CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 5 mai 2022 ( 1 )
Affaire C‑57/21
RegioJet a.s.
en présence de
České dráhy, a.s.,
Česká republika, Ministerstvo dopravy
[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque)]
« Renvoi préjudiciel – Pratiques anticoncurrentielles – Abus de position dominante – Actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne – Demande de production de preuves aux fins de l’action en dommages et intérêts – Procédure pendante devant la Commission européenne – Suspension de la procédure nationale relative à cette action »
I. Introduction
1. Reconnaissant l’existence d’une asymétrie de l’information dans les procédures de mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée, le législateur de l’Union a harmonisé, par la directive 2014/104/UE ( 2 ), les règles en matière de production des preuves demandées aux fins des actions en dommages et intérêts.
2. L’article 5 de cette directive énonce les règles qui, ensemble, forment un régime général en cette matière. En complément de cette disposition, l’article 6 de ladite directive énonce les règles spécifiques relatives à la production de preuves figurant dans les dossiers des autorités chargées de la mise en œuvre des règles de concurrence par la sphère publique.
3. Si l’interprétation des règles énoncées à l’article 5 de la directive 2014/104 a déjà fait l’objet d’une demande de décision préjudicielle ( 3 ), c’est en revanche la première fois que la Cour est invitée à se prononcer sur l’interprétation de celles énoncées à l’article 6 de cette directive.
4. En effet, les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi s’inscrivent dans le contexte plus large d’une procédure relative à une action en réparation du prétendu dommage subi par RegioJet du fait des agissements de la société České dráhy a.s., affectant le marché ferroviaire et contraires aux règles de concurrence. Dans ce contexte, bien que la première question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, elle concerne, en substance,
la problématique de l’articulation entre la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée et la mise en œuvre de ce droit par la sphère publique. Quant aux quatre questions suivantes posées par la juridiction de renvoi, elles portent spécifiquement sur l’article 6 de cette directive.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. L’article 5, paragraphes 1 et 8, de la directive 2014/104 dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur
possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes.
[...]
8. Sans préjudice des paragraphes 4 et 7 et de l’article 6, le présent article ne fait pas obstacle au maintien ni à l’introduction, par les États membres, de règles qui conduiraient à une production plus large de preuves. »
6. L’article 6, paragraphe 5, sous a), et paragraphe 9, de cette directive dispose :
« 5. Les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production de preuves relevant des catégories suivantes qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure :
a) les informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence ;
[...]
9. La production de preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence, qui ne relèvent d’aucune des catégories énumérées au présent article, peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, sans préjudice du présent article. »
B. Le droit tchèque
1. Le zákon č. 143/2001
7. Le zákon č. 143/2001 Sb. o ochraně hospodářské soutěže (loi sur la protection de la concurrence), du 4 avril 2001, dans sa version applicable aux faits du litige au principal (ci-après la « loi no 143/2001 »), énonce, à son article 1er, paragraphe 1, qu’il « organise la protection de la concurrence sur le marché des produits et des services [...] contre toute pratique empêchant, restreignant, faussant ou menaçant la concurrence ».
8. L’article 21ca, paragraphe 2, de la loi no 143/2001 dispose, en substance, que les documents et informations préparés et déposés aux fins d’une procédure administrative pendante devant l’autorité nationale de concurrence ne peuvent être produits aux autorités publiques qu’après la clôture de l’enquête ou après la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence sur la clôture de la procédure administrative.
2. Le zákon č. 262/2017
9. Le zákon č. 262/2017 Sb., o náhradě škody v oblasti hospodářské soutěže (loi no 262/2017 relative aux dommages et intérêts dans le domaine de la concurrence), du 20 juillet 2017, transpose la directive 2014/104 dans l’ordre juridique tchèque.
10. L’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette loi dispose que constituent des informations confidentielles protégées par une obligation de confidentialité, notamment, les documents justificatifs et les informations qui ont été fournis expressément aux fins de la procédure administrative devant l’autorité nationale de concurrence.
11. L’article 15, paragraphe 4, de ladite loi dispose que l’obligation de produire des informations confidentielles, visées à l’article 2, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, ne peut être imposée, au plus tôt, qu’après que soit devenue définitive la décision de l’autorité de concurrence concernant la clôture de la procédure administrative.
12. L’article 16, paragraphe 1, sous c), de la même loi dispose, en substance, qu’en cas de demande d’accès aux documents contenant des informations confidentielles et figurant dans le dossier de l’autorité nationale de concurrence, le président de la chambre examine si leur production ne compromettrait pas l’application efficace de la réglementation en matière de concurrence. Selon le paragraphe 3 de cet article 16, les documents contenant des informations confidentielles ne peuvent être produits
qu’après la clôture de l’enquête ou après la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence sur la clôture de la procédure administrative.
III. Les faits et la procédure au principal
13. Le 25 janvier 2012, l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, ci‑après l’« autorité de concurrence tchèque ») a ouvert d’office une procédure administrative portant sur un possible abus de position dominante commis par České dráhy.
14. Le 25 novembre 2015 ( 4 ), RegioJet a introduit une action en dommages et intérêts devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque), tendant à la réparation du dommage subi du fait des prétendus agissements contraires aux règles de concurrence de České dráhy.
15. Le 10 novembre 2016, la Commission européenne a décidé d’ouvrir une procédure en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 ( 5 ), dans l’affaire no AT.40156 – Czech Rail.
16. Le 14 novembre 2016, l’autorité de la concurrence tchèque a suspendu sa procédure administrative, en considérant que la procédure de la Commission visait, du point de vue matériel, les mêmes agissements que ceux faisant l’objet de son examen dans le cadre de la procédure administrative.
17. Le 11 octobre 2017, RegioJet a introduit devant la juridiction nationale une demande de production de documents, en vertu des articles 10 et suivants ainsi que de l’article 18 de la loi no 262/2017, du 20 juillet 2017, aux fins de l’action en dommages et intérêts. Cette demande visait à la production, notamment, de documents dont RegioJet supposait qu’ils étaient en possession de České dráhy, à savoir, notamment, des relevés ventilés par postes et des relevés relatifs au transport public
ferroviaire et à la comptabilité du segment commercial de cette société.
18. En se fondant sur l’article 21ca, paragraphe 2, de la loi no 143/2001, l’autorité de concurrence tchèque a indiqué que les documents demandés dont elle disposait dans le cadre de sa procédure administrative ne pouvaient pas être produits, et ce jusqu’à la clôture définitive de la procédure administrative concernée au fond. Elle a en outre indiqué que les autres documents demandés relevaient de la catégorie des documents constituant un ensemble cohérent de documents et a refusé leur production,
au motif que cela pourrait diminuer l’efficacité de la politique de poursuite des infractions au droit de la concurrence.
19. En réponse à une question formulée par la juridiction saisie de la demande de production de preuves, la Commission a souligné, dans une lettre du 26 février 2018, que lorsqu’il se prononcerait sur la production des moyens de preuve, le juge devrait, dans l’intérêt de la protection des intérêts légitimes de toutes les parties à la procédure et de ceux des tiers, appliquer notamment le principe de proportionnalité et adopter des mesures visant à protéger de telles informations. Elle a recommandé
la suspension de la procédure au fond relative à l’action en dommages et intérêts.
20. Par ordonnance du 14 mars 2018, la juridiction de première instance a ordonné à České dráhy de produire, en les versant au dossier, un ensemble de documents qui contenaient, d’une part, des informations expressément préparées par cette société aux fins d’une procédure devant l’autorité de la concurrence tchèque et, d’autre part, des informations obligatoirement préparées et conservées en dehors du cadre de cette procédure, telles que des relevés des lignes de trains, des relevés trimestriels sur
le transport public ferroviaire, ainsi que la liste des lignes exploitées par České dráhy. En revanche, cette juridiction a rejeté les demandes de RegioJet visant à obtenir, d’une part, la production de la comptabilité du segment commercial de České dráhy, y compris les codes de correspondance par ligne et type de train et, d’autre part, la production des procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de České dráhy, pour les mois de septembre et d’octobre 2011.
21. Le 19 décembre 2018, la juridiction de première instance a décidé de suspendre la procédure au fond relative à l’action en dommages et intérêts jusqu’à la clôture de la procédure en matière de pratiques anticoncurrentielles ouverte le 10 novembre 2016 par la Commission à l’encontre de České dráhy. En effet, en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de la loi no 262/2017, du 20 juillet 2017, dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, le juge est lié par la décision
d’une autre juridiction, de l’autorité de la concurrence tchèque et de la Commission relative à l’existence d’une restriction de concurrence et à l’identité de son auteur. Par ailleurs, la réglementation procédurale nationale impose, elle aussi, l’obligation pour le juge de suspendre la procédure civile en dommages et intérêts étant donné qu’il est statué dans une autre procédure sur une question dont dépend la décision du juge et que le juge n’est pas habilité à trancher dans le cadre de cette
procédure.
22. Par ordonnance du 29 novembre 2019, le Vrchní soud v Praze (cour supérieure de Prague, République tchèque), en tant que juridiction d’appel, a confirmé l’ordonnance du 14 mars 2018 et a adopté, en vue d’assurer la protection des moyens de preuve produits, des mesures consistant à mettre ces derniers sous séquestre et à ne les produire qu’aux parties, à leurs représentants et aux experts, et ce, dans chaque cas, toujours sur la base d’une demande écrite motivée et après accord préalable du juge
saisi de l’affaire en fonction de la répartition du travail.
23. České dráhy a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance devant le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque), qui est la juridiction de renvoi.
IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
24. C’est dans ces circonstances que le Nejvyšší soud (Cour suprême), par décision du 16 décembre 2020, parvenue à la Cour le 1er février 2021, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une procédure est-elle conforme à l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la [directive 2014/104] si elle prévoit qu’une juridiction se prononce sur l’imposition d’une obligation de produire des preuves, bien qu’une procédure soit en même temps menée par la Commission en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du [règlement (CE) no 1/2003] [ ( 6 )] et que, dès lors, la procédure relative à l’action en dommages et intérêts pour le dommage causé par
l’infraction au droit de la concurrence est suspendue, pour ce motif, par le juge ?
2) L’interprétation de l’article 6, paragraphe 5, sous a), et paragraphe 9, de la directive 2014/104 fait-elle obstacle à une réglementation nationale qui limite la production de toutes les informations qui ont été soumises dans le cadre d’une procédure à la demande de l’autorité de [la concurrence tchèque], et ce également lorsqu’il s’agit d’informations qu’une partie à la procédure a l’obligation de préparer et de conserver (ou prépare et conserve) sur la base d’une autre réglementation et
indépendamment de la procédure d’infraction au droit de la concurrence ?
3) Peut-on considérer comme une clôture de la procédure “d’une autre manière” au sens de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 également le fait qu’une autorité nationale de concurrence ait suspendu la procédure dès qu’a été ouverte par la Commission une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003 ?
4) Une procédure est-elle conforme à l’article 5, paragraphe 1 [ de la directive 2014/104], lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, de [celle-ci], compte tenu des finalités et des objectifs de cette directive, lorsqu’il s’agit d’une procédure d’une juridiction nationale par laquelle celle-ci applique, par analogie, la réglementation nationale de mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 7, de cette directive à des catégories d’informations telles que les informations visées à
l’article 6, paragraphe 5, de ladite directive et se prononce donc sur la production des preuves, étant entendu qu’elle n’examinera la question de savoir si les moyens de preuve contiennent des informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence (au sens de l’article 6, paragraphe 5, de la même directive) qu’après la production des preuves à la juridiction ?
5) En cas de réponse affirmative à la question précédente, y-a-t-il lieu d’interpréter l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2014/104 en ce sens que des mesures efficaces de protection des informations confidentielles adoptées par une juridiction peuvent, avant que la juridiction ne se prononce définitivement sur la question de savoir si les preuves produites ou certaines d’entre elles relèvent de la catégorie de preuves visée à l’article 6, paragraphe 5, sous a), de cette directive,
exclure l’accès de la partie requérante ou d’autres parties à la procédure ainsi que de leurs représentants aux preuves produites ? »
25. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, les gouvernements hellénique et italien ainsi que par la Commission. České dráhy et la Commission ont été représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 3 février 2022.
V. Analyse
26. Pour pouvoir répondre utilement aux questions préjudicielles (section C), il convient, en premier lieu, d’examiner si celles-ci sont recevables compte tenu du champ d’application ratione temporis des dispositions dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi (section A) et, en second lieu, de présenter quelques remarques sur le régime de la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence (section B).
A. Sur l’applicabilité ratione temporis de la directive 2014/104
27. Bien que la directive 2014/104 n’opère pas, sur le plan textuel, de distinction entre les dispositions substantielles et les dispositions procédurales ( 7 ), la Cour a déjà indiqué que cette directive contient une disposition particulière, à savoir son article 22, qui détermine expressément les conditions d’application dans le temps des dispositions procédurales et substantielles ( 8 ).
28. Les conditions d’application dans le temps sont différentes pour ces deux catégories des dispositions. Pour pouvoir se prononcer sur l’applicabilité de la directive 2014/104 dans la procédure au principal, il convient donc de déterminer si ses articles 5 et 6 sont des dispositions procédurales ou des dispositions substantielles.
29. En bref, les règles substantielles déterminent l’existence et l’étendue de la responsabilité des personnes impliquées dans l’infraction au droit de la concurrence, tandis que les règles procédurales déterminent le déroulement d’une procédure. Ces dernières ne perdent pas leur caractère procédural en raison du fait que leur application dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts peut avoir une incidence sur la détermination de cette responsabilité à l’issue de
cette procédure ( 9 ). Dans cette logique, comme je l’ai déjà indiqué dans mes conclusions dans l’affaire PACCAR ( 10 ), même si les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 semblent conférer des droits aux individus, ces droits ne peuvent toutefois être exercés que dans le cadre d’une procédure devant une juridiction nationale et il s’agit, en substance, des mesures procédurales permettant à cette juridiction d’établir les faits dont se prévalent les parties à la procédure. Les conditions de
l’application des dispositions nationales transposant les articles 5 et 6 de cette directive sont donc établies à l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci.
30. En vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce qu’aucune disposition nationale adoptée afin de se conformer aux dispositions procédurales de cette directive ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014. Il ressort, a contrario, de cette disposition que les États membres disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour décider, lors de la transposition de cette
directive, si les règles nationales visant à transposer les dispositions procédurales de ladite directive s’appliqueraient aux actions en dommages et intérêts intentées après le 26 décembre 2014, mais avant la date de transposition de la même directive ou bien à celles intentées, au plus tard avant l’expiration du délai de transposition de celle-ci, à savoir avant le 27 décembre 2016 ( 11 ).
31. À cet égard, je relève, d’une part, que le pourvoi en cassation a été formé contre les décisions des juridictions de première et de deuxième instance relatives à la demande de production de preuves introduite par RegioJet le 11 octobre 2017, en vertu des dispositions nationales transposant la directive 2014/104 dans l’ordre juridique tchèque.
32. D’autre part, ainsi qu’il ressort des observations des intéressées, l’action en dommages et intérêts aux fins de laquelle a été présentée la demande de production de preuves a été introduite le 25 novembre 2015, c’est-à-dire avant la date de transposition de la directive 2014/104. Cependant, il ressort de la loi no 262/2017, du 20 juillet 2017, que le législateur tchèque a décidé que les dispositions nationales transposant les dispositions procédurales de cette directive s’appliquent, de manière
directe et inconditionnelle, également aux actions introduites avant cette date de transposition ( 12 ).
33. Il convient donc de considérer que les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 sont pertinents pour la procédure au principal.
34. Cette considération n’est pas remise en cause par la circonstance que l’action en dommages et intérêts en cause semble porter sur des agissements ayant eu lieu avant l’adoption de la directive 2014/104. En effet, l’article 22, paragraphe 1, de cette directive s’oppose uniquement à l’application rétroactive des dispositions nationales qui transposent les dispositions substantielles de celle-ci. Or, les articles 5 et 6 de ladite directive sont de nature procédurale.
35. Ladite considération n’est pas non plus remise en cause par la circonstance que les preuves dont la production a été demandée dans cette affaire figurent dans le dossier de l’autorité de concurrence tchèque, qui a ouvert sa procédure le 25 janvier 2012. En effet, en définissant le champ d’application ratione temporis des dispositions procédurales, l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 fait référence non pas à la date d’ouverture d’une procédure par une autorité de concurrence,
dont l’intérêt est protégé en vertu de l’article 6 de cette directive, mais à la date de saisine d’une juridiction nationale d’une action en dommages et intérêts. Ce faisant, en se focalisant sur la procédure de la juridiction nationale, cette disposition circonscrit les pouvoirs de cette juridiction quant à la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence.
36. Rien ne permet donc de considérer que l’interprétation des articles 5 et 6 de la directive 2014/104 n’aurait manifestement aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Il s’ensuit que les questions préjudicielles portant sur l’interprétation de ces dispositions sont recevables.
B. Sur la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence
37. Comme je l’ai rappelé dans l’introduction à ces conclusions, l’article 5 de la directive 2014/104 énonce des règles de caractère général en matière de production des preuves, tandis que l’article 6 de cette directive complémente ce régime général par des règles qui concernent spécifiquement la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence.
38. Cette dernière disposition opère une distinction entre plusieurs catégories de preuves, notamment :
– s’agissant, premièrement, des informations préparées par une personne physique ou morale, expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence, des informations établies par l’autorité de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure ainsi que des propositions de transaction qui ont été retirées, l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 dispose que les juridictions nationales ne peuvent ordonner leur production qu’une fois qu’une autorité de
concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure (cette liste de preuves sera dénommée ci-après la « liste grise ») ;
– s’agissant, deuxièmement, des déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence et les propositions de transaction pour les actions en dommages et intérêts, l’article 6, paragraphe 6, de cette directive dispose que les États membres veillent à ce que les juridictions nationales ne puissent à aucun moment ordonner leur production (cette liste de preuves sera dénommée ci-après la « liste noire »), et
– s’agissant, troisièmement, des preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence, qui ne relèvent d’aucune des catégories précédemment énumérées à l’article 6, le paragraphe 9 de ce dernier dispose que leur production peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, sans préjudice de cet article (cette liste de preuves sera dénommée ci-après la « liste blanche »).
39. Par ailleurs, en ce qui concerne la production de preuves relevant de ces catégories, la directive 2014/104 prévoit un mécanisme de mise en balance des intérêts en jeu – à savoir ceux des victimes d’infractions, ceux des auteurs d’infractions, ceux des tiers et ceux de la sphère publique – lors de la mise en œuvre des règles de concurrence, sous le contrôle strict des juridictions nationales, surtout en ce qui concerne la pertinence des preuves demandées ainsi que la nécessité et la
proportionnalité des mesures relatives à leur production ( 13 ). À cette fin, l’article 5 de cette directive énonce des critères relatifs à l’exercice de ce contrôle, supplémentés par ceux fixés à l’article 6 de celle-ci.
40. C’est à la lumière de ces remarques qu’il convient d’examiner les questions préjudicielles de la juridiction de renvoi.
C. Sur les questions préjudicielles
1. Sur la première question préjudicielle
41. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 s’oppose à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production des preuves aux fins d’une procédure relative à l’action en dommages et intérêts qui porte sur une infraction au droit de la concurrence, bien qu’une procédure concernant cette infraction soit pendante devant la Commission, en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement
no 1/2003 ayant pour conséquence la suspension de cette procédure nationale.
42. Pour répondre à cette question, il est nécessaire, dans un premier temps, de clarifier la position du droit de l’Union à l’égard de la suspension par une juridiction nationale d’une procédure pendante devant elle, en raison de l’ouverture par la Commission d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts. Dans un second temps, il convient d’examiner si le droit de l’Union s’oppose à ce que, du fait d’une telle suspension, une juridiction nationale ordonne la production de preuves
aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ( 14 ).
a) Sur la suspension d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts
43. En vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, l’ouverture d’une procédure par la Commission dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE en ce qui concerne les mêmes infractions. En revanche, conformément à l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement, une juridiction nationale saisie d’une action en dommages et intérêts n’est pas automatiquement dessaisie, du fait de l’ouverture de la procédure par la
Commission, de sa compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE et pour statuer sur les infractions examinées par cette institution. En outre, cette juridiction n’est pas obligée de suspendre sa procédure.
44. En effet, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 énonce que « [l]orsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101 ou 102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. [En l’absence d’une telle décision, les juridictions nationales] doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à
l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure ».
45. La directive 2014/104 n’oblige pas non plus les juridictions nationales à suspendre leurs procédures. Il ressort de la lecture de l’article 6, paragraphes 5 et 9, de cette directive qu’il soutient l’interprétation selon laquelle une procédure relative à une action en dommages et intérêts peut continuer également lorsqu’une procédure est pendante devant une autorité de concurrence. En effet, tandis que les preuves relevant de la liste grise ne peuvent pas être produites avant qu’une autorité de
concurrence close sa procédure (article 6, paragraphe 5, de ladite directive), la production de preuves relevant de la liste blanche peut être ordonnée « à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts » (article 6, paragraphe 9, de la même directive).
46. Du point de vue du droit de l’Union, la suspension d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts n’est donc pas obligatoire en raison de l’ouverture d’une procédure par la Commission. Certes, du point de vue de ce droit, indépendamment de la question de savoir si une juridiction nationale suspend ou non sa procédure, celle-ci doit veiller, notamment, à ne pas prendre une décision qui irait à l’encontre de la décision envisagée par la Commission. Toutefois et a fortiori, sous
réserve des limitations issues du droit de l’Union, telles que celles résultant de la nécessité d’assurer l’effet utile de ce droit, prévue à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, ou des principes d’effectivité et d’équivalence, les effets d’une telle suspension relèvent du droit national.
47. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, dans la présente affaire, la procédure relative à l’action en dommages et intérêts a été suspendue en raison de l’obligation résultant de la réglementation procédurale nationale. Cependant, la Cour n’est pas interrogée sur la question de savoir si une telle « obligation » est compatible avec les droits que tirent du droit de l’Union les personnes ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence. En outre, il
n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si, sous réserve des limitations découlant du droit de l’Union, une juridiction nationale peut, en vertu de sa réglementation procédurale nationale, prendre des mesures après avoir suspendu sa procédure. Seule se pose en l’occurrence la question de savoir si, du fait d’une telle suspension, la directive 2014/104 s’oppose à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves en vertu des dispositions nationales qui
transposent les articles 5 et 6 de cette directive.
b) Sur l’injonction de production de preuves
48. Comme je l’ai noté dans un autre contexte ( 15 ), la directive 2014/104 ne semble pas définir l’articulation qui doit, techniquement, exister, au niveau procédural, entre une demande de production de preuves et une action en dommages et intérêts (une demande de production de preuves en tant que mesure dans une procédure au fond, une demande examinée dans le cadre d’une procédure incidente ou même dans le cadre d’une procédure séparée). Dans ce même autre contexte, j’ai considéré qu’une demande
de production de preuves formulée avant l’introduction d’une action en dommages et intérêts est également susceptible de relever du champ d’application des articles 5 et 6 de cette directive ( 16 ). A fortiori, dans un premier temps, la suspension d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ne conduit pas à ce que les mesures de production des preuves adoptées aux fins de cette procédure sortent du champ d’application de ladite directive. En tout état de cause, il semble peu
convaincant d’arguer que celle-ci deviendrait à nouveau applicable après la reprise de la procédure. Dans un second temps, à tout le moins du point de vue de la même directive, la suspension d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts n’empêche pas automatiquement la juridiction nationale d’ordonner la production de preuves aux fins de cette procédure.
49. Il en va de même lorsqu’une telle procédure est suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure par la Commission – suspension qui n’est pas obligatoire au regard du droit de l’Union ( 17 ). En effet, ainsi qu’il ressort des considérations présentées au point 45 des présentes conclusions, sous réserve des modalités spécifiques relatives aux preuves relevant des listes noire et grise, la directive 2014/104 ne s’oppose pas, du moins en principe, à ce qu’une juridiction nationale ordonne la
production des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence avant que cette autorité close sa procédure.
50. Ce faisant, cette juridiction nationale doit toutefois respecter toutes les exigences qui découlent de la directive 2014/104 et, notamment, limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire. Comme je l’ai souligné au point 39 des présentes conclusions, ces exigences constituent un élément central du mécanisme prévu afin d’assurer la mise en balance des intérêts en jeu par les juridictions nationales, notamment ceux de la sphère publique lors de la mise en œuvre
des règles de concurrence.
51. Dans ce contexte, l’article 6, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/104 précise que lorsque les juridictions nationales examinent la proportionnalité d’une injonction de production d’informations, elles tiennent également compte de la question de savoir si « la partie qui demande la production d’informations le fait dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale ». J’en déduis que, dans le cadre de cet examen de la proportionnalité effectué
de manière attentive, surtout lorsqu’il s’agit des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence ( 18 ), une juridiction nationale doit également prendre en compte la circonstance que la procédure relative à l’action en dommages et intérêts a été suspendue.
52. La considération selon laquelle la directive 2014/104 ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ayant été suspendue du fait de l’ouverture d’une procédure par la Commission n’est pas remise en cause par l’obligation selon laquelle « [l]orsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101 ou 102 TFUE] [...],
elles [ne peuvent] prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission » ( 19 ).
53. Selon l’interprétation avancée par la Commission, la portée de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 se limite à l’application de l’article 101 ou 102 TFUE ou, en d’autres termes, au constat d’une infraction au droit de la concurrence par une juridiction nationale. Une injonction de production de preuves, qui ne constitue qu’une décision de procédure, ne relèverait pas de la portée de l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement.
54. Sans vouloir remettre en cause l’interprétation présentée par la Commission et la conclusion à laquelle elle parvient, je suis sensible à une interprétation plus nuancée. En effet, tant, d’une part, le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, que, d’autre part, l’objectif d’une application efficace et uniforme du droit de la concurrence de l’Union et le principe général de sécurité juridique, qui font écho également à l’article 16, paragraphe 1, du règlement
no 1/2003 ( 20 ), imposent, selon moi, à une juridiction nationale de tenir compte de la procédure pendante devant la Commission lors de l’adoption de toute décision ou mesure au cours d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, surtout lorsque cette décision ou mesure concerne, même ponctuellement, la constatation de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence.
55. À cet égard, je relève que, pour que soit ordonnée par une juridiction nationale la production de preuves demandée par une personne qui prétend être victime d’une infraction, la plausibilité de la demande de dommages et intérêts a ux fins de laquelle cette production est demandée doit être étayée ( 21 ).
56. L’intérêt d’éviter les conflits de décisions, qui résulte de la volonté d’assurer l’application cohérente des règles de concurrence et le principe général de sécurité juridique, en principe, n’est pas remis en cause lorsqu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ayant été suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure par la Commission ( 22 ).
57. En effet, il ressort des arrêts Gasorba e.a. ( 23 ) et Groupe Canal +/Commission ( 24 ) que lorsque la Commission, d’une part, « envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction » et, d’autre part, adopte une décision au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, qui rend obligatoires des engagements pour les entreprises concernées, les juridictions nationales ne peuvent pas adopter au regard des comportements concernés des décisions « négatives »,
constatant l’absence de violation des articles 101 et 102 TFUE. Le fait d’ordonner la production de preuves, en ayant considéré que la plausibilité de la demande de dommages et intérêts a ux fins de laquelle cette production est demandée a été étayée, ne saurait être assimilé à une décision « négative » au regard du fait que la Commission poursuit sa procédure et cherche à déterminer s’il existe une violation des articles 101 et 102 TFUE.
58. Par ailleurs, il ressort de l’arrêt Masterfoods et HB ( 25 ) que, lorsque, « afin d’éviter de prendre une décision allant à l’encontre de celle de la Commission », une juridiction nationale sursoit à statuer, en raison du fait que la solution du litige pendant devant elle dépend de la validité de la décision de la Commission relative à l’article 101 ou 102 TFUE, qui fait l’objet d’un recours en annulation introduit par le destinataire de cette décision, « il [incombe à ladite juridiction
nationale] d’examiner la nécessité d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu’à ce qu’elle statue définitivement ». A fortiori, en l’absence d’une décision de la Commission, l’intérêt d’éviter les conflits de décisions ne saurait empêcher une juridiction nationale qui suspend sa procédure, en raison de l’ouverture de la procédure par cette institution, de considérer que la plausibilité de la demande de dommages et intérêt a été étayée et d’ordonner la
production de preuves.
59. Dès lors, lorsqu’une juridiction nationale décide d’ordonner la production de preuves aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ayant été suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure par la Commission, elle ne prend pas, en principe, une décision qui est susceptible d’aller à l’encontre de la décision envisagée par la Commission dans cette procédure au sens de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.
60. À la lumière des considérations exposées aux points précédents, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure nationale relative à une action en dommages et intérêts portant sur une infraction au droit de la concurrence, même lorsqu’une procédure concernant cette infraction est pendante devant la Commission, en vue de l’adoption d’une décision en
application du chapitre III du règlement no 1/2003 ayant pour conséquence la suspension de cette procédure nationale.
2. Sur la troisième question préjudicielle
61. Par sa troisième question, qu’il est opportun d’examiner avant la deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la suspension de sa procédure par une autorité nationale de concurrence, au motif que la Commission a ouvert une procédure en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, peut être considérée comme la clôture de cette procédure « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104.
62. Pour rappel, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production des preuves figurant sur la liste grise qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure. Le considérant 25 de cette directive précise que la clôture de la procédure résulte de l’adoption, par exemple, d’une décision au titre de l’article 5 du règlement no 1/2003 ( 26 ), « à l’exception des
décisions portant sur des mesures provisoires ».
63. En vertu de l’article 5, premier alinéa, du règlement no 1/2003, une autorité nationale de concurrence peut ordonner la cessation d’une infraction, ordonner des mesures provisoires, accepter des engagements et infliger des amendes, des astreintes ou toute autre sanction prévue par son droit national. Selon le second alinéa de cet article 5, lorsque les autorités de concurrence nationales considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont
pas réunies, elles peuvent décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir ( 27 ). Ainsi, sous réserve des mesures provisoires et à la différence de celles-ci, l’article 5, premier et second alinéas, du ce règlement vise des décisions adoptées lorsqu’une autorité nationale de concurrence considère que, compte tenu des informations recueillies au cours de sa procédure, il est possible ou même nécessaire de statuer sur cette procédure et de la clore.
64. Cela étant, la juridiction de renvoi semble mettre l’accent, en ce qui concerne l’adoption d’une décision de clôture, sur l’alternative prévue à l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, à savoir la clôture de la procédure « d’une autre manière ».
65. À cet égard, il y a lieu d’observer que la proposition initiale de directive ( 28 ) prévoyait, dans une de ses dispositions, que la divulgation de preuves relevant de la liste grise ne puisse être ordonnée « qu’une fois qu’une autorité de concurrence a clos sa procédure ou adopté une des décisions énumérées à l’article 5 du règlement no 1/2003 ou à son chapitre III » ( 29 ).
66. La formulation de cette disposition a fait l’objet de débats au cours des travaux préparatoires. En particulier, il découle du projet de résolution législative du Parlement européen ( 30 ) que cette institution a cherché à modifier cette formulation pour qu’elle reflète, en termes plus généraux, l’idée selon laquelle la divulgation des preuves relevant de la liste grise ne peut être ordonnée qu’une fois qu’une autorité de concurrence a clos sa procédure « par quelque moyen que ce soit ».
67. En fin de compte, la formulation de la disposition de la proposition initiale a été reprise au considérant 25 de la directive 2014/104, avec la précision qu’il s’agit d’une illustration (« clos sa procédure, en adoptant par exemple une décision au titre de l’article 5 ou du chapitre III du [règlement no 1/2003] ») ( 31 ).
68. Plus important encore, l’idée énoncée dans le projet de résolution législative du Parlement semble avoir inspiré la formulation de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 (« en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure »), sans changer en réalité le sens de la proposition initiale de la Commission (« une fois qu’une autorité de concurrence a clos sa procédure ou adopté une des décisions [...] »). Il s’agissait simplement de clarifier que les décisions adoptées
au titre de l’article 5 du règlement no 1/2003, elles aussi, « clôturent », au sens de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, la procédure d’une autorité nationale de concurrence.
69. Ainsi, lorsque la directive 2014/104 se réfère au fait de clore la procédure « en adoptant une décision ou d’une autre manière », il s’agit des mesures qui, quant à leur substance et à leur finalité, sont adoptées lorsqu’une autorité nationale de concurrence décide que, compte tenu des informations recueillies au cours de la procédure, il est possible ou même nécessaire de statuer et de conclure (« clore ») celle-ci. Dès lors, la suspension de la procédure par une autorité nationale de
concurrence ne saurait être assimilée à une clôture de la procédure par cette autorité « d’une autre manière ».
70. Il en est de même en ce qui concerne la suspension de la procédure par une autorité nationale de concurrence du fait de l’ouverture d’une procédure par la Commission.
71. En effet, il convient de relever, à l’instar du gouvernement hellénique, que, en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ( 32 ), l’ouverture d’une procédure par la Commission ne dessaisit pas, de façon permanente et définitive, les autorités nationales de concurrence de leur compétence pour appliquer la législation nationale en matière de concurrence. Cette compétence est restaurée dès que la procédure engagée par la Commission est achevée ( 33 ). Par ailleurs, en vertu de
l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, les autorités de concurrence des États membres conservent leur pouvoir d’agir dans le cadre tant du droit de l’Union que du droit national de la concurrence, même lorsque la Commission a elle‑même déjà pris une décision, à condition qu’elles ne prennent pas de décisions qui iraient à l’encontre de celle adoptée par la Commission ( 34 ).
72. L’interprétation téléologique de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 plaide en faveur de l’interprétation proposée au point 69 des présentes conclusions.
73. Le considérant 25, première phrase, de la directive 2014/104 indique la raison d’être de la protection temporelle des preuves relevant de la liste grise : « Il convient de prévoir une dérogation en ce qui concerne toute production de documents qui, si elle était accordée, aurait pour effet d’empiéter indûment sur une enquête en cours menée par une autorité de concurrence au sujet d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union ou au droit national de la concurrence. »
74. À cet égard, d’une part, la procédure de la Commission à l’origine de la suspension de la procédure de l’autorité de la concurrence tchèque est toujours en cours. C’est donc également l’intérêt de la procédure de cette institution qui, suivant la logique de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, peut être compromis par la divulgation des preuves figurant dans le dossier de l’autorité de la concurrence tchèque. La procédure engagée par cette autorité porte sur les mêmes infractions
que celles examinées par la Commission. D’autre part, compte tenu du fait que la compétence de ladite autorité est, théoriquement, susceptible d’être restaurée, l’intérêt de sa procédure constitue toujours une cause valable pour conférer une protection temporelle aux preuves figurant dans le dossier de la même autorité.
75. Par conséquent, l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la suspension de sa procédure par une autorité nationale de concurrence au motif que la Commission a ouvert une procédure, en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, ne saurait être considérée comme une clôture de sa procédure par l’autorité nationale de concurrence « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de cette disposition.
3. Sur la deuxième question préjudicielle
76. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 8, l’article 6, paragraphe 5, sous a), et paragraphe 9, de la directive 2014/104 s’opposent à une réglementation nationale limitant temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, la production de toutes les informations « soumises » aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, et non uniquement des informations « préparées » expressément à ces fins.
77. En effet, si la deuxième question préjudicielle, telle que formulée, semble porter sur la seule interprétation de l’article 6, paragraphes 5 et 9, de la directive 2014/104, cette juridiction cherche à savoir, pour reprendre les termes de sa demande de décision préjudicielle, si cette directive fait obstacle à l’adoption d’une réglementation nationale qui élargit le périmètre des informations dont la production est exclue pendant la durée de la procédure devant l’autorité de concurrence. La marge
de manœuvre dont disposent les États membres en ce qui concerne la transposition des articles 5 et 6 de ladite directive est circonscrite au moyen de l’article 5, paragraphe 8, de la même directive. Il me semble donc nécessaire de reformuler la deuxième question préjudicielle et d’en étendre sa portée à cette dernière disposition.
78. Par ailleurs, dans un souci de clarté, il est certes vrai que la formulation de la deuxième question fait référence aux « informations qu’une partie à la procédure a l’obligation de préparer et de conserver (ou prépare et conserve) sur la base d’une autre réglementation et indépendamment de la procédure d’infraction au droit de la concurrence ». Toutefois, il ressort de cette formulation (« et ce également lorsqu’il s’agit »), lue à la lumière de la présente demande de décision préjudicielle (
35 ), que cette référence ne constitue qu’une illustration des preuves que vise cette question préjudicielle.
79. Avant d’analyser la deuxième question ainsi reformulée, il convient d’examiner sa recevabilité, celle-ci étant contestée par České dráhy.
a) Sur la recevabilité de la deuxième question préjudicielle
80. České dráhy fait valoir que cette question est prématurée et hypothétique, car, à ce jour, les juridictions nationales tchèques ne se sont pas prononcées sur le point de savoir si les documents faisant l’objet de la demande de production de documents avaient été expressément préparés pour la procédure devant l’autorité de la concurrence tchèque ou pour la procédure menée par la Commission.
81. À cet égard, il y a lieu de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des
éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.
82. Or, la réponse qu’apportera la Cour à ladite question conditionnera l’identification des preuves qui relèvent de la liste blanche et qui, le cas échéant, peuvent être produites nonobstant le fait que l’autorité de la concurrence tchèque n’a pas clos sa procédure. Il s’ensuit que la deuxième question préjudicielle est recevable.
b) Sur le fond
83. La juridiction de renvoi observe que, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104, relèvent de la liste grise non pas, comme le présuppose le libellé des dispositions tchèques transposant cette directive, toutes les informations soumises aux fins de cette procédure, mais uniquement les informations préparées expressément aux fins de la procédure d’une autorité de concurrence.
84. En effet, il ressort du libellé de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104, lu à la lumière du considérants 25 de celle-ci ( 36 ), que la protection temporaire conférée en vertu de cette première disposition concerne non pas toute information ayant été soumise expressément, de manière spontanée ou sur demande de l’autorité de concurrence, aux fins d’une telle procédure, mais uniquement les informations ayant été spécifiquement préparées aux fins d’une procédure engagée par
cette autorité.
85. Ce résultat de l’interprétation textuelle est confirmé par les considérations découlant de l’interprétation systématique.
86. En premier lieu, tout d’abord, l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104, qui concerne les preuves relevant de la liste blanche, dispose que la production de preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence qui ne relèvent pas des listes grise et noire peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts. Ensuite, le considérant 28 de cette directive, qui précise le contenu normatif de cette disposition, emploie les termes « preuves existant
indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence (ci-après dénommées “informations préexistantes”) » pour se référer aux preuves autres que celles visées à l’article 6, paragraphes 5 et 6, de ladite directive. Il s’agit donc de toute preuve dont la production n’est pas automatiquement interdite par la même directive, du fait de son appartenance aux listes grise ou noire, en raison de l’intérêt de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique. Enfin,
l’article 2, point 17, de la même directive définit la notion d’« informations préexistantes » comme « toute preuve qui existe indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence, qu’elle figure ou non dans le dossier d’une autorité de concurrence ». Il résulte de cette définition, et surtout de sa dernière partie, que les preuves figurant dans un tel dossier sont elles aussi susceptibles de relever de la liste blanche ( 37 ). En particulier, les informations qu’une partie à
la procédure a l’obligation de préparer et de conserver (ou prépare et conserve) sur la base d’une autre réglementation, et indépendamment de la procédure d’infraction au droit de la concurrence, constituent, par excellence, des informations préexistantes, dont les juridictions nationales peuvent, en principe, ordonner la production à tout moment.
87. En second lieu, en reflétant l’idée selon laquelle il convient, d’une part, de limiter la protection conférée aux preuves relevant des listes grise et noire aux cas où cette protection est effectivement nécessaire et, de ce fait, appropriée du point de vue des objectifs de la directive 2014/104, et, d’autre part, d’autoriser un accès raisonnablement large aux preuves, l’article 6, paragraphe 8, de cette directive prévoit que si seules certaines parties des preuves demandées relèvent de la liste
noire (« sont couvertes par le paragraphe 6 »), les autres parties sont, en fonction de la catégorie dont elles relèvent, produites conformément aux paragraphes pertinents de l’article 8 de ladite directive ( 38 ).
88. L’article 5, paragraphe 8, de la directive 2014/104, autorise les États membres à adopter les règles qui conduiraient à une production plus large de preuves, sans préjudice des paragraphes 4 et 7 de cet article, et de l’article 6 de cette directive.
89. Il en découle que, tandis que l’article 5 de la directive 2014/104 repose en principe sur une harmonisation minimale, l’article 6 de celle-ci est d’harmonisation exhaustive. En conséquence, d’une part, les États membres ne sont pas autorisés à nuancer, lors de la transposition de cette directive, les conditions selon lesquelles les preuves sont classifiées en tant que celles relevant des listes grise, noire ou blanche (« sans préjudice [...] de l’article 6 ») ( 39 ). D’autre part, pour reprendre
les termes de la juridiction de renvoi, autoriser les États membres à élargir le périmètre des informations relevant de la liste grise conduirait, à mon sens, à une production plus limite de preuves, en contradiction avec la logique de l’article 5, paragraphe 8, de ladite directive.
90. Ainsi, il y a lieu d’interpréter l’article 5, paragraphe 8, l’article 6, paragraphe 5, sous a), et paragraphe 9, de la directive 2014/104 en ce sens que ces dispositions s’opposent à une réglementation nationale qui limite temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, non uniquement la production des informations « préparées » expressément aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, mais également celle de toutes les informations « soumises » à
ces fins.
91. Par souci d’exhaustivité, il me faut rappeler que, en appliquant le droit interne qui emploie des termes identiques à ceux d’une directive ou des termes différents de ceux-ci, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci ( 40 ).
4. Sur la quatrième question préjudicielle
a) La reformulation de la question préjudicielle
92. Par sa quatrième question préjudicielle, que je propose de reformuler pour les raisons exposées aux points précédents, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur la production de preuves et ordonne de mettre celles-ci sous séquestre, en reportant
l’examen de la question de savoir si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de cette dernière disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves.
93. Si la formulation de la quatrième question fait référence à l’application, par analogie, de la disposition nationale transposant l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104 aux preuves susceptibles de relever de la liste grise, la juridiction de renvoi indique cependant que, par cette question, elle cherche à savoir, en substance, si une juridiction peut ordonner la production de preuves, régie à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, afin d’apprécier si ces preuves contiennent
des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de ladite directive.
94. Par ailleurs, le problème juridique soulevé par cette question trouve son origine dans l’ordonnance du 29 novembre 2019. Il me faut observer, à cet égard, que les mesures prises par cette juridiction ne correspondent pas parfaitement au mécanisme prévu à l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104 ( 41 ). En effet, cette disposition prévoit un mécanisme de vérification préalable du contenu des preuves susceptibles de relever de la liste noire. En vertu de ladite disposition, le demandeur
peut présenter une demande motivée visant à ce qu’une juridiction nationale accède à de telles preuves, aux seules fins que celle-ci s’assure que leur contenu impose de les considérer comme relevant de la liste noire. Toutefois, en l’espèce, la demande du demandeur faisait défaut. En outre, la production de preuves a été ordonnée en même temps que les mesures permettant de vérifier si ces preuves contiennent des informations figurant sur la liste grise.
95. Dans ces conditions, pour répondre utilement à la quatrième question préjudicielle, peu importe que, en ce qui concerne les preuves susceptibles de relever de la liste grise, une application par analogie de l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104 soit, sous l’empire de cette directive, autorisée ou non. Il importe, en revanche, d’interpréter ladite directive pour que la juridiction de renvoi puisse déterminer si l’approche retenue par la juridiction de deuxième instance est conforme
à la même directive. Il y a lieu donc de reformuler cette question dans le sens évoqué au point 92 des présentes conclusions.
96. Au regard de cette reformulation, il convient d’écarter l’argument de České dráhy selon lequel la quatrième question préjudicielle serait hypothétique, car les juridictions de première et deuxième instances n’ont pas appliqué, même par analogie, la disposition nationale transposant l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104.
b) L’appréciation
97. Il me faut observer, avant tout, que la proposition initiale de la directive 2014/104 ne prévoyait pas un mécanisme de vérification préalable tel que celui prévu à l’article 6, paragraphe 7, de cette directive. Ce mécanisme semble trouver son origine dans un amendement discuté dans le cadre du projet de résolution législative du Parlement. Or, à la différence de la solution retenue dans ladite directive, cet amendement semblait viser à autoriser les juridictions nationales à accéder aux preuves
figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence et à les analyser. Cette autorisation concernait non seulement les preuves susceptibles de relever de la liste noire, mais également celles susceptibles de relever de la liste grise ( 42 ).
98. Ainsi, il y a lieu de s’interroger si l’absence, dans la directive 2014/104, d’une telle autorisation en ce qui concerne les preuves susceptibles de relever de la liste grise implique automatiquement que l’approche retenue par la juridiction de deuxième instance n’est pas conforme au droit de l’Union. Ce faisant, il convient de prendre en compte le type d’harmonisation sur lequel repose l’article 6 de cette directive ainsi que les pouvoirs que ladite directive confère aux juridictions nationales
en ce qui concerne l’accès aux preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence.
1) Le type d’harmonisation
99. L’article 6 de la directive 2014/104 repose sur une harmonisation exhaustive ( 43 ). En ce qui concerne les preuves susceptibles de relever de la liste grise, le législateur de l’Union n’a pas prévu un mécanisme de vérification préalable tel que celui prévu à l’article 6, paragraphe 7, de cette directive. Je rappelle toutefois que, en l’espèce, il ne s’agit pas d’une application par analogie et/ou par extension de cette disposition à de telles preuves.
100. Pour établir si l’harmonisation exhaustive fait obstacle à l’approche suivie par la juridiction de deuxième instance, il ne suffit donc pas de faire référence aux termes de l’article 6 de la directive 2014/014. À mon sens, pour tracer les contours de l’harmonisation exhaustive que le législateur de l’Union cherchait à obtenir au moyen de cette disposition, il y a lieu de prendre en compte également le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition ainsi que les raisons qui ont conduit le
législateur de l’Union à procéder à l’harmonisation exhaustive des matières couvertes par ladite disposition.
101. Selon le considérant 21 de la directive 2014/104, « [l]’application effective et cohérente des articles 101 et 102 [TFUE] par la Commission et les autorités nationales de concurrence nécessite une approche commune au sein de l’Union en ce qui concerne la production de preuves contenues dans le dossier d’une autorité de concurrence » et « [l]a production des preuves ne devrait pas entraver indûment la mise en œuvre effective du droit de la concurrence par une autorité de concurrence ». Il
s’ensuit que l’harmonisation exhaustive a été réalisée par le législateur de l’Union principalement au bénéfice de l’intérêt de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique.
102. Or, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, sous c), de la directive 2014/104, « la nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique » constitue également un des éléments qui doit être pris en compte par les juridictions nationales lorsqu’elles évaluent la proportionnalité d’une injonction de production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence. Ainsi, assurer que la divulgation de preuves figurant dans un tel
dossier ne compromette pas l’efficacité des procédures des autorités de concurrence relève, en tant que tâche partagée, de la responsabilité des législateurs ainsi que des juridictions nationales compétentes en matière d’actions en dommages et intérêts.
103. Dans le prolongement de cette logique, si une juridiction nationale doit également prendre en compte cette nécessité lorsqu’elle statue sur la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, on ne saurait alors exclure que, en dépit de cette harmonisation, certains aspects relatifs aux matières couvertes par cette disposition peuvent être précisés et/ou nuancés par un État membre. À mon sens, l’approche retenue par la juridiction de deuxième instance dans la
présente affaire touche à l’un de ces aspects.
104. Par ailleurs, en procédant à l’harmonisation exhaustive des matières couvertes par l’article 6 de la directive 2014/104, le législateur de l’Union n’a pas ignoré l’intérêt des personnes qui prétendent être victimes d’infractions et l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée. En effet, cette disposition favorise une production raisonnablement large des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, qui ne relèvent pas des listes grise et
noire ( 44 ). Ainsi, dans la mesure où elle favorise la production de preuves relevant de la liste blanche, l’approche suivie par la juridiction de deuxième instance dans la présente affaire s’inscrivait dans cette logique.
105. Par souci de clarté, il y a lieu de relever que l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104 oblige les États membres à conférer un droit procédural à un « demandeur » qui, lorsque l’exemption est invoquée au titre de l’article 6, paragraphe 6, de cette directive, peut demander à une juridiction nationale à ce que celle-ci accède aux preuves afin de vérifier si leur contenu les fait sortir de la liste noire ( 45 ). Toutefois, l’approche retenue par la juridiction de deuxième instance
dans la présente affaire ne repose pas sur l’existence d’un droit dont les justiciables peuvent systématiquement se prévaloir dans le contexte des procédures relatives aux actions en dommages et intérêts. En l’espèce, il s’agissait d’une intervention spécifique de cette juridiction, eu égard aux circonstances de la procédure au principal et, probablement, dans le souci d’assurer l’accès aux preuves relevant de la liste blanche. Je partage donc l’avis de la Commission selon lequel, sous l’empire
de ladite directive, il est possible, dans des cas individuels, d’appliquer, conformément au droit national, une approche telle que celle suivie par la juridiction de deuxième instance dans la présente affaire.
106. Les autres arguments de České dráhy et de la Commission, qui concernent, en substance, le rôle que jouent les juridictions nationales dans le contexte de la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette considération.
2) La nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique
107. Il est certes vrai que l’approche suivie dans la présente affaire par la juridiction de deuxième instance est susceptible d’être trop fastidieuse, tant pour une juridiction nationale que pour la personne à laquelle la production de preuves est demandée et donc, le cas échéant, pour une partie défenderesse ou pour une autorité de concurrence.
108. Toutefois, d’une part, l’éventail des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence dont la production peut être demandée à une partie à la procédure est circonscrit par l’examen de la proportionnalité. En effet, en ce qui concerne de telles preuves, cet examen doit être effectué de manière attentive, ainsi que l’indique le considérant 23 de la directive 2014/104. Comme l’indique également ce considérant, « [l]es demandes de production de documents ne devraient dès lors pas
être considérées comme proportionnées lorsqu’elles font référence à une production générale des documents figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence concernant une affaire donnée, ou à une production générale des documents soumis par une partie dans le cadre d’une affaire donnée ».
109. D’autre part, ainsi que je l’ai indiqué au point 102 des présentes conclusions, lors de l’examen de la proportionnalité, les juridictions nationales prennent en compte « la nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique ». Dans cette logique, la doctrine considère que les juridictions nationales doivent veiller à ce que la divulgation de documents ne soit pas excessivement fastidieuse pour des autorités de concurrence ( 46 ).
3) La possibilité de vérifier la véracité de l’affirmation selon laquelle les preuves demandées relèvent de la liste grise
110. České dráhy fait valoir que, en l’absence d’un mécanisme de vérification préalable, tel que celui prévu à l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104, il serait impossible pour une juridiction nationale de contrôler la véracité des affirmations d’une partie à la procédure, relatives à l’action en dommages et intérêts, quant au fait que les preuves demandées relèvent de la liste noire. En revanche, selon České dráhy, il en va autrement en ce qui concerne les preuves susceptibles de
relever de la liste grise.
111. Or, en ce qui concerne l’auteur des affirmations selon lesquelles les preuves demandées relèvent de la liste noire, la structure de l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104 suggère que le rôle principal dans ce contexte est accordé aux autorités de concurrence. En effet, cette disposition prévoit, dans un premier temps, que les juridictions nationales peuvent demander l’aide de l’autorité de concurrence compétente. Ce n’est que dans un second temps que ladite disposition fait
référence au fait que les auteurs des éléments de preuves en question peuvent également être entendus. Toutefois, il résulte de l’article 6, paragraphe 7, de cette directive que, même en ce qui concerne la liste noire, le dernier mot revient à une juridiction nationale ( 47 ).
112. À cet égard, la Commission indique que, étant donné que la production des preuves relevant de la liste noire est refusée de manière permanente, le préjudice causé par un éventuel refus erroné d’ordonner la production de telles preuves est nettement plus grave que celui causé par un refus d’ordonner la production de preuves relevant de la liste grise. Or, le « refus erroné » auquel la Commission fait référence, à savoir celui émanant d’une juridiction nationale, peut se produire également lors
de la vérification que cette juridiction effectue dans le contexte du mécanisme de vérification préalable, prévu à l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104. Plus important encore, ce mécanisme a pour principal objet non pas de corriger les erreurs des juridictions nationales, mais de limiter le risque d’un refus et/ou d’une opposition non‑fondés, provenant de la personne à laquelle la production des preuves est demandée. Cette interprétation est corroborée par le considérant 27 de
cette directive, qui indique que ledit mécanisme concerne l’accès des juridictions nationales aux « documents à l’égard desquels l’exemption est invoquée ».
113. Il y a lieu donc de considérer que même les preuves relevant de la liste noire sont protégées non pas vis-à-vis d’une juridiction nationale mais vis-à-vis du demandeur et des tiers. Le dernier mot quant à leur qualification en tant que « preuves relevant de la liste noire » revient à la juridiction nationale. A fortiori, les preuves dont la production est, en principe, moins nuisible pour l’intérêt de la sphère publique, à savoir celles relevant de la liste grise, ne doivent pas nécessairement
être protégées de manière plus stricte contre l’accès de cette juridiction nationale.
114. En l’espèce, l’autorité de la concurrence tchèque s’est opposée à la production par České dráhy de preuves dont cette autorité « disposait » dans le cadre de sa procédure administrative, déclenchée en 2012, ainsi qu’à la production des « autres documents demandés par la demanderesse », en raison du fait que ceux-ci constitueraient « un ensemble cohérent de documents et [que] leur production pourrait diminuer l’efficacité de la politique de poursuite des infractions au droit de la
concurrence » ( 48 ).
115. Toutefois, pour que les preuves puissent bénéficier de la protection temporaire résultant de leur appartenance à la liste grise, elles doivent correspondre aux définitions figurant à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2014/104. En ce qui concerne une demande qui expose de manière raisonnablement détaillée les preuves demandées ( 49 ), un refus et/ou une opposition en ce qui concerne la production des preuves concernées ne sauraient être formulés « en bloc » ni être fondés sur une
considération générale selon laquelle leur divulgation pourrait diminuer l’efficacité de la politique de poursuite des infractions.
116. En effet, en ce qui concerne les preuves qui ne relèvent pas de ces définitions, c’est-à-dire celles relevant de la liste blanche, une juridiction nationale doit elle-même procéder à un examen dans le cadre duquel elle prend en compte la nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique ( 50 ). Une personne à laquelle la production de preuves est demandée ne saurait procéder à un tel examen et le substituer à celui de la juridiction
nationale. Dans cette logique, compte tenu de la nécessité de remédier à l’asymétrie de l’information et d’assurer l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée, nécessité qui sous-tend la directive 2014/104, cette directive ne semble pas s’opposer à ce qu’une juridiction nationale dispose, en vertu de sa réglementation procédurale nationale, d’un instrument lui permettant de remédier au recours excessif à l’exemption prévue à l’article 6, paragraphe 5, de
ladite directive. Un tel instrument procédural renforce l’effet utile des articles 101 et 102 TFUE et contribue à l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée.
117. Dans ces conditions, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur la production de preuves et ordonne de les mettre sous séquestre, en reportant l’examen de la question de savoir si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une
procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de cette seconde disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves.
5. Sur la cinquième question préjudicielle
118. Par sa cinquième question, posée en cas de réponse affirmative à la quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une juridiction nationale peut, avant d’avoir vérifié si les preuves dont la production a été ordonnée relèvent de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104, refuser au demandeur et aux autres parties l’accès à ces preuves, et ce conformément à l’article 5, paragraphe 4, de cette directive.
119. Bien que la juridiction de renvoi fasse référence à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2014/104, l’interprétation de cette disposition ne me semble pas nécessaire afin de lui fournir une réponse utile. En effet, si l’article 5, paragraphe 4, de cette directive concerne les mesures prises aux fins de la protection des informations confidentielles, dans l’intérêt d’une partie à la procédure ou d’un tiers, c’est-à-dire dans l’« intérêt privé », l’article 6, paragraphe 5, de celle-ci
concerne la nécessité de protéger l’intérêt de la sphère publique dans la mise en œuvre du droit de la concurrence, c’est-à-dire l’« intérêt public ». En tout état de cause, il suffit d’interpréter cette seconde disposition pour apporter une réponse utile à la cinquième question préjudicielle.
120. En effet, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104, les juridictions nationales ont non seulement le droit, comme le présuppose la cinquième question (« mesures efficaces de protection des informations confidentielles adoptées par une juridiction peuvent ») ( 51 ), mais aussi l’obligation de veiller à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès, au cours d’une procédure engagée par une autorité de concurrence, aux « informations préparées par une
personne physique ou morale expressément aux fins [de cette procédure] ». Dans cette logique, si une juridiction nationale ordonne la production de preuves susceptibles de relever de la liste grise afin de vérifier si tel est le cas, cette juridiction doit veiller à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès à ces preuves, lorsqu’elles relèvent de la liste blanche, avant qu’elle ne complète cette vérification ou, lorsqu’elles relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de
concurrence compétente ne close sa procédure.
121. Ainsi, l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une juridiction nationale reporte l’examen de la question de savoir si les preuves dont la production est demandée contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », cette juridiction doit veiller à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès à ces preuves, lorsqu’elles
relèvent de la liste blanche, avant qu’elle n’ait complété cette vérification ou, lorsqu’elles relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de concurrence compétente n’ait clos sa procédure.
VI. Conclusion
122. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) de la manière suivante :
1) L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure nationale relative à une action en
dommages et intérêts portant sur une infraction au droit de la concurrence, même lorsqu’une procédure concernant cette infraction est pendante devant la Commission européenne, en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE], ayant pour conséquence la suspension de cette procédure nationale.
2) L’article 5, paragraphe 8, et l’article 6, paragraphe 5, sous a), et paragraphe 9, de la directive 2014/104 doivent être interprétés en ce sens que ces dispositions s’opposent à une réglementation nationale limitant temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, la production de toutes les informations « soumises » aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, et non uniquement des informations « préparées » expressément à ces fins.
3) L’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la suspension de sa procédure par une autorité nationale de concurrence au motif que la Commission a ouvert une procédure, en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, ne saurait être considérée comme une clôture de sa procédure par l’autorité nationale de concurrence « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de cette disposition.
4) L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur la production de preuves et ordonne de les mettre sous séquestre, en reportant l’examen de la question de savoir si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée
par une autorité de concurrence », au sens de cette seconde disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves.
5) L’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une juridiction nationale reporte l’examen de la question de savoir si les preuves dont la production est demandée contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », cette juridiction doit veiller à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès à ces preuves, lorsqu’elles
relèvent de la liste blanche, avant qu’elle n’ait complété cette vérification ou, lorsqu’elles relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de concurrence compétente n’ait clos sa procédure.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).
( 3 ) Voir mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21, ECLI:EU:C:2022:286).
( 4 ) Cette information ressort des observations des intéressées.
( 5 ) Règlement de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).
( 6 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
( 7 ) En effet, tandis que, dans certaines versions linguistiques, l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104 se réfère aux dispositions nationales « adoptées [...] afin de se conformer aux dispositions substantielles » de cette directive, l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive ne mentionne que les dispositions nationales « autre[s] que celles visées au paragraphe 1 » de la même directive. Toutefois, comme je l’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21,
ECLI:EU:C:2022:286, point 55), il peut être déduit de la logique d’application de ces dispositions nationales que l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 concerne les dispositions procédurales.
( 8 ) Voir arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 25).
( 9 ) Dans le prolongement de cette logique, chaque règle procédurale peut s’avérer avantageuse pour une partie à la procédure et désavantageuse pour l’autre. Cela ne conduit pas non plus à ce qu’une règle perde son caractère procédural.
( 10 ) Voir mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21, ECLI:EU:C:2022:286, point 57).
( 11 ) Voir arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 28).
( 12 ) Aux termes de l’article 36 de cette loi, intitulé « Dispositions transitoires », « [l]es procédures de réparation des dommages causés par la restriction de la concurrence ainsi que les procédures de demande de règlement au titre de la présente loi par des demandeurs solidairement responsables des dommages, engagées après le 25 décembre 2014, sont achevées conformément à la présente loi ; les effets juridiques des actes accomplis dans le cadre de la procédure avant la date d’entrée en vigueur
de la présente loi ne sont pas affectés ».
( 13 ) Voir mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21, ECLI:EU:C:2022:286, point 89).
( 14 ) Je rappelle que, dans la présente affaire, la production de preuves a été ordonnée par l’ordonnance du 14 mars 2018 et a été confirmée par l’ordonnance du 29 novembre 2019. Dans l’intervalle, le 19 décembre 2018, la procédure relative à l’action en dommages et intérêts a été suspendue.
( 15 ) Voir mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21, ECLI:EU:C:2022:286, point 41).
( 16 ) Voir mes conclusions dans l’affaire PACCAR (C‑163/21, ECLI:EU:C:2022:286, point 43).
( 17 ) Voir point 46 des présentes conclusions.
( 18 ) Aux termes du considérant 23 de la directive 2014/104, « [l]’exigence de proportionnalité devrait faire l’objet d’une évaluation attentive lorsque la production de documents risque de mettre à mal la stratégie d’enquête d’une autorité de concurrence en révélant les documents qui font partie de son dossier ou risque de nuire à la manière dont les entreprises coopèrent avec les autorités de concurrence ».
( 19 ) Cette obligation découle de l’article 16, paragraphe 1, première et deuxième phrases, du règlement no 1/2003 (voir point 44 des présentes conclusions).
( 20 ) Aux termes du considérant 22, première phrase, du règlement no 1/2003, « [a]fin de garantir le respect des principes de la sécurité juridique et l’application uniforme des règles de concurrence [de l’Union] dans un système de compétences parallèles, il faut éviter les conflits de décisions ». Voir, également, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB (C‑344/98, EU:C:2000:689, point 51), qui a été codifié à l’article 16, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement no 1/2003 [arrêt du
9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission (C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 112], dans lequel la Cour fait référence à « l’application cohérente des règles de concurrence et le principe général de sécurité juridique ».
( 21 ) Voir article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104.
( 22 ) Voir, par analogie, arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a. (C‑547/16, EU:C:2017:891, point 29).
( 23 ) Arrêt du 23 novembre 2017 (C‑547/16, EU:C:2017:891, point 5).
( 24 ) Arrêt du 9 décembre 2020 (C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 113).
( 25 ) Arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB (C‑344/98, EU:C:2000:689, points 57 et 58)
( 26 ) Si ce considérant mentionne également une décision adoptée au titre du chapitre III du règlement no 1/2003, ce chapitre concerne toutefois uniquement les décisions de la Commission.
( 27 ) Voir arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska (C‑375/09, EU:C:2011:270, points 22 et 23).
( 28 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne [COM(2013) 404 final].
( 29 ) Voir article 6 de cette proposition. De même, le considérant 20 de ladite proposition précisait que de telles preuves ne pouvaient être divulguées qu’une fois que l’autorité de concurrence avait constaté une infraction aux règles de concurrence nationales ou de l’Union ou qu’elle avait clos sa procédure.
( 30 ) Projet de résolution législative du Parlement européen, document C7‑0170/2013.
( 31 ) Mise en italique par mes soins.
( 32 ) Voir point 43 des présentes conclusions.
( 33 ) Voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, points 79 et 80).
( 34 ) Voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, points 84 et 85).
( 35 ) Voir point 77 des présentes conclusions.
( 36 ) Le considérant 25 de la directive 2014/104 indique que sont qualifiées comme relevant de la liste grise, notamment, « les informations préparées par une autorité de concurrence au cours de la procédure engagée en vue de l’application du droit de la concurrence de l’Union ou du droit national de la concurrence et adressées aux parties à cette procédure (par exemple, une “communication des griefs”) ou préparées par une partie à celle-ci (par exemple, une réponse à une demande d’informations de
l’autorité de concurrence ou des déclarations de témoins) ».
( 37 ) Ce résultat trouve sa confirmation à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2014/104, qui se réfère aux « preuves obtenues par une personne physique ou morale uniquement grâce à l’accès au dossier d’une autorité de concurrence [...] qui ne relèvent pas [de la liste grise ou noire] ».
( 38 ) Cette approche fait écho également aux considérants 26 et 27 de la directive 2014/104. En effet, le considérant 26 de cette directive précise, à sa dernière phrase, que, « [a]fin de garantir que [l’exemption établie en faveur des preuves relevant de la liste noire] n’empiète pas indûment sur le droit à réparation des parties lésées, elle devrait être limitée à ces déclarations en vue d’obtenir la clémence et ces propositions de transaction spontanées et auto-incriminantes ». Par ailleurs, le
considérant 27 de ladite directive souligne, à sa dernière phrase, que « [t]out contenu sortant du cadre de [la liste noire] devrait pouvoir être divulgué dans le respect des conditions pertinentes ». Les preuves relevant de la liste grise sortent effectivement de la liste noire. La faculté de demander leur production, ainsi que celle de preuves relevant de la liste blanche, fait partie de la garantie que, pour reprendre les termes du considérant 27, première phrase, de la même directive, « les
parties lésées disposent de suffisamment d’alternatives pour avoir accès aux preuves pertinentes nécessaires pour préparer leurs actions en dommages et intérêts ». Voir également, dans cet ordre d’idées, en ce qui concerne la publication des décisions de la Commission et les informations factuelles sur l’infraction qui sont y contenues, mes conclusions dans l’affaire Evonik Degussa/Commission (C‑162/15 P, EU:C:2016:587, points 204 et 205).
( 39 ) Voir, également, considérant 21 de la directive 2014/104, selon lequel « [l]’application effective et cohérente des articles 101 et 102 [TFUE] par la Commission et les autorités nationales de concurrence nécessite une approche commune au sein de l’Union en ce qui concerne la production de preuves contenues dans le dossier d’une autorité de concurrence ».
( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 24).
( 41 ) En outre, České dráhy fait valoir que, dans son ordonnance du 29 novembre 2019, la juridiction de deuxième instance n’a pas invoqué la disposition nationale transposant l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104, tandis que la Commission indique, à cet égard, que cette juridiction y a invoqué une disposition nationale transposant l’article 5, paragraphe 3, de cette directive.
( 42 ) Selon ce projet, les juridictions nationales saisies d’une demande de production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence qui ne peut normalement pas être divulgué auraient pu « accéder à ce document et l’analyser ».
( 43 ) Voir point 89 des présentes conclusions.
( 44 ) Voir points 87 à 89 des présentes conclusions.
( 45 ) Voir considérant 27 de la directive 2014/104.
( 46 ) Andersson, H., « The Quest for Evidence – Still an Uphill Battle for Cartel Victims ? », EU Competition Litigation : Transposition and First Experiences of the New Regime, Strand, M., Bastidas Venegas, V., Iacovides. M.C. (éd.), Hart Publishing, Oxford, 2019, p. 141.
( 47 ) Voir, en ce sens, Chirita, A.D., « The Disclosure of Evidence Under the “Antitrust Damages” Directive 2014/104/EU, EU Competition and State Aid Rules : Public and Private Enforcement, Tomljenović, V., Bodiroga-Vukobrat, N., Butorac Malnar, V., Kunda, I. (éds), Springer, Berlin, 2017, p. 156.
( 48 ) Voir point 18 des présentes conclusions.
( 49 ) Voir point 108 des présentes conclusions.
( 50 ) Voir point 102 des présentes conclusions.
( 51 ) Mise en italique par mes soins.