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24/05/2022 | CJUE | N°C-629/21

CJUE | CJUE, Ordonnance du Vice-président de la Cour du 24 mai 2022., Carles Puigdemont i Casamajó e.a. contre Parlement européen., 24/05/2022, C-629/21


 ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

24 mai 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Référé – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Privilèges et immunités – Levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Parlement – Fumus boni juris – Impartialité du rapporteur lors de l’examen de la demande de levée l’immunité parlementaire – Urgence – Mandat d’arrêt européen – Signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise – Exercice du mandat de membre du Parlement – Balance des i

ntérêts »

Dans l’affaire C‑629/21 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alin...

 ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

24 mai 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Référé – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Privilèges et immunités – Levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Parlement – Fumus boni juris – Impartialité du rapporteur lors de l’examen de la demande de levée l’immunité parlementaire – Urgence – Mandat d’arrêt européen – Signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise – Exercice du mandat de membre du Parlement – Balance des intérêts »

Dans l’affaire C‑629/21 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 octobre 2021,

Carles Puigdemont i Casamajó, demeurant à Waterloo (Belgique),

Antoni Comín i Oliveres, demeurant à Waterloo,

Clara Ponsatí i Obiols, demeurant à Waterloo,

représentés par Mes P. Bekaert et S. Bekaert, advocaten, ainsi que par Mes G. Boye et J. Costa i Rosselló, abogados,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz, N. Görlitz et J.‑C. Puffer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume d’Espagne, représenté par Mmes S. Centeno Huerta et A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1 Par leur pourvoi, MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres ainsi que Mme Clara Ponsatí i Obiols demandent l’annulation de l’ordonnance du vice-président du Tribunal de l’Union européenne du 30 juillet 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée, ci-après l’ ordonnance attaquée , EU:T:2021:497), par laquelle celui-ci a rejeté leur demande tendant au sursis à l’exécution des décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061 du Parlement
européen, du 9 mars 2021, sur les demandes de levée de leur immunité (ci-après, ensemble, les « décisions litigieuses »).

2 Par son pourvoi incident, le Royaume d’Espagne sollicite la suppression de la motivation figurant au point 43 de l’ordonnance attaquée.

Le cadre juridique

La décision-cadre 2002/584/JAI

3 Le considérant 6 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), est ainsi rédigé :

« Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire. »

4 L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de cette décision-cadre est libellé comme suit :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre. »

5 Les articles 3 et 4 de ladite décision-cadre énoncent respectivement les motifs de non-exécution obligatoire et les motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen.

6 L’article 5 de la même décision-cadre définit les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers.

7 L’article 11, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 dispose :

« Lorsqu’une personne recherchée est arrêtée, l’autorité judiciaire d’exécution compétente informe cette personne, conformément à son droit national, de l’existence et du contenu du mandat d’arrêt européen, ainsi que de la possibilité qui lui est offerte de consentir à sa remise à l’autorité judiciaire d’émission. »

8 L’article 12 de cette décision-cadre prévoit :

« Lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l’État membre d’exécution. La mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de la personne recherchée. »

9 L’article 15, paragraphe 1, de ladite décision-cadre précise :

« L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne. »

10 L’article 17, paragraphes 1 à 5, de la même décision-cadre est ainsi libellé :

« 1.   Un mandat d’arrêt européen est à traiter et exécuter d’urgence.

2.   Lorsque la personne recherchée consent à sa remise, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être prise dans les dix jours suivant ledit consentement.

3.   Dans les autres cas, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être prise dans un délai de soixante jours à compter de l’arrestation de la personne recherchée.

4.   Dans des cas spécifiques, lorsque le mandat d’arrêt européen ne peut être exécuté dans les délais prévus aux paragraphes 2 ou 3, l’autorité judiciaire d’exécution en informe immédiatement l’autorité judiciaire d’émission, en indiquant pour quelles raisons. Dans un tel cas, les délais peuvent être prolongés de trente jours supplémentaires.

5.   Aussi longtemps qu’aucune décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen n’est prise par l’autorité judiciaire d’exécution, celui-ci s’assurera que les conditions matérielles nécessaires à une remise effective de la personne restent réunies. »

La décision 2007/533/JAI

11 L’article 24, paragraphe 1, de la décision 2007/533/JAI du Conseil, du 12 juin 2007, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (JO 2007, L 205, p. 63), dispose :

« Si un État membre estime que la mise en œuvre d’un signalement introduit conformément aux articles 26, 32 ou 36 n’est pas compatible avec son droit national, ses obligations internationales ou des intérêts nationaux essentiels, il peut exiger par la suite que soit apposé sur ledit signalement un indicateur de validité visant à ce que l’exécution de la conduite à tenir en raison de ce signalement n’ait pas lieu sur son territoire. L’indicateur de validité est apposé par le bureau Sirene de
l’État membre qui a introduit le signalement. »

12 L’article 25 de cette décision dispose :

« 1.   Lorsque la décision-cadre [2002/584] s’applique, l’indicateur de validité visant à prévenir une arrestation ne peut être apposé sur un signalement en vue d’arrestation aux fins de remise que si l’autorité judiciaire compétente en vertu de la législation nationale pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen a refusé cette exécution en invoquant un motif de non-exécution et que l’apposition de l’indicateur de validité a été demandée.

2.   Toutefois, à la demande d’une autorité judiciaire compétente en vertu de la législation nationale, l’apposition d’un indicateur de validité à un signalement en vue d’une arrestation aux fins de remise peut également être demandée si, sur la base d’une instruction générale ou dans un cas particulier, il est évident que l’exécution du mandat d’arrêt européen devra être refusée. »

13 L’article 26, paragraphe 1, de la décision 2007/533 est libellé comme suit :

« Les données relatives aux personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise sur la base d’un mandat d’arrêt européen ou recherchées en vue d’une arrestation aux fins d’extradition sont introduites à la demande de l’autorité judiciaire de l’État membre signalant. »

14 L’article 27, paragraphe 1, de cette décision énonce :

« Si une personne est recherchée en vue d’une arrestation aux fins de remise sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’État membre signalant introduit dans le SIS II une copie de l’original du mandat d’arrêt européen. »

15 L’article 30 de ladite décision est ainsi rédigé :

« S’il n’est pas possible de procéder à une arrestation soit en raison d’une décision de refus prise par un État membre requis conformément aux procédures relatives à l’apposition d’un indicateur de validité prévues aux articles 24 et 25, soit parce que, dans le cas d’un signalement en vue d’une arrestation aux fins d’extradition, une enquête n’est pas encore terminée, l’État membre requis doit traiter le signalement comme étant un signalement aux fins de communication du lieu où se trouve la
personne concernée. »

16 L’article 31, paragraphe 1, de la même décision précise :

« Un signalement introduit dans le SIS II conformément à l’article 26, associé aux données complémentaires visées à l’article 27, constitue et produit les mêmes effets qu’un mandat d’arrêt européen émis conformément à la décision-cadre [2002/584], lorsque celle-ci s’applique. »

Les antécédents du litige

17 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 20 de l’ordonnance attaquée. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure en référé, être résumés comme suit.

18 MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres ainsi que Mme Ponsatí i Obiols étaient, respectivement, président de la Generalitat de Cataluña (Généralité de Catalogne, Espagne) et membres du Gobierno autonómico de Cataluña (gouvernement autonome de Catalogne, Espagne) au moment de l’adoption de la Ley 19/2017 del Parlamento de Cataluña, reguladora del referéndum de autodeterminación (loi 19/2017 du Parlement de Catalogne, portant réglementation du référendum d’autodétermination), du 6 septembre
2017 (DOGC no 7449A, du 6 septembre 2017, p. 1), et de la Ley 20/2017 del Parlamento de Cataluña, de transitoriedad jurídica y fundacional de la República (loi 20/2017 du Parlement de Catalogne, de transition juridique et constitutive de la République), du 8 septembre 2017 (DOGC no 7451A, du 8 septembre 2017, p. 1), ainsi que de la tenue, le 1er octobre 2017, du référendum d’autodétermination prévu par la première de ces deux lois, dont les dispositions avaient, dans l’intervalle, été suspendues
par une décision du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne).

19 À la suite de l’adoption desdites lois et de la tenue de ce référendum, le Ministerio fiscal (ministère public, Espagne), l’Abogado del Estado (avocat de l’État, Espagne) et le Partido político VOX (parti politique VOX) ont engagé une procédure pénale contre plusieurs personnes, dont les requérants, en considérant que celles-ci auraient commis des faits relevant, notamment, d’infractions de « sédition ».

20 Les requérants ont, par la suite, présenté leur candidature aux élections des membres du Parlement européen. Le 13 juin 2019, la Junta Electoral Central (Commission électorale centrale, Espagne) a adopté la décision proclamant les candidats élus au Parlement lors des élections du 26 mai 2019, parmi lesquels figuraient MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

21 Le 17 juin 2019, la Commission électorale centrale a refusé aux requérants la possibilité de prêter le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole requis par le droit espagnol et a notifié au Parlement la liste des candidats élus en Espagne, dans laquelle ne figuraient pas MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres. Le 27 juin 2019, le président du Parlement a informé ceux-ci qu’il n’était pas en mesure de les traiter comme de futurs membres du Parlement.

22 Des mandats d’arrêt européens ont été émis par le juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) contre M. Puigdemont i Casamajó le 14 octobre 2019 et contre M. Comín i Oliveres ainsi que Mme Ponsatí i Obiols le 4 novembre 2019.

23 Le 10 janvier 2020, le président de la deuxième chambre du Tribunal Supremo (Cour suprême) a transmis au Parlement une demande, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de la chambre pénale du Tribunal Supremo (Cour suprême), ayant pour objet la levée de l’immunité parlementaire de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

24 Lors de la session plénière du 13 janvier 2020, le Parlement a pris acte, à la suite de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), de l’élection en tant que députés de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres, avec effet au 2 juillet 2019.

25 Le 16 janvier 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière les demandes de levée d’immunité de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres et les a renvoyées à la commission compétente, à savoir la commission des affaires juridiques du Parlement (ci-après la « commission JURI »).

26 Le 4 février 2020, le président de la deuxième chambre du Tribunal Supremo (Cour suprême) a transmis au Parlement une demande, découlant d’une ordonnance du même jour du juge d’instruction de la chambre pénale de cette juridiction, ayant pour objet la levée de l’immunité de Mme Ponsatí i Obiols.

27 Le 10 février 2020, le Parlement a, à la suite du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne, qui est intervenu le 31 janvier 2020, pris acte de l’élection de Mme Ponsatí i Obiols en tant que députée avec effet au 1er février 2020.

28 Le 13 février 2020, le vice-président du Parlement a communiqué en séance plénière la demande de levée d’immunité de Mme Ponsatí i Obiols et l’a renvoyée à la commission JURI.

29 Après que les requérants ont présenté leurs observations au Parlement et ont été entendus par la commission JURI, celle-ci a, le 23 février 2021, adopté les rapports A 9-0020/2021, A 9-0021/2021 et A 9-0022/2021, concernant les demandes de levée d’immunité des requérants. Par les décisions litigieuses, le Parlement a levé l’immunité des requérants fondée sur l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 266,
ci-après le « protocole sur les privilèges et immunités de l’Union »).

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

30 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mai 2021, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions litigieuses.

31 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 26 mai 2021, les requérants ont introduit une demande en référé tendant au sursis à l’exécution des décisions litigieuses.

32 Par l’ordonnance du 2 juin 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le vice-président du Tribunal a ordonné le sursis à l’exécution des décisions litigieuses jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé introduite devant le Tribunal.

33 Par décision du 24 juin 2021, le vice-président du Tribunal a admis le Royaume d’Espagne à intervenir au soutien des conclusions du Parlement.

34 Par l’ordonnance attaquée, le vice-président du Tribunal a rejeté la demande en référé introduite par les requérants.

35 À cette fin, au point 38 de cette ordonnance, le vice-président du Tribunal a estimé qu’il convenait d’examiner si la condition relative à l’urgence était remplie.

36 À cet égard, en premier lieu, il a jugé, au point 42 de l’ordonnance attaquée, qu’il convenait de ne se référer qu’aux effets objectifs des décisions litigieuses, déterminés au regard du contenu de celles-ci, et que le prétendu manque de clarté de ces décisions ne pouvait suffire à établir la gravité et le caractère irréparable du préjudice allégué par les requérants.

37 En deuxième lieu, le vice-président du Tribunal a considéré, au point 43 de cette ordonnance, que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir d’un prétendu risque d’être arrêtés lors d’un déplacement visant à participer à une session parlementaire à Strasbourg (France) ou à en revenir, dans la mesure où un tel déplacement relève de l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union, dont les requérants bénéficient encore.

38 En troisième lieu, le vice-président du Tribunal a examiné si la condition relative à l’urgence pouvait être regardée comme étant satisfaite du fait, d’une part, de l’existence alléguée d’un risque d’arrestation imminente des requérants, résultant de l’effet conjugué des décisions litigieuses, et, d’autre part, des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants ainsi que des signalements concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise dont font l’objet les
requérants (ci-après les « signalements au SIS II »).

39 Au point 45 de l’ordonnance attaquée, le vice-président du Tribunal a souligné que les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution ont, notamment, la possibilité, dans les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la décision-cadre 2002/584, de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et que la personne recherchée peut ne pas consentir à sa remise, de sorte qu’il revient à l’autorité judiciaire d’exécution de se prononcer sur l’exécution du mandat d’arrêt européen. Il en a déduit
que la réalisation du préjudice invoqué par les requérants dépendait de la survenance de multiples facteurs.

40 Au point 46 de l’ordonnance attaquée, le vice-président du Tribunal a constaté que les requérants n’avaient pas démontré que leur arrestation ou, a fortiori, leur remise aux autorités espagnoles seraient prévisibles avec un degré de probabilité suffisant.

41 À cet égard, il a estimé, au point 47 de cette ordonnance, que les requérants n’avaient apporté aucun élément démontrant que les autorités judiciaires d’exécution, et notamment celles de leur État membre de résidence, à savoir le Royaume de Belgique, entendaient exécuter les mandats d’arrêt européens délivrés c ontre eux d’une manière telle que le préjudice allégué pourrait se réaliser de façon suffisamment probable.

42 Après s’être référé, aux points 48 à 50 de l’ordonnance attaquée, à l’absence de démarches menées par des autorités judiciaires d’exécution après l’adoption des décisions litigieuses et aux mesures prises par les autorités belges, le vice-président du Tribunal a précisé, aux points 51 et 53 de cette ordonnance, que le Tribunal Supremo (Cour suprême) avait introduit une demande de décision préjudicielle devant la Cour au titre de l’article 267 TFUE, enregistrée sous la référence C‑158/21, qui
entraînait la suspension de la procédure nationale jusqu’à ce que la Cour ait statué. Il en a déduit, au point 53 de ladite ordonnance, que l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants était suspendue.

43 En outre, le vice-président du Tribunal a estimé, au point 55 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient apporté aucun élément remettant en cause le constat selon lequel cette exécution était suspendue et que, en particulier, la circonstance que le Royaume d’Espagne n’avait pas supprimé les signalements au SIS II était sans influence sur ce constat.

44 Au vu de l’ensemble de ces considérations, le vice-président du Tribunal a conclu, au point 58 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient pas démontré que la condition relative à l’urgence était satisfaite dès lors que, en l’état, le dommage grave et irréparable invoqué par ceux-ci n’apparaissait pas pouvoir être qualifié de préjudice certain ou établi avec un degré de probabilité suffisant.

Les conclusions des parties

Les conclusions du pourvoi

45 Les requérants demandent à la Cour :

– d’annuler l’ordonnance attaquée ;

– de suspendre les décisions litigieuses dans l’attente d’une décision sur le recours introduit dans l’affaire T-272/21 ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de réserver les dépens.

46 Le Parlement demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérants aux dépens afférents à la procédure en référé devant le Tribunal ainsi qu’à la procédure de pourvoi.

47 Le Royaume d’Espagne demande à la Cour :

– de constater l’irrecevabilité du pourvoi en ce qu’il inclut des faits postérieurs à l’ordonnance attaquée ou sollicite un réexamen indu ;

– de rejeter le pourvoi, en substituant les motifs de l’ordonnance attaquée en ce qui concerne son point 43 et la première phrase de son point 52 ;

– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi, et

– de condamner les requérants aux dépens.

Les conclusions du pourvoi incident

48 Par son pourvoi incident, le Royaume d’Espagne demande à la Cour de supprimer la motivation figurant au point 43 de l’ordonnance attaquée.

49 Les requérants demandent à la Cour :

– de déclarer irrecevable le pourvoi incident ;

– à titre subsidiaire, de rejeter ce pourvoi, et

– de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

50 Le Parlement demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi incident comme étant irrecevable et

– de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens afférents à ce pourvoi.

Sur le pourvoi

51 À l’appui de leur pourvoi, les requérants invoquent deux moyens tirés d’erreurs de droit que le vice-président du Tribunal aurait commises, d’une part, en ignorant qu’un dommage grave et irréparable était susceptible de se produire avant toute décision finale sur l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants et, d’autre part, en concluant que le dommage allégué n’était pas prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

52 Par ailleurs, le Royaume d’Espagne et le Parlement demandent à la Cour de procéder à une substitution de motifs.

Sur la recevabilité du pourvoi

Argumentation

53 Le Royaume d’Espagne conteste, à titre liminaire, la recevabilité du pourvoi.

54 Il fait valoir à cet égard, premièrement, que les requérants se prévalent de faits postérieurs à l’ordonnance attaquée qui ne sauraient être valablement invoqués dans le cadre de ce pourvoi. Deuxièmement, il soutient que les demandes des requérants dépassent l’objet d’une procédure en référé, en tant qu’elles visent à obtenir la suspension des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants. Troisièmement, certains arguments des requérants auraient pour objet de remettre en cause des
appréciations de fait opérées par le vice-président du Tribunal. Quatrièmement, dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’ordonnance attaquée, elle devrait renvoyer l’affaire d evant le Tribunal dans la mesure où celui-ci n’a examiné que l’une des trois conditions auxquelles est subordonné l’octroi de mesures provisoires.

Appréciation

55 Il importe de relever, en premier lieu, que les arguments du Royaume d’Espagne relatifs à l’invocation de faits postérieurs à l’ordonnance attaquée et à la contestation d’appréciations de fait opérées par le vice-président du Tribunal visent non pas l’ensemble du pourvoi, mais seulement certains des arguments avancés à l’appui de celui-ci.

56 Dans ces conditions, ces arguments du Royaume d’Espagne ne sont, en tout état de cause, pas susceptibles de justifier l’irrecevabilité du présent pourvoi dans son ensemble.

57 En deuxième lieu, dès lors que les conclusions du pourvoi tendent uniquement à l’annulation de l’ordonnance attaquée et, le cas échéant, au sursis à l’exécution des décisions litigieuses, il ne saurait être considéré que celui-ci vise à obtenir de la Cour la suspension des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants.

58 En troisième lieu, à supposer même que, comme le soutient le Royaume d’Espagne, le présent litige ne soit pas en état d’être jugé en cas d’annulation de l’ordonnance attaquée, cette circonstance impliquerait, conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que l’affaire devrait, dans ce cas, être renvoyée devant le Tribunal. En revanche, ladite circonstance ne saurait entraîner l’irrecevabilité du pourvoi introduit par les requérants.

59 En conséquence, il n’y a pas lieu de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable dans son ensemble.

Sur le premier moyen

Argumentation

60 Par leur premier moyen, les requérants soutiennent que le vice-président du Tribunal a commis une erreur de droit en ignorant qu’un dommage grave et irréparable était susceptible de se produire avant toute décision finale sur l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre eux.

61 À titre principal, les requérants font ainsi valoir que plusieurs points de l’ordonnance attaquée sont basés sur la supposition selon laquelle seule la remise des requérants au Royaume d’Espagne constituerait un dommage grave et irréparable.

62 Ainsi, le vice-président du Tribunal n’aurait pris en compte, au point 45 de l’ordonnance attaquée, que le dommage pouvant résulter d’une remise des requérants aux autorités espagnoles. Or, un dommage grave et irréparable se produirait déjà en cas d’arrestation des requérants et de maintien en détention de ceux-ci, même pour une durée limitée, d’autant plus qu’un tel risque existerait à chaque déplacement sur le territoire d’un État membre. L’arrestation des requérants pourrait avoir lieu en vue
d’exécuter les mandats d’arrêt européens émis contre eux ou sur le fondement des signalements au SIS II. En outre, leur maintien en détention pourrait par la suite être ordonné par l’autorité judiciaire d’exécution, en application de l’article 12 de la décision-cadre 2002/584. L’arrestation et la détention de M. Puigdemont i Casamajó intervenue en Sardaigne (Italie) le 23 septembre 2021 témoigneraient du bien-fondé de l’argumentation des requérants.

63 Les points 47 à 49, 56 et 57 de l’ordonnance attaquée seraient également fondés sur le présupposé selon lequel l’arrestation des requérants ne pourrait pas constituer un préjudice grave et irréparable. De même, au point 60 de cette ordonnance, une telle arrestation serait décrite comme un exemple d’une situation dans laquelle le dommage allégué pourrait survenir et non comme une situation dans laquelle ce dommage est déjà intervenu.

64 À titre subsidiaire, les requérants avancent que les constatations relatives à la décision-cadre 2002/584 opérées au point 45 de l’ordonnance attaquée ne sont pas de nature à établir que le dommage découlant d’une éventuelle arrestation des requérants dépendait de multiples facteurs.

65 Le Parlement et le Royaume d’Espagne concluent au rejet du premier moyen.

66 Le Parlement soutient, à titre liminaire, que ce moyen s’appuie, pour partie, sur des arguments qui doivent être rejetés comme étant irrecevables en tant qu’ils reposent sur des faits postérieurs à l’ordonnance attaquée ou qu’ils visent à contester des appréciations de fait opérées par le vice-président du Tribunal. Le Royaume d’Espagne fait également valoir que les appréciations contestées du vice-président du Tribunal se rapportent à l’appréciation d’éléments de preuve.

67 En outre, le premier moyen serait fondé sur une lecture erronée de l’ordonnance attaquée, dans la mesure où le vice-président du Tribunal n’aurait pas pris position sur la question de savoir si l’arrestation des requérants ou leur remise aux autorités espagnoles devait être qualifiée de « préjudice grave et irréparable ». Le vice-président du Tribunal aurait d’ailleurs jugé, à juste titre, que la réalisation du préjudice allégué par les requérants dépendait de multiples facteurs. En effet, les
décisions litigieuses ne constitueraient pas la cause déterminante de ce préjudice.

68 Le Royaume d’Espagne propose d’interpréter le point 45 de l’ordonnance attaquée comme indiquant que les décisions litigieuses ne constituent pas la cause déterminante du préjudice allégué par les requérants. Ce préjudice découlerait en réalité de leur décision de fuir l’Espagne et de mesures nationales adoptées en conséquence de cette décision.

Appréciation

69 Il convient, à titre liminaire, d’examiner les arguments du Parlement et du Royaume d’Espagne visant à contester la recevabilité du premier moyen.

70 D’une part, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve qui lui sont soumis. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur
dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi [voir, par analogie, ordonnance du vice-président de la Cour du 30 novembre 2021, Land Rheinland-Pfalz/Deutsche Lufthansa, C‑466/21 P‑R, non publiée, EU:C:2021:972, point 43 et jurisprudence citée].

71 En l’espèce, l’argumentation soutenue à titre principal par les requérants à l’appui de leur premier moyen vise à établir que l’ordonnance attaquée est entachée d’une erreur de qualification juridique des faits en ce que le vice-président du Tribunal aurait considéré que leur éventuelle arrestation ne constituerait pas un préjudice grave et irréparable. À titre subsidiaire, les requérants font en substance valoir que le vice-président du Tribunal s’est mépris, en raison d’une interprétation
erronée de la décision-cadre 2002/584, sur les effets conférés par cette décision-cadre à un mandat d’arrêt européen tel que ceux émis contre eux.

72 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter l’argument selon lequel le premier moyen doit être regardé comme étant irrecevable en tant qu’il vise à remettre en cause des appréciations de fait opérées par le vice-président du Tribunal.

73 D’autre part, selon une jurisprudence constante de la Cour, dès lors que, dans le cadre d’un pourvoi, le contrôle de la Cour est limité à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges, une partie ne saurait soulever pour la première fois devant la Cour des moyens ou des arguments qu’elle n’a pas invoqués devant le Tribunal [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 17 décembre 2020, Anglo Austrian AAB et
Belegging-Maatschappij Far-East /BCE, C‑207/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:1057, point 72 ainsi que jurisprudence citée].

74 Partant, les requérants ne peuvent valablement se prévaloir devant la Cour d’arguments fondés sur des faits postérieurs à l’adoption de l’ordonnance attaquée. Il s’ensuit que l’argument selon lequel l’arrestation et la détention de M. Puigdemont i Casamajó intervenues en Sardaigne démontrent la réalité du risque auquel les requérants sont exposés doit être écarté comme étant irrecevable.

75 S’agissant de l’examen au fond du premier moyen, il convient de rappeler, ainsi que l’a souligné le vice-président du Tribunal aux points 39 et 40 de l’ordonnance attaquée, que la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin
d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit causé à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir un préjudice de cette nature. S’il est exact que, pour établir l’existence de ce préjudice, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit
prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 16 juillet 2021, Symrise/ECHA, C‑282/21 P(R), non publiée, EU:C:2021:631, point 40 et jurisprudence citée].

76 En vue d’apprécier si la condition relative à l’urgence était satisfaite, le vice-président du Tribunal a, au point 45 de l’ordonnance attaquée, relevé que la réalisation du « préjudice invoqué par les requérants » dépendait de la survenance de multiples facteurs.

77 Il ressort explicitement du point 41 de cette ordonnance que le préjudice invoqué par les requérants devant le Tribunal résultait, selon ces derniers, du risque qu’ils soient arrêtés et remis aux autorités espagnoles. En outre, le point 44 de ladite ordonnance présente l’argumentation des requérants relative à ce préjudice comme étant fondée sur le fait qu’il ne pouvait être exclu qu’ils puissent faire l’objet d’une arrestation imminente.

78 Dans ce contexte, le point 45 de la même ordonnance doit être compris comme affirmant que l’arrestation et la remise des requérants aux autorités espagnoles étaient subordonnées à la réunion de plusieurs facteurs.

79 En opérant un tel constat, le vice-président du Tribunal n’a donc aucunement exclu qu’une éventuelle arrestation des requérants puisse leur causer un préjudice grave et irréparable.

80 Il s’ensuit que l’argumentation présentée à titre principal à l’appui du premier moyen repose, en tant qu’elle vise le point 45 de l’ordonnance attaquée, sur une lecture erronée de cette ordonnance et doit, pour ce motif, être écartée.

81 Il en va de même en tant que cette argumentation porte sur les points 47 à 49, 56 et 57 de ladite ordonnance, dès lors qu’il résulte du point 46 de celle-ci que ces points visent notamment à établir que les requérants n’ont pas démontré que leur arrestation était prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

82 En revanche, il apparaît que le point 60 de l’ordonnance attaquée contredit le raisonnement retenu aux points 44 à 58 de celle-ci, en présentant une éventuelle arrestation des requérants comme étant un élément indiquant non pas que le préjudice allégué est réalisé, mais seulement que la réalisation de ce préjudice est suffisamment probable.

83 Pour autant, l’erreur ainsi commise par le vice-président du Tribunal doit être regardée comme étant inopérante. En effet, le point 60 de l’ordonnance attaquée présente un caractère surabondant, dans la mesure où il vise non pas à justifier la décision de rejeter la demande en référé, exposée au point 59 de cette ordonnance, mais simplement à rappeler aux requérants que cette décision est sans préjudice de leur faculté de présenter une nouvelle demande en référé fondée sur des faits nouveaux.

84 En conséquence, l’argumentation présentée à titre principal à l’appui du premier moyen doit être rejetée comme étant, pour partie, non fondée et, pour partie, inopérante.

85 S’agissant de l’argumentation présentée à titre subsidiaire à l’appui de ce moyen, il convient de relever que, en vue de constater, au point 45 de l’ordonnance attaquée, que la réalisation du préjudice invoqué par les requérants dépendait de la survenance de multiples facteurs, le vice-président du Tribunal s’est fondé, d’une part, sur le pouvoir dont disposent les autorités judiciaires de l’État membre d’exécution de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et, d’autre part, sur le fait
que la remise de la personne recherchée est subordonnée à l’intervention d’une décision de ces autorités dans le cas où cette personne ne consent pas à sa remise.

86 Dans la mesure où le point 45 de l’ordonnance attaquée se réfère ainsi exclusivement à certains mécanismes prévus par la décision-cadre 2002/584, il ne saurait, contrairement à ce que soutiennent le Parlement et le Royaume d’Espagne, être compris comme constatant que les mesures nationales adoptées par cet État membre, et non les décisions litigieuses, constituent la cause déterminante du préjudice allégué par les requérants.

87 Au contraire, il ressort du point 78 de la présente ordonnance que le point 45 de l’ordonnance attaquée doit être lu comme affirmant notamment que les mécanismes prévus par la décision-cadre 2002/584, que ce point mentionne, impliquent que la survenance de l’arrestation des requérants dépend d’autres facteurs que la levée de leur immunité parlementaire résultant des décisions litigieuses.

88 Or, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision-cadre que le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre « en vue de l’arrestation et de la remise » par un autre État membre d’une personne recherchée.

89 En outre, il découle de l’article 11, paragraphe 1, et de l’article 17, paragraphe 3, de ladite décision-cadre que la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen fait normalement suite à l’arrestation de la personne recherchée par les autorités de l’État membre d’exécution.

90 Cette interprétation est corroborée par la règle énoncée à l’article 12 de la même décision-cadre, aux termes duquel, lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de « la maintenir en détention ».

91 Il résulte, de surcroît, de l’article 12 et de l’article 17, paragraphe 5, de la décision-cadre 2002/584 que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution décide de mettre fin à la détention de la personne recherchée, il lui appartient d’assortir la mise en liberté provisoire de cette personne de toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter sa fuite et de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à sa remise effective restent réunies aussi longtemps qu’aucune décision
définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen n’est prise (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 63).

92 La décision sur la remise, à laquelle se réfère le point 45 de l’ordonnance attaquée, intervient quant à elle, conformément aux articles 15 et 17 de la décision-cadre 2002/584, à l’issue de la procédure d’exécution de ce mandat d’arrêt, soit postérieurement à l’arrestation de la personne recherchée ainsi qu’à l’adoption des décisions relatives à son maintien en détention ou à sa libération provisoire.

93 Partant, le vice-président du Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les pouvoirs des autorités judiciaires d’exécution visés à ce point 45 permettaient d’établir que l’arrestation des requérants dépendait de la survenance de multiples facteurs.

94 Il y a donc lieu d’accueillir le premier moyen en tant qu’il se rapporte au point 45 de l’ordonnance attaquée.

95 Cela étant, les motifs figurant aux points 46 à 57 de l’ordonnance attaquée étant également de nature à justifier le dispositif de celle-ci, le constat de l’erreur de droit entachant le point 45 de cette ordonnance n’implique pas, à lui seul, l’annulation de ladite ordonnance. Il s’ensuit qu’il convient d’examiner le second moyen du pourvoi.

Sur le second moyen

Argumentation

96 Le second moyen est divisé en cinq branches. Il convient, d’emblée, d’examiner conjointement les trois premières branches de ce moyen.

97 Par la première branche dudit moyen, les requérants soutiennent que l’existence de signalements au SIS II suffisait à conclure qu’ils étaient confrontés à un risque réel d’être arrêtés et de subir, de ce fait, un dommage grave et irréparable. Selon eux, les services de police des États membres n’ayant pas apposé, en application de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2007/533, un indicateur de validité sur les signalements au SIS II en cause procéderont, en effet, à une telle arrestation.
Le vice-président du Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en écartant, au point 55 de l’ordonnance attaquée, la pertinence des signalements au SIS II.

98 Par la deuxième branche du second moyen, les requérants font valoir que le vice-président du Tribunal a imposé un niveau de preuve trop élevé en exigeant qu’ils apportent des preuves de l’intention des États membres de procéder à leur arrestation, alors qu’il était établi qu’ils faisaient l’objet de signalements au SIS II. En effet, la seule « démarche » que les États membres pourraient entreprendre pour exécuter ces signalements serait précisément d’arrêter les requérants.

99 Par la troisième branche du second moyen, les requérants avancent que la circonstance que l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre eux est suspendue ne remet pas en cause le caractère probable du risque de réalisation du préjudice allégué. Le vice-président du Tribunal se serait fondé sur ce que devraient faire les autorités espagnoles, alors qu’il aurait dû se baser sur ce qu’elles ont effectivement fait. Or, même si ces autorités auraient dû suspendre les signalements au SIS II, le
fait que ces derniers étaient toujours actifs suffirait à établir le caractère probable de la réalisation du préjudice allégué. Des communications du juge d’instruction du Tribunal Supremo (Cour suprême) aux autorités françaises et italiennes confirmeraient cette analyse.

100 Le Parlement et le Royaume d’Espagne concluent au rejet du second moyen, pris dans ses trois premières branches.

101 Selon le Parlement, les trois premières branches de ce moyen doivent être déclarées irrecevables, à tout le moins en partie, en tant que, tout d’abord, elles visent à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ensuite, elles remettent en cause des appréciations de fait opérées par le vice-président du Tribunal et, enfin, elles s’appuient sur des circonstances de fait qui n’ont pas été présentées en première instance. De surcroît, les première et troisième branches
dudit moyen ne viseraient pas des points de l’ordonnance attaquée auxquels elles se rapportent.

102 Le Royaume d’Espagne soutient que les requérants ne se sont pas appuyés, dans la demande en référé, sur les signalements au SIS II ou sur la nécessité de tenir compte du risque qu’ils soient arrêtés dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, le Royaume d’Espagne ou la République française. Partant, il estime que les arguments fondés sur ces signalements ou sur ce risque doivent, de ce fait, être rejetés comme étant irrecevables. La même solution devrait être retenue en ce qui concerne
les arguments basés sur les communications du juge d’instruction du Tribunal Supremo (Cour suprême), dont les requérants se prévalent.

103 Le Royaume d’Espagne avance, en outre, que les règles invoquées par les requérants ne sont pas de nature à infirmer le constat du vice-président du Tribunal selon lequel la suspension, par les autorités belges, de l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants permet d’écarter le risque qu’ils soient remis aux autorités espagnoles.

104 Par ailleurs, le Parlement et le Royaume d’Espagne estiment que le vice-président du Tribunal n’a pas appliqué un standard de preuve trop exigeant et qu’il s’est, au contraire, contenté d’appliquer la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle le préjudice allégué doit être prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

105 En tout état de cause, le Parlement fait valoir que les première et deuxième branches du second moyen sont inopérantes, dès lors que les requérants ne contestent pas les considérations du vice-président du Tribunal relatives à la suspension de la procédure pénale menée en Espagne, alors que ces considérations sont suffisantes pour justifier le rejet de la demande en référé.

Appréciation

106 S’agissant des arguments du Parlement et du Royaume d’Espagne tendant à contester la recevabilité des trois premières branches du second moyen, il convient, en premier lieu, de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE, à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de
l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont seraient entachés l’arrêt ou l’ordonnance attaqués, se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir
un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour [ordonnance du vice-président de la Cour du 10 janvier 2018, Commission/RW, C‑442/17 P(R), non publiée, EU:C:2018:6, point 66 et jurisprudence citée].

107 En l’espèce, il apparaît que, par les trois premières branches du second moyen, les requérants identifient plusieurs erreurs dont serait entachée l’ordonnance attaquée et présentent une série d’arguments juridiques visant à établir la réalité de ces erreurs. Il s’ensuit que ces trois premières branches ne sauraient être regardées comme visant à obtenir un simple réexamen de la demande en référé présentée devant le Tribunal.

108 Doit également être écarté l’argument du Parlement selon lequel les première et troisième branches du second moyen devraient être déclarées irrecevables au motif qu’elles ne visent pas de points précis de l’ordonnance attaquée.

109 D’une part, il ressort sans ambiguïté du pourvoi que la première branche du second moyen remet en cause l’appréciation du vice-président du Tribunal, exprimée aux points 46 à 57 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle le dommage allégué par les requérants n’était pas prévisible avec un degré de probabilité suffisant, même si ceux-ci faisaient l’objet d’un signalement au SIS II.

110 D’autre part, il découle clairement du pourvoi que la troisième branche du second moyen se rapporte aux points 52 à 56 de l’ordonnance attaquée, dans lesquels le vice-président du Tribunal a exposé les effets devant être reconnus à la suspension de la procédure pénale engagée en Espagne.

111 En deuxième lieu, si la Cour ne peut, ainsi qu’il a été rappelé au point 70 de la présente ordonnance, remettre en cause, lors de l’examen d’un pourvoi, l’appréciation des faits et des éléments de preuve retenue par le Tribunal, les trois premières branches du second moyen ne sauraient être considérées comme visant à contester une telle appréciation.

112 D’une part, par les première et troisième branches de ce moyen, les requérants critiquent l’application, par le vice-président du Tribunal, de l’exigence tenant au caractère suffisamment probable du dommage allégué en vue d’établir l’urgence. Une telle argumentation, qui ne remet pas en cause les faits établis dans l’ordonnance attaquée, doit être regardée comme portant sur la qualification juridique de ces faits au regard des critères régissant l’application de la notion d’urgence dans le cadre
des procédures de référé [voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 29 mars 2012, Golnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:199, point 27].

113 D’autre part, la deuxième branche du second moyen vise à contester le niveau de preuve qui a été imposé aux requérants dans la démonstration du caractère suffisamment probable du dommage invoqué par ceux-ci. Or, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la méconnaissance alléguée des règles applicables en matière de preuve constitue une question de droit qui est recevable au stade du pourvoi (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P,
EU:C:2008:392, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

114 En troisième lieu, il ressort de la jurisprudence citée au point 73 de la présente ordonnance qu’une partie ne saurait soulever pour la première fois devant la Cour des moyens ou des arguments qu’elle n’a pas invoqués devant le Tribunal.

115 Dès lors, les arguments des parties fondés sur l’arrestation et la détention de M. Puigdemont i Casamajó intervenues en Sardaigne ainsi que sur les communications du juge d’instruction du Tribunal Supremo (Cour suprême) mentionnées au point 99 de la présente ordonnance doivent être écartés comme étant irrecevables, en tant que ces arguments n’ont pas été présentés en première instance.

116 En revanche, il ne saurait être considéré que les arguments tirés de l’existence de signalements au SIS II et de la nécessité de tenir compte du risque que les requérants soient arrêtés dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, le Royaume d’Espagne ou la République française ont été présentés pour la première fois devant la Cour. En effet, dans leur demande en référé, les requérants s’étaient prévalus, à plusieurs reprises, des effets prévisibles des signalements au SIS II et avaient
mentionné, à deux reprises, le risque d’être arrêtés par les autorités de n’importe quel État membre de l’Union. La réalité de ce risque avait, de surcroît, été exposée plus en détails dans les observations formulées par les requérants, en première instance, sur le mémoire en intervention du Royaume d’Espagne.

117 Il y a donc lieu d’apprécier le bien-fondé des trois premières branches du second moyen.

118 Il ressort des points 46 à 57 de l’ordonnance attaquée que le vice-président du Tribunal a considéré que l’existence de mandats d’arrêt européens émis contre les requérants et des signalements au SIS II ne suffisaient pas à établir que l’arrestation de ceux-ci était prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

119 En particulier, après avoir examiné les mesures adoptées par les autorités belges pour donner suite aux mandats d’arrêt européens émis contre les requérants et après avoir estimé que l’exécution de ces mandats d’arrêt européens était suspendue, le vice-président du Tribunal a considéré, au point 55 de l’ordonnance attaquée, que la circonstance avancée par les requérants que le Royaume d’Espagne n’avait pas supprimé les signalements au SIS II n’était pas de nature à démontrer que la procédure
pénale en cause n’était pas suspendue.

120 Sur la base, notamment, de ces appréciations, le vice-président du Tribunal a jugé, au point 58 de ladite ordonnance, que le préjudice invoqué par les requérants n’apparaissait pas pouvoir être qualifié de préjudice certain ou établi avec un degré de probabilité suffisant et que, partant, les requérants n’étaient pas parvenus à démontrer que la condition relative à l’urgence était satisfaite.

121 Or, ainsi que le font valoir les requérants, l’existence, dans le SIS II, de signalements concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise emporte en principe, par elle-même, une obligation de procéder à l’arrestation des personnes visées par de tels signalements.

122 En effet, il ressort de l’article 31, paragraphe 1, de la décision 2007/533, relatif à l’exécution de la conduite à tenir demandée dans un tel signalement, lu en combinaison avec l’article 27 de cette décision, qu’un signalement de cet ordre, assorti de la copie du mandat d’arrêt européen sur lequel il est fondé, constitue et produit les mêmes effets qu’un mandat d’arrêt européen émis conformément à la décision-cadre 2002/584, lorsque celle-ci s’applique.

123 En outre, l’article 24, paragraphe 1, de la décision 2007/533 prévoit que, si un État membre estime qu’un signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise n’est pas compatible avec son droit national, ses obligations internationales ou des intérêts nationaux essentiels, il peut exiger que soit apposé sur ce signalement un indicateur de validité visant à ce que l’exécution de la conduite à tenir en raison de ce signalement n’ait pas lieu sur son
territoire.

124 Lorsque la décision-cadre 2002/584 s’applique, un tel indicateur de validité ne peut, conformément à l’article 25 de la décision 2007/533, être apposé sur un signalement au SIS II que si l’autorité judiciaire d’exécution a refusé l’exécution du mandat d’arrêt européen auquel se rapporte ce signalement ou si une autorité judiciaire compétente a demandé l’apposition de cet indicateur de validité soit sur la base d’une instruction générale soit si, dans un cas particulier, il est évident que
l’exécution de ce mandat d’arrêt européen devra être refusée.

125 Il résulte, par ailleurs, de l’article 30 de la décision 2007/533 que, dans le cas où le signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise a été émis sur la base d’un mandat d’arrêt européen, le législateur de l’Union n’a envisagé qu’il n’était pas possible de procéder à une arrestation que dans le cas où un indicateur de validité a été apposé conformément aux procédures prévues aux articles 24 et 25 de cette décision.

126 Il s’ensuit que, sauf à établir un défaut systématique d’effectivité de ladite décision ou l’apposition d’un indicateur de validité par chacun des États membres dans lesquels la personne concernée est susceptible de se rendre, circonstances qui n’ont pas été constatées dans l’ordonnance attaquée, l’existence, dans le SIS II, d’un signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise implique, par elle-même, une forte probabilité d’arrestation de cette
personne.

127 Dès lors que, ainsi qu’il a été rappelé au point 75 de la présente ordonnance, dans le cadre d’une procédure en référé, la condition relative à l’urgence peut être satisfaite sans que la survenance et l’imminence du préjudice allégué soient établies avec une certitude absolue, la réalisation d’un préjudice allégué résultant d’une arrestation des personnes visées par le signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise doit, en principe, dans une telle
situation, être regardée comme étant prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

128 Partant, dans cette situation, le juge des référés ne peut valablement exiger des personnes visées par ce signalement qu’elles apportent des preuves supplémentaires afin d’établir la prévisibilité de leur arrestation.

129 En particulier, contrairement à ce qu’a jugé le vice-président du Tribunal au point 47 de l’ordonnance attaquée, il ne saurait être attendu de ces personnes qu’elles démontrent que des autorités nationales d’exécution entendent se conformer à leurs obligations résultant du droit de l’Union.

130 La circonstance qu’une autorité judiciaire d’un État membre n’ait pas, durant une période déterminée, donné suite à un mandat d’arrêt européen émis contre lesdites personnes, ainsi que l’a constaté le vice-président du Tribunal en ce qui concerne les requérants aux points 48 à 50 de l’ordonnance attaquée, n’est pas non plus de nature à rendre insuffisamment probable une arrestation des mêmes personnes.

131 En effet, d’une part, en l’absence d’une décision définitive, cette circonstance ne permet aucunement d’établir que cette autorité judiciaire ne se conformera pas finalement à ses obligations résultant du droit de l’Union. D’autre part, ladite circonstance ne donne aucune indication quant à l’attitude qui sera adoptée par les autorités d’autres États membres dans lesquels les personnes en cause sont susceptibles de se rendre.

132 Quant à la suspension de l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants, à laquelle renvoient les points 51 à 56 de l’ordonnance attaquée, force est de constater qu’elle est dépourvue de conséquence sur le caractère prévisible de l’arrestation des requérants en application des signalements au SIS II, tant que ceux-ci n’ont pas été retirés par les autorités espagnoles.

133 En outre, à supposer que l’appréciation portée par le vice-président du Tribunal, au point 55 de l’ordonnance attaquée, sur la pertinence des signalements au SIS II doive être lue comme impliquant que le Royaume d’Espagne était tenu de retirer ces signalements à la suite de la demande de décision préjudicielle introduite dans l’affaire C‑158/21, il importe de souligner que le degré de probabilité de survenance d’un préjudice ne peut, au regard de l’objet de la procédure en référé, être apprécié
en postulant que des décisions d’un État membre actuellement applicables seront prochainement retirées par celui-ci.

134 Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que le vice-président du Tribunal a commis une erreur quant à la qualification juridique des faits en jugeant, au point 46 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient pas démontré que leur arrestation serait prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

135 En conséquence, il y a lieu d’accueillir les trois premières branches du second moyen.

136 S’agissant des conséquences des erreurs dont sont entachés les points 45 et 46 de l’ordonnance attaquée, il importe de rappeler qu’il ressort du point 41 de cette ordonnance que les requérants ont invoqué un préjudice découlant de la privation de liberté qui résulterait tant de leur arrestation que de leur remise aux autorités espagnoles.

137 Il s’ensuit que l’appréciation du vice-président du Tribunal figurant au point 58 de cette ordonnance, selon laquelle les requérants ne sont pas parvenus à démontrer que la condition relative à l’urgence était remplie, doit nécessairement reposer sur le rejet de l’allégation des requérants selon laquelle ils sont exposés à un risque prévisible d’arrestation susceptible de leur causer un préjudice grave et irréparable.

138 Dès lors, contrairement à ce que soutient le Parlement, cette appréciation ne saurait être fondée à suffisance de droit sur le constat du vice-président du Tribunal selon lequel le risque que les requérants soient remis aux autorités espagnoles n’est pas établi avec un degré suffisant de probabilité.

139 Dans ces conditions, étant donné que les motifs retenus aux points 42 et 43 de l’ordonnance attaquée ne se rapportent pas au risque que les requérants soient arrêtés dans un État membre autre que la République française, il y a lieu de constater que les erreurs dont sont entachés les points 45 et 46 de cette ordonnance privent de base suffisante l’appréciation du vice-président du Tribunal figurant au point 58 de ladite ordonnance.

140 Il apparaît, en conséquence, nécessaire de déterminer si les substitutions de motifs proposées respectivement par le Parlement et le Royaume d’Espagne sont susceptibles de fonder le dispositif de l’ordonnance attaquée.

Sur la demande de substitution de motifs du Parlement

Argumentation

141 Le Parlement, soutenu par le Royaume d’Espagne, propose à la Cour de procéder, dans l’hypothèse où elle accueillerait les moyens présentés par les requérants, à une substitution de motifs, en jugeant que le préjudice lié au risque d’arrestation dont ceux-ci se prévalent n’est pas constitutif d’un préjudice grave et irréparable.

142 Il fait valoir, à cet égard, que l’approche proposée par les requérants méconnaîtrait le caractère exceptionnel des mesures provisoires, en permettant d’établir systématiquement que la condition d’urgence est satisfaite dans le cas où l’immunité d’un membre du Parlement qui refuse de coopérer avec les autorités nationales est levée.

143 En outre, l’immunité parlementaire ayant pour objet d’éviter toute entrave au bon fonctionnement du Parlement, les requérants auraient été tenus d’établir que les décisions litigieuses risquaient d’entraver la réalisation de ses missions et que le bon fonctionnement du Parlement s’opposait à toute entrave portée à l’exercice de leur mandat. Or, ceux‑ci n’auraient aucunement établi que les mesures coercitives pouvant être prises par un État membre contre un membre du Parlement porteraient
atteinte à l’indépendance et au bon fonctionnement de cette institution.

144 Les requérants concluent au rejet de la demande de substitution de motifs présentée par le Parlement.

Appréciation

145 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une demande de substitution de motifs soit recevable, elle suppose l’existence d’un intérêt à agir, en ce sens qu’elle doit être susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a présentée. Tel peut être le cas lorsque la demande de substitution de motifs constitue une défense contre un moyen soulevé par la partie requérante (arrêt du 24 février 2022, Bernis e.a./CRU, C‑364/20 P, non publié, EU:C:2022:115, point 37
ainsi que jurisprudence citée).

146 Ainsi qu’il a été rappelé au point 75 de la présente ordonnance, il appartient à la partie qui sollicite la mesure provisoire d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir un préjudice grave et irréparable.

147 Partant, bien que le vice-président du Tribunal ait considéré à tort que l’arrestation des requérants n’était pas prévisible avec un degré de probabilité suffisant, l’appréciation selon laquelle la condition relative à l’urgence n’était pas satisfaite devrait néanmoins être confirmée si cette arrestation n’était pas susceptible de causer aux requérants un préjudice grave et irréparable.

148 La demande de substitution de motifs présentée par le Parlement doit donc être considérée comme étant recevable.

149 Ainsi que l’a relevé à juste titre cette institution, l’immunité des membres du Parlement est accordée exclusivement dans l’intérêt de l’Union. Cette immunité a plus précisément pour objet d’éviter toute entrave au bon fonctionnement de cette institution et donc aux compétences de celle-ci. Par conséquent, un membre du Parlement, confronté à une décision de levée de son immunité, ne saurait utilement invoquer, en tant que préjudice grave et irréparable qui lui serait causé directement par cette
décision, que l’atteinte que ladite décision porterait non seulement à son droit d’exercer librement son mandat, mais également au bon fonctionnement du Parlement [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 29 mars 2012, Golnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:199, point 29].

150 Le risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable a ainsi pu être écarté dans une situation où la levée de l’immunité d’un membre du Parlement était intervenue à un stade précoce d’une procédure pénale engagée contre lui, sans qu’il soit établi que le déroulement actuel ou prévisionnel de cette procédure puisse entraver concrètement l’exercice des missions de ce membre du Parlement, telles que sa participation à des sessions, à des voyages parlementaires ou à la rédaction de rapports,
et que les intérêts liés au bon fonctionnement du Parlement s’opposaient à toute entrave portée à l’exercice de son mandat [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 29 mars 2012, Golnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:199, point 30].

151 Cette solution ne saurait être transposée à une situation dans laquelle la procédure pénale ayant justifié la levée de l’immunité parlementaire a déjà conduit à l’émission, à l’égard des membres concernés du Parlement, de mandats d’arrêt européens et de signalements concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise.

152 En effet, les mesures ainsi adoptées sont de nature, en cas de levée de l’immunité parlementaire, à entraîner, en application de la décision-cadre 2002/584 et de la décision 2007/533, l’arrestation des membres concernés du Parlement et leur maintien en détention, le cas échéant pendant plusieurs semaines, dans l’attente de l’adoption d’une décision sur leur remise.

153 Une telle privation de liberté, qui peut de surcroît se répéter à plusieurs reprises et intervenir dans plusieurs États membres, est susceptible de faire obstacle à la possibilité, pour les membres concernés du Parlement, de réaliser les activités inhérentes à l’exercice de leur mandat, telles que la participation à des voyages parlementaires ou la réalisation de déplacements nécessaires dans le cadre de la rédaction de rapports, et, partant, de porter atteinte au bon fonctionnement du
Parlement. Au regard de la nature des activités d’un député européen et de la vocation de celui-ci à mener ces activités dans l’ensemble de l’Union, l’existence d’un tel obstacle à l’exercice du mandat de membre du Parlement doit être constatée sans que soit exigée de la personne qui s’en prévaut la production d’éléments précis quant aux activités concrètes qu’elle pourrait être amenée à effectuer dans des États membres autres que ceux dans lesquels se déroulent les sessions parlementaires.

154 Il convient d’ajouter que, les membres concernés du Parlement étant, s’il n’était pas sursis à l’exécution des décisions de lever leur immunité dans un tel cas, dans l’impossibilité de poursuivre de manière complète l’exercice de leur fonction de député européen jusqu’au terme de leur mandat, le préjudice ainsi subi présenterait un caractère irréparable (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 31 juillet 2003, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P‑R, EU:C:2003:424, point 102).

155 Partant, il y a lieu de considérer que l’arrestation d’un membre du Parlement et son maintien en détention, le cas échéant pendant plusieurs semaines, dans l’attente de l’adoption d’une décision sur sa remise sont de nature à lui causer un préjudice grave et irréparable.

156 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande de substitution de motifs présentée par le Parlement.

Sur la demande de substitution de motifs du Royaume d’Espagne

Argumentation

157 Le Royaume d’Espagne soutient que le point 43 de l’ordonnance attaquée est entaché d’une erreur de droit quant à la portée des décisions litigieuses et propose, en conséquence, à la Cour de procéder à une substitution de motifs en supprimant ce point 43.

158 À titre principal, il reproche au vice-président du Tribunal d’avoir outrepassé la fonction de juge des référés en retenant une interprétation des décisions litigieuses qui revient, en substance, à statuer sur l’un des moyens avancés par les requérants dans le cadre de leur recours en annulation.

159 À titre subsidiaire, le Royaume d’Espagne fait valoir que les décisions litigieuses ont levé l’immunité des requérants dans son intégralité et qu’il ne saurait être considéré que ceux-ci peuvent encore se prévaloir d’une prétendue « immunité de trajet », laquelle ne serait aucunement prévue par le protocole sur les privilèges et immunités de l’Union.

160 Par ailleurs, le Royaume d’Espagne considère qu’il est nécessaire de modifier la première phrase du point 52 de l’ordonnance attaquée, dans la mesure où cette phrase comprend une interprétation incorrecte de son mémoire en intervention présenté en première instance.

161 Les requérants concluent au rejet de la demande de substitution de motifs présentée par le Royaume d’Espagne.

Appréciation

162 Ainsi qu’il a été rappelé au point 145 de la présente ordonnance, une demande de substitution de motifs n’est recevable que si elle est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a présentée.

163 En l’espèce, la demande de substitution de motifs présentée par le Royaume d’Espagne vise la suppression du point 43 de l’ordonnance attaquée et la modification de la première phrase du point 52 de cette ordonnance.

164 En premier lieu, au point 43 de ladite ordonnance, le vice-président du Tribunal a, en substance, jugé que les décisions litigieuses n’avaient pas levé l’immunité conférée par l’article 9, deuxième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union. Il en a déduit que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir d’un prétendu risque d’être arrêtés lors d’un déplacement visant à participer à une session parlementaire à Strasbourg ou à en revenir.

165 L’éventuelle substitution des motifs ainsi retenus par le vice-président du Tribunal ne serait pas de nature à procurer un bénéfice au Royaume d’Espagne dans le cadre de la présente procédure.

166 En effet, considérer, comme le suggère le Royaume d’Espagne, que les décisions litigieuses ont levé l’immunité parlementaire des requérants dans son intégralité, ou à tout le moins ne pas exclure qu’elles aient un tel effet, conduirait à constater que l’arrestation des requérants est également probable sur le territoire de la République française et que le préjudice dont ceux-ci peuvent se prévaloir est encore aggravé par le fait que les décisions litigieuses sont susceptibles de constituer un
obstacle à leur participation aux sessions parlementaires.

167 En revanche, la substitution de motifs proposée par le Royaume d’Espagne ne serait pas de nature à suppléer les erreurs commises par le Tribunal aux points 44 et 45 de l’ordonnance attaquée.

168 En second lieu, concernant la modification du motif énoncé à la première phrase du point 52 de l’ordonnance attaquée, force est de constater que celle-ci ne serait pas non plus de nature à procurer un bénéfice au Royaume d’Espagne.

169 En effet, cette modification permettrait uniquement de corriger une erreur qu’aurait commise le vice-président du Tribunal dans l’interprétation des écritures du Royaume d’Espagne, mais serait sans influence sur la constatation des faits opérée dans l’ordonnance attaquée ou sur leur qualification.

170 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la demande de substitution de motifs présentée par le Royaume d’Espagne comme étant irrecevable et, partant, d’annuler l’ordonnance attaquée dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les quatrième et cinquième branches du second moyen.

Sur le pourvoi incident

171 Dès lors que l’ordonnance attaquée est annulée dans son intégralité, le pourvoi incident a perdu tout objet et il n’y a donc plus lieu de statuer sur celui-ci (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 148 ainsi que jurisprudence citée).

Sur la demande de mesures provisoires présentée devant le Tribunal

172 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. Cette disposition s’applique également aux pourvois formés conformément à l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [voir, en ce sens,
ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston, C‑424/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:705, point 31 et jurisprudence citée].

173 En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la demande en référé présentée par les requérants.

174 En effet, dans la mesure où les parties ont pu, au cours de la procédure de première instance, prendre position de manière complète sur les trois conditions auxquelles est subordonné l’octroi de mesures provisoires, la circonstance que le vice-président du Tribunal n’a examiné que l’une de ces conditions ne saurait empêcher la Cour de statuer elle-même définitivement sur la demande en référé.

175 À cette fin, il importe de rappeler que l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des
référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours au fond. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut.
Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 16 juillet 2021, Symrise/ECHA, C‑282/21 P(R), non publiée, EU:C:2021:631, point 26].

Sur la recevabilité du recours au principal

Argumentation

176 Le Parlement exprime de « sérieux doutes » quant à la recevabilité du recours au principal. D’une part, chacun des trois requérants ne serait recevable à demander que l’annulation de la décision qui le concerne et non celle des décisions visant les autres requérants. D’autre part, les requérants ne préciseraient pas dans quelle mesure chacun des moyens qu’ils soulèvent s’applique à chacune des décisions litigieuses.

Appréciation

177 Il convient de rappeler que la recevabilité du recours au principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l’affaire. Toutefois, si l’irrecevabilité manifeste du recours est soulevée, il appartient au juge des référés d’établir que, à première vue, le recours présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à sa recevabilité (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2003,
Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, EU:C:2003:385, point 98).

178 En l’espèce, le Parlement s’est borné à faire état de « sérieux doutes » quant à la recevabilité du recours au principal, tenant en substance au fait que chacun des requérants n’a pas qualité pour agir contre les décisions visant les autres requérants et à la présentation de certains des moyens du recours en annulation.

179 Il apparaît donc que le Parlement n’a pas soutenu que le recours au principal serait manifestement irrecevable et qu’il n’a pas non plus présenté des éléments permettant, dans le cadre de l’examen sommaire de la recevabilité de ce recours qui relève de l’office du juge des référés, de considérer que ledit recours serait probablement irrecevable dans son ensemble.

180 Il s’ensuit que la demande en référé ne saurait être rejetée du fait de l’irrecevabilité du recours au principal.

Sur le fumus boni juris

Argumentation

181 En vue d’établir le fumus boni juris, les requérants se prévalent de huit moyens présentés à l’appui du recours au principal.

182 Dans leur argumentation relative au troisième de ces moyens, qu’il convient d’examiner d’emblée, les requérants soutiennent notamment que la procédure suivie pour adopter les décisions litigieuses a méconnu le principe d’impartialité découlant de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 39, paragraphe 2, de celle-ci.

183 Le point 8 de la communication aux membres de la commission des affaires juridiques du Parlement, du 19 novembre 2019, établissant les principes applicables aux demandes de levée d’immunité, prévoirait que la fonction de rapporteur fait l’objet d’une rotation de manière égalitaire entre les groupes politiques, mais exclurait que celui-ci puisse appartenir au même groupe politique ou avoir été élu dans le même État membre que le député dont l’immunité est en cause.

184 Or, le rapporteur des décisions litigieuses aurait été membre du même groupe politique que le parti politique VOX, lequel exercerait l’actio popularis dans les procédures pénales menées contre les requérants. Il aurait également présidé une réunion de ce parti politique au cours de laquelle il aurait soutenu le slogan « Puigdemont en prison ».

185 En outre, le président de la commission JURI et le parti politique auquel il appartient auraient fait preuve d’une hostilité farouche à l’égard des requérants et auraient mené une stratégie visant à empêcher ceux-ci de siéger au Parlement après leur élection.

186 Le Parlement soutient qu’une procédure relative à la levée de l’immunité d’un membre de cette institution revêt un caractère politique et qu’elle ne saurait donc être régie par les mêmes règles qu’une procédure disciplinaire ou judiciaire. En conséquence, le fait que le rapporteur et le président de la commission JURI appartiennent à un groupe politique différent de celui du député concerné ne serait pas constitutif en soi d’une violation du principe d’impartialité.

187 Pour les mêmes raisons, la circonstance que le rapporteur et le président de la commission JURI aient prétendument fait des déclarations politiques s’écartant du programme politique défendu par les requérants serait dénuée de pertinence. En outre, les allégations de ces derniers à ce sujet ne seraient pas étayées par des éléments tangibles.

Appréciation

188 Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence de questions de droit complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être
effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties dévoile l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas à l’évidence (ordonnance du 17 décembre 2018, Commission/Pologne, C‑619/18 R, EU:C:2018:1021, point 30 et jurisprudence citée).

189 Les parties s’opposent, en premier lieu, quant à l’applicabilité même du principe d’impartialité au rapporteur et au président de la commission JURI, dans le cadre d’une procédure relative à une demande de levée de l’immunité d’un membre du Parlement.

190 À cet égard, il importe de relever que ce point de droit n’a pas encore été tranché par la Cour.

191 En outre, l’application à une telle procédure de l’ensemble des exigences procédurales régissant, de manière générale, les procédures administratives ne saurait, au regard du caractère éminemment politique des procédures parlementaires, être regardée comme s’imposant, à première vue, avec évidence.

192 Pour autant, dès lors que la décision de lever l’immunité d’un membre du Parlement prive celui-ci d’un élément essentiel du statut de député européen, qui bénéficie aux membres de cette institution de façon égale pendant toute la durée des sessions d’une législature (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 78), la procédure pouvant conduire à l’adoption d’une telle décision doit nécessairement assurer au député européen concerné des garanties
individuelles suffisantes.

193 En outre, l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux énonce que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, sans opérer de distinction entre les institutions concernées ou en fonction de la procédure dans le cadre de laquelle ces affaires sont traitées.

194 Si l’application de cette disposition à une procédure relative à la vacance d’un siège au Parlement en raison de la déchéance du mandat d’un membre de cette institution a certes été écartée, cette solution était fondée non pas sur la nature politique de cette procédure, mais sur l’absence totale de marge d’appréciation dont dispose le Parlement dans le cadre de celle-ci [ordonnance de la vice‑présidente de la Cour du 8 octobre 2020, Junqueras i Vies/Parlement, C‑201/20 P(R), non publiée,
EU:C:2020:818, points 93 et 94].

195 Or, étant donné que ni le protocole sur les privilèges et immunités de l’Union ni le règlement intérieur du Parlement ne définissent précisément dans quels cas l’immunité d’un membre de cette institution doit être levée, le Parlement dispose a priori d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il se prononce sur une demande de levée d’immunité de l’un de ces membres.

196 Le principe énoncé au point 8 de la communication aux membres de la commission des affaires juridiques du Parlement, mentionnée au point 183 de la présente ordonnance, selon lequel le rapporteur ne doit pas appartenir au même groupe politique ou avoir été élu dans le même État membre que le député dont l’immunité est en cause, tend d’ailleurs à confirmer que les pratiques du Parlement visent précisément à garantir à tout le moins un certain degré d’impartialité au rapporteur.

197 Au vu de ces éléments, il y a lieu de considérer que l’applicabilité du principe d’impartialité au rapporteur et au président de la commission JURI dans le cadre d’une procédure relative à une demande de levée de l’immunité d’un membre du Parlement constitue une question sur laquelle existe une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas avec évidence.

198 En second lieu, dans l’hypothèse où cette applicabilité serait établie, l’examen du troisième moyen du recours au principal impliquerait de déterminer si les éléments mis en avant par les requérants sont suffisants pour établir une violation du principe d’impartialité.

199 Conformément à ce principe, il incombe aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant
à un éventuel préjugé (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission, C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 112 et jurisprudence citée).

200 En l’espèce, les comportements du rapporteur et du président de la commission JURI dont font état les requérants sont, à première vue, de nature à manifester un parti pris ou un préjugé personnel défavorable à leur égard.

201 Néanmoins, il appartiendra au juge du fond d’apprécier si la réalité de ces comportements est établie, dans la mesure où le Parlement soutient que les pièces produites par les requérants ne l’établissent pas, sans pour autant nier que lesdits comportements aient existé.

202 Par ailleurs, il n’est pas contesté que le parti politique VOX est placé dans une situation tout à fait particulière, dans la mesure où il joue directement un rôle dans la procédure pénale engagée contre les requérants et où il participe directement, à ce titre, à la procédure préjudicielle dans l’affaire C-158/21.

203 De même, ainsi qu’il est indiqué dans les annexes de la demande en référé, il ressort de l’ordonnance du 19 novembre 2020, Buxadé Villalba e.a./Parlement (T‑32/20, non publiée, EU:T:2020:552), que des membres du Parlement appartenant à ce parti ont introduit devant le Tribunal un recours tendant à l’annulation de la prise d’acte, par le Parlement, de l’élection en tant que députés européens de deux des requérants.

204 Dans ces conditions, il ne saurait être exclu, à la suite de l’examen sommaire qui incombe au juge des référés, que l’appartenance du rapporteur à un groupe politique au sein duquel siègent les députés européens du parti politique VOX soit de nature à créer un doute légitime quant à un éventuel préjugé défavorable aux requérants.

205 Par conséquent, sans se prononcer à ce stade sur le bien-fondé du troisième moyen, ce qui relève de l’office du seul juge du fond, il apparaît que celui-ci ne saurait être regardé comme étant dépourvu de caractère sérieux.

206 Étant donné que ce moyen est de nature, s’il devait être accueilli par le juge du fond, à entraîner l’annulation des décisions litigieuses, il y a lieu de considérer que la condition tenant au fumus boni juris est satisfaite.

Sur l’urgence

Argumentation

207 En vue d’établir que la condition relative à l’urgence est satisfaite, les requérants soutiennent que leur arrestation probable, suivie, le cas échéant, de leur remise aux autorités espagnoles, leur causerait un préjudice grave et irréparable, en portant atteinte à leur droit d’exercer leur fonction de député européen.

208 La combinaison entre les décisions litigieuses, d’une part, et les mandats d’arrêt européens ainsi que les signalements au SIS II émis contre eux, d’autre part, exposerait les requérants à un fort risque d’arrestation et de remise aux autorités espagnoles en raison des obligations que ces mandats d’arrêt européens et ces signalements font peser sur les autorités de l’ensemble des États membres. Ce risque pourrait se réaliser lors d’un déplacement à Strasbourg pour participer aux sessions
parlementaires, mais également lors des nombreuses activités que les requérants seraient appelés à exercer dans l’ensemble de l’Union en tant que députés européens.

209 Si M. Puigdemont i Casamajó a, par le passé, pu voyager dans plusieurs États membres sans être arrêté, cette situation s’expliquerait par le fait qu’il n’était pas visé par un mandat d’arrêt européen entre le mois d’octobre 2017 et son élection au Parlement européen. Il n’aurait voyagé dans un État membre autre que le Royaume de Belgique tout en étant visé par un tel mandat d’arrêt européen qu’au mois de mars 2018, ce qui explique qu’il aurait alors été interpelé par les autorités allemandes.

210 L’argument avancé par le Royaume d’Espagne selon lequel l’exécution des mandats d’arrêt européens est suspendue en raison de l’introduction, par le Tribunal Supremo (Cour suprême), d’une demande de décision préjudicielle à la Cour devrait, par ailleurs, être écarté. En effet, une telle suspension ne résulterait pas de la jurisprudence de la Cour et les autorités espagnoles auraient décidé de maintenir les signalements au SIS II, démontrant ainsi qu’elles entendent toujours obtenir l’exécution
des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants.

211 Les requérants estiment finalement qu’une éventuelle annulation des décisions litigieuses interviendrait trop tard pour les protéger contre le risque dont ils se prévalent et ne serait donc pas suffisante pour leur permettre d’exercer leur mandat de député européen.

212 Le Parlement fait valoir, en premier lieu, que les décisions litigieuses ne constituent pas la cause déterminante du préjudice allégué par les requérants. Celui-ci découlerait des décisions arrêtées par les autorités espagnoles, les décisions litigieuses se limitant à éliminer l’un des obstacles procéduraux à l’exécution de ces décisions.

213 En deuxième lieu, le Parlement soutient que la situation en Belgique présente une pertinence spécifique, puisque, d’une part, au moins deux des requérants semblent y résider et, d’autre part, les députés européens y travaillent en partie. Or, les autorités judiciaires belges auraient constamment rejeté l’exécution définitive des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants, même avant qu’ils ne bénéficient d’une immunité parlementaire, et contre d’autres personnes recherchées pour des
faits connexes. Une modification de la position de ces autorités judiciaires serait très improbable dans l’attente de la décision de la Cour dans l’affaire C-158/21.

214 En troisième lieu, alors que les décisions litigieuses seraient dépourvues d’effets en Espagne, les requérants ne démontreraient pas qu’ils risquent effectivement d’être arrêtés et remis aux autorités espagnoles par des États membres autres que le Royaume de Belgique, alors qu’ils voyageraient régulièrement dans l’Union. Le lien entre d’éventuels déplacements dans des États membres autres que le Royaume de Belgique et leur fonction de député européen ne serait pas non plus établi. En
particulier, l’immunité prévue à l’article 9, deuxième alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union n’ayant pas été levée, ils pourraient librement se rendre à Strasbourg pour participer aux sessions parlementaires.

215 En quatrième lieu, le déroulement régulier d’une procédure judiciaire dans un État membre ne saurait, en tout état de cause, constituer une forme de préjudice grave et irréparable.

216 Le Royaume d’Espagne avance que les décisions litigieuses ne constituent pas la cause déterminante du préjudice allégué par les requérants. En outre, dès lors que les requérants résident en Belgique et qu’ils sont appelés à se rendre à Bruxelles (Belgique) et à Strasbourg pour exercer leur mandat, il n’apparaîtrait pas que l’exercice de leur mandat de député européen puisse être entravé par une éventuelle détention en Espagne.

217 En outre, aucun État membre ne paraît avoir engagé une quelconque procédure pour exécuter les mandats d’arrêt européens émis contre les requérants. Il serait hautement improbable qu’un État membre procède à l’exécution de ces mandats d’arrêt européens tant que la procédure préjudicielle dans l’affaire C-158/21 est pendante. L’introduction d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE entraînerait, en effet, la suspension de la procédure nationale, y compris la procédure
visant à statuer sur lesdits mandats d’arrêt européens.

Appréciation

218 Ainsi qu’il a été rappelé au point 75 de la présente ordonnance, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. S’il est exact que, pour établir l’existence de ce préjudice, il
n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice.

219 En l’espèce, il n’est pas contesté que les requérants font chacun l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires espagnoles et qu’ils sont visés par des signalements concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise.

220 Il découle des points 88 à 92 de la présente ordonnance que l’émission d’un mandat d’arrêt européen par une autorité judiciaire d’un État membre oblige notamment les autres États membres à procéder à l’arrestation de la personne recherchée et à statuer sur son maintien en détention dans l’attente de l’intervention d’une décision sur la remise.

221 De même, il résulte des points 121 à 125 de la présente ordonnance que l’existence, dans le SIS II, d’un signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise emporte en principe, par elle-même, une obligation de procéder à l’arrestation des personnes visées par de tels signalements, à moins que ceux-ci ne fassent l’objet de l’apposition d’un indicateur de validité.

222 En outre, un mandat d’arrêt européen emporte non seulement l’obligation d’arrêter la personne recherchée, mais également celle de remettre cette personne à l’autorité judiciaire d’émission.

223 Il découle ainsi d’une jurisprudence constante de la Cour que la décision-cadre 2002/584 tend, par l’instauration d’un système simplifié et efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt
du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 37 et jurisprudence citée].

224 Dans le domaine régi par la décision-cadre 2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, qui consacre la règle en vertu de laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux
dispositions de ladite décision-cadre [arrêt du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 38 et jurisprudence citée].

225 Il s’ensuit que les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre 2002/584 et que l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision-cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution de celui-ci est
conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission), C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 37 ainsi que jurisprudence citée].

226 Ni le Parlement ni le Royaume d’Espagne ne soutiennent que l’exécution des mandats d’arrêt européens en cause devrait être refusée en application des motifs de non-exécution énumérés par la décision-cadre 2002/584 ou que les signalements au SIS II auraient fait l’objet de l’apposition d’indicateurs de validité.

227 Il n’est pas non plus allégué ni, a fortiori, démontré que la décision-cadre 2002/584 et la décision 2007/533 ne seraient, de manière générale, pas appliquées par les États membres.

228 Si le Parlement fait néanmoins valoir que les États membres auraient une réticence manifeste à donner suite aux mandats d’arrêt européens émis contre les requérants, en se fondant sur la circonstance que M. Puigdemont i Casamajó se serait rendu dans plusieurs États membres sans être arrêté alors qu’il n’aurait pas bénéficié d’une immunité parlementaire, il y a lieu de constater que cette allégation n’est appuyée par aucun élément de preuve et qu’elle est formellement contestée par les
requérants.

229 De même, le fait que les autorités belges n’aient pas procédé à la remise des requérants aux autorités espagnoles ne saurait permettre d’écarter la probabilité élevée d’une arrestation de ceux-ci, pour les raisons indiquées au point 131 de la présente ordonnance.

230 L’argument avancé par le Royaume d’Espagne selon lequel le préjudice allégué par les requérants ne saurait se réaliser en raison de la suspension de l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre eux, qui résulterait de l’introduction d’une demande de décision préjudicielle dans l’affaire C-158/21, doit également être écarté.

231 Il découle de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que la juridiction nationale qui adresse à la Cour une demande de décision préjudicielle suspend la procédure au principal.

232 Néanmoins, il ressort de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑158/21 que cette demande vise à déterminer si les mandats d’arrêt européens émis par le Tribunal Supremo (Cour suprême) contre plusieurs personnes recherchées, parmi lesquelles figurent les requérants, doivent être maintenus ou retirés et, s’agissant plus spécifiquement des requérants, à identifier les informations complémentaires qui devraient être transmises aux autorités judiciaires d’exécution pour favoriser leur
remise.

233 Il s’ensuit que la décision de suspendre la procédure au principal dans l’affaire C‑158/21 implique que le Tribunal Supremo (Cour suprême) n’entend pas prendre de décision, avant l’intervention de la réponse de la Cour aux questions préjudicielles posées, sur le maintien ou le retrait des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants.

234 En revanche, en l’absence d’une décision formelle du Tribunal Supremo (Cour suprême) à cet égard, il ne saurait être considéré que celui-ci a entendu remettre en cause les mandats d’arrêt européens déjà émis ou suspendre leur exécution. Une telle suspension, qui n’est d’ailleurs pas prévue par la décision-cadre 2002/584, ne saurait procéder directement de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui ne prévoit aucunement que l’exécution des mesures adoptées par la
juridiction de renvoi dans la procédure au principal avant que ne soit rendue la décision préjudicielle est nécessairement suspendue dans l’attente de cette décision.

235 Dès lors, il y a lieu de constater que les requérants ont démontré à suffisance de droit le caractère prévisible avec un degré de probabilité suffisant de leur arrestation et de leur remise aux autorités espagnoles s’il n’est pas sursis à l’exécution des décisions litigieuses.

236 Or, il découle des considérations figurant aux points 149 à 155 de la présente ordonnance qu’une éventuelle arrestation des requérants en application d’un mandat d’arrêt européen ou d’un signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise serait de nature à leur causer un préjudice grave et irréparable. Il en irait de même, a fortiori, d’une remise des requérants aux autorités espagnoles, laquelle pourrait entraîner une privation de liberté durable.

237 Il convient encore d’ajouter que l’argument avancé par le Parlement et le Royaume d’Espagne selon lequel la condition relative à l’urgence ne serait pas satisfaite au motif que les décisions litigieuses ne constituent pas la cause déterminante du préjudice que risquent de subir les requérants doit être écarté.

238 Certes, en cas de demande de sursis à l’exécution d’un acte, l’octroi de la mesure provisoire sollicitée n’est justifié que si l’acte en question constitue la cause déterminante du préjudice grave et irréparable allégué [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 17 décembre 2020, Anglo Austrian AAB et Belegging-Maatschappij Far-East /BCE, C‑114/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:1059, point 54 ainsi que jurisprudence citée].

239 Il découle de cette jurisprudence que le sursis à l’exécution d’un acte ne doit pas être prononcé lorsque le préjudice invoqué trouve essentiellement sa source dans des facteurs indépendants de cet acte et que la contribution décisive de celui-ci à la réalisation de ce préjudice n’est pas établie. Dans un tel cas, ce sursis à exécution ne saurait, en effet, être regardé comme étant apte à éviter qu’un préjudice grave et irréparable soit causé à la partie qui le sollicite.

240 En l’espèce, l’immunité parlementaire dont bénéficiaient les requérants avant l’adoption des décisions litigieuses formait un obstacle dirimant à leur arrestation et à leur remise en application des mandats d’arrêt européens émis contre eux et des signalements au SIS II. Il s’ensuit que les décisions litigieuses constituent une condition indispensable à la survenance du préjudice dont se prévalent les requérants et que, en cas de sursis à l’exécution de ces décisions, cette survenance pourra
être évitée.

241 En conséquence, il y a lieu de constater que les requérants ont établi que la condition relative à l’urgence était satisfaite.

Sur la balance des intérêts

Argumentation

242 Les requérants font valoir qu’il est dans l’intérêt général, d’une part, que la composition du Parlement reflète la libre expression des choix effectués par les citoyens de l’Union quant aux personnes par lesquelles ceux-ci entendent être représentés et, d’autre part, que ses membres puissent exercer leurs fonctions pour toute la durée de leur mandat. Il s’ensuivrait que l’intérêt général et l’intérêt des requérants, tenant notamment à leur liberté individuelle et à leur liberté de circulation,
coïncident.

243 En outre, l’annulation des décisions litigieuses ne permettrait pas de renverser la situation résultant de leur application, dans la mesure où, en cas de remise des requérants aux autorités espagnoles, ceux-ci ne seraient plus protégés par l’immunité prévue à l’article 9, premier alinéa, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union.

244 Par ailleurs, le seul effet de l’octroi de la mesure provisoire sollicitée serait de retarder la poursuite de l’exécution des mandats d’arrêt européens émis contre les requérants, laquelle aurait déjà été différée en raison du retrait intervenu à deux reprises de mandats d’arrêt européens précédemment émis contre eux et du long délai écoulé avant l’émission de nouveaux mandats d’arrêt européens.

245 Le Parlement soutient que les immunités parlementaires ont pour objet non pas de retarder les procédures judiciaires nationales ou d’offrir aux députés européens un moyen d’échapper à la justice, mais de garantir l’indépendance du Parlement.

246 Il y aurait lieu, conformément à l’article 4, paragraphes 2 et 3, TUE, de prendre en considération les intérêts constitutionnels du Royaume d’Espagne. Dès lors que le Parlement se serait prononcé sans équivoque en faveur de la levée de l’immunité des requérants, la procédure pénale engagée dans cet État membre n’interférerait pas avec les droits institutionnels du Parlement.

247 Le Royaume d’Espagne avance que l’octroi de la mesure provisoire sollicitée remettrait en cause la balance des intérêts établie dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115). En effet, il résulterait des points 91 à 94 de cet arrêt que la juridiction nationale compétente peut décider de maintenir les mesures de sûreté déjà adoptées et de demander la levée de l’immunité des députés européens concernés. Dans ce contexte, une fois que le Parlement a accordé la levée de
cette immunité, le sursis à l’exécution de sa décision impliquerait un sacrifice excessif de l’intérêt de la justice et du respect de l’État de droit, pour des faits manifestement antérieurs et sans rapport avec l’élection des requérants au Parlement.

Appréciation

248 Il apparaît que, dans la plupart des procédures en référé, aussi bien l’octroi que le refus d’accorder le sursis à exécution demandé sont susceptibles de produire, dans une certaine mesure, certains effets définitifs et il appartient au juge des référés, saisi d’une demande de sursis, de mettre en balance les risques liés à chacune des solutions possibles. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à
l’exécution de l’acte attaqué prévaut sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui-ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours au fond serait rejeté [voir, en ce sens, ordonnance du
vice-président de la Cour du 10 janvier 2018, Commission/RW, C‑442/17 P(R), non publiée, EU:C:2018:6, point 60, et ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne, C‑791/19 R, EU:C:2020:277, point 104 ainsi que jurisprudence citée].

249 En ce qui concerne, en premier lieu, l’intérêt s’attachant à l’octroi des mesures provisoires sollicitées, il ressort de l’examen de la condition relative à l’urgence que, s’il n’est pas sursis à l’exécution des décisions litigieuses, les requérants risquent de ne plus être en mesure d’exercer de manière effective leur fonction de député européen.

250 À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de démocratie représentative, qui concrétise la valeur de démocratie mentionnée à l’article 2 TUE. Mettant en œuvre ce principe, l’article 14, paragraphe 3, TUE prévoit que les membres du Parlement sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans (arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115,
points 63 et 64).

251 Dans ce contexte, les immunités accordées, de façon égale, aux membres du Parlement pendant toute la durée des sessions d’une législature donnée visent notamment à permettre à ceux-ci d’accomplir les missions qui leur incombent (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, points 76 et 78).

252 Ces immunités ont également pour objectif, conformément au principe de démocratie représentative, d’assurer que la composition du Parlement reflète, de façon fidèle et complète, la libre expression des choix effectués par les citoyens de l’Union, au moyen du suffrage universel direct, quant aux personnes par lesquelles ceux-ci entendent être représentés pendant une législature donnée (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, points 82 et 83).

253 Il s’ensuit que la levée de l’immunité d’un membre du Parlement qui interviendrait de manière irrégulière et qui conduirait à l’arrestation ou à la détention de celui-ci serait de nature à porter atteinte au bon fonctionnement de la démocratie représentative au sein de l’Union.

254 La circonstance que le Parlement ait estimé, par les décisions litigieuses, que l’immunité des requérants pouvait être levée n’est pas susceptible d’établir que l’application immédiate de ces décisions ne ferait pas obstacle au bon fonctionnement de cette institution, étant donné, d’une part, que le recours au principal a pour objet d’apprécier la légalité de ces décisions et, d’autre part, que ce recours repose sur au moins un moyen qui, à première vue, n’est pas dépourvu de fondement sérieux.

255 En revanche, il n’y a pas lieu de prendre en considération, lors de la mise en balance des intérêts pertinents, l’intérêt s’attachant à la préservation de la liberté individuelle et de la liberté de circulation des requérants, dans la mesure où, ainsi qu’il a été rappelé au point 149 de la présente ordonnance, un membre du Parlement, confronté à une décision de levée de son immunité, ne saurait utilement invoquer que l’atteinte que cette décision porterait non seulement à son droit d’exercer
librement son mandat, mais également au bon fonctionnement du Parlement.

256 En deuxième lieu, s’agissant de l’intérêt s’attachant à l’application immédiate des décisions litigieuses, il importe de souligner que le sursis à l’exécution de ces décisions est susceptible d’entraver la conduite des poursuites judiciaires engagées par les autorités espagnoles contre les requérants, en empêchant que ceux-ci soient remis à ces autorités.

257 Contrairement à ce que soutient le Parlement, cette application immédiate n’est néanmoins pas exigée pour assurer le respect de l’article 4, paragraphe 2, TUE, dans la mesure où l’immunité parlementaire ne remet aucunement en cause la faculté des États membres d’engager des poursuites pénales dans le cadre défini par leur ordre juridique, mais se borne à assurer un équilibre entre cette faculté et le principe de démocratie représentative énoncé à l’article 10, paragraphe 1, TUE.

258 S’agissant, en troisième lieu, de la situation qui résultera de l’examen du recours au principal, il convient de relever qu’une annulation éventuelle des décisions litigieuses ne serait pas de nature à renverser la situation qui serait provoquée par leur exécution immédiate, puisque cette annulation interviendrait trop tard pour empêcher que les membres concernés du Parlement aient été empêchés d’exercer pleinement leur fonction pendant une partie substantielle de leur mandat.

259 En outre, dans l’hypothèse où les requérants auraient été remis aux autorités espagnoles, le rétablissement ultérieur de leur immunité résultant de l’article 9, première alinéa, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union serait dépourvu de tout effet concret, puisque celle-ci ne bénéficie pas aux requérants sur le territoire espagnol.

260 À l’inverse, dans l’hypothèse où le recours au principal serait finalement rejeté, il ne ressort pas du dossier que le retard dans la conduite de la procédure pénale engagée contre les requérants découlant du sursis à l’exécution des décisions litigieuses serait de nature à faire obstacle à l’achèvement de cette procédure.

261 Il importe également de souligner que ladite procédure est en cours depuis l’année 2017 et que le Royaume d’Espagne n’a pas contesté l’allégation des requérants selon laquelle la durée de celle-ci procède pour partie du retrait intervenu à deux reprises de mandats d’arrêt européens précédemment émis contre eux ainsi que du long délai écoulé avant l’émission de nouveaux mandats d’arrêt européens.

262 Par ailleurs, dès lors que l’octroi des mesures provisoires sollicitées impliquerait uniquement de rétablir temporairement l’immunité parlementaire des requérants, il ne reviendrait finalement qu’à maintenir, pour une période limitée, le statu quo ayant existé pendant plusieurs années (voir, par analogie, ordonnance du vice‑président de la Cour du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 114).

263 Au vu de l’ensemble de ces éléments, la mise en balance des intérêts penche en faveur de l’octroi des mesures provisoires sollicitées par les requérants.

264 Dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à l’exécution des décisions litigieuses.

Sur les dépens

265 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement, elle statue sur les dépens.

266 En ce qui concerne les dépens afférents à la procédure de pourvoi, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Or, si le Parlement et le Royaume d’Espagne ont succombé en leurs conclusions, les requérants n’ont pas conclu à leur condamnation aux dépens. Partant, chacune des parties
supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.

267 S’agissant des dépens afférents au pourvoi incident introduit par le Royaume d’Espagne, en application de l’article 142 du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184 de celui-ci, les dépens sont, en cas de non-lieu à statuer, réglés librement par la Cour. En l’espèce, le non-lieu à statuer sur le pourvoi incident procédant de l’annulation de l’ordonnance attaquée à la suite du pourvoi introduit par les requérants, il y a lieu de
décider que chacune des parties supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi incident.

268 Concernant les dépens afférents à la procédure de première instance, il y a lieu de décider, d’une part, conformément à l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, que les dépens du Parlement et des requérants sont réservés.

269 D’autre part, en application de l’article 140, paragraphe 1, du même règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume d’Espagne, en tant que partie intervenante en première instance, supporte ses propres dépens afférents à la procédure de première instance.

  Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

  1) L’ordonnance du vice-président du Tribunal de l’Union européenne du 30 juillet 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée, EU:T:2021:497), est annulée.

  2) Il est sursis à l’exécution des décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061 du Parlement européen, du 9 mars 2021, sur les demandes de levée de l’immunité de MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres ainsi que de Mme Clara Ponsatí i Obiols.

  3) MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres, Mme Ponsatí i Obiols et le Parlement européen supportent leurs propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.

  4) Les dépens de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres, de Mme Ponsatí i Obiols et du Parlement européen afférents à la procédure de première instance sont réservés.

  5) Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-629/21
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Pourvoi, Demande en référé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Référé – Droit institutionnel – Membres du Parlement européen – Privilèges et immunités – Levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Parlement – Fumus boni juris – Impartialité du rapporteur lors de l’examen de la demande de levée l’immunité parlementaire – Urgence – Mandat d’arrêt européen – Signalement concernant des personnes recherchées en vue d’une arrestation aux fins de remise – Exercice du mandat de membre du Parlement – Balance des intérêts.

Privilèges et immunités

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Carles Puigdemont i Casamajó e.a.
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:413

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