ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
15 juillet 2021 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transports ferroviaires – Directive 2012/34/UE – Espace ferroviaire unique européen – Article 13, paragraphes 2 et 6 – Accès aux installations de service et aux services associés au transport ferroviaire – Règlement (UE) 2017/2177 – Reconversion des installations – Prérogatives de l’organisme de contrôle »
Dans l’affaire C‑60/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), par décision du 30 janvier 2020, parvenue à la Cour le 5 février 2020, dans la procédure
« Latvijas dzelzceļš » VAS
contre
Valsts dzelzceļa administrācija,
en présence de :
« Baltijas Ekspresis » AS,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász (rapporteur), C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour « Latvijas dzelzceļš » VAS, par Me D. Driče, advokāte,
– pour Valsts dzelzceļa administrācija, par MM. J. Zālītis et J. Zicāns,
– pour « Baltijas Ekspresis » AS, par Me O. Jonāns, advokāts,
– pour la Commission européenne, initialement par Mmes L. Ozola et C. Vrignon ainsi que par M. W. Mölls, puis par Mmes L. Ozola et C. Vrignon, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 février 2021,
rend le présent
Arrêt
1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32), ainsi que de l’article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement d’exécution (UE) 2017/2177 de la Commission, du 22 novembre 2017, concernant l’accès aux installations de service et aux services associés au transport ferroviaire (JO
2017, L 307, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Latvijas Dzelzceļš » VAS à la Valsts dzelzceļa administrācija (administration nationale des chemins de fer, Lettonie) (ci-après l’« administration ferroviaire ») au sujet de la décision de cette dernière imposant à Latvijas Dzelzceļš, en sa qualité de gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique en Lettonie, de garantir l’accès de l’entreprise ferroviaire « Baltijas Ekspresis » AS au dépôt de Ventspils (Lettonie), en tant
qu’« installation de service », au sens de la réglementation applicable en matière de transport ferroviaire.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2012/34
3 L’article 3 de la directive 2012/34, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
11) “installation de service”, l’installation, y compris les terrains, bâtiments et équipements qui ont été spécialement aménagés, en totalité ou en partie, pour permettre la fourniture d’un ou plusieurs des services visés à l’annexe II, points 2, 3 et 4 ;
12) “exploitant d’installation de service”, toute entité publique ou privée chargée de gérer une ou plusieurs installations de service ou de fournir à des entreprises ferroviaires un ou plusieurs des services visés à l’annexe II, points 2, 3 et 4 ;
[...] »
4 L’article 13 de cette directive, intitulé « Conditions d’accès aux services », prévoit, à ses paragraphes 2 et 6 :
« 2. Les exploitants d’installations de service fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, un accès, y compris aux voies d’accès, aux infrastructures visées à l’annexe II, point 2, et aux services offerts dans ces infrastructures.
[...]
6. Si une installation de service visée à l’annexe II, point 2, n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives et si des entreprises ferroviaires se sont déclarées intéressées par un accès à cette installation auprès de l’exploitant de cette installation, sur la base de besoins avérés, son propriétaire annonce publiquement que son exploitation est disponible à la location ou au crédit-bail en tant qu’installation de service ferroviaire, en totalité ou en partie, à moins que
l’exploitant de cette installation de service ne démontre qu’un processus de reconversion en cours empêche son utilisation par une entreprise ferroviaire. »
5 L’article 27 de ladite directive, intitulé « Document de référence du réseau », dispose :
« 1. Le gestionnaire de l’infrastructure établit et publie, après consultation des parties intéressées, un document de référence du réseau pouvant être obtenu contre paiement d’un droit qui ne peut être supérieur au coût de publication de ce document. Le document de référence du réseau est publié dans au moins deux langues officielles de l’Union [européenne]. Son contenu est mis gratuitement à disposition sous forme électronique sur le portail [I]nternet du gestionnaire de l’infrastructure et
accessible par un portail [I]nternet commun. Ce portail [I]nternet est mis en place par les gestionnaires de l’infrastructure dans le cadre de leur coopération conformément aux articles 37 et 40.
2. Le document de référence du réseau expose les caractéristiques de l’infrastructure mise à la disposition des entreprises ferroviaires et contient des informations précisant les conditions d’accès à l’infrastructure ferroviaire concernée. Le document de référence du réseau contient également des informations précisant les conditions d’accès aux installations de service reliées au réseau du gestionnaire de l’infrastructure et la fourniture de services dans ces installations, ou indique un site
[I]nternet où ces informations sont mises gratuitement à disposition sous forme électronique. Le contenu du document de référence du réseau est défini à l’annexe IV.
3. Le document de référence du réseau est tenu à jour et, le cas échéant, modifié.
4. Le document de référence du réseau est publié au plus tard quatre mois avant la date limite pour l’introduction des demandes de capacités de l’infrastructure. »
6 L’annexe II de la directive 2012/34, contenant la liste des « [s]ervices à fournir aux entreprises ferroviaires (visés à l’article 13) », prévoit, à son point 2 :
« L’accès, y compris l’accès aux voies, est fourni aux installations de service suivantes, lorsqu’elles existent, et aux services offerts dans ces installations :
a) les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures, y compris l’affichage d’informations sur les voyages et les emplacements convenables prévus pour les services de billetterie ;
b) les terminaux de marchandises ;
c) les gares de triage et les gares de formation, y compris les gares de manœuvre ;
d) les voies de garage ;
e) les installations d’entretien, à l’exception de celles affectées à des services de maintenance lourde et qui sont réservées aux trains à grande vitesse ou à d’autres types de matériel roulant nécessitant des installations spécifiques ;
f) les autres infrastructures techniques, y compris les installations de nettoyage et de lavage ;
g) les infrastructures portuaires maritimes et intérieures liées à des activités ferroviaires ;
h) les infrastructures d’assistance ;
i) les infrastructures de ravitaillement en combustible et la fourniture du combustible dans ces infrastructures, dont les redevances sont indiquées séparément sur les factures. »
Le règlement d’exécution 2017/2177
7 Le règlement d’exécution 2017/2177 a été adopté sur le fondement de l’article 13, paragraphe 9, de la directive 2012/34.
8 L’article 17 de ce règlement, intitulé « Entrée en vigueur », dispose :
« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Il s’applique à partir du 1er juin 2019.
Toutefois, l’article 2 est applicable à partir du 1er janvier 2019. »
Le droit letton
9 Le Dzelzceļa likums (loi sur les chemins de fer), du 1er avril 1998 (Latvijas Vēstnesis, 1998, no 102/105), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les chemins de fer »), vise à transposer la directive 2012/34 dans le droit letton.
10 Les points 26 et 27 de l’article 1er de la loi sur les chemins de fer définissent les termes utilisés dans cette loi de la façon suivante :
« 26) “installation de service”, l’installation (y compris les terrains, bâtiments et équipements) spécialement aménagée, en totalité ou en partie, pour permettre la fourniture d’un ou plusieurs des services visés à l’article 12.1, deuxième, troisième ou quatrième alinéas, de cette loi ;
27) “exploitant d’installation de service”, tout commerçant ou son unité structurelle chargée de gérer une ou plusieurs installations de service ou de fournir à des sociétés de transport un ou plusieurs des services visés à l’article 12.1, deuxième, troisième ou quatrième alinéas, de cette loi ;
[...] »
11 L’article 12.1, paragraphe 2, de la loi sur les chemins de fer prévoit que les exploitants d’installations de service doivent fournir un accès non discriminatoire à tout transporteur (y compris l’accès aux voies) aux installations de service suivantes, le cas échéant, et aux services fournis dans les installations suivantes :
« 5) les installations d’entretien, à l’exception de celles affectées à des services de maintenance lourde et qui sont réservées à divers types de matériel roulant nécessitant des installations spécifiques ;
6) les autres infrastructures techniques, y compris les installations de nettoyage et de lavage de matériel roulant ferroviaire. »
12 L’article 12.2, paragraphe 7, de la loi sur les chemins de fer dispose que, lorsqu’une installation de service, visée à l’article 12.1, deuxième alinéa, de cette loi, n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives et si des sociétés de transport se sont déclarées intéressées pour un accès à cette installation auprès de l’exploitant de celle-ci sur la base de besoins avérés, son propriétaire annonce son exploitation disponible à la location ou au crédit-bail en tant qu’installation
de service, en totalité ou en partie, à moins que l’exploitant de cette installation de service ne démontre qu’un processus de reconversion en cours empêche son utilisation par une société de transport.
13 L’article 12.2, paragraphe 8, de la loi sur les chemins de fer dispose que, si une installation de service visée à l’article 12.1, deuxième alinéa, de cette loi n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives, son propriétaire peut annoncer que son exploitation est disponible à la location ou au crédit-bail ou bien à la vente en tant qu’installation de service, en totalité ou en partie. Si, dans les trois mois suivant cette notification, aucune offre n’est reçue, l’exploitant de
l’installation de service a le droit de fermer l’installation de service, en informant l’administration ferroviaire et le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire à usage public au moins trois mois à l’avance.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Depuis l’année 2002, Latvijas Dzelzceļš louait le bâtiment de dépôt de locomotives de Ventspils, dont elle est la propriétaire, à Baltijas Ekspresis.
15 Le 20 juin 2016, le contrat de bail portant sur ce bâtiment a été renouvelé jusqu’au 30 avril 2028. Ce contrat prévoyait que Latvijas Dzelzceļš disposait du droit unilatéral de le résilier si, pour un motif imprévu, elle se trouvait dans la nécessité d’utiliser ledit bâtiment pour son propre usage.
16 Selon ledit contrat de bail, le bâtiment en cause au principal était loué comme espace de bureau et aux fins d’activités économiques. Baltijas Ekspresis y procédait à des activités d’entretien et de réparation des locomotives.
17 Le 5 septembre 2017, souhaitant réaffecter ce même bâtiment à son propre usage, en l’occurrence afin d’y entreposer son matériel roulant utilisé pour l’entretien de l’infrastructure ferroviaire, Latvijas Dzelzceļš, en sa qualité de gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique, a notifié à Baltijas Ekspresis la résiliation unilatérale du contrat de bail en cause au principal.
18 Le 18 septembre 2017, Baltijas Ekspresis a introduit une réclamation auprès de l’administration ferroviaire estimant que, compte tenu de sa qualité de transporteur et d’exploitant d’une installation de service, au sens de l’article 1er, point 26, de la loi sur les chemins de fer, cette résiliation était constitutive d’une violation de la concurrence et du principe de non-discrimination en ce que, notamment, elle entravait le fonctionnement efficace et rationnel ainsi que l’accès au service, et a
demandé à cette administration de ne pas autoriser la résiliation dudit contrat de bail.
19 Par sa décision du 5 décembre 2017, l’administration ferroviaire a ordonné à Latvijas Dzelzceļš de garantir l’accès au dépôt de Ventspils, en tant qu’installation de service, ainsi qu’aux services fournis dans celle-ci, visés à l’article 12.1, paragraphe 2, points 5 et 6, de la loi sur les chemins de fer. Selon cette décision, il importe peu que, dans les locaux loués, Baltijas Ekspresis n’exerce d’activités que pour elle-même. Ladite décision affirme que cette société fournit des services pour
compte propre, au sens de l’article 3, point 8, du règlement d’exécution 2017/2177, de sorte que l’interruption des activités de l’installation de service concernée doit être appréciée au regard des dispositions limitant le droit de procéder à la fermeture d’une installation de service, laquelle ne peut intervenir qu’à l’issue d’une période de deux ans après que l’installation de service en cause a cessé d’être utilisée.
20 Latvijas Dzelzceļš a d’abord introduit un recours visant à l’annulation de ladite décision devant l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie), puis a interjeté appel du rejet de ce recours devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), la juridiction de renvoi dans la présente affaire.
21 Cette juridiction estime que le dépôt de Ventspils constitue une « installation de service », au sens de l’article 3, point 11, de la directive 2012/34, dans la mesure où ce dépôt satisfait aux exigences techniques lui permettant d’effectuer une fourniture de services. En revanche, elle considère que Baltijas Ekspresis n’effectue pas une fourniture de services pour compte propre, au sens de l’article 3, point 8, du règlement d’exécution 2017/2177, ni ne fournit des services à d’autres entreprises
ferroviaires. Elle en déduit que le bâtiment concerné doit être considéré comme une installation de service non utilisée, dont la location ou la reconversion sont régies par l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 et par l’article 15 du règlement d’exécution 2017/2177.
22 Selon la juridiction de renvoi, Latvijas Dzelzceļš ne saurait être considérée comme l’exploitant de l’installation de service en cause au principal, dans la mesure où cette société n’est pas chargée de communiquer des informations, ni de statuer sur les demandes en ce qui concerne l’accès aux prestations de services fournies dans le dépôt de Ventspils.
23 Tout en admettant que la situation en cause au principal se distingue de celle visée à l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 ainsi qu’à l’article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement d’exécution 2017/2177, la juridiction de renvoi est d’avis que l’analyse de ces dispositions conduit néanmoins à la conclusion que, dans le contexte de la résiliation d’un contrat de bail, l’intérêt de l’entreprise ferroviaire à poursuivre la location de locaux doit prévaloir sur les intérêts du
propriétaire de ces locaux. Lesdites dispositions ne permettraient toutefois pas de déduire que le propriétaire desdits locaux ne peut notifier au locataire la résiliation du contrat de bail au motif qu’il entend les utiliser pour son propre usage.
24 Par ailleurs, selon la juridiction de renvoi, si l’exploitant de l’installation de service concernée peut la reconvertir, il n’y aurait pas d’argument convaincant pour justifier que le propriétaire de cette installation ne puisse pas non plus mettre fin au contrat de bail portant sur celle-ci pour la reconvertir par la suite, aucune différence pertinente n’existant entre ces deux situations.
25 Dans ces conditions, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34 (article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement [d’exécution] 2017/2177) peut-il être appliqué de telle sorte que l’organisme de contrôle [peut] imposer au propriétaire d’une infrastructure qui n’est pas l’exploitant de l’installation de service l’obligation de garantir l’accès aux services ?
2) L’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 (article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement [d’exécution] 2017/2177) doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au propriétaire d’un bâtiment de mettre fin à un contrat de bail et de reconvertir une installation de service ?
3) L’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 (article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement [d’exécution] 2017/2177) doit-il être interprété en ce sens que la seule obligation qu’il impose à l’organisme de contrôle est de vérifier si l’exploitant de l’installation de service (en l’occurrence le propriétaire de l’installation de service) a effectivement décidé de la reconvertir ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
26 Selon Latvijas Dzelzceļš, la juridiction de renvoi aurait qualifié, à tort, le dépôt de Ventspils d’« installation de service », au sens de la directive 2012/34. Baltijas Ekspresis et l’administration ferroviaire estiment, quant à elles, qu’il est erroné de considérer, comme le fait la juridiction de renvoi, que cette installation n’est pas utilisée, au sens de l’article 13, paragraphe 6, de cette directive.
27 À cet égard, il y a lieu de constater que l’appréciation de tels arguments nécessite l’interprétation de dispositions de droit de l’Union et est donc indissociablement liée à la réponse qu’il convient d’apporter à la demande de décision préjudicielle. Partant, ces arguments ne sauraient entraîner l’irrecevabilité de cette demande (voir, par analogie, arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 30 et jurisprudence citée).
28 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur l’applicabilité du règlement d’exécution 2017/2177
29 La décision de l’administration ferroviaire en cause au principal a été adoptée le 5 décembre 2017 alors que le règlement d’exécution 2017/2177, conformément à son article 17, est entré en vigueur le 13 décembre 2017 et s’applique à partir du 1er juin 2019, à l’exception de son article 2 qui est applicable à partir du 1er janvier 2019.
30 À cet égard, la juridiction de renvoi considère que, bien que cette décision ait été adoptée avant la date d’entrée en vigueur de ce règlement d’exécution, ses effets pratiques se poursuivent au-delà de cette date. Cela étant, dès lors que le litige au principal vise à l’annulation de ladite décision, il y a lieu de constater que le règlement d’exécution 2017/2177 n’est pas applicable ratione temporis à ce litige.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
31 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens que l’obligation de fournir à toutes les entreprises ferroviaires un accès non discriminatoire aux installations de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, qui sont visées à son annexe II, point 2, peut être imposée par l’organisme de contrôle non seulement aux exploitants d’installations de service,
mais également aux propriétaires de telles installations qui n’en sont pas les exploitants.
32 Conformément à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2012/34, les exploitants d’installations de service fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, un accès, y compris aux voies d’accès, aux infrastructures visées à l’annexe II, point 2, et aux services offerts dans ces infrastructures.
33 La notion d’« exploitant d’installation de service » est définie à l’article 3, point 12, de la directive 2012/34 comme visant toute entité publique ou privée chargée de gérer une ou plusieurs installations de service ou de fournir à des entreprises ferroviaires un ou plusieurs des services visés à l’annexe II, points 2 à 4, de cette directive. Par conséquent, cette définition tient uniquement compte de la nature de l’activité d’exploitant d’une installation de service et de fournisseur de
services ferroviaires, sans égard au fait de savoir si l’entité publique ou privée qui exploite l’installation de service est ou non propriétaire de celle-ci.
34 Partant, contrairement à ce que soutient l’administration ferroviaire, l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2012/34 ne saurait être interprété en ce sens que l’obligation de garantir un accès non discriminatoire aux installations de service pèse également sur le propriétaire de l’installation concernée, lorsque celui-ci ne peut pas être considéré comme son exploitant, au sens de l’article 3, point 12, de cette directive.
35 Cette appréciation n’est pas démentie par l’article 13, paragraphe 6, de ladite directive. En effet, cette disposition n’impose aux propriétaires de telles installations que l’obligation, lorsque les circonstances mentionnées à cette disposition sont réunies, d’annoncer publiquement que l’exploitation de ces installations est disponible à la location ou au crédit-bail.
36 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens que l’obligation de fournir à toutes les entreprises ferroviaires un accès non discriminatoire aux installations de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, qui sont visées à son annexe II, point 2, ne saurait être imposée aux propriétaires de telles installations qui n’en sont pas les
exploitants.
Sur la deuxième question
37 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il permet au propriétaire d’un bâtiment abritant une installation de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, de mettre fin à un contrat de bail portant sur ce bâtiment afin de réaffecter ce dernier à son propre usage.
38 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux fins de l’application de la directive 2012/34, on entend par « installation de service », au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, l’installation, y compris les terrains, bâtiments et équipements qui ont été spécialement aménagés, en totalité ou en partie, pour permettre la fourniture d’un ou de plusieurs services visés à l’annexe II, points 2 à 4, de ladite directive.
39 Cette définition de la notion d’« installation de service » est basée sur un critère objectif, à savoir celui de la capacité technique d’une infrastructure à fournir des services déterminés, et ne fixe pas de critère tenant aux bénéficiaires de ces services. Un tel critère est indépendant tant de la nature ou de la qualification du titre juridique en vertu duquel une telle installation est exploitée que de l’identité des bénéficiaires desdits services.
40 Ainsi, le fait que seule l’entreprise ferroviaire assurant l’exploitation de l’infrastructure bénéficie de ces mêmes services n’empêche pas de considérer que cette infrastructure constitue une « installation de service », au sens de l’article 3, point 11, de la directive 2012/34.
41 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’installation en cause au principal a été aménagée afin que Baltijas Ekspresis puisse y procéder à des activités d’entretien et de réparation de locomotives, lesquelles relèvent des services visés à ladite annexe II, points 2 à 4. Dès lors, comme le constate la juridiction de renvoi, le dépôt de Ventspils constitue une « installation de service », au sens de l’article 3, point 11, de la directive 2012/34.
42 Sont sans pertinence, aux fins de décider si une infrastructure doit être considérée comme une « installation de service », d’une part, la qualification attribuée à cette installation dans un contrat de bail et, d’autre part, la circonstance que cette infrastructure figure ou non dans le document de référence du réseau visé à l’article 27 de la directive 2012/34. Ce document fait état de certaines données quant aux caractéristiques de l’infrastructure mise à la disposition des entreprises
ferroviaires et précise, notamment, ainsi que l’indique le paragraphe 2 de cet article, les conditions d’accès aux installations de service reliées au réseau du gestionnaire de l’infrastructure et la fourniture de services dans ces installations. Cela étant, il ne découle ni de cette disposition ni de l’annexe IV de cette directive, qui détaille le contenu du document de référence du réseau, que l’inscription d’une infrastructure dans ce document constitue une condition nécessaire pour qu’une
telle infrastructure soit qualifiée d’« installation de service », au sens de l’article 3, point 11, de ladite directive. En effet, si cet article 27 impose d’indiquer, dans le document de référence du réseau, les installations de service existantes, il ne saurait être soutenu qu’une omission à cet égard puisse avoir pour effet de remettre en cause l’existence d’une telle installation de service.
43 Il convient d’observer que l’application de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34, ainsi qu’il ressort de son libellé, présuppose, notamment, que l’installation de service concernée n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives.
44 À cet égard, la juridiction de renvoi estime, en substance, que Baltijas Ekspresis ne fournissant pas, dans l’installation de service en cause au principal, des services au profit d’autres entreprises ferroviaires, ni ne donnant accès à cette installation à de telles entreprises, l’infrastructure concernée devrait être considérée comme une installation de service qui n’est pas utilisée, au sens de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34.
45 Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, notamment aux points 63 et 67 de ses conclusions, de telles considérations ne sauraient conduire à ce qu’il soit considéré qu’une installation de service n’est pas utilisée, au sens de cette disposition, alors que des services y sont fournis à l’exploitant de cette installation.
46 En effet, si, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, l’article 13, paragraphe 2, de cette directive impose à l’exploitant d’une installation de service de garantir aux entreprises ferroviaires un accès non discriminatoire à cette installation ainsi qu’aux services qui y sont fournis, il n’en résulte, toutefois, pas que l’utilisation de l’installation de service ne peut être constatée qu’à la condition que des entreprises ferroviaires autres que celle qui exploite l’installation
concernée y aient recours.
47 Une telle interprétation est corroborée par la finalité de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34, telle qu’elle ressort du point 4.4 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un espace ferroviaire unique européen, du 17 septembre 2010 [COM(2010) 475 final]. À la lumière de cet exposé de motifs, il y a lieu d’observer que cette disposition vise à prévenir une situation dans laquelle une installation de service, alors qu’elle
est à même de répondre à des besoins avérés, continue, au-delà d’une certaine période, à ne pas faire l’objet d’une activité. Or, tel ne saurait être le cas d’une installation où des services sont fournis à l’exploitant de celle-ci.
48 Eu égard aux informations soumises à la Cour desquelles il ressort que, dans l’affaire au principal, Baltijas Ekspresis exploitait de manière continue, depuis l’année 2002, le dépôt de Ventspils pour ses propres besoins ferroviaires, ce dépôt doit être considéré comme étant une installation de service qui est utilisée.
49 Il s’ensuit que l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34, en ce que cette disposition présuppose que l’installation de service concernée n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives, ne régit pas une situation telle que celle en cause au principal.
50 Il en ressort que la possibilité pour le propriétaire de l’infrastructure en cause au principal de résilier, sur le fondement du droit national, le contrat de bail portant sur cette infrastructure et de procéder à sa reconversion ne saurait, en tout état de cause, être appréciée sur le fondement de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34.
51 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle le propriétaire d’un bâtiment abritant une installation de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, qui fait l’objet d’une utilisation, entend mettre fin à un contrat de bail portant sur ce bâtiment afin de réaffecter ce dernier à son propre usage.
Sur la troisième question
52 La juridiction de renvoi interrogeant la Cour, par sa troisième question, sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34, il n’y a pas lieu, compte tenu de la réponse fournie à la deuxième question, d’y répondre.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen, doit être interprété en ce sens que l’obligation de fournir à toutes les entreprises ferroviaires un accès non discriminatoire aux installations de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, qui sont visées à son annexe II, point 2, ne saurait être imposée aux propriétaires de telles installations qui n’en
sont pas les exploitants.
2) L’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle le propriétaire d’un bâtiment abritant une installation de service, au sens de l’article 3, point 11, de cette directive, qui fait l’objet d’une utilisation, entend mettre fin à un contrat de bail portant sur ce bâtiment afin de réaffecter ce dernier à son propre usage.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le letton.