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14/04/2021 | CJUE | N°C-364/19

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, XU e.a. contre SC Credit Europe Ipotecar IFN SA et Credit Europe Bank NV., 14/04/2021, C-364/19


 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

14 avril 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Exclusion du champ d’application de cette directive des clauses contractuelles reflétant des dispositions de droit national impératives – Article 4, paragraphe 2 – Exception à l’appréciation du caractère abusif d’une clause – Contrat de crédit libellé en devise étrangère – Manquement

allégué à l’obligation d’information pesant
sur un professionnel – Examen par la juridiction nationale à effectuer e...

 ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

14 avril 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Exclusion du champ d’application de cette directive des clauses contractuelles reflétant des dispositions de droit national impératives – Article 4, paragraphe 2 – Exception à l’appréciation du caractère abusif d’une clause – Contrat de crédit libellé en devise étrangère – Manquement allégué à l’obligation d’information pesant
sur un professionnel – Examen par la juridiction nationale à effectuer en priorité au regard de l’article 1er, paragraphe 2 »

Dans l’affaire C‑364/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Galaţi (tribunal de grande instance de Galați, Roumanie), par décision du 27 février 2019, parvenue à la Cour le 7 mai 2019, dans la procédure

XU,

YV,

ZW,

AU,

BZ,

CA,

DB,

EC

contre

SC Credit Europe Ipotecar IFN SA,

Credit Europe Bank NV,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement roumain, initialement par Mmes R. I. Haţieganu et A. Rotăreanu ainsi que par M. C.-R. Canţăr, puis par Mmes E. Gane, R. I. Haţieganu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. N. Ruiz García et Mme C. Gheorghiu, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XU, YV, ZW, AU, BZ, CA, DB et EC à SC Credit Europe Ipotecar IFN SA (ci-après « Credit Europe Ipotecar ») et à Credit Europe Bank NV au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause insérée dans un contrat de crédit libellé en devise étrangère, qui impose que la somme prêtée soit remboursée dans cette devise et qui fait peser sur les emprunteurs le risque inhérent aux fluctuations du taux de change de celle-ci.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes du treizième considérant de la directive 93/13 :

« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les
États membres ou la Communauté sont parti[e]s ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».

4 L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

5 L’article 4, paragraphe 2, de ladite directive est rédigé comme suit :

« L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

Le droit roumain

6 L’article 1578 du Cod Civil (code civil), dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal (ci-après le « code civil »), prévoyait :

« L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme numérique énoncée au contrat.

S’il y a eu augmentation ou diminution de la valeur de la devise avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme numérique prêtée et ne doit rendre cette somme que dans les espèces ayant cours au moment du paiement. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7 Le 8 novembre 2007, quatre des requérants au principal, qui ont la qualité de consommateurs, ont conclu avec Credit Europe Ipotecar, société établie en Roumanie, un contrat de crédit hypothécaire libellé en francs suisses (CHF) et portant sur une durée de 30 ans. Les autres requérants au principal sont les ayants droit d’un cinquième consommateur qui était partie à ce contrat et est décédé le 6 avril 2014.

8 L’article 6.1 dudit contrat stipulait, en particulier, que le crédit devait être remboursé dans la devise étrangère dans laquelle il avait été libellé et que le risque de change, à savoir le risque lié aux fluctuations du taux de change entre cette devise et le leu roumain (RON), devait éventuellement être supporté par les emprunteurs.

9 Le 31 mars 2009, Credit Europe Ipotecar a cédé sa créance issue du même contrat à Credit Europe Bank.

10 Le 3 octobre 2011, à la suite d’une demande de rééchelonnement formée par les consommateurs concernés, les parties contractantes ont conclu un acte additionnel modifiant l’article 6.1 du contrat de crédit en cause. Toutefois, il restait prévu que le remboursement devait s’effectuer en francs suisses et que le risque de change était éventuellement à la charge des emprunteurs.

11 Le 16 mars 2015, les requérants au principal ont assigné Credit Europe Ipotecar devant la Judecătoria Galați (tribunal de première instance de Galați, Roumanie), principalement afin d’obtenir, d’une part, la constatation du caractère abusif et de la nullité de la clause figurant à l’article 6.1 du contrat de crédit en cause et, d’autre part, la stabilisation du taux de change entre le franc suisse et le leu roumain au cours en vigueur à la date de la conclusion de ce contrat, outre le
remboursement des sommes payées en excédent du fait de la dévaluation du leu roumain par rapport au franc suisse depuis cette date. Au soutien de leur recours, ils ont allégué qu’ils avaient contracté un crédit libellé en francs suisses sur les conseils de Credit Europe Ipotecar, qui ne les avait pas informés du risque de survalorisation de cette devise, alors même qu’un tel risque était prévisible pour ce prêteur, lequel, à la différence des consommateurs, disposait d’une expertise financière.

12 En défense, Credit Europe Ipotecar a, tout d’abord, invoqué l’irrecevabilité des demandes relatives à l’article 6.1 du contrat de crédit concerné, aux motifs que la directive 93/13 n’était pas applicable et que le droit roumain ne donnait pas la possibilité à la juridiction saisie de compléter un contrat avec une clause supplémentaire. Ensuite, cette société a fait valoir qu’elle n’avait aucune obligation d’informer les emprunteurs sur le risque de change, dès lors que l’évolution du taux de
change d’une devise ne pouvait pas être connue à l’avance avec certitude et faisait partie des aléas perceptibles par tout consommateur moyen. Enfin, elle a soutenu que l’existence d’un déséquilibre contractuel ne saurait être admise, étant donné que la règle du « nominalisme monétaire » a été instituée par le législateur national, aux termes de l’article 1578 du code civil, et que le recours au principal méconnaîtrait cette disposition, en ce qu’il tendrait à éliminer le risque de change.

13 Par jugement du 30 janvier 2018, la Judecătoria Galaţi (tribunal de première instance de Galați) a rejeté, comme étant infondé, le chef de demande relatif au caractère abusif et donc à la nullité de la clause figurant à l’article 6.1 du contrat de crédit en cause.

14 À cet égard, ledit tribunal a, notamment, considéré que les requérants au principal avaient eu la liberté de choisir un crédit libellé en lei roumains ou en d’autres devises et que, en souscrivant un crédit d’une durée de 30 ans libellé dans une devise différente de celle dans laquelle ils percevaient leurs revenus salariaux, ils avaient implicitement accepté d’assumer le risque de fluctuation monétaire, c’est-à-dire le risque de changement des circonstances qui existaient à la date de la
conclusion de ce contrat.

15 En outre, il a estimé que les clauses dudit contrat imposant aux emprunteurs de rembourser les tranches du crédit en francs suisses ne créaient pas de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, dès lors que le prêteur supportait le risque de baisse du taux de change du franc suisse, par rapport à la valeur qui était applicable à la conversion de cette devise en lei roumains au moment de la conclusion du contrat concerné, tandis que les emprunteurs supportaient le
risque d’une hausse de ce taux.

16 Selon la Judecătoria Galaţi (tribunal de première instance de Galați), il ne saurait être présumé que, en raison de sa qualité de professionnel dans le domaine financier et bancaire, le prêteur connaissait ou prévoyait l’évolution dudit taux de change. Par ailleurs, une banque serait, certes, tenue d’informer le consommateur sur les aspects essentiels de son offre de crédit, mais les risques générés par la volatilité du taux de change seraient, cependant, des aspects devant être appréciés
concrètement par chaque emprunteur.

17 Au mois de mars 2018, les requérants au principal, d’une part, ainsi que Credit Europe Ipotecar et Credit Europe Bank, d’autre part, ont interjeté appel du jugement rendu par ladite juridiction devant le Tribunalul Galați (tribunal de grande instance de Galați, Roumanie), en reprenant pour l’essentiel les arguments qu’ils avaient présentés en première instance.

18 La juridiction de renvoi considère qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour relative à la directive 93/13 que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, lorsqu’une clause contractuelle reflète des dispositions de droit national qui sont applicables entre les parties contractantes indépendamment de leur choix ou en l’absence d’un arrangement différent entre elles, cette clause ne relève pas du champ d’application de ladite directive.

19 Par ailleurs, elle expose que l’article 1578 du code civil, qui revêt un caractère supplétif, prévoit que l’emprunteur a l’obligation de rembourser au prêteur la somme numérique inscrite dans le contrat de crédit, nonobstant la valorisation ou la dévalorisation des devises dans lesquelles le prêt est libellé qui serait survenue avant la date du paiement, et que cette disposition légale consacre le « principe du nominalisme monétaire », selon l’appellation donnée par la doctrine roumaine. La
juridiction de renvoi précise que, dans le cadre de la relation contractuelle en cause au principal, le taux de change du franc suisse a connu une appréciation de 204,12 %, au détriment des emprunteurs, entre le jour de la conclusion du contrat de crédit en cause, datant du 8 novembre 2007, et le jour de l’introduction du recours en première instance, datant du 16 mars 2015.

20 Il ressort aussi de la décision de renvoi que, à la suite de l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703), la jurisprudence roumaine a majoritairement retenu que, lorsque le caractère abusif de clauses contractuelles est invoqué, les juges nationaux doivent examiner en priorité si les clauses contestées constituent une transposition d’une règle nationale de nature supplétive, telle que celle prévue à l’article 1578 du code civil, et, dans l’affirmative, exclure ces
clauses de l’analyse du caractère abusif des clauses du contrat en cause, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13. Or, il s’avérerait que, dans ce dernier cas de figure, les juges saisis n’ont pas l’opportunité de porter une appréciation sur le comportement précontractuel du professionnel et, notamment, sur le respect ou non par celui-ci de son obligation d’informer le consommateur, qui résulte de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

21 Partant, la juridiction de renvoi s’interroge, premièrement, sur la méthodologie à suivre lors de l’examen d’une clause relative au risque de change, en se demandant s’il convient d’examiner une telle clause d’abord au regard de l’exclusion prévue audit article 1er, paragraphe 2, ou bien d’abord au regard de l’exigence de transparence résultant dudit article 4, paragraphe 2.

22 Deuxièmement, cette juridiction souhaite savoir si, dans l’hypothèse où les juges saisis examineraient la clause contestée en priorité sous l’angle de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 et estimeraient que le professionnel concerné n’a pas respecté l’obligation d’information préalable établie à cette disposition, celui-ci aurait la possibilité, malgré ce manquement, de tirer profit de l’exception à l’analyse du caractère abusif de clauses contractuelles qui découlerait de
l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive.

23 Dans ces conditions, le Tribunalul Galați (tribunal de grande instance de Galați) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, tels qu’ils ont été analysés dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703), doivent-ils être interprétés en ce sens que la juridiction nationale est tenue, en présence d’une clause relative au risque de change qui reprend une disposition nationale, d’analyser en priorité l’incidence de l’interdiction prévue à [cet] article 1er, paragraphe 2, [...] ou d’analyser le respect par le
professionnel de l’obligation d’information qui relève de [cet] article 4, paragraphe 2 [...], sans effectuer une analyse préalable [au regard] des dispositions [dudit] article 1er, paragraphe 2 [...] ?

2) L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que, en cas de manquement à l’obligation d’informer le consommateur, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le professionnel peut se prévaloir des dispositions de [cet] article 1er, paragraphe 2 [...], de sorte que la clause contractuelle relative au risque de change, qui reprend une disposition du droit national, soit exclue de l’analyse du caractère abusif ? »

Sur les questions préjudicielles

24 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, celle-ci peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur et après avoir entendu l’avocat général, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou ne laisse place à aucun doute raisonnable.

25 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente procédure de renvoi préjudiciel.

26 Par ses deux questions, qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un litige portant sur une clause contractuelle prétendument abusive qui reflète une disposition de droit national de nature supplétive, elle est tenue d’examiner en priorité l’incidence de l’exclusion du champ
d’application de cette directive prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, ou bien l’incidence de l’exception à l’appréciation du caractère abusif de clauses contractuelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, et, dans l’hypothèse où cette dernière voie devrait être suivie, si un professionnel n’ayant pas satisfait à l’obligation de transparence résultant dudit article 4, paragraphe 2, pourrait néanmoins se prévaloir dudit article 1er, paragraphe 2, pour empêcher
l’examen du caractère abusif d’une telle clause.

27 À cet égard, il importe de rappeler que, d’une part, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses contractuelles reflétant des « dispositions législatives ou réglementaires impératives », expression qui, à la lumière du treizième considérant de cette directive, couvre non seulement les dispositions de droit national qui s’appliquent entre les parties contractantes indépendamment de leur choix, mais également celles qui sont de nature
supplétive, c’est-à-dire qui s’appliquent par défaut, en l’absence d’un arrangement différent entre les parties (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Mikrokasa et Revenue Niestandaryzowany Sekurytyzacyjny Fundusz Inwestycyjny Zamknięty, C‑779/18, EU:C:2020:236, points 50 à 53, ainsi que du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 23 à 25 et 28).

28 Cette interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 a été retenue par la Cour nonobstant l’existence d’une différence, aussi relevée par la juridiction de renvoi dans la présente procédure, entre les libellés de cette disposition, respectivement, dans la version en langue française et dans celle en langue roumaine de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 32 à 34).

29 L’exclusion de l’application du régime de la directive 93/13 qui est prévue à cette disposition a été justifiée par le fait qu’il est légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Mikrokasa et Revenue Niestandaryzowany Sekurytyzacyjny Fundusz Inwestycyjny Zamknięty, C‑779/18,
EU:C:2020:236, point 54, ainsi que du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, point 26).

30 D’autre part, l’article 4, paragraphe 2, de cette directive édicte une exception au mécanisme de contrôle de fond des clauses abusives tel que prévu dans le cadre du système de protection des consommateurs mis en œuvre par ladite directive, exception qui s’applique à l’égard des clauses relevant de l’une des deux catégories visées audit paragraphe 2, pour autant que la clause en cause ait été rédigée de façon claire et compréhensible, conformément à l’exigence de transparence découlant de cette
disposition (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, points 34, 35, 43 et 44, ainsi que du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, points 65 et 66).

31 S’agissant du point de savoir de quelle manière s’articulent l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 et l’article 4, paragraphe 2, de celle‑ci, ainsi que le gouvernement roumain et la Commission européenne s’accordent à le suggérer, il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi en ce sens que la priorité doit être donnée, par le juge saisi d’un litige tel que celui au principal, à l’analyse fondée sur l’exclusion du champ d’application de la directive 93/13
qui est prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, par rapport à l’analyse fondée sur l’exception au contrôle du caractère abusif de clauses contractuelles qui est prévue à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

32 En effet, cette approche s’impose dès lors qu’il est manifeste que tout instrument du droit de l’Union n’est applicable à une situation donnée que dans la mesure où celle‑ci relève du champ d’application de cet instrument (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 23 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 3 juillet 2014, Tudoran, C‑92/14, EU:C:2014:2051, points 28 à 32).

33 En outre, de façon plus spécifique, il ressort clairement de la structure même de la directive 93/13 que l’appréciation éventuelle du caractère abusif d’une clause au regard des dispositions de celle-ci, et notamment de son article 4, exige de déterminer, au préalable, si la clause concernée relève du champ d’application de cette directive, en particulier au regard de l’exclusion de ce champ qui est énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive.

34 C’est pourquoi, dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, points 30 à 32), la Cour a indiqué qu’il appartenait à la juridiction nationale saisie d’apprécier, eu égard à la nature, à l’économie générale et aux stipulations des contrats de prêt concernés ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel ces derniers s’inscrivaient, si la clause en cause au principal, aux termes de laquelle le crédit devait être remboursé dans la même devise que celle dans
laquelle il avait été accordé, reflétait des dispositions impératives du droit national, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, puis, seulement dans le cas où cette juridiction constaterait que la clause concernée n’était pas couverte par l’exclusion prévue à cette disposition, de se pencher sur l’application de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

35 Dans la présente procédure, le gouvernement roumain et la Commission ont, certes, formulé des réserves concernant le fait qu’une clause telle que celle en cause au principal, dont le contenu est mentionné au point 8 de la présente ordonnance, relève effectivement de l’exception établie à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13.

36 Cependant, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que celle-ci considère, d’une part, qu’une telle clause reflète le principe du nominalisme monétaire consacré à l’article 1578 du code civil, et d’autre part, que cet article constitue une disposition législative de nature supplétive, au sens de la jurisprudence visée au point 27 de la présente ordonnance, à savoir une disposition s’appliquant à un contrat lorsque les parties contractantes n’ont pas procédé à un arrangement
différent entre elles.

37 À cet égard, il y a lieu d’observer que, dans un contexte analogue afférent à la même disposition nationale que celle visée dans l’affaire au principal, la même conception avait été retenue par la juridiction de renvoi roumaine qui avait saisi la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania (C‑81/19, EU:C:2020:532, point 30).

38 Il résulte de cette qualification juridique, qu’il appartient uniquement aux juridictions nationales saisies d’effectuer, que la clause contractuelle dont le caractère abusif est allégué par les requérants au principal reflète une disposition de droit national qui est de nature supplétive, de sorte que cette clause relève de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 et n’est donc pas couverte par le champ d’application de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du
9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 31 et 37).

39 Par ailleurs, il convient de préciser, d’une part, que la circonstance que les parties contractantes aient la possibilité de déroger à une disposition de droit national de nature supplétive, comme tel serait le cas en l’occurrence selon le gouvernement roumain et la Commission, est sans pertinence aux fins de déterminer si une clause contractuelle reflétant une telle disposition est exclue, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, du champ d’application de celle-ci (voir,
en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, point 35).

40 D’autre part, le fait qu’une clause contractuelle reflétant l’une des dispositions de droit national visées à cet article 1er, paragraphe 2, n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, comme tel serait le cas en l’occurrence selon le gouvernement roumain, n’a pas d’incidence sur son exclusion du champ d’application de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, point 36).

41 Enfin, s’agissant de l’incidence éventuelle de l’exigence de transparence découlant de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, évoquée en particulier dans le cadre de la seconde question posée, il n’y a pas lieu que la Cour se prononce à cet égard car, dès lors que la juridiction de renvoi considère que la clause en cause au principal reflète une disposition de droit national qualifiée de supplétive, ladite clause n’est pas soumise aux dispositions de cette directive, en vertu de
l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, point 38).

42 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un litige portant sur une clause contractuelle prétendument abusive qui reflète une disposition de droit national de nature supplétive, elle est tenue d’examiner en priorité l’incidence de l’exclusion du champ d’application de cette
directive prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, et non l’incidence de l’exception à l’appréciation du caractère abusif de clauses contractuelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

Sur les dépens

43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’un litige portant sur une clause contractuelle prétendument abusive qui reflète une disposition de droit national de nature supplétive, elle est tenue d’examiner en priorité l’incidence de l’exclusion du champ
d’application de cette directive prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, et non l’incidence de l’exception à l’appréciation du caractère abusif de clauses contractuelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-364/19
Date de la décision : 14/04/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunalul Galaţi.

Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Exclusion du champ d’application de cette directive des clauses contractuelles reflétant des dispositions de droit national impératives – Article 4, paragraphe 2 – Exception à l’appréciation du caractère abusif d’une clause – Contrat de crédit libellé en devise étrangère – Manquement allégué à l’obligation d’information pesant sur un professionnel – Examen par la juridiction nationale à effectuer en priorité au regard de l’article 1er, paragraphe 2.

Protection des consommateurs

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : XU e.a.
Défendeurs : SC Credit Europe Ipotecar IFN SA et Credit Europe Bank NV.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:306

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