La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2022 | CJUE | N°C-859/19,

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, Procédure pénale contre FX e.a., 07/11/2022, C-859/19,


 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

7 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Lutte contre la corruption – Protection des intérêts financiers de l’Union – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Convention PIF – Décision 2006/928/CE – Procédures pénales – Arrêts de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) concernant la composit

ion des formations de jugement en matière de
corruption grave – Obligation pour les juges nationaux de donner plein...

 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

7 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Lutte contre la corruption – Protection des intérêts financiers de l’Union – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Convention PIF – Décision 2006/928/CE – Procédures pénales – Arrêts de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) concernant la composition des formations de jugement en matière de
corruption grave – Obligation pour les juges nationaux de donner plein effet aux décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) – Responsabilité disciplinaire des juges en cas de non-respect de ces décisions – Pouvoir de laisser inappliquées des décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) non conformes au droit de l’Union – Principe de primauté du droit de l’Union »

Dans les affaires jointes C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19,

ayant pour objet trois demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décisions du 19 novembre 2019 (C‑859/19), du 6 novembre 2019 (C‑926/19) et du 16 décembre 2019 (C‑929/19), parvenues à la Cour le 26 novembre 2019 (C‑859/19) et le 18 décembre 2019 (C‑926/19 et C‑929/19), dans les procédures pénales contre

FX,

CS,

ND (C‑859/19),

BR,

CS,

DT,

EU,

FV,

GW (C‑926/19),

CD,

CLD,

GLO,

ŞDC,

PVV (C‑929/19),

en présence de :

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Națională Anticorupție (C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19),

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia de Investigare a Infracțiunilor de Criminalitate Organizată și Terorism – Structura Centrală (C‑926/19),

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Secția pentru Investigarea Infracțiunilor din Justiţie (C‑926/19),

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală (C‑926/19 et C‑929/19),

HX (C‑926/19),

IY (C‑926/19),

SC Uranus Junior 2003 SRL (C‑926/19),

SC Complexul Energetic Oltenia SA (C‑929/19),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 Les demandes de décision préjudicielle portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des
Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 et annexée à l’acte du Conseil, du 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48, ci-après la « convention PIF »), ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales contre FX, CS et ND (affaire C‑859/19), BR, CS, DT, EU, FV et GW (affaire C‑926/19) ainsi que CD, CLD, GLO, ȘDC et PVV (affaire C‑929/19) pour des infractions notamment de corruption et de fraude fiscale relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La convention PIF

3 L’article 1er, paragraphe 1, de la convention PIF est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes :

a) en matière de dépenses, tout acte ou omission intentionnel relatif :

– à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

– à la non-communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,

– au détournement de tels fonds à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés ;

b) en matière de recettes, tout acte ou omission intentionnel relatif :

– à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

[...] »

4 L’article 2, paragraphe 1, de cette convention dispose :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour assurer que les comportements visés à l’article 1er, ainsi que la complicité, l’instigation ou la tentative relatives aux comportements visés à l’article 1er, paragraphe 1, sont passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, incluant, au moins dans les cas de fraude grave, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l’extradition, étant entendu que doit être considérée comme fraude grave toute fraude portant
sur un montant minimal à fixer dans chaque État membre. Ce montant minimal ne peut pas être fixé à plus de 50000 [euros]. »

5 Par acte du 27 septembre 1996, le Conseil de l’Union européenne a établi le protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1996, C 313, p. 1). Conformément à ses articles 2 et 3, ce protocole couvre les actes de corruption passive et active.

L’acte d’adhésion

6 L’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci‑après l’« acte d’adhésion »), entré en vigueur le 1er janvier 2007, prévoit, à son article 39 :

« 1.   Si, sur la base du suivi continu des engagements pris par la Bulgarie et la Roumanie dans le cadre des négociations d’adhésion et notamment dans les rapports de suivi de la Commission, il apparaît clairement que l’état des préparatifs en vue de l’adoption et de la mise en œuvre de l’acquis en Bulgarie et en Roumanie est tel qu’il existe un risque sérieux que l’un de ces États ne soit manifestement pas prêt, d’ici la date d’adhésion du 1er janvier 2007, à satisfaire aux exigences de
l’adhésion dans un certain nombre de domaines importants, le Conseil, statuant à l’unanimité sur la base d’une recommandation de la Commission, peut décider que la date d’adhésion prévue de l’État concerné est reportée d’un an, au 1er janvier 2008.

2.   Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, prendre la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point I, sont constatés.

3.   Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, et sans préjudice de l’article 37, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, peut prendre, après une évaluation détaillée qui aura lieu à l’automne 2005 sur les progrès réalisés par la Roumanie dans le domaine de la politique de la concurrence, la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie des obligations prises au titre de
l’accord européen ou de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point II, sont constatés. »

7 L’annexe IX de l’acte d’adhésion, intitulée « Engagements spécifiques contractés par la Roumanie et exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004 (visés à l’article 39 de l’acte d’adhésion) », contient, à son point I, le passage suivant :

« En liaison avec l’article 39, paragraphe 2

[...]

4) Renforcer considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la législation en matière de lutte contre la corruption ainsi que l’indépendance réelle de l’Office national du ministère public chargé de la lutte contre la corruption, et en présentant, à partir de novembre 2005 et sur une base annuelle, un rapport convaincant sur l’action menée par l’Office contre la corruption de haut niveau. Il faut que
l’Office reçoive les effectifs, les ressources budgétaires et en matière de formation, ainsi que les équipements dont il a besoin pour jouer son rôle capital.

5) [...] [La stratégie nationale de lutte contre la corruption] doit inclure l’engagement de réviser, d’ici la fin 2005, la procédure criminelle, dont la durée est excessive, pour que les affaires de corruption soient traitées d’une façon rapide et transparente et que des sanctions adéquates ayant un effet dissuasif soient prises ; [...]

[...] »

La décision 2006/928/CE

8 La décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56), a été adoptée, dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne prévue pour le 1er janvier 2007, sur le fondement, notamment, des articles 37 et 38 de l’acte
d’adhésion. Les considérants 1 à 6 et 9 de cette décision sont ainsi libellés :

« (1) L’Union européenne est fondée sur l’État de droit, un principe commun à tous les États membres.

(2) L’espace de liberté, de sécurité et de justice et le marché intérieur instaurés par le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne reposent sur la conviction réciproque que les décisions et pratiques administratives et judiciaires de tous les États membres respectent pleinement l’État de droit.

(3) Cette condition implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption.

(4) Le 1er janvier 2007, la Roumanie deviendra membre de l’Union européenne. Tout en saluant les efforts considérables déployés par la Roumanie pour parachever ses préparatifs d’adhésion à l’Union européenne, la Commission a recensé, dans son rapport du 26 septembre 2006, des questions en suspens, en particulier en ce qui concerne la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi, domaines dans lesquels des progrès sont encore
nécessaires pour garantir la capacité de ces organes à mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour établir le marché intérieur et l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(5) L’article 37 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à adopter des mesures appropriées en cas de risque imminent de dysfonctionnement du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements qu’elle a pris. L’article 38 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à prendre des mesures appropriées en cas de risque imminent de manquements graves constaté en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application d’actes adoptés sur
la base du titre VI du traité UE ou d’actes adoptés sur la base du titre IV du traité CE.

(6) Les questions en suspens portant sur la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi justifient la mise en place d’un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption.

[...]

(9) Il conviendra de modifier la présente décision si l’évaluation de la Commission indique qu’il y a lieu d’ajuster les objectifs de référence. La présente décision sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints. »

9 L’article 1er de la décision 2006/928 prévoit :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe.

La Commission peut, à tout moment, apporter une aide technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »

10 L’article 2 de cette décision dispose :

« La Commission transmettra, pour la première fois en juin 2007, au Parlement européen et au Conseil ses propres commentaires et conclusions sur le rapport présenté par la Roumanie.

La Commission leur fera de nouveau rapport par la suite, en fonction de l’évolution de la situation et au moins tous les six mois. »

11 L’article 4 de ladite décision énonce :

« Les États membres sont destinataires de la présente décision. »

12 L’annexe de la même décision est libellée comme suit :

« Objectifs de référence que la Roumanie doit atteindre, visés à l’article 1er :

1) Garantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer.

2) Constituer, comme prévu, une agence pour l’intégrité dotée de responsabilités en matière de vérification de patrimoine, d’incompatibilités et de conflits d’intérêt potentiels, mais aussi de la capacité d’arrêter des décisions impératives pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives.

3) Continuer, en se basant sur les progrès déjà accomplis, à mener des enquêtes professionnelles et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau.

4) Prendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l’administration locale. »

Le droit roumain

La Constitution roumaine

13 Le titre III de la Constituția României (Constitution roumaine), intitulé « Les autorités publiques », comprend, notamment, un chapitre VI, relatif à l’« autorité judiciaire », dans lequel figure l’article 126 de cette constitution. Cet article dispose :

« (1)   La justice est rendue par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie [(Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) (ci-après la « Haute Cour de cassation et de justice »)] par les autres instances judiciaires établies par la loi.

[...]

(3)   La Haute Cour de cassation et de justice assure l’interprétation et l’application uniformes de la loi par les autres juridictions, conformément à sa compétence.

(4)   La composition de la Haute Cour de cassation et de justice et ses règles de fonctionnement sont établies par une loi organique.

[...]

(6)   Le contrôle juridictionnel des actes administratifs des autorités publiques par la voie du contentieux administratif est garanti, à l’exception des actes relatifs aux rapports avec le Parlement ainsi que des actes de commandement militaire. Les juridictions administratives sont compétentes pour connaître des recours intentés par les personnes lésées, selon le cas, par des ordonnances ou par les dispositions d’ordonnances déclarées inconstitutionnelles. »

14 Le titre V de la Constitution roumaine, relatif à la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) (ci-après la « Cour constitutionnelle »), comprend les articles 142 à 147 de celle-ci. L’article 146 de cette constitution prévoit :

« La Cour constitutionnelle a les attributions suivantes :

[...]

d) elle décide des exceptions sur l’inconstitutionnalité des lois et des ordonnances, soulevées devant les instances judiciaires ou d’arbitrage commercial ; l’exception d’inconstitutionnalité peut être directement soulevée par l’avocat du peuple ;

e) elle statue sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, sur demande du Président de la Roumanie, du président de l’une des deux Chambres, du primului-ministru [(Premier ministre)] ou du président du [Conseil supérieur de la magistrature] ;

[...] »

Le code pénal

15 L’article 154, paragraphe 1, du Codul penal (code pénal) prévoit :

« Les délais de prescription de la responsabilité pénale sont :

a) 15 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’emprisonnement supérieure à 20 ans ;

b) 10 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à 10 ans mais n’excédant pas 20 ans ;

c) 8 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à 5 ans mais n’excédant pas 10 ans ;

d) 5 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à un an, mais n’excédant pas 5 ans ;

e) 3 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement qui n’excède pas un an ou l’amende. »

16 L’article 155, paragraphe 4, de ce code dispose :

« Les délais prévus à l’article 154, s’ils ont été déjà dépassés une deuxième fois, sont considérés comme remplis indépendamment du nombre d’interruptions. »

Le code de procédure pénale

17 L’article 40, paragraphe 1, du Codul de procedură penală (code de procédure pénale) dispose :

« La Haute Cour de cassation et de justice connaît, en première instance, des délits de haute trahison, et des infractions commises par les sénateurs, les députés et les membres roumains du Parlement européen, les membres du gouvernement, les juges de la Cour constitutionnelle, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les juges de la Haute Cour de cassation et de justice et les procureurs du Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție (parquet près la Haute Cour de
cassation et de justice, Roumanie)]. »

18 Aux termes de l’article 281, paragraphe 1, de ce code :

« Est toujours sanctionnée par la nullité la violation des dispositions concernant :

[...]

b) la compétence matérielle et personnelle des juridictions, lorsque c’est une juridiction de rang inférieur à celle compétente qui a jugé l’affaire ;

[...] »

19 L’article 426, paragraphe 1, dudit code dispose :

« [U]n recours extraordinaire en annulation peut être introduit contre les jugements définitifs en matière pénale dans les cas suivants :

[...]

d) lorsque la juridiction d’appel n’a pas été composée conformément à la loi ou lorsqu’il a existé un cas d’incompatibilité ;

[...] »

20 L’article 428, paragraphe 1, du même code prévoit :

« Le recours en annulation pour les motifs prévus à l’article 426, sous a), c) à h), peut être introduit dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision de la juridiction d’appel. »

La loi no 78/2000

21 L’article 5 de la Legea nr. 78/2000 pentru prevenirea, descoperirea și sancționarea faptelor de corupție (loi no 78/2000 sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption), du 18 mai 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 219 du 18 mai 2000), dispose, à son paragraphe 1 :

« Au sens de la présente loi, sont des infractions de corruption les infractions prévues aux articles 289 à 292 du code pénal, y compris lorsqu’elles sont commises par les personnes prévues à l’article 308 du code pénal. »

22 Les articles du code pénal mentionnés à l’article 5, paragraphe 1, de la loi no 78/2000 concernent, respectivement, les infractions de corruption passive (article 289), de corruption active (article 290), de trafic d’influence (article 291) et de trafic d’influence sous forme active (article 292).

23 L’article 29, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Des formations de jugement spécialisées sont constituées pour statuer en première instance sur les infractions prévues par la présente loi. »

La loi no 303/2004

24 L’article 99 de la Legea nr. 303/2004 privind statutul judecătorilor şi procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 826 du 13 septembre 2005), telle que modifiée par la Legea nr. 24/2012 (loi no 24/2012), du 17 janvier 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 51 du 23 janvier 2012) (ci-après la « loi no 303/2004 »), prévoit :

« Constituent des fautes disciplinaires :

[...]

o) le non-respect des dispositions relatives à l’attribution aléatoire des affaires ;

[...]

ș) le non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle [...] ;

[...] ».

25 L’article 100 de cette loi prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées aux juges et aux procureurs, proportionnellement à la gravité des fautes, sont :

[...]

e) l’exclusion de la magistrature. »

26 L’article 101 de ladite loi dispose :

« Les sanctions disciplinaires prévues à l’article 100 sont infligées par les sections du Conseil supérieur de la magistrature, dans les conditions prévues dans sa loi organique. »

La loi no 304/2004

27 La Legea nr. 304/2004 privind organizarea judiciară (loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire), du 28 juin 2004 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 827 du 13 septembre 2005), a été modifiée, notamment, par :

– la Legea nr. 202/2010 privind unele măsuri pentru accelerarea soluționării proceselor (loi no 202/2010 portant mesures pour l’accélération du règlement des litiges), du 25 octobre 2010 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 714 du 26 octobre 2010) ;

– la Legea nr. 255/2013 pentru punerea în aplicare a Legii nr. 135/2010 privind Codul de procedură penală şi pentru modificarea şi completarea unor acte normative care cuprind dispoziţii procesual penale (loi no 255/2013 mettant en œuvre la loi no 135/2010 portant code de procédure pénale et modifiant et complétant certains actes normatifs comportant des dispositions en matière de procédure pénale), du 19 juillet 2013 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 515 du 14 août 2013) ;

– la Legea nr. 207/2018 pentru modificarea și completarea Legii nr. 304/2004 privind organizarea judiciară (loi no 207/2018 modifiant et complétant la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire), du 20 juillet 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 636 du 20 juillet 2018) ;

28 L’article 19, paragraphe 3, de la loi no 304/2004, telle que modifiée en dernier lieu par la loi no 207/2018 (ci-après la « loi no 304/2004 modifiée »), dispose :

« Au début de chaque année, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice, sur proposition du président ou du vice-président de celle-ci, peut approuver la constitution de formations de jugement spécialisées dans le cadre des chambres de la Haute Cour de cassation et de justice, en fonction du nombre et de la nature des affaires, du volume d’activité de chaque chambre, ainsi que de la spécialisation des juges et de la nécessité de mettre à profit leur expérience professionnelle. »

29 L’article 24, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Les formations de cinq juges connaissent des appels contre les décisions rendues en première instance par la section pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, statuent sur les recours en cassation contre les décisions prises en appel par les formations de cinq juges après leur admission préalable, traitent les recours formés contre les décisions rendues au cours du procès en première instance par la section pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, statuent sur des affaires
disciplinaires conformément à la loi et sur d’autres affaires dans le cadre des compétences qui leur sont conférées par la loi. »

30 L’article 29, paragraphe 1, de ladite loi est libellé comme suit :

« Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice a les compétences suivantes :

a) approuver le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif ainsi que les tableaux des effectifs et du personnel de la Haute Cour de cassation et de justice ;

[...]

f) exercer les autres compétences prévues dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice. »

31 L’article 31, paragraphe 1, de la même loi énonce :

« En matière pénale, les formations de jugement se composent de la manière suivante :

a) dans les affaires données, conformément à la loi, à la compétence de première instance de la Haute Cour de cassation et de justice, la formation de jugement est composée de trois juges ;

[...] »

32 L’article 32 de la loi no 304/2004 modifiée prévoit :

« (1)   Au début de chaque année, sur proposition du président ou des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice, le collège approuve le nombre et la composition des formations de cinq juges.

[...]

(4)   Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, par le président ou, en son absence, par l’un des deux vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice.

(5)   La formation de cinq juges est présidée par le président de la Haute Cour de cassation et de justice, l’un des vice-présidents ou les présidents de chambre s’ils ont été désignés pour faire partie de la formation de jugement conformément au paragraphe 4.

(6)   Si aucun d’entre eux n’a été désigné pour faire partie des formations de cinq juges, la formation de jugement est présidée par chaque juge par rotation, suivant l’ordre de leur ancienneté au sein de la magistrature.

(7)   Les affaires relevant de la compétence des formations de cinq juges sont attribuées de manière aléatoire par un système informatisé. »

33 Dans sa version issue de la loi no 202/2010, l’article 32 de la loi no 304/2004 disposait :

« (1)   En matière pénale, deux formations de cinq juges composées uniquement de membres de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice sont constituées au début de chaque année.

[...]

(4)   Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice approuve la composition des formations de cinq juges. Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la
Haute Cour de cassation et de justice.

(5)   La formation de cinq juges est présidée par le président ou le vice‑président de la Haute Cour de cassation et de justice. En leur absence, la formation de jugement peut être présidée par un président de chambre désigné à cet effet par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice.

(6)   Les affaires relevant de la compétence des formations de jugement visées aux paragraphes 1 et 2 sont attribuées de manière aléatoire par un système informatisé. »

34 Dans leur version issue de la loi no 255/2013, les paragraphes 1 et 6 de l’article 32 de la loi no 304/2004 étaient libellés en des termes quasiment identiques à ceux de la version visée au point précédent, tandis que les paragraphes 4 et 5 de cet article prévoyaient :

« (4)   Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice approuve le nombre et la composition des formations de cinq juges, sur proposition du président de la chambre pénale. Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, par le président ou, en son absence, par le vice‑président de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à
l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice.

(5)   La formation de cinq juges est présidée par le président ou le vice‑président de la Haute Cour de cassation et de justice, si celui-ci fait partie de la formation de jugement, conformément au paragraphe 4, par le président de la chambre pénale ou le doyen d’âge, selon le cas. »

35 L’article 33 de la loi no 304/2004 modifiée est ainsi libellé :

« (1)   Le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation compétente pour connaître des recours formés dans l’intérêt de la loi ainsi que la formation compétente pour statuer sur des questions de droit, la formation de cinq juges et toute formation de jugement dans le cadre des chambres, lorsqu’il participe au jugement.

[...]

(3)   Les présidents de chambre peuvent présider toute formation de jugement de la chambre, tandis que les autres juges président par rotation. »

36 L’article 33, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, dans sa version issue de la loi no 202/2010, prévoyait :

« Le président ou, en son absence, le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation de cinq juges ainsi que toute formation de jugement dans le cadre des chambres lorsqu’il participe au jugement. »

37 Aux termes de cet article 33, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, dans sa version issue de la loi no 255/2013 :

« Le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation compétente pour connaître des recours formés dans l’intérêt de la loi ainsi que la formation compétente pour statuer sur des questions de droit, la formation de cinq juges et toute formation de jugement dans le cadre des chambres, lorsqu’il participe au jugement. »

Le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice

38 L’article 28 du Regulamentul privind organizarea şi funcţionarea administrativă a Înaltei Curţi de Casaţie şi Justiţie (règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice), du 21 septembre 2004, tel que modifié par la Hotărârea nr. 3/2014 pentru modificarea şi completarea Regulamentului privind organizarea şi funcţionarea administrativă a Înaltei Curţi de Casaţie şi Justiţie (décision no 3/2014 modifiant et complétant le règlement
relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif), du 28 janvier 2014 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 75 du 30 janvier 2014), disposait :

« 1.   La Haute Cour de cassation et de justice comprend des formations de cinq juges dont la compétence juridictionnelle est établie par la loi.

[...]

4.   Les formations de cinq juges sont présidées, selon le cas, par le président, les vice-présidents, le président de la chambre pénale ou le doyen d’âge. »

39 L’article 29, paragraphe 1, de ce règlement disposait :

« En vue de la constitution des formations de cinq juges en matière pénale, le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice désigne chaque année, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, quatre ou, selon le cas, cinq juges de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice pour chaque formation de jugement. »

Les procédures au principal et les questions préjudicielles

Affaire C‑859/19

40 Par un arrêt du 17 octobre 2017 rendu en première instance par une formation de trois juges, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a condamné FX, procureur au Parchetul de pe lângă Tribunalul Iași (parquet près le tribunal de grande instance d’Iași, Roumanie), à une peine globale de deux ans et onze mois d’emprisonnement et à une amende pour des infractions de corruption passive, de réalisation d’opérations financières, en tant qu’actes de commerce, incompatibles avec sa
fonction, dans le but d’obtenir pour soi-même de l’argent, des biens ou d’autres avantages indus, ainsi que de fausses déclarations, commises au cours des années 2014 et 2015, tout en l’acquittant de l’infraction de blanchiment d’argent. Par le même arrêt pénal, CS et ND ont été acquittés pour l’infraction de faux témoignage.

41 FX et le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Direcția Națională Anticorupție (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – Direction nationale anticorruption, Roumanie) (ci-après la « DNA ») ont interjeté appel contre ledit arrêt. L’affaire au principal a été inscrite au rôle de la formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice, en tant que juridiction d’appel.

42 Alors que la procédure d’appel était en cours, la Cour constitutionnelle a prononcé, le 7 novembre 2018, l’arrêt no 685/2018. Par cet arrêt, cette Cour, qui avait été saisie par le Premier ministre en application de l’article 146, sous e), de la Constitution roumaine, a, tout d’abord, constaté un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de cassation et de justice, généré par les décisions prises par le collège de cette dernière consistant, conformément à
une pratique en cours lors de la période concernée, à désigner par tirage au sort seulement quatre des cinq membres des formations de cinq juges statuant en appel, et non la totalité de ceux-ci, en méconnaissance de l’article 32 de la loi no 304/2004 modifiée, ensuite, considéré que le jugement d’une affaire en appel par une formation ainsi illégalement constituée était sanctionné par la nullité absolue de la décision prononcée et, enfin, indiqué que, en application de l’article 147,
paragraphe 4, de la Constitution roumaine, cet arrêt était applicable à compter de la date de sa publication aux affaires en cours de jugement, aux affaires sur lesquelles il avait été statué, dans la mesure où les justiciables étaient encore dans le délai d’exercice des voies de recours extraordinaires appropriées, ainsi qu’aux situations futures. À la suite dudit arrêt, l’affaire au principal a été retirée du rôle et attribuée de manière aléatoire à l’une des formations de cinq juges
nouvellement constituées.

43 Le 3 juillet 2019, la Cour constitutionnelle a prononcé l’arrêt no 417/2019, sur saisine du président de la Chambre des Députés qui, à ce moment-là, faisait lui-même l’objet d’une procédure pénale pour des faits relevant du champ d’application de la loi no 78/2000 devant une formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice en tant que juridiction d’appel. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle a, tout d’abord, constaté l’existence d’un conflit juridique de nature
constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de cassation et de justice, généré par le fait que cette dernière n’avait pas constitué les formations de jugement spécialisées dans le jugement en première instance des infractions prévues à l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, ensuite, considéré que le jugement d’une affaire par une formation non spécialisée entraînait la nullité absolue de la décision prononcée et, enfin, ordonné que toutes les affaires sur lesquelles la Haute
Cour de cassation et de justice avait statué en première instance avant le 23 janvier 2019 et qui n’étaient pas devenues définitives soient réexaminées par des formations spécialisées constituées conformément à cette disposition. En effet, dans ledit arrêt, la Cour constitutionnelle a estimé que, si, à cette date du 23 janvier 2019, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice avait adopté une décision selon laquelle toutes les formations de jugement de trois juges de celle-ci devaient
être regardées comme étant spécialisées pour connaître des affaires de corruption, cette décision était de nature à éviter l’inconstitutionnalité uniquement à partir de la date de son adoption, non pour le passé.

44 À l’appui de sa demande de décision préjudicielle, la Haute Cour de cassation et de justice, la juridiction de renvoi dans la présente affaire, relève que les infractions en cause au principal, telles que les infractions de corruption commises en lien avec des procédures de passation de marchés publics financés principalement par des fonds européens, ainsi que les infractions de blanchiment d’argent, portent ou sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

45 Selon cette juridiction, en premier lieu, la question se pose de savoir si l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 4 de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (JO 2017, L 198, p. 29), ainsi que l’article 58 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la
prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une juridiction nationale applique une décision rendue par une autorité ne faisant pas partie du
système judiciaire, telle que l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle, qui s’est prononcée sur le bien-fondé d’une voie de recours ordinaire en imposant le renvoi des affaires, avec pour conséquence de remettre en question des poursuites pénales en ouvrant une nouvelle procédure de jugement en première instance. En effet, les États membres seraient tenus de prendre des mesures effectives et dissuasives pour combattre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de
l’Union.

46 Dans ce contexte, il conviendrait également d’établir si l’expression « et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE couvre les infractions de corruption proprement dites, dans la mesure notamment où l’article 4 de la directive 2017/1371 définit les infractions de « corruption passive » et « corruption active ».

47 Selon la juridiction de renvoi, tout comme dans l’affaire C‑357/19, Euro Box Promotion e.a., la question se pose également de savoir si le principe de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’oppose à ce que le cours de la justice soit affecté par une intervention telle que celle résultant de l’arrêt no 417/2019. Par ledit arrêt, la Cour constitutionnelle aurait, sans disposer de compétences juridictionnelles, mis en place des mesures
contraignantes impliquant l’ouverture de nouvelles procédures de jugement en raison de la prétendue absence de spécialisation en matière d’infractions de corruption des formations de jugement de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, alors que tous les juges de cette chambre pénale rempliraient, par leur qualité même de magistrat de cette juridiction, cette condition de spécialisation.

48 En deuxième lieu, il conviendrait, eu égard à la jurisprudence de la Cour ainsi qu’à l’importance du principe de légalité, de clarifier le sens de la notion de « tribunal établi préalablement par la loi », figurant à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, afin de déterminer si cette disposition s’oppose à l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle concernant le caractère illégal de la composition de la juridiction.

49 En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le juge national est tenu de laisser inappliqué l’arrêt no 417/2019 pour assurer le plein effet des règles de l’Union. Plus généralement, il y aurait également lieu de rechercher s’il convient d’écarter les effets des décisions de la Cour constitutionnelle portant atteinte au principe de l’indépendance des juges dans des affaires régies seulement par le droit national. Ces questions se poseraient notamment en raison
du fait que le régime disciplinaire roumain prévoit l’application d’une sanction disciplinaire à un juge lorsque celui-ci écarte les effets des décisions de la Cour constitutionnelle.

50 La juridiction de renvoi est d’avis que l’arrêt no 417/2019, qui a pour effet d’annuler les arrêts rendus en première instance antérieurement au 23 janvier 2019 par les formations de trois juges de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, viole le principe d’effectivité des sanctions pénales en cas d’activités illégales graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. En effet, ledit arrêt créerait, d’une part, une apparence d’impunité et comporterait, d’autre
part, un risque systémique d’impunité en matière d’infractions graves en raison des règles nationales de prescription des poursuites, étant donné la complexité et la durée de la procédure précédant le prononcé d’un jugement définitif à la suite d’un réexamen des affaires concernées. Ainsi, dans l’affaire au principal, la procédure judiciaire aurait, en raison de sa complexité, déjà duré environ quatre ans pour la phase de première instance.

51 C’est dans ces conditions que la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 58 de la directive [2015/849], l’article 4 de la directive [2017/1371] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], qui impose le renvoi pour réexamen des affaires de corruption sur lesquelles il a été statué au cours d’une période donnée et qui se trouvent au stade de l’appel, au motif que des formations
de jugement spécialisées dans cette matière n’étaient pas constituées au niveau de la juridiction suprême, même si la spécialisation des juges ayant fait partie [des formations de jugement] est reconnue [par cette décision] ?

2) L’article 2 TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de l’illégalité de la composition des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la chambre pénale de la juridiction suprême) ?

3) Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, prononcée à la suite d’une saisine relative à un conflit constitutionnel, ayant force obligatoire en droit national ? »

Affaire C‑926/19

52 Par un arrêt du 30 juin 2016 rendu en première instance par une formation de trois juges, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a condamné FV à une peine de trois ans et six mois d’emprisonnement pour des infractions de fraude fiscale commises au cours des années 2010 à 2013, tout en l’acquittant de l’infraction de fraude à la TVA, de l’infraction de blanchiment des capitaux ainsi que des autres infractions qui lui étaient reprochées. Par le même arrêt, CS et EU,
procureurs, et DT, officier de police, ont été condamnés à des peines respectivement de sept ans, deux ans et quatre ans, notamment pour des faits de corruption, assimilés ou liés à celle-ci, commis depuis l’année 2010. Enfin, toujours par le même arrêt, BR, GW, HX et IY ainsi que SC Uranus Junior 2003 SRL ont été acquittés pour les infractions qui leur étaient reprochées.

53 BR, CS, DT, EU, FV et GW ainsi que la DNA, le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia de Investigare a Infracțiunilor de Criminalitate Organizată și Terorism – Structura Centrală (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – Direction d’Investigation des Infractions de Criminalité Organisée et de Terrorisme – Structure centrale, Roumanie) et l’Agenția Națională de Administrare Fiscală (agence nationale de l’administration fiscale, Roumanie) ont interjeté
appel dudit arrêt.

54 L’affaire au principal a été inscrite au rôle de la formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice, en tant que juridiction d’appel. Le 7 mai 2018, cette formation a admis des témoignages et des preuves écrites à l’appui des motifs d’appel et a convoqué les témoins en vue de leur audition.

55 À la suite du prononcé, le 7 novembre 2018, de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle, mentionné au point 42 de la présente ordonnance, l’affaire a été réattribuée à une autre formation de cinq juges. Par ordonnance du 13 mai 2019, cette nouvelle formation a admis des témoignages et des preuves écrites à l’appui des motifs d’appel et a convoqué les témoins en vue de leur audition.

56 Après le prononcé, le 3 juillet 2019, de l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle, mentionné au point 43 de la présente ordonnance, une partie des appelants a demandé à la juridiction de renvoi de constater la nullité absolue de l’arrêt du 30 juin 2016, en ce qu’il avait été prononcé par une formation de trois juges non spécialisée en matière de corruption, et de renvoyer l’affaire pour réexamen devant la juridiction de première instance.

57 La Haute Cour de cassation et de justice, la juridiction de renvoi dans la présente affaire, s’interroge sur la compatibilité de l’arrêt no 417/2019 avec l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 47 de la Charte et l’article 4 de la directive 2017/1371. S’agissant, en particulier, de l’article 325 TFUE, cette juridiction avance, en substance, les mêmes arguments que ceux formulés dans l’affaire C‑859/19. Ladite juridiction ajoute que, dans
l’affaire au principal, la procédure pénale en première instance a duré plus de quatre ans.

58 La juridiction de renvoi fait observer que l’arrêt no 417/2019 a mis en place des mesures procédurales contraignantes nécessitant l’ouverture de nouvelles procédures de jugement en raison de l’absence de spécialisation des formations de jugement en première instance en ce qui concerne les infractions prévues par la loi no 78/2000. Il existerait ainsi, à cause de cet arrêt, un risque d’impunité dans un nombre considérable d’affaires concernant des infractions graves. Dans ces conditions, il serait
porté atteinte à l’exigence d’effectivité visée à l’article 325 TFUE et au droit fondamental de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable.

59 De même, la juridiction de renvoi considère que, comme dans l’affaire C‑859/19, il convient d’interroger la Cour sur la compatibilité de l’intervention de la Cour constitutionnelle avec le principe de l’État de droit. Tout en soulignant l’importance du respect des arrêts de ladite cour, la juridiction de renvoi précise que son interrogation porte non pas sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en général, mais uniquement sur l’arrêt no 417/2019, dans lequel celle-ci aurait opposé sa
propre interprétation à celle de la Haute Cour de cassation et de justice concernant les dispositions divergentes figurant respectivement dans la loi no 78/2000 et dans la loi no 304/2004 modifiée, relatives à la constitution de formations spécialisées, et aurait interféré dans les compétences de cette dernière juridiction en ordonnant le réexamen de certaines affaires.

60 Dans ces conditions la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1) L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 58 de la directive [2015/849] [ainsi que] l’article 4 de la directive [2017/1371] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], se prononçant sur une exception tirée d’une éventuelle composition illégale des formations de jugement, au regard du principe de spécialisation des juges de la Haute Cour de
cassation et de justice (non prévu dans la Constitution roumaine) et obligeant une juridiction à renvoyer des affaires se trouvant au stade de l’appel (voie de recours à effet dévolutif), en vue d’un nouveau jugement dans le cadre de la première phase de la procédure devant la même juridiction ?

2) L’article 2 TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de la composition illégale des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la chambre pénale de la juridiction suprême) ?

3) Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, qui interprète une règle juridique de rang inférieur à la Constitution, relative à l’organisation de la Haute Cour de cassation et de justice, figurant dans la loi nationale sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption, règle qui a constamment été interprétée dans le même sens
par une juridiction pendant seize ans ?

4) Conformément à l’article 47 de la [Charte], le principe de libre accès à la justice inclut-il la spécialisation des juges et la constitution de formations de jugement spécialisées au sein d’une juridiction suprême ? »

Affaire C‑929/19

61 La DNA a engagé, devant la Haute Cour de cassation et de justice, des poursuites pénales contre CD, CLD, GLO, ȘDC ainsi que le député PVV.

62 L’acte d’accusation leur reprochait, en substance, d’avoir, au cours de la période comprise entre les années 2007 et 2009, détourné des sommes considérables provenant des fonds d’investissement destinés à réaliser des améliorations technologiques de centrales énergétiques aux fins de réduire, conformément aux exigences en matière d’environnement imposées au niveau de l’Union, les émissions de dioxyde de soufre de ces centrales. À cette fin et dans ce contexte, les accusés avaient, selon l’acte
d’accusation, commis des infractions de corruption, de fraude fiscale notamment en matière de TVA, de blanchiment de capitaux et de faux en écriture.

63 Par un arrêt du 10 mai 2018 rendu en première instance par une formation de trois juges, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a condamné CD à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour des infractions notamment à la législation sur les marchés publics et pour des détournements de fonds commis entre les années 2007 et 2009.

64 CLD, GLO, PVV et ȘDC ont été acquittés pour les infractions qui leur étaient reprochées.

65 La DNA, CD et l’Agenția Națională de Administrare Fiscală (agence nationale de l’administration fiscale) ont interjeté appel de cet arrêt.

66 Au cours de la procédure d’appel, la Cour constitutionnelle a prononcé l’arrêt no 417/2019, du 3 juillet 2019.

67 La Haute Cour de cassation et de justice, la juridiction de renvoi dans la présente affaire, s’interroge sur la compatibilité de cet arrêt avec l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 47 de la Charte et l’article 4 de la directive 2017/1371. S’agissant, notamment, de l’article 325 TFUE, cette juridiction avance, en substance, les mêmes motifs que ceux formulés dans les affaires C‑859/19 et C‑926/19.

68 En ce qui concerne l’article 19, paragraphe 1, TUE, le principe de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte, la juridiction de renvoi met, en premier lieu, en exergue la dimension politique de la nomination des membres de la Cour constitutionnelle ainsi que la position particulière de celle-ci dans l’architecture des autorités de l’État.

69 En deuxième lieu, la procédure de constatation d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, prévue à l’article 146, sous e), de la Constitution roumaine, serait en tant que telle problématique, dès lors que, selon cette même disposition, des organes politiques sont habilités à engager cette procédure. En outre, la limite entre l’illégalité d’un acte et l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle serait particulièrement ténue et permettrait à
un cercle restreint de sujets de droit d’exercer des voies de recours parallèles à celles organisées devant les juridictions de droit commun.

70 En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que le constat effectué par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt no 685/2018 de l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif est problématique. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle aurait opposé sa propre interprétation de dispositions législatives à celle retenue par la Haute Cour de cassation et de justice dans l’exercice de sa compétence et aurait reproché à cette
dernière juridiction une méconnaissance systématique de la volonté du législateur, ce afin de pouvoir constater l’existence d’un tel conflit juridique de nature constitutionnelle.

71 Selon la juridiction de renvoi, la question se pose ainsi de savoir si les articles 2 et 19 TUE ainsi que l’article 47 de la Charte s’opposent à ce que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la jurisprudence de la Haute Cour de cassation et de justice puisse être contrôlée et sanctionnée par une intervention de la Cour constitutionnelle. La juridiction de renvoi considère que l’intervention de cette dernière, sous la forme d’un contrôle de la légalité de l’activité de la Haute
Cour de cassation et de justice, qui se substituerait aux procédures juridictionnelles légales, peut avoir une incidence négative sur l’indépendance de la justice et sur les fondements mêmes de l’État de droit visé à l’article 2 TUE, puisque la Cour constitutionnelle ne fait pas partie du système judiciaire et n’est pas investie de compétences de jugement.

72 Dans ces conditions, la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE [ainsi que] les articles 2 et 4 de la directive [2017/1371] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], qui impose de plano le renvoi pour réexamen de toutes les affaires de corruption sur lesquelles la chambre pénale de la juridiction suprême a statué en première instance pendant une période déterminée (de 2003 à
janvier 2019), se trouvant au stade de l’appel ?

2) L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47[, deuxième alinéa,] de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de l’illégalité de la composition des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême, en contradiction avec l’interprétation qui ressort de la pratique organisationnelle ainsi que juridictionnelle constante et unanime de celle-ci ?

3) Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, prononcée à la suite d’une saisine relative à un conflit constitutionnel, ayant force obligatoire en droit national ?

4) L’expression “établi préalablement par la loi” qui figure à l’article 47[, deuxième alinéa,] de la [Charte] peut-elle être interprétée comme incluant la désignation formelle de formations de jugement spécialisées indépendamment de la spécialisation des juges qui les composent ? »

73 Par décision du président de la Cour du 19 mai 2022, les affaires C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur la demande de procédure accélérée

74 La juridiction de renvoi a demandé à la Cour que les présentes affaires soient soumises à la procédure accélérée en vertu de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

75 Compte tenu de la décision de la Cour de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 99 du règlement de procédure, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande (voir, en ce sens, ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, point 17 et jurisprudence citée).

Sur les questions préjudicielles

76 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée notamment lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence.

77 La réponse aux questions posées par la juridiction de renvoi pouvant être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour, en particulier des arrêts du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034), et du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), (C‑430/21, EU:C:2022:99), il y a lieu de faire application de cette disposition dans les présentes affaires.

Sur la première question dans l’affaire C‑859/19 ainsi que sur les première et quatrième questions dans les affaires C‑926/19 et C‑929/19

78 Par sa première question dans l’affaire C‑859/19 ainsi que par ses première et quatrième questions dans les affaires C‑926/19 et C‑929/19, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la
TVA, qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort, sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance.

79 À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi dans ces affaires souligne l’importance des effets que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019, relative à la composition des formations de jugement de la Haute Cour de cassation et de justice, pourrait avoir sur l’effectivité des poursuites, des sanctions et de l’exécution des sanctions en matière d’infractions de corruption et de fraude à la TVA telles que celles dont font
l’objet les accusés au principal, parmi lesquels figurent des personnes ayant occupé les plus hautes fonctions au sein de l’État roumain à l’époque des faits reprochés. Elle interroge ainsi la Cour, en substance, sur la compatibilité d’une telle jurisprudence avec le droit de l’Union.

80 Si les questions qu’elle pose à cet égard visent formellement l’article 325, paragraphe 1, TFUE, sans se référer à la décision 2006/928, cette dernière décision ainsi que les objectifs de référence figurant à son annexe sont pertinents aux fins de la réponse à apporter à ces questions. En revanche, bien que la juridiction de renvoi se réfère également, dans ses questions, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 58 de la directive 2015/849 et aux articles 2 et 4 de la
directive 2017/1371, un examen qui porterait, en outre, sur ces dernières dispositions n’apparaît pas nécessaire aux fins de répondre aux interrogations qui sous-tendent lesdites questions. Au demeurant, s’agissant de ces deux directives, il convient de relever que la période pertinente dans les affaires en cause au principal est antérieure à l’entrée en vigueur de celles-ci et, partant, antérieure à la date à laquelle la directive 2017/1371 a remplacé la convention PIF.

81 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre auxdites questions à l’aune tant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, que de la décision 2006/928.

82 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 180 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034), en l’état actuel du droit de l’Union, ce droit ne prévoit pas de règles gouvernant l’organisation de la justice dans les États membres et, en particulier, la composition des formations de jugement en matière de corruption et de fraude. Partant, ces règles relèvent, en principe, de la compétence des États membres.
Toutefois, ces États sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union.

83 S’agissant des obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, cette disposition impose aux États membres de lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 181 ainsi que jurisprudence citée).

84 Afin d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, il incombe, notamment, aux États membres de prendre les mesures nécessaires en vue de garantir le prélèvement effectif et intégral des ressources propres que sont les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA. De même, les États membres sont tenus d’adopter des mesures effectives permettant de recouvrer les sommes indûment versées au bénéficiaire d’une subvention partiellement financée
par le budget de l’Union (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 182 ainsi que jurisprudence citée).

85 Dès lors, la Cour a déjà jugé, au point 183 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034), que la notion d’« intérêts financiers » de l’Union, au sens de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la disposition du budget de l’Union, mais également les dépenses couvertes par ce budget. Cette interprétation est corroborée par la définition de la notion de « fraude portant atteinte aux
intérêts financiers [de l’Union] », qui figure à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la convention PIF et qui vise différents actes ou omissions intentionnels en matière tant de dépenses que de recettes.

86 Par ailleurs, s’agissant de l’expression « toute activité illégale », figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu de rappeler que les termes « activité illégale » désignent usuellement des comportements contraires à la loi tandis que le déterminant « toute » indique qu’est visé, indifféremment, l’ensemble de ces comportements. Du reste, eu égard à l’importance qu’il convient de reconnaître à la protection des intérêts financiers de l’Union, laquelle constitue un objectif de
celle-ci, cette notion d’« activité illégale » ne saurait être interprétée de manière restrictive (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 184 ainsi que jurisprudence citée).

87 Ainsi, ladite notion d’« activité illégale » couvre notamment tout acte de corruption des fonctionnaires ou tout abus par ceux-ci d’une fonction publique, susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, sous la forme, par exemple, d’une perception indue des fonds de celle-ci. Dans ce contexte, il importe peu que les actes de corruption se traduisent par un acte ou par une omission du fonctionnaire concerné, compte tenu du fait qu’une omission peut être aussi préjudiciable pour
les intérêts financiers de l’Union qu’un acte et être intrinsèquement liée à un tel acte, comme le sont, par exemple, l’omission par un fonctionnaire d’effectuer les contrôles et les vérifications requis pour des dépenses couvertes par le budget de l’Union ou l’autorisation de dépenses inappropriées ou incorrectes des fonds de l’Union (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 185).

88 Le fait que l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de cette convention, se réfère uniquement à la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union n’est pas de nature à infirmer cette interprétation de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, dont les termes visent expressément « la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 1er,
paragraphe 1, sous a), de ladite convention, un détournement de fonds provenant du budget de l’Union à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés est constitutif d’une fraude, alors qu’un tel détournement peut également être à l’origine ou le résultat d’un acte de corruption. Cela revient à démontrer que des actes de corruption peuvent être liés à des cas de fraude et, inversement, la commission d’une fraude peut être facilitée par des actes de corruption, si bien
qu’une éventuelle atteinte aux intérêts financiers peut, dans certains cas, résulter de la conjonction d’une fraude à la TVA et d’actes de corruption, ce qui est confirmé par le protocole à la convention PIF, lequel couvre, aux termes de ses articles 2 et 3, les actes de corruption passive et active (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 186).

89 Il y a également lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que même des irrégularités qui n’ont pas d’impact financier précis peuvent sérieusement affecter les intérêts financiers de l’Union, de sorte que l’article 325, paragraphe 1, TFUE est susceptible de couvrir non seulement des actes qui causent effectivement une perte de ressources propres mais également la tentative de commettre de tels actes (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19,
C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 187).

90 Il convient d’ajouter que, en ce qui concerne la Roumanie, l’obligation de lutter contre la corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, ainsi qu’elle résulte de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, est complétée par les engagements spécifiques que cet État membre a acceptés lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004. En effet, conformément au point I, 4, de l’annexe IX de l’acte d’adhésion, ledit État membre s’est engagé notamment à « [r]enforcer
considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la législation en matière de lutte contre la corruption ». Cet engagement spécifique a été, par la suite, concrétisé par l’adoption de la décision 2006/928, fixant des objectifs de référence aux fins de remédier aux défaillances constatées par la Commission avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union, notamment dans le domaine de la lutte contre la
corruption. Ainsi, l’annexe de cette décision, dans laquelle sont exposés ces objectifs de référence, vise, à son point 3, l’objectif de « [c]ontinuer à mener des enquêtes professionnelles et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau » et, à son point 4, l’objectif de « [p]rendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l’administration locale » (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19,
C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 188).

91 Les objectifs de référence que la Roumanie s’est ainsi engagée à atteindre revêtent un caractère contraignant pour cet État membre, en ce sens que celui-ci est soumis à l’obligation spécifique d’atteindre ces objectifs et de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ceux-ci dans les meilleurs délais. De même, ledit État membre est tenu de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquerait de compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs. Or, l’obligation de lutter
de manière effective contre la corruption et, en particulier, la corruption de haut niveau, qui découle des objectifs de référence exposés dans l’annexe de la décision 2006/928, lus en combinaison avec les engagements spécifiques de la Roumanie, ne se limite pas aux seuls cas de corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 189).

92 Par ailleurs, il découle, d’une part, des prescriptions de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, qui imposent de lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, de celles de la décision 2006/928, qui exigent de prévenir et de combattre la corruption en général, que la Roumanie doit prévoir l’application de sanctions effectives et dissuasives en cas de telles infractions (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a.,
C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 190 ainsi que jurisprudence citée).

93 À cet égard, si cet État membre dispose d’une liberté de choix des sanctions applicables, lesquelles peuvent prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux, il est toutefois tenu, conformément à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de veiller à ce que les infractions de fraude et de corruption graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union soient passibles de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif. En outre,
s’agissant des infractions de corruption en général, l’obligation de prévoir des sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif découle, pour la Roumanie, de la décision 2006/928, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 91 de la présente ordonnance, cette décision oblige ledit État membre à lutter, de manière effective et indépendamment d’une éventuelle atteinte aux intérêts financiers de l’Union, contre la corruption et, en particulier, contre la corruption de haut
niveau (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 191 ainsi que jurisprudence citée).

94 Il appartient en outre à la Roumanie d’assurer que ses règles de droit pénal et de procédure pénale permettent une répression effective des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de corruption en général. Ainsi, si les sanctions prévues et les procédures pénales instituées pour lutter contre ces infractions relèvent de la compétence de cet État membre, cette compétence est limitée non seulement par les principes de proportionnalité et d’équivalence, mais
également par le principe d’effectivité, lequel impose que lesdites sanctions présentent un caractère effectif et dissuasif. Cette exigence d’effectivité s’étend nécessairement tant aux poursuites et aux sanctions des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de corruption en général qu’à l’application des peines infligées, dans la mesure où, en l’absence d’exécution effective des sanctions, celles-ci ne sauraient présenter un caractère effectif et dissuasif
(arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 192 ainsi que jurisprudence citée).

95 Dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite et à la sanction des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ainsi que des infractions de corruption en général ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique
d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, tout en assurant la protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 193 ainsi que jurisprudence citée).

96 Quant aux juridictions nationales, il leur incombe de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que de la décision 2006/928 et de laisser inappliquées des dispositions internes qui, dans le cadre d’une procédure concernant des infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou des infractions de corruption en général, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre de telles
infractions (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 194 ainsi que jurisprudence citée).

97 S’agissant, en l’occurrence, de la question de savoir si l’application de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019 comporte un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général, il convient de relever que, aux points 195 à 202 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19,
EU:C:2021:1034), la Cour a déjà examiné cette question en se fondant, en substance, sur les mêmes indications que celles contenues dans les présentes demandes de décision préjudicielle. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard aux considérations figurant à ces points, l’application de cette jurisprudence, combinée avec la mise en œuvre des dispositions nationales en matière de prescription et, notamment, du délai de prescription absolu prévu à l’article 155, paragraphe 4,
du code pénal, comporte un tel risque.

98 Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion que l’application de ladite jurisprudence, combinée avec la mise en œuvre des dispositions nationales en matière de prescription, comporte un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général, les sanctions prévues par le droit national pour combattre de telles infractions ne pourraient être
considérées comme étant effectives et dissuasives, ce qui serait incompatible avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, ainsi qu’avec la décision 2006/928 (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 203).

99 Cela étant, dans la mesure où les procédures pénales en cause au principal constituent une mise en œuvre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et/ou de la décision 2006/928 et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, cette juridiction de renvoi doit également s’assurer que les droits fondamentaux garantis par la Charte aux personnes concernées dans les affaires au principal, en particulier ceux garantis à l’article 47 de celle-ci, sont respectés. Dans le
domaine pénal, le respect de ces droits doit être garanti non seulement au cours de la phase de l’enquête préliminaire, dès l’instant où la personne concernée se trouve accusée, mais aussi lors des procédures pénales et dans le cadre de l’exécution des peines (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 204 ainsi que jurisprudence citée).

100 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte consacre le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. En exigeant que le tribunal soit « établi préalablement par la loi », cette disposition vise à assurer que l’organisation du système judiciaire soit régie par une loi adoptée par le pouvoir
législatif d’une manière conforme aux règles encadrant l’exercice de sa compétence, aux fins d’éviter que cette organisation ne soit laissée à la discrétion du pouvoir exécutif. Cette exigence s’applique à la base légale de l’existence même du tribunal ainsi qu’à toute autre disposition du droit interne dont le non-respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire en cause, telles que les dispositions régissant la composition de la formation de jugement
(arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 205 ainsi que jurisprudence citée).

101 Or, il convient de faire observer qu’une irrégularité commise lors de la composition des formations de jugement emporte une violation de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte, notamment lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de composition
des formations de jugement et semant ainsi un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés, ce qui est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 206 ainsi que jurisprudence citée).

102 En l’occurrence, si la Cour constitutionnelle a jugé, dans les arrêts nos 685/2018 et 417/2019 en cause au principal, que la pratique antérieure de la Haute Cour de cassation et de justice, fondée notamment sur le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif, relative à la spécialisation et à la composition des formations de jugement en matière de corruption, n’était pas conforme aux dispositions nationales applicables, il n’apparaît pas que cette pratique était entachée
d’une violation manifeste d’une règle fondamentale du système judiciaire de la Roumanie de nature à mettre en cause le caractère de tribunal « établi préalablement par la loi » des formations de jugement en matière de corruption de la Haute Cour de cassation et de justice, telles que constituées conformément à ladite pratique antérieure à ces arrêts de la Cour constitutionnelle. Cette appréciation est corroborée, ainsi que la Cour l’a relevé au point 208 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box
Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034), par la décision du collège de la Haute Cour de cassation et de justice du 23 janvier 2019, visée au point 43 de la présente ordonnance, et par l’interprétation de cette décision par la Cour constitutionnelle.

103 Ainsi, les exigences découlant de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte ne font pas obstacle à la non-application de la jurisprudence issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019 dans les présentes affaires (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 209).

104 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question dans l’affaire C‑859/19 ainsi qu’aux première et quatrième questions dans les affaires C‑926/19 et C‑929/19 que l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la
TVA qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance, dans la mesure où
l’application de cette réglementation ou de cette pratique nationale est de nature à créer un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général. L’obligation d’assurer que de telles infractions font l’objet de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif ne dispense pas la juridiction de renvoi de la vérification du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis
à l’article 47 de la Charte. Les exigences découlant de cet article 47, deuxième alinéa, première phrase, ne font pas obstacle à la non-application d’une telle réglementation ou pratique nationale lorsque celle-ci est de nature à créer un tel risque systémique d’impunité.

Sur les deuxième et troisième questions dans les affaires C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19

105 Par ses deuxième et troisième questions dans les affaires C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, d’une part, l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que la décision 2006/928 et, d’autre part, le principe de primauté du droit de l’Union combiné avec lesdites dispositions et l’article 325, paragraphe 1, TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils
s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun sont liées par les décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire auxdites dispositions du droit de l’Union.

Sur la garantie d’indépendance des juges

106 La juridiction de renvoi considère que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts en cause au principal est susceptible de mettre en cause son indépendance et est, de ce fait, incompatible avec le droit de l’Union, notamment avec les garanties prévues à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi qu’à l’article 47 de la Charte et avec la décision 2006/928. À cet égard, elle estime que la Cour constitutionnelle, qui ne fait pas partie du système
judiciaire roumain, a outrepassé ses compétences en prononçant ces arrêts et empiété sur celles des juridictions de droit commun, qui est d’interpréter et d’appliquer la législation infra-constitutionnelle. La juridiction de renvoi indique encore que le non-respect des arrêts de la Cour constitutionnelle constitue en droit roumain une faute disciplinaire, de sorte qu’elle s’interroge, en substance, sur le point de savoir si elle peut, au titre du droit de l’Union, laisser inappliqués les arrêts
en cause au principal sans craindre que ses membres fassent l’objet d’une procédure disciplinaire.

107 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 82 de la présente ordonnance, si l’organisation de la justice dans les États membres, y compris l’institution, la composition et le fonctionnement d’une cour constitutionnelle, relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union.

108 L’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 217 ainsi que jurisprudence citée). En particulier,
ainsi que le confirme le considérant 3 de la décision 2006/928, la valeur de l’État de droit « implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption ».

109 L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un État de droit. À ce titre, et ainsi que l’énonce l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle
effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte (arrêt du
21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 219 ainsi que jurisprudence citée).

110 Il s’ensuit que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit assurer que les instances qui sont appelées, en tant que « juridiction » au sens défini par le droit de l’Union, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit et qui relèvent ainsi de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, étant précisé que cette
disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 220 ainsi que jurisprudence citée).

111 Or, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit
fondamental à un recours effectif (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 221 ainsi que jurisprudence citée).

112 Cette exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (arrêt
du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 222 ainsi que jurisprudence citée). De même, ainsi qu’il découle notamment du considérant 3 de la décision 2006/928 et des objectifs de référence visés aux points 1 à 3 de l’annexe de cette décision, l’existence d’un système judiciaire impartial, indépendant et efficace revêt une importance particulière pour la lutte contre la corruption, notamment celle de haut niveau.

113 Or, l’exigence d’indépendance des juridictions, qui découle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de
porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Ce dernier aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts
d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 41 et jurisprudence citée].

114 Ces garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de l’instance en cause à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 82 et jurisprudence citée].

115 À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice par ceux-ci de leurs fonctions doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence
d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 226 ainsi que jurisprudence citée).

116 S’agissant plus particulièrement des règles gouvernant le régime disciplinaire, l’exigence d’indépendance impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cette fin, il apparaît essentiel que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et l’application des règles de
droit national et de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire du juge concerné. Constitue, par ailleurs, une garantie inhérente à l’indépendance des juges nationaux le fait que ceux-ci ne soient pas exposés à des procédures ou à des sanctions disciplinaires pour avoir exercé la faculté de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, laquelle faculté relève de leur compétence exclusive (arrêt
du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 227 ainsi que jurisprudence citée).

117 En outre, conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 42 et jurisprudence citée].

118 Or, si ni l’article 2, ni l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ni aucune autre disposition du droit de l’Union n’impose aux États membres un modèle constitutionnel précis régissant les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques, notamment en ce qui concerne la définition et la délimitation des compétences de ceux-ci, ces États membres n’en doivent pas moins respecter, notamment, les exigences d’indépendance des juridictions qui découlent de ces dispositions du
droit de l’Union (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 229 ainsi que jurisprudence citée).

119 Dans ces conditions, l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 ne s’opposent pas à une réglementation ou pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, si le droit national
ne garantit pas cette indépendance, ces dispositions du droit de l’Union s’opposent à une telle réglementation ou pratique nationale, une telle cour constitutionnelle n’étant pas à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 44 et jurisprudence citée].

120 En l’occurrence, les interrogations soulevées par la juridiction de renvoi au regard de l’exigence d’indépendance des juges découlant de ces dispositions du droit de l’Union portent, d’une part, sur les mêmes aspects relatifs au statut, à la composition et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle ayant rendu les arrêts en cause au principal que ceux visés dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19
et C‑840/19, EU:C:2021:1034). En outre, les présentes demandes de décision préjudicielle contiennent, à cet égard, en substance, les mêmes indications que celles contenues dans les demandes dans ces affaires. Or, ainsi qu’il ressort des considérations figurant aux points 231 à 237 de cet arrêt, ces indications ne sont pas de nature à établir que la Cour constitutionnelle ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité, rappelées aux points 113 à 119 de la présente ordonnance, ni
que les arrêts en cause au principal seraient intervenus dans un contexte faisant naître un doute légitime quant au plein respect par la Cour constitutionnelle de ces exigences.

121 En ce qui concerne, d’autre part, la responsabilité disciplinaire que les juges de droit commun sont susceptibles d’encourir, selon la réglementation nationale en cause, en cas de méconnaissance des décisions de la Cour constitutionnelle, il est vrai que la sauvegarde de l’indépendance des juridictions ne saurait, notamment, avoir pour conséquence d’exclure totalement que la responsabilité disciplinaire d’un juge puisse, dans certains cas tout à fait exceptionnels, se trouver engagée du fait de
décisions judiciaires adoptées par celui-ci. En effet, une telle exigence d’indépendance ne vise, à l’évidence, pas à cautionner d’éventuelles conduites graves et totalement inexcusables dans le chef de juges, qui consisteraient, par exemple, à méconnaître délibérément et de mauvaise foi ou du fait de négligences particulièrement graves et grossières les règles de droit national et de l’Union dont ils sont censés assurer le respect, ou à verser dans l’arbitraire ou le déni de justice, alors
qu’ils sont appelés, en tant que dépositaires de la fonction de juger, à statuer sur les litiges qui leur sont soumis par des justiciables [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 83 et jurisprudence citée].

122 Toutefois, il apparaît essentiel, aux fins de préserver l’indépendance des juridictions et d’éviter de la sorte que le régime disciplinaire puisse être détourné de ses finalités légitimes et utilisé à des fins de contrôle politique des décisions judiciaires ou de pression sur les juges, que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et l’application des règles de droit national et de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des
preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire du juge concerné [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 84 et jurisprudence citée].

123 Par conséquent, il importe que l’engagement de la responsabilité disciplinaire d’un juge du fait d’une décision judiciaire soit limité à des cas tout à fait exceptionnels, tels que ceux évoqués au point 121 de la présente ordonnance, et encadré, à cet égard, par des critères objectifs et vérifiables, tenant à des impératifs tirés de la bonne administration de la justice, ainsi que par des garanties visant à éviter tout risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires et
permettant d’écarter ainsi, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime quant à l’imperméabilité des juges concernés et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 86 et jurisprudence citée].

124 En l’occurrence, les indications figurant dans les demandes de décision préjudicielle ne font pas apparaître que la responsabilité disciplinaire des juges nationaux de droit commun du fait du non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle, prévue à l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004 dont le libellé ne comporte aucune autre condition, soit limitée aux cas tout à fait exceptionnels évoqués au point 121 de la présente ordonnance, contrairement à la jurisprudence rappelée aux
points 122 et 123 de cette ordonnance.

125 Il s’ensuit que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces
dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 242).

126 Dans ces conditions, et s’agissant d’affaires où la réglementation ou la pratique nationale en cause au principal constitue une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, un examen séparé de l’article 47 de la Charte, qui ne pourrait que corroborer la conclusion déjà énoncée au point précédent n’apparaît pas nécessaire aux fins de répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi et de la solution des litiges dont celle-ci est saisie.

Sur la primauté du droit de l’Union

127 La juridiction de renvoi fait observer que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts en cause au principal, à l’égard de laquelle elle éprouve des doutes quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union, revêt, conformément à l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution roumaine, un caractère obligatoire et doit être respectée par les juridictions nationales, sous peine pour leurs membres de se voir infliger une sanction disciplinaire au titre de l’article 99, sous ș),
de la loi no 303/2004. Dans ces conditions, elle cherche à savoir si le principe de primauté du droit de l’Union s’oppose à une telle réglementation ou pratique nationale et autorise une juridiction nationale à laisser inappliquée une jurisprudence de cette nature, sans que ses membres soient exposés au risque de faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

128 À cet égard, la Cour a rappelé, aux points 245 à 248 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034), sa jurisprudence constante relative au traité CEE qui a posé le principe de primauté du droit communautaire comme faisant partie des caractéristiques essentielles de l’ordre juridique communautaire, tout en précisant que ces caractéristiques essentielles de l’ordre juridique de l’Union et l’importance du respect qui lui
est dû ont été, du reste, confirmées par la ratification, sans réserve, des traités modifiant le traité CEE et, notamment, du traité de Lisbonne. Elle a ajouté, au point 249 de cet arrêt, que l’article 4, paragraphe 2, TUE prévoit que l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités. Or, l’Union ne saurait respecter une telle égalité que si les États membres sont, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’impossibilité de faire prévaloir, contre l’ordre
juridique de l’Union, une mesure unilatérale, quelle qu’elle soit.

129 Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour a confirmé, de manière constante, la jurisprudence antérieure relative au principe de primauté du droit de l’Union, principe qui impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle),
C‑430/21, EU:C:2022:99, point 50 et jurisprudence citée].

130 Ainsi, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent‑elles d’ordre constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. En effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les effets s’attachant au principe de primauté du droit de l’Union s’imposent à l’ensemble des organes d’un État membre, sans, notamment, que les dispositions internes, y compris d’ordre
constitutionnel, puissent y faire obstacle [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 51 et jurisprudence citée].

131 À cet égard, il y a lieu, notamment, de rappeler que le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou
pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 252 ainsi que jurisprudence citée).

132 Or, s’agissant des dispositions du droit de l’Union visées par les présentes demandes de décision préjudicielle, il y a lieu de rappeler qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que les objectifs de référence énoncés à l’annexe de la décision 2006/928 sont formulés en des termes clairs et précis et ne sont assortis d’aucune condition, si bien qu’ils sont d’effet direct (arrêt du 21 décembre 2021, Euro
Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 253 ainsi que jurisprudence citée).

133 Dans ce contexte, il convient de préciser que, conformément à l’article 19 TUE, s’il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle effective que les justiciables tirent de ce droit, la Cour détient une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive dudit droit. Or, dans l’exercice de cette compétence, il appartient en définitive à la Cour de
préciser la portée du principe de primauté du droit de l’Union au regard des dispositions pertinentes de ce droit, cette portée ne pouvant pas dépendre de l’interprétation de dispositions du droit national, ni de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union retenue par une juridiction nationale, qui ne correspond pas à celle de la Cour. À cette fin, la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui constitue la clef de voûte du système juridictionnel institué par les
traités, instaure un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres ayant pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 254 ainsi que jurisprudence citée).

134 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que, en vertu de la Constitution roumaine, elle est liée par la jurisprudence issue des arrêts de la Cour constitutionnelle en cause au principal et ne peut, sous peine de voir ses membres exposés au risque d’une procédure ou de sanctions disciplinaires, laisser inappliquée cette jurisprudence, quand bien même elle estimerait, à la lumière d’un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour, que ladite jurisprudence est contraire au droit de l’Union.

135 À cet égard, il convient de rappeler qu’une décision rendue à titre préjudiciel par la Cour lie le juge national, quant à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union en cause, pour la solution du litige au principal. Ainsi, le juge national qui a exercé la faculté ou s’est conformé à l’obligation de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ne saurait être empêché de donner, immédiatement, au droit de l’Union une application conforme à la
décision ou à la jurisprudence de la Cour, sous peine d’amoindrir l’effet utile de cette disposition. Il convient d’ajouter que le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter une réglementation ou une pratique nationale formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes du droit de l’Union fait partie intégrante de l’office de juge de l’Union qui incombe au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les
normes du droit de l’Union, si bien que l’exercice de ce pouvoir constitue une garantie inhérente à l’indépendance des juges découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 256 et 257 ainsi que jurisprudence citée).

136 Ainsi, serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute réglementation ou pratique nationale qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter une disposition ou une pratique nationale formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union d’effet direct
[arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 63 et jurisprudence citée].

137 Or, une réglementation ou une pratique nationale selon laquelle les arrêts de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, alors que ces dernières estiment, à la lumière d’un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour, que la jurisprudence issue de ces arrêts constitutionnels est contraire au droit de l’Union, est de nature à empêcher ces juridictions d’assurer le plein effet des exigences de ce droit, effet d’empêchement qui peut être renforcé par le fait que le
droit national qualifie l’éventuel non-respect de cette jurisprudence constitutionnelle de faute disciplinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 259).

138 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l’article 267 TFUE s’oppose à toute réglementation ou pratique nationale de nature à empêcher les juridictions nationales, selon les cas, de faire usage de la faculté ou de se conformer à l’obligation, prévues à cet article 267, de s’adresser à titre préjudiciel à la Cour. Du reste, selon la jurisprudence rappelée au point 116 de la présente ordonnance, le fait pour les juges nationaux de ne pas être exposés à des procédures ou à des sanctions
disciplinaires pour avoir exercé la faculté de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, laquelle relève de leur compétence exclusive, constitue une garantie inhérente à leur indépendance. De même, dans l’hypothèse où, à la suite de la réponse de la Cour, un juge national de droit commun serait amené à considérer que la jurisprudence de la cour constitutionnelle nationale est contraire au droit de l’Union, le fait que ce juge national laisse inappliquée ladite jurisprudence, conformément au
principe de primauté de ce droit, ne saurait aucunement être de nature à engager sa responsabilité disciplinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 260 ainsi que jurisprudence citée).

139 Il s’ensuit que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par les arrêts de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces arrêts, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la
Cour, que cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928 (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 262).

140 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions dans les affaires C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19 que

– l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces
dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire ;

– le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par des décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour,
que cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928.

Sur les dépens

141 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

  1) L’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995, ainsi que la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence
spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée
concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance, dans la mesure où l’application de cette réglementation ou de cette pratique nationale est de nature à créer un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général. L’obligation d’assurer que de telles infractions font
l’objet de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif ne dispense pas la juridiction de renvoi de la vérification du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les exigences découlant de cet article 47, deuxième alinéa, première phrase, ne font pas obstacle à la non-application d’une telle réglementation ou pratique nationale lorsque celle-ci est de nature à créer un tel risque systémique
d’impunité.

  2) L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une
réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire.

  3) Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par des décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que
cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-859/19,
Date de la décision : 07/11/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie.

Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Lutte contre la corruption – Protection des intérêts financiers de l’Union – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Convention PIF – Décision 2006/928/CE – Procédures pénales – Arrêts de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) concernant la composition des formations de jugement en matière de corruption grave – Obligation pour les juges nationaux de donner plein effet aux décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) – Responsabilité disciplinaire des juges en cas de non-respect de ces décisions – Pouvoir de laisser inappliquées des décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) non conformes au droit de l’Union – Principe de primauté du droit de l’Union.

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux

Charte des droits fondamentaux

Ressources propres

Coopération judiciaire en matière pénale

Dispositions institutionnelles

Dispositions financières

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : FX e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:878

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award