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14/07/2022 | CJUE | N°C-366/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Maxime Picard contre Commission européenne., 14/07/2022, C-366/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑366/21 P

Maxime Picard

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Fonction publique – Agents contractuels – Pension – Règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 – Mesures transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite – Application dans le temps – Signature d’un nouveau contrat d’agent contractuel – Acte faisant grief –

Qualification – Effets juridiques autonomes »

I. Introduction

1. Par le présent pourvoi, M. Maxime Picard demande l’annulation de l’arrêt du...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑366/21 P

Maxime Picard

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Fonction publique – Agents contractuels – Pension – Règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 – Mesures transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite – Application dans le temps – Signature d’un nouveau contrat d’agent contractuel – Acte faisant grief – Qualification – Effets juridiques autonomes »

I. Introduction

1. Par le présent pourvoi, M. Maxime Picard demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, Picard/Commission (T‑769/16, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:153), qui a rejeté son recours tendant à l’annulation, d’une part, de la réponse du 4 janvier 2016 établie par le gestionnaire du secteur « Pensions » de l’unité 4 de l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (ci-après le « PMO ») selon laquelle l’âge normal de départ à la retraite et le taux
annuel d’acquisition des droits à pension du requérant étaient passés, respectivement, à 66 ans et à 1,8 % à partir du 1er juin 2014, d’autre part, de la décision du 25 juillet 2016 du directeur de la direction E de la direction générale (DG) des ressources humaines de la Commission européenne (ci-après la « DG Ressources humaines »), en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), rejetant la réclamation introduite par M. Picard contre la réponse du
4 janvier 2016.

2. La présente affaire donne l’occasion à la Cour d’aborder deux problématiques.

3. En premier lieu, la Cour devra se prononcer sur les conditions d’application dans le temps des dispositions transitoires applicables aux agents contractuels de l’Union relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite prévues par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne ( 2
). La solution retenue sur ce point par la Cour aura une incidence importante sur le régime de pension applicable à une proportion non négligeable des agents contractuels de l’Union.

4. En second lieu, cette affaire pourrait permettre à la Cour de préciser, au regard de la notion d’« acte faisant grief », à quel moment un membre du personnel de l’Union est recevable à contester des éléments servant de base à la détermination de ses droits à pension.

II. Le cadre juridique

5. Sont pertinents dans la présente affaire :

– les articles 25, 77, 83, 90 et 91 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), tel que modifié par le règlement no 1023/2013 ;

– l’article 21, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut, tel que modifié par le règlement no 1023/2013 ;

– l’article 8, l’article 86, paragraphe 2, et l’article 109, paragraphe 1, du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), tel que modifié par règlement no 1023/2013 ;

– l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

III. Les antécédents du litige

6. Les antécédents du litige figurent aux points 1 à 25 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

7. M. Picard a été engagé, avec effet au 1er juillet 2008, par la Commission, en qualité d’agent contractuel affecté à l’unité 5 du PMO (ci-après le « contrat de 2008 »). Le requérant a été classé dans le premier groupe de fonctions. Ce contrat a été renouvelé à trois reprises pour une durée déterminée et, par décision du 3 mai 2011, pour une durée indéterminée.

8. Le 16 mai 2014, la DG Ressources humaines a proposé au requérant un nouveau contrat en qualité d’agent contractuel, que ce dernier a signé le jour même (ci‑après le « contrat du 16 mai 2014 »). Ce contrat, à durée indéterminée, a pris effet le 1er juin 2014, le requérant étant classé dans le deuxième groupe de fonctions.

9. Antérieurement à la conclusion de ce contrat, le statut et le RAA ont été modifiés par le règlement no 1023/2013, dont les dispositions pertinentes pour la présente affaire sont applicables depuis le 1er janvier 2014.

10. À la suite de la réforme de 2014, l’article 77, deuxième alinéa, du statut, applicable aux agents contractuels par renvoi de l’article 109, paragraphe 1, du RAA, fixe à 1,8 % le nouveau taux annuel d’acquisition, alors que le taux antérieur s’élevait à 1,9 %. En outre, l’article 77, cinquième alinéa, du statut établit l’âge de départ à la retraite à 66 ans, contre 63 ans auparavant.

11. Un régime transitoire a toutefois été prévu à l’annexe XIII du statut. Ainsi, selon l’article 21, second alinéa, de cette annexe, le fonctionnaire entré en service entre le 1er mai 2004 et le 31 décembre 2013 continue à bénéficier du taux annuel d’acquisition de 1,9 %. En outre, l’article 22, paragraphe premier, deuxième alinéa, de ladite annexe prévoit que le fonctionnaire âgé de 35 ans au 1er mai 2014 ( 3 ), qui est entré en service avant le 1er janvier 2014, a droit à une pension d’ancienneté
à l’âge de 64 ans et 8 mois. Enfin, l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA prévoit que ces dispositions transitoires « s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 ».

12. Par courriel du 4 janvier 2016, le requérant, ayant des doutes au regard des implications que la réforme de 2014 pourrait avoir sur sa situation à la suite de la signature du contrat du 16 mai 2014, a demandé au gestionnaire du secteur « Pensions » de l’unité 4 du PMO des explications (ci-après le « courriel du 4 janvier 2016 »).

13. Par courriel du même jour, ce gestionnaire a confirmé au requérant que ses droits à pension avaient changé en raison du changement de contrat et que, dès lors, en ce qui le concerne, l’âge normal de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension d’ancienneté étaient passés, respectivement, à 66 ans et à 1,8 % à partir du 1er juin 2014 (ci-après la « réponse du 4 janvier 2016 »).

14. Le 4 avril 2016, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre la réponse du 4 janvier 2016.

15. Par décision du 25 juillet 2016, communiquée le 26 juillet 2016 au requérant, le directeur de la direction E de la DG Ressources humaines, en sa qualité d’AHCC, a rejeté ladite réclamation, à titre principal, comme étant irrecevable faute d’acte faisant grief et, à titre subsidiaire, comme étant non fondée (ci-après la « décision de rejet du 25 juillet 2016 »).

IV. La procédure devant le Tribunal

16. Par requête déposée le 7 novembre 2016 au greffe du Tribunal, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation de la réponse du 4 janvier 2016 et, pour autant que de besoin, de la décision de rejet du 25 juillet 2016. Par acte séparé déposé le 6 février 2017 au greffe du Tribunal, la Commission a opposé une exception d’irrecevabilité de ce recours.

17. Par décision du 12 octobre 2017, le président de la troisième chambre a décidé de suspendre l’affaire jusqu’à ce que la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑128/17, Torné/Commission, ait acquis force de chose jugée.

18. À la suite du prononcé de l’arrêt du 14 décembre 2018, Torné/Commission ( 4 ), et en l’absence d’introduction de pourvoi formé contre cette décision, les parties ont présenté, dans le délai imparti par le Tribunal, leurs observations sur les conséquences de cet arrêt pour la présente affaire.

19. Par ordonnance du 13 mai 2019, le Tribunal a, conformément à l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure, joint au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et a réservé les dépens.

20. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par le requérant.

21. Le Tribunal a d’emblée décidé d’examiner les moyens invoqués par le requérant, sans statuer préalablement sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission. Pour se prononcer en ce sens, il s’est fondé sur la jurisprudence selon laquelle le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la
partie défenderesse ( 5 ).

22. Sur le fond, le Tribunal a jugé que c’est à bon droit que la Commission a considéré que le contrat du 16 mai 2014 a eu pour conséquence que le requérant ne puisse pas bénéficier de l’application des dispositions transitoires, prévues à l’annexe XIII du statut, concernant le taux annuel d’acquisition des droits à pension et l’âge de départ à la retraite.

23. Aux points 65 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA en ce qu’il dispose que les règles transitoires prévues pour les fonctionnaires aux articles 21 et 22 ( 6 ) de l’annexe XIII du statut « s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 ».

24. Le Tribunal a jugé, notamment, qu’il découle du libellé de cette disposition que les articles 21 et 22 de cette annexe s’appliquent aux agents relevant du RAA dans la mesure où il est possible d’établir une analogie entre ces derniers et les fonctionnaires, en tenant compte des caractéristiques propres à chacune de ces catégories de personnel. Après avoir examiné ces caractéristiques, le Tribunal a relevé que, si le fonctionnaire entre et reste au service de l’administration de l’Union en vertu
d’un acte de nomination qui reste inchangé pour toute sa carrière, un agent contractuel entre et reste en fonction en vertu d’un contrat tant que celui-ci produit ses effets.

25. C’est au regard de ces considérations que le Tribunal a interprété l’exigence d’être « en fonction au 31 décembre 2013 », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

26. Au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la notion de « par analogie » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA suppose que les agents se trouvent dans une situation analogue à celle des fonctionnaires. Selon le Tribunal, cette situation ne peut être établie que dans le cas où l’agent n’aurait pas signé un nouveau contrat impliquant le début d’une nouvelle relation de travail avec l’administration de l’Union. À cet égard, il a rappelé qu’il avait déjà jugé qu’une
relation de travail entre un agent, d’une part, et l’administration de l’Union, d’autre part, peut demeurer inchangée, même à la suite de la signature d’un nouveau contrat formellement distinct du contrat initial, à condition que le dernier contrat n’apporte pas de modification substantielle des fonctions de l’agent, notamment du groupe de fonctions, de nature à remettre en cause la continuité fonctionnelle de sa relation de travail avec l’administration de l’Union ( 7 ).

27. Le Tribunal en a conclu d’abord que les articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut ne s’appliquent qu’aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 et qui le demeurent, après cette date en vertu d’un contrat, jusqu’à ce que leur position soit examinée aux fins du calcul des droits à pension.

28. Ensuite, aux points 85 à 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tiré les conséquences de ces constatations sur la situation du requérant. En particulier, après avoir examiné les contrats conclus par le requérant avec la Commission ainsi que les caractéristiques des postes sur lesquels il a été engagé, le Tribunal a constaté que le changement de groupe de fonctions avait remis en cause la continuité fonctionnelle de la relation de travail du requérant avec l’administration. Le Tribunal en a déduit
que le contrat du 16 mai 2014 avait emporté la cessation de tous les effets du contrat de 2008 sur la base duquel le requérant était « en fonction au 31 décembre 2013 » selon l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA et, partant, une rupture de la relation de travail entre celui-ci et l’administration. Ainsi, le Tribunal a constaté que le contrat du 16 mai 2014 avait donné lieu à une nouvelle entrée en fonction aux fins de l’application de ladite disposition, de sorte que le requérant ne
pouvait bénéficier de l’application des dispositions transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension d’ancienneté et à l’âge de départ à la retraite.

29. Enfin, le Tribunal a relevé que cette conclusion ne saurait être remise en cause, entre autres, par l’argument du requérant selon lequel un nouveau contrat ne ferait pas obstacle au bénéfice desdites dispositions transitoires, dès lors qu’il n’entraîne pas de discontinuité dans l’affiliation et dans la cotisation au régime de pension de l’Union. Selon le Tribunal, l’application desdites dispositions aux agents ne saurait dépendre de l’affiliation prétendument ininterrompue au régime de pension
de l’Union, mais dépendrait de la continuité fonctionnelle de la relation de travail, comme cela est établi au point 81 de l’arrêt attaqué.

V. Les conclusions des parties

30. Le requérant demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la réponse du 4 janvier 2016 et, pour autant que de besoin, la décision de rejet du 25 juillet 2016, et

– de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

31. La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi, et

– de condamner le requérant aux dépens.

VI. Sur le pourvoi

A.   Sur la recevabilité du pourvoi

1. Argumentation des parties

32. La Commission soutient que le pourvoi est irrecevable au motif que, en méconnaissance de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le requérant n’identifie pas avec précision les points de l’arrêt qu’il conteste.

33. Cette institution relève que le requérant critique l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant, au point 90 de cette décision que, par l’effet de la conclusion d’un nouveau contrat, un agent ne serait plus « en fonction » au 31 décembre 2013 au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA. Elle en déduit que cette référence à un seul point de l’arrêt attaqué ne répond pas aux conditions de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de
procédure.

34. Pour sa part, le requérant fait valoir qu’il a identifié, aux points 25 et 26 de son pourvoi, l’erreur de droit commise par le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué et qu’il a critiqué l’interprétation opérée par le Tribunal de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

2. Appréciation

35. Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit, sous peine d’irrecevabilité, indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui
soutiennent de manière spécifique cette demande ( 8 ).

36. Or, j’observe qu’aux points 24 et suivants de son pourvoi le requérant soutient que, au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA en jugeant que les dispositions transitoires ne peuvent continuer à s’appliquer aux autres agents que dans la mesure où ces derniers ne concluent pas un nouveau contrat ou que, concluant un nouveau contrat, ils continuent à exercer, de façon substantielle, les mêmes
fonctions.

37. En outre, dans les développements de son pourvoi, le requérant critique les motifs figurant au point 90 de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal s’est explicitement appuyé sur l’interprétation des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA opérée au point 81 de cet arrêt pour considérer que le contrat du 16 mai 2014 avait emporté la cessation de tous les effets du contrat de 2008 et, partant, une rupture de la relation de travail avec l’administration de l’Union.

38. Il résulte de ces éléments que le requérant a satisfait aux exigences de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure en indiquant de manière suffisamment précise, d’une part, les éléments du raisonnement suivi par le Tribunal qu’il critique, d’autre part, l’erreur de droit qu’il entend invoquer au soutien de son pourvoi.

39. J’en déduis que le pourvoi est recevable.

B.   Sur le moyen unique

1. Argumentation des parties

40. À l’appui de ce moyen tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, le requérant fait valoir que le Tribunal a méconnu le champ d’application de cette disposition en ne tenant compte ni des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union ni du système instauré par le statut et le RAA dans le domaine spécifique du régime des pensions de l’Union. À cet égard, le requérant soutient que, comme l’a jugé le Tribunal dans l’arrêt Torné,
l’application dans le temps des dispositions transitoires dépend du maintien de l’affiliation au régime de pension et de la continuité du versement de contributions à celui-ci.

41. Par ailleurs, le requérant affirme que, en retenant que le contrat a emporté une rupture de la relation de travail avec l’administration de l’Union, le Tribunal a méconnu la continuité de cette relation, reconnue à l’article 86, paragraphe 2, du RAA, sous l’angle de l’évolution de la rémunération. Enfin, il relève que, à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, le législateur de l’Union a utilisé la notion d’agents « en fonction », alors qu’aux articles 4 et 5 de la même annexe, il a été
explicitement employé les termes « contrats en cours ». Le requérant en déduit que ce législateur n’a pas voulu restreindre le champ d’application des dispositions transitoires aux seuls contrats en cours.

42. Pour sa part, la Commission soutient qu’une analogie avec la situation des fonctionnaires ne peut être établie que dans le cas où l’agent ne signe pas un nouveau contrat impliquant le début d’une nouvelle relation de travail. Elle ajoute que le requérant ne peut se prévaloir utilement de l’arrêt Torné dès lors que cette décision portait, non pas sur l’interprétation des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, mais sur les conditions d’applicabilité des dispositions des
articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut à un fonctionnaire qui demeurait en service uniquement sur la base de son acte de nomination initial. À cet égard, cette institution souligne que la situation d’un fonctionnaire n’est pas comparable à celle d’un agent contractuel dans la mesure où celui-ci reste en fonction tant que le contrat produit ses effets. Elle relève que le Tribunal s’est livré à une analyse factuelle détaillée dont il a déduit qu’il n’existe pas de continuité entre le contrat
conclu en 2008 et le contrat du 16 mai 2008.

43. La Commission fait également valoir que les dispositions de l’article 86 du RAA, dont se prévaut le requérant, n’ont pas d’incidence sur l’interprétation des termes « être en fonction au 31 décembre 2013 » employés à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA. Enfin, cette institution considère que la différence de terminologie entre ce dernier article et les articles 4 et 5 de l’annexe du RAA s’explique par la différence d’objet de ces dispositions, la première portant sur l’application
des mesures transitoires, les secondes ayant trait au renouvellement des contrats.

2. Appréciation

a) Observations liminaires

44. Les modifications du taux annuel d’acquisition des droits à pension d’ancienneté et de l’âge de départ à la retraite introduites par le règlement no 1023/2013 répondent à l’objectif de maintenir l’équilibre actuariel du régime de retraite et de prendre en considération l’évolution de la structure démographique du personnel des institutions de l’Union ( 9 ). Cela étant, aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut, le législateur de l’Union a institué, au bénéfice des fonctionnaires entrés en
service avant le 1er janvier 2014, un régime transitoire permettant à ceux-ci de conserver le bénéfice du taux d’acquisition des droits à pension d’ancienneté prévu par les textes antérieurs et fixant, de manière graduée, l’âge auquel le fonctionnaire a droit à une pension d’ancienneté. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, « [l’] article 21, et l’article 22, à l’exception de son paragraphe 4, [...] de ladite annexe s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction
au 31 décembre 2013 ».

45. Pour déterminer le sens et la portée de cette analogie entre les fonctionnaires et les agents relevant du RAA, le Tribunal a examiné les caractéristiques propres à chacune de ces catégories de personnel. Plus précisément, l’arrêt attaqué a, en substance, retenu que, si le fonctionnaire entre et reste au service de l’administration en vertu d’un lien statutaire constitué par un acte de nomination demeurant inchangé jusqu’à sa cessation de fonction, l’agent contractuel entre et reste en fonction
en vertu d’un lien contractuel. S’appuyant sur cette distinction, le Tribunal a considéré que les dispositions transitoires s’appliquent par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 et qui le demeurent, après cette date, soit en vertu du contrat antérieurement conclu, soit en vertu d’un nouveau contrat lorsque cette convention n’implique pas de discontinuité dans les fonctions occupées par l’agent.

46. En d’autres termes, le Tribunal a décidé que, s’agissant des agents contractuels, le critère tenant à la continuité substantielle des fonctions déterminait l’application dans le temps des dispositions transitoires prévues par le règlement no 1023/2013.

47. Il me semble, cependant, que cette interprétation, qui trouve son fondement essentiel dans la différence entre le statut des fonctionnaires et le régime des autres agents, ne permet pas de restituer pleinement le sens et la portée des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

48. À ce titre, je rappelle que, selon une jurisprudence constante, pour interpréter une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 10 ).

49. À cet égard, je relève que, s’agissant des dispositions transitoires, le RAA ne donne aucune définition des termes « être en fonction ». De surcroît, le mot « analogie » ( 11 ), qui est communément défini, en langue française, comme une « sorte de rapport, de ressemblance dans l’ordre physique, intellectuel ou moral qui existe à certains égards entre deux ou plusieurs choses différentes » ( 12 ), ne revêt pas, en lui-même, un caractère suffisamment significatif pour asseoir l’interprétation des
dispositions transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

50. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur les méthodes d’interprétation téléologique et contextuelle pour analyser ces dispositions transitoires.

b) Sur l’interprétation téléologique

51. Si le législateur de l’Union a entendu adapter le régime des pensions de retraite des fonctionnaires et des autres agents du personnel, il a voulu combiner cette réforme avec des mesures complémentaires tenant compte des droits à pension antérieurement acquis par le personnel ( 13 ). Cet objectif est explicitement exprimé au considérant 29 du règlement no 1023/2013 dont les termes sont les suivants : « [i]l convient de prévoir des mesures transitoires afin de permettre une mise en œuvre
progressive des nouvelles règles et mesures, sans préjudice des droits acquis et des attentes légitimes du personnel en place avant l’entrée en vigueur des présentes modifications du statut ».

52. Or, ce considérant me paraît constituer un élément pertinent d’interprétation des dispositions transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

53. À cet égard, je relève, d’abord, que, placé après l’exposé de l’ensemble des modifications apportées au statut et au RAA par le règlement no 1023/2013, ledit considérant concerne, à l’évidence, toutes les dispositions transitoires prévues par ce règlement dont celles relatives aux pensions d’ancienneté. J’observe, ensuite, qu’il découle de l’emploi du terme « personnel en place », lequel revêt un caractère générique, que, s’agissant des objectifs affirmés au même considérant, le législateur de
l’Union n’a pas établi de distinction entre les fonctionnaires et les autres agents relevant du RAA.

54. J’en déduis que, à l’instar des dispositions des articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut, celles de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA doivent être interprétées à la lumière des objectifs tenant au respect des droits acquis et des attentes légitimes des autres agents de l’Union occupant un poste antérieurement au 1er janvier 2014 ( 14 ).

55. Par ailleurs, si cette approche permet de mieux cerner les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union, elle ne peut être dissociée de l’analyse de l’économie générale du système de retraite dans laquelle les dispositions transitoires s’insèrent.

c) Sur l’interprétation contextuelle

56. Les prestations versées dans le cadre du régime de pension sont définies au titre V, chapitre 3, du statut et à l’annexe VIII de celui-ci. Au titre de ces dispositions, l’article 83, paragraphe 1er, de ce statut prévoit que le paiement des prestations prévues au régime de pension constitue une charge du budget de l’Union et que les États membres garantissent collectivement le paiement de ces prestations. Par ailleurs, l’article 83 bis et l’annexe XII dudit statut définissent les règles
actuarielles de calcul du taux de contribution permettant de garantir l’équilibre du régime de pension.

57. Le régime des pensions des agents contractuels est précisé aux articles 109 et 110 du RAA. Ainsi, l’article 109, paragraphe 1, première phrase, du RAA dispose : « [l]ors de la cessation des fonctions, l’agent contractuel a droit à la pension d’ancienneté, au transfert de l’équivalent actuariel ou au versement de l’indemnité de départ dans les conditions prévues au titre V, chapitre 3, du statut ».

58. Il découle donc du libellé même de ces textes que les régimes des pensions des fonctionnaires et celui des agents contractuels obéissent à des normes communes.

59. Schématiquement, le régime de pension, tel que défini par lesdits textes, est conçu comme un fonds notionnel avec des prestations définies, dans lequel les contributions du personnel servent à financer les futures pensions de celui-ci. Ces contributions couvrent le coût des droits à pension acquis pendant une année donnée et ne sont aucunement liées aux dépenses de ladite année consacrées au paiement des pensions.

60. Le fonctionnement de ce fonds repose sur le principe de l’équilibre actuariel, en vertu duquel les contributions du personnel doivent, conformément à l’article 83, paragraphe 2, du statut, couvrir un tiers des droits acquis pendant l’année concernée, correspondant aux pensions qui devront être versées aux fonctionnaires après leur départ à la retraite ( 15 ). Le taux des contributions versées par les fonctionnaires fait l’objet d’une évaluation régulière prévue à l’annexe XII du statut, destinée
à assurer que ces cotisations financent un tiers du coût du régime ( 16 ).

61. Il résulte de ces développements que, aussi bien pour les fonctionnaires relevant du statut que pour les autres agents relevant du RAA, le régime des pensions d’ancienneté des membres du personnel de l’Union repose sur le paiement par ceux-ci d’une contribution actualisée dont l’effet est d’ouvrir des droits à pension pour une année donnée. Or, il me semble que l’existence d’un tel régime commun, basé sur le paiement de cotisations, permet d’éclairer l’interprétation du terme « analogie »
figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA.

62. En effet, à la lumière du contexte dans lequel s’insère cet article, j’estime que l’application par analogie des articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut ne peut être liée à une condition tenant à la constatation d’une continuité substantielle des fonctions occupées par l’agent contractuel. Il me semble, au contraire que, telle qu’elle doit être comprise au regard du système contributif de retraite organisé au bénéfice des fonctionnaires et des agents relevant du RAA par le législateur de
l’Union, cette application doit reposer sur un critère de continuité d’affiliation au régime des pensions.

63. J’en déduis que, au sens des dispositions transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA, doit être regardé comme étant « en fonction au 31 décembre 2013 » l’agent contractuel, recruté avant cette date, qui a, peu important la conclusion postérieure à celle-ci d’un contrat modifiant substantiellement ses fonctions, maintenu son affiliation au régime de pension de l’Union et a continué à verser des contributions à ce régime.

64. J’ajoute que cette interprétation est seule de nature à restituer le sens et la portée des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA dès lors qu’elle permet de placer un agent contractuel dans une situation analogue à celle d’un fonctionnaire qui, entré en service antérieurement au 1er janvier 2014 et poursuivant le versement de contributions au régime de retraite, peut bénéficier des dispositions transitoires prévues aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut ( 17 ).

65. Par ailleurs, l’analyse que je propose à la Cour de suivre ne peut être utilement remise en cause par la référence, faite au point 81 de l’arrêt attaqué, à l’arrêt EMA/Drakeford. En effet, comme le relève exactement M. Picard, cet arrêt concerne la requalification, prévue à l’article 8, paragraphe 1er, du RAA, de contrats à durée déterminée conclus successivement avec des agents temporaires. Dans une telle hypothèse, le Tribunal s’est fondé sur le critère tenant à la continuité substantielle des
fonctions occupées par un agent temporaire pour déterminer si, sous couvert du renouvellement de contrats à durée déterminée, l’administration n’avait pas entendu pourvoir un emploi pérenne. Cette solution, qui repose sur l’économie propre aux dispositions de l’article 8, paragraphe 1er, du RAA, me semble sans emport sur l’interprétation des mesures transitoires prévues en matière de pensions d’ancienneté par le règlement no 1023/2013.

66. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, je considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant le recours en annulation de la réponse du 4 janvier 2016 au motif que les dispositions transitoires prévues à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA s’appliquent par analogie aux agents contractuels en fonction au 31 décembre 2013 et qui le demeurent, après cette date, en vertu d’un contrat qui ne produit pas de discontinuité dans le lien d’emploi.

67. Par conséquent, je propose à la Cour de juger que le moyen unique est fondé et, partant, d’annuler le jugement attaqué.

VII. Sur le recours formé devant le Tribunal

68. En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé ou renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

69. À cet égard, je rappelle que, devant le Tribunal, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours tirée de l’absence d’acte faisant grief au sens de l’article 90 du statut. S’appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour ( 18 ), le Tribunal a décidé que, dans un souci d’économie de procédure, il y avait lieu d’examiner d’emblée les moyens soulevés par le requérant, sans statuer préalablement sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, le recours étant, en
tout état de cause, non fondé. Il en découle que, pour statuer sur l’ensemble du litige, la Cour doit d’abord se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission puis, le cas échéant, examiner le bien-fondé de la demande du requérant.

70. Or, il me semble que la Cour est en état de juger l’ensemble de ces points dans la mesure où, d’une part, l’exposé des faits constants nécessaires à la décision apparaît complet et suffisant, et, d’autre part, les éléments du litige ont été contradictoirement débattus devant le Tribunal ( 19 ) et la Cour. J’ajoute qu’il est dans l’intérêt du requérant, qui a saisi le Tribunal le 7 novembre 2016, d’obtenir rapidement une décision judiciaire.

A.   Sur la recevabilité du recours

1. Argumentation des parties

71. À l’appui de son exception d’irrecevabilité, la Commission fait valoir que la réponse du 4 janvier 2016, apportée sous forme de courriel, ne peut s’analyser en un acte faisant grief dès lors qu’elle n’a pour objet que d’apporter au requérant des renseignements sur une disposition statutaire. À ce titre, elle observe que cette réponse est assortie d’un avertissement précisant que le message ne revêtait qu’un caractère informatif. Elle ajoute que, ayant été adressée par un simple collègue du
requérant très peu de temps après la demande, la réponse du 4 janvier 2016 n’a été précédée d’aucune étude préalable indispensable à l’adoption d’un acte faisant grief.

72. La Commission soutient également que c’est seulement à la date du départ à la retraite d’un agent que les dispositions statutaires relatives au taux d’acquisition des droits à pension d’ancienneté et à l’âge de la retraite auront un effet concret. Elle considère que le requérant ne saurait exiger la fixation par anticipation de certains éléments de ses droits à pension, et ce d’autant plus que ces dispositions sont susceptibles d’être modifiées jusqu’à la date de son départ à la retraite. La
Commission en déduit que le seul acte susceptible de faire grief à M. Picard consistera en la décision définitive qui sera adoptée lors de son départ à la retraite.

73. Pour sa part, M. Picard fait valoir que l’administration était tenue de fixer par anticipation les éléments de calcul de sa pension dès lors que ces éléments étaient déjà connus et n’étaient plus susceptibles de modification au moment où il a adressé sa demande. Il ajoute que la réponse du 4 janvier 2016 a affecté immédiatement et directement ses droits à pension, de sorte qu’il disposait d’un intérêt légitime, né et actuel, à faire fixer judiciairement un élément incertain de son état.

74. Le requérant souligne également que, dans l’arrêt Torné, le Tribunal a jugé que les dispositions statutaires doivent être interprétées en ce sens qu’elles imposent de façon implicite à l’institution concernée d’adopter immédiatement une décision sans attendre la cessation définitive des fonctions de l’intéressé. Il relève également que, au point 49 de cet arrêt, le Tribunal a décidé que c’était la note litigieuse fixant la date d’entrée en service de la requérante qui lui avait fait grief et non
l’application qui en sera faite pour calculer ses droits à pension lors de la liquidation de sa retraite.

2. Appréciation

75. Il convient de rappeler, au titre des faits constants, que M. Picard a introduit, contre la réponse du 4 janvier 2016, une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Saisie de cette demande, l’AHCC a, selon la décision du 25 juillet 2016 de la DG Ressources humaines, rejeté la réclamation, à titre principal, comme étant irrecevable, faute d’acte faisant grief et, à titre subsidiaire, comme étant non fondée.

76. Devant le Tribunal, M. Picard a introduit un recours tendant à l’annulation de la réponse du 4 janvier 2016 et, « pour autant que de besoin », à l’annulation de la décision de rejet du 25 juillet 2016.

77. Il résulte des dispositions de l’article 90, paragraphe 2, du statut que les actes des institutions ne peuvent être contestés par un fonctionnaire qu’à la condition de lui faire grief. L’article 91, paragraphe 1, du statut, prévoit, en substance, que la recevabilité du recours contentieux est également subordonnée à l’accomplissement de cette condition. Par ailleurs, selon l’article 117 du RAA, les dispositions relatives aux voies de recours prévues par le statut, dont celles que je viens de
citer, s’appliquent par analogie aux agents contractuels.

78. Il découle de ces éléments que, pour déterminer si le recours de M. Picard est recevable, il convient de vérifier si la réponse du 4 janvier 2016 s’analyse en un acte lui faisant grief au sens des dispositions précitées.

79. Sur ce point, je rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, seuls font grief et sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation les actes ou les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du requérant en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci ( 20 ). Cette définition de l’acte faisant grief en matière de fonction publique n’est, au demeurant, pas différente de
celle adoptée par la Cour pour définir les « actes attaquables » au sens de l’article 263 TFUE ( 21 ), de sorte que la jurisprudence adoptée sur le terrain de cet article est, mutatis mutandis, susceptible d’être appliquée au cas présent.

80. Pour déterminer si un acte produit de tels effets obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur ( 22 ).

81. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les actes préparatoires, les actes de pure exécution, les simples recommandations et les avis, ainsi que, en principe, les instructions internes ne s’analysent pas en des actes produisant des effets obligatoires ( 23 ).

82. Il découle de ces considérations que, pour établir si un acte fait grief, il y a seulement lieu de s’attacher à sa substance, de sorte que son support formel importe peu ( 24 ). J’en déduis que, au cas présent, la seule circonstance que la réponse du 4 janvier 2016 ait revêtu la forme d’un courriel ne suffit pas à exclure la qualification d’acte faisant grief et qu’il demeure nécessaire d’en analyser le contenu afin d’en déterminer la nature juridique.

83. À cet égard, je constate, sur la base des faits constants de l’espèce que, par courriel du 4 janvier 2016, M. Picard s’est adressé au gestionnaire du secteur « Pensions » de l’unité 4 du PMO afin de savoir si ses droits à pension avaient été modifiés en raison de la signature du contrat du 16 mai 2014.

84. Par courriel du même jour, ce gestionnaire a répondu à M. Picard que ses droits à pension « ont changé en raison du changement du contrat », de sorte que « l’âge normal de la pension passe effectivement à 66 ans » et que « en ce qui concerne le pourcentage de droits à pension acquis annuellement, il passe à 1,8 %/an à compter du 01/06/2014 ». L’auteur du courriel a conclu ce message en ces termes : « [j]’espère que ces informations vous seront utiles. »

85. À mon sens, il résulte de telles circonstances que, au-delà des précautions sémantiques figurant dans la réponse du 4 janvier 2016, ce courriel ne peut, au regard de son contenu, être regardé comme ne revêtant qu’un caractère purement informatif. À cet égard, je constate que le gestionnaire du secteur « Pensions » de l’unité 4 du PMO a été saisi d’une demande d’informations précises de la part de M. Picard et a répondu, ès-qualités, à celui-ci en lui indiquant, tout aussi précisément, qu’en
raison de la conclusion d’un nouveau contrat l’âge de sa retraite était reporté à 66 ans et que le taux d’acquisition de ses droits à pension était réduit.

86. Cependant, cette seule analyse ne saurait suffire à établir que le recours de M. Picard serait recevable. Il reste, pour répondre aux arguments développés par la Commission, à déterminer si la réponse du 4 janvier 2016 est de nature à faire grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut ou si la seule décision susceptible de recours est celle fixant définitivement les droits à pension de M. Picard à la date où celui-ci partira à la retraite.

87. Sur ce point, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les mesures intermédiaires, dès lors qu’elles expriment l’opinion provisoire d’une institution, ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ( 25 ). En effet, dans une telle hypothèse, les illégalités éventuelles, qui entacheraient de telles mesures provisoires, pourraient être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif ( 26 ).

88. Cela étant, le constat qu’un acte d’une institution constitue une mesure intermédiaire qui n’exprime pas la position finale d’une institution ne saurait suffire à établir, de manière systématique, que cet acte ne constitue pas un « acte attaquable ». Ainsi, un acte intermédiaire, qui produit des effets juridiques autonomes, est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en ce qu’il ne peut être remédié à l’illégalité attachée à cet acte à l’occasion d’un recours dirigé contre la
décision finale dont il constitue une étape d’élaboration. Il en découle que, lorsque la contestation de la légalité d’un acte intermédiaire dans le cadre d’un tel recours n’est pas de nature à assurer une protection juridictionnelle effective au requérant contre les effets de cet acte, celui-ci doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation ( 27 ).

89. Cette jurisprudence me paraît pouvoir être transposée au cas d’espèce afin de vérifier si la réponse du 4 janvier 2016 est susceptible de pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation. À cet égard, je relève que, dans cette réponse, il est notamment indiqué à M. Picard que, en raison de son changement de contrat, l’âge de la pension passe à 66 ans. Or, si le requérant devait être contraint d’attendre l’âge retenu dans cette réponse pour partir à la retraite et contester la décision définitive
prise à cette date et fixant ses droits à pension d’ancienneté, il serait privé de tout recours effectif lui permettant de faire valoir que, en vertu des dispositions transitoires prévues à l’article 1, paragraphe 1er, de l’annexe du RAA, il aurait dû avoir droit à une pension d’ancienneté dès l’âge de 63 ans.

90. Il en résulte que la réponse du 4 janvier 2016 produit des effets juridiques autonomes dans la mesure où elle est susceptible d’avoir des effets irréversibles affectant directement et immédiatement la situation juridique de M. Picard auxquels ne peut remédier l’exercice d’un recours formé contre la décision définitive adoptée au moment du départ à la retraite de l’intéressé.

91. Dans ces conditions, j’estime que, sauf à priver M. Picard d’une protection juridictionnelle effective, cette réponse doit être regardée comme un acte faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

92. Par conséquent, je considère, à la lumière de l’ensemble de ces considérations, que le recours formé par M. Picard doit être regardé comme étant recevable.

B.   Sur le bien-fondé du recours

93. Si la Cour adopte le raisonnement que je lui ai proposé de suivre lors de l’examen du moyen unique, le recours formé par M. Picard devrait être accueilli. Il ressort, en effet, des éléments constants du dossier que, depuis le 1er juillet 2008, date de son engagement initial en qualité d’agent contractuel, le requérant a, de manière ininterrompue, travaillé au service de l’Union et continué de contribuer au régime de pension.

94. Il en résulte que M. Picard doit être regardé comme étant en fonction au 31 décembre 2013 au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA et doit, en conséquence, bénéficier du maintien du taux annuel d’acquisition des droits à pension et de l’âge de départ à la retraite dans les conditions et modalités prévues par les dispositions transitoires du règlement no 1023/2013.

95. En conséquence, je propose à la Cour d’annuler la réponse du 4 janvier 2016 ainsi que la décision de rejet du 25 juillet 2016.

VIII. Sur les dépens

96. Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

97. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

98. En l’espèce, le requérant a demandé à la Cour, à la suite de l’évocation de l’affaire, de faire droit à ses prétentions formulées en première instance et de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

99. La Commission ayant succombé et M. Picard ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens relatifs aux deux instances, ceux exposés par le requérant devant la Cour et le Tribunal.

IX. Conclusion

100. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

1) d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mars 2021, Picard/Commission (T‑769/16, EU:T:2021:153) ;

2) de rejeter l’exception d’irrecevabilité du recours de M. Maxime Picard soulevée par la Commission européenne devant le Tribunal ;

3) d’annuler la réponse du 4 janvier 2016 établie par le gestionnaire du secteur « Pensions » de l’unité 4 de l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » selon laquelle l’âge normal de départ à la retraite et le taux annuel d’acquisition des droits à pension de M. Picard étaient passés, respectivement, à 66 ans et à 1,8 % à partir du 1er juin 2014 ;

4) d’annuler la décision du 25 juillet 2016 du directeur de la direction E de la direction générale des ressources humaines de la Commission, en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, rejetant la réclamation introduite par M. Picard contre la réponse du 4 janvier 2016 ;

5) de condamner la Commission européenne à supporter, outre ses propres dépens relatifs aux deux instances, ceux exposés par le requérant devant la Cour et le Tribunal.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2013, L 287, p. 15.

( 3 ) Il s’agit de l’âge que le requérant avait à cette date.

( 4 ) Arrêt du 14 décembre 2018, Torné/Commission (T‑128/17, ci-après l’« arrêt Torné », EU:T:2018:969).

( 5 ) À cet effet, le Tribunal s’est appuyé sur les arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 50 à 52), et du 13 janvier 2017(Deza/ECHA, T‑189/14, EU:T:2017:4, point 26).

( 6 ) À l’exception du paragraphe 4 de cet article 22.

( 7 ) À cet effet, le Tribunal s’est référé à l’arrêt du 16 septembre 2015, EMA/Drakeford (T‑231/14 P, ci-après l’ arrêt EMA/Drakeforf , EU:T:2015:639, point 40).

( 8 ) Arrêt du 24 mars 2022, GVN/Commission (C‑666/20 P, non publié, EU:C:2022:225, point 51 et jurisprudence citée).

( 9 ) Ces objectifs, qui étaient déjà affirmés dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement élaborée par la Commission (JO 2012, C 102, p. 19), sont énoncés aux considérants 14 et 15 du règlement no 1023/2013.

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2022, WV/SEAE (C‑162/20 P, EU:C:2022:153, point 92 et jurisprudence citée).

( 11 ) Ce terme se retrouve notamment dans les versions en langues allemande (« sinngemäß ») ; estonienne (« analoogia ») ; espagnole (« analogía ») ; italienne (« analogia »), et polonaise (« analogii »).

( 12 ) Cette définition est celle donnée par la huitième édition (Paris, 1935) du Dictionnaire de l’Académie française. Le Dictionnaire Larousse (Paris, 1977) définit le mot « analogie » en ces termes : « Rapport, ressemblance d’une chose avec une autre ».

( 13 ) Au demeurant, cette volonté de respecter les droits acquis antérieurement à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions était déjà exprimée dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement élaborée par la Commission (JO 2012, C 102, p. 19).

( 14 ) Au demeurant, une telle interprétation ne me semble pas contredite par l’emploi, au considérant 29 du règlement no 1023/2013, du seul terme « statut » dès lors que les mesures transitoires visées à l’article 1er, paragraphe 1, de l’annexe du RAA renvoient directement aux articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut.

( 15 ) Les deux tiers de la contribution au régime de pension constituent une dette à l’égard du personnel dont le budget de l’Union doit s’acquitter au fur et à mesure des départs à la retraite.

( 16 ) Pour une présentation d’ensemble du système sur lequel repose le régime des pensions d’ancienneté des fonctionnaires et agents contractuels de l’Union, voir Pilorge-Vrancken, J., Droit de la fonction publique de l’Union européenne, Bruylant, Éditions juridiques, 2017, p. 151 et suiv., ainsi que p. 254.

( 17 ) À cet égard, je note que, dans l’arrêt Torné, le Tribunal s’est, pour l’interprétation des articles 21 et 22 de l’annexe XIII du statut, essentiellement fondé sur le critère tenant à la continuité d’affiliation du fonctionnaire depuis son entrée en service.

( 18 ) Voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 50 à 52), et du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission (C‑131/15 P, EU:C:2016:989, points 67 et 68 ainsi que jurisprudence citée).

( 19 ) À ce titre, j’observe que, comme en attestent les mémoires déposés par les parties devant le Tribunal ainsi que le transcript de l’audience tenue devant cette juridiction, la recevabilité du recours formé par M. Picard a été amplement débattue devant le Tribunal.

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2021, KF/CSUE (C‑464/20 P, non publié, EU:C:2021:848, point 26 et jurisprudence citée).

( 21 ) Voir, s’agissant de la définition des « actes attaquables » au sens de l’article 263 TFUE, arrêts du 25 février 2021, VodafoneZiggo Group/Commission (C‑689/19 P, EU:C:2021:142, point 48 et jurisprudence citée), ainsi que du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission (C‑572/18 P, EU:C:2021:317, point 46 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir arrêt du 6 octobre 2021, Poggiolini/Parlement (C‑408/20 P, EU:C:2021:806, point 32 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir arrêt du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission (C‑572/18 P, EU:C:2021:317, point 47 et jurisprudence citée).

( 24 ) Ainsi, une fiche mensuelle de traitement peut faire apparaître l’existence d’une décision. Voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 1976, Wack/Commission (1/76, EU:C:1976:91, point 5), et du 30 septembre 1986, Delhez e.a./Commission (264/83, EU:C:1986:344, point 20 et jurisprudence citée). Suivant la même logique, s’analyse en un acte faisant grief un entretien verbal au cours duquel l’autorité investie du pouvoir de nomination a manifesté sa décision de ne pas poursuivre la procédure de
nomination d’un fonctionnaire à un poste vacant. Voir, en ce sens, arrêt du 9 février 1984, Kohler/Cour des comptes (316/82, EU:C:1984:49, points 9 à 13).

( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, thyssenkrupp Electrical Steel et thyssenkrupp Electrical Steel Ugo/Commission (C‑572/18 P, EU:C:2021:317, point 50 et jurisprudence citée).

( 27 ) Voir arrêt du 6 octobre 2021, Poggiolini/Parlement (C‑408/20 P, EU:C:2021:806, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-366/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Agents contractuels – Pension – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Réforme de l’année 2014 – Règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 – Annexe XIII de ce statut – Article 21, second alinéa, et article 22, paragraphe 1, deuxième alinéa – Mesures transitoires relatives au taux annuel d’acquisition des droits à pension et à l’âge de départ à la retraite – Régime applicable aux autres agents de l’Union européenne – Annexe – Article 1er, paragraphe 1 – Application de ces mesures transitoires par analogie aux autres agents en fonction au 31 décembre 2013 – Signature d’un nouveau contrat d’agent contractuel – Acte faisant grief – Protection juridictionnelle effective.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Maxime Picard
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:582

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