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22/09/2022 | CJUE | N°C-120/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, LB contre TO., 22/09/2022, C-120/21


ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Droit au congé annuel payé – Indemnité financière pour congé non pris après la fin de la relation de travail – Délai de prescription de trois ans – Point de départ – Information adéquate du travailleur »<

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Dans l’affaire C‑120/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,...

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Droit au congé annuel payé – Indemnité financière pour congé non pris après la fin de la relation de travail – Délai de prescription de trois ans – Point de départ – Information adéquate du travailleur »

Dans l’affaire C‑120/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décision du 29 septembre 2020, parvenue à la Cour le 26 février 2021, dans la procédure

LB

contre

TO,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M^me I. Ziemele (rapporteure), présidente de chambre, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mars 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et M^me D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mai 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TO, travailleuse, à LB, son employeur, au sujet d’une indemnité financière au titre de jours de congés annuels payés non pris.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes des considérants 4 et 5 de la directive 2003/88 :

« (4)      L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique.

(5)       Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. [...] »

4        L’article 7 de cette directive, intitulé « Congé annuel », prévoit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

 Le droit allemand

5        Les dispositions générales en matière de prescription de droits entre particuliers sont énoncées au chapitre 5 du livre 1, intitulé « Partie générale », du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le « BGB »). Ce chapitre 5 contient les articles 194, 195 et 199 de ce code. Ils définissent respectivement l’objet, la durée ainsi que le point de départ du délai de prescription de droit commun.

6        L’article 194, paragraphe 1, du BGB dispose :

« Le droit d’exiger d’autrui une action ou une abstention (droit de créance) est soumis à prescription.

[...] »

7        L’article 195 du BGB prévoit :

« Le délai de prescription de droit commun est de trois ans.

[...] »

8        L’article 199, paragraphe 1, du BGB est libellé comme suit :

« Sauf disposition contraire, le délai de prescription de droit commun commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle

1.      le droit est né et où

2.      le créancier a eu connaissance des circonstances fondant le droit et de la personne du débiteur, ou aurait dû en avoir connaissance sans négligence grave de sa part. »

9        Aux termes de l’article 204 du BGB, la prescription est suspendue par l’introduction d’une action en justice.

10      L’article 1^er, intitulé « Droit au congé », du Mindesturlaubsgesetz für Arbeitnehmer (Bundesurlaubsgesetz) [loi relative à la période minimale de congé pour les travailleurs (loi fédérale relative aux congés)], dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « BUrlG »), prévoit :

« Tout travailleur a droit pour chaque année civile à des congés payés de repos.

[...] »

11      Aux termes de l’article 7, paragraphes 3 et 4, du BUrlG :

« (3)      Le congé doit être octroyé et pris dans l’année civile en cours. Un report du congé à l’année civile suivante est uniquement permis si des raisons impérieuses tenant à l’entreprise ou des raisons tenant à la personne du travailleur le justifient. En cas de report, le congé doit être octroyé et pris au cours des trois premiers mois de l’année civile suivante. À la demande du travailleur, le congé partiel acquis conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a), est cependant reporté à
l’année civile suivante.

(4)      Si, en raison de la cessation de la relation de travail, le congé ne peut plus être octroyé en tout ou en partie, il donne droit à une indemnité compensatrice. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      TO a travaillé au service de LB du 1^er novembre 1996 au 31 juillet 2017.

13      À la suite de la cessation de la relation de travail, TO a demandé à LB une indemnisation financière au titre des 101 jours de congés annuels payés accumulés entre les années 2013 et 2017 qu’elle n’avait pas pris.

14      Le recours introduit le 6 février 2018 par TO contre le refus de LB de lui verser cette indemnisation a été partiellement accueilli en première instance. TO s’est ainsi vu accorder une indemnité correspondant à trois jours de congés annuels payés non pris au cours de l’année 2017. En revanche, ce recours a été rejeté s’agissant des prétentions relatives aux jours de congés annuels payés non pris au titre des années 2013 à 2016.

15      TO a interjeté appel de cette décision devant le Landesarbeitsgericht Düsseldorf (tribunal supérieur du travail de Düsseldorf, Allemagne), lequel a décidé que celle-ci pouvait prétendre à l’indemnisation de 76 jours supplémentaires au titre des congés annuels payés non pris pour la période comprise entre les années 2013 et 2016. Cette juridiction a considéré que LB n’avait pas contribué à ce que TO puisse bénéficier de ses congés au titre de ces années en temps voulu, de telle sorte que ses
droits n’étaient pas éteints et ne tombaient pas non plus sous le coup de la prescription générale prévue aux articles 194 et suivants du BGB.

16      LB a formé un pourvoi en Revision contre cette décision devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne). La juridiction de renvoi estime que les droits de TO au titre des années 2013 à 2016 ne sont pas éteints en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG, dès lors que LB n’a pas mis en mesure TO de prendre effectivement ses congés annuels payés en temps voulu. Dès lors, en application de l’arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der
Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874), selon lequel l’employeur doit inciter le travailleur à prendre ses congés et l’informer de la possible extinction de son droit, la demande d’indemnité de TO devrait en principe être acceptée.

17      Toutefois, la juridiction de renvoi indique que LB a soulevé une exception de prescription tirée de l’article 194 du BGB. En effet, en vertu des articles 195 et 199 du BGB, les prétentions d’un créancier sont prescrites trois ans après la fin de l’année au cours de laquelle est né son droit.

18      Si cette juridiction devait appliquer cette règle de prescription générale, il en résulterait que l’employeur défaillant, en tant qu’il n’a pas mis le travailleur en mesure de prendre effectivement ses congés payés, s’exonérerait de ses obligations et profiterait financièrement de cette situation.

19      Selon ladite juridiction, il résulte de l’arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578) que le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’application de délais de prescription, pour autant qu’ils ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

20      Dans la mesure où une réglementation nationale permettant une limitation du report des droits au congé annuel payé acquis par le travailleur ou leur extinction, d’une part, validerait un comportement menant à un enrichissement illégitime de l’employeur et, d’autre part, irait à l’encontre de l’objectif de protection de la santé du travailleur, la juridiction de renvoi doute de la compatibilité de l’application de la règle de prescription prévue aux articles 194 et suivants du BGB avec le
droit consacré à l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi qu’à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.

21      Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 7 de la directive 2003/88 [...] et l’article 31, paragraphe 2, de la [Charte] s’opposent-ils à l’application d’une réglementation nationale telle que l’article 194, paragraphe 1, du [BGB], lu en combinaison avec l’article 195 [de celui-ci], prévoyant que le droit au congé annuel payé est soumis à un délai de prescription de droit commun de trois ans, lequel commence à courir, conformément aux conditions visées à l’article 199, paragraphe 1, du BGB, à la fin de l’année de référence si
l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé en l’incitant à le faire et en lui fournissant des informations à cet égard ? »

 Sur la question préjudicielle

22      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a
pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.

23      Selon l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. En vertu du paragraphe 2 de cet article, la période minimale de congé annuel ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

24      Par conséquent, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 7 de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour, il appartient aux États membres de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, en précisant les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 41 et jurisprudence citée).

25      À cet égard, la Cour a précisé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit des modalités d’exercice du droit au congé annuel payé expressément accordé par cette directive, comprenant même la perte dudit droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, à condition que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit que
ladite directive lui confère (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 42 et jurisprudence citée).

26      Eu égard au contexte et aux objectifs poursuivis par l’article 7 de la directive 2003/88, il a été ainsi jugé que, en cas d’incapacité de travail du travailleur pendant plusieurs périodes de référence consécutives, l’article 7 de la directive 2003/88 ne s’opposait pas à des dispositions ou à des pratiques nationales limitant, par une période de report de quinze mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel s’éteint, le cumul des droits à un tel congé (voir, en ce sens, arrêt du
22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, point 44).

27      Cette solution a été justifiée sur le fondement non seulement de la protection du travailleur, mais aussi de celle de l’employeur, confronté au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, points 38 et 39).

28      Partant, ce n’est qu’en présence de « circonstances spécifiques » que le droit au congé annuel payé consacré à l’article 7 de la directive 2003/88 peut être limité (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 56 et jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la défenderesse au principal pourrait se voir opposer la prescription de son droit au congé annuel payé en application de la règle de prescription générale prévue à l’article 195 du BGB.

30      Il en résulte que la réglementation nationale en cause au principal instaure une limitation à l’exercice du droit au congé annuel payé que la défenderesse au principal tire de l’article 7 de la directive 2003/88, limitation qui découle de l’application de la prescription prévue par la réglementation nationale.

31      Or, aucune disposition de cette directive ne vise à réglementer la prescription de ce droit.

32      La juridiction de renvoi demandant à la Cour l’interprétation non seulement de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, mais aussi, conjointement, celle de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, il convient de rappeler, d’une part, que l’article 7 de la directive 2003/88 reflète et concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés, consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte. En effet, tandis que cette dernière disposition garantit le droit de tout
travailleur à une période annuelle de congés payés, la première disposition met en œuvre ce principe en fixant la durée de ladite période (arrêt de ce jour, Fraport, C‑518/20 et C‑727/20, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

33      D’autre part, le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l’Union, une importance particulière, et il est également expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêt de ce jour, Fraport, C‑518/20 et C‑727/20, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

34      Or, ainsi qu’il résulte du point 30 du présent arrêt, la prescription de droit commun visée à l’article 195 du BGB a pour effet de limiter l’exercice du droit au congé annuel payé que la défenderesse au principal tire de l’article 7 de la directive 2003/88.

35      Par conséquent, l’application de la règle de prescription de droit commun aux prétentions de la défenderesse au principal constitue également une limitation au droit que lui reconnaît l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.

36      Il est constant que des limitations ne peuvent être apportées aux droits fondamentaux consacrés par la Charte que dans le respect des conditions strictes prévues à l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel de ce droit et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne (arrêt de
ce jour, Fraport, C‑518/20 et C‑727/20, point 33).

37      En l’occurrence, premièrement, la limitation à l’exercice du droit fondamental visé à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte qu’entraîne l’application du délai de prescription en cause au principal est prévue par la loi, plus particulièrement à l’article 195 du BGB.

38      Deuxièmement, se pose la question de savoir si l’application de cette règle de prescription a pour effet de porter atteinte à la substance même du droit au congé annuel payé.

39      À cet égard, en vertu de l’article 195 du BGB, ce n’est qu’à l’issue d’une période de trois ans que le travailleur peut se voir opposer la prescription des droits qu’il a acquis au titre de son droit au congé annuel payé pour une période déterminée. En outre, en vertu de l’article 199 du BGB, ce délai de prescription ne commence à courir qu’à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né et où le travailleur a eu connaissance des circonstances fondant celui-ci et de l’identité de
son employeur, ou aurait dû en avoir connaissance, sauf négligence grave de sa part.

40      Il s’ensuit que l’application, à la demande de l’employeur, de la règle de prescription de droit commun prévue par la législation nationale, dans la mesure où elle ne fait que subordonner à une limitation temporelle de trois ans la possibilité pour le travailleur de faire valoir son droit au congé annuel payé, pour autant qu’il ait eu connaissance des circonstances fondant son droit et de la personne de l’employeur, ne porte pas atteinte à la substance même d’un tel droit.

41      Troisièmement, en ce qui concerne la question de savoir si les limitations à l’exercice du droit au congé annuel payé consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte qui résultent de l’application de la prescription établie à l’article 195 du BGB ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle vise, le gouvernement allemand a précisé, dans ses observations écrites, que cette disposition du BGB, en tant que régime de prescription de droit commun, poursuit un
objectif légitime, à savoir garantir la sécurité juridique.

42      En particulier, ce gouvernement a fait valoir que l’employeur ne devrait pas être confronté à une demande de congés ou d’indemnités financières au titre de congés annuels payés non pris sur le fondement d’un droit acquis plus de trois ans avant l’introduction de cette demande. En outre, cette disposition inciterait le travailleur à exercer son droit au congé annuel payé, au plus tard, trois ans après la naissance de ce droit, contribuant ainsi à la réalisation de l’objectif de repos qui
sous-tend les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88.

43      En ce qui concerne l’affaire au principal, il importe de rappeler, en premier lieu, que, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, TO n’a pas été effectivement mise en mesure par son employeur d’exercer son droit au congé annuel payé.

44      À cet égard, le travailleur devant être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, la charge de veiller à l’exercice effectif du droit au congé annuel payé ne devrait pas être entièrement déplacée sur le travailleur, tandis que l’employeur se verrait, de ce fait, offrir une possibilité de s’exonérer du respect de ses propres obligations, en prétextant qu’une demande de congés annuels payés n’a pas été introduite par le travailleur (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre
2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, points 41 et 43).

45      Il s’ensuit que, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, la perte du droit au congé annuel payé à la fin d’une période de référence ou d’une période de report ne peut intervenir qu’à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit en temps utile.

46      En second lieu, il convient de souligner, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que l’exception de prescription est soulevée non pas d’office, mais, conformément à l’article 214, paragraphe 1, du BGB, par le débiteur de l’obligation dont se prévaut le créancier.

47      Dans le contexte de l’affaire au principal, c’est donc LB, en tant qu’employeur de TO, qui oppose la prescription du droit que cette dernière invoque.

48      Or, il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l’employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier.

49      En effet, d’une part, en pareille hypothèse, l’employeur pourrait s’exonérer des obligations d’incitation et d’information qui lui incombent.

50      Une telle exonération apparaîtrait d’autant moins acceptable qu’elle signifierait que l’employeur, qui pourrait ainsi valablement exciper de la prescription du droit au congé annuel du travailleur, se serait abstenu de mettre le travailleur en mesure d’exercer effectivement ce droit durant trois années consécutives.

51      D’autre part, lorsque le droit du travailleur au congé annuel payé est frappé de prescription, l’employeur profite d’une telle circonstance.

52      Dans ces conditions, admettre que l’employeur puisse invoquer la prescription des droits du travailleur, sans l’avoir mis effectivement en mesure de les exercer, reviendrait à valider un comportement menant à un enrichissement illégitime de l’employeur au détriment de l’objectif même de respect de la santé du travailleur visé par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 64).

53      S’il est certes exact que l’employeur dispose d’un intérêt légitime à ne pas devoir être confronté à des demandes de congés ou d’indemnités financières au titre de périodes de congé annuel payé non pris, correspondant à des droits acquis plus de trois ans avant que la demande n’en soit faite, la légitimité de cet intérêt disparaît lorsque l’employeur, en s’abstenant de mettre le travailleur en mesure d’exercer effectivement le droit au congé annuel payé, s’est lui-même placé dans une
situation le confrontant à de telles demandes et dont il est susceptible de profiter au détriment du travailleur, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans l’affaire au principal.

54      En effet, une telle situation n’est pas comparable à celle dans laquelle la Cour a reconnu un intérêt légitime de l’employeur à ne pas être confronté au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail lorsque l’absence prolongée du travailleur est due à une incapacité pour cause de maladie (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, points 38 et 39).

55      Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, il appartient à l’employeur de se prémunir de demandes tardives au titre de périodes de congé annuel payé non pris en se conformant aux obligations d’information et d’incitation qui lui incombent à l’égard du travailleur, ce qui aura pour effet de garantir la sécurité juridique, sans pour autant que soit limité le droit fondamental consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.

56      Eu égard à ces éléments, force est de constater que, lorsqu’un employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé acquis au titre d’une période de référence, l’application de la prescription de droit commun prévue à l’article 195 du BGB à l’exercice de ce droit consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité juridique.

57      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle
ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, et l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-120/21
Date de la décision : 22/09/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesarbeitsgericht.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Droit au congé annuel payé – Indemnité financière pour congé non pris après la fin de la relation de travail – Délai de prescription de trois ans – Point de départ – Information adéquate du travailleur.

Politique sociale

Charte des droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : LB
Défendeurs : TO.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:718

Source

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