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03/06/2022 | CJUE | N°C-547/20

CJUE | CJUE, Ordonnance du vice-président de la Cour du 3 juin 2022., Roumanie contre Parlement européen et Conseil de l'Union européenne., 03/06/2022, C-547/20


 ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

3 juin 2022 ( *1 )

« Référé – Article 263 TFUE – Recours tendant à l’annulation d’un acte de l’Union – Article 278 TFUE – Demande de sursis à exécution de cet acte – Transport – Règlement (UE) 2020/1055 – Obligation pour une entreprise de faire retourner ses véhicules dans son État membre d’établissement – Urgence – Dégradation de la situation économique et sociale d’un État membre – Atteinte à l’environnement »

Dans l’affaire C‑547/20 R,

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nt pour objet une demande de sursis à exécution au titre de l’article 278 TFUE, introduite le 5 janvier 2022,

Roumanie, représentée par Mmes...

 ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

3 juin 2022 ( *1 )

« Référé – Article 263 TFUE – Recours tendant à l’annulation d’un acte de l’Union – Article 278 TFUE – Demande de sursis à exécution de cet acte – Transport – Règlement (UE) 2020/1055 – Obligation pour une entreprise de faire retourner ses véhicules dans son État membre d’établissement – Urgence – Dégradation de la situation économique et sociale d’un État membre – Atteinte à l’environnement »

Dans l’affaire C‑547/20 R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution au titre de l’article 278 TFUE, introduite le 5 janvier 2022,

Roumanie, représentée par Mmes L.-E. Baţagoi, E. Gane, R. I. Haţieganu, L. Liţu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

République d’Estonie, représentée par Mmes N. Grünberg et M. Kriisa, en qualité d’agents,

République de Lettonie, représentée par Mmes J. Davidoviča, K. Pommere et I. Romanovska, en qualité d’agents,

République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis, R. Dzikovič et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,

République de Malte, représentée par M. A. Buhagiar, en qualité d’agent, assisté de Me D. Sarmiento Ramírez-Escudero, abogado,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes I. Anagnostopoulou, C. Ionescu Dima et M. R. van de Westelaken, en qualité d’agents,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Norberg, A. Vârnav et Mme L. Vétillard, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par :

Royaume de Danemark, représenté par Mmes V. Pasternak Jørgensen, M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et D. Klebs, en qualité d’agents,

République hellénique, représentée par Mme S. Chala, en qualité d’agent,

République française, représentée par Mme A.-L. Desjonquères, M. A. Ferrand et Mme N. Vincent, en qualité d’agents,

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Lipari, procuratore dello Stato, et de M. G. Santini, avvocato dello Stato,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. A. Germeaux, en qualité d’agent,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bultermann et M. J. Langer, en qualité d’agents,

République d’Autriche, représentée par M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

Royaume de Suède, représenté par Mmes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1 Par sa demande en référé, la Roumanie demande à la Cour d’ordonner le sursis à exécution de l’article 1er, point 3, du règlement (UE) 2020/1055 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant les règlements (CE) no 1071/2009, (CE) no 1072/2009 et (UE) no 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route (JO 2020, L 249, p. 17), en ce qu’il arrête l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil,
du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil (JO 2009, L 300, p. 51).

2 Cette demande a été présentée à la suite de l’introduction, le 23 octobre 2020, par cet État membre, d’un recours, au titre de l’article 263 TFUE, tendant à l’annulation partielle ou, le cas échéant, totale du règlement 2020/1055.

Le cadre juridique

3 L’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055 dispose :

« L’article 5 [du règlement no 1071/2009] est remplacé par le texte suivant :

[...]

1. Pour satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, point a), une entreprise, dans l’État membre d’établissement :

[...]

b) organise l’activité de son parc de véhicules de manière à faire en sorte que les véhicules dont elle dispose et qui sont utilisés pour le transport international retournent dans un centre opérationnel situé dans cet État membre dans un délai maximal de huit semaines après avoir quitté ledit État membre ;

[...] »

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

4 Par décisions du vice-président de la Cour du 1er février 2022, la République de Malte et la République de Pologne ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de la Roumanie.

5 La Roumanie demande à la Cour :

– d’ordonner le sursis à exécution de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en ce qu’il arrête l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009, et

– de condamner le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne aux dépens.

6 Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter la demande en référé et de condamner la Roumanie aux dépens.

Sur la demande en référé

7 L’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

8 Ainsi, une mesure provisoire ne peut être accordée par le juge des référés que s’il est établi que son octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’elle est urgente, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’elle soit édictée et produise ses effets dès avant la décision au fond. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence. Ces conditions
sont cumulatives, de telle sorte que la demande de mesures provisoires doit être rejetée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut (ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne, C‑791/19 R, EU:C:2020:277, point 51 et jurisprudence citée).

9 Dans le cadre de l’examen desdites conditions, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle du droit de l’Union ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 16 juillet 2021, ACER/Aquind,
C‑46/21 P‑R, non publiée, EU:C:2021:633, point 16).

10 En l’espèce, il convient d’examiner d’emblée la condition relative à l’urgence.

Argumentation

11 La Roumanie soutient que l’application de l’obligation pour une entreprise de faire retourner ses véhicules dans son État membre d’établissement, prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009, tel que modifié par le règlement 2020/1055 (ci-après la « mesure litigieuse »), entraînera un préjudice grave et irréparable.

12 La Roumanie fait valoir, en premier lieu, que l’application de la mesure litigieuse impliquera la disparition de plus de la moitié des transporteurs de marchandises par la route établis dans cet État membre.

13 La prévisibilité de cette évolution économique serait démontrée par un rapport rendu au mois d’octobre 2020 à la suite d’une commande d’une association roumaine de professionnels du transport routier (ci-après le « premier rapport »).

14 La plupart des transporteurs de marchandises par la route établis en Roumanie seraient des petites et moyennes entreprises. Celles-ci seraient vulnérables du point de vue de leur situation financière, en raison notamment des faibles marges qui caractériseraient le secteur du transport de marchandises par la route en Roumanie.

15 Or, l’application de la mesure litigieuse impliquerait une augmentation de la distance parcourue par les véhicules roumains dédiés au transport international de marchandises à hauteur de 9800 kilomètres par an en moyenne. Dans la mesure où ces trajets supplémentaires seraient effectués par des camions dépourvus de chargement (ci-après les « trajets à vide »), ceux-ci généreraient, chaque année, en Roumanie, un manque à gagner de 524 millions d’euros ainsi que des coûts supplémentaires de
197 millions d’euros pour acquérir du carburant et de 150 millions d’euros pour acquitter des taxes routières. D’autres coûts supplémentaires proviendraient de la congestion accrue des points de passage frontaliers situés en dehors de l’espace Schengen, en raison de l’augmentation, découlant de l’application de la mesure litigieuse, du nombre de trajets effectués par les transporteurs roumains.

16 Il conviendrait, en outre, de tenir compte des coûts, estimés à 1233 millions d’euros par an pour le secteur du transport roumain, résultant de l’application d’autres règles nouvelles relatives au secteur des transports, dont le sursis à exécution n’est pas sollicité par la Roumanie.

17 Au final, 55 % des entreprises interrogées en vue de la rédaction du premier rapport estimeraient qu’elles devront cesser leurs activités en Roumanie, ce qui entraînerait des pertes pour l’économie roumaine évaluées à 3 milliards d’euros par an et la suppression de 26000 emplois dans cet État membre.

18 En second lieu, la multiplication des trajets à vide qui résulterait de l’application de la mesure litigieuse serait de nature à porter atteinte à l’environnement et, indirectement, à la santé humaine.

19 D’une part, le premier rapport démontrerait que les émissions supplémentaires des transporteurs roumains sont évaluées à 456886 tonnes de dioxyde de carbone (CO2), soit une augmentation de 7,7 % des émissions du secteur roumain des transports et de 2,4 % des émissions totale de cet État membre.

20 Un rapport rendu au mois de février 2021 à la demande de la Commission européenne (ci-après le « second rapport ») établirait, d’autre part, que, au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, l’application de la mesure litigieuse entraînera l’émission de 2,9 millions de tonnes de CO2, de 107 tonnes à 619 tonnes d’oxyde d’azote (NOx) et de 38 tonnes à 221 tonnes de particules fines (PM2,5). Les coûts de cette pollution de l’air seraient évalués à 25,9 millions d’euros.

21 La République d’Estonie, la République de Malte et la République de Pologne soutiennent l’argumentation de la Roumanie relative au risque de survenance de préjudices d’ordre environnemental, économique et social. La République de Malte se réfère, à cet égard, à un rapport relatif à la situation de cet État membre, rendu au mois de novembre 2020.

22 Le Parlement et le Conseil avancent que la Roumanie n’a pas démontré qu’un préjudice grave et irréparable risque d’intervenir avant le prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure dans l’affaire C‑547/20, en cas d’application de la mesure litigieuse.

23 Premièrement, les coûts générés par l’application de la mesure litigieuse ne seraient pas irréparables et seraient surévalués, en raison de l’absence de prise en compte de l’existence, dans la législation de l’Union en vigueur, d’une obligation d’installer le centre d’exploitation dans l’État membre d’établissement.

24 En outre, la Roumanie aurait échoué à démontrer que les éventuelles pertes de parts de marché des entreprises roumaines seraient durables, au regard des caractéristiques du secteur des transports qui ressortent du second rapport. Il serait, de surcroît, improbable que des conducteurs de poids lourds soient privés d’emploi, dès lors qu’il existe une importante pénurie de tels conducteurs dans l’Union.

25 Deuxièmement, le Parlement et le Conseil critiquent la méthodologie suivie lors de l’élaboration des premier et second rapports invoqués par la Roumanie, en tant, notamment, que ceux-ci reposent sur des hypothèses irréalistes, en particulier s’agissant du volume des trajets à vide ainsi que des coûts subis par les entreprises engagées dans différentes sortes de prestations de transport international de marchandises par la route, et qu’ils impliquent des extrapolations opérées sur la base de
données issues d’échantillons peu représentatifs. La Roumanie aurait, de surcroît, interprété de manière erronée plusieurs des estimations avancées par ces rapports.

26 Troisièmement, les estimations relatives à l’atteinte alléguée à l’environnement seraient peu fiables et pour partie contradictoires, alors que les coûts avancés ne seraient pas significatifs. En outre, la Roumanie n’aurait pas tenu compte du fait que les États membres sont soumis à des obligations en matière d’émissions de CO2, en vertu du règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de
serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) no 525/2013 (JO 2018, L 156, p. 26), et de concentrations dans l’air de NOx ainsi que de PM2,5, conformément à la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1).

27 Le Parlement ajoute que, dans la mesure où le règlement 2020/1055 a été adopté il y a près de deux ans, les entreprises concernées ont déjà commencé à s’adapter et que la présente demande en référé a donc été introduite trop tardivement pour éviter que la mesure litigieuse ne produise ses effets.

Appréciation

28 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à
cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour établir l’existence d’un tel préjudice grave et irréparable, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue. Il suffit que celui‑ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (ordonnance du 17 décembre 2018, Commission/Pologne, C‑619/18 R, EU:C:2018:1021, point 60 et jurisprudence
citée).

29 Conformément à cette jurisprudence, il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un préjudice grave et irréparable. À cet égard, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui permettent d’examiner les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (voir, en ce sens, ordonnance de la vice-présidente
de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, points 19 et 20).

30 Il incombe donc, en l’espèce, à la Roumanie d’établir que l’application de la mesure litigieuse dans la période s’étendant entre la signature de la présente ordonnance et le prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure dans l’affaire C‑547/20 est de nature à entraîner, de manière prévisible avec un degré de probabilité suffisant, un préjudice grave et irréparable.

31 Il ressort de la demande en référé que cet État membre se prévaut de préjudices découlant des effets de la mesure litigieuse sur la situation économique et sociale en Roumanie ainsi que sur l’environnement.

32 Ces divers préjudices peuvent valablement être invoqués par la Roumanie en vue d’obtenir le prononcé de mesures provisoires, dès lors que les États membres sont responsables des intérêts considérés comme généraux sur le plan national et qu’ils peuvent en assurer la défense dans le cadre d’une procédure en référé (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 21).

33 Partant, il y a lieu de déterminer si les preuves présentées par la Roumanie permettent d’établir, d’une part, que la survenance d’un ou de plusieurs desdits préjudices est prévisible avec un degré de probabilité suffisant et, d’autre part, que les mêmes préjudices présentent un caractère grave et irréparable.

34 À cet égard, il importe de rappeler que la procédure en référé n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés. Le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder aux vérifications requises et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y avoir procédé en temps utile (ordonnance du 20 novembre 2017, Commission/Pologne, C‑441/17 R, EU:C:2017:877, point 54).

Sur les effets économiques et sociaux de la mesure litigieuse

35 À titre liminaire, il y a lieu de constater que les effets économiques et sociaux de la mesure litigieuse dans d’autres États membres que la Roumanie, invoqués par les États membres intervenus au soutien des conclusions de la requérante, ne sauraient, en l’espèce, suffire à établir le caractère prévisible de la survenance d’un préjudice grave et irréparable.

36 D’une part, si la République d’Estonie et la République de Pologne font état des effet économiques et sociaux de la mesure litigieuse sur leurs territoires respectifs, elles ne produisent aucun élément de preuve destiné à démontrer la réalité de ces effets.

37 D’autre part, s’agissant de la République de Malte, le rapport produit par cet État membre indique que l’application des mesures visées dans ce rapport est susceptible d’avoir des effets sur le secteur des transports allant de la création de 51 nouveaux emplois à la suppression de 96 emplois. En outre, cette application impliquerait, au plus, une cessation d’activités concernant 43 camions.

38 Or, de tels effets, à les supposer établis, ne présenteraient pas une ampleur suffisante pour être considérés comme constituant un préjudice grave et irréparable.

39 En ce qui concerne la situation économique et sociale de la Roumanie, l’augmentation des coûts à laquelle seraient exposés les transporteurs de cet État membre en raison de l’application de la mesure litigieuse ne constitue pas, en tant que telle, un préjudice grave et irréparable.

40 En effet, les coûts ainsi générés constitueraient un préjudice d’ordre pécuniaire qui ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice (ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil, C‑541/20 R, non publiée, EU:C:2021:264, point 29).

41 En revanche, ces coûts présenteraient une pertinence, aux fins de la présente procédure, s’il était établi qu’ils sont d’une ampleur telle qu’ils impliqueraient nécessairement une restructuration du secteur des transports en Roumanie de nature à entraîner dans cet État membre un recul notable du produit intérieur brut ou une augmentation sensible du taux de chômage.

42 À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que, à l’exception des estimations relatives à la congestion des points de passage frontaliers, les données mentionnées par la Roumanie pour établir le caractère prévisible de l’augmentation des coûts des transporteurs roumains et de la restructuration du secteur roumain des transports sont issues du premier rapport.

43 Or, l’évaluation opérée dans ce rapport de ces coûts et de cette restructuration est fondée sur une extrapolation des réponses à une enquête fournies par 127 entreprises roumaines, alors qu’il ressort dudit rapport que le secteur du transport routier de marchandises dans cet État membre compte 33655 entreprises et qu’il n’est aucunement allégué dans le même rapport que les entreprises ayant participé à l’enquête constitueraient un échantillon représentatif de ce secteur.

44 En deuxième lieu, s’agissant plus spécifiquement des surcoûts auxquels seraient exposés les transporteurs roumains, il ressort du premier rapport que le calcul de ces surcoûts opéré dans ce rapport repose sur l’hypothèse selon laquelle l’ensemble des trajets réalisés par les transporteurs roumains en vue de se conformer à la mesure litigieuse seront des trajets à vide.

45 Cette hypothèse, qui est déterminante tant pour évaluer le manque à gagner généré par l’application de cette mesure que pour déterminer les coûts supplémentaires découlant de cette application, ne fait toutefois l’objet d’aucune justification, alors qu’il est constant qu’une partie seulement des trajets actuels des transporteurs roumains vers la Roumanie sont actuellement des trajets à vide.

46 Quant aux coûts découlant de la congestion des points de passage frontaliers, il y a lieu de constater, d’une part, que ces coûts ne sont pas évalués précisément par la Roumanie et, d’autre part, qu’il n’est pas contesté que l’augmentation alléguée du temps d’attente à ces points de passage représenterait, tout au plus, une fraction limitée du temps total du trajet entre la Roumanie et les États membres dans lesquels les transporteurs roumains réalisent leurs activités.

47 En troisième lieu, la seule circonstance que de nombreuses entreprises du secteur roumain des transports soient de taille réduite et aient une rentabilité limitée ne saurait suffire à démontrer que celles-ci ne seraient pas en mesure de faire face aux coûts découlant de l’application de la mesure litigieuse et qu’elles seraient donc contraintes de cesser leur activité, de réorienter celle-ci vers d’autres secteurs d’activités ou encore de s’établir dans d’autres États membres.

48 En effet, il découle des points 42 à 46 de la présente ordonnance que les preuves présentées par la Roumanie ne permettent pas de déterminer l’ampleur des surcoûts auxquels seraient exposés les transporteurs roumains du fait de l’application de la mesure litigieuse.

49 En outre, la Roumanie n’a pas contesté l’affirmation figurant dans le second rapport selon laquelle, même en intégrant ces surcoûts, les entreprises des États membres de l’Europe orientale conserveront un avantage concurrentiel dans le secteur du transport de marchandises par la route.

50 En quatrième lieu, les estimations chiffrées présentées par la Roumanie du risque de cessation d’activités de transporteurs roumains sont exclusivement fondées sur le premier rapport.

51 À cet égard, en plus des considérations figurant au point 43 de la présente ordonnance, il importe, tout d’abord, de relever que la Roumanie procède à une lecture erronée de ce rapport en affirmant que 55 % des entreprises interrogées en vue de la rédaction dudit rapport estiment qu’elles devront cesser leurs activités dans cet État membre. En effet, il ressort du même rapport que cette estimation concerne en réalité 55 % des entreprises roumaines qui offrent des services de cabotage et de trafic
tiers dans d’autres États membres, lesquelles représentent 39 % du secteur roumain du transport international de marchandises par la route sur lequel porte l’enquête en cause.

52 Ensuite, le premier rapport est explicitement présenté comme visant à évaluer les effets de l’application combinée d’une série de règles tenant, notamment, au retour régulier des conducteurs dans l’État membre d’établissement, aux conditions de travail et de repos des conducteurs ainsi qu’à l’exercice du cabotage. De ce fait, ce rapport ne permet pas de déterminer dans quelle mesure les évolutions économiques et sociales qu’il décrit sont censées procéder de l’application de la mesure litigieuse
et pourraient être évitées en cas de suspension de cette seule mesure.

53 Enfin, s’il est vrai que ledit rapport expose que l’application des mesures qu’il vise entraînera une restructuration profonde du secteur roumain des transports, il n’indique pas dans quel délai cette restructuration devrait intervenir.

54 En cinquième lieu, il importe de souligner qu’il résulte du second rapport que les conséquences prévisibles de l’application de la mesure litigieuse sur l’accès à l’emploi des conducteurs seront nécessairement limitées, du fait de l’insuffisance du nombre de conducteurs disponibles dans l’Union.

55 Il découle des éléments qui précèdent que les preuves produites par la Roumanie ne sont pas suffisantes pour établir que les effets économiques et sociaux de l’application de la mesure litigieuse sont de nature à entraîner, de manière prévisible, un préjudice grave et irréparable.

Sur les effets environnementaux de la mesure litigieuse

56 Il apparaît que, en vue d’établir un risque de survenance d’un préjudice d’ordre environnemental, la Roumanie fait état d’un risque d’augmentation des émissions de certains gaz qui serait démontrée, dans cet État membre, par des éléments figurant dans le premier rapport et, dans l’ensemble de l’Union, par les données exposées dans le second rapport.

57 S’agissant des chiffres avancés dans le premier rapport pour établir le risque d’une atteinte à l’environnement par les transporteurs roumains, il convient de relever que ceux-ci ne portent que sur les émissions de CO2.

58 En outre, les limites méthodologiques de ce rapport mentionnées aux points 45 et 52 de la présente ordonnance ne permettent pas de se fonder sur celui-ci pour apprécier les effets éventuels de la mesure litigieuse sur ces émissions.

59 En effet, d’une part, ledit rapport ne comporte aucune précision quant à la contribution prévisible de chacune des mesures qu’il vise à l’augmentation des émissions de CO2 dont il fait état. D’autre part, s’agissant des effets de la mesure litigieuse, cette augmentation est censée découler de la réalisation d’un grand nombre de trajets à vide. Or, ladite augmentation est calculée en postulant, sans justification suffisante, que l’ensemble des trajets réalisés par les transporteurs roumains en vue
de se conformer à la mesure litigieuse seront des trajets à vide.

60 En ce qui concerne les chiffres invoqués par la Roumanie pour établir le risque d’une atteinte à l’environnement par les transporteurs de l’ensemble de l’Union, force est de constater que cet État membre s’appuie largement sur l’une des hypothèses envisagées par le second rapport, selon laquelle les entreprises du secteur des transports se conformeront à la mesure litigieuse sans que ce secteur connaisse de restructuration.

61 Or, certains des éléments avancés par la Roumanie s’opposent à la réalisation de cette hypothèse, que le Parlement et le Conseil considèrent d’ailleurs comme étant purement théorique. En particulier, en vue d’établir le préjudice d’ordre économique et social dont il se prévaut, cet État membre soutient que le secteur du transport est appelé à connaître une restructuration majeure en cas d’application de la mesure litigieuse.

62 Il convient encore de relever que l’évaluation du nombre de véhicules engagés dans des cycles de transport supérieurs à huit semaines, laquelle est déterminante pour calculer les émissions supplémentaires pouvant découler de l’application de la mesure litigieuse, procède d’une extrapolation des déclarations recueillies dans le cadre d’une enquête auprès d’un échantillon de transporteurs décrit dans le second rapport comme étant insuffisant au regard de la taille du marché du transport routier
international.

63 Dans ces conditions, s’il ne peut être exclu que l’application de la mesure litigieuse soit susceptible d’augmenter les émissions de certains gaz, les documents fournis par la Roumanie ne permettent pas d’évaluer avec précision le volume de cette augmentation.

64 Concernant le caractère grave et irréparable que pourrait revêtir ladite augmentation, il importe de relever que, comme le soulignent le Parlement et le Conseil, les émissions de CO2, de NOx et de PM2,5 font l’objet de réglementations spécifiques du droit de l’Union.

65 Ainsi, le règlement 2018/842 établit des obligations pour chaque État membre en matière de limitation des émissions des gaz à effet de serre, parmi lesquels figurent le CO2, alors que la directive 2008/50 prévoit des objectifs nationaux de réduction de l’exposition aux PM2,5 ainsi que des valeurs limites de NOx et de PM2,5.

66 Il s’ensuit que, même en se basant sur les chiffres les plus élevés avancés par la Roumanie, l’application de la mesure litigieuse n’impliquerait qu’une augmentation modérée des émissions de CO2, de NOx et de PM2,5, dont il n’est pas établi qu’elle serait de nature à mettre en cause, à moyen terme, la sauvegarde de la qualité de l’air et la lutte contre le réchauffement climatique (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 2 octobre 2003, Commission/Autriche, C‑320/03 R,
EU:C:2003:543, point 98).

67 Pour le reste, les coûts découlant de l’augmentation des émissions de NOx et de PM2,5 dont fait état la Roumanie ne sauraient, au regard de leur montant pour l’ensemble de l’Union, démontrer le caractère grave du préjudice allégué par la Roumanie.

68 Partant, il y a lieu de constater que les preuves produites par la Roumanie ne sont pas suffisantes pour établir que les effets environnementaux de l’application de la mesure litigieuse sont de nature à entraîner, de manière prévisible, un préjudice grave et irréparable.

69 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il apparaît que la Roumanie n’a pas établi que l’application de la mesure litigieuse dans la période s’étendant entre la signature de la présente ordonnance et le prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure dans l’affaire C‑547/20 est de nature à entraîner, de manière prévisible avec un degré de probabilité suffisant, un préjudice grave et irréparable et, partant, que la condition relative à l’urgence est satisfaite.

70 Compte tenu du caractère cumulatif des conditions requises pour l’octroi de mesures provisoires, il y a lieu, dès lors, de rejeter la demande en référé, sans qu’il soit besoin d’examiner les conditions relatives au fumus boni juris et à la mise en balance des intérêts.

71 Conformément à l’article 137 du règlement de procédure, il sera statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui mettra fin à l’instance.

  Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

  1) La demande en référé est rejetée.

  2) Les dépens sont réservés.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-547/20
Date de la décision : 03/06/2022
Type d'affaire : Demande en référé - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Référé – Article 263 TFUE – Recours tendant à l’annulation d’un acte de l’Union – Article 278 TFUE – Demande de sursis à exécution de cet acte – Transport – Règlement (UE) 2020/1055 – Obligation pour une entreprise de faire retourner ses véhicules dans son État membre d’établissement – Urgence – Dégradation de la situation économique et sociale d’un État membre – Atteinte à l’environnement.

Transports


Parties
Demandeurs : Roumanie
Défendeurs : Parlement européen et Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:446

Source

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