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08/07/2021 | CJUE | N°C-422/20

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 8 juillet 2021., RK contre CR., 08/07/2021, C-422/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 juillet 2021 ( 1 )

Affaire C‑422/20

RK

contre

CR

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Reconnaissance – Succession et certificat successoral européen – Compétence en cas de choix de loi – Déclinatoire de compétence d’une juridiction préalablement saisie

»

I. Introduction

1. L’article 4 du règlement (UE) no 650/2012 ( 2 ), intitulé « Compétence générale », prévoit que « [s]ont compétent...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 juillet 2021 ( 1 )

Affaire C‑422/20

RK

contre

CR

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Reconnaissance – Succession et certificat successoral européen – Compétence en cas de choix de loi – Déclinatoire de compétence d’une juridiction préalablement saisie »

I. Introduction

1. L’article 4 du règlement (UE) no 650/2012 ( 2 ), intitulé « Compétence générale », prévoit que « [s]ont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ». Le critère établi à cette disposition pour déterminer la compétence juridictionnelle correspond à celui établi à l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Règle générale », pour déterminer la loi applicable à
l’ensemble d’une succession.

2. La cohérence de ces critères permet d’assurer de manière générale le respect du principe de la concordance de la loi applicable et du for ( 3 ) auquel fait référence le considérant 27 du règlement no 650/2012. Ce considérant indique que les dispositions de ce règlement sont conçues pour assurer que l’autorité chargée de la succession en vienne, dans la plupart des cas, à appliquer son droit national.

3. L’article 22, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 permet de choisir la loi de l’État dont une personne a la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès comme loi régissant l’ensemble de la succession. Or, un tel choix est susceptible de remettre en cause ce principe de la concordance de la loi applicable et du for. Ce règlement prévoit néanmoins des mécanismes visant à assurer le respect dudit principe également en ce qui concerne un choix de la loi applicable. En
particulier, il résulte de la lecture combinée de l’article 6, sous a), et de l’article 7, sous a), dudit règlement que les juridictions d’un État membre dont la loi a été choisie par le défunt sont compétentes pour statuer lorsqu’une juridiction préalablement saisie a décliné sa compétence à la suite de la demande de l’une des parties à la procédure.

4. Ces dispositions se trouvent au cœur de la deuxième question préjudicielle dont la Cour est saisie dans la présente affaire, par laquelle la juridiction de renvoi demande, en substance, si, et le cas échéant, dans quelle mesure, un déclinatoire de compétence de la juridiction d’un État membre préalablement saisie en matière successorale est contraignant pour la juridiction d’un autre État membre saisie subséquemment.

5. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse de cette question.

II. Le cadre juridique

6. L’article 6 du règlement no 650/2012, intitulé « Déclinatoire de compétence en cas de choix de loi », prévoit, sous a) :

« Lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, la juridiction saisie en vertu de l’article 4 ou 10 :

a) peut, à la demande de l’une des parties à la procédure, décliner sa compétence si elle considère que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu des circonstances pratiques de celle-ci, telles que la résidence habituelle des parties et la localisation des biens [...] »

7. L’article 7, de ce règlement, intitulé « Compétence en cas de choix de loi », prévoit, sous a) :

« Les juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en vertu de l’article 22 sont compétentes pour statuer sur la succession, à condition :

a) qu’une juridiction préalablement saisie ait décliné sa compétence dans la même affaire, en vertu de l’article 6 ; »

8. L’article 22 dudit règlement, intitulé « Choix de la loi », prévoit, à son paragraphe 1, qu’« [u]ne personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ».

9. L’article 83, paragraphe 4, du même règlement énonce que « [s]i une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession ».

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

10. À la suite du décès de son mari, intervenu le 9 mars 2017, CR a demandé, devant l’Amtsgericht Düren (tribunal de district de Düren, Allemagne), la délivrance d’un certificat d’hérédité national ainsi que d’un certificat successoral européen, sur le fondement du testament conjonctif rédigé conformément au droit allemand en 1990, par lequel CR et son mari s’étaient mutuellement désignés comme héritiers uniques. La dernière résidence habituelle du défunt était en Espagne.

11. RK, le frère du défunt, s’est opposé à la demande de CR.

12. Par décision du 20 décembre 2017, l’Amtsgericht Düren (tribunal de district de Düren) a fait droit à la demande de CR.

13. Saisie d’un recours introduit par RK, la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne) a annulé cette décision au motif que seules les juridictions espagnoles étaient compétentes, conformément au critère de la « résidence habituelle » du défunt au moment de son décès, au sens de l’article 4 du règlement no 650/2012.

14. Le 29 avril 2019, CR a obtenu une ordonnance du Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 d’Estepona (tribunal de première instance et d’instruction no 3 d’Estepona, Espagne), dont il ressort que cette juridiction a décidé, sur demande de la partie requérante, « de renoncer à rendre une décision, étant donné que les juridictions allemandes sont mieux placées pour statuer sur la succession et en raison des circonstances pratiques, telles que la résidence habituelle de CR et le fait que la
majeure partie du patrimoine concerné soit située en Allemagne ».

15. CR a introduit, par acte notarié du 29 août 2019, une nouvelle demande de délivrance des certificats successoraux en présentant cette ordonnance auprès de l’Amtsgericht Düren (tribunal de district de Düren). Par ordonnance du 19 février 2020, cette juridiction a de nouveau fait droit à la demande de CR en considérant que sa compétence internationale était établie, la juridiction espagnole saisie par CR ayant décliné sa compétence en vertu de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012.

16. Par un recours dirigé contre l’ordonnance du 19 février 2020, RK s’est de nouveau opposé à cette décision et l’affaire a été déférée à la juridiction de renvoi.

17. C’est dans ce contexte que l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne), par décision du 28 août 2020, parvenue à la Cour le 8 septembre 2020, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Pour qu’il y ait, en vertu de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012, un déclinatoire de compétence de la juridiction préalablement saisie, est-il nécessaire que cette juridiction ait expressément décliné sa compétence ou bien une déclaration implicite peut-elle suffire lorsqu’il peut en être déduit en l’interprétant que cette juridiction a décliné sa compétence ?

2) La juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction préalablement saisie d’un autre État membre est-elle habilitée à vérifier si les conditions pour que la juridiction préalablement saisie statue étaient réunies en vertu de l’article 6, sous a), et de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 ? Dans quelle mesure la décision de la juridiction préalablement saisie est-elle contraignante ?

En particulier :

a) La juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction préalablement saisie de l’autre État membre est-elle habilitée à vérifier si le défunt a valablement choisi la loi de l’État membre en vertu de l’article 22 du règlement no 650/2012 ?

b) La juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction de l’autre État membre saisie en premier est-elle habilitée à vérifier si, devant la juridiction préalablement saisie, une des parties à la procédure a, en vertu de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012, présenté une demande aux fins que cette juridiction décline sa compétence ?

c) La juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction de l’autre État membre saisie en premier est-elle habilitée à vérifier si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, retenu que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession ?

3) L’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012, qui présupposent un choix de la loi applicable “en vertu de l’article 22”, s’appliquent-ils également lorsque, dans un testament établi avant le 17 août 2015, le défunt n’a pas explicitement ou tacitement choisi la loi applicable et que la loi applicable à la succession ne peut résulter que de l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012 ? »

18. Des observations ont été présentées par CR, les gouvernements espagnol et italien ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

IV. Analyse

A.   Remarques liminaires sur la deuxième question et son objet

19. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, lorsqu’une juridiction d’un État membre préalablement saisie en matière successorale décline sa compétence au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012, la juridiction saisie subséquemment, au titre de l’article 7, sous a), de ce règlement, peut vérifier si les conditions énoncées à cette première disposition étaient réunies lors de l’adoption de la décision déclinatoire de compétence.

1. Sur les conditions visées par la deuxième question préjudicielle

20. Dans la partie initiale de la deuxième question, la juridiction de renvoi se réfère, de manière générale, aux conditions énoncées à l’article 6, sous a), et à l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012. Elle cible toutefois cette question sur trois conditions spécifiques qui doivent être réunies pour que la juridiction préalablement saisie puisse décliner sa compétence en faveur des juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité. Plus spécifiquement, la deuxième
question, qui s’articule en trois sous-questions, concerne le point de savoir si ces dernières juridictions peuvent vérifier, premièrement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession, deuxièmement, si l’une des parties à la procédure a présenté une demande au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 devant la juridiction préalablement saisie et,
troisièmement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que les juridictions dudit État membre sont mieux placées pour statuer sur la succession.

21. Si ces trois sous-questions sont précédées des termes « en particulier », d’autres éléments susceptibles d’être pertinents du point de vue de la juridiction subséquemment saisie au titre de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 ne font toutefois pas l’objet de questions de la part de la juridiction de renvoi ( 4 ). En effet, il ressort de l’exposé des motifs de la demande de décision préjudicielle que, en ce qui concerne la deuxième question, la juridiction de renvoi limite sa portée
aux conditions qu’elle vise par les mêmes sous-questions.

2. Sur l’articulation entre la première sous-question de la deuxième question et la troisième question

22. Il semble a priori exister une incohérence entre la première sous-question de la deuxième question et la troisième question.

23. En effet, si la première sous-question de la deuxième question fait référence à un choix de loi effectué en vertu de l’article 22 du règlement no o650/2012, il ressort toutefois de la formulation de la troisième question que, selon la juridiction de renvoi, la loi allemande ne pouvait pas être choisie par le de cujus sur le fondement de cette disposition et que l’application de cette loi résulte de l’article 83, paragraphe 4, de ce règlement. Dans cette ligne de pensée, la juridiction de renvoi,
par sa troisième question, cherche à établir si l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), dudit règlement, qui présupposent un choix de la loi applicable « en vertu de l’article 22 », s’appliquent également lorsque l’application de la loi de l’État dont le de cujus avait la nationalité résulte de l’article 83, paragraphe 4, du même règlement et, par conséquent, lorsque « cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession » ( 5 ).

24. La remarque formulée par CR, selon laquelle la première sous-question « passe à côté » de l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012, pourrait laisser penser que CR a relevé l’incohérence mentionnée aux points 22 et 23 des présentes conclusions. CR affirme également que, dans le cadre de l’examen de sa compétence, la juridiction espagnole a procédé à l’appréciation de l’article 22 de ce règlement. Toutefois, on ne peut pas exclure que, par cette affirmation, CR cherche à démontrer que
les juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité ne pourraient vérifier l’application de la loi de cet État, indépendamment du fait que cette application résulterait de l’article 22 (première sous-question de la deuxième question) ou de l’article 83, paragraphe 4, dudit règlement (troisième question).

25. Par ailleurs, le gouvernement espagnol indique que la juridiction de cet État membre, qui a décliné sa compétence en faveur des juridictions allemandes, a fait valoir que, préalablement à l’entrée en vigueur du règlement no 650/2012, le défunt avait, sur le fondement de sa loi nationale, c’est-à-dire la loi allemande, établi un testament, ce qui, en vertu de l’article 83, paragraphe 4, de ce règlement, impliquait automatiquement le choix de cette loi comme loi applicable à la succession.

26. En tout état de cause, considérer, dans le cadre de l’analyse de la première sous-question de la deuxième question, que les juridictions de l’État membre dont le défunt avait la nationalité, saisies au titre de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012, ne peuvent pas vérifier si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession, conduirait à ce que l’incohérence mentionnée
aux points 22 et 23 des présentes conclusions soit peu pertinente. En outre, le fait que ladite loi n’a pas été choisie en vertu de l’article 22 de ce règlement, mais est réputée avoir été choisie sur le fondement de l’article 83, paragraphe 4, de celui-ci, ne saurait conduire à ce que les juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité soient contraintes, par la décision déclinatoire de compétence, d’appliquer ledit règlement, alors même que la succession ne relève pas du
champ d’application ratione temporis de celui-ci ( 6 ).

27. Dans ces conditions, pour pouvoir fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de comprendre la première sous-question comme visant à déterminer si la juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction préalablement saisie peut vérifier si cette dernière a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession.

28. Il est certes vrai que cette première sous-question, ainsi reformulée, semble préjuger la réponse à donner à la troisième question. Il en résulte en effet que l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 sont susceptibles de s’appliquer lorsque la loi de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité est réputée avoir été choisie sur le fondement de l’article 83, paragraphe 4, de ce règlement.

29. Toutefois, d’une part, ainsi que l’ont fait valoir l’ensemble des parties, l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 s’appliquent dans une telle situation. D’autre part, dans l’hypothèse où les juridictions de l’État membre dont le défunt avait la nationalité ne peuvent pas vérifier si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession (première
sous-question), la question de savoir si cette juridiction peut statuer sur le fondement de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 lorsque la loi de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité est réputée avoir été choisie sur le fondement de l’article 83, paragraphe 4, de celui-ci aurait dû être tranchée non pas par les juridictions de l’État membre dont le défunt avait la nationalité mais par la juridiction préalablement saisie. Si cette hypothèse était avérée, les juridictions
de cet État membre ne sauraient, a fortiori, écarter une interprétation telle que celle avancée par l’ensemble des parties en invoquant la non-applicabilité conjointe de ces dispositions.

30. Je rappelle que, conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse de la deuxième question préjudicielle. Je présenterai tout d’abord les positions des parties en ce qui concerne les trois conditions visées par la juridiction de renvoi (titre B), puis j’analyserai le mécanisme de l’article 6, sous a), et de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 pour fournir la réponse à cette question (titre C).

B.   Positions des parties

31. CR et le gouvernement italien soutiennent que la juridiction d’un État membre dont la loi a été choisie ou est réputée avoir été choisie par le de cujus ne peut pas vérifier si les conditions visées par les trois sous-questions de la deuxième question étaient réunies lors de l’adoption de la décision déclinatoire par la juridiction préalablement saisie.

32. Le gouvernement espagnol considère que l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction d’un État membre dont la compétence découle d’un déclinatoire de compétence ne peut pas contrôler la décision déclinatoire de compétence adoptée préalablement. Selon lui, cette juridiction est néanmoins tenue de vérifier sa propre compétence et, par conséquent, de vérifier si son droit national a été choisi par le défunt (première
sous-question) et si la juridiction préalablement saisie a décliné sa compétence. Le gouvernement espagnol ne précise pas les implications pratiques de cette interprétation, principalement fondée sur la lecture combinée des articles 7 et 15 de ce règlement. Il fait valoir que, aux termes de ce dernier article, la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu dudit règlement se déclare d’office incompétente.

33. Par ailleurs, le gouvernement espagnol invoque les arrêts Overseas Union Insurance e.a. ( 7 ) et Gasser ( 8 ), et rappelle que, dans le contexte de la convention de Bruxelles ( 9 ), la Cour a jugé que la compétence d’un juge est déterminée, notamment, directement par les règles de cette convention, qui sont communes aux deux juges et qui peuvent être interprétées et appliquées avec la même autorité par chacun d’entre eux.

34. Ce gouvernement fait également référence à la définition de la notion de « décision », figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 650/2012 ( 10 ), et rappelle que seules les décisions relevant de cette définition bénéficient du système de reconnaissance mutuelle instauré par ce règlement.

35. Quant à la Commission, elle soutient que la décision déclinatoire de compétence, adoptée au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012, doit être contraignante pour la juridiction saisie en second lieu eu égard à l’existence de la demande d’une des parties aux fins du déclinatoire de compétence (deuxième sous-question) et au fait d’avoir considéré que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession (troisième
sous-question). À l’appui de cette interprétation, la Commission se réfère, notamment, à l’arrêt Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. ( 11 ), qu’elle considère transposable en l’espèce.

36. En revanche, selon la Commission, la juridiction saisie en second lieu peut vérifier la validité du choix de la loi applicable en vertu de l’article 22 du règlement no 650/2012 (troisième sous-question). En effet, il existerait une certaine contradiction entre le principe général selon lequel la juridiction saisie en second lieu ne peut pas vérifier la décision déclinatoire de compétence et le fait que la juridiction saisie en second lieu est celle qui doit déterminer la loi applicable. La
juridiction saisie en second lieu devrait donc pouvoir vérifier la validité du choix de la loi en faveur du droit de l’État du for en ce qui concerne non pas la compétence internationale, mais son effet en matière de conflit de lois. En effet, en l’espèce, en ce qui concerne cette compétence, la juridiction préalablement saisie a statué en se basant sur sa propre appréciation de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012, qui présuppose dans tous les cas un choix de la loi en vertu de
l’article 22 de ce règlement.

C.   Sur le mécanisme prévu à l’article 6, sous a), et à l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012

37. Comme l’a observé la doctrine ( 12 ), le mécanisme prévu à l’article 6, sous a), et à l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 est inspiré par la doctrine du forum non conveniens, qui fait également écho à d’autres dispositions du droit international privé de l’Union, telles que l’article 12 de ce règlement, l’article 15 du règlement (CE) no 2201/2003 ( 13 ) et les articles 33 et 34 du règlement (UE) no 1215/2012 ( 14 ).

38. Toutefois, les particularités de ce mécanisme le distinguent des manifestations typiques de la doctrine du forum non conveniens. Les éléments permettant de répondre à la deuxième question préjudicielle doivent donc être trouvés principalement dans le règlement no 650/2012 lui-même. Ces éléments concernent, en premier lieu, la nature des conditions visées par les trois sous-questions auxquelles est soumise une décision déclinatoire de compétence adoptée au titre de l’article 6, sous a), de ce
règlement, en deuxième lieu, la qualification de cette décision en tant que décision relevant du mécanisme de reconnaissance instauré par ledit règlement, ainsi que, en troisième lieu, l’effet que produit ladite décision en ce qui concerne la répartition de la compétence entre les États membres.

1. La nature des conditions visées par les trois sous-questions

39. L’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 concerne un déclinatoire facultatif de compétence. Même si les conditions relatives au choix de la loi d’un État membre dont le de cujus avait la nationalité (première sous-question) et à l’existence de la demande d’une des parties aux fins du déclinatoire de compétence (deuxième sous-question) sont réunies, la juridiction préalablement saisie n’est nullement dans l’obligation de décliner sa compétence en faveur des juridictions de cet État membre :
elle peut le faire si elle considère que ces juridictions sont mieux placées pour statuer sur la succession. Le fait que l’adoption (ou non) de la décision déclinatoire de compétence, au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012, relève de son appréciation constitue un indice sérieux de ce que cette décision ne devrait pas être contrôlée par les juridictions d’un autre État membre, à tout le moins dans la mesure où ladite décision concerne le fait d’avoir considéré que les
juridictions de cet État membre sont mieux placées pour statuer sur la succession (troisième sous-question).

40. En outre, une demande de déclinatoire de compétence au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 (deuxième sous-question) doit être rédigée et déposée devant la juridiction préalablement saisie selon les modalités de la lex fori. Cette juridiction peut donc facilement vérifier également si une telle demande a été présentée devant elle par l’une des parties à la procédure et produit des effets lui permettant de décliner sa compétence.

41. Tout en reconnaissant que les conditions visées par les deuxième et troisième sous-questions de la deuxième question ne doivent pas être vérifiées par la juridiction préalablement saisie, le gouvernement espagnol considère qu’il résulte d’une lecture combinée des articles 7 et 15 du règlement no 650/2012 que la juridiction d’un État membre dont le de cujus avait la nationalité est tenue de vérifier sa propre compétence et, par conséquent, de vérifier si son droit national a été choisi par le
défunt et si la juridiction préalablement saisie a décliné sa compétence (première sous-question). Cet argument semble reposer sur une interprétation de ces disposions selon laquelle les éléments auxquels le libellé de cette première disposition fait écho doivent être vérifiés par la juridiction de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité ( 15 ).

42. Or, bien que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012, les conditions que vise cette juridiction par les trois sous-questions sont énoncées à cette première disposition. Ces conditions régissent la compétence des juridictions visées aux articles 4 et 10 de ce règlement ou, plus précisément, déterminent si ces juridictions peuvent décliner la compétence qu’elles sont tenues
d’exercer, sauf dans les cas expressément prévus par ledit règlement.

43. En revanche, les conditions que vise cette juridiction par ses trois sous-questions ne sont qu’indirectement visées à l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012 dans la mesure où celui-ci s’applique « à condition qu’une juridiction préalablement saisie ait décliné sa compétence dans la même affaire, en vertu de l’article 6 ». Certes, la première partie de l’article 7 de ce règlement fait référence aux « juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en vertu de
l’article 22 ». Toutefois, la condition relative au choix de la loi de cet État membre figure déjà à l’article 6 dudit règlement ( 16 ). La référence faite à l’article 7 a, quant à elle, seulement pour objet de désigner les juridictions visées à cette disposition.

44. Ainsi, la vérification effectuée par ces juridictions au titre de l’article 15 du règlement no 650/2012 doit porter sur l’existence d’une décision déclinatoire de compétence adoptée sur le fondement de l’article 6, sous a), de ce règlement. En revanche, le respect des conditions visées par la juridiction de renvoi par les trois sous-questions de la deuxième question doit être vérifié par une juridiction compétente au titre de l’article 4 ou 10 dudit règlement. Ce faisant, cette juridiction
vérifie, en pratique, les conditions de sa compétence. Comme il ressort des arrêts Overseas Union Insurance e.a. ( 17 ) et Gasser ( 18 ), auxquels le gouvernement espagnol fait référence, la juridiction subséquemment saisie n’est, en aucun cas, pas mieux placée que la juridiction préalablement saisie pour se prononcer sur la compétence de cette dernière.

45. Cette considération n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission par lequel elle semble évoquer une nature double de la condition relative au choix de la loi de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité. Cet argument semble reposer sur l’interprétation selon laquelle la juridiction préalablement saisie n’examinerait le choix de la loi applicable à la succession qu’aux fins des règles de compétence, de sorte qu’il appartiendrait à la juridiction subséquemment saisie
d’examiner ce choix aux fins des règles de conflit.

46. Or, rien ne permet de considérer que le règlement no 650/2012 opère une distinction entre le choix de la loi applicable valable aux fins des règles de compétence et le choix valable aux fins des règles de conflit. Il s’agit toujours d’un choix effectué (ou réputé avoir été effectué) sur le fondement des mêmes dispositions de ce règlement et, comme l’a observé la doctrine, l’existence d’un choix de loi valable constatée par la juridiction préalablement saisie n’est pas réexaminé par les
juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie, saisies au titre de l’article 7, sous a), du même règlement ( 19 ). En outre, un déclinatoire de compétence en faveur de ces juridictions permet de préserver la coïncidence entre forum et ius.

2. La décision sur un déclinatoire de compétence en tant que décision relevant du mécanisme de reconnaissance

47. Comme l’observe la Commission, il résulte de l’arrêt Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. ( 20 ) que, en ce qui concerne le règlement (CE) no 44/2001 ( 21 ), qui a remplacé la convention de Bruxelles, une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction constitue une décision relevant du mécanisme de reconnaissance instauré par ce règlement et lie les juridictions d’autres États membres en ce qui concerne la
constatation relative à la validité de cette clause.

48. Étant donné que les dispositions de la convention de Bruxelles, auxquelles la Cour a fait référence dans ledit arrêt Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. pour parvenir à cette solution, ne sont pas substantiellement différentes de celles du règlement no 650/2012, j’estime que les enseignements tirés de l’arrêt Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. ( 22 ) sont transposables à ce règlement.

49. Par conséquent, mutatis mutandis, une décision déclinatoire de compétence lie les juridictions d’autres États membres en ce qui concerne la considération selon laquelle les conditions énoncées à l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 étaient réunies lors de l’adoption de cette décision, lorsque celles-ci ont été vérifiées par cette juridiction ( 23 ).

50. En effet, les conditions énoncées à l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 constituent des conditions de compétence, au sens large du terme, qui déterminent, plus spécifiquement, si la juridiction préalablement saisie peut décliner sa compétence ( 24 ). Par ailleurs, la décision déclinatoire de compétence relève du mécanisme de reconnaissance instauré par le règlement no 650/2012. En outre, le respect du principe de confiance mutuelle dans l’administration de la justice dans les États
membres, qui sous-tend l’application des dispositions de ce règlement relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions ( 25 ), permet de ne pas reconnaître ladite décision uniquement dans les cas prévus par ce règlement. En suivant cette logique, aux termes de l’article 41 dudit règlement, une décision déclinatoire de compétence adoptée dans un État membre ne saurait faire l’objet d’une révision quant au fond. L’absence de révision quant au fond s’étend normalement à l’application
que le juge a faite des règles de compétence harmonisées ( 26 ). De plus, l’article 40 du même règlement, qui énonce des motifs de non-reconnaissance, ne permet pas à une juridiction d’un autre État membre de ne pas reconnaître une décision déclinatoire de compétence au seul motif qu’elle estime que, dans cette décision, le droit de l’Union a été mal appliqué ( 27 ).

51. Cette solution s’explique, par ailleurs, par le fait que la décision déclinatoire de compétence adoptée au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 est susceptible d’un contrôle au sein de l’ordre juridique de l’État membre de la juridiction préalablement saisie. Ce contrôle est susceptible de porter également sur la vérification des conditions visées par les trois sous-questions de la deuxième question. En outre, afin d’assurer l’interprétation uniforme des règles de ce règlement
au sein de l’Union, les juridictions de cet ordre juridique peuvent recourir au mécanisme de renvoi préjudiciel institué par l’article 267 TFUE.

52. Ainsi, en respectant le principe de confiance mutuelle dans l’administration de la justice dans les États membres, une juridiction d’un autre État membre, saisie subséquemment au titre de l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012, ne saurait se substituer aux juridictions assurant le contrôle d’instance au sein de l’ordre juridique de l’État membre de la juridiction préalablement saisie. Il résulte de ce qui précède qu’une juridiction saisie subséquemment ne peut pas procéder à la
vérification des conditions visées par les trois sous-questions de la deuxième question si celles-ci ont été vérifiées par la juridiction préalablement saisie.

3. L’effet produit par le déclinatoire de compétence au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012

53. L’article 22, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 permet à une personne de choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité. L’article 83, paragraphe 4, de ce règlement prévoit que cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession. Or, une juridiction préalablement saisie au titre de l’article 4 ou de l’article 10 dudit règlement ne peut décliner sa compétence qu’en faveur des juridictions de l’État membre
dont le de cujus avait la nationalité. Si la loi d’un État tiers a été choisie (ou est réputée avoir été choisie) comme loi applicable à la succession, une juridiction préalablement saisie ne peut pas décliner sa compétence en faveur des juridictions de cet État tiers.

54. La doctrine a envisagé plusieurs raisons susceptibles d’expliquer cette solution, tout en considérant qu’aucune d’entre elles n’était entièrement convaincante ( 28 ). Une autre raison pourrait tenir à l’effet produit par le déclinatoire de compétence, qui conduit à ce que les juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité deviennent automatiquement compétentes. Or, les juridictions d’un État tiers qui n’appliquent pas le règlement no 650/2012 ne sauraient être contraintes,
au titre de l’article 7, sous a), de ce règlement, d’exercer la compétence que la juridiction d’un État membre a déclinée. En outre, ces juridictions ne bénéficient pas de la confiance réciproque entre les États membres qui sous-tend ledit règlement.

55. La volonté du législateur de mettre l’accent sur l’effet produit par le déclinatoire de compétence est corroborée par l’analyse des travaux préparatoires du règlement no 650/2012.

56. En effet, la proposition de règlement ( 29 ) prévoyait, à son article 5, paragraphe 1, que « [l]orsque la loi d’un État membre a été choisie par le défunt pour régir sa succession [...], la juridiction saisie conformément à l’article 4 peut, à la demande d’une partie et si elle considère que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession, sursoir à statuer et inviter les parties à saisir d’une demande les juridictions de cet État
[m]embre ». Ce même article prévoyait que la juridiction première saisie continuait d’exercer sa compétence, d’une part, si les juridictions de l’État membre dont la loi avait été choisie n’étaient pas saisies durant un délai imparti par cette première juridiction ( 30 ) et, d’autre part, si les juridictions de l’État membre dont la loi avait été choisie ne s’étaient pas déclarées compétentes dans un délai maximum de huit semaines à compter de leur saisine ( 31 ).

57. Le transfert de la compétence aux juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie par le de cujus intervenait ainsi non pas automatiquement ( 32 ) mais lorsque ces juridictions, à la suite d’une saisine en matière successorale, l’avaient accepté. Comme l’a observé la doctrine, cette solution, sans passer sous silence les différences qui les séparent ( 33 ), faisait écho à celle figurant à l’article 15 du règlement no 2201/2003.

58. À la suite de l’avis en première lecture du Parlement ( 34 ), la solution retenue à l’article 5 de la proposition de règlement a obtenu sa formulation définitive, qui figure à l’article 6, sous a), et à l’article 7, sous a), du règlement no 650/2012. La modification apportée confirme la volonté du législateur de l’Union de ne pas retenir la solution permettant aux juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie de décliner leur compétence.

59. Dans cet état des choses, considérer que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie ou est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession peuvent vérifier si les conditions énoncées à l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 étaient réunies lors de l’adoption de la décision déclinatoire de compétence serait susceptible de revenir en pratique à reconnaître à ces juridictions la possibilité de décliner la compétence résultant de ce déclinatoire et
affaiblirait donc le mécanisme de l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), de ce règlement.

60. La juridiction ayant décliné sa compétence au titre de l’article 6, sous a), du règlement no 650/2012 ne deviendrait pas automatiquement de nouveau compétente, ce qui pourrait conduire à des situations de déni de justice ( 35 ). L’interprétation selon laquelle les juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité ne peuvent pas vérifier si les conditions visées par les trois sous-questions étaient réunies permet donc d’éviter le risque d’un conflit négatif de compétence qui
pourrait se présenter si la juridiction préalablement saisie déclinait sa compétence et si la juridiction de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité considérait que les conditions énoncées à l’article 6, sous a), dudit règlement ne sont pas réunies.

61. Compte tenu, en premier lieu, de la nature des conditions visées par les trois sous-questions, qui déterminent si la juridiction préalablement saisie peut décliner la compétence qu’elle est en principe tenue d’exercer ( 36 ), en second lieu, de la qualification de la décision déclinatoire de compétence en tant que décision relevant du mécanisme de reconnaissance instauré par le règlement no 650/2012 ( 37 ), ainsi que, en troisième lieu, de la volonté d’assurer que cette décision produit l’effet
visé par le législateur de l’Union ( 38 ), je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), de ce règlement doivent être interprétés en ce sens que la juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de compétence de la juridiction préalablement saisie n’est pas habilitée à vérifier, premièrement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été
choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession, deuxièmement, si l’une des parties à la procédure a présenté une demande au titre de l’article 6, sous a), dudit règlement devant la juridiction préalablement saisie et, troisièmement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que les juridictions dudit État membre sont mieux placées pour statuer sur la succession, lorsque ces trois conditions ont été vérifiées par la juridiction préalablement saisie.

V. Conclusion

62. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante à la deuxième question préjudicielle posée par l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne) :

L’article 6, sous a), et l’article 7, sous a), du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doivent être interprétés en ce sens que la juridiction de l’État membre dont la compétence est censée résulter d’un déclinatoire de
compétence de la juridiction préalablement saisie n’est pas habilitée à vérifier, premièrement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste titre, considéré que la loi de cet État membre a été choisie ou est réputée avoir été choisie pour régir la succession, deuxièmement, si l’une des parties à la procédure a présenté une demande au titre de l’article 6, sous a), de ce règlement devant la juridiction préalablement saisie et, troisièmement, si la juridiction préalablement saisie a, à juste
titre, considéré que les juridictions dudit État membre sont mieux placées pour statuer sur la succession, lorsque ces trois conditions ont été vérifiées par la juridiction préalablement saisie.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).

( 3 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Oberle (C‑20/17, EU:C:2018:89, point 104).

( 4 ) En particulier, la juridiction de renvoi ne demande à la Cour ni de déterminer si les juridictions de l’État membre dont le de cujus avait la nationalité peuvent vérifier si la juridiction préalablement saisie était compétente en vertu des articles 4 ou 10 du règlement no 650/2012 ou si la décision adoptée par la juridiction préalablement saisie relevait du champ d’application de ce règlement, ni de déterminer si un déclinatoire de compétence au titre de l’article 6, sous a), dudit règlement
produit ses effets pour toute procédure relative à la succession du défunt ou uniquement pour les procédures ayant le même objet que celle dans le cadre duquel le déclinatoire en cause au principal a été posé. Or, il est constant que la juridiction espagnole était compétente en vertu de l’article 4 du même règlement. En outre, rien ne permet de considérer que l’objet de la procédure entamée devant la juridiction espagnole diffère substantiellement de celui de la procédure pendante devant la
juridiction de renvoi.

( 5 ) Par souci d’exhaustivité, je relève qu’il ressort du règlement no 650/2012 que celui-ci, d’une part, à l’exception de quelques articles applicables à des dates antérieures, est applicable à partir du 17 août 2015 (article 84, second alinéa) et, d’autre part, s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après cette date (article 83, paragraphe 1). Prises de manière isolée, les solutions retenues par ces dispositions quant au champ d’application ratione temporis de ce
règlement sont susceptibles d’ignorer les dispositions à cause de mort prises avant le 17 août 2015. Afin d’éviter cette situation, le législateur de l’Union a introduit des dispositions transitoires supplémentaires à l’article 83 de ce règlement. Ainsi, l’article 83, paragraphe 2, dudit règlement prévoit : « Lorsque le défunt avait, avant le 17 août 2015, choisi la loi applicable à sa succession, ce choix est valable s’il remplit les conditions fixées au chapitre III ou s’il est valable en
application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où le choix a été fait, dans l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité. » Par ailleurs, l’article 83, paragraphe 4, du règlement no 650/2012 prévoit : « Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été
choisie comme loi applicable à la succession. » Comme l’a déjà indiqué la Cour, cette première disposition « vise à préserver la volonté du testateur et, pour que ce choix soit valable, il doit remplir les conditions fixées à ladite disposition », alors que la seconde « régit les cas dans lesquels une disposition à cause de mort ne comporte pas un tel choix ». Voir arrêt du 16 juillet 2020, E. E. (Compétence juridictionnelle et loi applicable aux successions) (C‑80/19, EU:C:2020:569, point 92).

( 6 ) Sur les dispositions transitoires du règlement no 650/2012, voir note en bas de page 5.

( 7 ) Arrêt du 27 juin 1991 (C‑351/89, EU:C:1991:279, point 23).

( 8 ) Arrêt du 9 décembre 2003 (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 48).

( 9 ) Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »).

( 10 ) Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 650/2012.

( 11 ) Arrêt du 15 novembre 2012 (C‑456/11, EU:C:2012:719).

( 12 ) Voir Marongiu Buonaiuti, F., « Article 6 », dans Calvo Caravaca, A. L., Davì, A., et Mansel, H. P., The EU Succession Regulation. A Commentary, Cambridge University Press, Cambridge, 2016, p. 165.

( 13 ) Règlement du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).

( 14 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 15 ) Les éléments relatifs au point de savoir si le défunt a choisi sa loi nationale et si la juridiction préalablement saisie au titre de la résidence habituelle de celui‑ci a décliné sa compétence semblent être reflétés par la formulation de l’article 7 du règlement no 650/2012, selon laquelle cette disposition concerne « les juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en vertu de l’article 22 », lesquelles sont compétentes à condition « qu’une juridiction
préalablement saisie ait décliné sa compétence dans la même affaire, en vertu de l’article 6 ».

( 16 )

( 17 ) Arrêt du 27 juin 1991 (C‑351/89, EU:C:1991:279, point 23).

( 18 ) Arrêt du 9 décembre 2003 (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 48).

( 19 ) Voir Bonomi, A., « Article 6 », dans Bonomi, A., Wautelet, P., Le droit européen des successions. Commentaire du règlement (UE) no 650/2012, du 4 juillet 2012, Bruylant, Bruxelles, 2016, p. 219. Voir, également, en ce sens, Marongiu Buonaiuti, F., « Article 7 », dans Calvo Caravaca, A. L., Davì, A., et Mansel, H. P., The EU Succession Regulation. A Commentary, Cambridge University Press, Cambridge, 2016, p. 174.

( 20 ) Arrêt du 15 novembre 2012 (C‑456/11, EU:C:2012:719).

( 21 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

( 22 ) Arrêt du 15 novembre 2012 (C‑456/11, EU:C:2012:719).

( 23 ) En effet, la Cour a jugé, dans l’arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. (C‑456/11, EU:C:2012:719, point 41), qu’une décision par laquelle la juridiction d’un État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, au motif que cette clause est valide, lie les juridictions des autres États membres en ce qui concerne tant la décision d’incompétence de cette juridiction, contenue dans le dispositif de sa décision, que la constatation
relative à la validité de cette clause, contenue dans les motifs de cette décision, qui constituent le soutien nécessaire de ce dispositif. J’en déduis qu’une juridiction saisie en premier lieu doit indiquer, dans le dispositif de sa décision ou ses motifs, que les conditions visées par les trois sous-questions de la deuxième question préjudicielle ont été vérifiées lors de l’adoption de la décision déclinatoire de compétence afin que la juridiction saisie en second lieu puisse établir, sur la base
de ce dispositif et/ou de ces motifs, l’existence d’une décision déclinatoire de compétence adoptée sur le fondement de l’article 6, sous a), du règlement no o650/2012, qui lie cette juridiction en ce qui concerne ces trois conditions, sans qu’elle puisse mettre en cause le bien-fondé des vérifications opérées par la juridiction préalablement saisie.

( 24 ) Voir point 42 des présentes conclusions.

( 25 ) Arrêt du 23 mai 2019, WB (C‑658/17, EU:C:2019:444, point 52).

( 26 ) Voir, par voie d’analogie, arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. (C‑456/11, EU:C:2012:719, point 37).

( 27 ) Voir également, par voie d’analogie, arrêt du 11 mai 2000, Renault (C‑38/98, EU:C:2000:225, point 33).

( 28 ) Voir Bonomi, A., op. cit., p. 214.

( 29 ) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen [COM(2009) 154 final] (ci-après la « proposition de règlement »).

( 30 ) Article 5, paragraphe 2, de la proposition de règlement.

( 31 ) Article 5, paragraphe 3, de la proposition de règlement.

( 32 ) Ce que d’ailleurs confirmait la Commission en indiquant que « le renvoi à une juridiction mieux placée ne devrait pas être automatique dès lors que le défunt a choisi la loi d’un autre État membre ». Voir proposition de règlement, p. 5.

( 33 ) Voir Lein, E., « A Further Step Towards a European Code of Private International Law : The Commission Proposal for a Regulation on Succession », Yearbook of Private International Law, 2009, vol. XI, p. 119 et 120.

( 34 ) Position du Parlement européen arrêtée en premier lecture le 13 mars 2012, EP-PE_TC1-COD(2009) 157.

( 35 ) Certes, dans certains cas, une telle situation pourrait être théoriquement évitée par l’application de l’article 11 du règlement no 650/2012, qui prévoit un forum necessitatis. Toutefois, cette disposition prévoit des conditions susceptibles d’exclure son application lorsque des juridictions de deux États membres se sont déjà considérées incompétentes pour statuer sur une succession.

( 36 ) Voir points 42 à 44 des présentes conclusions.

( 37 ) Voir point 52 des présentes conclusions.

( 38 ) Voir point 54 des présentes conclusions.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-422/20
Date de la décision : 08/07/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Köln.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Successions – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 6, sous a) – Déclinatoire de compétence – Article 7, sous a) – Compétence juridictionnelle – Contrôle par la juridiction saisie en second lieu – Article 22 – Choix de la loi applicable – Article 39 – Reconnaissance mutuelle – Article 83, paragraphe 4 – Dispositions transitoires.

Coopération judiciaire en matière civile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : RK
Défendeurs : CR.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:565

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