première et deuxième questions étant relatives à l’accès au dossier dans le contexte d’une procédure juridictionnelle, il convient de relever que, au regard des exigences précises qui sont énoncées à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, le dossier de la procédure qui est transmis à la juridiction compétente, du moins en première instance, par l’autorité ayant statué sur la demande de protection internationale concernée doit être complet et comprendre tous les
actes de procédure, les documents et les pièces que cette autorité a eu à sa disposition à ces fins, voire, le cas échéant, des éléments postérieurs à cette décision et qui présentent une pertinence pour l’issue de cette décision.

42 En outre, l’étendue du contrôle juridictionnel sur une décision relative à une demande de protection internationale a nécessairement une incidence déterminante sur l’étendue requise de l’accès au dossier pour permettre à l’intéressé d’exercer utilement ses droits de la défense.

43 En effet, sous réserve des éléments pour lesquels l’autorité concernée demande la confidentialité, pour des objectifs d’intérêt général dûment exposés, tels que ceux visés aux points 37 et 38 du présent arrêt, et des documents qui ne présentent aucune pertinence pour l’issue de la demande de protection internationale, le représentant du demandeur doit bénéficier d’un accès au dossier complet tel qu’il est présenté à la juridiction compétente, afin de pouvoir discuter, dans le cadre d’un débat
contradictoire, tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure. Une telle exigence est nécessaire pour garantir pleinement les droits de la défense du demandeur et le respect du caractère contradictoire de la procédure, lesquels sont liés au droit à un procès équitable (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, EU:C:2013:363, points 55 à 57 et jurisprudence citée).

44 Par ailleurs, un tel droit d’accès au dossier peut également comprendre l’accès aux métadonnées du dossier administratif du demandeur, c’est‑à-dire des données qui relèvent de la structure de ce dossier et qui visent à décrire, à expliquer, à localiser ou à faciliter d’une autre manière l’accès à ce contenu. En effet, il ne saurait être exclu que, selon leur nature et leur contenu, de telles métadonnées constituent des « informations versées au dossier du demandeur sur la base duquel une décision
est prise ou le sera », au sens de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Il peut en aller ainsi, notamment, des liens avec d’autres procédures concernant le demandeur ou des membres de sa famille. Il appartient, cependant, à la juridiction de renvoi de vérifier s’il n’existe pas d’objectifs d’intérêt général, tels que ceux visés aux points 37 et 38 du présent arrêt, s’opposant à la divulgation de ces métadonnées, en recherchant un équilibre entre les droits de la défense du
demandeur et les intérêts liés au maintien de la confidentialité des informations (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

45 S’agissant du format dans lequel les différents éléments du dossier sont communiqués au représentant du demandeur ainsi que de leur structure, il convient de relever, d’emblée, que le libellé de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32 ne contient aucune règle encadrant expressément les modalités pratiques et techniques de l’accès au dossier du représentant du demandeur.

46 Ainsi qu’il ressort, en outre, de la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, la protection des droits de la défense, en vertu de l’article 47 de la Charte, y compris le droit d’accès au dossier, implique que la réglementation ou la pratique nationales concernées ne constituent pas une intervention démesurée et intolérable, portant atteinte à la substance même des droits ainsi garantis.

47 En l’occurrence, ainsi qu’il est relevé au point 13 du présent arrêt, conformément à la pratique administrative nationale concernée, le représentant du demandeur a reçu le dossier électronique du requérant au principal, sous la forme de plusieurs documents distincts au format PDF ainsi que d’un ensemble de données structurelles au format XML, lesquelles nécessitent l’utilisation d’un logiciel approprié, téléchargeable gratuitement sur Internet, en vue de reproduire la structure initiale du
dossier. En revanche, la communication de celui-ci n’inclut pas les métadonnées relatives à ce dossier, telles que les accès au dossier du personnel de l’administration, l’historique du dossier ou des liens avec d’autres procédures concernant le demandeur ou des membres de sa famille.

48 La juridiction de renvoi considère que, à la différence de la communication d’un fichier unique au format PDF comportant une numérotation continue des pages, un mode de communication tel que celui retenu par le BAMF ne permet pas de suivre les modifications du dossier administratif du requérant au principal et de garantir que le dossier produit corresponde à celui tenu par l’administration. Selon elle, ce mode de communication n’est pas conforme au droit à un procès équitable consacré à
l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Elle fait observer, notamment, que, en raison du fait que l’affichage de l’ensemble des documents au format PDF transmis par l’administration selon un ordre chronologique requiert le téléchargement d’un logiciel spécifique, il ne peut être exclu que cet affichage soit différent pour le juge compétent et pour le représentant de l’intéressé, de sorte que la mise à la disposition de toutes les parties de la procédure d’asile concernée d’un dossier de
contenu et de forme identiques ne serait pas garantie.

49 Pour sa part, dans ses observations écrites, le gouvernement allemand soutient que les données structurelles accompagnant les fichiers individuels au format PDF permettent, à l’aide du logiciel adéquat, de reproduire l’organisation du dossier initial. En outre, les noms des fichiers individuels, contenant une numérotation et une description par des mots-clés, permettraient de déterminer dans quel ordre les différents documents ont été versés au dossier concerné, la nature de ces différents
documents et le nombre de documents que ce dossier contient. Il serait ainsi possible de vérifier que l’intégralité dudit dossier a été transmis.

50 À cet égard, il découle de la jurisprudence rappelée aux points 38, 39 et 43 du présent arrêt que, pour déterminer si un mode de communication du dossier de la procédure, tel que celui adopté par le BAMF, est conforme au droit d’accès au dossier, tel que garanti à l’article 47 de la Charte, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si ce mode de communication garantit une reproduction fidèle, dans la mesure du possible, de la structure de ce dossier et de la chronologie du dépôt des
différentes pièces qui y ont été versées, de sorte que le représentant du demandeur soit en mesure de vérifier si l’intégralité des pièces qui sont pertinentes pour la défense de ce demandeur s’y trouve et, le cas échéant, de demander la communication des pièces manquantes ou le motif de leur absence. En effet, de telles pièces manquantes peuvent, le cas échéant, s’avérer utiles pour la défense du demandeur, si elles contiennent des éléments essentiels de la procédure administrative ou des
éléments permettant de donner une autre interprétation aux faits pertinents que celle retenue par l’autorité ayant statué sur la demande de protection internationale.

51 En outre, il convient de souligner que l’existence d’une solution technique unique à même de garantir l’effectivité des droits de la défense et d’une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 47 de la Charte, ne saurait être présumée. En effet, en l’absence de norme uniforme au niveau de l’Union européenne régissant ce mode de communication et dans le contexte des nouvelles technologies, il ne saurait être exclu qu’il existe plusieurs solutions fonctionnellement équivalentes
et à même de fournir des garanties suffisantes pour la protection du droit d’accès au dossier (voir, par analogie, arrêt du 5 juillet 2012, Content Services, C‑49/11, EU:C:2012:419 points 39 à 42).

52 En particulier, il ne saurait être exclu que la transmission du dossier concerné sous la forme de fichiers individuels au format PDF puisse assurer, de manière équivalente à la transmission d’un fichier unique à ce format et comportant une numérotation continue des pages, l’effectivité des droits de la défense du demandeur, pour autant que cette transmission soit accompagnée de modalités formelles et techniques offrant une représentation aussi fidèle que possible de l’ensemble du dossier de
l’intéressé et de son organisation, le cas échéant au moyen d’un logiciel téléchargeable facilement accessible et offrant des garanties de sécurité suffisantes, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

53 Notamment, la juridiction de renvoi pourra vérifier que le logiciel utilisé pour visualiser la structure du dossier de la procédure communiqué par l’autorité nationale compétente pour statuer sur la demande de protection internationale du demandeur garantit au représentant de celui-ci une représentation de son organisation équivalente à celle dont elle dispose elle-même, dans la mesure où cette équivalence est nécessaire pour lui permettre d’exercer utilement, au nom de ce demandeur, les droits
de la défense devant cette juridiction.

54 En outre, il lui appartiendra de vérifier si, comme le gouvernement allemand le suggère dans ses observations écrites, les données structurelles et les fichiers au format PDF par lesquels le dossier du demandeur est communiqué à son représentant fournissent suffisamment d’informations pour appréhender la structure de ce dossier et si l’utilisation d’un logiciel pour la visualisation de cette structure n’est pas indispensable. De même, elle pourra vérifier si, comme ce gouvernement l’affirme, le
logiciel de visualisation concerné, utilisable par ce représentant, est le même que celui dont disposent les juridictions compétentes pour statuer sur les recours contre les décisions relatives aux demandes de protection internationale et si, comme il l’allègue également, l’utilisation de ce logiciel n’entraîne des différences de présentation que sur des aspects mineurs, n’altérant pas ainsi la capacité de ce représentant à exercer utilement les droits de la défense au nom du demandeur.

55 Au demeurant, il convient de relever qu’il n’apparaît pas, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la nécessité, pour le représentant du demandeur, de télécharger un tel logiciel afin de pouvoir visualiser la structure du dossier de ce demandeur dans l’ordre chronologique constitue, en elle-même, une intervention démesurée et intolérable, susceptible de porter atteinte à la substance même des droits de la défense de ce dernier.

56 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 23, paragraphe 1, et l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une pratique administrative nationale en vertu de laquelle l’autorité administrative ayant statué sur une demande de protection internationale communique au représentant du
demandeur une copie du dossier électronique relatif à cette demande sous la forme d’une suite de fichiers distincts au format PDF, dépourvue d’une numérotation continue des pages et dont la structure peut être visualisée au moyen d’un logiciel gratuit et librement accessible sur Internet, pour autant, d’une part, que ce mode de communication garantisse un accès à l’intégralité des informations pertinentes pour la défense du demandeur, versées à ce dossier, sur la base desquelles la décision
relative à cette demande a été prise, et, d’autre part, que ledit mode de communication offre une représentation aussi fidèle que possible de la structure et de la chronologie dudit dossier, sous réserve des cas de figure où des objectifs d’intérêt général s’opposent à la divulgation de certaines informations au représentant du demandeur.

Sur les troisième et quatrième questions

57 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il est nécessaire qu’une décision portant sur une demande de protection internationale soit revêtue de la signature manuscrite de l’agent de l’autorité compétente auteur de cette décision afin qu’elle soit considérée comme étant communiquée par écrit au sens de cette disposition, et,
dans l’affirmative, si celle-ci s’oppose à une pratique administrative consistant à numériser l’original signé d’une telle décision, à le détruire ensuite et à conserver la version numérisée de cette décision dans un dossier électronique.

58 Il convient, d’emblée, de relever que l’exigence que la décision portant sur une demande de protection internationale soit communiquée par écrit, visée à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32, n’implique pas l’obligation que cette décision soit revêtue de la signature de l’auteur de celle-ci.

59 En effet, il se déduit de la jurisprudence que l’obligation de produire un acte, notamment une décision faisant grief, sous forme écrite, qui est prévue dans un grand nombre de cas de figure par le droit de l’Union [arrêts du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, points 41 à 49 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, points 204 à 207 et 251], implique seulement que cette
décision se présente sous la forme de signes graphiques dotés d’une signification, indépendamment de leur support manuscrit, imprimé sur papier ou enregistré sous forme électronique (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2018, Finnair, C‑258/16, EU:C:2018:252, points 33, 35 et 36). Ainsi, l’expression « par écrit », au sens de l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32, doit s’interpréter en ce sens qu’elle exclut une décision implicite ou, ainsi que les gouvernements allemand et hongrois
l’ont relevé, une décision communiquée oralement.

60 En revanche, l’obligation que cette décision soit revêtue de la signature de son auteur, soit sous une forme manuscrite, soit sous la forme d’une signature électronique, ne découle pas automatiquement de la forme écrite de ladite décision.

61 En effet, bien que l’exigence qu’un acte individuel faisant grief soit communiqué par écrit et celle qu’un tel acte soit revêtu de la signature de son auteur, c’est-à-dire de la personne habilitée par l’autorité compétente à la prendre, répondent toutes deux à des objectifs de sécurité juridique et de protection des droits procéduraux du destinataire, ces objectifs n’en doivent pas moins être distingués. En effet, l’exigence que l’acte présente une forme écrite vise à permettre, notamment, au
destinataire de prendre connaissance de la portée juridique de cet acte, de ses modalités d’application et de sa motivation afin, le cas échéant, d’être en mesure de le contester en justice utilement (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi, C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, points 44 à 46). En revanche, la formalité de l’authentification de l’acte, en particulier au moyen d’une signature, lorsqu’elle est exigée par le droit applicable, vise à garantir que l’acte soit certain quant à son auteur
et à son contenu, ce qui doit faire l’objet d’un contrôle préalable à tout autre contrôle, tel que, notamment, celui du respect de l’obligation de motiver les actes (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 55).

62 Au vu de ces considérations, il n’est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32 s’oppose à une pratique administrative consistant à numériser l’original signé d’une décision portant sur une demande de protection internationale, à le détruire ensuite et à conserver la version numérisée de cette décision dans un dossier électronique.

63 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas nécessaire qu’une décision portant sur une demande de protection internationale soit revêtue de la signature de l’agent de l’autorité compétente qui en est l’auteur afin que cette décision soit considérée comme étant communiquée par écrit, au sens de cette disposition.

Sur les dépens

64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 23, paragraphe 1, et l’article 46, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une pratique administrative nationale en vertu de laquelle l’autorité administrative ayant statué sur une demande de protection internationale communique au représentant du demandeur une copie du dossier électronique relatif à cette demande sous la forme d’une suite de fichiers distincts au format PDF (Portable Document Format), dépourvue d’une numérotation continue des pages et dont la structure peut être visualisée au moyen d’un logiciel gratuit et librement accessible
sur Internet, pour autant, d’une part, que ce mode de communication garantisse un accès à l’intégralité des informations pertinentes pour la défense du demandeur, versées à ce dossier, sur la base desquelles la décision relative à cette demande a été prise, et, d’autre part, que ledit mode de communication offre une représentation aussi fidèle que possible de la structure et de la chronologie dudit dossier, sous réserve des cas de figure où des objectifs d’intérêt général s’opposent à la
divulgation de certaines informations au représentant du demandeur.

  2) L’article 11, paragraphe 1, de la directive 2013/32

doit être interprété en ce sens que :

il n’est pas nécessaire qu’une décision portant sur une demande de protection internationale soit revêtue de la signature de l’agent de l’autorité compétente qui en est l’auteur afin que cette décision soit considérée comme étant communiquée par écrit, au sens de cette disposition.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-564/21
Date de la décision : 01/12/2022
Type de recours : Recours préjudiciel, Recours préjudiciel - irrecevable

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Wiesbaden.

Renvoi préjudiciel – Droits fondamentaux – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Article 11, paragraphe 1, article 23, paragraphe 1, et article 46, paragraphes 1 et 3 – Accès aux informations versées au dossier du demandeur – Intégralité du dossier – Métadonnées – Communication de ce dossier sous la forme de fichiers électroniques individuels non structurés – Information par écrit – Copie numérisée de la décision revêtue d’une signature manuscrite – Tenue du dossier électronique sans archivage d’un dossier papier.

Charte des droits fondamentaux

Politique d'asile

Droits fondamentaux

Contrôles aux frontières

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : BU
Défendeurs : Bundesrepublik Deutschland.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:951

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