ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
10 mars 2022 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Article 21 TFUE – Directive 2004/38/CE – Article 7, paragraphe 1, sous b), et article 16 – Enfant ressortissant d’un État membre séjournant dans un autre État membre – Droit de séjour dérivé du parent assurant effectivement la garde de cet enfant – Exigence d’une assurance maladie complète – Enfant disposant d’un droit de séjour permanent pour une partie des périodes concernées »
Dans l’affaire C‑247/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Social Security Appeal Tribunal (Northern Ireland) (tribunal d’appel en matière de sécurité sociale, Irlande du Nord, Royaume-Uni), par décision du 11 mars 2020, parvenue à la Cour le 7 avril 2020, dans la procédure
VI
contre
The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, M. C. Lycourgos, président de la quatrième chambre, MM. I. Jarukaitis, M. Ilešič (rapporteur) et A. Kumin, juges,
avocat général : M. G. Hogan,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour VI, initialement par M. R. Drabble, QC, et M. M. Black, solicitor, puis par M. R. Drabble, QC, ainsi que par Mmes C. Rothwell et S. Park, solicitors,
– pour le gouvernement norvégien, par Mmes K. Moe Winther, L. Furuholmen et T. Hostvedt Aarthun ainsi que par M. T. Midttun Tobiassen, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme E. Montaguti et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2021,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21 TFUE ainsi que des articles 7 et 16 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE,
90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VI aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs (administration fiscale et douanière, Royaume-Uni) (ci-après le « HMRC ») au sujet du droit de VI de séjourner au Royaume-Uni pendant les périodes allant du 1er mai 2006 au 20 août 2006 ainsi que du 18 août 2014 au 25 septembre 2016 et d’y bénéficier, pour ces périodes, du crédit d’impôt pour enfant à charge ainsi que d’allocations familiales.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2004/38
3 Les considérants 1, 2, 10, et 18 de la directive 2004/38 sont ainsi libellés :
« (1) La citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et des mesures adoptées en vue de leur application.
(2) La libre circulation des personnes constitue une des libertés fondamentales du marché intérieur, qui comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel cette liberté est assurée selon les dispositions du traité.
[...]
(10) Il convient [...] d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.
[...]
(18) En vue de constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de l’État membre d’accueil dans lequel le citoyen de l’Union réside, le droit de séjour permanent ne devrait être soumis à aucune autre condition une fois qu’il a été obtenu. »
4 Conformément à son article 1er, sous a) et b), la directive 2004/38 vise les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler librement et de séjourner sur le territoire des États membres, ainsi que le droit de séjour permanent dans les États membres.
5 L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “citoyen de l’Union” : toute personne ayant la nationalité d’un État membre ;
2) “membre de la famille” :
a) le conjoint ;
b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;
c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;
d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;
[...] »
6 Le chapitre III de ladite directive contient, aux articles 6 à 15 de celle‑ci, les dispositions relatives au droit de séjour.
7 L’article 7 de la même directive, intitulé « Droit de séjour de plus de trois mois », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois :
a) s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil ; ou
b) s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ; ou
c) – s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et
– s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour ; ou
d) si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).
2. Le droit de séjour prévu au paragraphe 1er s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, sous a), b) ou c). »
8 L’article 12 de la directive 2004/38, intitulé « Maintien du droit de séjour des membres de la famille en cas de décès ou départ du citoyen de l’Union », prévoit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :
« Avant l’acquisition du droit de séjour permanent, le droit de séjour des intéressés reste soumis à l’obligation de pouvoir démontrer qu’ils sont travailleurs salariés ou non ou qu’ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant la durée de leur séjour, et qu’ils sont entièrement couverts par une assurance maladie dans l’État membre d’accueil, ou
qu’ils sont membres de la famille, déjà constituée dans l’État membre d’accueil, d’une personne répondant à ces exigences. [...] »
9 L’article 14 de cette directive, intitulé « Maintien du droit de séjour », énonce, à son paragraphe 2, premier alinéa :
« Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles. »
10 Le chapitre IV de ladite directive contient, aux articles 16 à 21 de celle‑ci, les dispositions régissant le droit de séjour permanent.
11 À la section I de la directive 2004/38, intitulée « Éligibilité », figure l’article 16 qui dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire. Ce droit n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III.
2. Le paragraphe 1 s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil. »
Le règlement (UE) no 492/2011
12 Le considérant 1 du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), est ainsi libellé :
« Le règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté [(JO 1968, L 257, p. 2),] a été modifié à plusieurs reprises et de façon substantielle. Il convient, dans un souci de clarté et de rationalité, de procéder à la codification dudit règlement. »
13 Aux termes de l’article 10 du règlement no 492/2011, correspondant à l’article 12 du règlement no 1612/68 :
« Les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire.
Les États membres encouragent les initiatives permettant à ces enfants de suivre les cours précités dans les meilleures conditions. »
L’accord sur le retrait
14 Par sa décision (UE) 2020/135, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) (JO 2020, L 29, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a approuvé, au nom de l’Union européenne et de la CEEA, cet accord (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »), qui a été joint à cette décision.
15 L’article 86 de l’accord de retrait, intitulé « Affaires en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. La Cour de justice de l’Union européenne demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition.
3. Aux fins du présent chapitre, une procédure est considérée comme ayant été introduite devant la Cour de justice de l’Union européenne [...] au moment où l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour de justice [...] »
16 L’article 89, paragraphe 1, de l’accord de retrait énonce :
« Les arrêts et ordonnances de la Cour de justice de l’Union européenne prononcés avant la fin de la période de transition, ainsi que les arrêts et ordonnances prononcés après la fin de la période de transition dans des procédures visées aux articles 86 et 87, ont force obligatoire dans tous leurs éléments pour le Royaume-Uni et au Royaume-Uni. »
17 Conformément à l’article 126 de l’accord de retrait, la période de transition a commencé à la date d’entrée en vigueur de cet accord, à savoir le 1er février 2020, et a expiré le 31 décembre 2020.
Le droit du Royaume-Uni
18 La directive 2004/38 avait été transposée dans l’ordre juridique du Royaume-Uni par l’Immigration (European Economic Area) Regulations 2006 [règlement sur l’immigration (Espace économique européen) de 2006, ci-après le « règlement sur l’immigration de 2006 »], qui a été consolidé par la suite par l’Immigration (European Economic Area) Regulations 2016 [règlement sur l’immigration (Espace économique européen) de 2016, ci-après le « règlement sur l’immigration de 2016 »].
19 L’article 4, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016 définit les différentes catégories de citoyens de l’Union énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2004/38, à savoir respectivement celles des travailleurs salariés, des travailleurs non‑salariés, des personnes autosuffisantes et des étudiants. Cet article 4, paragraphe 1, sous c), définit une « personne autosuffisante » comme une personne qui dispose de ressources suffisantes afin d’éviter de devenir une
charge pour le système d’assistance sociale du Royaume-Uni au cours de son séjour et qui dispose d’une assurance maladie complète au Royaume-Uni.
20 L’article 4, paragraphe 3, du règlement sur l’immigration de 2016 précise, s’agissant des membres de la famille d’une personne autosuffisante dont le droit de séjour dépend de celui de cette personne, que l’exigence de disposer d’une assurance maladie complète au Royaume-Uni n’est satisfaite que si cette assurance couvre tant ladite personne que les membres de sa famille.
21 L’article 6, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016 définit la notion de « personnes qualifiées » aux fins de ce règlement. En vertu de cet article 6, paragraphe 1, sous d), la notion de « personne qualifiée » inclut les personnes autosuffisantes, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.
22 En application de l’article 14, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016, une personne qualifiée a le droit de séjourner au Royaume-Uni aussi longtemps qu’elle reste qualifiée.
23 Selon l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement sur l’immigration de 2016, un ressortissant de l’Espace économique européen (EEE) qui a séjourné au Royaume-Uni conformément à ce règlement pendant une période ininterrompue de cinq ans y acquiert un droit de séjour permanent. En vertu de cet article 15, paragraphe 1, sous b), il en va de même pour un membre de la famille d’un ressortissant de l’EEE qui n’a pas lui-même la nationalité d’un État membre, mais qui a séjourné au Royaume-Uni
ensemble avec ce ressortissant, conformément audit règlement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
24 L’article 16 du règlement sur l’immigration de 2016, qui correspond à l’article 15 bis du règlement sur l’immigration de 2006, prévoit les conditions auxquelles une personne peut être reconnue comme jouissant d’un droit de séjour dérivé au Royaume-Uni. En application de l’article 16, paragraphes 1 et 2, du règlement sur l’immigration de 2016, une personne qui assure à titre principal la garde d’un ressortissant de l’EEE résidant au Royaume-Uni jouit d’un droit dérivé de séjourner dans cet État
lorsque le ressortissant de l’EEE en question est âgé de moins de 18 ans, réside au Royaume-Uni en tant que personne autosuffisante et ne serait pas en mesure de rester au Royaume-Uni si ladite personne quittait le Royaume-Uni pour une durée indéterminée.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
25 VI est une ressortissante pakistanaise résidant avec son mari, également ressortissant pakistanais, et leurs quatre enfants en Irlande du Nord (Royaume–Uni). Au cours de l’année 2004, y est né leur fils qui a la nationalité irlandaise.
26 VI et son mari disposent des ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille. En particulier, le mari de VI a travaillé et a été assujetti à l’impôt pendant toutes les périodes en cause au principal. VI, qui s’est occupée dans un premier temps de leurs enfants, travaille et est assujettie à l’impôt depuis le mois d’avril 2016.
27 Il est constant entre les parties au principal que, à tout le moins pendant la période allant du 17 août 2006 au 16 août 2014, VI et sa famille disposaient d’une assurance maladie complète et que VI jouissait, par conséquent, en vertu de l’article 15 bis, paragraphes 1 et 2, du règlement sur l’immigration de 2006, d’un droit de séjour dérivé en tant que personne assurant principalement la garde d’un enfant ressortissant de l’EEE « autosuffisant ».
28 Il est également constant entre ces parties que, en raison de son séjour légal au Royaume-Uni pendant une période ininterrompue de cinq ans, le fils de VI a acquis un droit de séjour permanent au Royaume-Uni.
29 En revanche, les parties au principal s’opposent quant au droit de VI de bénéficier, pour les périodes allant du 1er mai 2006 au 20 août 2006 ainsi que du 18 août 2014 au 25 septembre 2016, d’une part, du crédit d’impôt pour enfant à charge et, d’autre part, d’allocations familiales. Les deux recours relatifs aux litiges en cause au principal, pendants devant la juridiction de renvoi, ont été joints par celle-ci aux fins du présent renvoi préjudiciel au motif qu’ils partagent le même objet, à
savoir le droit de séjour au Royaume-Uni de VI pendant les périodes en question.
30 En effet, selon le HMRC, un tel droit fait défaut dès lors que VI n’était pas couverte par une assurance maladie complète pendant lesdites périodes. Par conséquent, elle ne pourrait bénéficier pour celles-ci ni du crédit d’impôt pour enfant à charge ni d’allocations familiales. Toutefois, le HMRC concède, désormais, que le montant d’un éventuel trop-perçu ne peut pas être recouvré auprès de VI étant donné que celle‑ci n’a jamais dénaturé ou omis de dévoiler des faits matériels.
31 Dans ces conditions, le Social Security Appeal Tribunal (Northern Ireland) (tribunal d’appel en matière de sécurité sociale, Irlande du Nord, Royaume-Uni) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Un enfant, résident permanent dans l’[EEE], doit-il disposer d’une assurance maladie complète afin de conserver son droit de séjour, comme il/elle le ferait en tant que personne autosuffisante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016 ?
2) L’exigence, au titre de l’article 4, paragraphe 3, sous b), du règlement sur l’immigration de 2016 [selon laquelle le critère de l’assurance maladie complète au Royaume-Uni n’est satisfait dans le cas d’un étudiant ou d’une personne autosuffisante, visée à l’article 16, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement sur l’immigration de 2016, que si cette couverture s’étend à cette personne ainsi qu’à tous les membres de sa famille concernés], est-elle illégale en vertu du droit de l’Union, eu égard
à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38 et à l’arrêt de la Cour du 23 février 2010, Teixeira (C‑480/08, EU:C:2010:83, point 70) ?
3) À la suite de l’arrêt de 2014 Ahmad v. Secretary of State for the Home Department (Civ 988, point 53), les accords de réciprocité en vigueur liés à la zone de voyage commune applicables à l’assurance maladie entre le Royaume-Uni et l’Irlande sont-ils considérés comme des “accords de réciprocité” et, partant, constituent-ils une assurance maladie complète aux fins de l’article 4, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016 ? »
Sur la compétence de la Cour
32 Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 45 et jurisprudence citée).
33 À cet égard, il résulte de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité des actes pris par les institutions de l’Union. Le second alinéa de cet article 267 précise, en substance, que lorsqu’une question susceptible de faire l’objet d’un renvoi préjudiciel est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction d’un État membre, cette
juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
34 En l’occurrence, le 1er février 2020, date à laquelle l’accord de retrait est entré en vigueur, le Royaume-Uni s’est retiré de l’Union, devenant ainsi un État tiers. Il s’ensuit que les juridictions de cet État ne peuvent plus, à partir de cette date, être considérées comme des juridictions d’un État membre.
35 Cet accord prévoit toutefois, à son article 126, une période de transition comprise entre la date d’entrée en vigueur dudit accord, à savoir le 1er février 2020, et le 31 décembre 2020. L’article 127 de celui-ci dispose que, au cours de cette période, sauf disposition contraire du même accord, le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire, produit les mêmes effets juridiques que ceux qu’il produit au sein de l’Union et de ses États membres et est interprété et appliqué
selon les mêmes méthodes et principes généraux que ceux applicables au sein de l’Union.
36 L’article 86 de l’accord de retrait prévoit également, à son paragraphe 2, que la Cour demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition. Il résulte, en outre, du paragraphe 3 de cet article qu’une demande de décision préjudicielle est considérée comme ayant été présentée, au sens dudit paragraphe 2, à la date à laquelle l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour.
37 La présente demande de décision préjudicielle a été introduite devant la Cour par une juridiction du Royaume-Uni le 7 avril 2020, à savoir avant la fin de la période de transition, dans le cadre des litiges en cause au principal au sujet du droit de VI de séjourner au Royaume-Uni pendant les périodes allant du 1er mai 2006 au 20 août 2006 ainsi que du 18 août 2014 au 25 septembre 2016 et d’y bénéficier, pour ces périodes, du crédit d’impôt pour enfant à charge ainsi que d’allocations familiales.
38 Il s’ensuit, d’une part, que la situation en cause au principal concerne des périodes situées avant que le Royaume-Uni se soit retiré de l’Union et avant l’expiration de la période de transition et relève donc du champ d’application ratione temporis du droit de l’Union. D’autre part, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur la demande de la juridiction de renvoi, en application de l’article 86, paragraphe 2, de cet accord, pour autant que cette demande vise à obtenir une
interprétation du droit de l’Union.
Sur la demande de procédure accélérée
39 La juridiction de renvoi a demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. Si cette juridiction n’a pas elle-même motivé cette demande, il résulte de sa décision de renvoi que celle-ci a été présentée à la suite d’une demande en ce sens de la part de VI et que cette dernière avait motivé la nécessité d’un recours à cette procédure par, premièrement, l’expiration, le 31 décembre 2020, de la période de
transition prévue par l’accord de retrait, à la suite de laquelle l’exécution d’un arrêt de la Cour serait plus difficile, deuxièmement, le fait que le HMRC chercherait toujours à obtenir le recouvrement de sommes qui, selon lui, auraient été indûment versées à titre de crédits d’impôt pour enfant à charge et, troisièmement, le fait que, depuis le mois d’octobre 2016, VI ne bénéficie pas des prestations sociales auxquelles elle prétend avoir droit.
40 L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée.
41 Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 37 et jurisprudence citée).
42 En l’occurrence, par décision du 20 juillet 2020, le président de la Cour, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, a rejeté la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée.
43 En effet, s’agissant, premièrement, de l’argument tiré de l’échéance de la période transitoire prévue par l’accord de retrait, il ressort de l’article 89, paragraphe 1, de cet accord, lu en combinaison avec l’article 86, paragraphe 2, de celui-ci, que les décisions préjudicielles que la Cour rend après la fin de la période de transition sur la demande d’une juridiction du Royaume-Uni, présentée avant la fin de cette période, ont force obligatoire dans tous leurs éléments pour le Royaume-Uni et au
Royaume-Uni.
44 En ce qui concerne, deuxièmement, l’argument tiré du fait que le HMRC chercherait toujours à obtenir le recouvrement de sommes qui, selon lui, auraient été indûment versées à titre de crédits d’impôt pour enfant à charge, il résulte des constatations factuelles opérées par la juridiction de renvoi, seule compétente à cet égard, dans sa demande de décision préjudicielle, résumées au point 30 du présent arrêt, que le HMRC concède désormais que le montant d’un éventuel trop-perçu ne peut pas être
recouvré auprès de VI étant donné que celle-ci n’a jamais dénaturé ou omis de dévoiler des faits matériels.
45 Troisièmement, quant au fait que, depuis le mois d’octobre 2016, VI ne bénéficie pas des prestations sociales auxquelles elle prétend avoir droit, il convient de constater que, même dans l’hypothèse où les décisions judiciaires dans les litiges en cause au principal, qui portent sur des périodes antérieures à cette date, devaient engendrer une obligation pour le HMRC d’effectuer le paiement de ces prestations également pour des périodes postérieures à celle-ci, il ne résulte pas du dossier soumis
à la Cour que l’absence de paiement desdites prestations exposerait VI et sa famille à une situation d’indigence matérielle, susceptible de justifier le recours à la procédure accélérée (voir, à cet égard, arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 44). Or, ni le simple intérêt des justiciables, pour important et légitime qu’il soit, à ce que soit déterminée le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de
l’Union, ni le caractère économiquement ou socialement sensible d’une affaire n’impliquent, à eux seuls, la nécessité d’un traitement dans de brefs délais, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 26 novembre 2020, DSK Bank et FrontEx International, C‑807/19, EU:C:2020:967, point 38).
46 Dans ces conditions, il n’est pas apparu, eu égard aux informations fournies à la Cour, que la présente affaire aurait revêtu un caractère à ce point urgent qu’il serait justifié de déroger, à titre exceptionnel, aux règles de procédure ordinaires applicables en matière de renvoi préjudiciel.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
47 Il y a lieu de rappeler que le système de coopération établi à l’article 267 TFUE est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. Dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de cet article, l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions des États membres et non à la Cour, et il n’incombe pas à cette dernière de se prononcer sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit de l’Union. En
revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui permettent à celle-ci d’apprécier la compatibilité de normes de droit interne avec la réglementation de l’Union (arrêt du 18 novembre 2020, Syndicat CFTC, C‑463/19, EU:C:2020:932, point 29 et jurisprudence citée).
48 En outre, il appartient à la Cour, dans le cadre de cette procédure de coopération, de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 61 et jurisprudence citée). Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des
éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, point 34 et jurisprudence citée).
49 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’il est constant entre les parties au principal que VI dispose de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de son fils, citoyen de l’Union né au cours de l’année 2004, et que, à tout le moins pendant la période allant du 17 août 2006 au 16 août 2014, ils disposaient d’une assurance maladie complète. Il en résulte que le fils de VI et elle-même, en tant que parent assurant effectivement la garde de celui-ci,
jouissaient, tout au long de cette période, d’un droit de séjour au Royaume-Uni au titre de l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 (voir, par analogie, arrêts du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, EU:C:2004:639, points 42 à 47, ainsi que du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, points 41 à 53).
50 Le fils de VI ayant ainsi séjourné légalement au Royaume-Uni pendant une période ininterrompue de plus de cinq ans, a acquis, au plus tard le 17 août 2011, un droit de séjour permanent dans cet État en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38.
51 Les litiges au principal portent sur le droit de VI de bénéficier du crédit d’impôt pour enfant à charge et d’allocations familiales, d’une part, pour une période située avant le 17 août 2006, pendant laquelle son fils ne disposait pas encore d’un droit de séjour permanent au Royaume‑Uni en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38, et, d’autre part, pour une période située après le 16 août 2014, pendant laquelle il jouissait d’un tel droit. Selon le HMRC, VI ne peut bénéficier
pour ces périodes ni du crédit d’impôt pour enfant à charge ni d’allocations familiales au motif que, pendant lesdites périodes, elle n’était pas couverte par une assurance maladie complète et, par conséquent, ne disposait pas d’un droit de séjour dérivé au Royaume-Uni.
52 Par ses questions, la juridiction de renvoi cherche ainsi à déterminer dans quelle mesure l’exigence de disposer d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, était applicable à VI et à son fils pendant les mêmes périodes et, le cas échéant, si la couverture d’assurance dont ils disposaient était suffisante pour satisfaire à cette exigence. Il convient donc de reformuler les questions en ce sens.
Sur la première question
53 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21 TFUE et l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens qu’un enfant, citoyen de l’Union, qui a acquis un droit de séjour permanent, et le parent assurant effectivement sa garde sont tenus de disposer d’une assurance maladie complète, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, afin de conserver leur droit de séjour dans l’État d’accueil.
54 Pour ce qui concerne cet enfant, qui est un citoyen de l’Union, il convient de relever que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38 dispose expressément que le droit de séjour permanent, que les citoyens de l’Union acquièrent après avoir séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil, « n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III ». Ce droit n’est donc, notamment, pas soumis aux conditions, prévues à
l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, de disposer, pour soi et sa famille, de ressources suffisantes ainsi que d’une assurance maladie complète.
55 Le considérant 18 de ladite directive précise, à cet égard, que, « [e]n vue de constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de l’État membre d’accueil dans lequel le citoyen de l’Union réside, le droit de séjour permanent ne devrait être soumis à aucune autre condition une fois qu’il a été obtenu ».
56 S’agissant du parent, ressortissant d’un État tiers, qui assure effectivement la garde dudit enfant, il y a lieu de relever que l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2004/38, selon lequel le paragraphe 1 de cet article s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil, ne s’applique pas à la situation d’un tel parent.
57 En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, la notion de « membre de la famille », au sens de cette directive, est limitée, pour ce qui concerne les ascendants d’un citoyen de l’Union, aux « ascendants directs à charge ». Par conséquent, lorsqu’un citoyen de l’Union mineur est à la charge de son parent, ressortissant d’un État tiers, ce dernier ne saurait se prévaloir de la qualité d’ascendant direct « à charge », au sens de ladite directive, en vue de
bénéficier d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, point 50 et jurisprudence citée).
58 Cela étant, il est de jurisprudence bien établie que le droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil, conféré par le droit de l’Union au ressortissant mineur d’un autre État membre, doit, aux fins d’assurer l’effet utile de ce droit de séjour, être considéré comme impliquant nécessairement, en vertu de l’article 21 TFUE, un droit pour le parent qui assure effectivement la garde de ce citoyen de l’Union mineur de séjourner avec lui dans l’État membre d’accueil, et ce indépendamment de la
nationalité de ce parent (voir, en ce sens, arrêts du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, EU:C:2004:639, points 45 et 46, ainsi que du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, points 51 et 52).
59 Il s’ensuit que l’inapplicabilité des conditions énoncées, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, à la suite de l’acquisition, par ledit mineur, d’un droit de séjour permanent en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, s’étend, en vertu de l’article 21 TFUE, à ce parent.
60 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 21 TFUE et l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens que ni l’enfant, citoyen de l’Union, qui a acquis un droit de séjour permanent, ni le parent assurant effectivement sa garde ne sont tenus de disposer d’une assurance maladie complète, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, afin de conserver leur droit de séjour dans
l’État d’accueil.
Sur la deuxième question
61 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant des périodes situées avant qu’un enfant, citoyen de l’Union, a acquis un droit de séjour permanent dans l’État d’accueil, tant cet enfant, lorsqu’un droit de séjour est réclamé pour lui sur le fondement de cet article 7, paragraphe 1, sous b), que le parent assurant effectivement sa garde
doivent disposer d’une assurance maladie complète, au sens de cette directive.
62 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée supérieure à trois mois, mais inférieure à cinq ans « s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre
d’accueil ».
63 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 48 et 49 de ses conclusions, si le libellé de cette disposition comporte, dans sa version en langue anglaise, une certaine ambiguïté, il résulte toutefois clairement d’autres versions linguistiques de ladite disposition, telles que celles en langues allemande, espagnole, française et italienne, ainsi que de l’économie générale et de la finalité de la directive 2004/38 que, en application de la même disposition, non seulement le citoyen de
l’Union, mais également les membres de sa famille qui résident avec celui-ci dans l’État d’accueil doivent être couverts par une assurance maladie complète.
64 À cet égard, il importe de souligner, de manière analogue à ce qui a été rappelé au point 58 du présent arrêt, que si, certes, le parent qui assure effectivement la garde d’un citoyen de l’Union mineur ne relève pas des membres de la famille de celui-ci au sens de la directive 2004/38, le droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois et inférieure à cinq ans conféré par cette directive à ce citoyen de l’Union mineur s’étend néanmoins, afin d’assurer l’effet utile de ce droit de séjour, à ce
parent en vertu de l’article 21 TFUE.
65 Dès lors, pour déterminer si ledit parent, ressortissant d’un État tiers, bénéficie d’un tel droit de séjour en raison de la situation de son enfant, citoyen de l’Union, il y a lieu d’examiner si cet enfant remplit les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38. Aux fins de cet examen, ces conditions doivent être considérées comme étant applicables par analogie au même parent.
66 La Cour a déjà eu l’occasion de constater qu’il découle de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, lu en combinaison avec le considérant 10 et avec l’article 14, paragraphe 2, de celle-ci, que, pendant toute la durée du séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil supérieure à trois mois et inférieure à cinq ans, le citoyen de l’Union économiquement inactif doit, notamment, disposer, pour lui‑même et pour les membres de sa famille, d’une assurance maladie complète afin
de ne pas devenir une charge déraisonnable pour les finances publiques de cet État membre [arrêt du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, points 53 à 55].
67 S’agissant de la situation d’un enfant, citoyen de l’Union, qui réside dans l’État d’accueil avec un parent assurant effectivement sa garde, cette exigence est satisfaite tant lorsque cet enfant dispose d’une assurance maladie complète qui couvre son parent, que dans l’hypothèse inverse où ce parent dispose d’une telle assurance couvrant l’enfant (voir, par analogie, arrêt du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, EU:C:2004:639, points 29 à 33).
68 En l’occurrence, il ressort du dossier que VI et son fils ont été affiliés pendant la période en cause, à savoir celle allant du 1er mai 2006 au 20 août 2006, au système public d’assurance maladie du Royaume-Uni, offert, à titre gratuit, par le National Health Service (service national de santé).
69 À cet égard, il importe de rappeler que, si l’État membre d’accueil peut, sous réserve du respect du principe de proportionnalité, subordonner l’affiliation à son système public d’assurance maladie d’un citoyen de l’Union économiquement inactif, séjournant sur son territoire sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, à des conditions destinées à ce que ce citoyen ne devienne pas une charge déraisonnable pour les finances publiques dudit État membre, telles
que la conclusion ou le maintien, par ledit citoyen, d’une assurance maladie complète privée, permettant le remboursement audit État membre des dépenses de santé encourues par ce dernier en faveur du même citoyen, ou le paiement, par celui-ci, d’une contribution au système public d’assurance maladie du même État membre [arrêt du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, point 59], il n’en reste pas moins que, dès lors qu’un citoyen de l’Union est affilié à un tel
système public d’assurance maladie dans l’État membre d’accueil, il dispose d’une assurance maladie complète, au sens de cet article 7, paragraphe 1, sous b).
70 En outre, dans une situation, telle que celle au principal, où le citoyen de l’Union économiquement inactif en question est un enfant dont l’un des parents, ressortissant d’un État tiers, a travaillé et a été assujetti à l’impôt dans l’État d’accueil pendant la période en cause, il serait disproportionné de refuser à cet enfant et au parent assurant effectivement sa garde un droit de séjour, au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, au seul motif que, pendant cette
période, ils ont été affiliés gratuitement au système public d’assurance maladie de cet État. En effet, il ne saurait être considéré que cette affiliation gratuite constitue, dans de telles conditions, une charge déraisonnable pour les finances publiques dudit État.
71 Enfin, pour autant que la juridiction de renvoi se réfère, dans sa deuxième question, au point 70 de l’arrêt du 23 février 2010, Teixeira (C‑480/08, EU:C:2010:83), il convient de constater que celui-ci n’est pas pertinent en l’occurrence. Certes, la Cour y a jugé que le droit de séjour dans l’État membre d’accueil dont bénéficie le parent qui a effectivement la garde d’un enfant exerçant le droit de poursuivre des études conformément à l’article 12 du règlement no 1612/68 n’est pas soumis à la
condition selon laquelle ce parent doit disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de cet État membre au cours de son séjour et d’une assurance maladie complète dans celui-ci. Toutefois, l’article 12 du règlement no 1612/68, tout comme l’article 10 du règlement no 492/2011, qui l’a remplacé, confèrent des droits seulement aux enfants de la famille d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire de l’État
membre d’accueil. Or, le mari de VI et père de l’enfant concerné est ressortissant d’un État tiers.
72 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 21 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant des périodes situées avant qu’un enfant, citoyen de l’Union, a acquis un droit de séjour permanent dans l’État d’accueil, tant cet enfant, lorsqu’un droit de séjour est réclamé pour lui sur le fondement de cet article 7, paragraphe 1, sous b), que le parent assurant
effectivement sa garde doivent disposer d’une assurance maladie complète, au sens de cette directive.
Sur la troisième question
73 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, à la suite d’un arrêt rendu au cours de l’année 2014 par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni], les accords de réciprocité en vigueur liés à la zone de voyage commune applicables à l’assurance maladie entre le Royaume-Uni et l’Irlande doivent être considérés comme des « accords de réciprocité » et, partant, comme une assurance
maladie complète, aux fins de l’article 4, paragraphe 1, du règlement sur l’immigration de 2016.
74 Si, compte tenu des considérations liminaires exposées aux points 47 à 52 du présent arrêt, il apparaît possible de reformuler cette question en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que des accords de réciprocité, tels que ceux en vigueur liés à la zone de voyage commune applicables à l’assurance maladie entre le Royaume-Uni et l’Irlande, sont susceptibles
de satisfaire à l’exigence de disposer d’une assurance maladie complète, au sens de cette disposition, force est, toutefois, de constater que la juridiction de renvoi ne fournit aucune information relative au contenu de ces accords et à leur pertinence dans le cadre du litige au principal.
75 Or, conformément à une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit, en outre, indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur
l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 25 mars 2021, Obala i lučice, C‑307/19, EU:C:2021:236, point 49 et jurisprudence citée).
76 Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, que la juridiction de renvoi est tenue de respecter dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE (arrêt du 25 mars 2021, Obala i lučice, C‑307/19, EU:C:2021:236, point 50 et jurisprudence citée). Elles sont également rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions
nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
77 Dès lors que, en l’occurrence, la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas auxdites exigences en ce qui concerne la troisième question, celle-ci est irrecevable.
Sur les dépens
78 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 21 TFUE et l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doivent être interprétés en ce sens que ni
l’enfant, citoyen de l’Union, qui a acquis un droit de séjour permanent, ni le parent assurant effectivement sa garde ne sont tenus de disposer d’une assurance maladie complète, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, afin de conserver leur droit de séjour dans l’État d’accueil.
2) L’article 21 TFUE et l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant des périodes situées avant qu’un enfant, citoyen de l’Union, a acquis un droit de séjour permanent dans l’État d’accueil, tant cet enfant, lorsqu’un droit de séjour est réclamé pour lui sur le fondement de cet article 7, paragraphe 1, sous b), que le parent assurant effectivement sa garde doivent disposer d’une assurance maladie complète, au sens de cette
directive.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.