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06/12/2021 | CJUE | N°C-670/20

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, EP e.a. contre ERSTE Bank Hungary Zrt., 06/12/2021, C-670/20


 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

6 décembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat de prêt libellé en devise étrangère – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Article 4, paragraphe 2 – Exigences d’intelligibilité et de transparence – Absence d’incidence de la déclaration du consommateur selon laquelle celui-ci est pleinement c

onscient des risques potentiels découlant
de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère – Rédactio...

 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

6 décembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat de prêt libellé en devise étrangère – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Article 4, paragraphe 2 – Exigences d’intelligibilité et de transparence – Absence d’incidence de la déclaration du consommateur selon laquelle celui-ci est pleinement conscient des risques potentiels découlant
de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle »

Dans l’affaire C‑670/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Ráckevei Járásbíróság (tribunal de district de Ráckeve, Hongrie), par décision du 9 novembre 2020, parvenue à la Cour le 8 décembre 2020, dans la procédure

EP,

TA,

FV,

TB

contre

ERSTE Bank Hungary Zrt.,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Safjan, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EP, TA, FV et TB à ERSTE Bank Hungary Zrt. (ci-après la « banque »), au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, prévoyant le remboursement du prêt en devise nationale.

Le cadre juridique

3 L’article 4 de la directive 93/13 prévoit :

«1.   Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.   L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

4 L’article 5 de cette directive dispose :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5 Le 9 janvier 2007, les requérants au principal, qui ont la qualité de consommateurs, ont, par acte notarié, conclu avec la banque un contrat de prêt aux fins de la rénovation d’une maison familiale. Aux termes de ce contrat, le montant du prêt était libellé en francs suisses (CHF), mais le déblocage et le remboursement de ce montant devaient être effectués en forints hongrois (HUF).

6 En conséquence, à chaque échéance de remboursement, la banque déterminait le montant de la mensualité due en convertissant en forints hongrois le montant du remboursement dont il avait été convenu qu’il se ferait en francs suisses.

7 Lors de la conclusion du contrat de prêt en cause, la banque a fourni aux requérants au principal une notice d’information sur les risques généraux liés à un financement libellé en devise étrangère. Cette notice d’information précisait, en ce qui concerne le risque de change, ce qui suit :

« Nous attirons votre attention sur le fait que, en choisissant un financement libellé en devise étrangère, vous pouvez profiter des avantages du marché de la devise choisie, mais que vous en supportez également les risques. En concluant le contrat de prêt, vous prenez acte du fait que le montant de ce prêt est enregistré auprès de la banque dans la devise étrangère choisie, et vous vous engagez à en effectuer le remboursement dans la devise que vous avez choisie. Étant donné que le taux de change
entre le forint hongrois et la devise étrangère que vous avez choisie dans le contrat – le cours de change – est susceptible de varier en fonction des fluctuations quotidiennes du marché, nous attirons votre attention sur le fait qu’une éventuelle variation ou augmentation défavorable du cours de change est susceptible d’entraîner pour vous un coût supplémentaire dont ni la survenance effective ni le montant ne peuvent être prévus.

L’avantage de ce type de financement est que, dès que le cours de change de la devise étrangère dans laquelle le financement est libellé baisse par rapport au forint, la “contre-valeur” en forints du financement diminue ; en d’autres termes, il faut moins de forints pour acheter la devise couvrant les mensualités servant au remboursement du capital et des intérêts, et cet achat vous coûte alors moins cher – dans ce cas, la charge est donc moindre, et cela peut même avoir pour conséquence que vous
devez rembourser moins que ce qui était prévu sur la base de la contre-valeur en forints hongrois calculée lors de la conclusion du contrat de prêt/crédit.

Dans la situation inverse, lorsque le cours de change de la devise étrangère dans laquelle le financement est libellé augmente par rapport au forint, la “contre-valeur” du financement croît : dans ce cas, une somme plus importante en forints est nécessaire pour payer les mensualités (de remboursement) du capital et des intérêts, converties dans la devise étrangère pertinente ; il faut donc, dans ce cas, davantage de forints pour rembourser le crédit en devise qui a été souscrit.

Vous attestez par votre signature que vous avez été informé clairement des risques présentés par ce financement, que vous connaissez les composantes du risque et que vous souhaitez souscrire le crédit en connaissance de cause. »

8 Selon la juridiction de renvoi, la notice d’information en question s’inscrivait dans le contexte d’une situation équilibrée en matière de cours de change, qui prévalait lors de la conclusion du contrat de prêt en cause. Cette notice évoquerait, certes, la possibilité d’une baisse du cours de change et celle d’une hausse de ce cours, ainsi que les avantages et les inconvénients qui en découleraient, mais elle ne contiendrait pas d’informations sur le fait qu’une modification des conditions
macroéconomiques et de la situation sur le marché monétaire international pourrait entraîner une augmentation significative, voire illimitée, des mensualités de remboursement, ni sur celui que le taux de change entre le forint hongrois et le franc suisse pourrait connaître des fluctuations importantes, et ce indépendamment du caractère stable de ce taux par le passé.

9 À la suite d’une modification importante dudit taux, intervenue pendant l’exécution du contrat de prêt en cause, le montant des mensualités de remboursement dues au titre de ce contrat ont augmenté de manière significative.

10 Les requérants au principal n’ayant pas pu s’acquitter de leur obligation de remboursement, la banque a résilié le contrat de prêt en cause en 2015.

11 Le 10 juillet 2015, à la demande de la banque, une procédure d’exécution forcée a été ouverte contre les requérants au principal.

12 Ces derniers ont, le 30 septembre 2016, introduit une action en cessation de l’exécution forcée devant la juridiction de renvoi, au motif que le contrat de prêt en cause était invalide. Au soutien de cette action, les requérants au principal font valoir que la banque ne leur avait pas fourni des informations suffisantes sur les risques réels liés à la souscription d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère. En particulier, la banque aurait omis d’attirer leur attention sur le fait :

– que les effets positifs et les effets négatifs d’une fluctuation du taux de change ne s’équilibrent qu’à la condition que les cours du forint hongrois et du franc suisse se meuvent à l’intérieur d’une fourchette stable et constante ;

– qu’une modification durable et importante des conditions macroéconomiques et de la situation sur le marché monétaire international était susceptible d’entraîner une augmentation significative, voire illimitée, des mensualités de remboursement, et

– que l’hypothèse d’une augmentation durable du cours du franc suisse par rapport à celui du forint hongrois était susceptible de se réaliser à tout moment, et que le caractère modéré des fluctuations antérieures de ces cours ne fournissait aucune garantie en ce qui concerne la stabilité future de ceux-ci.

13 La banque fait valoir que l’information qu’elle a fournie sur le risque de change était suffisante, dès lors que la possibilité théorique d’une variation du taux de change a été mentionnée dans la notice d’information visée au point 7 de la présente ordonnance. Dans ce contexte, il aurait été fait état de la corrélation existant entre la fluctuation de ce taux et celle du montant des mensualités de remboursement. Les consommateurs auraient donc été mis en mesure de comprendre que le montant des
mensualités pourrait augmenter de manière illimitée, en fonction de la fluctuation dudit taux. La banque fait également référence à la jurisprudence de la Kúria (Cour suprême, Hongrie), selon laquelle, « en soi, le fait que la partie défenderesse ait fourni des informations sur le risque de change est le signe que les parties requérantes devaient envisager celui-ci comme une hypothèse réaliste ».

14 La juridiction de renvoi se réfère à l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703), en relevant que, selon celui‑ci, l’information relative au risque de change fournie par la banque doit permettre à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, non seulement de connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi d’évaluer les conséquences économiques,
potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.

15 Cette juridiction s’interroge néanmoins sur la portée de cette exigence posée par la Cour et se demande si de telles conséquences économiques doivent explicitement ressortir de l’information fournie par la banque. Elle s’interroge, plus particulièrement, sur le point de savoir s’il suffit, afin de satisfaire à ladite exigence, que, par la signature du contrat de prêt, le consommateur concerné déclare de manière générale qu’il connaît et assume les risques de l’opération de prêt, compte tenu d’une
éventuelle variation du cours de change, ou s’il est, en outre, nécessaire que la banque fournisse une information explicite quant au caractère illimité du risque assumé.

16 Dans ces conditions, le Ráckevei Járásbíróság (tribunal de district de Ráckeve, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Compte tenu de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive [93/13] qui a été donnée dans l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], peut-on considérer comme étant claire et compréhensible une clause contractuelle relative à la prise en charge du risque de change qui, sans prévoir expressément que c’est le débiteur qui supporte exclusivement et intégralement le risque de change, ne contient qu’une déclaration du débiteur selon laquelle ledit
débiteur “est pleinement conscient des risques potentiels découlant de la transaction, et notamment du fait que les fluctuations de la devise étrangère en question par rapport au forint hongrois sont susceptibles de modifier, tant à la hausse qu’à la baisse, les charges du remboursement du prêt en forints hongrois” ?

2) La clause contractuelle précitée est-elle conforme à l’exigence énoncée dans l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], selon laquelle le consommateur doit être en mesure d’évaluer également les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la prise en charge du risque de change sur ses obligations financières, compte tenu du fait que le document intitulé “Notice d’information sur les risques généraux découlant d’un financement en devise
étrangère”, que l’on a fait signer au consommateur au moment de la conclusion du contrat, fait référence de la même manière aux effets favorables et défavorables de la fluctuation des taux de change, suggérant ainsi – dans la ligne des informations publiées par la Magyar Bankszövetség (Fédération bancaire hongroise) – l’existence d’une tendance caractérisée par une stabilité des cours impliquant que, à long terme, les effets financiers favorables et défavorables se compensent ?

3) La clause contractuelle précitée est-elle conforme à l’exigence énoncée dans l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], selon laquelle le consommateur doit être en mesure d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la prise en charge du risque de change sur ses obligations financières, lorsque ni le contrat ni la notice d’information sur le risque de change, signée lors de la conclusion de celui-ci, ne contient d’indication,
explicite ou implicite, sur le fait que l’augmentation des mensualités de remboursement pourrait se révéler significative, ou même, en réalité, atteindre n’importe quel niveau ?

4) Compte tenu de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive [93/13] qui a été donnée dans l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], peut-on considérer comme étant claire et compréhensible une clause contractuelle relative au risque de change qui ne prévoit pas expressément que c’est le consommateur qui supporte exclusivement et intégralement le risque de change, de sorte qu’il ne ressort pas expressément des stipulations du contrat que
l’augmentation des mensualités pourrait se révéler significative, ou même, en réalité, atteindre n’importe quel niveau ?

5) Une déclaration en ce sens du consommateur, formulée en termes généraux et consignée dans une clause contractuelle type, est-elle en soi suffisante pour établir que l’information sur le risque de change était conforme à l’exigence énoncée dans l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], selon laquelle l’information doit permettre au consommateur moyen d’évaluer également les conséquences économiques, potentiellement significatives, du transfert du risque de change
sur ses obligations financières, lorsqu’aucune autre disposition du contrat et de la notice d’information ne vient étayer une telle conclusion ?

6) Eu égard au contenu de l’arrêt [du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703)], peut-on considérer que l’interprétation du droit par la Kúria [(Cour suprême)], selon laquelle “en soi, le fait que la partie défenderesse ait fourni des informations sur le risque de change est le signe que la partie requérante devait envisager celui-ci comme une hypothèse réaliste”, est conforme à l’article 4, paragraphe 2, de la directive [93/13] ? »

Sur les questions préjudicielles

17 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, lorsque, notamment, une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle elle a déjà statué ou lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence.

18 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.

19 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’exigence de transparence des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, qui exposent l’emprunteur à un risque de change, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni à ce dernier des informations générales sur le risque de change, y compris sur l’incidence des variations de taux de change
sur ses obligations financières, et que ce consommateur s’est déclaré être pleinement conscient des risques potentiels découlant de la souscription de ce contrat.

20 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il incombe à la seule juridiction de renvoi de se prononcer sur la qualification de clauses prétendument abusives en fonction des circonstances propres au cas d’espèce. Il n’en demeure pas moins que la Cour est compétente pour dégager des dispositions de la directive 93/13, en l’occurrence celles de de l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci, les critères que le juge de renvoi peut ou doit appliquer lors de l’examen de clauses contractuelles au regard
de celles-ci (arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

21 À cet égard, selon une jurisprudence constante relative à l’exigence de transparence, l’information, avant la conclusion d’un contrat, sur les conditions contractuelles et les conséquences de ladite conclusion est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de cette information que ce dernier décide s’il souhaite se lier contractuellement à un professionnel en adhérant aux conditions rédigées préalablement par celui-ci (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas
Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 41, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 62 et jurisprudence citée).

22 Il s’ensuit que l’exigence de transparence des clauses contractuelles, telle qu’elle résulte de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci. Le système de protection mis en œuvre par cette directive reposant sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information, cette
exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles et, partant, de transparence, imposée par ladite directive, doit être entendue de manière extensive (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 42, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 63 et jurisprudence citée).

23 En conséquence, ladite exigence doit être comprise comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle
clause sur ses obligations financières (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 43, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 64 et jurisprudence citée).

24 La question de savoir si, en l’occurrence, l’exigence de transparence a été respectée doit être examinée par la juridiction de renvoi à la lumière de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies, dans le cadre de la négociation des contrats de prêt en cause au principal, par le prêteur (voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 45, et du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal
Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 66).

25 Plus particulièrement, il incombe au juge national, lorsqu’il tient compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat de prêt, de vérifier que, dans l’affaire concernée, ont été communiqués au consommateur l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement lui permettant d’évaluer, notamment, le coût total de son emprunt. Jouent un rôle décisif dans cette appréciation, d’une part, la question de savoir si les clauses de ce contrat
sont rédigées de manière claire et compréhensible de sorte qu’elles permettent à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé d’évaluer un tel coût et, d’autre part, la circonstance liée à l’absence de mention, dans le contrat de crédit, des informations considérées, au regard de la nature des biens ou des services qui font l’objet de ce contrat, comme étant essentielles (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 46,
ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 67 et jurisprudence citée).

26 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que les requérants au principal ont reçu, avant la souscription de leurs prêts, une notice d’information qui contenait des informations générales sur le risque de change. Elle relève également que ce document, que les requérants au principal ont signé, attirait leur attention sur le fait que d’éventuelles variations de la parité entre le forint hongrois et le franc suisse pourraient entraîner un coût supplémentaire pour l’emprunteur, dont ni la
survenance effective ni le montant ne pouvaient être prévus. Aucune information concrète n’aurait néanmoins été communiquée aux requérants au principal en ce qui concerne l’augmentation, potentiellement illimitée, des mensualités de remboursement qu’une fluctuation importante des taux de change pourrait provoquer. Les informations données aux requérants au principal à cet égard auraient, en effet, été fondées sur l’hypothèse que ladite parité reste stable.

27 En ce qui concerne les contrats de prêt libellés en devise étrangère, tels que celui en cause au principal, la Cour a déjà constaté qu’est pertinente, aux fins de l’appréciation visée au point 25 de la présente ordonnance, toute information fournie par le professionnel qui vise à éclairer le consommateur sur le fonctionnement du mécanisme de change et le risque lié à celui-ci. Constituent des éléments d’une importance particulière les précisions concernant les risques encourus par l’emprunteur en
cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État membre où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger (voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 48, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 69).

28 À cet égard, ainsi que l’a souligné le Comité européen du risque systémique dans sa recommandation CERS/2011/1, du 21 septembre 2011, concernant les prêts en devises (JO 2011, C 342, p. 1), les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, celles-ci devant au moins traiter de l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de la monnaie
ayant cours légal dans l’État membre où l’emprunteur est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger (Recommandation A – Sensibilisation des emprunteurs aux risques, point 1) (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 49, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 70 et jurisprudence citée).

29 La Cour a relevé, en particulier, que l’emprunteur doit être clairement informé du fait que, en concluant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s’expose à un risque de change qu’il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d’assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. En outre, le professionnel doit exposer les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la conclusion d’un tel contrat (arrêts du 10 juin
2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 50, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 71 et jurisprudence citée).

30 Il en découle que, afin de respecter l’exigence de transparence, les informations communiquées par le professionnel doivent pouvoir permettre à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé non seulement de comprendre que, en fonction des variations du taux de change, l’évolution de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement peut entraîner des conséquences défavorables à l’égard de ses obligations financières, mais également de comprendre,
dans le cadre de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, le risque réel auquel il s’expose, pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle est libellé le prêt (voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 51, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19,
EU:C:2021:470, point 72).

31 Ainsi, la Cour a jugé que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère exposant le consommateur à un risque de change, ne saurait satisfaire à l’exigence de transparence la communication à ce consommateur d’informations, même nombreuses, si celles-ci sont fondées sur l’hypothèse que la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement reste stable tout au long de la durée de ce contrat. Il en est notamment ainsi lorsque le consommateur n’a pas été averti par le
professionnel du contexte économique susceptible d’avoir des répercussions sur les variations des taux de change, de sorte que le consommateur n’a pas été mis en mesure de comprendre concrètement les conséquences potentiellement lourdes, qui peuvent découler de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère, sur sa situation financière (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 53, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19
à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 74).

32 Partant, eu égard à l’obligation d’information incombant ainsi au professionnel, une déclaration du consommateur selon laquelle celui-ci est pleinement conscient des risques potentiels découlant de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère ne saurait avoir, en soi, une incidence aux fins d’apprécier si ce professionnel a satisfait à ladite exigence de transparence.

33 Enfin, il convient également de rappeler que figure parmi les éléments pertinents, aux fins de l’appréciation mentionnée au point 25 de la présente ordonnance, le langage utilisé par l’établissement financier dans les documents précontractuels et contractuels. En particulier, l’absence de termes ou d’explications avertissant l’emprunteur, de manière explicite, de l’existence de risques particuliers liés aux contrats de prêt libellés en devise étrangère peut confirmer que l’exigence de
transparence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, n’est pas satisfaite (arrêts du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑609/19, EU:C:2021:469, point 54, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 75).

34 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’exigence de transparence des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, qui exposent l’emprunteur à un risque de change, n’est satisfaite que lorsque le professionnel a fourni à ce dernier des informations exactes et suffisantes sur le risque de change, permettant à un consommateur moyen, normalement
informé et raisonnablement attentif et avisé d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce contrat. À cet égard, la circonstance que le consommateur se déclare être pleinement conscient des risques potentiels découlant de la souscription dudit contrat n’a pas, en soi, d’incidence aux fins d’apprécier si le professionnel a satisfait à ladite exigence de transparence.

Sur les dépens

35 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que l’exigence de transparence des clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, qui exposent l’emprunteur à un risque de change, n’est satisfaite que lorsque le professionnel a fourni à ce dernier des informations exactes et suffisantes sur le risque de change, permettant à un consommateur
  moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé d’évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce contrat. À cet égard, la circonstance que le consommateur se déclare être pleinement conscient des risques potentiels découlant de la souscription dudit contrat n’a pas, en soi, d’incidence aux fins d’apprécier si le professionnel a satisfait à ladite exigence de
transparence.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-670/20
Date de la décision : 06/12/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Ráckevei Járásbíróság.

Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrat de prêt libellé en devise étrangère – Clauses exposant l’emprunteur à un risque de change – Article 4, paragraphe 2 – Exigences d’intelligibilité et de transparence – Absence d’incidence de la déclaration du consommateur selon laquelle celui-ci est pleinement conscient des risques potentiels découlant de la souscription d’un prêt libellé en devise étrangère – Rédaction claire et compréhensible d’une clause contractuelle.

Protection des consommateurs

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : EP e.a.
Défendeurs : ERSTE Bank Hungary Zrt.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:1002

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