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14/07/2022 | CJUE | N°C-127/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, American Airlines, Inc. contre Commission européenne., 14/07/2022, C-127/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑127/21 P

American Airlines Inc.

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Règlement (CE) no 139/2004 – Opérations de concentration d’entreprises – Marché du transport aérien – Opération déclarée compatible avec le marché commun – Engagements pris par les parties à la concentration – Décision accordant des droits d’antériorité »

I. Introduction

1. Dans la

présente affaire, qui s’inscrit dans le cadre d’une opération de concentration d’entreprises dans le marché du transport aérien, la Cour est saisie d’un po...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑127/21 P

American Airlines Inc.

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Règlement (CE) no 139/2004 – Opérations de concentration d’entreprises – Marché du transport aérien – Opération déclarée compatible avec le marché commun – Engagements pris par les parties à la concentration – Décision accordant des droits d’antériorité »

I. Introduction

1. Dans la présente affaire, qui s’inscrit dans le cadre d’une opération de concentration d’entreprises dans le marché du transport aérien, la Cour est saisie d’un pourvoi introduit par American Airlines Inc. (ci‑après « American ») contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, American Airlines/Commission (T‑430/18, ci‑après « l’arrêt attaqué », EU:T:2020:603), par lequel celui-ci a rejeté le recours de cette société tendant à l’annulation de la décision C(2018) 2788 final
de la Commission européenne, du 30 avril 2018 (affaire M.6607 – US Airways/American Airlines) (ci‑après la « décision litigieuse »).

2. La particularité de la présente affaire réside dans le fait que la Cour sera confrontée pour la première fois à la question de l’interprétation de dispositions spécifiques d’engagements faisant partie intégrante d’une décision de la Commission portant sur une concentration.

II. Les antécédents du litige, la décision litigieuse et l’arrêt attaqué

3. Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 69 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins des présentes conclusions, être résumés de la manière suivante.

A.   La décision d’autorisation de la fusion US Airways/American

1. La procédure administrative ayant mené à la décision d’autorisation de la fusion US Airways/American

4. Le 18 juin 2013, US Airways Group Inc. (ci-après « US Airways ») et American ont notifié à la Commission leur intention de procéder à une fusion (ci-après les « parties à la fusion »).

5. La Commission a estimé que cette opération suscitait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en ce qui concernait la liaison entre les aéroports de London Heathrow (Royaume-Uni, ci-après « LHR ») et Philadelphia International Airport (États-Unis, ci-après « PHL ») (ci-après la « liaison LHR-PHL »).

6. Afin de répondre aux doutes sérieux exprimés par la Commission concernant ladite opération, les parties à la fusion ont initialement proposé des engagements les 10 et 14 juillet 2013. Ces deux propositions ont été rejetées par la Commission, qui a exigé que des droits d’antériorité (dits « grandfathering rights ») « du type de ceux » proposés dans l’affaire COMP/M.6447 – IAG/bmi (ci-après l’« affaire IAG/bmi ») soient inscrits dans ces engagements.

7. Le 16 juillet 2013, les parties à la fusion ont présenté une troisième proposition d’engagements incluant notamment des droits d’antériorité. Le document transmis à la Commission comportait également une version comparée reflétant les changements apportés.

8. S’agissant, en particulier, de l’introduction de droits d’antériorité dans les engagements révisés, le courriel accompagnant ces derniers se limitait à indiquer que des droits d’antériorité avaient été inclus « conformément à la demande » de la Commission. Par ailleurs, les clauses 1.9 à 1.11 de la proposition d’engagements du 16 juillet 2013, qui ont été insérées pour la première fois dans cette proposition, étaient libellées en des termes identiques à ceux retenus dans les engagements finaux de
la Commission ( 2 ).

9. Par ailleurs, dans le formulaire RM ( 3 ) du 30 juillet 2013 relatif à la proposition de leurs engagements finaux à la Commission (ci-après les « engagements finaux »), sous l’intitulé « Écart par rapport aux textes types », les parties à la fusion étaient censées signaler tout écart entre les engagements proposés et les modèles d’engagements publiés par les services de la Commission et en expliquer les raisons.

10. À cet égard, à la section 3 de ce formulaire, les parties à la fusion ont indiqué ce qui suit :

« Les engagements proposés par les [parties à la fusion] s’écartent des textes des modèles d’engagements publiés par les services de la Commission dans la mesure nécessaire pour répondre aux exigences spécifiques d’une mesure corrective structurelle dans le contexte particulier du transport aérien.

Comme indiqué lors des discussions précédentes, les engagements proposés sont basés sur les engagements acceptés par la Commission dans d’autres affaires de concentration entre compagnies aériennes. En particulier, ils sont pour la plupart basés sur les engagements proposés dans [l’affaire] IAG/bmi.

Afin de faciliter l’évaluation des engagements proposés, les [parties à la fusion] identifient ci-dessous les points sur lesquels les engagements proposés s’écartent des engagements acceptés dans [l’affaire] IAG/bmi. Ces points n’incluent pas les variantes linguistiques mineures ou les clarifications requises par les circonstances particulières du présent cas, en particulier dans la section relative aux définitions. »

11. En ce qui concerne les dispositions relatives aux droits d’antériorité, aucun écart par rapport aux engagements acceptés dans l’affaire IAG/bmi n’a été identifié dans le formulaire RM du 30 juillet 2013.

2. La décision d’autorisation de la fusion US Airways/American et les engagements des parties à la fusion

12. Par la décision C(2013) 5232 final, du 5 août 2013 (affaire COMP/M.6607 – US Airways/American Airlines) (JO 2013, C 279, p. 6), adoptée en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 139/2004 ( 4 ), lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement, la Commission a déclaré l’opération de fusion compatible avec le marché intérieur, sous réserve de certaines conditions et obligations à respecter (ci‑après la « décision d’autorisation »).

13. Au paragraphe 160 de la décision d’autorisation, le contenu des engagements relatif aux droits d’antériorité était résumé ainsi :

« En règle générale, les créneaux obtenus par l’entrant potentiel en vertu des engagements finaux doivent être utilisés pour fournir un service régulier de transport aérien de passagers sans escale sur la paire d’aéroports [LHR-PHL] et ne peuvent être utilisés sur une autre paire de villes que si l’entrant potentiel a exploité ce service pendant la période d’utilisation [...]. Une fois la période d’utilisation écoulée, l’entrant potentiel aura le droit d’utiliser les créneaux sur n’importe
quelle paire de villes (“droits d’antériorité”). Toutefois, l’octroi de droits d’antériorité est assujetti à l’approbation de la Commission, conseillée par le mandataire indépendant. »

14. Aux paragraphes 176, 178 à 181, 186 et 197 à 199 de la décision d’autorisation, dans le cadre de son analyse des engagements, la Commission a fait les constatations suivantes :

« (176) Selon la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne, les engagements doivent être susceptibles d’éliminer les problèmes de concurrence constatés et d’assurer des structures de marché concurrentielles. En particulier, contrairement à ceux qui sont pris au cours de la procédure de phase II, les engagements proposés au cours de la phase I ne visent pas à empêcher une entrave significative à une concurrence effective, mais plutôt à dissiper clairement tous les doutes sérieux à cet
égard. La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer si ces mesures correctives constituent une réponse directe et suffisante capable de dissiper ces doutes.

(178) Selon l’appréciation de la Commission, les engagements finaux lèvent tous les doutes sérieux identifiés au cours de la procédure. Partant, la Commission conclut que les engagements finaux pris par les parties sont suffisants pour éliminer les doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur.

(179) Dans les affaires concernant les compagnies aériennes, les engagements de libération de créneaux horaires sont acceptables pour la Commission lorsqu’il est suffisamment clair que l’entrée effective de nouveaux concurrents se produira, ce qui éliminera toute entrave significative à une concurrence effective [...]

(180) L’engagement relatif aux créneaux horaires est fondé sur le fait que la disponibilité des créneaux horaires à [LHR] est la principale barrière à l’entrée sur la liaison pour laquelle des doutes sérieux ont été identifiés. Il est donc conçu pour supprimer (ou du moins réduire sensiblement) cette barrière et pour permettre une entrée suffisante, en temps utile et probable, sur la liaison [LHR-PHL].

(181) [...] Dans le paquet des engagements, l’attractivité intrinsèque des créneaux est renforcée par la perspective d’acquérir des droits d’antériorité [...]

(186) Compte tenu de ce qui précède et des autres éléments de preuve disponibles, en particulier l’intérêt et les indications concernant une entrée probable et en temps utile reçues lors de la consultation des acteurs du marché, la Commission conclut que l’engagement relatif aux créneaux horaires est un élément clé de l’entrée probable et en temps utile sur la liaison [LHR-PHL]. L’ampleur de l’entrée sur cette ligne suffira à lever les doutes sérieux qui ont été identifiés sur ce marché [...]

(197) En vertu de l’article 6, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, du règlement sur les concentrations, la Commission peut assortir sa décision de conditions et d’obligations visant à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu’elles ont pris à l’égard de la Commission en vue de rendre la concentration compatible avec le marché intérieur.

(198) [...] Lorsqu’une condition n’est pas remplie, la décision [d’autorisation] n’est plus valable. [...]

(199) [...] la décision dans la présente affaire est subordonnée au respect intégral des exigences énoncées aux sections 1, 2, 3 et 4 des engagements finaux (conditions), tandis que les autres sections des engagements finaux constituent des obligations pour les parties. »

15. Au paragraphe 200 de la décision d’autorisation, il était précisé que les engagements finaux étaient annexés à cette décision et faisaient partie intégrante de cette dernière. Enfin, au paragraphe 201 de la décision d’autorisation, la Commission a conclu qu’elle avait décidé de déclarer la transaction notifiée, telle que modifiée par les engagements finaux, compatible avec le marché intérieur, « sous réserve du respect intégral des conditions et obligations prévues dans les engagements finaux
annexés à la présente décision ».

16. Au premier alinéa du préambule des engagements finaux annexés à la décision d’autorisation, les parties à la fusion ont rappelé qu’elles ont souscrit aux engagements finaux afin de permettre à la Commission de déclarer la fusion compatible avec le marché intérieur.

17. Au troisième alinéa de ce préambule, il est précisé ce qui suit :

« Le présent texte doit être interprété à la lumière de la décision [d’autorisation], pour autant que les engagements constituent des conditions et des obligations attachées à cette dernière, dans le cadre général du droit de l’Union européenne, en particulier à la lumière du règlement sur les concentrations, et par référence à la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement [sur les concentrations] et au règlement [d’application]. »

18. À la section « Définitions » des engagements finaux, quelques termes sont définis comme suit :

– les termes « droits d’antériorité » sont définis par un renvoi à la clause 1.10 ;

– les termes « usage abusif » sont définis par un renvoi à la clause 1.13 ;

– les termes « période d’utilisation » sont définis par un renvoi à la clause 1.9, avec la précision suivant laquelle cette période devrait être de six saisons au sens de l’Association internationale du transport aérien (IATA) (ci-après les « saisons IATA ») consécutives.

19. Les clauses 1.9 à 1.11 des engagements finaux stipulent :

« 1.9 En règle générale, les Créneaux obtenus par l’Entrant Potentiel au terme de la Procédure de Libération de Créneaux sont utilisés uniquement pour fournir un Service Aérien Concurrentiel sur la Paire d’Aéroports. Les Créneaux ne peuvent être utilisés sur une autre paire de villes à moins que l’Entrant Potentiel n’ait exploité un service sans escale sur la Paire d’Aéroports d’une manière conforme à l’offre présentée en application de la clause 1.24 pendant un nombre de Saisons IATA complètes
consécutives (“Période d’Utilisation”).

1.10 L’Entrant Potentiel est réputé avoir des droits d’antériorité sur les Créneaux obtenus lorsqu’un usage approprié des Créneaux a été fait sur la Paire d’Aéroports pendant la Période d’Utilisation. À cet égard, à l’expiration de la Période d’Utilisation, l’Entrant Potentiel est en droit d’utiliser les Créneaux obtenus sur la base des présents Engagements sur n’importe quelle paire de villes (“Droits d’Antériorité”).

1.11 L’Antériorité est soumise à l’approbation de la Commission conseillée par le Mandataire Indépendant à la fin de la Période d’Utilisation [...] »

20. La clause 1.13 de ces engagements énonce :

« Pendant la Période d’Utilisation, un Usage Abusif est réputé s’être produit lorsqu’un Entrant Potentiel ayant obtenu des Créneaux libérés par les Parties décide :

[...]

b) d’exploiter un moins grand nombre de Fréquences que celui auquel il s’est engagé dans l’offre conformément à la clause 1.24 ou de cesser l’exploitation sur la Paire d’Aéroports, à moins que cette décision ne soit compatible avec le principe “créneaux utilisés ou créneaux perdus” de l’article 10, paragraphe 2, du règlement [(CEE) no 95/93, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté (JO 1993, L 14,
p. 1)] (ou toute suspension de celui‑ci) ;

[...] »

21. Aux termes de la clause 1.24 desdits engagements :

« Avant l’expiration du délai de Présentation des Demandes d’Attribution de Créneaux, chaque Candidat doit également présenter son offre formelle pour l’attribution de Créneaux au Mandataire Indépendant. L’offre formelle doit au minimum indiquer :

a) les Principales Conditions [à savoir horaires des Créneaux, nombre de fréquences et nombre de Saisons IATA d’exploitation (service annuel ou saisonnier)] ;

b) un plan d’entreprise détaillé [...] »

22. La clause 1.26 des engagements finaux est libellée comme suit :

« Après avoir reçu la ou les offres officielles, la Commission (conseillée par le Mandataire Indépendant) doit :

a) évaluer si chaque Candidat est un concurrent existant ou potentiel viable ayant la capacité, les ressources et la volonté d’exploiter les services sur la Paire d’Aéroports à long terme en représentant une force concurrentielle dynamique et viable ;

b) évaluer les offres formelles de chaque Candidat qui répond aux exigences du point a) ci-dessus, et classer ces Candidats par ordre de préférence. »

23. La clause 1.27 de ces engagements prévoit :

« En menant son évaluation conformément à la clause 1.26, la Commission donne la priorité au Candidat qui exercera la contrainte concurrentielle globalement la plus efficace sur la Paire d’Aéroports [...]. À cet effet, la Commission prendra en considération le dynamisme du plan d’entreprise du Candidat et donnera notamment la priorité au Candidat remplissant un ou plusieurs des critères suivants :

a) la capacité la plus importante [mesurée en nombre de sièges proposés sur les services pendant deux (2) saisons IATA consécutives] et/ou le plus grand nombre total de services/fréquences ;

b) un service toute l’année, un service saisonnier d’été ou un service saisonnier d’hiver IATA seulement ; et

c) une structure tarifaire et des offres de service susceptibles d’exercer la contrainte concurrentielle la plus efficace sur la Paire d’Aéroports.

[...] »

B.   La décision de la Commission relative à l’attribution des créneaux horaires à Delta

24. Le 9 octobre 2014, l’intervenante, à savoir Delta Air Lines Inc. (ci-après « Delta »), a présenté une offre formelle pour l’attribution de créneaux horaires conformément à la clause 1.24 des engagements finaux. D’après son dossier de candidature, elle entendait exploiter une fréquence quotidienne sur la liaison LHR-PHL durant six saisons IATA consécutives à compter de l’été 2015.

25. Delta était la seule ayant présenté une offre pour l’attribution de créneaux au titre des engagements finaux.

26. Par décision du 6 novembre 2014, la Commission, après avoir évalué la viabilité de Delta et son offre en application des clauses 1.21 et 1.26 des engagements finaux, a déclaré qu’elle était, premièrement, indépendante des parties et sans lien avec elles et qu’elle avait épuisé son propre portefeuille de créneaux à LHR au sens de la clause 1.21 de ces engagements et, deuxièmement, un concurrent potentiel viable des parties sur la paire d’aéroports pour laquelle elle avait demandé des créneaux au
titre desdits engagements, ayant la capacité, les ressources et la volonté d’exploiter les services sur la liaison LHR-PHL à long terme en représentant une force concurrentielle viable.

27. Le 17 décembre 2014, American et Delta ont présenté à la Commission l’accord de libération de créneaux que les deux sociétés devaient conclure en vue de l’exécution des engagements concernant les créneaux demandés par Delta sur la liaison LHR-PHL.

28. Par décision du 19 décembre 2014, la Commission a, conformément au rapport du mandataire du 17 décembre 2014, approuvé l’accord de libération de créneaux. Cette décision prévoyait que Delta était tenue d’utiliser les créneaux de US Airways pour fournir un service de vols sans escale sur la liaison LHR-PHL. Ladite décision énonçait par ailleurs que Delta serait réputée avoir des droits d’antériorité lorsqu’un usage approprié de ces créneaux aura été fait pendant la période d’utilisation,
moyennant l’accord de la Commission, et que, quand la Commission aura approuvé les droits d’antériorité, Delta conserverait les créneaux délivrés et aurait le droit de les utiliser sur n’importe quelle paire de villes.

29. Delta a commencé à exploiter la liaison LHR-PHL au début de la saison de planification horaire IATA de l’été 2015.

C.   La décision litigieuse

30. Le 30 avril 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que Delta avait fait un usage approprié des créneaux durant la période d’utilisation et a approuvé l’octroi de droits d’antériorité à cette dernière en application de la clause 1.10 des engagements finaux.

31. Sur la base d’une interprétation des termes, du contexte et de l’objectif des engagements, la Commission a conclu, dans la décision litigieuse, que les termes « usage approprié » ne sauraient être compris dans le sens d’un « usage conforme à l’offre », mais qu’ils devaient être interprétés comme signifiant l’« absence d’usage abusif » des créneaux au sens de la clause 1.13 des engagements finaux.

32. Par la suite, la Commission a examiné, dans la décision litigieuse, si Delta avait fait un usage abusif des créneaux au sens de la clause 1.13 des engagements finaux afin de déterminer si des droits d’antériorité devaient lui être octroyés. À cet égard, cette institution a considéré l’usage des créneaux, malgré leur sous-exploitation, conforme au principe « créneaux utilisés ou créneaux perdus », tel que prévu à l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement no 95/93 ( 5 ), dans la mesure où
l’usage des créneaux était toujours au-dessus du seuil de 80 %. Constatant que Delta n’avait pas fait un usage abusif des créneaux aux termes de la clause 1.13 des engagements finaux, la Commission en a conclu que, conformément à la recommandation écrite du mandataire, Delta avait fait un usage approprié des créneaux durant la période d’utilisation et a approuvé l’octroi de droits d’antériorité à celle-ci, conformément à la clause 1.10 de ces engagements.

D.   La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

33. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juillet 2018, American a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, en invoquant deux moyens. Le premier moyen était tiré d’erreurs de droit commises par la Commission dans l’interprétation des termes « usage approprié ». Par son second moyen, American soutenait que la Commission n’avait pas tenu compte de tous les éléments pertinents pour l’octroi de droits d’antériorité.

34. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours d’American dans son intégralité et a condamné cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission. Le Tribunal a considéré, notamment, que les termes « usage approprié » de la clause 1.10 avaient été correctement interprétés par la Commission comme signifiant « absence d’usage abusif » au sens de la clause 1.13.

35. Selon le Tribunal, cette interprétation ressort, premièrement, du libellé de la clause 1.10 tenant compte de son contexte, deuxièmement, des objectifs poursuivis par cette disposition et des règles dont elle fait partie, qui ont pour but de faciliter une nouvelle entrée sur la ligne en cause, et, notamment, du règlement sur les créneaux horaires, et, troisièmement, de l’intention des parties à la fusion qui ressort du formulaire RM.

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

36. Par acte déposé au greffe de la Cour le 26 févier 2021, American a formé un pourvoi contre l’arrêt attaqué.

37. Par son pourvoi, American demande à la Cour :

– de suspendre et d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, si cela est jugé nécessaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen conformément à l’arrêt de la Cour ;

– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure et de la procédure devant le Tribunal.

38. La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi ;

– de condamner American aux dépens.

39. Delta demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi dans son intégralité ;

– de condamner American aux dépens de la présente procédure et de la procédure devant le Tribunal.

IV. Analyse

40. Au soutien de son pourvoi, American invoque un moyen unique, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal en considérant que les termes « usage approprié » visés à la clause 1.10 des engagements finaux signifient « absence d’usage abusif ». Par ailleurs, le Tribunal aurait confirmé à tort la décision d’octroyer des droits d’antériorité à Delta dès lors que celle-ci n’a pas exploité les créneaux horaires accordés.

41. Ce moyen se divise en trois branches. Par la première branche, American soutient, en substance, que le Tribunal n’a pas tenu compte lors de l’interprétation des termes « usage approprié » des objectifs respectivement du règlement sur les concentrations, des mesures correctives prises au titre de ce règlement et des engagements conclus entre les parties à la fusion proprement dits. Par la deuxième branche, elle fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en considérant qu’« usage approprié »
signifie « absence d’usage abusif ». Par la troisième branche, American allègue que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation du formulaire RM et de la clause 1.9 des engagements finaux, en particulier, en ce qui concerne les conséquences juridiques à tirer des termes « conforme à l’offre ».

42. Eu égard au moyen soulevé, la question centrale dans le cadre du présent pourvoi concerne l’interprétation de la notion d’« usage approprié », qui est, en vertu de la clause 1.10 des engagements finaux, le critère juridique qui préside à l’octroi des droits d’antériorité.

43. En l’absence de définition des termes « usage approprié » figurant à la clause 1.10 de ces engagements, il conviendra de déterminer si le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’interprétation retenue dans la décision litigieuse, selon laquelle il convient de comprendre la notion d’« usage approprié » comme l’« absence d’usage abusif » au sens de la clause 1.13 des engagements finaux, est confortée par l’objectif des dispositions en cause et par leur contexte.

A.   Sur la première branche du moyen unique

44. Par la première branche du moyen unique, American conteste, en substance, l’interprétation téléologique et contextuelle donnée par le Tribunal de la notion d’« usage approprié » prévue à la clause 1.10 des engagements finaux. L’argumentation d’American se divise en trois parties. Selon cette dernière, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait pas tenu compte dans le cadre de son analyse : premièrement, des objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives au titre de ce
règlement ; deuxièmement, des objectifs spécifiques des engagements finaux et, troisièmement, du cadre correctif complet créé par ces engagements. American soutient que, en n’examinant pas ces éléments, l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’interprétation juridique.

45. La Commission conteste ces allégations et fait valoir que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné de manière exhaustive tant les objectifs du règlement sur les concentrations et les mesures correctives prises au titre de ce règlement que les engagements en cause.

46. Pour sa part, Delta soulève l’irrecevabilité de la présente branche, dans la mesure où American se bornerait à réitérer les arguments déjà invoqués en première instance sans effectuer une analyse précise de l’arrêt attaqué.

1. Sur la recevabilité de la première branche

47. Avant d’analyser les trois arguments sur lesquels se fonde la première branche du moyen unique, il convient de se prononcer sur la question de la recevabilité de cette branche qui a été soulevée par Delta.

48. Si, en effet, American reproduit, dans son pourvoi, certains des arguments présentés en première instance, il me semble, néanmoins, qu’elle indique de façon claire et précise les éléments critiqués de l’arrêt attaqué qui concernent des questions de droit ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette première branche. En effet, comme cela a été relevé au point 44 des présentes conclusions, American conteste l’interprétation téléologique et contextuelle donnée dans
l’arrêt attaqué de la notion d’« usage approprié ».

49. L’irrecevabilité soulevée par Delta dans la présente branche ne saurait donc prospérer.

2. Analyse proposée

a) Sur la prise en compte par le Tribunal des objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives prises au titre de ce règlement

50. American soutient, tout d’abord, que l’arrêt attaqué n’a pas tenu compte, dans le cadre de l’interprétation des termes « usage approprié », de l’objectif prévu par le règlement sur les concentrations et par la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au [règlement sur les concentrations] et au [règlement d’application] (JO 2008, C 267, p. 1, ci-après la « communication sur les mesures correctives »), en vertu duquel les engagements doivent
« résoudre entièrement » les problèmes de concurrence.

51. À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’une opération de concentration soulève des problèmes de concurrence, en ce qu’elle est susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, les parties à la fusion peuvent proposer des mesures correctives appelées « engagements » afin de résoudre les problèmes constatés par la Commission ( 6 ).

52. S’agissant des mesures correctives prises au titre du règlement sur les concentrations, elles ont pour but de résoudre entièrement les problèmes de concurrence constatés par la Commission, de telle sorte qu’une concentration n’entrave pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective. En effet, selon l’état d’avancement de la procédure administrative, les engagements proposés doivent permettre à la Commission soit de considérer que l’opération notifiée ne soulève plus de doutes
sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun au stade de l’enquête préliminaire (« phase I »), en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations, soit de répondre aux objections retenues dans le cadre de l’enquête approfondie (« phase II »), conformément à l’article 18, paragraphe 3, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement.

53. Force est de constater que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a dûment examiné les objectifs du règlement sur les concentrations et des mesures correctives prises au titre de ce règlement.

54. À cet égard, il convient d’observer, en premier lieu, que le Tribunal a énoncé le cadre d’interprétation pertinent aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué en notant qu’il convient de tenir compte des règles spécifiques d’interprétation contenues au troisième alinéa du préambule des engagements finaux. En effet, cette disposition prévoit que ces engagements doivent être interprétés « à la lumière de la décision d’autorisation, dans le cadre général du droit de l’Union, en particulier à la
lumière du règlement sur les concentrations, et par référence à la communication [sur les mesures correctives] ».

55. En second lieu, le Tribunal a énoncé les principes sur lesquels se fonde le contrôle des concentrations aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué en rappelant, d’une part, que les engagements doivent faire en sorte « que la création ou le renforcement d’une position dominante ou les entraves à une concurrence effective, que les engagements ont pour finalité d’empêcher, ne soient pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche » et, d’autre part, que « [l]es engagements pris au
cours de la phase I ont pour objet de dissiper tous doutes sérieux quant à la question de savoir si la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante ». Selon le Tribunal, il s’ensuit que « les engagements pris au cours de la phase I sont, eu égard à leur portée et à leur contenu, de nature à permettre à la Commission
d’adopter une décision d’approbation sans ouvrir la phase II, [la Commission devant avoir pu,] sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, considérer que lesdits engagements constituaient une réponse directe et suffisante de nature à dissiper clairement tous les doutes sérieux » ( 7 ). Par ailleurs, dans le cadre de l’interprétation téléologique de l’« usage approprié », le Tribunal a rappelé au point 255 de l’arrêt attaqué que « les parties à la fusion [ont souscrit ces engagements] afin
de permettre à la Commission de constater qu’ils dissipaient ses doutes sérieux ».

56. Le fait que le Tribunal n’ait pas expressément mentionné dans l’arrêt attaqué le considérant 30 du règlement sur les concentrations et le point 9 de la communication sur les mesures correctives ne signifie pas – contrairement à ce que soutient American – qu’il n’ait pas tenu compte des objectifs des engagements qui ressortent de la réglementation applicable.

57. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas ignoré l’objectif des mesures correctives prises au titre du règlement sur les concentrations lors de l’interprétation de la notion d’« usage approprié ». L’arrêt attaqué n’est donc entaché d’aucune erreur de droit à cet égard.

b) Sur la prise en compte par le Tribunal des engagements des parties à la fusion

58. American soutient que l’arrêt attaqué ne tient pas compte de l’objectif particulier des engagements des parties à la fusion, qui consisterait à reproduire la perte de concurrence sur la liaison LHR-PHL, ce qui imposerait une interprétation plus stricte de l’« usage approprié ».

59. À cet égard, elle fait valoir que le Tribunal n’a pas fait référence, au point 30 de l’arrêt attaqué, aux éléments essentiels des conclusions de la Commission sur lesdits engagements mentionnés, notamment aux paragraphes 176, 178 à 181, 186 et 197 à 199 de la décision d’autorisation. En particulier, le Tribunal n’aurait pas évoqué dans l’arrêt attaqué, entre autres, l’importance de l’ampleur et de la portée des mesures correctives, l’accroissement entraîné par l’opération, les perspectives
d’entrée, le fait que les engagements finaux permettront un degré suffisant de concurrence entre les compagnies aériennes sur la liaison LHR-PHL ou la nature structurelle de la mesure corrective.

60. En outre, bien que l’arrêt attaqué ait rappelé la jurisprudence selon laquelle les engagements doivent constituer une réponse directe et suffisante de nature à dissiper clairement tous les doutes sérieux sur l’opération en cause, American reproche au Tribunal de ne pas avoir appliqué cette logique d’efficacité de la mesure corrective lors de l’interprétation de l’« usage approprié », du moment que celui-ci a accepté le non-usage par Delta de 470 créneaux horaires correctifs.

61. American soutient que, lors de l’interprétation des dispositions pertinentes des engagements en fonction de leur objectif, aux points 250 à 278 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tenu uniquement compte de l’objectif des droits d’antériorité d’améliorer l’attractivité intrinsèque des créneaux horaires, sans apprécier l’objectif même de ces engagements qui est de compenser la perte de concurrence résultant de l’abandon du service quotidien d’une des parties à la fusion, en garantissant le caractère
suffisant de l’entrée. American relève à cet égard que la question de savoir si l’utilisation effective des créneaux horaires remplit ou non cet objectif est un élément essentiel de toute décision en matière de droits d’antériorité.

62. Enfin, American fait valoir que, aux points 266 et 267 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confondu l’objet et la finalité de l’antériorité avec la condition de l’« usage approprié » pour bénéficier de ces droits. Selon elle, dans la mesure où l’objet de l’engagement sur les créneaux était de reproduire le service quotidien d’une des parties à la fusion pour résoudre entièrement le problème de concurrence, l’usage concret de ces créneaux afin d’atteindre cet objectif est non seulement pleinement
conciliable avec la détermination de l’« usage approprié » et la décision d’octroyer ou non des droits d’antériorité, mais constitue en réalité un aspect essentiel de cette analyse.

63. À cet égard, je relève d’emblée que l’argumentation d’American repose sur la prémisse que l’objectif général des mesures correctives adoptées dans le cadre du contrôle des concentrations ainsi que l’objectif précis des engagements finaux consistent à reproduire le service quotidien exploité précédemment par une des parties à la fusion.

64. L’examen de l’objectif poursuivi par ces engagements qui suit démontre que cette prémisse est erronée.

65. Je rappelle que l’objectif des engagements souscrits par les parties à la fusion consistait à dissiper les doutes sérieux soulevés par la Commission quant à la compatibilité avec le marché intérieur que l’opération aurait autrement suscitée. En effet, l’entité issue de la concentration aurait été le seul transporteur aérien assurant un service direct sur la liaison LHR-PHL. La Commission avait constaté, par ailleurs, que l’indisponibilité des créneaux horaires à LHR était la principale barrière
à l’entrée sur la liaison pour laquelle des doutes sérieux ont été identifiés ( 8 ).

66. Ces engagements avaient donc pour objectif de résoudre entièrement les problèmes de concurrence sur la liaison LHR‑PHL en supprimant (ou en réduisant sensiblement) les barrières à l’entrée à LHR afin de permettre une entrée suffisante, en temps utile et probable d’un entrant potentiel sur cette liaison.

67. S’agissant des créneaux libérés par les parties à la fusion et repris par l’entrant potentiel, lesdits engagements prévoient que ceux-ci doivent être utilisés pour fournir un « service aérien concurrentiel », défini en tant que « service régulier de transport aérien de passagers sans escale sur la paire d’aéroports LHR-PHL » dans les engagements finaux ( 9 ). Pour exploiter un « service aérien concurrentiel », un entrant potentiel n’était pas tenu d’exploiter un nombre particulier de vols
quotidiens. En effet, si la clause 1.1 des engagements finaux se borne à indiquer le nombre maximal de créneaux correctifs libérés, elle n’identifie pas un nombre fixe et contraignant de fréquences que l’entrant potentiel doit exploiter.

68. Par ailleurs, les créneaux obtenus par le nouvel entrant ne pouvaient être utilisés que sur la liaison LHR-PHL pendant la période d’utilisation. Conformément à la clause 1.10 des engagements finaux, des droits d’antériorité n’étaient acquis que lorsque ces créneaux avaient fait l’objet d’un « usage approprié » sur la liaison LHR-PHL durant cette période. Une fois acquis, ces droits permettaient à ce nouvel entrant de conserver de façon permanente ces créneaux horaires et de les utiliser sur
n’importe quelle autre liaison ou paire de villes.

69. Les conclusions suivantes peuvent être tirées des considérations qui précèdent.

70. Premièrement, l’engagement relatif aux créneaux est une mesure corrective qui vise à faciliter l’entrée sur la liaison LHR‑PHL en supprimant la principale barrière à l’entrée, sans spécifier un nombre particulier de fréquences que le ou les candidats potentiels devraient exploiter. Ainsi, contrairement à ce que soutient American, aucune des clauses des engagements n’exige que l’entrant potentiel s’engage à utiliser à 100 % les créneaux correctifs dont il a sollicité l’utilisation ni justifie un
quelconque écart par rapport à son offre.

71. Deuxièmement, l’objectif de cet engagement est de reproduire non pas le service quotidien d’US Airways, mais la pression concurrentielle exercée par US Airways avant la concentration. Ainsi, l’engagement relatif aux créneaux garantit que, après cette concentration, l’entité issue de l’opération sera soumise à une contrainte du fait d’une entrée effective ou potentielle. En cédant les créneaux à un nouvel entrant, les engagements visent à ce que ce dernier puisse les utiliser dans les mêmes
conditions qu’US Airways avant la fusion ( 10 ).

72. Troisièmement, la reproduction du service quotidien d’US Airways n’est pas non plus une condition préalable à l’octroi de droits d’antériorité à l’entrant ou aux entrants potentiels.

73. Quatrièmement, ainsi qu’il a été constaté par le Tribunal aux points 257 à 261 de l’arrêt attaqué, l’objectif des droits d’antériorité consiste à accroître l’efficacité de l’engagement relatif aux créneaux en contribuant à l’objectif commun de résoudre entièrement les problèmes de concurrence constatés par la Commission en facilitant une entrée suffisante, en temps utile et probable sur la liaison LHR‑PHL.

74. Je note, par ailleurs, que, contrairement aux critiques formulées par American dans son pourvoi, le Tribunal n’a pas ignoré l’objectif allégué par cette dernière selon lequel les engagements viseraient à reproduire l’accroissement entraîné par l’opération. Le Tribunal a explicitement rejeté cette argumentation comme n’étant étayée ni par la décision d’autorisation et la décision litigieuse ni par les engagements finaux, et comme étant incompatible avec la nature même des droits d’antériorité et
le pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission lorsqu’elle accepte les mesures correctives proposées par les parties à la fusion ( 11 ). Force est également de constater qu’aucun des extraits de la décision d’autorisation cités au point 59 des présentes conclusions n’étaie la position d’American.

75. Je considère, enfin, qu’il convient de rejeter l’argument d’American présenté au point 61 des présentes conclusions, selon lequel le Tribunal aurait mis l’accent uniquement sur l’objectif des droits d’antériorité consistant à renforcer l’attractivité des créneaux correctifs, en négligeant l’objectif plus large des engagements qui est de veiller à la mise en place d’une solution effective aux problèmes de concurrence posés par la concentration notifiée.

76. Comme cela a été expliqué aux points 72 et 73 des présentes conclusions, l’octroi de droits d’antériorité ne poursuivait pas un objectif propre, mais visait à contribuer à la réalisation de l’objectif général des engagements consistant à résoudre entièrement les problèmes de concurrence sur la liaison LHR-PHL. Ainsi, l’inclusion des droits d’antériorité dans ces engagements avait pour objectif de faciliter l’entrée sur le marché en rendant l’offre des créneaux plus attrayante, afin d’inciter des
compagnies aériennes à demander l’usage des créneaux correctifs et à entrer sur la liaison LHR‑PHL avec un service aérien concurrentiel, et d’assurer ainsi que lesdits engagements soient effectivement mis en œuvre. Le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit en se concentrant sur l’objectif des droits d’antériorité.

c) Sur la prise en compte par le Tribunal du cadre correctif complet des engagements

77. American fait valoir que le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation contextuelle de la notion d’« usage approprié » du fait qu’il s’est limité à examiner la clause 1.13 des engagements finaux de manière isolée sans prendre en considération le cadre correctif complet de ces engagements. Selon cette société, l’interprétation contextuelle devrait tenir compte à tout le moins des clauses 1.1, 1.24, 1.26, 1.27, 1.10 et 1.11 des engagements finaux. Ces dispositions, examinées ensemble,
formeraient un système cohérent permettant d’atteindre le principal objectif poursuivi par la mesure corrective établie, qui est de « résoudre entièrement » le problème de concurrence.

78. Il convient de noter, premièrement, qu’une interprétation contextuelle ou systématique ne signifie pas qu’une disposition juridique doit être interprétée à la lumière de toutes les autres dispositions du texte dans lequel elle s’insère. Ainsi, une appréciation de ces autres dispositions est nécessaire uniquement dans la mesure où celles-ci sont pertinentes.

79. S’agissant, deuxièmement, de l’analyse du cadre correctif complet créé par les engagements, force est de constater qu’il ressort de la lecture de l’arrêt attaqué que le Tribunal a analysé les autres dispositions des engagements finaux, y compris celles invoquées par American. Néanmoins, leur pertinence dans le cadre de l’analyse des termes « usage approprié » a été rejetée, dans la mesure où ces dispositions ne concernent pas l’octroi des droits d’antériorité. À cet égard, comme l’a constaté à
juste titre le Tribunal aux points 246 à 249 de l’arrêt attaqué, les clauses 1.1, 1.24, 1.26 et 1.27 des engagements finaux régissent l’offre d’un entrant potentiel et sont pertinentes aux fins de l’octroi de créneaux correctifs, et non de l’octroi de droits d’antériorité.

80. Or, comme l’a constaté le Tribunal au point 239 de l’arrêt attaqué, la seule disposition des engagements finaux qui concerne effectivement l’utilisation des créneaux concernés est la clause 1.13, relative à l’usage abusif. Plus précisément, la clause 1.13, sous b), des engagements finaux mentionne le nombre de fréquences qui doit être exploité aux fins que l’exploitation d’un moins grand nombre de fréquences que celui que l’entrant potentiel a proposé d’utiliser ne soit pas considérée comme
« usage abusif ». Cette utilisation doit être compatible avec le principe des « créneaux utilisés ou créneaux perdus » visé à l’article 10, paragraphe 2, du règlement sur les créneaux horaires, qui prévoit, en substance, que, pour qu’un transporteur aérien puisse exploiter les créneaux horaires attribués lors de la période suivante, il doit démontrer qu’il a exploité ces créneaux pendant au moins 80 % du temps au cours de la période de planification horaire pour laquelle lesdits créneaux ont été
attribués (ci-après la « règle des 80/20 »).

81. Par ailleurs, comme cela a été également mentionné au point 70 des présentes conclusions, aucune des clauses des engagements finaux n’exige que l’entrant potentiel s’engage à utiliser à 100 % les créneaux correctifs dont il a sollicité l’utilisation ni à justifier un quelconque écart par rapport à son offre.

82. Au vu des considérations qui précèdent, je suis donc d’avis que la première branche du moyen unique doit être rejetée.

B.   Sur la deuxième branche du moyen unique

83. Par la deuxième branche du moyen unique, American soutient, en substance, que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la notion d’« usage approprié » signifiait « absence d’usage abusif ».

84. Cette argumentation se divise en deux parties. D’une part, American fait valoir que l’application du critère de l’« absence d’usage abusif » pour l’interprétation de la notion d’« usage approprié » aboutit à un niveau d’usage des créneaux qui est incompatible avec les objectifs mêmes des engagements établis par les parties à la fusion. D’autre part, American considère que le Tribunal a commis une série d’erreurs dans l’arrêt attaqué lorsqu’il a considéré que la notion d’« usage approprié »
signifiait « absence d’usage abusif ».

85. De leur côté, la Commission et Delta soutiennent qu’aucun des arguments avancés par American dans la présente branche du pourvoi ne démontrerait l’existence d’erreurs commises par le Tribunal dans son analyse.

1. Sur le niveau d’utilisation correspondant à l’absence d’« usage abusif »

86. American soutient que, à chaque fois qu’un créneau correctif n’a pas été utilisé, l’objectif de « résoudre entièrement » le problème de concurrence n’a pas été atteint et constitue une « entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective ». Selon cette société, bien que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour examiner si les engagements constituent une réponse suffisante et capable de dissiper tous les doutes sérieux, elle ne saurait modifier ces engagements
contraignants au moyen d’une interprétation de la notion d’« usage approprié » qui n’est pas compatible avec les objectifs et les conditions de ceux-ci.

87. Je considère qu’il convient de rejeter cette argumentation, notamment au vu du fait que l’exigence d’utilisation des créneaux horaires pour l’octroi des droits d’antériorité, telle que défendue par American, est contraire aux dispositions et aux objectifs des engagements et risquerait de compromettre leur efficacité.

88. En effet, premièrement, retenir l’interprétation préconisée par American imposerait à tout entrant potentiel un taux d’utilisation supérieur à 80 %, qui constitue la norme sectorielle ( 12 ). Ainsi, il n’y a aucune raison que, pour obtenir des droits d’antériorité, Delta doive se conformer à des conditions d’exploitation plus strictes que celles prévues par le cadre réglementaire de référence et qui, partant, s’appliquaient à US Airways avant l’opération et s’appliquent à American après la
fusion.

89. Deuxièmement, la fixation d’un niveau d’exploitation plus élevé pour tout nouvel entrant potentiel par rapport à ses concurrents irait à l’encontre de la nécessité d’assurer des conditions de concurrence équitables sur la liaison LHR-PHL. Ainsi, une telle exigence priverait Delta de la flexibilité offerte par la règle des 80/20, en la désavantageant par rapport à American, qui continuerait à en bénéficier. L’objectif des engagements étant de garantir une concurrence effective sur la
liaison LHR-PHL, la situation de Delta devrait être comparable à celle de toute autre compagnie aérienne et en particulier à celle des compagnies qui opèrent sur cette liaison. Il s’ensuit que seule l’utilisation des créneaux horaires par un nouvel entrant, en respectant les conditions prévues à la clause 1.13 des engagements finaux, garantit que ce nouvel entrant – en l’occurrence Delta – puisse exercer ses activités sur un pied d’égalité avec son principal concurrent, à savoir American.

90. Troisièmement, la position défendue par American ne serait pas conciliable avec l’objectif spécifique des engagements qui est de faciliter l’entrée sur la liaison LHR-PHL. Retenir un taux d’utilisation supérieur à celui qui constitue la norme sectorielle risquerait de dissuader tout entrant potentiel, en privant les engagements de l’effet incitatif poursuivi par l’inclusion des droits d’antériorité et en réduisant l’efficacité de l’engagement relatif aux créneaux.

91. Quatrièmement, retenir l’interprétation préconisée par American risquerait de compromettre la sécurité juridique qui est nécessaire pour garantir l’application de la décision litigieuse et l’efficacité des engagements. Je note, à cet égard, que, comme le rappelle à juste titre le Tribunal aux points 125 et 275 de l’arrêt attaqué, outre leur objectif d’écarter les doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur, les engagements sont également pertinents pour
les tiers qui reprennent des activités des parties à une concentration, dans la mesure où les conditions de la reprise de telles activités sont déterminées dans une large mesure par ces engagements. À cette fin, il est important que les critères d’octroi de droits d’antériorité soient clairs et vérifiables, excluant toute considération arbitraire. Ainsi, adopter la position d’American reviendrait à accepter que tout écart par rapport à l’offre d’un repreneur des créneaux – en l’occurrence
Delta – devrait être justifié sur la base de critères vagues et non spécifiés dans les engagements. Comme le relève le Tribunal à juste titre, au point 250 de l’arrêt attaqué, seule l’interprétation selon laquelle l’« usage approprié » est compris dans le sens de l’absence d’« usage abusif » au sens de la clause 1.13 des engagements finaux assure la sécurité juridique nécessaire pour tout entrant potentiel.

92. Cinquièmement, il convient de relever que, pour que des engagements proposés par des parties à une concentration soient susceptibles de lever les problèmes de concurrence recensés, ils doivent pouvoir être exécutés et contrôlés efficacement ( 13 ). Or, pour les raisons citées au point précédent des présentes conclusions, seul le renvoi à la clause 1.13 des engagements finaux remplit cette condition.

93. Sixièmement, une telle interprétation des conditions permettant l’octroi des droits d’antériorité n’aurait pu, en principe, en raison de son caractère imprécis, être acceptée au cours de la phase I, dont le but est, je le rappelle, de dissiper tout doute sérieux quant à la compatibilité d’une concentration avec le marché commun ( 14 ).

94. Par ailleurs, je suis d’avis qu’il convient d’écarter l’argument d’American selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur, au point 291 de l’arrêt attaqué, en considérant que le fait que le taux d’exploitation des créneaux par Delta oscille entre 76,4 % et 81 % ne saurait signifier que l’objet des engagements a été compromis. À cet égard, American rappelle que Delta n’a pas assuré 470 services (au total aller et retour) sur la liaison LHR‑PHL et que, par conséquent, l’objectif particulier
établi par les engagements n’aurait pas été atteint dans la mesure où ces créneaux n’ont finalement été assurés par aucune compagnie aérienne. Selon la requérante, ce résultat constituerait un indice important de ce que l’« absence d’usage abusif » est une interprétation juridique erronée de la notion d’« usage approprié ».

95. Il convient de relever que, d’une part, l’argument mis en avant par American concernant la méthodologie employée par la Commission pour calculer les taux d’utilisation porte sur des questions de fait [et des appréciations factuelles] qui ont été définitivement tranchées aux points 285 à 291 de l’arrêt attaqué et dont la dénaturation n’a pas été soulevée par la requérante. D’autre part, il a été relevé, aux points 90, 290 et 294 de l’arrêt attaqué, que la requérante, tout en critiquant l’ampleur
de la sous-exploitation des créneaux par Delta, ne conteste pas que cette dernière se soit livrée à un usage conforme à la règle des 80/20.

2. Sur les autres éléments permettant de soutenir l’interprétation des termes « usage approprié » en tant qu’absence d’« usage abusif »

96. Premièrement, American soutient que le Tribunal s’est fondé à tort, aux points 95, 103, 104 et 207 de l’arrêt attaqué, sur le sens ordinaire des termes « usage abusif » pour considérer que celui-ci était conciliable avec la notion d’« usage approprié ». American considère que le Tribunal aurait dû reconnaître que le sens ordinaire des termes « usage abusif » couvrait toute situation, comme le cas en l’espèce, dans laquelle des promesses faites en vue d’obtenir un avantage juridique, notamment
des droits d’antériorité, n’ont pas été respectées sans justification suffisante.

97. Il convient de relever, à cet égard, qu’il ressort clairement de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas fondé ses conclusions sur le sens ordinaire et une interprétation littérale des termes « usage abusif ». C’est notamment parce que le Tribunal a conclu au point 107 de l’arrêt attaqué que l’interprétation littérale n’était « pas concluante » qu’il a procédé à l’interprétation contextuelle des engagements.

98. Deuxièmement, American fait valoir que le Tribunal s’est fondé à tort, aux points 209 et 210 de l’arrêt attaqué, sur le fait que les dispositions relatives à « l’usage abusif » apparaissaient à la section relative à l’« [o]ctroi des droits d’antériorité sur les créneaux » dans l’affaire IAG/bmi en considérant que ces termes signifiaient « usage inapproprié». American relève, à cet égard, que les engagements dans la présente affaire ne contiennent pas ce titre. Par ailleurs, selon elle, cette
section des engagements dans l’affaire IAG/bmi, qui était censée concerner les « droits d’antériorité », viserait, en réalité, d’autres aspects dénués de pertinence pour interpréter les termes « usage approprié ».

99. Ainsi que cela a été expliqué au point 6 des présentes conclusions, les engagements de l’affaire IAG/bmi ont servi de modèles aux engagements dans la présente affaire. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 118 et 119 des présentes conclusions, si les parties avaient voulu s’écarter de ce modèle ou fournir une interprétation différente de celle des engagements dans l’affaire précitée, ceci aurait dû être signalé dans les engagements. Il s’ensuit que le fait que, d’une part, les engagements
de l’affaire IAG/bmi contiennent le titre « Octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » et que, d’autre part, figurent également à la section « Octroi des droits d’antériorité sur les créneaux » quelques dispositions qui ne concernent pas l’octroi de ces droits ne remet pas en cause la considération, figurant au point 209 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les engagements de l’affaire IAG/bmi constituent une base valable pour l’interprétation des engagements de la présente affaire ( 15 ).

100. Troisièmement, American soutient que l’arrêt attaqué n’a pas analysé de manière cohérente et complète la considération selon laquelle la clause 1.13 des engagements finaux, relative à la notion d’« usage abusif », fournit le critère pour déterminer l’« usage approprié ». Par ailleurs, American relève plusieurs erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans ce raisonnement, notamment aux points 236 à 240, 276 et 277 de l’arrêt attaqué.

101. À mon sens, s’il est vrai que la structure de l’arrêt attaqué n’est pas toujours très claire et qu’elle rend parfois difficiles la lecture et la compréhension de celui-ci, il n’en reste pas moins qu’une telle considération n’indique pas que le Tribunal a commis une erreur lors de son appréciation selon laquelle la notion d’« usage abusif » fournit le critère pour déterminer l’« usage approprié ».

102. Quatrièmement, American reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur manifeste d’interprétation, aux points 279 à 292 de l’arrêt attaqué, en considérant que l’« interprétation contextuelle » des engagements doit être effectuée à la lumière du règlement sur les créneaux horaires. Elle soutient, tout d’abord, que cette considération n’est pas conciliable avec le libellé du troisième alinéa du préambule des engagements finaux, dans la mesure où cette disposition ne mentionne pas ce règlement
parmi les textes en vertu desquels doivent être interprétés ces engagements, alors qu’il est toutefois cité dans d’autres parties desdits engagements. Ensuite, elle avance que l’objectif du règlement sur les créneaux horaires ne correspond pas aux objectifs des mesures correctives du règlement sur les concentrations et des mesures correctives particulières adoptées dans la présente affaire.

103. Je note, en premier lieu, que le fait que le règlement sur les créneaux horaires soit spécifiquement mentionné dans les engagements ne laisse aucun doute quant au fait qu’il constitue un des éléments qui doivent être pris en considération dans le cadre de l’analyse contextuelle à effectuer. Je rappelle également que le troisième alinéa du préambule des engagements finaux précise que ceux-ci doivent être interprétés, entre autres, dans le « cadre général du droit de l’Union ». C’est ainsi que le
Tribunal a relevé, au point 124 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait de tenir compte du règlement sur les créneaux horaires, celui-ci faisant partie du « cadre général du droit de l’Union ».

104. En deuxième lieu, comme expliqué aux points 80 et 88 des présentes conclusions, à partir du moment où le taux d’utilisation prévu par ce règlement constitue la norme sectorielle, c’est à juste titre que le Tribunal a estimé que Delta a pu s’attendre à exercer ses activités conformément au cadre réglementaire de référence. Par ailleurs, dans la mesure où les dispositions de l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement sur les créneaux horaires constituent le cadre réglementaire de référence
dans l’Union, le Tribunal a considéré, à juste titre, au point 283 de l’arrêt attaqué, qu’il aurait pu être attendu que, si les conditions pour l’octroi de droits d’antériorité s’étaient écartées de ce cadre, cela ressorte de façon claire du texte des engagements finaux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

105. Je considère, en troisième et dernier lieu, que, contrairement à ce que soutient American, le fait que le règlement sur les créneaux horaires poursuive des objectifs différents du règlement sur les concentrations n’exclut pas sa prise en considération dans le cadre du contrôle des concentrations. Ainsi, comme cela a été expliqué au point 89 des présentes conclusions, l’application de la règle des 80/20 n’est pas uniquement motivée par des considérations liées au trafic aérien, mais est
également nécessaire pour garantir des conditions de concurrence équitables entre Delta et sa principale concurrente sur la liaison LHR‑PHL, à savoir American. Je rappelle, par ailleurs, que, dans le cadre de sa mission, la Commission est tenue d’examiner tous les éléments pertinents relatifs à la mesure corrective proposée en fonction de la structure et des caractéristiques particulières du marché sur lequel les problèmes de concurrence se posent ( 16 ).

106. Au vu des considérations qui précèdent, je considère qu’il convient de rejeter la deuxième branche du moyen unique.

C.   Sur la troisième branche du moyen unique

107. Par la troisième branche du moyen unique, American soutient, en substance, que le Tribunal a accordé une importance démesurée et injustifiée au contenu du formulaire RM lors de l’interprétation de la notion d’« usage approprié ».

1. Sur la recevabilité de la troisième branche

108. À cet égard, je relève que la Commission excipe de l’irrecevabilité de cette argumentation dès lors que celle-ci n’a pas été présentée en première instance.

109. Je considère néanmoins que l’argumentation d’American est recevable dans la mesure où celle-ci conteste les considérations exprimées par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, selon lesquelles les informations ressortant du formulaire RM indiquent que la formulation « conforme à l’offre » n’est pas pertinente pour interpréter la notion d’« usage approprié » visée à la clause 1.10 des engagements finaux.

2. Analyse proposée

110. American allègue, en premier lieu, que le formulaire RM est un document préparatoire et que, partant, l’analyse effectuée dans l’arrêt attaqué serait incompatible avec la jurisprudence de l’Union selon laquelle les « travaux préparatoires » ne sont pas considérés comme des méthodes d’interprétation pouvant modifier la teneur ou la finalité d’une disposition du droit de l’Union.

111. À cet égard, il convient de noter, premièrement, comme cela a été relevé à juste titre par le Tribunal, aux points 122 et 123 de l’arrêt attaqué, que l’existence du formulaire RM découle directement du règlement sur les concentrations. Or, dès lors que les termes des engagements finaux doivent, conformément au troisième alinéa de leur préambule, être interprétés au regard de ce règlement, c’est à juste titre que le formulaire RM a été pris en compte par le Tribunal dans son analyse ( 17 ).

112. Deuxièmement, s’agissant du contenu du formulaire RM, l’article 20, paragraphe 1 bis, du règlement d’application dispose que les entreprises sont tenues de préciser dans ce formulaire les renseignements et les documents qu’elles doivent fournir, lorsqu’elles proposent les engagements. Par ailleurs, l’annexe IV de ce règlement énonce que les renseignements du formulaire RM sont nécessaires pour permettre à la Commission d’examiner si les engagements soumis sont de nature à rendre la
concentration compatible avec le marché intérieur en empêchant la création d’une entrave significative à l’exercice d’une concurrence effective. En outre, j’observe que la communication sur les mesures correctives fait elle aussi référence au formulaire RM à son point 7, en indiquant qu’il incombe aux parties à une concentration, qui sont les seules à posséder toutes les informations pertinentes, de fournir « toutes les informations nécessaires » pour permettre à la Commission d'apprécier les
mesures correctives présentées.

113. Il ressort de ce qui précède que le formulaire RM n’est pas un document purement préparatoire, comme le prétend la requérante, mais un document complémentaire aux engagements qui, comme cela a été retenu par le Tribunal, au point 133 de l’arrêt attaqué, est précisément destiné à aider la Commission à évaluer le contenu, l’objectif, la viabilité et l’efficacité des mesures correctives proposées, ainsi qu’à décrire la compréhension que l’entreprise elle-même a de ces mesures correctives.

114. Il convient de relever, troisièmement, que, si, en effet, l’analyse du formulaire RM occupe une place importante dans l’arrêt attaqué ( 18 ), l’argumentation d’American selon laquelle le Tribunal a accordé une importance démesurée à ce formulaire doit être rejetée. En effet, il ressort de façon assez claire de l’arrêt attaqué que l’analyse du formulaire RM ne constitue qu’un des éléments que le Tribunal a pris en considération, dans le cadre de son analyse contextuelle, pour conclure que la
notion d’« usage approprié » pouvait être interprétée comme une absence d’« usage abusif » au sens de la clause 1.13 des engagements finaux ( 19 ).

115. Au vu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en établissant que les termes des engagements finaux doivent être interprétés au regard du formulaire RM.

116. En deuxième lieu, American fait valoir que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de la clause 1.9 des engagements finaux et, en particulier, en ce qui concerne les conséquences juridiques à tirer des termes « conforme à l’offre » à la lumière du formulaire RM. Selon elle, une telle formulation n’est pas une simple « variante linguistique » des engagements, dès lors que celle-ci ressort d’autres modèles d’engagements récemment acceptés par la Commission.

117. Pour les raisons qui suivent, je considère que cet argument est lui aussi voué à l’échec.

118. Il convient de rappeler que la Commission a exigé expressément que les engagements proposés par les parties à la fusion contiennent des droits d’antériorité du type de ceux présentés dans l’affaire IAG/bmi pour que l’opération de concentration puisse être déclarée compatible avec le marché intérieur. Sur cette base, la section 3 du formulaire RM présenté par les parties à la fusion à la Commission indiquait explicitement que les engagements étaient fondés sur ceux de la décision dans l’affaire
IAG/bmi et que les points sur lesquels les parties s’écartaient de ces engagements seraient indiqués dans le formulaire RM ( 20 ). Par ailleurs, les parties à la fusion ont précisé que ces points n’incluaient pas les « variantes linguistiques mineures » ou les clarifications requises par les circonstances particulières. En ce qui concerne, plus précisément, les dispositions relatives aux droits d’antériorité, aucun écart par rapport aux engagements acceptés dans l’affaire IAG/bmi n’a été
identifié dans le formulaire RM.

119. Le Tribunal a donc reconnu, à juste titre, aux points 143 et 144 de l’arrêt attaqué, qu’il incombait à American d’indiquer dans le formulaire RM toute modification substantielle par rapport au libellé des engagements de l’affaire IAG/bmi, qui ont servi de modèles dans la présente affaire. Or, dès lors que la notion « conforme à l’offre » n’était pas incluse dans les engagements de l’affaire IAG/bmi et que l’ajout de ces termes n’a pas été signalé comme changement par rapport aux engagements de
cette affaire, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a considéré, au point 139 de l’arrêt attaqué, que cette formulation devait être considérée comme une « variante linguistique mineure » des engagements.

120. Ces considérations ne sauraient être remises en cause par les allégations d’American, selon lesquelles l’origine de la formulation « conforme à l’offre » se trouve dans d’autres modèles d’engagements et que l’engagement sur les créneaux dans la présente affaire contient de nombreuses dispositions issues des engagements de l’affaire COMP/AT.39595 – A++ ( 21 ). En effet, le seul modèle exigé expressément par la Commission dans les engagements proposés pour l’octroi des droits d’antériorité était
l’affaire IAG/bmi. Dès lors, les dispositions des autres engagements ne sont pas pertinentes aux fins de l’interprétation de la notion d’« usage approprié » et de l’octroi des droits d’antériorité, d’autant plus que les autres modèles des engagements allégués ne visaient pas des droits d’antériorité.

121. Je tiens à préciser, à cet égard, que, si dans le cadre de sa mission, qui consiste à démontrer qu'une opération de concentration est susceptible d’entraver considérablement la concurrence, la Commission est tenue de vérifier les informations fournies par les parties à une concentration, il ne peut toutefois pas être exigé que celle-ci soit tenue d’anticiper toute interprétation possible des engagements proposés par ces parties, notamment lorsque cette interprétation non seulement s’écarte du
cadre analytique que les parties avaient elles-mêmes accepté ainsi que des normes sectorielles de référence dans le marché concerné, mais ne ressort également pas de manière claire du texte des engagements. En effet, je considère que, si les parties à la fusion souhaitaient donner une interprétation différente de celle retenue dans les engagements dans l’affaire IAG/bmi, en utilisant comme point de référence pour l’octroi des droits d’antériorité « l’offre », cela devrait ressortir clairement
dans le formulaire RM, ou tout le moins y être mentionné, comme l’a relevé le Tribunal à juste titre aux points 138, 149, 151 à 158 et 199 de l’arrêt attaqué.

122. En troisième lieu, American fait valoir que l’interprétation par le Tribunal de la clause 1.9 des engagements finaux est erronée. À cet égard, elle relève que, lorsque la formulation « conforme à l’offre » et la clause 1.9 lue en combinaison avec la clause 1.10 sont correctement interprétées, il ressort des dispositions des engagements que l’offre d’un entrant doit être considérée comme le point de départ de l’analyse de l’« usage approprié » et de la décision d’octroyer ou non des droits
d’antériorité.

123. Pour les raisons analysées aux points 64 à 73 des présentes conclusions, je suis d’avis que cet argument ne peut pas prospérer.

124. De plus, le fait que la formulation « conforme à l’offre » se trouvait déjà dans la proposition initiale des engagements présentés par les parties à la fusion, qui ne prévoyait pas de droits d’antériorité, démontre que cette clause avait une finalité différente de celle visant à déterminer les conditions d’octroi des droits d’antériorité ( 22 ).

125. Dans ces circonstances, j’estime que la troisième branche du moyen unique doit être rejetée ainsi que le pourvoi dans son intégralité.

D.   Sur les dépens

126. Dans le cadre de la présente procédure devant la Cour, Delta a demandé à ce qu’American soit condamnée aux dépens, en outre de la présente procédure, également dans la procédure devant le Tribunal.

127. Pour les raisons qui suivent, je considère que cette demande ne peut pas être accueillie.

128. Il convient de préciser que, Delta n’ayant pas formulé de conclusions relatives aux dépens en première instance, le Tribunal l’a condamnée dans l’arrêt attaqué à supporter ses propres dépens en vertu de l’article 134, paragraphe 1, et de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.

129. Il convient également de rappeler que, lorsqu’un pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens en vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour. Par ailleurs, l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable mutatis mutandis à la procédure en pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

130. Néanmoins, ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’une partie ne peut être condamnée par la Cour à supporter les dépens exposés par une autre partie à la procédure devant le Tribunal que lorsque cette dernière avait formulé une telle demande devant ce dernier ( 23 ). Si tel n’est pas le cas et que la demande de condamnation aux dépens concernant la procédure devant le Tribunal n’a été introduite qu’au stade de la procédure devant la Cour, cette demande a lieu d’être rejetée,
peu importe que le pourvoi ne soit pas accueilli, comme en l’espèce.

V. Conclusion

131. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

– le pourvoi est rejeté,

– American Airlines est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et Delta Air Lines (uniquement en ce qui concerne la procédure devant la Cour).

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Voir point 19 des présentes conclusions.

( 3 ) Ci-après le « formulaire RM ». Voir annexe IV du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1, rectificatif JO 2004, L 172, p. 9, ci-après le « règlement d’application »).

( 4 ) Règlement du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1, ci‑après le « règlement sur les concentrations »).

( 5 ) Ci-après le « règlement sur les créneaux horaires ».

( 6 ) Voir considérant 30 du règlement sur les concentrations et points 5 et 9 de la communication sur les mesures correctives.

( 7 ) Voir arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission (T‑162/10, EU:T:2015:283, point 297 et jurisprudence citée).

( 8 ) Voir point 180 de la décision d’autorisation.

( 9 ) Voir clause 1.9 des engagements finaux et point 160 de la décision d’autorisation.

( 10 ) Voir points 88 et 89 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir points 262 à 270 de l’arrêt attaqué.

( 12 ) Voir point 80 des présentes conclusions.

( 13 ) Voir point 13 de la communication sur les mesures correctives.

( 14 ) Voir point 55 des présentes conclusions.

( 15 ) Par ailleurs, ainsi qu’il a été relevé par la Commission, les considérants 644 et 645 de la décision dans l’affaire IAG/bmi, plaident, en faveur d’un lien entre l’octroi de droits d’antériorité et la notion d’usage abusif dans la mesure où le sous-titre « 1.1.3 Droits d’antériorité » traite à la fois des droits d’antériorité et de l’usage abusif, établissant ainsi un lien entre les deux notions.

( 16 ) Voir point 12 de la communication sur les mesures correctives.

( 17 ) Voir points 17 et 54 des présentes conclusions.

( 18 ) Voir points 126 à 200 de l’arrêt attaqué.

( 19 ) Voir point 292 de l’arrêt attaqué.

( 20 ) Voir points 9 à 11 des présentes conclusions.

( 21 ) Affaire ayant abouti à la décision C(2013) 2836 de la Commission, du 23 mai 2013 (JO 2013, C 201, p. 8)

( 22 ) Voir point 6 des présentes conclusions.

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Parlement/Ripa di Meana e.a. (C‑470/00 P, EU:C:2004:241, points 83 à 90).


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-127/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Règlement (CE) no 139/2004 – Opérations de concentration d’entreprises – Marché du transport aérien – Opération déclarée compatible avec le marché intérieur – Engagements pris par les parties à la concentration – Décision accordant des droits d’antériorité – Notion d’“usage approprié”.

Concentrations entre entreprises

Concurrence


Parties
Demandeurs : American Airlines, Inc.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:584

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