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14/07/2022 | CJUE | N°C-36/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Sense Visuele Communicatie en Handel vof contre Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit., 14/07/2022, C-36/21


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune – Règlement (UE) no 1307/2013 – Régimes de soutien direct – Règles communes – Article 30, paragraphe 6, et article 50, paragraphe 2 – Demande d’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale pour les jeunes agriculteurs – Autorité nationale administrative ayant donné des informations erronées au sujet de la qualification d’une personne en tant que “jeune agriculteur” – Principe de protection

de la confiance légitime – Action en
réparation d’un préjudice fondée sur le non-respect du principe de droit...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune – Règlement (UE) no 1307/2013 – Régimes de soutien direct – Règles communes – Article 30, paragraphe 6, et article 50, paragraphe 2 – Demande d’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale pour les jeunes agriculteurs – Autorité nationale administrative ayant donné des informations erronées au sujet de la qualification d’une personne en tant que “jeune agriculteur” – Principe de protection de la confiance légitime – Action en
réparation d’un préjudice fondée sur le non-respect du principe de droit national de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑36/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas), par décision du 22 décembre 2020, parvenue à la Cour le 22 janvier 2021, dans la procédure

Sense Visuele Communicatie en Handel vof, agissant également sous le nom De Scharrelderij,

contre

Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Sense Visuele Communicatie en Handel vof, agissant également sous le nom De Scharrelderij, par M. P. Heida et Mme L. Rensema,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M.K. Bulterman et C.S. Schillemans, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. A. Sauka et Mme C. Zois, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 24 février 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes généraux du droit de l’Union, en particulier du principe de protection de la confiance légitime.

2 Cette demande a été formulée dans le cadre d’un litige opposant Sense Visuele Communicatie en Handel vof, agissant également sous le nom De Scharrelderij (ci-après « Sense »), au Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit (ministre de l’Agriculture, de la Nature et de la Qualité des aliments, Pays-Bas) (ci-après le « ministre ») au sujet de la réparation d’un préjudice prétendument subi en raison d’informations erronées qui ont été communiquées à Sense par le Rijksdienst voor Ondernemend
Nederland (service public néerlandais pour les entreprises, Pays-Bas) (ci‑après le « RVO ») au sujet de l’application des dispositions du règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 30, paragraphes 1, 4, 6 et 11, du règlement no 1307/2013 dispose :

« 1.   Chaque État membre crée une réserve nationale. À cette fin, les États membres appliquent, au cours de la première année de mise en œuvre du régime de paiement de base, un pourcentage de réduction linéaire au plafond du régime de paiement de base au niveau national.

[...]

4.   Les États membres attribuent des droits au paiement à partir de leur réserve nationale ou de leurs réserves régionales en fonction de critères objectifs et en veillant à assurer l’égalité de traitement entre agriculteurs et à éviter toute distorsion de marché et de concurrence.

[...]

6.   Les États membres utilisent leur réserve nationale ou leurs réserves régionales pour attribuer, en priorité, des droits au paiement aux jeunes agriculteurs et aux agriculteurs qui commencent à exercer une activité agricole.

[...]

11.   Aux fins du présent article, on entend par :

a) “jeune agriculteur”, tout agriculteur répondant aux conditions fixées à l’article 50, paragraphe 2, et, le cas échéant, aux conditions visées à l’article 50, paragraphes 3 et 11 ;

[...] »

4 Aux termes de l’article 50, paragraphe 2, de ce règlement :

« Aux fins du présent chapitre, on entend par “jeunes agriculteurs”, les personnes physiques :

a) qui s’installent pour la première fois à la tête d’une exploitation agricole, ou qui se sont installées au cours des cinq années précédant la première introduction d’une demande au titre du régime de paiement de base ou du régime de paiement unique à la surface visée à l’article 72, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1306/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements
(CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549)] ; et

b) qui sont âgés de 40 ans au maximum au cours de l’année d’introduction de la demande visée au point a). »

Le droit néerlandais

5 L’article 2.1 de l’Uitvoeringsregeling rechtstreekse betalingen GLB (arrêté ministériel portant exécution de la PAC en ce qui concerne les paiements directs et la conditionnalité), dans sa version applicable au litige au principal, énonçait :

« 1.   Le ministre attribue à l’agriculteur, sur demande, des droits au paiement conformément à [...] l’article 30, paragraphe 4, du [règlement no 1307/2013].

2.   Le ministre octroie des paiements directs en matière de :

a. régime de paiement de base selon l’article 32 du [règlement no 1307/2013] ;

b. paiement pour les pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement ;

c. paiement en faveur des jeunes agriculteurs ;

[...] »

6 L’article 4.2 de cet arrêté ministériel, dans sa version applicable au litige au principal, se lisait comme suit :

« 1.   L’agriculteur qui fait valoir des prétentions aux paiements directs tels que visés à l’article 2.1, paragraphe 2, utilise, pour la demande de droits au paiement ainsi que l’activation des droits au paiement et pour la demande des paiements, la demande unique.

[...]

3.   Sauf application de l’article 12, premier alinéa, du [règlement délégué (UE) no 640/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement [no 1306/2013] en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les conditions relatives au refus ou au retrait des paiements et les sanctions administratives applicables aux paiements directs, le soutien au développement rural et la conditionnalité (JO 2014, L 181, p. 48)], la demande unique est introduite auprès du ministre dans
la période [comprise] entre le 1er mars et le 15 mai. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

7 Sense, une société en nom collectif constituée de deux associés, à savoir A et B, exploite depuis l’année 2017 un élevage de porcs d’engraissement. A a atteint l’âge de 41 ans le 21 janvier 2018.

8 Sense a interrogé le RVO, organisme chargé de la mise en œuvre de la politique agricole commune aux Pays-Bas, au sujet de la possibilité d’obtenir l’attribution de droits au paiement à partir de la Nationale reserve voor jonge landbouwers (réserve nationale au bénéfice des jeunes agriculteurs, Pays‑Bas) (ci-après la « réserve nationale »). À l’occasion d’entretiens téléphoniques qui ont eu lieu les 15 mars 2018, 5 avril 2018 et 9 janvier 2019, des collaborateurs du RVO lui ont indiqué qu’elle
pouvait se voir attribuer des droits au paiement à partir de cette réserve nationale, dès lors que A était âgée de moins de 41 ans à un moment donné au cours de l’année 2018. Cette information a été confirmée par un courriel qu’un collaborateur du RVO a adressé à Sense le 15 janvier 2019.

9 Le 5 avril 2018, Sense a déposé une déclaration combinée, dans laquelle elle a demandé, d’une part, l’attribution de droits au paiement à partir de la réserve nationale, au motif que A était une jeune agricultrice, et, d’autre part, le versement des droits au paiement, du paiement de verdissement et du paiement supplémentaire en faveur des jeunes agriculteurs.

10 Par décisions des 2 et 4 janvier 2019, le ministre a rejeté ces demandes.

11 Sense a formé des réclamations contre ces décisions qui ont été rejetées par décision du ministre du 22 mars 2019. Selon le ministre, Sense n’avait pas droit à l’attribution de droits au paiement à partir de la réserve nationale. A étant âgée de plus de 40 ans au cours de l’année 2018, elle ne remplirait pas la condition d’âge prévue à l’article 50, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1307/2013. Ne disposant pas de droits au paiement à la date du 15 mai 2018, Sense ne pourrait pas obtenir le
versement des droits au paiement, du paiement de verdissement et du paiement supplémentaire en faveur des jeunes agriculteurs.

12 Sense a saisi le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi, d’une demande tendant à l’annulation de la décision du 22 mars 2019 et à l’indemnisation du préjudice financier qu’elle aurait subi.

13 La juridiction de renvoi précise que l’objet du litige au principal porte non pas sur l’attribution de droits au paiement à partir de la réserve nationale, mais sur la question de savoir si, en ne proposant pas d’indemniser Sense, le ministre a agi en méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime.

14 À cet égard, il serait établi que, en 2018, Sense ne pouvait pas se voir attribuer des droits au paiement à partir de la réserve nationale dans la mesure où A, déclarée en tant que jeune agricultrice, ne remplissait pas la condition d’âge prévue à l’article 50, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1307/2013.

15 Cela étant, la juridiction de renvoi est d’avis que les informations fournies par le RVO à Sense lors des entretiens téléphoniques des 15 mars et 5 avril 2018 ont pu raisonnablement laisser croire à cette dernière qu’elle pouvait obtenir une telle attribution malgré le fait que A ait atteint l’âge de 41 ans au cours de l’année 2018. Or, en se fondant sur ces informations, Sense aurait demandé l’attribution de droits au paiement à partir de la réserve nationale pour l’année 2018 et aurait renoncé
à acheter des droits au paiement. De ce fait, elle aurait été privée du versement du paiement de base et du paiement de verdissement au titre de l’année 2018, alors que ces paiements auraient pu lui être accordés si elle avait acheté des droits au paiement. Sense aurait donc subi un préjudice correspondant à la perte desdits paiements, déduction faite des coûts d’achat des droits au paiement.

16 Cette juridiction souligne que, dès lors que l’attribution des droits au paiement et le versement des paiements directs relèvent de l’application directe du droit de l’Union, il convient de faire application du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit de l’Union. Or, selon la jurisprudence de la Cour, ce principe ne pourrait être invoqué contre une disposition précise du droit de l’Union. Dès lors que l’article 50, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1307/2013
serait une disposition précise, le comportement des collaborateurs du RVO n’a pas pu créer, au profit de Sense, une confiance légitime à bénéficier d’un traitement contraire au droit de l’Union.

17 Ladite juridiction déduit de la jurisprudence de la Cour que, lorsque, dans le cadre de l’application du droit de l’Union, les États membres sont tenus de respecter le principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit de l’Union, il n’existe aucune possibilité d’appliquer en outre le principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national. Ainsi, Sense ne pourrait pas se prévaloir de ce principe aux fins d’obtenir l’attribution des droits au paiement à
partir de la réserve nationale.

18 En revanche, se poserait la question de savoir si ladite jurisprudence implique également que Sense ne peut pas non plus obtenir, sur la base du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national, une indemnité en réparation du préjudice subi en raison du fait que, sur la base des informations erronées qui lui ont été communiquées, elle a demandé l’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale au lieu d’acheter des droits au paiement. Selon la
juridiction de renvoi, la Cour n’a pas encore statué sur une telle question.

19 Dans ces conditions, le College van Beroep voor het bedrijfsleven (cour d’appel du contentieux administratif en matière économique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce qu’il soit apprécié sur la base du principe de protection de la confiance légitime du droit national si une autorité administrative nationale a suscité une confiance contraire à une disposition du droit de l’Union et a agi ainsi illégalement, selon le droit national, en n’indemnisant pas le justiciable du préjudice que celui‑ci a subi de ce fait, lorsque le justiciable ne peut pas utilement invoquer le principe de protection de la confiance légitime du
droit de l’Union, parce qu’il s’agit d’une disposition précise du droit de l’Union ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

20 Sense conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. D’une part, elle s’interroge, en substance, sur la pertinence des références faites par la juridiction de renvoi au principe de protection de la confiance légitime dès lors que, conformément à la jurisprudence de la Cour, il est constant qu’elle ne peut puiser aucun droit dans la confiance suscitée par l’autorité administrative nationale en violation du droit de l’Union. D’autre part, elle fait observer que la juridiction de
renvoi omet toute référence au principe de proportionnalité qui devrait pourtant fonder l’indemnisation du préjudice allégué.

21 Il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il
pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 34 ainsi que jurisprudence citée, et du 16 octobre 2019, Agrárminiszter, C‑490/18, EU:C:2019:863, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

22 Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec
la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 35 ainsi que jurisprudence citée, et du 16 octobre 2019, Agrárminiszter, C‑490/18, EU:C:2019:863, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

23 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation des principes généraux du droit de l’Union, et plus particulièrement du principe de protection de la confiance légitime, afin de déterminer si celui-ci s’oppose à l’invocation, par un justiciable, du seul principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national.

24 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

25 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union et, en particulier, le principe de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un justiciable obtienne, en vertu du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national et sur la seule base de ce droit, l’indemnisation d’un préjudice résultant d’une interprétation erronée fournie par une autorité nationale d’une disposition précise
du droit de l’Union.

26 Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, le principe de protection de la confiance légitime fait partie de l’ordre juridique de l’Union et s’impose à toute autorité nationale chargée d’appliquer le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 26 avril 1988, Krücken, 316/86, EU:C:1988:201, point 22, et du 7 août 2018, Ministru kabinets, C‑120/17, EU:C:2018:638, point 48).

27 Il s’ensuit que, dans la mise en œuvre des dispositions du règlement no 1307/2013, les autorités nationales sont tenues de respecter le principe de protection de la confiance légitime.

28 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de protection de la confiance légitime ne peut être invoqué contre une disposition précise d’un texte de droit de l’Union et le comportement d’une autorité nationale chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui est en contradiction avec ce dernier, ne saurait fonder, dans le chef d’un opérateur économique, une confiance légitime à bénéficier d’un traitement contraire au droit de l’Union (arrêts du 26 avril 1988, Krücken, 316/86,
EU:C:1988:201, point 24 ; du 20 juin 2013, Agroferm, C‑568/11, EU:C:2013:407, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 décembre 2017, Erzeugerorganisation Tiefkühlgemüse, C‑516/16, EU:C:2017:1011, point 69).

29 Partant, un justiciable ne saurait invoquer le principe de protection de la confiance légitime du droit de l’Union ou son homologue national aux fins de se voir attribuer un avantage qui serait contraire à une disposition précise du droit de l’Union.

30 En effet, l’invocation du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national aux fins d’obtenir un avantage contraire au droit de l’Union serait, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 27 à 30 de ses conclusions, susceptible de remettre en cause la primauté, l’effectivité et l’uniformité d’application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres, de générer des distorsions de concurrence entre ces derniers au sein du marché intérieur et, lorsque
l’avantage en cause serait financé par le budget de celle-ci, de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

31 En l’occurrence, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que Sense a demandé, pour l’année 2018, l’attribution de droits au paiement à partir de la réserve nationale au profit des « jeunes agriculteurs », au sens de l’article 50, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013.

32 Cette disposition subordonne la qualification d’un agriculteur en tant que « jeune agriculteur », notamment, à une condition d’âge, selon laquelle cette qualification est réservée aux personnes physiques « qui sont âgées de 40 ans au maximum au cours de l’année » de la première introduction d’une demande au titre du régime de paiement de base ou du régime de paiement unique à la surface.

33 Ainsi, il découle sans équivoque de la lettre de ladite disposition que cette condition d’âge requiert que, à aucun moment de l’année de la première demande, l’intéressé n’atteigne l’âge de 41 ans.

34 Partant, et comme en conviennent au demeurant la juridiction de renvoi, les parties au principal et les intéressés ayant déposé des observations devant la Cour, l’article 50, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1307/2013, en ce qu’il fixe une condition d’âge, constitue une disposition précise d’un texte de droit de l’Union, au sens de la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt.

35 Il s’ensuit que le principe de protection de la confiance légitime ne saurait être invoqué, par un agriculteur ne remplissant pas la condition d’âge fixée à l’article 50, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1307/2013, contre cette disposition, aux fins de l’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale et de l’octroi de paiements sur la base de tels droits.

36 En revanche, le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que, par une action en réparation introduite sur le fondement exclusif du droit national, un tel agriculteur cherche à obtenir non pas un avantage contraire au droit de l’Union, mais l’indemnisation du préjudice prétendument causé par l’autorité nationale chargée de la mise en œuvre des dispositions du règlement no 1307/2013 en méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national, en tant que
cette autorité lui aurait fourni des informations erronées quant à l’interprétation de ces dispositions (voir, par analogie, arrêts du 27 septembre 1988, Asteris e.a., 106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 19 et 20, ainsi que du 16 juillet 1992, Belovo, C‑187/91, EU:C:1992:333, point 20).

37 En effet, tandis que les conditions de l’attribution aux jeunes agriculteurs de droits au paiement à partir de la réserve nationale et de l’octroi de paiements sur la base de tels droits au paiement sont régies par les dispositions du règlement no 1307/2013, une telle action en réparation trouverait son fondement exclusif dans le droit national de l’État membre concerné.

38 Or, il ne saurait être considéré comme contraire au droit de l’Union que le droit national, en matière de réparation d’un préjudice causé par un comportement imputable à l’autorité nationale chargée de la mise en œuvre du droit de l’Union, prenne en considération le principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national.

39 Cela étant, le principe selon lequel l’application du droit national ne doit pas porter atteinte à l’application et à l’efficacité du droit de l’Union exige que l’intérêt de l’Union européenne soit également pleinement pris en considération lors de l’application du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2008, Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., C‑383/06 à C‑385/06, EU:C:2008:165, point 55 et
jurisprudence citée).

40 Cela implique, ainsi que Mme l’avocate générale l’a en substance exposé aux points 36 à 44 de ses conclusions, que l’indemnisation susceptible d’être obtenue à l’issue d’une telle action fondée sur le droit national ne doit pas équivaloir à l’octroi d’un avantage contraire au droit de l’Union, qu’elle ne saurait grever le budget de l’Union et qu’elle ne doit pas être de nature à entraîner des distorsions de concurrence entre les États membres.

41 Sans préjudice d’une appréciation, par la juridiction de renvoi, de ces conditions pour les besoins du litige au principal, il convient d’indiquer que lesdites conditions paraissent remplies s’agissant d’une action en réparation qui, dans les circonstances relevées au point 36 du présent arrêt, tend exclusivement à l’indemnisation d’un préjudice correspondant, en substance, au montant des paiements directs qui auraient pu être accordés à un agriculteur s’il avait acheté des droits au paiement,
déduction faite des coûts d’achat de ces droits au paiement, alors que l’agriculteur a renoncé à procéder à un tel achat en raison d’informations erronées fournies par l’autorité nationale compétente.

42 En outre, comme le soulignent le gouvernement néerlandais, la Commission européenne et ainsi que Mme l’avocate générale l’a exposé au point 39 de ses conclusions, toute indemnisation découlant d’une action en dommages et intérêts intentée selon le droit national et fondée sur le comportement illégal d’une autorité nationale serait réglée exclusivement par le budget national. Par conséquent, une telle action ne saurait avoir un effet préjudiciable sur les fonds provenant du budget de l’Union ni
affecter les intérêts financiers de celle-ci.

43 Une telle action est donc susceptible de satisfaire aux trois conditions énoncées au point 40 du présent arrêt dès lors qu’elle ne peut aboutir ni à l’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale au titre du règlement no 1307/2013 ni à l’octroi d’un paiement en application de ce règlement et qu’elle n’affecte d’aucune autre manière les intérêts financiers de l’Union.

44 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union et, en particulier, le principe de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un justiciable obtienne, en vertu du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national et sur la seule base de ce droit, l’indemnisation d’un préjudice résultant d’une interprétation erronée fournie par
une autorité nationale d’une disposition précise du droit de l’Union, à condition que cette indemnisation n’équivaille pas à l’octroi d’un avantage contraire au droit de l’Union, ne grève pas le budget de l’Union et ne soit pas de nature à entraîner des distorsions de concurrence entre les États membres.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  Le droit de l’Union et, en particulier, le principe de protection de la confiance légitime doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un justiciable obtienne, en vertu du principe de protection de la confiance légitime reconnu par le droit national et sur la seule base de ce droit, l’indemnisation d’un préjudice résultant d’une interprétation erronée fournie par une autorité nationale d’une disposition précise du droit de l’Union, à condition que cette indemnisation
n’équivaille pas à l’octroi d’un avantage contraire au droit de l’Union, ne grève pas le budget de l’Union européenne et ne soit pas de nature à entraîner des distorsions de concurrence entre les États membres.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-36/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le College van Beroep voor het bedrijfsleven.

Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune – Règlement (UE) no 1307/2013 – Régimes de soutien direct – Règles communes – Article 30, paragraphe 6, et article 50, paragraphe 2 – Demande d’attribution des droits au paiement à partir de la réserve nationale pour les jeunes agriculteurs – Autorité nationale administrative ayant donné des informations erronées au sujet de la qualification d’une personne en tant que “jeune agriculteur” – Principe de protection de la confiance légitime – Action en réparation d’un préjudice fondée sur le non-respect du principe de droit national de protection de la confiance légitime.

Coton

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Sense Visuele Communicatie en Handel vof
Défendeurs : Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit.

Composition du Tribunal
Avocat général : Medina
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:556

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