La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/2022 | CJUE | N°C-59/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République italienne et Comune di Milano contre Conseil de l'Union européenne., 14/07/2022, C-59/18


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Agence européenne des médicaments (EMA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants

dans l’ordre juridique de l’Union »

Dans les affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18,

ayant pour objet des recours en...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Agence européenne des médicaments (EMA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union »

Dans les affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18,

ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduits les 30 janvier 2018 et 9 mars 2018,

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Colelli, M. S. Fiorentino et Mme G. Galluzzo, avvocati dello Stato,

partie requérante dans l’affaire C‑59/18,

Comune di Milano, représenté par Mes M. Condinanzi, A. Neri et F. Sciaudone, avvocati,

partie requérante dans l’affaire C‑182/18,

soutenu par :

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Colelli, M. S. Fiorentino et Mme G. Galluzzo, avvocati dello Stato,

Regione Lombardia, représentée par Me M. Tamborino, avvocato,

parties intervenantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer, J. Bauerschmidt, F. Florindo Gijón et E. Rebasti, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann, MM. M. Konstantinidis et D. Nardi, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen et J. Passer, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, A. Kumin et N. Wahl (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2021,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs requêtes, la République italienne (C‑59/18) et le Comune di Milano (commune de Milan, Italie) (C‑182/18) demandent l’annulation de la décision adoptée en marge de la 3579e réunion du Conseil, en formation « Affaires générales », du 20 novembre 2017, en ce que cette décision désigne la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’Agence européenne des médicaments (EMA) (ci-après la « décision attaquée »).

Le cadre juridique

2 Le 12 décembre 1992, les représentants des gouvernements des États membres ont adopté d’un commun accord, sur le fondement de l’article 216 du traité CEE, de l’article 77 du traité CECA et de l’article 189 du traité CEEA, la décision relative à la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés européennes (JO 1992, C 341, p. 1, ci-après la « décision d’Édimbourg »).

3 L’article 1er de la décision d’Édimbourg fixait les sièges respectifs du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne, de la Cour de justice de l’Union européenne, du Comité économique et social européen, de la Cour des comptes européenne et de la Banque européenne d’investissement.

4 Selon l’article 2 de cette décision :

« Le siège d’autres organismes et services créés ou à créer sera décidé d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres lors d’un prochain Conseil européen, en tenant compte des avantages des dispositions ci-dessus pour les États membres intéressés, et en donnant une priorité appropriée aux États membres qui, à l’heure actuelle, n’abritent pas le siège d’une institution des Communautés. »

5 L’article 341 TFUE prévoit que « [l]e siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres ».

6 Aux termes du protocole no 6 sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne (ci-après le « protocole no 6 »), annexé aux traités UE, FUE et CEEA :

« Les représentants des gouvernements des États membres,

Vu l’article 341 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique,

Rappelant et confirmant la décision du 8 avril 1965, et sans préjudice des décisions concernant le siège des institutions, organes, organismes et services à venir,

Sont convenus des dispositions ci-après [...] :

Article unique

a) Le Parlement européen a son siège à Strasbourg [...].

b) Le Conseil a son siège à Bruxelles. [...]

c) La Commission a son siège à Bruxelles. [...]

d) La Cour de justice de l’Union européenne a son siège à Luxembourg.

e) La Cour des comptes a son siège à Luxembourg.

f) Le Comité économique et social a son siège à Bruxelles.

g) Le Comité des régions a son siège à Bruxelles.

h) La Banque européenne d’investissement a son siège à Luxembourg.

i) La Banque centrale européenne a son siège à Francfort.

j) L’Office européen de police (Europol) a son siège à La Haye. »

Les antécédents du litige

7 L’agence européenne pour l’évaluation des médicaments a été créée par le règlement (CEE) no 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO 1993, L 214, p. 1). Ce règlement ne contenait aucune disposition relative à la fixation du siège de cette agence.

8 En vertu de l’article 1er, sous e), de la décision 93/C 323/01, du 29 octobre 1993, prise du commun accord des représentants des gouvernements des États membres réunis au niveau des chefs d’État ou de gouvernement relative à la fixation des sièges de certains organismes et services des Communautés européennes ainsi que d’Europol (JO 1993, C 323, p. 1), le siège de ladite agence a été fixé à Londres (Royaume-Uni).

9 Le règlement no 2309/93 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1). Par ce règlement, l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments a été renommée « Agence européenne des médicaments ». Ledit
règlement ne contenait aucune disposition relative à la fixation du siège de cette dernière.

10 Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a, conformément à l’article 50, paragraphe 2, TUE, notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union.

11 Le 22 juin 2017, en marge d’une réunion du Conseil européen relative à la procédure prévue à l’article 50 TUE, les chefs d’État ou de gouvernement des 27 autres États membres ont approuvé, sur la base d’une proposition du président du Conseil européen et du président de la Commission, une procédure aux fins de l’adoption d’une décision relative au transfert vers d’autres sites des sièges de l’EMA et de l’Autorité bancaire européenne dans le cadre du retrait du Royaume-Uni de l’Union (ci-après les
« règles de sélection »).

12 Les règles de sélection prévoyaient notamment que cette décision serait prise sur la base d’un processus décisionnel équitable et transparent, comprenant l’organisation d’un appel d’offres fondé sur des critères objectifs précis.

13 Dans ce contexte, le point 3 des règles de sélection énonçait six critères, à savoir i) l’assurance que l’agence peut être créée à l’endroit proposé et exercer ses fonctions à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union ; ii) l’accessibilité du site d’implantation proposé ; iii) l’existence d’établissements scolaires adéquats pour les enfants du personnel des agences ; iv) un accès adéquat au marché du travail, à la sécurité sociale et aux soins médicaux pour les enfants et les conjoints ; v) la
continuité de l’activité, et vi) l’équilibre géographique.

14 Selon les règles de sélection, ces critères étaient établis par analogie avec ceux énoncés dans l’approche commune figurant à l’annexe de la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 19 juillet 2012, sur les agences décentralisées (ci-après la « déclaration commune de 2012 »), une attention particulière étant accordée au fait que l’EMA et l’Autorité bancaire européenne avaient déjà été établies et que la continuité de leurs activités était primordiale.

15 Le point 2 des règles de sélection exposait, en outre, que la décision serait prise au moyen d’une procédure de vote, dont les États membres convenaient par avance de respecter le résultat. En particulier, il était indiqué que, en cas de partage des voix entre les offres restantes au troisième tour de scrutin, il serait procédé à un tirage au sort entre les offres se retrouvant ex æquo.

16 Le 30 septembre 2017, la Commission a publié son évaluation des 27 offres présentées par les États membres.

17 Le 31 octobre 2017, le Conseil a publié une note destinée à compléter les règles de sélection sur les questions pratiques relatives au vote.

18 Le 20 novembre 2017, l’offre de la République italienne et celle du Royaume des Pays-Bas ont obtenu, ex æquo, le nombre de voix le plus élevé au troisième tour de scrutin. Après tirage au sort organisé conformément au point 2 des règles de sélection, l’offre du Royaume des Pays-Bas a été retenue.

19 En conséquence, à cette même date, les représentants des gouvernements des États membres ont, par la décision attaquée, désigné, en marge d’une réunion du Conseil, la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA. Le procès-verbal et le communiqué de presse de cette réunion indiquaient ce qui suit :

« La Commission va élaborer à présent des propositions législatives tenant compte du vote de ce jour, en vue de leur adoption dans le cadre de la procédure législative ordinaire, avec la participation du Parlement européen. Le Conseil et la Commission sont résolus à faire en sorte que ces propositions législatives soient traitées aussi rapidement que possible, compte tenu de l’urgence de la question. »

20 Le 29 novembre 2017, la Commission a adopté la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) no 726/2004 en ce qui concerne la fixation du siège de l’Agence européenne des médicaments [COM(2017) 735 final]. Il était précisé, dans les motifs de cette proposition, que, « [à] la suite de la notification faite, le 29 mars 2017, par le Royaume-Uni de son intention de quitter l’Union, conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, les
27 autres États membres, réunis en marge du Conseil des affaires générales (article 50), [avaient] choisi Amsterdam, aux Pays-Bas, comme nouveau siège de l’[EMA] ». L’article 1er de ladite proposition prévoyait d’insérer un article 71 bis dans le règlement no 726/2004, formulé en ces termes : « L’[EMA] a son siège à Amsterdam, aux Pays-Bas. »

21 Le 14 novembre 2018, le règlement (UE) 2018/1718 du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) no 726/2004 en ce qui concerne la fixation du siège de l’Agence européenne des médicaments (JO 2018, L 291, p. 3) a été adopté. Ce règlement, pris sur le fondement de l’article 114 et de l’article 168, paragraphe 4, sous c), TFUE, a inséré dans le règlement no 726/2004 un article 71 bis, dont le premier alinéa est rédigé en ces termes :

« L’[EMA] a son siège à Amsterdam, Pays-Bas. »

Les conclusions des parties

Affaire C‑59/18

22 La République italienne demande à la Cour :

– à titre de mesures d’instruction, d’une part, de demander, en vertu de l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, au Royaume des Pays-Bas, à l’EMA et à toute autre institution, tout autre organe ou organisme de fournir toutes les informations nécessaires pour rendre compte de la capacité d’Amsterdam, en tant que siège de l’EMA, à remplir les critères indiqués et de vérifier la correspondance de ces informations avec celles sur lesquelles l’offre repose et, d’autre part,
de décider de tout autre moyen d’instruction éventuel jugé utile à l’établissement des faits ;

– d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle désigne Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA et, par conséquent,

– de constater que ce siège doit être octroyé à la ville de Milan.

23 Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le recours comme étant irrecevable ou non fondé ;

– de condamner la République italienne aux dépens, et

– dans l’hypothèse où le recours serait accueilli, de maintenir les effets juridiques de la décision attaquée pour une durée nécessaire à l’organisation d’une nouvelle procédure de sélection.

24 Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 avril 2018, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité, conformément à l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

25 Dans ses observations déposées au greffe de la Cour le 5 juin 2018, la République italienne a conclu au rejet de cette exception d’irrecevabilité.

Affaire C‑182/18

26 Par requête déposée au greffe du Tribunal de l’Union européenne le 30 janvier 2018 et enregistrée sous la référence T‑46/18, le Comune di Milano a introduit un recours contre la décision attaquée. Par ordonnance du 8 mars 2018, Comune di Milano/Conseil (T‑46/18, non publiée, EU:T:2018:131), adoptée en application de l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 128 du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci s’est dessaisi de l’affaire
T‑46/18 afin que la Cour puisse statuer sur le recours dans cette affaire, laquelle a été enregistrée sous la référence C‑182/18.

27 Le Comune di Milano demande à la Cour :

– d’annuler la décision attaquée et

– de condamner le Conseil aux dépens.

28 Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le recours comme étant irrecevable ou comme étant non fondé ;

– de condamner le Comune di Milano aux dépens, et

– dans l’hypothèse où le recours serait accueilli, de maintenir les effets juridiques de la décision attaquée pour une durée nécessaire à l’organisation d’une nouvelle procédure de sélection.

29 Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 avril 2018, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité, conformément à l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

30 Dans ses observations déposées au greffe de la Cour le 5 juin 2018, le Comune di Milano a conclu, à titre principal, au rejet de cette exception d’irrecevabilité et, à titre subsidiaire, à la jonction de ladite exception au fond.

La procédure devant la Cour

31 Par décisions du président de la Cour des 13 avril 2018 et 18 mai 2018 dans l’affaire C‑59/18 et des 17 avril 2018 et 18 mai 2018 dans l’affaire C‑182/18, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

32 Par décisions du président de la Cour des 11 juin 2018 et 1er février 2019 dans l’affaire C‑182/18, la Regione Lombardia (Région de Lombardie, Italie) et la République italienne ont été admises à intervenir au soutien des conclusions du Comune di Milano.

33 Par ordonnance du vice-président de la Cour du 2 juillet 2018, Comune di Milano/Conseil (C‑182/18 R, non publiée, EU:C:2018:524), la demande du Comune di Milano de sursis à l’exécution de la décision attaquée a été rejetée.

34 Par décision de la Cour du 18 septembre 2018, les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil dans chacune des affaires C‑59/18 et C‑182/18 ont été jointes au fond.

35 Par décision du président de la Cour du 19 décembre 2019, les affaires C‑59/18 et C‑182/18 ont été jointes aux fins de la suite de la procédure et de l’arrêt.

Sur la compétence de la Cour

Argumentation des parties

36 Le Conseil fait valoir que les présents recours sont manifestement irrecevables, puisque la décision attaquée, qui est, sous l’angle tant de la forme que du fond, un acte pris collectivement par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil, échappe au contrôle de légalité exercé par la Cour au titre de l’article 263 TFUE.

37 Le Conseil considère, en premier lieu, que la compétence relative à la fixation du siège d’une agence de l’Union ne relève pas de celle dont dispose l’Union pour régir un domaine donné sur le fond et, donc, en l’occurrence, de la procédure législative ordinaire. Selon cette institution, la décision relative à la fixation du siège d’une agence est d’une nature fondamentalement différente de celles qui régissent la définition des compétences, des règles de fonctionnement, voire de l’organisation de
cette agence. Une telle décision serait caractérisée par une dimension politique et symbolique forte, qui ne se limiterait pas au domaine matériel spécifique de l’agence en question et qui dépasserait de simples considérations économiques ou d’efficacité. En témoignerait le fait que des critères techniques tels que ceux visés dans la déclaration commune de 2012 ont été établis au cours du temps pour encadrer la fixation du siège des agences de l’Union. Ainsi, la fixation du siège d’une agence de
l’Union ne serait pas accessoire par rapport à la décision de créer cette agence et revêtirait au contraire une importance particulière et des dynamiques propres, qui ne seraient pas auxiliaires par rapport aux décisions de fond sur la réglementation d’un domaine donné. Le Conseil se réfère en particulier à la décision d’Édimbourg, mais également au contentieux portant sur le siège du Parlement.

38 En second lieu, le Conseil soutient que la compétence relative à la fixation du siège d’une agence de l’Union incombe aux représentants des gouvernements des États membres statuant d’un commun accord. Cette compétence trouverait ainsi son fondement dans l’article 341 TFUE, interprété à la lumière de l’évolution historique, du contexte dans lequel cet article s’insère, à savoir les articles 340 et 342 TFUE, le protocole no 6 et l’article 2 de la décision d’Édimbourg, ainsi que de la pratique
générale suivie. Il ressortirait en particulier de cette pratique que, premièrement, la fixation du siège d’une agence de l’Union découle de la décision juridiquement contraignante prise d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres. L’effet constitutif d’une telle décision serait d’ailleurs démontré par le fait que, dans certains cas, l’acte législatif de base est silencieux quant au choix du siège, et que cette circonstance n’a aucunement empêché la création de
l’agence concernée ni la conclusion de l’accord de siège. Deuxièmement, l’inclusion de l’indication du lieu du siège dans l’acte législatif de base instituant une agence de l’Union aurait une valeur purement déclarative et de reconnaissance, de même que toute référence faite dans un texte législatif à un élément de fait. Le législateur de l’Union ne pourrait donc s’écarter du choix déjà effectué par les représentants des gouvernements des États membres, qui aurait ainsi un caractère contraignant.
L’inclusion, dans l’acte législatif de base, de l’indication du lieu du siège ne serait pas pour autant dépourvue de toute portée juridique. Outre le fait que cette indication serait un facteur important de sécurité juridique, le texte législatif pourrait, comme en l’espèce avec l’insertion de l’article 71 bis dans le règlement no 726/2004 par le règlement 2018/1718, associer à ladite indication une série d’autres éléments normatifs, tant matériels que procéduraux, afin de compléter la fixation
purement géographique du siège.

39 Selon le Royaume des Pays-Bas, qui intervient au soutien du Conseil, la décision attaquée, qui est un acte émanant des États membres et non du Conseil, échappe au contrôle de légalité de la Cour au titre de l’article 263 TFUE. Les ministres qui ont participé à l’adoption de cette décision auraient, en l’occurrence, agi en leur qualité de représentants de leur gouvernement et non en tant que membres du Conseil. Se référant en outre à l’arrêt du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756,
points 155 à 159), le Royaume des Pays-Bas fait valoir que les États membres peuvent confier des tâches aux institutions pour autant que celles-ci respectent les compétences de l’Union et de ses institutions.

40 La Commission, tout en se ralliant à la position du Conseil selon laquelle la décision attaquée échappe au contrôle de légalité exercé par la Cour au titre de l’article 263 TFUE, développe une argumentation sensiblement différente. Elle estime en effet que la compétence relative à la fixation du siège des agences de l’Union incombe au seul législateur de l’Union statuant selon la procédure législative ordinaire et considère, par conséquent, que, en l’espèce, la décision attaquée, qui ne fait pas
partie du droit de l’Union et qui est de nature purement politique, est dépourvue de toute conséquence juridiquement contraignante.

41 La Commission souligne que l’article 341 TFUE a, certes, inspiré la pratique suivie jusqu’à présent par les institutions pour la fixation du siège des agences de l’Union. En effet, dans la grande majorité des cas, la Commission ne préciserait pas le lieu du siège de ces agences dans ses propositions législatives relatives à leur création, dans l’attente de la décision politique des représentants des gouvernements des États membres.

42 La Commission resterait toutefois libre de s’écarter de cette pratique, comme elle l’a déjà fait dans diverses circonstances, en incluant dans ses propositions législatives une indication du lieu du siège de certaines agences de l’Union. De même, si le législateur de l’Union se conforme habituellement à la décision des représentants des gouvernements des États membres, il ne serait pas juridiquement tenu de le faire. En l’occurrence, lors du débat portant sur la proposition de règlement visée au
point 20 du présent arrêt, la désignation de la ville de Milan en tant que lieu du siège de l’EMA aurait été rejetée après avoir fait l’objet d’une discussion concrète. Cette circonstance prouverait, si besoin est, que la possibilité de s’écarter de la décision politique des représentants des gouvernements des États membres n’est pas simplement théorique. Dans l’hypothèse où l’acte adopté au terme de la procédure législative ordinaire aurait fixé le siège de l’EMA à un emplacement autre que celui
indiqué dans la décision attaquée, aucune norme du droit de l’Union n’aurait été violée du fait du non-respect de cette décision.

43 En outre, l’approche commune annexée à la déclaration commune de 2012 ne serait pas de nature à établir que le Conseil peut décider seul de la fixation du siège d’une agence de l’Union. En effet, si le point 6 de cette approche commune contient une référence à la pratique suivie par le passé, consistant à effectuer un choix de nature politique, ce point n’aurait ni portée normative ni effet juridiquement contraignant. Il aurait pour objectif non pas de déterminer qui décide du siège des agences
de l’Union et selon quelles procédures, mais de prévoir comment ce choix doit être effectué, à savoir avant la fin de la procédure législative ordinaire, sur le fondement de critères objectifs et de manière transparente.

44 Quant aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée, la Commission relève qu’elles indiquent que celle-ci émane des représentants de 27 des 28 États membres, à l’époque, de l’Union, de sorte que cette décision, adoptée sans la participation de tous les organes constitutifs du Conseil, ne pourrait être attribuée à celui-ci. Le fait que cette institution a mis ses infrastructures à la disposition des États membres ne suffirait pas à lui imputer ladite décision.

45 La République italienne soutient que, bien que la décision attaquée se présente formellement comme ayant été adoptée par la conférence des représentants des gouvernements des États membres, elle doit être considérée comme étant imputable au Conseil. Elle relève que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, il ne suffit pas qu’un acte soit qualifié de « décision des États membres » pour qu’il échappe au contrôle institué à l’article 263 TFUE. En effet, selon la République italienne, qui se réfère
au point 14 de l’arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission (C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271), il convient encore de vérifier si l’acte en question, eu égard à son contenu et à l’ensemble des circonstances dans lesquelles il a été adopté, ne constitue pas en réalité une décision du Conseil.

46 Or, en l’occurrence, tant le contenu de la décision attaquée que les circonstances de son adoption permettraient de qualifier cette décision d’acte du Conseil.

47 Premièrement, la compétence pour établir le siège de l’EMA, organisme institué par des actes de droit dérivé de l’Union sur le fondement de dispositions correspondant actuellement à l’article 114 et à l’article 168, paragraphe 4, sous c), TFUE, serait indubitablement une compétence de l’Union. Cela ressortirait notamment de la déclaration commune de 2012, par laquelle le Parlement, le Conseil et la Commission sont convenus que le choix du siège des agences de l’Union peut relever de la compétence
du Conseil ou des États membres. Conclure à l’irrecevabilité des recours introduits contre la décision attaquée reviendrait à contourner la compétence de la Cour et à soustraire certaines décisions du Conseil au contrôle du juge de l’Union chaque fois que les États membres s’accordent à considérer qu’une décision relevant des compétences et des procédures de l’Union présente une nature intergouvernementale.

48 Deuxièmement, la République italienne fait valoir que la conclusion selon laquelle la décision attaquée est intervenue dans un domaine relevant fondamentalement du droit de l’Union est confortée par les modalités concrètes de son adoption. Elle relève, tout d’abord, que, lors de cette adoption, ont été utilisés non seulement les locaux mais également les structures fonctionnelles internes du Conseil, tels le secrétariat général, le service juridique, la présidence estonienne tournante ou encore
le Comité des représentants permanents (Coreper). La République italienne souligne, ensuite, que les modalités de vote et de prise de décision ont été celles prévues par les règles de sélection approuvées lors de la réunion du 22 juin 2017 ainsi que par la note du 31 octobre 2017, ce qui confirmerait la participation des organes de l’Union pendant toute la procédure de désignation du nouveau siège de l’EMA. Enfin, la règle de la majorité retenue en l’espèce pour fixer le nouveau siège de l’EMA
renverrait à un processus décisionnel typique des organisations internationales, alors que, à l’inverse, dans le cas de l’adoption d’une décision de nature intergouvernementale imputable aux États membres, c’est la règle de l’unanimité ou du « commun accord » qui prévaudrait.

49 La République italienne précise que, contrairement à ce que prétend le Conseil, l’article 341 TFUE, aux termes duquel « [l]e siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres », n’est pas applicable aux décisions portant sur le siège des agences de l’Union. La décision attaquée relèverait ainsi de la compétence exclusive de l’Union, ainsi que la Commission l’a expressément déclaré dans sa proposition de règlement mentionnée au point 20 du présent
arrêt, et, par voie de conséquence, du contrôle de la Cour.

50 Le Comune di Milano, soutenu par la Regione Lombardia, développe une argumentation semblable à celle de la République italienne.

51 Le Comune di Milano avance, tout d’abord, que, sauf à retenir une approche purement formaliste, la décision attaquée doit être considérée comme étant imputable au Conseil, et notamment à sa présidence, qui se serait vu confier, dans le cadre de la procédure de transfert de l’EMA, un rôle d’adjudication lui permettant de suppléer l’incapacité des États membres de former une majorité et, donc, de prendre une décision en cas de partage des voix, fût-ce au moyen d’un tirage au sort.

52 Ensuite, le Comune di Milano indique que l’imputabilité de la décision attaquée au Conseil tient également au fait que, en l’occurrence, c’est une règle de vote à la majorité et non à l’unanimité qui a été retenue aux fins de la fixation du nouveau siège de l’EMA.

53 En outre, le Comune di Milano considère que, même dans le cas où il serait conclu que la décision attaquée doit être imputée aux États membres, elle n’en devrait pas moins faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il explique en effet que, de la même manière qu’un acte pris par le Coreper doit être imputé au Conseil, les actes de la présidence de l’Union doivent être imputés au Conseil lorsque celui-ci exerce formellement et matériellement la compétence pour adopter la mesure en cause. Le fait
que l’acte soit ensuite confirmé en marge du Conseil par les États membres ne pourrait le soustraire au contrôle de la Cour, cette confirmation mettant fin au processus décisionnel et conférant à l’acte un caractère définitif. Plus fondamentalement, les actes des organes internes du Conseil devraient pouvoir faire l’objet d’un contrôle de légalité en vertu de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701,
ainsi que du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702).

54 Enfin, le Comune di Milano se réfère à l’exposé des motifs de la proposition de règlement mentionnée au point 20 du présent arrêt, dans lequel la Commission précisait que « [l]a question de la fixation du siège de l’Agence relève de la compétence exclusive de l’Union », ce qui confirme, de son point de vue, que la décision attaquée est bien un acte du Conseil adopté dans l’exercice d’une compétence exclusive.

55 Par ailleurs, le Comune di Milano dénonce le formalisme de l’approche défendue par le Conseil.

56 Premièrement, il rappelle que le critère déterminant aux fins d’identifier l’auteur d’un acte est celui de savoir si celui-ci, eu égard à son contenu et aux circonstances de son adoption, constitue une décision du Conseil. Or, il résulterait précisément de l’ensemble des circonstances dans lesquelles la décision attaquée a été adoptée ainsi que de son contenu que cette décision ne peut être qualifiée d’acte politique et intergouvernemental échappant au contrôle de légalité institué par les
traités. Le Comune di Milano souligne en particulier que ladite décision n’a pas seulement été préparée par les services administratifs du Conseil, mais qu’elle a été adoptée par la présidence en exercice de celui-ci. De même, il aurait été fait le choix non seulement de déroger au principe de l’unanimité, mais également de procéder par tirage au sort, cette dernière circonstance établissant que la décision attaquée ne repose sur aucune appréciation discrétionnaire ou mise en balance des intérêts
en présence, qui sont des éléments caractéristiques d’une décision de nature purement politique.

57 Deuxièmement, les arguments de fond avancés par le Conseil dans ce contexte seraient dénués de fondement. Tout d’abord, l’article 341 TFUE, qui prévoit que la décision relative au choix du lieu du siège des institutions est prise d’un « commun accord des gouvernements des États membres », exclurait que, dans la matière couverte par cet article, il soit procédé à un vote. Ensuite, ainsi qu’il ressort notamment de la proposition de règlement mentionnée au point 20 du présent arrêt, le choix du lieu
du siège de l’EMA relèverait de la compétence exclusive de l’Union. Or, une telle compétence ne pourrait pas être exercée au moyen d’un acte des États membres. En outre, l’article 341 TFUE ne pourrait être interprété largement comme visant les agences de l’Union. De l’avis du Comune di Milano, la pratique récente en matière de choix du siège de ces agences démontrerait une tendance au transfert de la responsabilité de ce choix des États membres vers le Conseil, voire vers le Conseil et le
Parlement. Par ailleurs, l’argument du Conseil selon lequel la décision attaquée serait imputable aux États membres au motif que le siège de l’EMA avait précédemment été choisi par un acte adopté par ceux-ci serait lui aussi dénué de tout fondement. Enfin, le Comune di Milano fait état d’autres éléments de nature formelle qui viennent confirmer l’imputabilité au Conseil de cette décision, à savoir, d’une part, la consignation et la diffusion des actes et des comptes rendus par le Conseil lui-même
et, d’autre part, les documents d’information diffusés par l’EMA et les autorités néerlandaises.

58 Troisièmement, le Comune di Milano soutient, à titre subsidiaire, que les actes adoptés par la présidence du Conseil en exercice devraient être soumis au contrôle de la Cour. D’une part, il considère que, dans la mesure où la décision attaquée met un terme à la procédure de sélection du nouveau siège de l’EMA, elle revêt un caractère définitif et doit pouvoir être soumise à un contrôle de légalité. D’autre part, l’action des organes internes du Conseil dans le cadre de l’adoption de cette
décision devrait, en tout état de cause, faire l’objet d’un contrôle de la Cour, les institutions de l’Union ayant l’obligation de respecter la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne même lorsqu’elles agissent en dehors du cadre institutionnel de l’Union.

Appréciation de la Cour

59 L’Union européenne est une Union de droit dotée, par le traité FUE, d’un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23 ; du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 281, ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement,
C‑650/18, EU:C:2021:426, point 34 et jurisprudence citée).

60 S’agissant du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE, il est ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, organes et organismes de l’Union, indépendamment de la nature ou de la forme de celles-ci, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, point 42, ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 37 et jurisprudence citée).

61 Cela étant, dans le cadre du recours en annulation visé à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union n’est compétent que pour contrôler la légalité des actes imputables aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union. Il en résulte, notamment, que les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil ou du Conseil européen mais en qualité de représentants de leur gouvernement et exerçant ainsi collectivement les
compétences des États membres ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 12, ainsi que ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 46).

62 Toutefois, il ne suffit pas que la décision faisant l’objet d’un recours soit formellement présentée comme étant une décision des États membres pour que cet acte échappe au contrôle de légalité institué à l’article 263 TFUE. Encore faut-il que ledit acte, eu égard à son contenu et à l’ensemble des circonstances dans lesquelles il a été adopté, ne constitue pas en réalité une décision du Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91,
EU:C:1993:271, point 14).

63 En l’occurrence, la décision attaquée doit être appréhendée à l’aune du cadre juridique applicable à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union. Or, à cet égard, les parties s’opposent sur le point de savoir si l’article 341 TFUE, aux termes duquel le siège des « institutions » est fixé « du commun accord des gouvernements des États membres », peut valablement être invoqué comme fondement des décisions relatives à la détermination du siège de ces organes et de ces organismes.

64 En effet, d’un côté, le Conseil fait valoir que cet article doit être interprété de manière large, comme visant par extension lesdits organes et organismes, de telle sorte que la compétence relative à la fixation du siège d’un tel organe ou organisme incombe aux seuls représentants des gouvernements des États membres statuant d’un commun accord. Il en résulterait que la décision attaquée, en tant qu’acte émanant des États membres et non du Conseil, échappe au contrôle de légalité de la Cour au
titre de l’article 263 TFUE.

65 De l’autre côté, les parties requérantes soutiennent que la décision attaquée est nécessairement imputable au Conseil et ne saurait, par conséquent, échapper au contrôle de légalité exercé par la Cour.

66 Il importe donc, dans un premier temps, de déterminer si la décision relative à la désignation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union doit être prise par les États membres, en vertu de la règle énoncée à l’article 341 TFUE, ou si elle doit l’être par le législateur de l’Union, en vertu de la base juridique matérielle applicable au domaine dans lequel l’organe ou l’organisme en question est appelé à intervenir.

Sur la compétence en matière de fixation du lieu du siège des organes et des organismes de l’Union

67 Selon une jurisprudence constante de la Cour, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47 et jurisprudence citée).

68 Ainsi, il convient d’examiner, sur la base de ces méthodes d’interprétation, si l’article 341 TFUE s’applique aux décisions relatives à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union.

69 En premier lieu, en ce qui concerne les termes de l’article 341 TFUE, ceux-ci se réfèrent aux seules « institutions de l’Union ». Or, conformément à l’article 13, paragraphe 1, TUE, la notion d’« institutions » renvoie à une liste précise d’entités qui n’inclut pas les organes et les organismes de l’Union, notamment les agences de celle-ci.

70 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel l’article 341 TFUE s’inscrit, il y a lieu de souligner, tout d’abord, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 94 de ses conclusions, qu’un certain nombre de dispositions des traités ont été modifiées par le traité de Lisbonne en vue d’y inclure une référence expresse aux « organes et [aux] organismes de l’Union », ce qui a eu pour effet d’opérer explicitement une distinction entre, d’un côté, les institutions de l’Union expressément
visées à l’article 13, paragraphe 1, TUE et, de l’autre, les organes et les organismes de l’Union. Ainsi, alors que certaines dispositions du traité FUE visent seulement les institutions de l’Union, d’autres de ses dispositions, telles que les articles 15, 16, 123, 124, 127, 130, 228, 263, 265, 267, 282, 298 et 325, se réfèrent, plus largement, aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union. Tel est en particulier le cas, s’agissant de la compétence de la Cour, des articles 263, 265
et 267 TFUE.

71 Or, force est de constater que le libellé de l’article 341 TFUE, qui ne vise que les « institutions », correspond à celui des dispositions ayant précédé cet article, à savoir l’article 216 du traité CEE (devenu article 216 du traité CE, lui-même devenu article 289 CE).

72 La circonstance, mise en avant par le Conseil, que les dispositions de la septième partie du traité FUE, dans laquelle s’insère l’article 341 TFUE, intitulée « Dispositions générales et finales », mentionnent les « institutions » ne saurait donc être interprétée, alors même que, ainsi qu’il résulte du point 70 du présent arrêt, le traité UE opère une distinction nette entre les institutions de l’Union, d’une part, et les organes et les organismes de celle-ci, d’autre part, comme une manifestation
de l’intention des auteurs des traités de conférer à la notion d’« institutions » une compréhension extensive, en ce sens que cette dernière engloberait non seulement les entités énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais également les organes et les organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union. Il en va d’autant plus ainsi que le traité UE et le traité FUE constituent une base constitutionnelle
unitaire pour l’Union en vertu de l’article 1er, troisième alinéa, TUE et de l’article 1er, paragraphe 2, TFUE, si bien que la définition de la notion d’« institutions » figurant à l’article 13, paragraphe 1, TUE et la distinction entre ces institutions, d’une part, et les organes et les organismes de l’Union, d’autre part, doivent valoir de manière transversale et uniforme dans les deux traités.

73 Ne saurait non plus être déterminante l’interprétation large donnée par la Cour à la notion d’« institutions », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, lequel énonce que, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ».

74 En effet, si la Cour a jugé que la notion d’« institutions », au sens de cette dernière disposition, englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi l’ensemble des organes et des organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P,
EU:C:2020:1028, point 80 et jurisprudence citée), elle s’est explicitement fondée, pour dégager cette jurisprudence, sur la circonstance, d’une part, que les organes et les organismes de l’Union institués par les traités ou en vertu de ceux-ci sont destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union et, d’autre part, qu’il serait contraire à l’intention des auteurs des traités que, lorsqu’elle agit par l’intermédiaire d’un organe ou d’un organisme, l’Union puisse échapper aux
conséquences des dispositions des traités régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, EU:C:1992:482, points 13 à 16).

75 Ainsi, l’interprétation large donnée par la Cour à la notion « d’institutions », aux fins de l’application de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, répond au besoin, justifié par les principes généraux communs aux droits des États membres visés expressément à cette disposition, d’éviter que l’Union puisse se soustraire à l’application du régime de responsabilité non contractuelle relevant de l’article 268 TFUE, lu conjointement avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, et au contrôle
juridictionnel de la Cour qui en découle, lorsqu’elle agit par l’intermédiaire d’un organe ou d’un organisme de l’Union distinct des institutions énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, EU:C:1992:482, points 14 et 16). Il doit d’autant plus en aller ainsi que, comme M. l’avocat général l’a indiqué au point 100 de ses conclusions, la notion d’« agents » visée à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE englobe d’un point
de vue fonctionnel l’ensemble du personnel travaillant pour l’Union, que ce soit dans les institutions ou dans les organes et les organismes de cette dernière.

76 En conséquence, l’interprétation donnée à la notion d’« institutions », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, qui régit l’étendue de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, ne saurait utilement être invoquée aux fins de définir par analogie le champ d’application de l’article 341 TFUE, relatif à l’étendue des compétences réservées aux États membres en vertu des traités.

77 Le Conseil ne saurait non plus utilement se prévaloir de la notion d’« institutions » figurant à l’article 342 TFUE, aux termes duquel « [l]e régime linguistique des institutions de l’Union est fixé, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par le Conseil statuant à l’unanimité par voie de règlements ». En effet, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 98 de ses conclusions, la notion d’« institutions », au sens de ce dernier
article, ne doit pas nécessairement être interprétée comme incluant les organes et les organismes de l’Union, dans la mesure où le régime linguistique d’un organe ou d’un organisme de l’Union peut être différent de celui en vigueur dans les institutions de celle-ci.

78 Quant au protocole no 6, si, ainsi que le fait valoir le Conseil, celui-ci fixe non seulement le siège des institutions de l’Union, mais aussi celui de certains organes et organismes de l’Union, dont Europol, et se réfère à l’article 341 TFUE, il ne prévoit pas pour autant que les sièges des organes et des organismes de l’Union doivent être déterminés collectivement par les États membres en vertu du principe énoncé à cet article. À cet égard, il importe de faire observer que ces organes et
organismes de l’Union ont pour caractéristique commune d’avoir été créés par les États membres, alors que tel n’est pas le cas d’une agence de l’Union telle que l’EMA, qui a été créée, sur la base des traités fondateurs, par le législateur de l’Union. Ainsi, il ne saurait être inféré de ce protocole une volonté des États membres d’appliquer, directement ou par analogie, le principe énoncé à cet article à la fixation du siège de l’ensemble des organes et des organismes de l’Union.

79 Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 112 de ses conclusions, l’adoption d’un protocole spécifique témoigne, au contraire, du fait que les États membres ont considéré que leur décision collective quant à la fixation du siège de certains organes et organismes de l’Union limitativement énumérés devait spécifiquement être inscrite dans le droit primaire afin de produire des effets juridiques dans le droit de l’Union.

80 Quant au renvoi explicite, dans le protocole no 6, à l’article 341 TFUE, il s’explique par le fait que ce protocole vise, au premier chef, les institutions mentionnées à l’article 13, paragraphe 1, TUE.

81 En outre, il est vrai, ainsi qu’il ressort de l’article 2 de la décision d’Édimbourg, que les représentants des gouvernements des États membres ont exprimé le souhait de se réserver les décisions relatives aux sièges des organes et des organismes de l’Union de la même manière qu’ils sont expressément et clairement habilités par l’article 341 TFUE à établir le siège des institutions de l’Union. Par ailleurs, à l’occasion de la conférence intergouvernementale qui a conduit à l’adoption du traité
d’Amsterdam, le texte de la décision d’Édimbourg a été repris en tant que protocole annexé aux traités UE, CE, CECA et CEEA, devenu aujourd’hui le protocole no 6, annexé aux traités UE, FUE et CEEA.

82 Néanmoins, d’une part, l’article unique de ce dernier protocole ne fixe, dans des termes comparables à ceux de l’article 1er de la décision d’Édimbourg, le siège que d’institutions, d’organes ou d’organismes de l’Union créés par les États membres. D’autre part, bien que la Cour ait reconnu une valeur juridique contraignante à cette décision dans l’arrêt du 1er octobre 1997, France/Parlement (C‑345/95, EU:C:1997:450), auquel elle s’est référée dans d’autres arrêts ultérieurs [voir, en ce sens,
arrêts du 13 décembre 2012, France/Parlement, C‑237/11 et C‑238/11, EU:C:2012:796, points 36 à 42, et du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 33], l’article 2 de ladite décision ne saurait conduire à retenir une interprétation de l’article 341 TFUE qui irait à l’encontre de son libellé clair.

83 Le Conseil se prévaut également, en tant qu’élément de contexte, de la pratique institutionnelle antérieure relative à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union et soutient que cette pratique bénéficie d’une « reconnaissance institutionnelle » par la déclaration commune de 2012 et l’approche commune qui y est annexée.

84 Toutefois, il ressort des éléments d’information qui ont été portés à la connaissance de la Cour dans le cadre des présentes affaires que la pratique alléguée est loin d’être généralisée. En effet, les procédures suivies en vue de la désignation du siège des organes et des organismes de l’Union soit ont été menées par les seuls États membres, soit ont impliqué, à des degrés variables et sur des fondements divers, les institutions de l’Union en leur qualité ou non d’acteurs de la procédure
législative.

85 À supposer néanmoins qu’il soit possible, ainsi que le soutient le Conseil, d’identifier une pratique antérieure établie et cohérente, en vertu de laquelle les sièges des organes et des organismes de l’Union auraient systématiquement été fixés sur la base d’un choix politique opéré par les seuls représentants des gouvernements des États membres, l’interprétation de l’article 341 TFUE que le Conseil préconise sur la base de cette pratique ne saurait bénéficier d’une quelconque « reconnaissance
institutionnelle » par la déclaration commune de 2012 et l’approche commune qui y est annexée. En effet, cette déclaration ne revêt, comme le souligne son cinquième alinéa, aucun caractère juridiquement contraignant et ne comporte, au demeurant, aucune reconnaissance d’une quelconque réserve de compétence des États membres en ce qui concerne la détermination du siège des organes et des organismes de l’Union.

86 En tout état de cause, une telle pratique, qui irait à l’encontre des règles du traité FUE et, en particulier, de l’article 341 TFUE, en étendant, en dépit de son libellé clair, le champ d’application de cet article à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union, ne saurait créer un précédent liant les institutions (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2008, Parlement/Conseil, C‑133/06, EU:C:2008:257, point 60 et jurisprudence citée).

87 En troisième et dernier lieu, s’agissant de l’objectif de l’article 341 TFUE, celui-ci consiste à préserver les pouvoirs décisionnels des États membres dans la détermination du siège des seules institutions de l’Union. Contrairement à la position défendue par le Conseil lors de l’audience, une interprétation de cet article en ce sens qu’il ne s’applique pas aux organes et aux organismes de l’Union ne saurait avoir pour effet de le priver de tout effet utile, ainsi que l’a relevé M. l’avocat
général au point 138 de ses conclusions. S’il est vrai que le siège des institutions de l’Union est déjà fixé par le droit primaire, en l’occurrence par le protocole no 6, l’article 341 TFUE n’en conserve pas moins une pertinence pour toute décision future éventuelle modifiant le siège d’une institution existante ou fixant le siège d’une nouvelle institution.

88 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, à la différence des institutions de l’Union, dont la création et les fonctions sont, du fait de leur importance constitutionnelle, prévues par les traités eux-mêmes, les organes et les organismes de l’Union, tels que l’EMA, dont l’objet est dédié à la réalisation des objectifs d’une politique donnée de l’Union, ne sont, en règle générale, pas créés par les traités. Dans ces conditions, leur création, à défaut de découler du droit primaire, doit
résulter d’un acte de droit dérivé adopté sur le fondement des dispositions matérielles mettant en œuvre la politique de l’Union dans laquelle l’organe ou l’organisme concerné intervient et conformément aux procédures prévues par ces dispositions.

89 En l’absence d’autres précisions à cet égard dans les traités, il appartient, de même, au législateur de l’Union, conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, de fixer le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union qu’il a lui-même institué par un acte de droit dérivé pris sur le fondement de ces dispositions, à l’instar de la compétence qu’il détient, en vertu desdites dispositions, pour définir les compétences, l’organisation et le mode de
fonctionnement de cet organe ou de cet organisme.

90 La décision relative à la fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, tel qu’une agence de l’Union, est ainsi, contrairement à ce qu’avance le Conseil, consubstantielle à la décision relative à sa création. Revêt la même nature une décision relative à la relocalisation du siège d’une telle agence.

91 Certes, la fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union peut tenir compte de considérations d’ordre politique, telles que la nécessité, dans l’implantation des organes ou des organismes de l’Union, de garantir un certain équilibre géographique ou de favoriser les États membres qui n’abritent pas encore le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union.

92 Toutefois, le caractère politique de la décision fixant le lieu du siège d’un tel organe ou organisme de l’Union n’est pas en soi de nature à justifier que cette décision échappe à la compétence du législateur de l’Union, lequel est, en effet, régulièrement amené à opérer des choix politiques dans l’exercice des compétences de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑113/14, EU:C:2016:635, point 55).

93 Par ailleurs, une telle décision doit principalement permettre de garantir la réalisation des missions confiées à l’organe ou à l’organisme de l’Union concerné en vue de la réalisation des objectifs d’une politique donnée.

94 Ne peut davantage prospérer la thèse selon laquelle le fait de lier la fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union à la base matérielle sur laquelle repose la création de celui-ci est susceptible d’aboutir, selon la base juridique pertinente, à soumettre cette fixation à un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, et non à une décision prise d’un commun accord des représentants des gouvernements des États membres, tout en faisant de ladite fixation un élément de compromis
dans le cadre du débat législatif.

95 En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 92 du présent arrêt, le fait que la décision de fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union puisse revêtir une dimension politique importante, en ce qu’elle doit répondre notamment à des considérations relatives à l’équilibre géographique, n’empêche pas que cette décision puisse être prise par le législateur de l’Union conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, cette dimension
politique pouvant constituer, à cet égard, un élément dont le législateur de l’Union peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Il importe, par ailleurs, de souligner que, le processus législatif de l’Union étant guidé, en vertu des dispositions combinées de l’article 1er, deuxième alinéa, et de l’article 10, paragraphe 3, TUE, par le principe de transparence à l’égard des citoyens, le recours à ce processus est de nature à renforcer l’assise démocratique d’une décision
relative à la désignation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, tel que l’EMA.

96 En outre, et plus fondamentalement, la circonstance qu’une décision, telle que celle portant sur la fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, présente une sensibilité politique ne saurait conduire à la modification des compétences conférées par les traités aux institutions de l’Union ni à soustraire l’exercice de ces compétences aux procédures législatives prévues par les traités. La détermination de la portée d’une disposition des traités régissant une compétence
matérielle de l’Union ne saurait ainsi dépendre de considérations liées au caractère politiquement sensible de la matière concernée ou au souci d’assurer l’efficacité d’une action.

97 Il résulte de l’ensemble de ces considérations, et notamment du libellé de l’article 341 TFUE, que cette disposition ne saurait être interprétée comme gouvernant la désignation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union tel que l’EMA.

98 Dans ces conditions, la compétence pour décider de la fixation du lieu du siège de cette agence appartient non pas aux États membres mais au législateur de l’Union, auquel il incombe d’agir à cette fin conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, en l’occurrence l’article 114 et l’article 168, paragraphe 4, TFUE, lesquels prévoient le recours à la procédure législative ordinaire.

99 C’est à la lumière de cette conclusion qu’il y a lieu de se prononcer, dans un second temps, sur la compétence de la Cour pour statuer sur les présents recours.

Sur l’auteur de la décision attaquée et la compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE

– Sur l’auteur de la décision attaquée

100 Il convient, en premier lieu, de vérifier si la décision attaquée, qui a été prise en marge d’une réunion du Conseil par la conférence des représentants des gouvernements des États membres, est imputable à ces derniers.

101 À cet égard, s’agissant du contenu de la décision attaquée, il découle de l’intitulé de celle-ci ainsi que du procès-verbal de la réunion du Conseil du 20 novembre 2017, mentionné au point 19 du présent arrêt, que cette décision constitue un acte des chefs d’État ou de gouvernement de 27 États membres adopté en marge d’une réunion du Conseil à l’issue d’une procédure intergouvernementale. Cette analyse est corroborée par l’indication, figurant dans la proposition de la Commission du 29 novembre
2017 mentionnée au point 20 de cet arrêt, selon laquelle cette proposition entend donner suite, eu égard à la notification faite, le 29 mars 2017, par le Royaume-Uni de son intention de quitter l’Union, au choix porté sur la ville d’Amsterdam comme lieu du nouveau siège de l’EMA par les « 27 autres États membres, réunis en marge du Conseil des affaires générales ».

102 La conclusion selon laquelle la décision attaquée doit être imputée aux représentants des gouvernements des États membres et non au Conseil est également attestée par l’adoption ultérieure du règlement 2018/1718, puisque ce n’est qu’à la suite de l’adoption de cette décision que le Conseil a participé, en sa qualité de co-législateur avec le Parlement, à la procédure législative ordinaire, afin d’insérer, par ce règlement, la mention du siège de l’EMA dans le règlement no 726/2004 qui a institué
cette agence.

103 Quant aux circonstances ayant entouré l’adoption de la décision attaquée, il convient de relever que la participation d’institutions de l’Union au processus ayant conduit à l’adoption de cette décision, en particulier celle de la Commission, par l’appréciation qu’elle a portée sur les offres, et celle du Conseil, par la présidence de la réunion du 20 novembre 2017 qu’elle a assurée ainsi que par la mise à disposition de ses locaux et de ses structures fonctionnelles internes, tel le secrétariat
général, ne permet pas de conclure à l’imputabilité de ladite décision au Conseil plutôt qu’aux États membres.

104 En effet, l’adoption d’un acte dans les locaux ou avec l’assistance d’une institution de l’Union ne confère pas en elle-même compétence à la Cour pour apprécier la légalité de cet acte (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 1990, Le Pen, C‑201/89, EU:C:1990:133, points 11 et 16).

105 Ainsi, la décision attaquée ne saurait, ni par son contenu ni par les circonstances dans lesquelles elle a été adoptée, être qualifiée d’acte du Conseil. Cette décision constitue au contraire un acte pris collectivement et d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres.

– Sur la compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE

106 En second lieu, il convient de rappeler que le critère pertinent retenu par la Cour pour exclure la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’un recours juridictionnel dirigé contre des actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres est uniquement celui relatif à leur auteur, indépendamment de leurs effets juridiques obligatoires (ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485,
point 47).

107 L’argumentation des parties requérantes selon laquelle il conviendrait en l’espèce de retenir une conception large des auteurs des actes auxquels l’article 263 TFUE se réfère, à savoir les institutions, les organes et les organismes de l’Union, afin de considérer que la décision attaquée a été adoptée par une institution, un organe ou un organisme de l’Union au sens de cet article, ou, à tout le moins, d’assimiler les présents recours à des recours formés contre une décision du Conseil, ne
saurait, dès lors, être retenue sans contrevenir au libellé clair de cet article (voir, en ce sens, ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 48).

108 Une telle interprétation se heurterait également à la volonté des auteurs des traités, que reflète l’article 263 TFUE, dont le champ d’application se limite aux seuls actes du droit de l’Union pris par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, de soustraire les actes des États membres au contrôle des juges de l’Union.

109 Cela étant, si la décision attaquée s’analyse comme un acte adopté par les seuls États membres, échappant ainsi au contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, elle ne saurait pour autant être assimilée à une décision prise en vertu de l’article 341 TFUE, dès lors que, ainsi qu’il ressort des considérations figurant aux points 67 à 97 du présent arrêt, cet article doit être interprété comme visant exclusivement la détermination du siège des institutions mentionnées à l’article 13,
paragraphe 1, TUE, et non la détermination du siège des organes et des organismes de l’Union.

110 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 166 de ses conclusions, une décision, telle la décision attaquée, qui a été prise par les États membres dans un domaine où les traités ne prévoient pas l’action de ceux-ci est privée de tout effet juridique obligatoire dans le droit de l’Union. La circonstance qu’une ou plusieurs institutions de l’Union ait joué un certain rôle dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de cette décision ne modifie pas la nature de celle-ci,
laquelle ne relève pas de l’ordre juridique de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 54).

111 Dans ce contexte, il incombe au législateur de l’Union, pour des raisons tant de sécurité juridique que de protection juridictionnelle effective, d’adopter, conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, un acte de l’Union entérinant ou, au contraire, s’écartant de la décision politique adoptée par les États membres, étant précisé que seul cet acte du législateur de l’Union est de nature à produire des effets juridiques contraignants dans le
cadre du droit de l’Union et que, dans un contexte tel que celui de l’espèce, ledit acte doit nécessairement précéder toute mesure de mise en œuvre concrète de la nouvelle implantation du siège de l’agence concernée.

112 Ainsi, en l’occurrence, en ce qui concerne la fixation du nouveau siège de l’EMA, la seule disposition juridiquement contraignante qui relève du droit de l’Union est l’article 71 bis du règlement no 726/2004, inséré dans celui-ci par le règlement 2018/1718.

113 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée constitue non pas un acte du Conseil mais un acte de nature politique dépourvu d’effets juridiques contraignants pris par les États membres collectivement, de sorte qu’elle ne saurait faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

114 Par conséquent, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur la demande de mesures d’instruction formulée par la République italienne, il y a lieu de rejeter les recours de la République italienne et du Comune di Milano comme étant dirigés contre un acte dont la Cour n’est pas compétente pour contrôler la légalité sur le fondement de l’article 263 TFUE.

Sur les dépens

115 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

116 Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

117 Dans le cas d’espèce, caractérisé par le fait que les circonstances ayant entouré l’adoption de la décision attaquée se singularisent par une pratique et des interprétations divergentes sur la question de la compétence décisionnelle en matière de fixation du siège des organes et des organismes de l’Union, il apparaît justifié de décider que chacune des parties principales, à savoir la République italienne, le Comune di Milano et le Conseil, supportera ses propres dépens.

118 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Regione Lombardia, le Royaume des Pays-Bas et la Commission, parties intervenantes, supporteront leurs propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

  1) Les recours sont rejetés.

  2) La République italienne, le Comune di Milano et le Conseil de l’Union européenne supportent leurs propres dépens.

  3) La Regione Lombardia, le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-59/18
Date de la décision : 14/07/2022
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable

Analyses

Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Agence européenne des médicaments (EMA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : République italienne et Comune di Milano
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bobek
Rapporteur ?: Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:567

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award