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10/06/2021 | CJUE | N°C-71/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre VAS Shipping ApS., 10/06/2021, C-71/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 10 juin 2021 ( 1 )

Affaire C‑71/20

Anklagemyndigheden

contre

VAS Shipping ApS (anciennement Sirius Shipping ApS)

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 54 TFUE – Liberté d’établissement – Obligation imposée par le droit national d’un État membre aux ressortissants de pays tiers membres de l’équipage de n

avires battant pavillon de cet État membre d’obtenir un permis de travail – Exonération pour les navires en trafic international qui ne touche...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 10 juin 2021 ( 1 )

Affaire C‑71/20

Anklagemyndigheden

contre

VAS Shipping ApS (anciennement Sirius Shipping ApS)

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 54 TFUE – Liberté d’établissement – Obligation imposée par le droit national d’un État membre aux ressortissants de pays tiers membres de l’équipage de navires battant pavillon de cet État membre d’obtenir un permis de travail – Exonération pour les navires en trafic international qui ne touchent pas plus de 25 fois par an des ports de l’État membre – Navire appartenant à un ressortissant d’un autre État membre – Non discriminatoire – Notion de “restriction” –
Raisons impérieuses d’intérêt général – Stabilité du marché de l’emploi – Proportionnalité »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle, présentée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), datée du 10 février 2020 et déposée au greffe de la Cour le 12 février 2020, porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement. Elle pose la question difficile sur le plan conceptuel de savoir si une législation relative au marché du travail, qui est applicable généralement et indistinctement, peut être considérée comme une restriction à la
liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale, dans laquelle l’Anklagemyndigheden (ministère public, Danemark) poursuit la société à responsabilité limitée VAS Shipping ApS (anciennement Sirius Shipping ApS) (ci‑après « VAS Shipping »), dont le capital est intégralement détenu par la société suédoise Sirius Rederi AB. Étant donné que, en vertu du droit danois, un armateur gérant doit être désigné pour tout navire appartenant à des quirataires, VAS Shipping a été désignée
comme armateur gérant de quatre entreprises quirataires établies en Suède. Les quatre quirataires ont fait immatriculer quatre navires dans le registre international danois des navires (ci‑après le « DIS ») aux fins de leurs activités au Danemark.

3. En vertu de la législation danoise applicable à l’époque des faits, un ressortissant de pays tiers devait disposer d’un permis de travail pour exercer un emploi au Danemark, y compris un emploi sur un navire danois faisant régulièrement escale dans des ports danois dans le cadre d’une ligne régulière. Toute personne qui employait un tel ressortissant étranger sans permis de travail était passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. Les ressortissants de pays tiers travaillant sur des
navires de charge danois en trafic international n’ayant pas fait escale plus de 25 fois dans des ports danois au cours de l’année écoulée ( 2 ) étaient exonérés de l’obligation de disposer d’un permis de travail. Un tel permis était toutefois requis lorsque ces navires avaient touché des ports danois à plus de 25 reprises au cours de l’année écoulée.

4. VAS Shipping est poursuivie pour avoir enfreint l’article 59, paragraphe 4, de l’udlændingeloven (loi sur les étrangers) ( 3 ), lu conjointement avec l’article 59, paragraphe 5, et l’article 61 de ladite loi, entre le 22 août 2010 et le 22 août 2011, en touchant plus de 25 fois des ports danois avec quatre navires immatriculés dans le DIS dont l’équipage comprenait des ressortissants de pays tiers ( 4 ) qui n’étaient pas titulaires d’un permis de travail ou n’étaient pas exonérés d’une telle
obligation en vertu de l’article 14 de la loi sur les étrangers. VAS Shipping a été déclarée coupable de l’infraction en question par la juridiction de première instance et a été condamnée à une amende de 1500000 couronnes danoises (DKK).

5. La juridiction en question a considéré que l’obligation de permis de travail constituait bien une restriction non discriminatoire à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, lu conjointement avec l’article 54 TFUE, mais que cette restriction était justifiée par le souci de ne pas ébranler le marché de l’emploi danois. VAS Shipping a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

6. Par sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui impose aux ressortissants de pays tiers membres de l’équipage d’un navire battant pavillon de cet État membre et appartenant à un armateur ressortissant d’un autre État membre de l’Union de disposer d’un permis de travail, à moins que le navire ne touche pas
les ports de l’État membre dont il bat pavillon plus de 25 fois au cours de l’année écoulée.

7. Il semblerait que les parties au principal soient convenues d’emblée que les mesures danoises en cause constituaient une restriction au sens de l’article 49 TFUE. Les parties semblent ensuite s’être concentrées sur la question de savoir si la mesure pouvait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Toutefois, dans ses écritures, la Commission a ensuite mis en doute cette position.

8. Il y a donc lieu d’examiner en détail la notion de « restriction à la liberté d’établissement » au sens de l’article 49 TFUE et de vérifier comment la juridiction de renvoi pourrait appliquer cette notion dans le cadre de l’affaire au principal dont elle est saisie.

9. Avant d’examiner cette question, il faut exposer d’abord les textes législatifs de l’Union et nationaux pertinents ainsi que les faits de l’affaire au principal tels que la juridiction de renvoi les a présentés.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

10. La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 (ci‑après la « convention de Montego Bay »), est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Elle a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998, concernant la conclusion par la Communauté européenne de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 et de l’accord du 28 juillet 1994 relatif à l’application de la
partie XI de ladite convention (JO 1998, L 179, p. 1).

11. L’article 91, paragraphe 1, de la convention de Montego Bay dispose :

« Chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d’immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu’ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l’État dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire. »

12. L’article 92 de la convention de Montego Bay, intitulé « Condition juridique des navires », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul État et sont soumis [...] à sa juridiction exclusive en haute mer. »

13. L’article 94 de la convention de Montego Bay, intitulé « Obligations de l’État du pavillon », dispose :

« 1.   Tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.

2.   En particulier tout État :

[...]

b) exerce sa juridiction conformément à son droit interne sur tout navire battant son pavillon, ainsi que sur le capitaine, les officiers et l’équipage pour les questions d’ordre administratif, technique et social concernant le navire. »

B. Le droit danois

1.   La loi sur les étrangers

14. L’article 13 de la loi sur les étrangers est libellé comme suit :

« 1.   Les étrangers doivent disposer d’un permis de travail pour occuper un emploi rémunéré ou non rémunéré, exercer une activité indépendante ou fournir des services avec ou sans contrepartie dans le pays. Un permis de travail est également requis pour occuper un emploi sur un navire ou un avion danois qui fait escale régulièrement dans un port ou un aéroport danois dans le cadre d’une ligne régulière ou autrement. Des exonérations sont toutefois prévues à l’article 14.

2.   Le ministre en charge des Réfugiés, des Immigrés et de l’Intégration détermine par des dispositions détaillées dans quelle mesure un permis de travail est requis pour travailler sur la mer territoriale ou le plateau continental. »

15. L’article 14 de la loi sur les étrangers dispose :

« 1.   Les étrangers suivants sont exonérés de l’obligation de permis de travail :

(1) les étrangers qui sont ressortissants d’un autre pays nordique tel que visé à l’article 1er,

(2) les étrangers soumis aux règles de l’Union européenne telles que visées aux articles 2 et 6,

(3) les étrangers titulaires d’un permis de séjour illimité,

[...]

2.   Le ministre en charge des Réfugiés, des Immigrés et de l’Intégration peut décider que d’autres étrangers seront exonérés de l’obligation de permis de travail. »

16. L’article 59 de la loi sur les étrangers prévoit :

« [...]

4.   Toute personne qui emploie un étranger sans le permis de travail requis ou en enfreignant les conditions fixées pour un permis de travail est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de deux ans.

5.   Est, lors de la fixation de la peine en application du paragraphe 4, considéré comme une circonstance aggravante le fait que l’infraction ait été commise intentionnellement ou par négligence grave, que l’infraction ait visé à, ou eu pour effet, l’obtention d’un avantage économique pour l’intéressé lui‑même ou d’autres personnes, ou que l’étranger n’ait pas le droit de séjourner dans le pays. »

17. L’article 61 de la loi sur les étrangers dispose :

« Une personne morale, notamment une société, peut voir sa responsabilité pénale engagée en vertu des règles du chapitre 5 du code pénal. »

2.   L’arrêté ministériel relatif aux étrangers

18. À l’époque des faits qui ont donné lieu aux poursuites, l’article 33 du bekendtgørelse nr. 270 af 22. marts 2010 om udlændinges adgang her til landet (arrêté ministériel no 270, du 22 mars 2010, sur l’accès des étrangers au territoire national, ci‑après l’« arrêté ministériel relatif aux étrangers ») disposait ce qui suit :

« 1. Les étrangers suivants sont exonérés de l’obligation de permis de travail :

[...]

(4) le personnel travaillant sur un navire de charge danois en trafic international qui est soumis, à cette fin, à l’obligation de permis de travail prévue à l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la loi sur les étrangers, lorsque le nombre d’escales du navire dans des ports danois n’a pas dépassé 25 au cours de la période écoulée d’une année, indépendamment de l’année civile.

[...] » ( 5 )

3.   Le søloven (code maritime)

19. L’article 103 du søloven (code maritime) (dont la consolidation la plus récente figure dans l’arrêté de codification no 1505 du 17 décembre 2018) dispose :

« Pour un navire qui est la propriété de quirataires, il est désigné un armateur gérant.

2. Peut être désignée comme armateur gérant une personne physique, une société par actions ou une société de personnes qui réunit les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, points 1 et 3 respectivement. »

20. L’article 104 du code maritime dispose :

« En vertu de sa fonction, l’armateur gérant a, vis-à-vis des tiers, le pouvoir d’accomplir tous les actes juridiques que l’activité d’armement maritime implique habituellement. Il peut ainsi engager et congédier le capitaine et adresser à celui‑ci des instructions, conclure des contrats d’assurance ordinaires et recevoir les montants versés à la société quirataire. L’armateur gérant ne peut sans autorisation spéciale vendre ou hypothéquer le navire, ou le fréter pour une durée supérieure à un
an. »

4.   Règles régissant le DIS

21. À l’époque des faits qui ont donné lieu aux poursuites, les dispositions régissant le DIS figuraient dans l’arrêté de codification no 273 du 11 avril 1997, tel que modifié par la loi no 460 du 31 mai 2000, la loi no 526 du 7 juin 2006 et la loi no 214 du 24 mars 2009. L’article 10 de cet arrêté était rédigé comme suit :

« 1.   Les conventions collectives relatives aux conditions de salaire et de travail des personnes employées sur les navires immatriculés dans le registre doivent indiquer expressément qu’elles ne s’appliquent qu’à ces emplois.

2.   Les conventions collectives visées au paragraphe 1 qui sont conclues par une organisation syndicale danoise ne peuvent concerner que les personnes ayant leur domicile au Danemark, ou qui doivent être assimilées à des personnes considérées comme ayant leur domicile au Danemark en application du droit de l’Union ou d’autres obligations internationales.

[...] »

III. Les faits de l’affaire au principal et le renvoi préjudiciel

22. VAS Shipping est poursuivie pour avoir, entre le 22 août 2010 et le 22 août 2011, touché plus de 25 fois des ports danois avec quatre navires immatriculés dans le DIS dont l’équipage comprenait des ressortissants de pays tiers qui ne disposaient pas d’un permis de travail ou n’étaient pas exonérés de cette obligation en vertu de l’article 14 de la loi sur les étrangers.

23. VAS Shipping est, au sens de l’article 103 du code maritime, l’armateur gérant de quatre sociétés quirataires. Ces quirataires sont des sociétés à responsabilité limitée de droit suédois.

24. Le capital de VAS Shipping, qui est enregistrée au Danemark, est intégralement détenu par la société suédoise Sirius Rederi. Cette société a été fondée le 16 mars 2010 et elle est dirigée par un directeur résidant en Suède et trois administrateurs, dont deux résident au Danemark. D’après les informations qui ont été fournies, toutes les réunions du conseil d’administration de la société ont lieu au Danemark et les quirataires ont tenu toutes leurs réunions dans ce pays après l’immatriculation
des quatre navires en question dans le DIS.

25. Les quatre quirataires ont choisi d’exercer leur activité d’armement maritime au Danemark en faisant immatriculer les quatre navires en question dans le DIS et en désignant VAS Shipping comme armateur gérant. Par conséquent, en vertu de l’article 104 du code maritime, VAS Shipping était impérativement compétente pour tous les actes juridiques que l’activité d’armement maritime implique habituellement.

26. Selon la juridiction de renvoi, les quirataires exercent leur activité économique au Danemark au moyen des quatre navires en question et l’immatriculation dans le DIS ne peut donc pas être dissociée de l’exercice de la liberté d’établissement ( 6 ). VAS Shipping a fait valoir qu’aucun matelot ressortissant d’un pays tiers ne quittait un navire à un quelconque moment durant l’escale dans un port danois et que tous les travaux à terre étaient effectués par du personnel à terre danois engagé par le
port d’escale ( 7 ).

27. Le 4 mai 2018, le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense, Danemark) a constaté que VAS Shipping avait enfreint les dispositions de la loi sur les étrangers. Il a également jugé que les dispositions de la loi sur les étrangers constituaient une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 de celui‑ci, mais que cette restriction était justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et n’allait pas au-delà de ce qui était
nécessaire. Selon cette juridiction, les règles de la loi sur les étrangers relatives aux membres d’équipages ressortissants de pays tiers étaient justifiées par le souci de ne pas ébranler le marché de l’emploi danois, les travailleurs de pays tiers jouissant d’un avantage concurrentiel par rapport aux travailleurs danois en raison du niveau des salaires. L’obligation de permis de travail est une mesure efficace propre à assurer la stabilité du marché national de l’emploi et, ainsi, à éviter
des perturbations sur ledit marché. Par conséquent, le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense) a constaté que les restrictions étaient légales et a condamné VAS Shipping à une amende de 1500000 DKK sur le fondement de l’article 59, paragraphe 4, de la loi sur les étrangers, lu en combinaison avec l’article 59, paragraphe 5, et l’article 61 de cette loi ( 8 ).

28. La juridiction de renvoi relève qu’il est constant entre les parties au litige que l’obligation de permis de travail imposée par l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers, lu en combinaison avec l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers peut constituer une restriction à la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE. Le souci d’assurer la stabilité du marché de l’emploi et d’éviter ainsi des perturbations sur ledit marché peut, en
principe, justifier des restrictions à la libre circulation ( 9 ). La juridiction de renvoi indique que la Cour s’est prononcée dans plusieurs arrêts sur le point de savoir quels aspects doivent, en vertu des règles du traité FUE, être considérés dans l’analyse de la proportionnalité de restrictions apportées à la liberté de l’employeur de choisir les travailleurs. Or, cette jurisprudence concerne tout particulièrement le rapport aux règles en matière de prestation de services. Les arrêts rendus
par la Cour à ce jour ne donnent donc pas d’indications certaines pour apprécier le rapport entre les règles danoises en cause et l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement. La juridiction de renvoi estime, par conséquent, nécessaire, afin qu’elle puisse trancher le litige, que la Cour dise si l’article 49 TFUE s’oppose à des règles telles que les dispositions de droit danois imposant un permis de travail pour les ressortissants de pays tiers travaillant sur des navires qui battent
pavillon danois et qui sont la propriété d’armateurs ressortissants d’un autre État membre de l’Union.

29. Dans ces conditions, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 49 TFUE s’oppose-t-il à la réglementation d’un État membre selon laquelle les travailleurs ressortissants de pays tiers faisant partie de l’équipage d’un navire battant le pavillon de l’État membre concerné, et qui est la propriété d’un armateur ressortissant d’un autre État membre, doivent disposer d’un permis de travail, à moins que le nombre d’escales du navire dans des ports de l’État membre concerné n’ait pas dépassé 25 au cours de la période écoulée d’une année ? »

IV. La procédure devant la Cour

30. VAS Shipping, les gouvernements danois et néerlandais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

31. En dépit de l’affirmation de la juridiction de renvoi selon laquelle il est constant entre les parties que l’obligation de permis de travail peut constituer une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, la Commission a mis en doute, dans ses observations, que l’obligation prévue par le droit danois, qui impose que les ressortissants de pays tiers membres de l’équipage d’un navire battant pavillon de cet État membre et appartenant à un armateur ressortissant d’un
autre État membre de l’Union disposent d’un permis de travail, à moins que le navire ne touche pas les ports de l’État membre dont il bat pavillon plus de 25 fois au cours de l’année écoulée, constitue une restriction à la liberté d’établissement.

32. Le 15 décembre 2020, la Cour a décidé, en vertu de l’article 61, paragraphe 1, de son règlement de procédure, d’inviter les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, autres que la Commission, à prendre position par écrit sur la thèse que cette dernière a exposée dans ses observations écrites, selon laquelle la réglementation danoise en cause dans l’affaire au principal ne constituait pas une « restriction » au sens de l’article 49 TFUE.

33. VAS Shipping ainsi que les gouvernements danois et néerlandais ont présenté des observations nouvelles ou complémentaires à cet égard. Si VAS Shipping maintient sa position selon laquelle les mesures nationales en cause constituent une restriction à sa liberté d’établissement, les gouvernements danois et néerlandais considèrent à présent que ces mesures ne constituent pas une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE ( 10 ). C’est dans ce contexte que nous pouvons
aborder les questions soulevées par cette affaire.

V. Analyse

A. Sur l’existence d’une restriction au titre de l’article 49 TFUE

1.   Applicabilité de l’article 49 TFUE

34. Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi demande l’interprétation de l’article 49 TFUE et des règles relatives à la liberté d’établissement. Cette juridiction n’a pas demandé l’interprétation de l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation des services, ni d’ailleurs d’aucune autre disposition du traité FUE. Elle n’a pas demandé, par exemple, l’interprétation de l’article 79, paragraphe 5, TFUE, qui dispose que ledit article « n’affecte pas le droit des États
membres de fixer les volumes d’entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire dans le but d’y rechercher un emploi salarié ou non salarié ». En outre, les parties et les personnes intéressées n’ont présenté aucune observation à cet égard, à l’exception du gouvernement néerlandais. De plus, aucune question n’a été posée en ce qui concerne les droits des marins, par exemple leurs droits de circulation à l’intérieur de l’Union et leurs droits et
obligations lors du franchissement de ses frontières extérieures ( 11 ).

35. L’article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre. Cette disposition, lue en combinaison avec l’article 54 TFUE, accorde le bénéfice de la liberté d’établissement aux sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne ( 12 ).

36. Étant donné que la liberté d’établissement vise à permettre à un ressortissant de l’Union de participer, de manière stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État d’origine et d’en tirer profit, la notion d’« établissement » au sens des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement implique l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’un établissement stable dans cet État pour une durée indéterminée. Selon la Cour, cette liberté
suppose une implantation réelle de la société concernée dans l’État membre d’accueil et l’exercice d’une activité économique effective dans celui‑ci ( 13 ).

37. La Cour a précisé que l’immatriculation d’un bateau ne comportait pas nécessairement un établissement au sens du traité, notamment lorsque le bateau n’est pas utilisé pour l’exercice d’une activité économique ou lorsque la demande d’immatriculation est effectuée par une personne, ou pour le compte d’une personne, qui n’est pas établie dans l’État concerné et qui ne va pas s’y établir. Toutefois, lorsque le bateau constitue un instrument pour l’exercice d’une activité économique comportant une
installation stable dans l’État concerné, son immatriculation ne peut pas être dissociée de l’exercice de la liberté d’établissement ( 14 ).

38. Il apparaîtrait donc des faits exposés par la juridiction de renvoi que les articles 49 et 54 TFUE sont applicables en l’espèce. À cet égard, les quatre quirataires suédoises ont fait immatriculer quatre navires dans le DIS et ont désigné VAS Shipping, une société établie au Danemark et entièrement détenue par une société suédoise, en tant qu’armateur gérant des navires. En outre, les quatre quirataires utilisent les quatre navires en question pour exercer une activité économique.

39. Bien que, dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi affirme l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement ( 15 ), il convient maintenant de vérifier si une telle restriction existe. J’exposerai tout d’abord les observations présentées à la Cour, puis la jurisprudence relative à la notion de « restriction ». Je me propose d’examiner ensuite cette notion dans le cadre de la présente affaire.

2.   La notion de « restriction »

a)   Arguments

40. Je me propose de résumer d’abord les observations de la Commission à ce sujet. Après tout, ce sont ces observations qui ont donné lieu à une question écrite de la Cour et, partant, aux observations des autres parties et des intéressés sur la question.

41. La Commission considère que la question qui doit être posée, pour apprécier si une mesure nationale constitue une restriction à la liberté d’établissement, est de savoir si une obligation imposée par le droit national aux nouveaux opérateurs – en l’espèce, un permis de travail pour les ressortissants de pays tiers – crée des obstacles à l’accès au marché et si elle les priverait de la possibilité de livrer efficacement concurrence aux opérateurs établis ( 16 ). Selon la Commission, une mesure ne
constitue pas nécessairement une restriction au sens de l’article 49 TFUE du seul fait que l’avantage économique et l’incitation à exercer une activité économique sont moins importants que si la mesure ne s’appliquait pas. En l’absence d’harmonisation, les États membres sont en principe compétents pour réglementer l’exercice d’activités économiques sur leur territoire et, si une mesure n’opère pas de discrimination en droit ou en fait, elle ne devrait être considérée comme une restriction à la
liberté d’établissement que si elle affecte l’accès au marché ( 17 ). À cet égard, la Commission cite l’arrêt du 14 juillet 1994, Peralta (C‑379/92, EU:C:1994:296, point 34), dans lequel la Cour a précisé que, en l’absence d’harmonisation, un État membre peut, directement ou indirectement, imposer des règles techniques qui lui sont propres et qui ne se trouvent pas nécessairement dans les autres États membres. Selon la Cour, « les difficultés qui pourraient en résulter pour ces entreprises
n’affectent pas la liberté d’établissement [...]. En effet, ces difficultés ne seraient pas, dans leur principe, d’une autre nature que celles qui peuvent avoir leur origine dans des disparités entre les législations nationales, portant, par exemple, sur les coûts du travail, des charges sociales ou sur le régime fiscal ».

42. Dans ses observations initiales, VAS Shipping a indiqué que, étant donné que la réglementation danoise en cause ne concernait que les navires battant pavillon danois, ces règles gênaient ou rendaient moins attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union de leur droit à la liberté d’établissement garanti par le traité FUE. Elle soutient qu’on ne peut pas dissocier des conditions d’immatriculation d’un navire dans le registre maritime d’un État membre une règle nationale dudit État
imposant, sous peine de sanction pénale, une limite maximale au nombre d’escales que peut effectuer chaque année dans un port dudit État un navire immatriculé dans ledit registre qui est la propriété de quirataires établis dans un autre État membre et dont l’équipage comprend des ressortissants de pays tiers. Cela est particulièrement vrai lorsque la règle nationale concernée ne s’applique qu’aux navires immatriculés dans l’État membre en question, tandis que les navires qui ne sont pas
immatriculés dans cet État membre peuvent toucher les ports de ce dernier librement et sans restrictions, quelle que soit la nationalité des membres de l’équipage.

43. VAS Shipping considère que la restriction imposée à l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la loi sur les étrangers, lu conjointement avec la disposition de l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers, équivaut à la restriction que la Cour a constatée dans son arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Pays‑Bas (C‑299/02, EU:C:2004:620). En effet, ces dispositions impliquent que des quirataires établies en Suède qui envisagent de faire immatriculer leur
navire dans le DIS et d’exercer une activité d’armement maritime au Danemark en faisant faire escale à ce navire dans des ports danois plus de 25 fois par année n’ont pas d’autre possibilité que d’adapter leur politique d’embauche, de manière à exclure de l’équipage du navire tous les ressortissants des pays extérieurs à l’Union et à l’EEE. Il en résulterait une modification radicale et substantielle de leur politique d’embauche, qui entraîne un désavantage important et une ingérence économique.

44. Dans ses observations initiales et dans sa réponse à la question posée par la Cour, VAS Shipping fait valoir que les salaires nets qu’elle paie aux ressortissants de pays tiers sont conformes aux règles fixées par le droit danois pour un navire immatriculé dans le DIS et qu’ils ne sont pas inférieurs à ceux fixés par convention collective.

45. Dans sa réponse à la question posée par la Cour, VAS Shipping relève que les quirataires suédoises des navires en question opèrent dans de nombreux autres États membres, dont la Suède. En outre, VAS Shipping considère que les observations de la Commission sur l’existence d’une restriction et sur sa justification reposent sur une lecture fondamentalement erronée de l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers. VAS Shipping souligne donc que l’immatriculation
dans le DIS ou dans tout autre registre maritime danois n’est pas pertinente aux fins de la règle des 25 escales prévue à l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers. En vertu de cette disposition, seuls les navires en trafic international peuvent bénéficier de la règle des 25 escales, indépendamment de leur immatriculation dans le DIS. Un navire n’est pas classé en trafic international du fait de son immatriculation dans le DIS.

46. Selon VAS Shipping, un navire en trafic international se définit, notamment, par le fait qu’il franchit des frontières internationales de manière régulière et qu’il ne peut donc pas y avoir de facto de « lieu de travail au Danemark » ni d’assimilation à un emploi à terre au Danemark. Étant donné que le navire est classé comme étant en trafic international, le schéma de navigation n’est, par définition, pas exclusivement danois, de sorte qu’il n’y a aucune raison de considérer qu’il existe un
lien stable ou durable avec le Danemark. Ainsi, à supposer que les navires restent classés comme opérant en trafic international, le facteur de rattachement pour chaque escale serait temporaire. En outre, la règle des 25 escales ne s’appliquerait pas au trafic national.

47. VAS Shipping considère que, conformément à l’arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Pays‑Bas (C‑299/02, EU:C:2004:620, points 19 et 32), la notion de « restriction à la liberté d’établissement » ne se limite pas au moment de l’immatriculation d’un navire, comme le soutient la Commission. Des obstacles affectant la gestion courante d’un navire peuvent également constituer une restriction.

48. Dans ses observations initiales, le gouvernement danois considère que la question qui se pose en l’espèce va au-delà de la simple application de l’article 49 TFUE et porte sur le point de savoir si les États membres peuvent exiger que les ressortissants de pays tiers obtiennent un permis de travail dans l’État d’accueil en cas d’emploi plus durable dans cet État. Selon ce gouvernement, le nombre et la fréquence des escales d’un navire établi au Danemark dans les ports danois ont une importance
considérable pour apprécier la mesure dans laquelle les membres de l’équipage du navire exercent leurs activités sur le territoire danois. Si c’est rarement le cas, on ne peut supposer que cela ait un impact significatif sur le marché de l’emploi danois. En revanche, lorsque les membres de l’équipage du navire effectuent régulièrement des tâches telles que le chargement et le déchargement de marchandises lors d’escales dans des ports danois, le fait qu’ils soient ressortissants de pays tiers est
susceptible d’affecter la stabilité du marché de l’emploi danois. L’obligation de disposer d’un permis de travail résulte du nombre d’escales de chaque navire dans des ports danois plutôt que du nombre de fois que chaque membre d’équipage ressortissant d’un pays tiers se trouve à bord d’un navire faisant escale dans un port danois. En effet, le nombre d’escales du navire dont l’équipage comprend des ressortissants de pays tiers a une incidence sur le moment où ce navire acquiert, en tant que
lieu de travail, un rattachement suffisamment stable et régulier au marché de l’emploi danois pour pouvoir exiger que les travailleurs qui sont à bord disposent d’un permis de travail conformément à la législation danoise. En outre, le contrôle du nombre d’escales de chaque membre de l’équipage, qui pourrait avoir travaillé sur plusieurs navires au cours d’une même année, nécessiterait un enregistrement extensif et inutile. Le gouvernement danois estime qu’un seuil minimal de 25 escales, au
cours d’une période d’une année, représente une délimitation équilibrée du moment à partir duquel un navire fait escale dans des ports danois de manière tellement régulière que les membres de son équipage ressortissants de pays tiers sont rattachés de manière suffisamment stable au marché danois de l’emploi et, à ce titre, soumis à l’obligation de permis de travail.

49. Dans sa réponse à la question posée par la Cour, le gouvernement danois souscrit à la position de la Commission exposée au point 41 des présentes conclusions. En outre, il estime que l’arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 12), pourrait être interprété en ce sens que, pour constater une restriction à la liberté d’établissement, il faudrait qu’un obstacle sérieux à l’exercice des activités affecte l’accès au marché. Ainsi, selon ce gouvernement, étant donné que
les États membres sont, en principe, compétents pour réglementer l’exercice d’une activité économique sur leur territoire, si une mesure n’est pas discriminatoire en droit ou en fait, elle ne devrait être considérée comme une entrave à la liberté d’établissement que si elle affecte l’accès au marché. Le gouvernement danois estime que l’arrêt du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188), concernant les tarifs maximaux pratiqués par les avocats, démontre que des règles nationales
qui n’affectent pas la possibilité d’exercer une concurrence ne constituent pas une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE. Selon ledit gouvernement, si un opérateur a eu ( 18 ) accès au marché, il doit opérer dans les mêmes conditions que les autres opérateurs. Une fois qu’un opérateur a eu accès au marché, il ne peut être protégé que contre les discriminations directes et indirectes ( 19 ). Ce même gouvernement considère donc que la mesure nationale en cause au
principal n’empêche pas les nouveaux arrivants de livrer efficacement concurrence aux armateurs maritimes danois et qu’elle ne constitue pas une restriction au sens de l’article 49 TFUE.

50. Dans sa réponse à la question posée par la Cour, le gouvernement néerlandais partage également la position de la Commission quant à l’existence d’une restriction au sens de l’article 49 TFUE. Dans ses observations initiales, le gouvernement néerlandais a considéré que l’article 79, paragraphe 5, TFUE autorisait le Danemark à exiger un permis de travail à partir du moment où les membres d’équipage pénétraient sur le marché de l’emploi danois (autrement dit : arrivaient régulièrement dans un port
danois) et à réguler ainsi le nombre de ressortissants de pays tiers travaillant sur son territoire. Étant donné que l’obligation de permis de travail pour l’activité en cause est régie par le droit national, le gouvernement néerlandais s’interroge sur l’opportunité d’un examen au titre de l’article 49 TFUE.

b)   Remarques préliminaires

51. Je tiens à souligner d’emblée que la présente affaire ne concerne pas le droit fiscal, qui obéit clairement à des règles quelque peu différentes en ce qui concerne la notion de « restriction à la liberté d’établissement » au sens de l’article 49 TFUE. Je me réfère à ce courant de jurisprudence parce que la Commission a relevé dans ses observations ( 20 ) que, parfois, la Cour ne se référait pas au critère dégagé dans ses arrêts du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32) et du
5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 11), mais comparait les effets des mesures sur les opérateurs nationaux et non nationaux. Or, il se trouve que la plupart des mesures fiscales constituent (au moins en un sens) des restrictions à l’établissement, étant donné que, par définition, l’existence même d’une mesure fiscale d’application générale a une incidence sur la capacité d’une entreprise à exercer des activités dans l’État membre qui l’a édictée. Dans cette mesure,
les affaires fiscales peuvent donc être considérées comme sui generis en ce qui concerne la liberté d’établissement.

52. S’il n’existe pas actuellement, dans le domaine de la liberté d’établissement, d’équivalent à l’approche de la « règle de raison » dégagée par la Cour dans son arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905) ( 21 ) en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, qui distingue les règles affectant les marchandises elles‑mêmes de celles qui affectent leurs modalités de vente ( 22 ), on trouve cependant dans la jurisprudence de la Cour en matière de
liberté d’établissement certaines distinctions relatives à la notion de « restriction » en fonction de la nature des règles en cause.

53. À cet égard, la Cour a jugé que les États membres bénéficient, en l’état actuel de l’harmonisation du droit fiscal de l’Union, d’une certaine autonomie. Cette autonomie fiscale implique également que les États membres sont libres de déterminer les conditions et le niveau d’imposition des différentes formes d’établissements des sociétés nationales opérant à l’étranger, sous réserve de leur accorder un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux
comparables ( 23 ).

c)   Mesures qui entravent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement

54. Dans les domaines autres que la fiscalité, il est de jurisprudence constante que l’article 49 TFUE s’oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les citoyens de l’Union, de la liberté d’établissement garantie par le traité FUE ( 24 ).

55. Ce sont la portée de l’expression « mesures qui entravent ou rendent moins attrayant » l’exercice de la liberté d’établissement et son application pratique dans le cadre de la présente affaire qui sont mises en question notamment par la Commission et le gouvernement danois.

56. Il convient de souligner d’emblée qu’une réglementation d’un État membre ne constitue pas une restriction au sens du traité FUE du seul fait que d’autres États membres appliquent des règles moins strictes ou économiquement plus intéressantes ( 25 ). En outre, en l’absence d’harmonisation des activités en cause au principal, les États membres demeurent, en principe, compétents pour définir les conditions d’exercice de ces activités. Néanmoins, lorsqu’ils exercent leurs compétences dans ce
domaine, ils doivent respecter les libertés fondamentales garanties par le traité FUE ( 26 ).

57. La Cour a jugé que la notion de « restriction » au sens de l’article 49 TFUE couvre, notamment, les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables ( 27 ), affectent l’accès au marché ( 28 ). La question qui doit être posée en l’espèce, en particulier à la lumière des observations du gouvernement danois et de la Commission ( 29 ), est de savoir si seules les mesures qui entravent ou empêchent l’accès initial ou l’accès des nouveaux entrants au marché ou qui sont
discriminatoires constituent une restriction à la liberté d’établissement.

58. Constitue une entrave évidente à la liberté d’établissement – et d’ailleurs à l’accès à tout marché – une obligation prévue par le droit national d’obtenir une autorisation préalable pour l’établissement ou l’exercice d’une activité dans un État membre. À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’une réglementation nationale qui subordonne l’établissement d’une entreprise d’un autre État membre à la délivrance d’une autorisation préalable constitue une restriction à la liberté
d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, car celle‑ci est susceptible de gêner l’exercice, par une telle entreprise, de la liberté d’établissement en l’empêchant d’exercer librement ses activités par l’intermédiaire d’un établissement stable ( 30 ). Je voudrais observer que de telles prescriptions peuvent affecter également les ressortissants ou les personnes morales de l’État membre d’établissement. Dans de tels cas, la Cour n’a toutefois pas exigé qu’il existât une forme quelconque de
discrimination pour constater une restriction dans ce sens ( 31 ).

59. L’arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586), qu’ont cité la Commission et le gouvernement danois, est instructif concernant la notion de « restriction » dans le domaine de la liberté d’établissement ( 32 ).

60. Dans cette affaire, la Cour a jugé que l’interdiction de rémunérer les comptes à vue ( 33 ) prévue par le droit français constituait, pour les sociétés d’autres États membres, un obstacle sérieux à l’exercice de leurs activités par l’intermédiaire d’une filiale en France et affectait ainsi leur accès au marché. En effet, selon la Cour, ladite interdiction gênait les établissements de crédit, filiales de sociétés étrangères, dans la collecte de capitaux auprès du public en les privant de la
possibilité de livrer, par une rémunération des comptes de dépôts à vue, une concurrence plus efficace aux établissements de crédit traditionnellement implantés dans l’État membre d’établissement, dotés d’un réseau d’agences étendu et disposant, partant, de plus grandes facilités que lesdites filiales pour recueillir des capitaux auprès du public. Cette interdiction constituait donc une restriction au sens de l’article 49 TFUE, dans la mesure où elle privait les établissements de crédit d’un
autre État membre souhaitant entrer sur le marché d’un État membre de la possibilité de livrer concurrence au moyen du taux de rémunération des comptes de dépôts à vue, qui constituait l’une des méthodes les plus efficaces à cette fin ( 34 ). Cette mesure a été condamnée parce qu’elle était effectivement appliquée, dans la pratique, d’une manière qui désavantageait les nouveaux entrants sur le marché en provenance d’autres États membres.

61. J’estime que la Cour, se fondant sur sa jurisprudence traditionnelle ( 35 ), a examiné si la réglementation nationale en cause entravait ou empêchait l’établissement dans l’État membre en question. Un tel obstacle ou une telle entrave sera nécessairement constaté lorsqu’une entreprise ne peut pas livrer efficacement concurrence aux opérateurs en place en raison de mesures imposées par l’État membre en question qui créent un obstacle sérieux à l’accès au marché ( 36 ).

62. Néanmoins, selon moi, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, même en l’absence de discrimination de fait ou de droit, la notion de « restriction » ne se limite pas aux mesures qui entravent l’accès des nouveaux entrants au marché. Je me permets donc de marquer mon désaccord, en particulier, avec les observations du gouvernement danois et de la Commission à cet égard. En effet, l’arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586), constitue une application
concrète, fondée sur les circonstances de l’espèce ( 37 ), du critère large relatif à la notion de « restriction » évoqué au point 53 des présentes conclusions et que la Cour a très clairement dégagé dans son arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32). Je ne vois cependant aucune raison convaincante de s’écarter de ce critère.

63. Ainsi, si l’arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586), porte spécifiquement sur la question de l’accès d’un nouvel entrant au marché d’un État membre ( 38 ), la notion de « restriction » est une notion dynamique qui s’étend au-delà d’une première implantation sur le marché d’un État membre et concerne également l’exercice effectif d’une activité ( 39 ). Dans son arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32), la Cour a établi un critère unique, large et
dynamique pour la notion de « restriction », qui s’étend à tous les aspects et à toutes les phases ( 40 ) de l’établissement dans un autre État membre ( 41 ).

64. Je pense que la Cour devrait donc se montrer prudente face à l’invitation ( 42 ) à appliquer ce qui constitue en substance deux critères différents ( 43 ) concernant la notion de « restriction » en fonction de la phase de l’établissement qui est en cause. À cet égard, je considère que la frontière entre l’accès initial à un marché, l’exercice d’une activité sur le marché et l’expansion sur le marché est floue sur le plan conceptuel et que toute tentative de distinguer ces phases sera difficile
dans la pratique – elles peuvent toutes relever des termes génériques « accès au marché » ou, mieux encore, « établissement » ( 44 ).

65. En outre, l’existence d’une entrave à une concurrence effective n’est pas un critère nécessaire au titre de l’article 49 TFUE. Ainsi, dans son arrêt du 27 février 2019, Associação Peço a Palavra e.a. (C‑563/17, EU:C:2019:144, points 55 à 62), la Cour a jugé que l’obligation de maintien du principal établissement sur le territoire de l’État membre concerné constituait une restriction à la liberté d’établissement d’une société constituée en conformité avec la législation d’un État membre. Dans
cette affaire, la Cour, plutôt que de constater une limitation de la possibilité de livrer concurrence (plus) efficacement, a considéré que la liberté d’établissement englobait le droit de transférer le principal établissement de la société dans un autre État membre, ce qui impose, si ce transfert implique la transformation de la société en une société relevant du droit de ce dernier État membre et la perte de sa nationalité d’origine, qu’il soit satisfait aux conditions de constitution définies
par la législation de cet État membre de relocalisation.

66. En outre, bien que la Cour mentionne, dans son arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 12), que la mesure nationale qui interdisait la rémunération des comptes à vue constituait un « obstacle sérieux » à l’exercice d’activités ( 45 ), elle a, selon moi, évité d’adopter dans le domaine de la libre circulation une approche de minimis selon laquelle il faudrait qu’une restriction produise un certain impact déterminé ou atteigne un seuil déterminé pour être
pertinente.

67. Il convient toutefois de souligner qu’une mesure ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement lorsque ses effets sur cette liberté ( 46 ) sont trop aléatoires, indirects, vagues, éloignés ou hypothétiques ( 47 ). En outre, il convient de rappeler que la liberté d’établissement ne s’applique pas aux situations purement internes ( 48 ).

d)   Application de la jurisprudence relative aux restrictions au cas d’espèce

1) Remarques préliminaires

68. Il semblerait ressortir du dossier soumis à la Cour, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers, lu en combinaison avec l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers, si un navire de charge danois – et, donc, un navire de charge immatriculé dans un registre maritime danois ( 49 ) – en trafic international a touché un port danois plus de 25 fois au cours de l’année
écoulée, les membres de l’équipage ressortissants de pays tiers qui sont à bord ne sont plus exonérés de l’obligation de disposer d’un permis de travail. À cet égard, le fait que les membres de l’équipage ressortissants de pays tiers, pris individuellement, ne se soient pas trouvés à bord de ce navire lors des 25 escales en question semble dépourvu de pertinence. Il semblerait donc que la règle vise un certain nombre d’entrées dans des ports danois de navires en trafic international immatriculés
au Danemark, dont l’équipage comprend des ressortissants de pays tiers ne disposant pas d’un permis de travail, et c’est ce fait qui tombe sous le coup des sanctions pénales ( 50 ). À cet égard, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a relevé que, selon le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense), « [v]u la manière dont les règles étaient appliquées, c’est exclusivement l’escale des navires qui était le critère déterminant ».

69. En outre, bien que VAS Shipping ait déployé beaucoup d’efforts, dans ses observations devant la Cour, pour démontrer que les salaires nets payés à bord des quatre navires en question n’étaient pas inférieurs à ceux qui étaient payés conformément aux conventions collectives sur les conditions de rémunération et de travail pour les navires immatriculés dans le DIS ( 51 ), il ne semble pas, selon moi et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, y avoir de lien direct entre les
niveaux de salaire et l’obligation pour les ressortissants de pays tiers d’être titulaires d’un permis de travail dans certaines circonstances en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers, lu conjointement avec l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers ( 52 ).

70. Rien dans le dossier soumis à la Cour n’indique que des sociétés maritimes telles que VAS Shipping soient tenues de recourir à une main-d’œuvre particulière ( 53 ). Les mesures en cause ont toutefois eu pour effet que ces sociétés devaient, dans certaines circonstances, s’abstenir d’embaucher ou d’employer des membres d’équipage ressortissants de pays tiers ne disposant pas d’un permis de travail. Une telle obligation serait, selon moi, susceptible d’augmenter les coûts d’exploitation, notamment
en raison de la charge administrative qui en découle.

71. Enfin, l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers emploie l’expression « en trafic international ». Toutefois, aucune explication quant à la signification de cette expression n’est fournie dans le dossier soumis à la Cour. Je ne peux que supposer, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’elle est liée dans une certaine mesure à la notion visée à l’article 3, paragraphe 1, sous e), du modèle de convention fiscale concernant le revenu et
la fortune de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ( 54 ), selon lequel « l’expression “trafic international” désigne tout transport effectué par un navire [...], sauf lorsque le navire [...] n’est exploité qu’entre des points situés dans un État contractant et que l’entreprise qui exploite le navire [...] n’est pas une entreprise de cet État » ( 55 ).

2) Analyse

72. Il y a lieu de noter que VAS Shipping n’a pas fait valoir que les mesures en cause étaient directement ou indirectement discriminatoires d’une quelconque manière. À cet égard, ces mesures semblent s’appliquer indépendamment, par exemple, de la nationalité des armateurs ou de l’armateur gérant des navires. VAS Shipping considère plutôt que les mesures en question ont pour effet que les quirataires suédoises qui entendent faire immatriculer leurs navires dans le DIS et exercer une activité
d’armement maritime au Danemark, y compris en faisant escale dans des ports danois plus de 25 fois au cours d’une année, n’ont pas d’autre choix que d’adapter leur politique de l’emploi.

73. VAS Shipping ne remet pas en cause le processus d’immatriculation en soi pour ce qui concerne l’inscription des quatre navires en question dans le DIS.

74. À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans l’exercice de leur compétence de déterminer les conditions nécessaires pour permettre l’immatriculation d’un bateau dans leurs registres et pour accorder à ce bateau le droit de battre leur pavillon, les États membres doivent respecter les règles du droit de l’Union ( 56 ). À cet égard, dans son arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 23), la Cour a jugé que les conditions posées à l’immatriculation des
bateaux ne devaient pas faire obstacle à la liberté d’établissement. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’une condition exigeant une nationalité déterminée des personnes physiques, propriétaires ou affréteurs d’un bateau et, dans le cas d’une société, des détenteurs du capital social et de ses administrateurs était contraire à l’article 49 TFUE.

75. VAS Shipping considère toutefois que les mesures en cause ne sauraient être dissociées des conditions d’immatriculation d’un navire dans un registre maritime d’un État membre ni de la poursuite de l’exploitation du navire dans cet État. Cela est d’autant plus évident, selon VAS Shipping, que ces mesures ne concernent que les navires immatriculés dans un registre maritime de l’État membre en question, alors que les navires immatriculés dans un autre État membre peuvent faire escale librement dans
des ports danois et que la question de savoir si leur équipage comprend des ressortissants de pays tiers est dénuée de pertinence. VAS Shipping considère donc que les mesures en cause constituent une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.

76. À mon avis, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’immatriculation d’un navire dans le DIS garantit que ce navire acquiert la nationalité danoise et bat exclusivement pavillon danois. Le navire et son équipage sont donc soumis à la juridiction du Danemark ( 57 ), notamment dans le domaine du droit du travail et des conditions sociales, y compris les règles applicables à l’embauche et à l’emploi de ressortissants de pays tiers.

77. En effet, dans son arrêt du 25 février 2016, Stroumpoulis e.a. (C‑292/14, EU:C:2016:116, point 65), la Cour a rappelé que, conformément à l’article 94, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), de la convention de Montego Bay, tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon et que tout État exerce, en particulier, sa juridiction conformément à son droit interne sur tout navire battant son
pavillon, ainsi que sur le capitaine, les officiers et l’équipage pour les questions d’ordre administratif, technique et social concernant le navire.

78. Dans d’autres contextes, la Cour a, bien entendu, suivi les règles du droit international public ordinaire et considéré le droit de l’État du pavillon comme déterminant. Ainsi, par exemple, dans son arrêt du 5 février 2004, DFDS Torline (C‑18/02, EU:C:2004:74, point 44), la Cour a jugé que, lorsqu’un acte dommageable est survenu à bord d’un navire danois immatriculé (comme les navires en cause en l’espèce) dans le DIS, « l’État du pavillon devrait nécessairement être considéré comme le lieu où
le fait dommageable a provoqué les préjudices », au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles, qui a précédé le règlement de Bruxelles ( 58 ). Le même raisonnement est également applicable par analogie en ce qui concerne les contrats de travail et les permis de travail, dans la mesure où le droit danois suit le pavillon.

79. En outre, il semblerait, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que les membres d’équipage ressortissants de pays tiers soient réputés entrer sur le marché de l’emploi danois et doivent donc disposer d’un permis de travail en raison de leur emploi à bord des quatre navires en question, si ceux‑ci touchent régulièrement des ports danois ( 59 ).

80. En l’absence d’harmonisation et conformément à l’article 79, paragraphe 5, TFUE, les États membres restent compétents pour déterminer les volumes d’entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire dans le but d’y rechercher un emploi salarié ou non salarié.

81. Je considère donc que le Danemark est, en principe, en vertu de l’article 79, paragraphe 5, TFUE, en droit d’exiger que les ressortissants de pays tiers membres de l’équipage de navires battant pavillon danois et relevant de sa juridiction qui, dans le cadre de services réguliers ou non, font régulièrement escale dans des ports danois, disposent d’un permis de travail. En effet, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble que, à ce moment, ces membres d’équipage entrent
sur le marché de l’emploi danois ( 60 ). Toutefois, le seul fait que ces ressortissants de pays tiers travaillent sur un navire immatriculé au Danemark et battant pavillon danois suffit en soi – en principe, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi – à ouvrir le droit de cet État membre d’exiger que le droit commun du travail danois, les conditions de travail et l’obligation de disposer d’un permis de travail soient appliqués à ces travailleurs. Tel serait le cas même si ces
ressortissants de pays tiers n’avaient jamais navigué dans le Cattégat ni aperçu l’Øresund au cours de leur travail sur ce navire immatriculé au Danemark.

82. Si l’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers, qui imposait la règle des 25 escales aux navires en trafic international, est conçu comme une dérogation à la règle de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers, qui impose à certains membres d’équipage de disposer d’un permis de travail, ledit article 33, paragraphe 1, point 4, pourrait également être interprété comme clarifiant le champ d’application de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur
les étrangers, y compris, en particulier, l’expression « fait escale régulièrement dans un port [...] danois » qui figure dans cette dernière disposition. Il s’agit en dernière analyse d’une question qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher. Toutefois, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, rien dans le dossier soumis à la Cour ne suggère que les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers ou de l’article 33, paragraphe 1, point 4,
de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers aient pour effet d’imposer, outre l’obligation même de disposer d’un permis de travail, d’autres limitations qui porteraient atteinte à la liberté d’établissement ( 61 ).

83. À cet égard, bien que VAS Shipping relève que les quirataires suédoises des navires en question opèrent dans de nombreux autres États membres (dont la Suède), elle n’a pas indiqué, dans ses observations devant la Cour, le lien entre ce fait et l’obligation pour les membres d’équipage ressortissants de pays tiers qui sont à bord des navires en question de disposer d’un permis de travail danois. En effet, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que ces membres d’équipage, lorsqu’ils
travaillent sur les navires en question, seraient soumis à une obligation de permis de travail dans un autre État membre. Étant donné que, comme je l’ai déjà indiqué, l’article 79, paragraphe 5, TFUE prévoit expressément que les États membres conservent le droit de contrôler l’entrée des ressortissants de pays tiers à des fins d’emploi, le simple fait que le droit national impose qu’un ressortissant de pays tiers dispose d’un permis de travail pour travailler sur un navire battant pavillon de
cet État membre ou que le fait d’employer une telle personne sans le permis de travail requis constitue une infraction pénale ne constitue pas en soi une restriction à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.

84. À mon avis, même si le critère Kraus a une portée très large, l’obligation, prévue par le droit national, que les ressortissants de pays tiers disposent d’un permis de travail a, en soi, une incidence trop indirecte pour constituer une restriction à la liberté d’établissement. Je ne considère donc pas que les mesures en cause, qui paraissent, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, tempérer ou assouplir ces règles nationales, constituent une restriction à la liberté
d’établissement, dès lors que rien, dans le dossier soumis à la Cour, n’indique que la règle des 25 escales en particulier produirait un effet restrictif supplémentaire sur la liberté d’établissement.

3) La justification

85. Toutefois, pour le cas où la Cour estimerait que les mesures en cause constituent une restriction à la liberté d’établissement, il y a lieu d’apprécier si elles peuvent être justifiées. Je me propose à présent de vérifier séparément si une telle mesure pourrait être justifiée.

86. La liberté d’établissement peut, en l’absence de mesures d’harmonisation de l’Union, être limitée par des réglementations nationales justifiées par les raisons mentionnées à l’article 52, paragraphe 1, TFUE ou par des raisons impérieuses d’intérêt général. Ainsi, conformément à l’article 52, paragraphe 1, TFUE, lorsqu’une restriction résulte d’une mesure discriminatoire en raison de la nationalité, elle peut être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé
publique. En l’absence d’une telle discrimination, la restriction peut également être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Dans ce contexte, il appartient aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection des objectifs visés à l’article 52, paragraphe 1, TFUE et de l’intérêt général ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Ils ne peuvent cependant le faire que dans les limites tracées par le traité et, en particulier, dans le
respect du principe de proportionnalité, qui exige que les mesures adoptées soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint ( 62 ).

87. S’agissant de l’objectif poursuivi par les mesures en cause, il y a un certain désaccord en la matière. Selon VAS Shipping, il n’est pas possible de discerner l’objectif de la limite des 25 escales. Elle soutient que cette règle a été introduite à la demande de la Fédération des armateurs danois afin de rendre les navires danois plus compétitifs. Bien que les règles semblent aller dans ce sens, il n’est pas possible objectivement de déterminer l’objectif de la règle en question. Si cet objectif
est de rendre les navires danois compétitifs, VAS Shipping fait observer que des raisons économiques ne constituent pas des considérations légitimes (pertinentes). Les gouvernements danois et néerlandais ainsi que la Commission considèrent toutefois que les mesures en cause sont motivées par le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi.

88. Il ressort clairement des arrêts du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a. (C‑18/17, EU:C:2018:904, point 48) et du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 51), que le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi constitue une raison impérieuse d’intérêt général.

89. Bien que la juridiction de renvoi se soit référée à cette jurisprudence au point 23 de sa demande de décision préjudicielle, elle n’a pas clairement exposé elle‑même ( 63 ) les objectifs des mesures en cause. Il s’agit donc d’une question qui doit être vérifiée et appréciée par la juridiction de renvoi.

90. En ce qui concerne la question du caractère approprié et de la proportionnalité des mesures pour atteindre l’objectif invoqué d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi, VAS Shipping fait valoir que, étant donné que la limite des 25 escales par an ne s’applique qu’aux navires immatriculés dans le DIS, alors que les navires immatriculés dans d’autres États peuvent toucher régulièrement des ports danois sans restriction, que leur équipage comprenne ou non des ressortissants de pays
tiers, il est très difficile de vérifier si la règle est appropriée pour protéger le marché de l’emploi danois. La dérogation qui exonère les ressortissants de pays tiers de l’obligation de disposer d’un permis de travail lorsque le nombre d’escales est inférieur à 25 concerne uniquement le travail à bord des navires. L’obligation de disposer d’un permis de travail continue de s’appliquer aux travailleurs concernés qui peuvent travailler sur les quais, dans la zone portuaire et en général à
terre, ainsi que sur d’autres navires danois.

91. En outre, VAS Shipping soutient que la règle du permis de travail lorsque le nombre d’escales dépasse 25 n’est pas nécessaire, dès lors que l’objectif invoqué, consistant à garantir la stabilité et à éviter toute perturbation du marché de l’emploi, est déjà pleinement atteint au moyen des règles générales en matière de visas, de permis de séjour et de permis de travail. Les travailleurs concernés ne peuvent pas quitter le navire ni résider au Danemark ou, en particulier, y prendre un emploi. Il
existe donc des moyens plus appropriés pour protéger le marché de l’emploi. VAS Shipping considère que la mesure nationale est disproportionnée. La Cour a jugé que des restrictions destinées à protéger le marché national du travail contre la concurrence salariale allaient au-delà de ce qui est nécessaire lorsque le niveau de rémunération que ces restrictions visent à sauvegarder dans l’État membre est sans rapport avec le coût de la vie prévalant dans l’État membre où les restrictions
s’appliquent ( 64 ).

92. À mon avis et à la lumière de l’article 79, paragraphe 5, TFUE, l’obligation, prévue par le droit national d’un État membre, que les ressortissants de pays tiers qui entrent sur son marché de l’emploi disposent d’un permis de travail afin d’éviter des perturbations sur ce marché constitue une mesure appropriée et proportionnée. Je voudrais souligner à nouveau que, dès lors qu’ils travaillent à bord d’un navire battant pavillon d’un État membre, les ressortissants de pays tiers relèvent de la
juridiction de cet État membre et sont donc, en principe, soumis à ses règles en matière de droit du travail et de permis de travail, comme le prévoit l’article 79, paragraphe 5, TFUE. À cet égard, il est indifférent que les navires battant pavillon d’un autre État ne soient pas soumis à la règle des 25 escales : cela résulte simplement du fait qu’ils ne sont pas soumis au droit danois en la matière.

93. En outre, un membre d’équipage ressortissant de pays tiers ne doit pas débarquer du navire en question ni travailler sur la terre ferme dans l’État membre en question pour être soumis aux règles de l’État du pavillon. De plus, bien que la règle des 25 escales s’applique en fonction de l’entrée du navire (par opposition aux membres d’équipage pris individuellement) dans des ports danois, et que la juridiction de renvoi n’ait pas fourni de réelle explication quant à la finalité de cette règle,
celle‑ci semble ( 65 ) simplement tempérer la règle ( 66 ) selon laquelle les ressortissants de pays tiers doivent être titulaires d’un permis de travail, laquelle, selon moi, constitue en soi une règle appropriée et proportionnée.

94. Pour dire tout cela autrement, en vertu de l’article 79, paragraphe 5, TFUE, le Danemark était en droit d’imposer une obligation de permis de travail pour les ressortissants de pays tiers employés sur des navires battant pavillon danois. L’exception introduite à cette règle par la réserve des 25 escales n’ôte rien au droit pour le Danemark – du seul fait que les navires sont immatriculés dans un registre danois – d’imposer une telle obligation. Pour les raisons déjà exposées, cette mesure n’est
pas une « restriction » à l’exercice de la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE et, si (contrairement à mon propre avis) elle l’est, elle est susceptible d’être justifiée de manière autonome en tant que moyen approprié et proportionné de protéger le marché de l’emploi danois, comme l’autorise l’article 79, paragraphe 5, TFUE.

VI. Conclusion

95. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) de la manière suivante :

L’article 49 TFUE, lu à la lumière de l’article 79, paragraphe 5, TFUE, ne s’oppose pas à la législation d’un État membre selon laquelle les travailleurs ressortissants de pays tiers faisant partie de l’équipage d’un navire battant le pavillon de l’État membre concerné, et qui est la propriété d’un armateur ressortissant d’un autre État membre, doivent disposer d’un permis de travail, à moins que le nombre d’escales du navire dans des ports de l’État membre concerné n’ait pas dépassé 25 au cours
de la période écoulée d’une année.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Indépendamment de l’année civile.

( 3 ) Telle que codifiée par l’arrêté no 1061 du 18 août 2010.

( 4 ) Pays extérieurs à l’Union européenne et à l’Espace économique européen (EEE).

( 5 ) La juridiction de renvoi a également constaté ce qui suit : « Comme on peut le voir, l’article 14, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers énumère des catégories d’étrangers qui sont exonérés de l’obligation d’obtenir le permis de travail imposé par l’article 13, paragraphe 1, de la loi. Au moment de la perpétration des faits, la disposition a été complétée par l’article 33 de l’arrêté ministériel relatif aux étrangers, qui, lui aussi, exonère de l’obligation de permis de travail diverses
catégories d’étrangers, parmi lesquelles celle qui est spécifiée à l’article 33, paragraphe 1, point 4, dudit arrêté. L’article 33, paragraphe 1, point 4, de l’arrêté ministériel clarifie le critère “régulièrement” utilisé à l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de la loi sur les étrangers en ce sens qu’un permis de travail n’est requis que si le nombre d’escales du navire danois concerné dans des ports danois a dépassé 25 au cours de la période écoulée d’une année. »

( 6 ) Voir arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320).

( 7 ) La juridiction de renvoi a relevé que les circonstances factuelles de la cause, notamment les questions de savoir si et combien de ressortissants de pays tiers se trouvaient à bord des quatre navires, combien de temps ils y avaient été présents et combien de fois les navires en question avaient touché des ports danois, étaient autant de points litigieux.

( 8 ) Pour fixer le montant de la peine, le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense) a jugé qu’il existait en l’espèce des circonstances aggravantes, en ce que les marins étrangers reçoivent un salaire moins élevé que celui des marins danois, ce qui implique qu’un avantage économique avait été obtenu. Il a conclu que l’infraction était intentionnelle et commise avec plusieurs navires, et que les étrangers concernés n’avaient pas le droit de séjourner au Danemark. Il a toutefois noté qu’une
certaine incertitude existait quant à savoir combien de marins se trouvaient à bord des navires et dans quelle mesure ces derniers avaient fait escale dans des ports danois. Il a constaté aussi que la durée de traitement de l’affaire avait été extrêmement longue, vu la complexité de la cause et les questions que celle‑ci pose au regard du droit de l’Union, et considérant les contacts qu’il y avait eu entre divers services, le ministère public et l’avocat de la prévenue.

( 9 ) Voir arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a. (C‑18/17, EU:C:2018:904).

( 10 ) Au point 11 de ses observations initiales, le gouvernement danois a affirmé que, d’une manière générale, l’obligation pour les ressortissants de pays tiers de disposer d’un permis de travail dans les circonstances de l’espèce constituait une restriction au droit d’établissement au sens de l’article 49 TFUE. Si le gouvernement des Pays‑Bas a d’abord admis, sur la base de la position de la juridiction de renvoi, que les mesures danoises en cause constituaient une restriction à la liberté
d’établissement, ce gouvernement a néanmoins mis en doute, dans ses observations initiales, la pertinence de l’article 49 TFUE, étant donné que l’article 79, paragraphe 5, TFUE autorise le Royaume de Danemark à exiger un permis de travail à partir du moment où les membres de l’équipage pénètrent sur le marché de l’emploi danois et à réguler ainsi le nombre de ressortissants de pays tiers travaillant sur son territoire.

( 11 ) Voir, à cet égard, arrêt du 5 février 2020, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Enrôlement des marins dans le port de Rotterdam) (C‑341/18, EU:C:2020:76).

( 12 ) Voir arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo (C‑106/16, EU:C:2017:804, point 32).

( 13 ) Voir, à cet égard, arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, points 53 et 54).

( 14 ) Voir arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, points 21 et 22).

( 15 ) Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à la Cour de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question qui lui est posée ou, comme en l’espèce, de donner au juge de renvoi tous les éléments d’interprétation de l’article 49 TFUE qui pourraient lui être utiles pour
statuer sur l’affaire dont il est saisi. Voir, par analogie, arrêt du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C‑441/98 et C‑442/98, EU:C:2000:479, points 20 et 21).

( 16 ) Voir point 45 des observations de la Commission. Au point 49 des mêmes observations, la Commission soutient que la question est de savoir si l’obligation imposée à un nouvel opérateur de respecter les règles locales, en l’occurrence un permis de travail pour les ressortissants de pays tiers, priverait les nouveaux arrivants de la possibilité de livrer efficacement concurrence aux opérateurs établis.

( 17 ) Voir points 49 et 50 des observations de la Commission.

( 18 ) Cette mise en évidence a été effectuée par le gouvernement danois.

( 19 ) Voir, à cet égard, arrêt du 13 février 2014, Airport Shuttle Express e.a. (C‑162/12 et C‑163/12, EU:C:2014:74, point 47).

( 20 ) Voir point 37.

( 21 ) Aux points 16 et 17 de cet arrêt, la Cour a jugé que n’entrave pas le commerce entre les États membres l’application à des produits en provenance d’autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en
provenance d’autres États membres. Dans ces conditions, l’application des réglementations relatives à la vente des produits en provenance d’un autre État membre n’est pas de nature à empêcher leur accès au marché et échappe donc au domaine d’application de l’article 34 TFUE. Cependant, l’approche de la règle de raison, qui a été développée dans le domaine de la libre circulation des marchandises, n’est pas « gravée dans le marbre », et la jurisprudence connaît de rares exceptions qui tempèrent cette
approche. Voir, par exemple, arrêt du 26 juin 1997, Familiapress (C‑368/95, EU:C:1997:325). Dans cette affaire, la Cour a jugé que, quand bien même la législation nationale en cause viserait une méthode de vente (et, partant, des modalités de vente), elle affectait néanmoins le contenu même des produits. La Cour n’a toutefois pas adopté, dans le domaine de la libre prestation des services, une telle approche de règle de raison, selon laquelle un type ou une catégorie particulière de mesure nationale
est réputée, en principe, ne pas entraver l’accès au marché. Elle a donc systématiquement adopté, plutôt qu’une approche plus formelle, une approche au cas par cas, qui identifie ou distingue des catégories particulières de mesures ; voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments (C‑384/93, EU:C:1995:126, points 33 à 38). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la raison pour laquelle une législation imposant certaines modalités de vente pour certains produits échappait au domaine d’application de
l’article 34 TFUE était que cette législation n’était pas de nature à empêcher l’accès de produits importés au marché d’un État membre ni de le gêner davantage qu’elle ne gênait celui des produits nationaux. Dans cette affaire, la Cour a toutefois jugé que l’interdiction faite aux intermédiaires financiers proposant des placements dans le commerce à terme et hors bourse de marchandises de contacter par « cold calling » (appels téléphoniques non sollicités) des clients potentiels dans un autre État
membre était constitutive d’une restriction à la libre prestation des services. Bien que je pense que les appels téléphoniques non sollicités constituent une méthode ou des modalités de vente par essence, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas d’analogie à établir avec l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), dès lors que cette interdiction des appels téléphoniques non sollicités affectait directement l’accès au marché des services.

( 22 ) Voir, par exemple, arrêt du 14 septembre 2006, Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour‑Marinopoulos (C‑158/04 et C‑159/04, EU:C:2006:562, points 17 et 18).

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2007, Columbus Container Services (C‑298/05, EU:C:2007:754, points 51 et 53), et du 14 avril 2016, Sparkasse Allgäu (C‑522/14, EU:C:2016:253, point 29). Dans ses conclusions dans l’affaire Tesco‑Global Áruházak (C‑323/18, EU:C:2019:567, points 43 et 44), l’avocat général Kokott a observé qu’il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou
rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté et que, en principe, cela englobe non seulement les discriminations, mais également les restrictions non discriminatoires. Il convient toutefois de garder à l’esprit que les impôts et droits constituent en eux‑mêmes une charge et réduisent donc l’attrait de l’établissement dans un autre État membre. Selon l’avocat général Kokott, il s’ensuit qu’un examen au regard des restrictions non discriminatoires soumettrait tous les faits générateurs des
taxes nationales au droit de l’Union, ce qui remettrait sensiblement en cause la souveraineté des États membres en matière fiscale. Elle a observé que, par conséquent, la Cour a déjà jugé à plusieurs reprises que les réglementations des États membres relatives aux conditions et au niveau de l’imposition relèvent de l’autonomie fiscale des États membres, sous réserve que la situation transfrontalière ne soit pas traitée de manière discriminatoire par rapport à la situation interne. Voir aussi, par
analogie, mes conclusions dans l’affaire Société Générale (C‑565/18, EU:C:2019:1029, points 34 à 36) en matière de libre circulation des capitaux.

( 24 ) Voir arrêts du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32), et du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37). Voir, plus récemment, arrêts du 5 décembre 2013, Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, point 30 et jurisprudence citée), et du 27 février 2020, Commission/Belgique (Comptables) (C‑384/18, EU:C:2020:124, point 75 et jurisprudence citée). J’appellerai ce courant de jurisprudence le « critère Kraus ».

( 25 ) Voir, à cet égard, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270, point 63 et jurisprudence citée). Voir, aussi, arrêt du 14 avril 2016, Sparkasse Allgäu (C‑522/14, EU:C:2016:253, points 31 et 32). Dans cette affaire, la Cour a jugé que la liberté d’établissement ne saurait être comprise en ce sens qu’un État membre soit obligé d’établir ses règles fiscales en fonction de celles d’un autre État membre, afin de garantir, dans toutes les situations, que toute disparité
découlant des réglementations nationales soit effacée.

( 26 ) Voir arrêt du 22 octobre 2009, Commission/Portugal (C‑438/08, EU:C:2009:651, point 27 et jurisprudence citée).

( 27 ) Pour une mesure discriminatoire fondée sur la nationalité, voir arrêt du 10 septembre 2015, Commission/Lettonie (C‑151/14, EU:C:2015:577), dans lequel la Cour a jugé que, en imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire, la République de Lettonie avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE.

( 28 ) Voir arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 12).

( 29 ) Je voudrais observer qu’il semble y avoir une certaine contradiction entre la position adoptée dans les observations de la Commission dans la présente affaire et la position exprimée dans la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil – Protection des investissements intra-UE [COM(2018) 547 final]. Dans la section intitulée « Le droit de l’Union protège tous les investissements transfrontières de l’Union tout au long de leur cycle de vie », la Commission, après la
sous-section intitulée « Accès au marché », a déclaré dans la sous-section intitulée « Activités sur le marché » que, « [u]ne fois que les investisseurs de l’UE commencent à exploiter une entreprise dans un autre État membre ou effectuent un autre type d’investissement, le droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour [...], continue de s’appliquer. Il les protège, en général, contre des mesures publiques qui priveraient les investisseurs de l’utilisation de leur bien ou qui limiteraient
l’activité économique dans laquelle ils se sont engagés, même lorsque ces mesures s’appliquent de la même façon aux opérateurs nationaux » (italique ajouté par mes soins).

( 30 ) Voir arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 54 et jurisprudence citée). Voir, aussi, arrêts du 16 décembre 2010, Commission/France (C‑89/09, EU:C:2010:772, points 44 à 49) ; du 26 septembre 2013, Ottica New Line (C‑539/11, EU:C:2013:591, points 25 à 32), ainsi que du 5 décembre 2013, Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, points 30 à 36). Voir, aussi, chapitre III, intitulé « Liberté d’établissement des prestataires », de la
directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

( 31 ) Voir arrêt du 24 mars 2011, Commission/Espagne (C‑400/08, EU:C:2011:172, points 62 à 71), dans lequel la Cour a constaté une restriction à la liberté d’établissement, bien que la Commission n’ait pas réussi à prouver que la législation espagnole en question était discriminatoire en droit ou en fait. Dans son arrêt du 8 mai 2019, PI (C‑230/18, EU:C:2019:383, point 60), la Cour a jugé qu’« une réglementation nationale [...] qui prévoit qu’une autorité administrative peut décider de fermer avec
effet immédiat un établissement commercial, au motif qu’elle soupçonne l’exercice, au sein de cet établissement, d’une activité [professionnelle] sans l’autorisation requise par cette réglementation, peut avoir des conséquences négatives sur le chiffre d’affaires et sur la poursuite de l’activité professionnelle, notamment en ce qui concerne le rapport avec les clients bénéficiant des services concernés. Partant, cette réglementation est susceptible d’empêcher ou de dissuader des personnes en
provenance d’autres États membres souhaitant s’établir dans [un autre État membre] » et elle constitue donc une restriction à la liberté d’établissement. Voir, aussi, concernant l’obligation d’obtenir une concession pour exercer une activité, arrêt du 8 septembre 2016, Politanò (C‑225/15, EU:C:2016:645, point 38).

( 32 ) Voir, aussi, conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:187), qui contiennent un examen détaillé de la jurisprudence relative à la notion de « restriction de la liberté d’établissement ». Au point 78 de ses conclusions, l’avocat général Tizzano a considéré, entre autres, qu’il y avait « lieu d’établir si les filiales en question ne se trouvent pas, de par [l’application de la mesure française en question], dans une position de fait défavorable
par rapport aux concurrents traditionnellement établis et opérant sur le marché français ; [...] [ou] si, eu égard à ses effets, elle ne caractérise pas une entrave directe à l’accès au marché du crédit ».

( 33 ) Cela constituait en pratique une interdiction de payer des intérêts sur certains comptes de dépôts ouverts dans les banques.

( 34 ) Voir, à cet effet, arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, points 13 à 16). Cet arrêt n’est pas sans rappeler la jurisprudence de la Cour relative à la publicité des produits. Voir arrêt du 9 juillet 1997, De Agostini et TV-Shop (C‑34/95 à C‑36/95, EU:C:1997:344, points 42 à 44). Si les règles relatives à la publicité des produits sont des modalités de vente et relèvent ainsi de l’approche de la règle de raison relative aux produits, elles ont souvent un effet
disparate sur les importations en ce qu’elles empêchent ou entravent l’implantation de ces produits dans d’autres États membres. Selon moi, elles sont donc discriminatoires de facto.

( 35 ) Voir arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 11), aux termes duquel « [d]oivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de [la liberté d’établissement] ».

( 36 ) Voir, par exemple, arrêt du 12 décembre 2013, SOA Nazionale Costruttori (C‑327/12, EU:C:2013:827, points 56 et 57), qui portait sur des règles nationales interdisant aux entreprises prestant des services de certification de déroger aux tarifs minimaux prévus par la loi. La Cour a jugé que ces règles étaient susceptibles de rendre moins attrayant l’exercice, par les entreprises établies dans d’autres États membres, de la liberté d’établissement sur le marché desdits services. Selon la Cour,
cette interdiction privait les entreprises établies dans un autre État membre et répondant aux conditions prévues par la réglementation nationale de la possibilité de livrer, par la demande d’honoraires inférieurs à ceux fixés par le législateur national, une concurrence plus efficace aux entreprises établies de manière stable dans l’État membre concerné et disposant, de ce fait, de plus grandes facilités que les entreprises ayant leur siège dans un autre État membre pour s’attacher une clientèle.
Voir, aussi, article 15, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123 et arrêt du 4 juillet 2019, Commission/Allemagne (C‑377/17, EU:C:2019:562).

( 37 ) Et peut-être l’application la plus courante et la plus évidente de ce critère en dehors des affaires portant sur des exigences d’autorisation préalable ou des mesures discriminatoires.

( 38 ) Voir point 14 de cet arrêt. Voir, aussi, arrêt du 11 mars 2010, Attanasio Group (C‑384/08, EU:C:2010:133, point 45), qui porte spécifiquement sur la question de l’accès initial d’un nouvel entrant au marché.

( 39 ) Dans son arrêt du 21 avril 2005, Commission/Grèce (C‑140/03, EU:C:2005:242, point 28), la Cour a jugé que l’interdiction, pour un opticien diplômé, d’exploiter plus d’un magasin d’optique constituait effectivement une restriction à la liberté d’établissement des personnes physiques au sens de l’article 49 TFUE. J’observe que cette mesure non discriminatoire ne concernait pas une obligation d’obtenir une autorisation, puisqu’il s’agissait d’une simple interdiction. De plus, à bien y regarder,
la mesure en question ne concernait pas nécessairement l’accès initial au marché, mais plutôt la mesure de l’expansion sur le marché.

( 40 ) Voir, par exemple, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis (C‑201/15, EU:C:2016:972, points 54 et 55), qui concernait la possibilité de procéder à un licenciement collectif et de réduire le volume d’activité. La Cour a souligné que la législation nationale en question, qui limitait la possibilité de procéder à un licenciement collectif, constituait une ingérence importante dans certaines libertés dont jouissent, généralement, les opérateurs économiques. La Cour a donc jugé que l’exercice de
la liberté d’établissement impliquait la liberté d’engager des travailleurs dans l’État membre d’accueil, de déterminer la nature et l’ampleur de l’activité économique qui sera déployée dans l’État membre d’accueil et notamment la taille des installations stables et, partant, la liberté de réduire le volume de cette activité ou de renoncer à cet établissement (arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 53). Pour ce qui concerne l’ampleur de l’activité économique, dans
son arrêt du 26 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑514/03, EU:C:2006:63, point 48), la Cour a jugé que les dispositions de droit espagnol fixant un nombre minimal de personnes employées par les entreprises de sécurité s’analysaient en une entrave à la liberté d’établissement, dans la mesure où elles rendaient plus onéreuse la constitution d’établissements secondaires ou de filiales en Espagne.

( 41 ) Dans son arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth (C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 62), la Cour a jugé qu’une réglementation nationale en vertu de laquelle les droits d’usufruit antérieurement constitués sur des terres agricoles et dont les titulaires n’ont pas la qualité de proche parent du propriétaire de ces terres s’éteignaient de plein droit et étaient, en conséquence, radiés des registres fonciers, constituait une restriction à la libre circulation des capitaux. Il ressort
clairement des points 54 et suivants de cet arrêt que son raisonnement s’applique également à la liberté d’établissement. De plus, si la Cour a finalement conclu que la mesure en question était aussi indirectement discriminatoire, c’était seulement pour limiter la portée d’une éventuelle justification de cette mesure, plutôt que pour remettre en question sa nature de restriction en l’absence d’une telle discrimination.

( 42 ) Invitation faite très clairement par le gouvernement danois et, dans une moindre mesure, par la Commission.

( 43 ) Selon mon interprétation des observations qui ont été présentées, le premier critère appliquerait la jurisprudence constante de la Cour, telle qu’elle a été établie dans l’arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32), à l’accès initial au marché (quoi que cela puisse être) et le second critère, portant sur la non‑discrimination en droit et en fait, s’appliquerait une fois obtenu l’accès initial au marché.

( 44 ) Ainsi, par exemple, dans son arrêt du 7 mars 2013, DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, points 34 et 35), la Cour a jugé qu’une mesure imposant aux compagnies d’assurances de demander et obtenir une autorisation pour introduire des augmentations tarifaires constituait une restriction de la liberté d’établissement dans la mesure où elle obligeait les entreprises d’assurances dont le siège social se trouvait dans un autre État membre, pour se conformer à cette mesure, non seulement à
« modifier leurs conditions et leurs tarifs pour répondre aux exigences posées par ce système, mais également déterminer leur positionnement tarifaire, et donc leur stratégie commerciale, au moment de la fixation initiale des primes, avec le risque que les augmentations tarifaires à venir soient insuffisantes pour couvrir les frais auxquels elles [devraient] faire face ».

( 45 ) À cet égard, il était constant que la réception des dépôts du public et l’octroi de crédits représentaient les activités de base des établissements de crédit [arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 16)].

( 46 ) En outre, il faut souligner que, pour qu’une mesure relève de l’article 49 TFUE, elle doit affecter les échanges entre États membres. Je considère que le seuil que la Cour applique pour constater un tel effet est bas, mais pas inexistant. De plus, il faut observer que, bien qu’il apparaisse à l’évidence des données factuelles de nombreuses affaires préjudicielles que les échanges entre États membres ne sont pas affectés – dans la mesure où il s’agit de situations purement internes, dont tous
les aspects se cantonnent à l’intérieur d’un État membre – la Cour, afin d’assister la juridiction de renvoi, répond souvent à la question qui lui est soumise pour le cas où les échanges entre États membres seraient affectés. Voir, à cet égard, arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, points 39 et 40). Dans cette affaire, bien que tous les aspects des affaires au principal fussent circonscrits en Espagne, la Cour a jugé qu’il « ne saurait nullement
être exclu que des ressortissants établis dans des États membres autres que le Royaume d’Espagne aient été ou soient intéressés à exploiter des pharmacies dans la Communauté autonome des Asturies ». Inversement, voir arrêt du 13 février 2014, Airport Shuttle Express e.a. (C‑162/12 et C‑163/12, EU:C:2014:74, points 43 à 49), dans lequel la Cour a refusé d’appliquer l’article 49 TFUE à des activités qui ne présentaient aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le
droit de l’Union et dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnaient à l’intérieur d’un seul État membre, étant donné que rien n’indiquait en quoi la décision litigieuse, plutôt qu’un système général, était susceptible d’affecter des opérateurs économiques provenant d’autres États membres.

( 47 ) Dans les domaines de la libre circulation des travailleurs et de la liberté d’établissement, respectivement, voir, par exemple, arrêts du 27 janvier 2000, Graf (C‑190/98, EU:C:2000:49, point 25), ainsi que du 20 juin 1996, Semeraro Casa Uno e.a. (C‑418/93 à C‑421/93, C‑460/93 à C‑462/93, C‑464/93, C‑9/94 à C‑11/94, C‑14/94, C‑15/94, C‑23/94, C‑24/94 et C‑332/94, EU:C:1996:242, point 32). Voir, aussi, arrêt du 12 juillet 2012, SC Volksbank România (C‑602/10, EU:C:2012:443, points 79 à 81),
concernant la libre prestation des services. À la lumière, par exemple, de cet arrêt, il se pourrait bien que, dans un cas spécifique, après avoir examiné les critères proposés par le gouvernement danois et par la Commission et en l’absence de tout autre élément factuel pertinent, l’on constate que l’effet d’une mesure nationale litigieuse est trop incertain et trop indirect pour que cette mesure soit jugée susceptible d’entraver les échanges à l’intérieur de l’Union. Le critère à appliquer pour
vérifier l’existence d’une restriction reste, selon moi, celui qui a été dégagé, par exemple, dans l’arrêt du 31 mars 1993, Kraus (C‑19/92, EU:C:1993:125, point 32). Pour ce qui concerne les services, il ressort clairement de l’article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123 que des tarifs obligatoires minimaux ou maximaux que doit respecter le prestataire sont considérés comme des restrictions. Toutefois, dans son arrêt du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188,
point 53), la Cour a jugé que des mesures nationales obligeant les avocats à respecter des tarifs maximaux ne constituaient pas une restriction, dès lors qu’il n’avait pas été démontré que les mesures en question porteraient atteinte à l’accès, dans des conditions de concurrence normales et efficaces, au marché italien des services en cause. La Cour a relevé notamment que le régime italien sur les honoraires était caractérisé par une flexibilité qui paraissait permettre une rémunération correcte de
tout type de prestation fourni par des avocats.

( 48 ) Selon moi, la Cour n’a pas constaté de restriction à la liberté d’établissement dans son arrêt du 14 juillet 1994, Peralta (C‑379/92, EU:C:1994:296), parce que la situation en cause était purement interne à un État membre et que la prétendue restriction était trop indirecte ou trop éloignée.

( 49 ) Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, cela semble inclure le DIS, mais sans s’y limiter.

( 50 ) En outre, les règles ne concernent pas l’embarquement et le débarquement de membres d’équipage ressortissants de pays tiers dans des ports danois ni, d’ailleurs, le travail exécuté par ces ressortissants dans des ports danois ou sur toute autre partie du territoire danois. À cet égard, la juridiction de renvoi a également exposé, dans sa demande de décision préjudicielle, les règles en matière de visa prévues par l’arrêté ministériel relatif aux étrangers.

( 51 ) Cela peut être dû au fait que, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a relevé que le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense) avait constaté ce qui suit : « Il existe, dans cette affaire, des circonstances aggravantes qui influencent la fixation de la peine. Les marins étrangers reçoivent un salaire moins élevé que celui des marins danois, ce qui implique qu’un avantage économique a été obtenu. On peut considérer que l’infraction a été intentionnelle et
commise avec plusieurs navires, et que les étrangers concernés n’avaient pas le droit de séjourner au Danemark. »

( 52 ) Il semblerait qu’il en soit ainsi, bien que la juridiction de renvoi ait relevé, dans sa demande de décision préjudicielle, que le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense), après avoir constaté que les mesures en question constituaient une restriction au sens de l’article 49 TFUE, a indiqué : « Compte tenu du fait que la raison d’être de l’introduction des dispositions de la loi sur les étrangers concernant le personnel originaire de pays tiers est le souci de ne pas ébranler le marché
du travail danois – sachant que les travailleurs [ressortissants de pays tiers], vu le niveau de leurs salaires, sont susceptibles d’évincer les travailleurs danois avec lesquels ils se trouvent en concurrence –, il faut considérer qu’il s’agit là d’une restriction justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et proportionnée, et qui ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. L’exigence d’être titulaire d’un permis de travail est une mesure efficace propre
à assurer la stabilité du marché national du travail et, ainsi, à éviter les perturbations sur ledit marché. »

( 53 ) À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’une réglementation d’un État membre obligeant les entreprises provenant d’autres États membres qui souhaitent s’établir dans cet État membre pour y exercer des activités portuaires à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément à cette réglementation empêche une telle entreprise d’avoir recours à son propre personnel ou de recruter d’autres ouvriers non reconnus et, partant, est susceptible de gêner ou de rendre
moins attrayant l’établissement de cette entreprise dans l’État membre concerné. Voir arrêt du 11 février 2021, Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp (C‑407/19 et C‑471/19, EU:C:2021:107, points 59 et 60). Voir, aussi, arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430, points 37 et 38).

( 54 ) Version du 21 novembre 2017. Il s’agit d’un modèle de convention préventive de double imposition entre États.

( 55 ) Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, du modèle de convention, « [l]es bénéfices d’une entreprise d’un État contractant provenant de l’exploitation, en trafic international, de navires [...] ne sont imposables que dans cet État ». En outre, l’article 15, paragraphe 3, du modèle de convention prévoit que « [l]es rémunérations reçues par un résident d’un État contractant au titre d’un emploi salarié, en tant que membre de l’équipage régulier d’un navire [...], exercé à bord d’un navire [...]
exploité en trafic international, à l’exception d’un emploi exercé à bord d’un navire [...] exploité uniquement dans l’autre État contractant, ne sont imposables que dans le premier État ».

( 56 ) Voir arrêts du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 17), et du 27 novembre 1997, Commission/Grèce (C‑62/96, EU:C:1997:565, point 22). Voir, aussi, arrêt du 7 mars 1996, Commission/France (C‑334/94, EU:C:1996:90, point 17). Dans ses observations, VAS Shipping a invoqué l’arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Pays‑Bas (C‑299/02, EU:C:2004:620, point 19). Dans cet arrêt, la Cour a jugé, entre autres, que les règles néerlandaises en vertu desquelles, pour qu’un navire
puisse être immatriculé, les actionnaires, les administrateurs et les représentants sur place du propriétaire de navire de l’Union devaient être des citoyens de l’Union ou de l’EEE étaient contraires aux articles 49 et 52 TFUE. Selon la Cour, « lorsque les sociétés propriétaires qui entendent immatriculer aux Pays‑Bas leurs navires ne répondent pas aux conditions litigieuses, elles n’ont pas d’autre possibilité pour procéder à cette immatriculation que de modifier en conséquence la structure de leur
capital social ou de leurs organes d’administration – modifications qui sont susceptibles d’impliquer de profonds bouleversements au sein d’une société ainsi que l’accomplissement de nombreuses formalités qui ne sont pas sans conséquences financières. De même, les propriétaires des navires doivent adapter leur politique d’embauche afin d’exclure des représentants sur place tout ressortissant d’un État tiers à la Communauté ou à l’EEE ». Étant donné qu’aucune question n’a été soulevée concernant
l’immatriculation des quatre navires dans le DIS, cet arrêt n’est pas particulièrement pertinent pour la présente affaire à cet égard. Il y a lieu de relever, cependant, que la portée de cet arrêt s’étendait au-delà de l’immatriculation des navires et concernait des questions relatives à leur gestion. À cet égard, la Cour a également jugé que les ressortissants de l’Union qui souhaitaient opérer sous forme de société d’armement avec un administrateur ressortissant d’un pays tiers ou domicilié dans
un pays tiers étaient empêchés de le faire et que les mesures en cause constituaient donc une restriction à la liberté d’établissement. À mon avis, aucun parallèle ne peut être établi entre cet arrêt et la présente affaire. Les mesures nationales en cause dans la présente affaire n’imposent pas de condition de nationalité, mais ont simplement pour effet que les ressortissants de pays tiers doivent disposer d’un permis de travail dans certaines circonstances et prévoient des peines à la charge de
leurs employeurs si ces prescriptions ne sont pas respectées.

( 57 ) Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, rien dans le dossier soumis à la Cour n’indique que le règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO 1992, L 364, p. 7) serait applicable en l’espèce. Voir, en particulier, article 3 de ce règlement, qui concerne les règles relatives à l’équipage et à la responsabilité.

( 58 ) Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 59 ) Inversement, rien dans le dossier soumis à la Cour n’indique que la présente affaire concernerait, par exemple, le détachement de travailleurs d’une entreprise établie dans un État membre dans un autre État membre. Voir, par exemple, directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1). En tout état de cause, il est de jurisprudence constante pour ce qui
concerne, par exemple, le détachement de travailleurs qui sont ressortissants d’un État tiers par une entreprise prestataire de services établie dans un État membre de l’Union, qu’une réglementation nationale qui subordonne l’exercice de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d’une autorisation administrative constitue une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 56 TFUE. Voir arrêt du
11 septembre 2014, Essent Energie Productie (C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 45 et jurisprudence citée). Voir, aussi, arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a. (C‑18/17, EU:C:2018:904, points 42 à 45). En outre, de telles restrictions sont difficiles à justifier par le souci d’éviter de perturber le marché de l’emploi, étant donné que les travailleurs détachés n’accèdent pas au marché de l’emploi de l’État membre dans lequel ils sont détachés et qu’il existe des moyens moins
restrictifs pour s’assurer que ces travailleurs soient employés pour prester les services en question.

( 60 ) Cette question de fait est litigieuse entre VAS Shipping et le gouvernement danois et doit donc, en dernière analyse, être tranchée par la juridiction de renvoi.

( 61 ) Selon moi, la règle des 25 escales qui se rattache aux navires est quelque peu arbitraire et la juridiction de renvoi n’a pas fourni d’explication sur son objectif spécifique dans le cadre des règles danoises relatives aux permis de travail et au trafic international. Il se peut que cette règle se borne à définir ou à préciser la notion de « navire »« qui fait escale régulièrement dans un port [...] danois » au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers. Je conçois
cependant, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi que, pour un État membre, suivre les navires battant son pavillon en trafic international qui font escale dans un port un certain nombre de fois au cours d’une année et qui emploient des ressortissants de pays tiers puisse être plus facile que suivre individuellement ces membres d’équipage à tout moment ou même lorsqu’ils entrent dans un port, pour vérifier qu’ils disposent d’un permis de travail. Je considère aussi, toujours sous
réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que de telles règles pourraient bien être moins pesantes pour les armateurs et gérants de ces navires que l’obligation de disposer d’un permis de travail pour tous les membres d’équipage. Après tout, la règle des 25 escales est conçue comme une dérogation à l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers (ou constitue peut‑être un outil d’interprétation de l’expression « fait escale régulièrement dans un port [...] danois »).

( 62 ) Voir, à cet égard, arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Pays‑Bas (C‑299/02, EU:C:2004:620, points 17 et 18, ainsi que jurisprudence citée).

( 63 ) La juridiction de renvoi a cependant relevé que, selon le Retten i Odense (tribunal municipal d’Odense), les mesures en question avaient été introduites afin de ne pas ébranler le marché de l’emploi.

( 64 ) VAS Shipping cite à cet égard l’arrêt du 18 septembre 2014, Bundesdruckerei (C‑549/13, EU:C:2014:2235, point 34).

( 65 ) Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi.

( 66 ) En imposant un lien plus étroit ou renforcé entre, d’une part, les membres d’équipage ressortissants de pays tiers et les navires à bord desquels ils travaillent et, d’autre part, le marché de l’emploi danois.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-71/20
Date de la décision : 10/06/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 54 TFUE – Liberté d’établissement – Réglementation nationale exigeant des ressortissants de pays tiers employés sur un navire battant pavillon d’un État membre d’être en possession d’un permis de travail dans cet État membre – Exception visant les navires ne faisant pas escale dans les ports de l’État membre plus de 25 fois pendant une période d’un an – Restriction – Article 79, paragraphe 5, TFUE – Réglementation nationale visant à fixer les volumes d’entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur le territoire de l’État membre concerné dans le but d’y rechercher un emploi salarié ou non salarié.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : VAS Shipping ApS.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan

Origine de la décision
Date de l'import : 16/08/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:474

Source

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