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24/11/2022 | CJUE | N°C-289/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, IG contre Varhoven administrativen sad., 24/11/2022, C-289/21


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection juridictionnelle effective – Règle procédurale nationale prévoyant qu’un recours tendant à contester la conformité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union est privé d’objet si la disposition est abrogée en cours de procédure »

Dans l’affaire C‑289/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 26

7 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), par dé...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection juridictionnelle effective – Règle procédurale nationale prévoyant qu’un recours tendant à contester la conformité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union est privé d’objet si la disposition est abrogée en cours de procédure »

Dans l’affaire C‑289/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 5 avril 2021, parvenue à la Cour le 5 mai 2021, dans la procédure

IG

contre

Varhoven administrativen sad,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, D. Gratsias (rapporteur), MM.M. Ilešič, I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 avril 2022,

considérant les observations présentées :

– pour IG, par Mes G. Chernicherska et A. Slavchev, advokati,

– pour le Varhoven administrativen sad, par Mmes A. Adamova-Petkova, T. Kutsarova-Hristova et M. M. Semov,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. F. Erlbacher et Mme G. Koleva, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IG au Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) au sujet de la réparation du préjudice prétendument subi par IG du fait d’une décision de cette juridiction nationale, ayant constaté que le recours introduit par IG contre une disposition réglementaire nationale est devenu sans objet à la suite de la modification de la disposition contestée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 9, intitulé « Relevés », de la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relative à l’efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE et abrogeant les directives 2004/8/CE et 2006/32/CE (JO 2012, L 315, p. 1), prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, dans la mesure où cela est techniquement possible, financièrement raisonnable et proportionné compte tenu des économies d’énergie potentielles, les clients finals d’électricité, de gaz naturel, de chaleur et de froid ainsi que d’eau chaude sanitaire reçoivent, à des prix concurrentiels, des compteurs individuels qui indiquent avec précision la consommation réelle d’énergie du client final et qui donnent des informations sur le moment où l’énergie a été
utilisée.

Un tel compteur individuel à des prix concurrentiels est toujours fourni :

a) lorsqu’un compteur existant est remplacé, à moins que cela ne soit pas techniquement possible ou rentable au regard des économies potentielles estimées à long terme ;

b) lorsqu’il est procédé à un raccordement dans un bâtiment neuf ou qu’un bâtiment fait l’objet de travaux de rénovation importants, tels que définis dans la directive 2010/31/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 19 mai 2010, sur la performance énergétique des bâtiments (JO 2010, L 153, p. 13)].

[...]

3.   [...]

Lorsque des immeubles comprenant plusieurs appartements sont alimentés par un réseau de chaleur ou de froid ou lorsque de tels bâtiments sont principalement alimentés par des systèmes de chaleur ou de froid collectifs, les États membres peuvent introduire des règles transparentes concernant la répartition des frais liés à la consommation thermique ou d’eau chaude dans ces immeubles, afin d’assurer une comptabilisation transparente et exacte de la consommation individuelle. Au besoin, ces règles
comportent des orientations en ce qui concerne la répartition des frais liés à la consommation de chaleur et/ou d’eau chaude comme suit :

a) l’eau chaude destinée aux besoins domestiques ;

b) la chaleur rayonnée par l’installation du bâtiment et aux fins du chauffage des zones communes (lorsque les cages d’escaliers et les couloirs sont équipés de radiateurs) ;

c) le chauffage des appartements. »

4 L’article 10 de cette directive porte, selon son intitulé, sur les « Informations relatives à la facturation ».

Le droit bulgare

La loi sur l’énergie

5 L’article 155 du zakon za energetikata (loi sur l’énergie, DV no 107, du 9 décembre 2003), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« (1)   [...] Les clients qui consomment de l’énergie thermique dans un immeuble en copropriété payent l’énergie thermique consommée de l’une des façons suivantes, selon leur choix :

1. [...] en 11 mensualités forfaitaires et une mensualité de régularisation ;

2. en mensualités calculées sur la base de la consommation prévue pour l’immeuble, et une mensualité de régularisation ;

3. en fonction de la consommation réelle.

(2)   [...] L’entreprise de distribution de chaleur ou le fournisseur d’énergie thermique facture la quantité d’énergie thermique consommée sur la base de la consommation effective au moins une fois par an.

(3)   [...] Les règles pour la détermination de la consommation prévue et la compensation des sommes versées par rapport à l’énergie thermique effectivement consommée pour chaque client sont fixées par [arrêté] [...] »

L’arrêté relatif au chauffage urbain

6 L’article 61, paragraphe 1, du naredba no 16-334 g. za toplocnabdyavaneto (arrêté no 16-334 relatif au chauffage urbain), du 6 avril 2007 (DV no 34, du 24 avril 2007), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« arrêté relatif au chauffage urbain »), disposait :

« [...] La répartition de la consommation d’énergie thermique dans un immeuble en copropriété est effectuée [...] conformément aux exigences du présent arrêté et de son annexe. »

7 L’annexe de l’arrêté relatif au chauffage urbain fixait la méthode de calcul de la répartition de la consommation d’énergie thermique dans les bâtiments en copropriété.

Le code de procédure administrative

8 L’article 156 de l’administrativnoprotsesualen kodeks (code de procédure administrative) (DV no 30, du 11 avril 2006), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure administrative »), dispose :

« (1)   [...] [A]vec l’accord des autres défendeurs et des parties intéressées auxquels l’acte attaqué est favorable, l’autorité administrative peut retirer intégralement ou partiellement l’acte attaqué ou délivrer l’acte dont la délivrance était refusée.

(2)   Aux fins du retrait de l’acte après la tenue de la première audience dans l’affaire, le consentement de la partie requérante est également nécessaire.

(3)   L’acte retiré ne peut être émis de nouveau qu’en présence de circonstances nouvelles.

(4)   Lorsque le recours contre l’acte s’accompagne d’une demande de dommages et intérêts, la procédure concernant cette dernière se poursuit. »

9 L’article 187 du code de procédure administrative prévoit :

« (1)   Les recours dirigés contre des actes réglementaires d’exécution ne sont soumis à aucun délai.

(2)   Un recours contre un acte réglementaire, après un premier recours pour les mêmes motifs, est irrecevable. »

10 L’article 195 de ce code énonce :

« (1)   Un acte réglementaire d’exécution est considéré comme annulé à compter du jour de l’entrée en vigueur de la décision juridictionnelle.

(2)   Les conséquences juridiques d’un acte réglementaire qui a été déclaré nul ou susceptible d’être annulé sont réglées d’office par l’autorité compétente dans un délai de trois mois maximum à compter de l’entrée en vigueur de la décision juridictionnelle. »

11 Aux termes de l’article 204, paragraphe 3, dudit code, lorsque les dommages sont causés par un acte administratif retiré, l’illégalité de ce dernier est constatée par la juridiction devant laquelle a été formé le recours en dommages et intérêts.

12 L’article 221, paragraphe 4, du même code est ainsi libellé :

« Lorsque l’autorité administrative, avec le consentement des autres parties défenderesses, retire l’acte administratif ou bien délivre l’acte dont la délivrance était refusée, le [Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême)] annule, en tant qu’entachée d’une irrégularité procédurale, la décision juridictionnelle prononcée à l’égard de cet acte ou de ce refus, et met fin à l’affaire. »

La loi relative à la responsabilité de l’État et des communes pour les dommages

13 L’article 1er du Zakon za otgovornostta na darzhavata i na obshtinite za vredi (loi relative à la responsabilité de l’État et des communes pour les dommages, DV no 60, du 5 août 1988) prévoit :

« 1.   [...] L’État et les municipalités sont responsables des dommages causés aux citoyens et aux personnes morales par des actes illégaux, des actions ou des omissions de leurs organes et de leurs fonctionnaires dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de l’activité administrative [...]

2.   [...] Les recours formés au titre du paragraphe 1 sont examinés conformément à la procédure prévue par le code de procédure administrative [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 IG a introduit un recours devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) contre le point 6.1.1 de l’annexe de l’arrêté relatif au chauffage urbain (ci-après la « disposition nationale en cause »).

15 Par décision du 13 avril 2018, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation à trois juges, a fait droit au recours et a annulé la disposition nationale en cause, au motif que celle-ci ne permettait pas de réaliser l’objectif, découlant des articles 9 et 10 de la directive 2012/27, transposés en droit bulgare par l’article 155, paragraphe 2, de la loi sur l’énergie, dans sa version applicable au litige au principal, de garantir que l’énergie thermique soit
facturée en fonction de la consommation effective.

16 Le ministar na energetikata (ministre de l’Énergie, Bulgarie) a formé un recours, devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation de cinq juges, contre la décision visée au point précédent.

17 Par un arrêté publié au Darzhaven vestnik du 20 septembre 2019, le législateur bulgare a modifié la disposition nationale en cause.

18 Par décision du 11 février 2020, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation à cinq juges, a constaté que la disposition nationale en cause avait été modifiée par une disposition ultérieure régissant les mêmes relations. Pour ce motif, cette juridiction a annulé sa décision du 13 avril 2018 et a considéré que le litige porté devant elle était devenu sans objet. Selon ladite juridiction, en droit bulgare, la possibilité d’agir contre des actes
réglementaires d’exécution n’est soumise à aucun délai, mais ne vise que les actes réglementaires en vigueur et non ceux qui ont été abrogés ou modifiés, lesquels ne relèvent plus du droit en vigueur au moment où la juridiction statue sur le fond. Cette décision du 11 février 2020 est définitive.

19 IG a alors formé un recours devant la juridiction de renvoi, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), contre le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), en vue d’obtenir la réparation des prétendus préjudices matériel et moral que la décision du 11 février 2020 de cette dernière juridiction lui aurait causés. À l’appui de son recours, il fait valoir que, par cette décision, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative
suprême) a jugé que la disposition nationale en cause était en vigueur et devait sortir ses effets pour la période comprise entre la date de l’introduction de son recours et celle de l’abrogation de cette disposition. IG fait valoir qu’il a ainsi été privé de son droit à une protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la Charte, ainsi que du droit de bénéficier de l’application des principes d’effectivité et d’équivalence. Il conteste, en outre, le bien-fondé de la
jurisprudence du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) selon laquelle la modification d’un acte réglementaire est assimilable à son retrait.

20 Pour sa part, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) fait valoir qu’une décision, telle que sa décision du 11 février 2020, constatant que le litige porté devant lui est devenu sans objet, n’exclut pas que l’acte en cause puisse faire l’objet d’un contrôle de légalité. En effet, il serait possible de faire application de l’article 204, paragraphe 3, du code de procédure administrative, en vertu duquel lorsque les dommages sont causés par un acte administratif retiré, la
juridiction devant laquelle a été formé le recours en dommages et intérêts est compétente pour constater l’illégalité de cet acte. Par conséquent, le droit d’IG à une protection juridictionnelle effective serait garanti, dans la mesure où celui-ci pourrait toujours demander la réparation des dommages qu’il aurait subis du fait de l’adoption de la disposition nationale en cause.

21 La juridiction de renvoi indique qu’une interprétation de l’article 47 de la Charte lui est nécessaire aux fins de statuer sur le litige dont elle est saisie. En particulier, cette juridiction se demande si la modification d’une disposition d’un acte réglementaire national ayant fait l’objet, avant sa modification, d’une décision juridictionnelle constatant son caractère contraire au droit de l’Union, exonère la juridiction saisie du contrôle de cette décision de son obligation d’apprécier la
conformité au droit de l’Union de ladite disposition, dans sa forme antérieure à sa modification. Il conviendrait également de préciser si le fait que, dans de telles circonstances, la disposition nationale en question est considérée comme ayant été retirée permet de conclure que le justiciable en ayant contesté la légalité avant ce retrait a bénéficié d’un recours juridictionnel effectif et si la possibilité, prévue par le droit national, d’apprécier la conformité au droit de l’Union de cette
disposition nationale uniquement dans le cadre d’un recours en réparation des préjudices que ce justiciable aurait subis du fait de l’adoption de ladite disposition nationale constitue un tel recours juridictionnel effectif. La juridiction de renvoi indique nourrir des doutes à cet égard, dès lors que la même disposition nationale, dans sa version antérieure à sa modification, continuera à régir les relations juridiques nées pendant la période où elle était en vigueur, alors qu’un acte
administratif retiré ne produit aucun effet juridique.

22 C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La modification d’une disposition d’un acte normatif de droit national ayant fait l’objet, avant sa modification, d’une décision d’une juridiction d’appel la déclarant contraire à une disposition applicable du droit de l’Union exonère-t-elle la juridiction saisie en instance de cassation de son obligation d’examiner la légalité de ladite disposition dans sa version antérieure à sa modification et, notamment, sa conformité au droit de l’Union ?

2) Le fait de considérer la disposition en question comme retirée constitue-t-il un recours juridictionnel effectif en vue de défendre les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union (au sens des articles 9 et 10 de la directive [2012/27]), et, plus particulièrement, la possibilité, prévue par le droit national, d’apprécier la conformité au droit de l’Union de la disposition nationale avant sa modification uniquement lorsque le tribunal est saisi d’un recours concret en réparation des
préjudices causés par cette disposition et seulement à l’égard de l’auteur dudit recours constitue-t-elle un tel recours juridictionnel effectif ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, la disposition en question peut-elle continuer à réglementer les relations sociales, durant la période comprise entre son adoption et sa modification, à l’égard d’un cercle illimité de personnes qui n’ont pas saisi un tribunal d’une demande de réparation des préjudices qu’elle a causés, et que la conformité aux dispositions du droit de l’Union de cette disposition avant sa modification n’a pas été appréciée à l’égard desdites personnes ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

23 Dans ses observations écrites, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) soutient, premièrement, que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif que, contrairement à ce qu’exige l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour, cette demande ne contient pas l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces
dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal, un tel lien faisant, en tout état de cause, défaut.

24 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi de ce litige et doit assumer la responsabilité de la
décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

25 Ainsi, le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 17 mai
2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

26 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi, résumées aux points 14 à 21 du présent arrêt, que cette juridiction est saisie d’un recours indemnitaire, introduit par IG, tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par ce dernier du fait de l’omission du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) de statuer en dernier ressort sur le recours en annulation de la disposition nationale en cause introduit par IG.

27 Selon ces mêmes indications, à l’appui de ce recours en annulation, IG avait fait valoir que la disposition nationale en cause n’était pas conforme aux dispositions de la directive 2012/27, ce qu’a, d’ailleurs, décidé le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation à trois juges, dans sa décision du 13 avril 2018, qui a fait droit à ce recours. La juridiction de renvoi expose aussi que, à l’appui de son recours indemnitaire, IG fait valoir que, en ayant jugé,
conformément aux dispositions du droit procédural bulgare, que son recours en annulation était devenu sans objet à la suite de l’abrogation de la disposition nationale en cause, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation à cinq juges, a violé le droit de l’Union, dès lors qu’il a méconnu le droit d’IG à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte. Cette violation du droit de l’Union serait à l’origine du préjudice
prétendument subi par IG, dont ce dernier poursuit la réparation devant la juridiction de renvoi.

28 Ces indications permettent de comprendre les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre celui-ci et, en particulier, les règles procédurales du droit bulgare qui ont conduit le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), statuant en formation à cinq juges, à juger que le recours en annulation d’IG était devenu sans objet, ce qui, selon cette dernière, lui a causé un préjudice.

29 Il en ressort que la demande de décision préjudicielle est conforme aux exigences de l’article 94, sous c), du règlement de procédure.

30 Deuxièmement, quant à l’argument du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), selon lequel, en substance, la demande de décision préjudicielle est irrecevable dès lors qu’elle tend à remettre en cause l’autorité de la chose jugée de la décision de cette juridiction du 11 février 2020, il suffit de relever que le litige au principal vise la réparation du dommage prétendument subi par IG du fait de cette dernière décision laquelle, selon IG, méconnaît le droit de l’Union. Or, la
reconnaissance du principe de la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union, du fait de la décision d’une juridiction statuant en dernier ressort, n’a pas en soi pour conséquence de remettre en cause l’autorité de la chose définitivement jugée d’une telle décision (arrêt du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 39).

31 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

32 Par ses première et deuxième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 47 de la Charte ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle procédurale d’un État membre en vertu de laquelle, lorsqu’une disposition de droit interne contestée par un recours en annulation au motif qu’elle serait contraire au droit de l’Union est abrogée et cesse, dès lors, de
produire ses effets pour l’avenir, le litige est considéré comme ayant perdu son objet, de telle sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer.

33 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence)
et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) [arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert) (C‑194/19, EU:C:2021:270), point 42 et jurisprudence citée].

34 Ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 34 de ses conclusions, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le principe de protection juridictionnelle effective garanti par l’article 47 de la Charte ne requiert pas, en tant que tel, l’existence d’un recours autonome tendant, à titre principal, à contester la conformité de dispositions nationales aux normes du droit de l’Union, pour autant qu’il existe une ou plusieurs voies de recours permettant, de manière incidente,
d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union [arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 47, et du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 96].

35 En particulier, la Cour a jugé que la pleine efficacité du droit de l’Union et la protection effective des droits que les particuliers en tirent peuvent, le cas échéant, être assurées par le principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables, ce principe étant inhérent au système des traités sur lesquels cette dernière est fondée (arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe, C‑752/18, EU:C:2019:1114,
point 54).

36 Or, les première et deuxième questions de la juridiction de renvoi visent l’hypothèse d’un État membre qui a fait le choix de prévoir, dans son ordre juridique interne, une voie de recours autonome, permettant de requérir l’annulation d’une disposition nationale au motif, notamment, de la non-conformité de celle-ci au droit de l’Union, tout en prévoyant que, en cas d’abrogation de cette disposition, le recours en annulation est considéré comme ayant été privé d’objet, de telle sorte qu’il n’y a
plus lieu de statuer sur celui-ci.

37 Dès lors, pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’apprécier, à la lumière de la jurisprudence citée aux points 33 à 35 du présent arrêt, si une telle réglementation procédurale nationale est conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité.

38 S’agissant, en premier lieu, du principe d’équivalence, une règle procédurale nationale telle que celle en cause au principal est conforme à ce principe pour autant qu’elle s’applique indistinctement à tout recours en annulation d’une disposition nationale, quel qu’en soit le fondement, et non uniquement aux recours fondés sur le caractère prétendument contraire au droit de l’Union de la disposition contestée.

39 En l’occurrence, comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 52 et 53 de ses conclusions, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la règle procédurale qui a conduit le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) à décider que le recours en annulation d’IG était devenu sans objet n’est pas exclusivement applicable aux recours en annulation d’une disposition nationale fondés sur des motifs tirés du droit de l’Union. Il appartient, toutefois, à la
juridiction de renvoi de vérifier que tel est en effet le cas.

40 Sous réserve de cette vérification, une telle règle procédurale nationale apparaît conforme au principe d’équivalence.

41 En second lieu, pour ce qui concerne la conformité au principe d’effectivité d’une règle procédurale nationale telle que celle en cause au principal, il convient de constater, certes, que l’abrogation d’une disposition de droit national n’a pas le même effet, en droit, que l’annulation de celle-ci.

42 En effet, alors que l’abrogation d’une telle disposition n’a d’effet que pour l’avenir (ex nunc), de telle sorte qu’elle ne remet pas en cause le caractère acquis des effets juridiques produits par la disposition abrogée sur des situations existantes, l’annulation d’une disposition de droit national opère de manière rétroactive (ex tunc) à compter, en principe, de la date de son adoption, de telle sorte que les effets produits par celle-ci sur des situations existantes disparaissent à compter de
cette même date.

43 Cela étant précisé, il convient aussi de relever qu’il n’est pas exclu que l’abrogation, en cours de procédure, d’une disposition de droit national dont un requérant poursuit l’annulation produise, à l’égard de ce dernier, compte tenu de sa situation particulière, les mêmes effets de droit que l’annulation qu’il demandait.

44 Tel sera, notamment, le cas si, par son recours en annulation, ce requérant visait seulement à obtenir que la disposition contestée ne produise pas, dans le futur, des effets de droit qu’il considère comme préjudiciables, alors que les éventuels effets déjà produits par la même disposition ne le concernent pas.

45 Ainsi, dans l’hypothèse envisagée aux deux points précédents, il ne saurait être considéré que le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle la juridiction saisie du recours en annulation contre la disposition abrogée décide qu’il n’y a pas lieu de statuer, au motif que ce recours a été privé de son objet. Il serait, en effet, excessif, dans une telle situation, d’exiger de la juridiction nationale compétente qu’elle statue sur le fond du litige, alors
que, du fait de l’abrogation de la disposition contestée, le requérant a déjà obtenu le résultat qu’il souhaitait obtenir par l’introduction de son recours en annulation.

46 Toutefois, il est également possible que, en demandant l’annulation d’une disposition nationale, un requérant vise à obtenir également celle des effets de droit nés de l’application de cette disposition et qui lui causeraient grief. Dans une telle hypothèse, la seule abrogation de ladite disposition n’aurait pas pour conséquence la disparition de ces effets passés et l’application, dans pareille situation, d’une disposition procédurale nationale en vertu de laquelle il est mis fin au litige au
motif qu’il est devenu sans objet est susceptible de priver le requérant d’une protection juridictionnelle effective.

47 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause au seul motif que, conformément à la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt, l’État membre concerné n’était pas tenu de prévoir, dans son droit interne, un recours autonome tendant à contester la conformité des dispositions nationales aux normes du droit de l’Union, ou que ce droit interne prévoit un recours indemnitaire en réparation du préjudice prétendument subi du fait de l’application d’une disposition nationale contraire au
droit de l’Union.

48 Il y a lieu de relever, à cet égard, que les justiciables doivent choisir, parmi les différentes voies de recours éventuellement prévues par le droit interne, celle qu’ils estiment correspondre le mieux à leurs objectifs et à laquelle ils consacreront leurs moyens.

49 Ainsi, il ne saurait être exclu qu’un justiciable qui s’estime lésé par les effets nés de l’application d’une disposition nationale prétendument contraire à une directive décide, aux fins d’effacer ces effets, d’introduire un recours en annulation contre cette disposition, lorsqu’une telle voie de recours est prévue par le droit interne, plutôt qu’un recours indemnitaire contre l’État membre concerné.

50 En effet, l’annulation de la disposition nationale contraire à la directive en cause emportera également l’élimination, de manière rétroactive, des effets de droit que cette disposition a produits, ce que ce justiciable estimera peut-être préférable à d’éventuels dommages et intérêts à charge de l’État membre concerné, en réparation du préjudice subi du fait de ces effets de droit.

51 Il ressort ainsi des motifs figurant aux points 48 à 49 du présent arrêt que la situation d’un requérant ressortissant d’un État membre dont le droit interne ne prévoit pas un recours autonome tendant, à titre principal, à contester la conformité d’une disposition nationale au droit de l’Union, ne saurait être comparée à celle des justiciables dans un autre État membre dont le droit procédural interne prévoit un tel recours lequel, toutefois, est susceptible d’être considéré comme ayant été privé
de son objet en cas d’abrogation de la disposition contestée.

52 Dans cette dernière hypothèse, décider que le recours a été privé d’objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer en cas d’abrogation de la disposition contestée, sans qu’il soit loisible au requérant de démontrer que, malgré cette abrogation, il conserve un intérêt à l’annulation de ladite disposition, est susceptible de rendre excessivement difficile l’exercice des droits conférés à ce requérant par le droit de l’Union.

53 La possibilité, pour ledit requérant, d’introduire, en pareille hypothèse, un nouveau recours indemnitaire contre l’État membre concerné, tendant à la réparation du préjudice prétendument subi du fait des effets nés de l’application de la disposition contestée et, à cette fin, qu’il soit jugé, cette fois-ci à titre incident, que cette disposition est incompatible avec le droit de l’Union, ne suffira pas pour garantir le droit du même requérant à une protection juridictionnelle effective, dès lors
que, pour les raisons exposées au point 48 du présent arrêt, il n’est pas exclu qu’il en résulte pour celui-ci des inconvénients procéduraux, en termes, notamment, de coût, de durée et de règles de représentation, de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 51).

54 Tel risque a fortiori d’être le cas si l’abrogation de la disposition contestée et la constatation de la perte de l’objet du recours tendant à son annulation interviennent à un stade avancé de la procédure, comme ce fut le cas en l’occurrence, où la perte de l’objet du litige a été constatée en instance de cassation.

55 Il s’ensuit que, si le principe de protection juridictionnelle effective reconnu en droit de l’Union ne saurait s’opposer, dans tous les cas, à ce qu’un recours en annulation d’une disposition nationale prétendument contraire au droit de l’Union soit considéré comme ayant été privé de son objet en cas d’abrogation de la disposition contestée, il s’oppose, en revanche, à la clôture de la procédure pour un tel motif sans que les parties aient pu préalablement faire valoir leur éventuel intérêt à ce
que la procédure soit poursuivie et, dès lors, sans que cette décision tienne compte d’un tel intérêt.

56 Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que le principe d’effectivité tel que consacré à l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre en vertu de laquelle, lorsqu’une disposition de droit interne contestée par un recours en annulation au motif qu’elle serait contraire au droit de l’Union est abrogée et cesse, dès lors, de produire ses effets pour l’avenir, le
litige est considéré comme ayant perdu son objet de telle sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer, sans que les parties aient pu préalablement faire valoir leur éventuel intérêt à la poursuite de la procédure et sans qu’il ait été tenu compte d’un tel intérêt.

Sur la troisième question

57 Compte tenu de la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  Le principe d’effectivité tel que consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre en vertu de laquelle, lorsqu’une disposition de droit interne contestée par un recours en annulation au motif qu’elle serait contraire au droit de l’Union est abrogée et cesse, dès lors, de produire ses effets pour l’avenir, le litige est considéré comme ayant perdu son objet de telle sorte qu’il
n’y a plus lieu de statuer, sans que les parties aient pu préalablement faire valoir leur éventuel intérêt à la poursuite de la procédure et sans qu’il ait été tenu compte d’un tel intérêt.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-289/21
Date de la décision : 24/11/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Administrativen sad Sofia-grad.

Renvoi préjudiciel – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne Protection juridictionnelle effective – Règle procédurale nationale prévoyant qu’un recours tendant à contester la conformité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union est privé d’objet si la disposition est abrogée en cours de procédure.

Énergie


Parties
Demandeurs : IG
Défendeurs : Varhoven administrativen sad.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:920

Source

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