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20/10/2022 | CJUE | N°C-825/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, UP contre Centre public d’action sociale de Liège., 20/10/2022, C-825/21


ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

20 octobre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Demande d’asile – Rejet – Ordre de quitter le territoire – Article 6, paragraphe 4 – Demande d’autorisation de séjour pour raison médicale – Demande recevable – Délivrance d’une autorisation de séjour temporaire pendant l’examen de la demande – Rejet de la demande – Aide soc

iale – Refus – Condition relative à la
légalité du séjour – Absence de décision de retour – Effet d’une autorisation de s...

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

20 octobre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Demande d’asile – Rejet – Ordre de quitter le territoire – Article 6, paragraphe 4 – Demande d’autorisation de séjour pour raison médicale – Demande recevable – Délivrance d’une autorisation de séjour temporaire pendant l’examen de la demande – Rejet de la demande – Aide sociale – Refus – Condition relative à la
légalité du séjour – Absence de décision de retour – Effet d’une autorisation de séjour temporaire sur l’ordre de quitter le territoire »

Dans l’affaire C‑825/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 13 décembre 2021, parvenue à la Cour le 23 décembre 2021, dans la procédure

UP

contre

Centre public d’action sociale de Liège,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. D. Gratsias, M. Ilešič, I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour UP, par M^e D. Andrien, avocat,

–        pour le gouvernement belge, par M^mes M. Jacobs, C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, assistées de M^e C. Piront, avocate,

–        pour la Commission européenne, par M^mes A. Azéma et A. Katsimerou, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 8 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une ressortissante d’un pays tiers au centre public d’action sociale de Liège (Belgique) (ci‑après le « CPAS ») au sujet de la décision prise par ce dernier de lui retirer le bénéfice de l’aide sociale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes du considérant 4 de la directive 2008/115 :

« Il est nécessaire de fixer des règles claires, transparentes et équitables afin de définir une politique de retour efficace, constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée. »

4        L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

4)      “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

[...] »

5        L’article 6 de ladite directive, intitulé « Décision de retour », dispose :

« 1.      Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

[...]

4.      À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de
séjour.

[...] »

6        L’article 8 de la directive 2008/115, intitulé « Éloignement », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7. »

 Le droit belge

 La réglementation relative à l’aide sociale

7        L’article 57, paragraphe 2, de la loi organique des centres publics d’action sociale, du 8 juillet 1976 (Moniteur belge du 5 août 1976, p. 9876), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les CPAS »), dispose :

« Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d’action sociale se limite à :

1°      l’octroi de l’aide médicale urgente, à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume ;

2°      [...]

Un étranger qui s’est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel, séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d’asile a été rejetée et qu’un ordre de quitter le territoire a été notifié à l’étranger concerné.

[...] »

 La réglementation relative aux étrangers

8        L’article 9 ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les étrangers »), dispose, à son paragraphe 1 :

« L’étranger qui séjourne en Belgique [...] et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume [...] »

9        L’article 7 de l’arrêté royal fixant des modalités d’exécution de la loi du 15 septembre 2006 modifiant la [loi sur les étrangers], du 17 mai 2007 (Moniteur belge du 31 mai 2007, p. 29535), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« arrêté royal du 17 mai 2007 »), prévoit :

« À l’exception des cas visés à l’article 9 ter, § 3 de la loi, le délégué du ministre donne instruction à la commune d’inscrire l’intéressé au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation de modèle A. [...] »

10      L’article 8 de cet arrêté royal dispose :

« L’autorisation de séjour provisoire et le certificat d’inscription au registre des étrangers qui sont délivrés sur la base de l’article 9 ter de la loi ont une durée de validité d’au moins un an. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      Le 19 août 2014, la requérante au principal, ressortissante de la République démocratique du Congo, a introduit en Belgique une demande de protection internationale.

12      Par décision du 24 septembre 2014, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) (Belgique) a rejeté cette demande, lui refusant tant le statut de réfugié que celui conféré par la protection subsidiaire (ci-après la « décision du CGRA »).

13      Le 13 octobre 2014, l’État belge, par l’intermédiaire de l’Office des étrangers (Belgique), a notifié à la requérante au principal un ordre de quitter le territoire.

14      Le 16 octobre 2014, cette dernière a saisi le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) d’un recours contre la décision du CGRA. L’ordre de quitter le territoire n’a pas fait l’objet d’un recours.

15      Le 19 janvier 2015, la requérante au principal a introduit auprès de l’Office des étrangers une demande d’autorisation de séjour pour raison médicale, en application de l’article 9 ter de la loi sur les étrangers.

16      L’Office des étrangers ayant déclaré cette demande recevable, le 8 juin 2015, une attestation d’immatriculation a été octroyée à la requérante au principal, en vertu de l’article 7 de l’arrêté royal du 17 mai 2007. Le CPAS lui a, de ce fait, alloué une aide sociale financière.

17      Le 22 juillet 2015, le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté le recours introduit par la requérante au principal contre la décision du CGRA.

18      Par décision du 20 avril 2016, l’Office des étrangers a rejeté la demande d’autorisation de séjour pour raison médicale, de telle sorte que les attestations d’immatriculation ont cessé d’être octroyées à la requérante au principal. Cette décision a été notifiée à cette dernière le 29 avril 2016.

19      La requérante au principal a introduit auprès du Conseil du contentieux des étrangers un recours contre ladite décision, lequel n’est pas suspensif.

20      Par décisions des 31 mai, 28 juin et 19 juillet 2016, le CPAS lui a retiré l’aide sociale à partir du 1^er mai 2016 et a décidé de récupérer la somme de 56,69 euros versée depuis le 29 avril 2016.

21      Par jugement du 7 novembre 2016, le tribunal du travail de Liège (Belgique) a rejeté le recours introduit par la requérante au principal contre ces trois décisions.

22      Par arrêt du 15 mars 2017, la cour du travail de Liège (Belgique) a rejeté l’appel interjeté par la requérante au principal contre ce jugement, au motif, en substance, que l’ordre de quitter le territoire adopté avant la demande d’autorisation de séjour pour raison médicale a été suspendu dans ses effets, tout en subsistant, et que cette suspension a pris fin lorsque les attestations d’immatriculation ont cessé d’être accordées. Le séjour de la requérante au principal au cours de la période
comprise entre le 1^er mai et le 2 novembre 2016 serait donc illégal. Partant, elle ne pourrait pas, en application de l’article 57, paragraphe 2, de la loi sur les CPAS, obtenir une aide sociale autre que l’aide médicale urgente.

23      La requérante au principal a saisi la Cour de cassation (Belgique), la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre cet arrêt. Elle soutient, en substance, que ce dernier donne effet, à tort, à l’ordre de quitter le territoire qui lui a été notifié le 13 octobre 2014. En effet, la délivrance d’attestations d’immatriculation au ressortissant d’un pays tiers qui demande un droit de séjour pour raison médicale sur le fondement de l’article 9 ter de la loi sur les étrangers indiquerait que
celui-ci est autorisé à séjourner, même de manière temporaire et précaire, et impliquerait, dès lors, le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire notifié antérieurement. L’arrêt entrepris n’aurait, dès lors, pu se fonder sur cet ordre de quitter le territoire pour décider que la requérante au principal se trouvait en séjour illégal durant la période comprise entre le 1^er mai et le 2 novembre 2016 et que, partant, elle n’avait pas droit à l’aide sociale en cause.

24      La Cour de cassation rappelle que, en droit belge, l’article 57, paragraphe 2, premier alinéa, de la loi sur les CPAS limite la mission de ces derniers à l’égard d’un étranger en séjour illégal à l’octroi de l’aide médicale urgente. Or, conformément au quatrième alinéa de cette disposition, un étranger qui s’est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel séjourne illégalement en Belgique lorsque la demande d’asile a été rejetée et qu’un ordre de quitter le territoire lui a été
notifié.

25      Cette juridiction relève, d’une part, que, selon l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, les États membres sont, en principe, tenus de prendre une décision de retour à l’égard de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et, d’autre part, que, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, ils doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour. Toutefois, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de
ladite directive, les États membres pourraient, à tout moment, décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et, dans un tel cas, si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour.

26      À cet égard, la Cour de cassation fait observer que, au point 36 de l’arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465), la Cour a constaté que l’ordre de quitter le territoire, donné par l’Office des étrangers au ressortissant d’un pays tiers après le rejet de sa demande de protection internationale, constitue une « décision de retour », au sens de l’article 3, point 4, de la directive 2008/115.

27      Or, la Cour aurait souligné, au point 75 de l’arrêt du 15 février 2016, N., (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), que l’effet utile de la directive 2008/115 exige qu’une procédure ouverte au titre de cette directive, dans le cadre de laquelle une décision de retour a été adoptée, puisse être reprise au stade où elle a été interrompue en raison du dépôt d’une demande de protection internationale dès que cette demande a été rejetée en première instance, les États membres étant tenus de ne pas
compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

28      À cet égard, la Cour aurait précisé, au point 76 de cet arrêt, qu’il résulte tant du devoir de loyauté des États membres, découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE, que des exigences d’efficacité, énoncées, notamment, au considérant 4 de la directive 2008/115, que l’obligation imposée aux États membres à l’article 8 de cette directive de procéder à l’éloignement doit être remplie dans les meilleurs délais et que cette obligation ne serait pas respectée si l’éloignement se trouvait retardé
en raison du fait que, après le rejet en première instance de la demande de protection internationale, une procédure telle que celle en cause doit être reprise, non au stade où elle a été interrompue, mais à son début.

29      Il en ressort, selon la juridiction de renvoi, que l’examen du pourvoi dans l’affaire au principal requiert d’interpréter les articles 6 et 8 de la directive 2008/115.

30      Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 6 et 8 de la directive [2008/115] s’opposent-ils à la règle de droit interne selon laquelle la délivrance d’une autorisation conférant un droit de séjour dans le cadre de l’examen d’une demande d’autorisation de séjour pour des raisons médicales, considérée comme recevable compte tenu des critères ci-dessus précisés, indique que le ressortissant de pays tiers est autorisé à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire, pendant l’examen de cette demande et que cette délivrance
implique, dès lors, le retrait implicite de la décision de retour précédemment adoptée dans le contexte d’une procédure d’asile, avec laquelle elle est incompatible ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

31      Le gouvernement belge estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question préjudicielle, dès lors que celle-ci est dénuée de pertinence pour la solution du litige au principal. En effet, la règle de droit interne visée par la juridiction de renvoi dans cette question n’existerait pas en droit belge. Cette juridiction partirait, à cet égard, d’un postulat erroné pour deux motifs.

32      D’une part, une attestation d’immatriculation délivrée, conformément à l’article 7 de l’arrêté royal du 17 mai 2007 et à l’article 9 ter de la loi sur les étrangers, à une personne dont la demande d’autorisation de séjour pour des raisons médicales a été déclarée recevable ne constituerait pas une autorisation conférant un droit de séjour, mais accorderait uniquement à cette personne un droit de rester temporairement sur le territoire.

33      D’autre part, en droit belge, le droit de rester sur le territoire n’impliquerait pas le retrait implicite de la décision de retour prise précédemment à l’égard de l’intéressé. En effet, le Conseil d’État (Belgique) aurait, par un arrêt du 23 mai 2017, écarté une telle interprétation en se référant à l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84). En outre, et surtout, cet arrêt aurait été visé par le législateur belge lorsque, par la loi du 24 février 2017, entrée en vigueur le
29 avril 2017 et applicable à toutes les procédures en cours, il a inséré l’article 1/3 dans la loi sur les étrangers. Cette disposition préciserait désormais clairement qu’une décision de retour n’est pas affectée par l’introduction d’une demande de séjour ou d’une demande de protection internationale par un étranger et que, si l’intéressé peut rester provisoirement sur le territoire dans l’attente d’une décision relative à cette demande, le caractère exécutoire de la décision de retour est
uniquement suspendu.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur
l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou
encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, point 41 et jurisprudence citée).

35      En particulier, il convient, à cet égard, de souligner qu’il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Dès lors, l’examen d’un renvoi préjudiciel doit être effectué au regard de l’interprétation du droit national fournie par la juridiction de renvoi et non de celle
invoquée par le gouvernement d’un État membre [voir, en ce sens, notamment, arrêts du 21 juin 2016, New Valmar, C‑15/15, EU:C:2016:464, point 25, et du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 26].

36      Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des termes explicites de la demande de décision préjudicielle, et en particulier du libellé même de la question posée à la Cour, la juridiction de renvoi considère que, afin de trancher le litige au principal, il est nécessaire d’examiner, au préalable, si les dispositions de la directive 2008/115 s’opposent à une règle de droit national prévoyant que, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers ayant introduit une demande
d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive, en raison du caractère recevable de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite de la décision de retour précédemment adoptée à l’égard de ce ressortissant après le rejet de sa demande de protection internationale.

37      Dès lors que, par une telle question, cette juridiction postule que le droit belge comporte une telle règle, la Cour ne saurait retenir, aux fins de la présente procédure préjudicielle, l’interprétation de ce droit défendue par le gouvernement belge, selon laquelle l’autorisation accordée à un ressortissant de pays tiers se trouvant dans une telle situation, d’une part, ne lui confère pas un droit de séjour et, d’autre part, entraîne uniquement la suspension des effets de la décision de
retour adoptée antérieurement à l’égard de celui-ci.

38      Il incombe donc à la seule juridiction de renvoi de procéder à l’interprétation du droit national applicable au litige au principal, en vérifiant, notamment, si l’article 1/3 de la loi sur les étrangers, tel qu’inséré par la loi du 24 février 2017, entrée en vigueur en cours de procédure, le 29 avril 2017, est applicable à ce litige.

39      Il s’ensuit que le présent renvoi préjudiciel est recevable.

 Sur le fond

40      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre selon laquelle, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de cette disposition, en raison du caractère recevable
de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de ce ressortissant à la suite du rejet de sa demande de protection internationale.

41      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte des termes de celle-ci, du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association, C‑700/20, EU:C:2022:488, point 55).

42      Il convient de relever que, selon les termes de la première phrase de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, les États membres peuvent accorder « à tout moment » à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire un « titre de séjour autonome » ou une « autre autorisation conférant un droit de séjour » pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres ».

43      Il ressort ainsi du libellé même de cette disposition, notamment de la référence à des motifs « autres », que celle-ci permet aux États membres de délivrer à de tels ressortissants, à tout stade, un droit de séjour non seulement pour les motifs explicitement visés, à savoir des motifs charitables ou humanitaires, mais également pour tout motif d’une nature différente qu’ils estiment approprié.

44      Il s’en déduit que les États membres disposent d’un très large pouvoir d’appréciation pour accorder, dans le respect du droit de l’Union, un droit de séjour à des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.

45      Dès lors, rien n’empêche un État membre d’accorder un droit de séjour à un tel ressortissant ayant introduit une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 en raison du caractère recevable d’une telle demande dans l’attente de l’issue du traitement de celle-ci sur le fond.

46      Or, il ressort du libellé dépourvu d’ambiguïté de la troisième et dernière phrase de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, en particulier de la locution « ou », que les États membres, lorsqu’ils accordent un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres, s’ils peuvent certes prévoir que celui-ci a pour effet de suspendre, pendant la durée de validité de ce titre, toute décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de l’intéressé, peuvent tout autant
prévoir que ce droit de séjour entraîne l’annulation d’une telle décision de retour antérieure.

47      Partant, un État membre qui accorde un droit de séjour à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour un des motifs relevant de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, en raison du caractère recevable d’une telle demande, peut, conformément au libellé même de cette disposition, prévoir que l’octroi d’un tel droit de séjour entraîne le retrait implicite d’une décision de
retour adoptée antérieurement à l’égard de ce même ressortissant.

48      Cette interprétation de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 n’est pas susceptible d’être remise en cause, contrairement à ce que soutient le gouvernement belge, par le contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont cette disposition fait partie.

49      Certes, la directive 2008/115 vise, dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes concernées, à l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (arrêt du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn, C‑519/20, EU:C:2022:178, point 39 et jurisprudence citée).

50      Or, il résulte tant du devoir de loyauté des États membres, découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE, que des exigences d’efficacité énoncées notamment au considérant 4 de la directive 2008/115 que l’obligation imposée aux États membres par l’article 8 de cette directive de procéder, dans les hypothèses visées au paragraphe 1 de cet article, à l’éloignement doit être remplie dans les meilleurs délais (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C‑329/11, EU:C:2011:807, point
45).

51      Aussi la Cour a-t-elle, en substance, jugé, aux points 74 à 76 et 80 de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), que l’effet utile de la directive 2008/115 exige qu’une procédure ouverte au titre de cette directive, dans le cadre de laquelle une décision de retour a été adoptée, soit reprise non à son début, mais au stade où elle a été interrompue en raison du dépôt d’une demande de protection internationale dès que cette demande a été rejetée en première instance, les
États membres étant tenus de ne pas compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par cette directive consistant à procéder à l’éloignement dans les meilleurs délais.

52      Toutefois, ainsi que la requérante au principal et la Commission l’ont fait valoir à juste titre, l’interprétation de la directive 2008/115 retenue au point précédent n’est pas transposable à la présente affaire.

53      En effet, cette interprétation a été dégagée par la Cour dans le contexte d’un litige faisant suite au dépôt, par un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, de demandes multiples de protection internationale et qui soulevait la question des effets qui doivent s’attacher à l’introduction d’une nouvelle demande de cette nature, le droit de l’Union ne contenant pas de disposition déterminant expressément les conséquences de l’octroi d’une autorisation de rester sur le territoire aux
fins de la procédure sur une décision de retour antérieure.

54      En revanche, la question posée se présente dans le cadre d’un litige qui concerne le dépôt par un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, après le rejet de sa demande de protection internationale, d’une demande d’autorisation de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres, au sens de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115.

55      Or, dans un tel cas, ainsi qu’il a été constaté aux points 46 et 47 du présent arrêt, la troisième et dernière phrase de cette disposition permet explicitement aux États membres, lorsqu’ils décident d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour à un tel ressortissant, de prévoir que l’octroi de ceux-ci entraîne l’annulation d’une décision de retour prise antérieurement à l’égard de ce dernier.

56      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre selon laquelle, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de cette disposition, en raison du caractère
recevable de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de ce ressortissant à la suite du rejet de sa demande de protection internationale.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre selon laquelle, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de cette disposition, en raison du caractère recevable de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de ce ressortissant à la
suite du rejet de sa demande de protection internationale.

Signatures

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*      Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-825/21
Date de la décision : 20/10/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Demande d’asile – Rejet – Ordre de quitter le territoire – Article 6, paragraphe 4 – Demande d’autorisation de séjour pour raison médicale – Demande recevable – Délivrance d’une autorisation de séjour temporaire pendant l’examen de la demande – Rejet de la demande – Aide sociale – Refus – Condition relative à la légalité du séjour – Absence de décision de retour – Effet d’une autorisation de séjour temporaire sur l’ordre de quitter le territoire.

Justice et affaires intérieures

Politique d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : UP
Défendeurs : Centre public d’action sociale de Liège.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:810

Source

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