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24/03/2021 | CJUE | N°C-870/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Prefettura Ufficio territoriale del governo di Firenze contre MI et TB., 24/03/2021, C-870/19


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Appareil de contrôle dans le domaine des transports par route – Règlement (CEE) no 3821/85 – Article 15, paragraphe 7 – Règlement (CE) no 561/2006 – Procédure de contrôle – Sanction administrative – Défaut de présentation des feuilles d’enregistrement du tachygraphe relatives à la journée en cours et aux 28 jours précédents – Infraction unique ou multiple »

Dans les affaires jointes C‑870/19 et C

‑871/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Cor...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Appareil de contrôle dans le domaine des transports par route – Règlement (CEE) no 3821/85 – Article 15, paragraphe 7 – Règlement (CE) no 561/2006 – Procédure de contrôle – Sanction administrative – Défaut de présentation des feuilles d’enregistrement du tachygraphe relatives à la journée en cours et aux 28 jours précédents – Infraction unique ou multiple »

Dans les affaires jointes C‑870/19 et C‑871/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décisions du 19 septembre 2019, parvenues à la Cour le 26 novembre 2019, dans les procédures

Prefettura Ufficio territoriale del governo di Firenze

contre

MI (C‑870/19),

TB (C‑871/19),

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. E. Juhász (rapporteur) et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour MI et TB, par Me G. Beghin, avvocato,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Greco, avvocato dello Stato,

– pour le gouvernement hellénique, par Mmes I. Kotsoni, S. Chala et E. Skandalou ainsi que par M. K. Georgiadis, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. L. Malferrari et Mme C. Vrignon, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 7, du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 8), tel que modifié par le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006 (JO 2006, L 102, p. 1) (ci-après le « règlement no 3821/85 »).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant la Prefettura Ufficio territoriale del governo di Firenze (préfecture, bureau territorial du gouvernement de Florence, Italie) à, respectivement, MI (affaire C-870/19) et TB (affaire C-871/19), deux conducteurs de véhicules de transport par route, au sujet de plusieurs sanctions administratives infligées à ces derniers pour des infractions à la réglementation relative au respect de la durée de conduite et aux temps de repos.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 3821/85

3 Le règlement no 3821/85 a abrogé et remplacé le règlement (CEE) no 1463/70 du Conseil, du 20 juillet 1970, concernant l’introduction d’un appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1970, L 164, p. 1). Le règlement no 3821/85 a lui-même été abrogé et remplacé par le règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement no 3821/85 et modifiant le règlement no 561/2006 (JO
2014, L 60, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits au principal, il y a lieu d’avoir égard au règlement no 3821/85.

4 Les troisième, septième et onzième considérants du règlement no 3821/85 étaient ainsi libellés :

« [C]onsidérant que l’utilisation d’un appareil de contrôle susceptible d’indiquer les groupes de temps visés dans le règlement (CEE) no 3820/85, du 20 décembre 1985, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route [(JO 1985, L 370, p. 1)], est de nature à assurer un contrôle efficace de ces dispositions ;

[...]

considérant qu’un enregistrement automatique d’autres éléments de la marche du véhicule, tels que vitesse et parcours, peut contribuer sensiblement à la sécurité routière et à la conduite rationnelle du véhicule et que, par conséquent, il paraît opportun de prévoir que l’appareil enregistre également ces éléments ;

[...]

considérant que les objectifs susvisés de contrôle des temps de travail et de repos nécessitent que les employeurs et les conducteurs soient tenus [de] veiller au bon fonctionnement de l’appareil en exécutant avec soin les opérations requises par la réglementation ».

5 L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement disposait :

« L’appareil de contrôle est installé et utilisé sur les véhicules affectés au transport par route de voyageurs ou de marchandises et immatriculés dans un État membre, à l’exception des véhicules visés à l’article 3 du règlement [...] no 561/2006 [...] »

6 L’article 13 dudit règlement prévoyait :

« L’employeur et les conducteurs veillent au bon fonctionnement et à la bonne utilisation, d’une part, de l’appareil de contrôle et, d’autre part, de la carte de conducteur au cas où le conducteur est appelé à conduire un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I B. »

7 L’article 14, paragraphes 1 et 2, du même règlement était ainsi libellé :

« 1.   L’employeur délivre aux conducteurs de véhicules équipés d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I un nombre suffisant de feuilles d’enregistrement, compte tenu du caractère individuel de ces feuilles, de la durée du service et de l’obligation de remplacer éventuellement les feuilles endommagées ou celles saisies par un agent chargé du contrôle. L’employeur ne remet aux conducteurs que des feuilles d’un modèle homologué aptes à être utilisées dans l’appareil installé à bord du
véhicule.

Au cas où le véhicule est équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I B, l’employeur et le conducteur veillent à ce que, compte tenu de la durée du service, l’impression sur demande visée à l’annexe I B puisse s’effectuer correctement en cas de contrôle.

2.   L’entreprise conserve, par ordre chronologique et sous une forme lisible, les feuilles d’enregistrement, ainsi que les sorties imprimées chaque fois que de telles sorties imprimées sont produites en application de l’article 15, paragraphe 1, pendant au moins un an après leur utilisation et en remet une copie aux conducteurs concernés qui en font la demande. [...] »

8 L’article 15 du règlement no 3821/85 prévoyait :

« [...]

2.   Les conducteurs utilisent les feuilles d’enregistrement ou les cartes de conducteur chaque jour où ils conduisent, dès le moment où ils prennent en charge le véhicule. La feuille d’enregistrement ou la carte de conducteur n’est pas retirée avant la fin de la période de travail journalière, à moins que son retrait ne soit autrement autorisé. Aucune feuille d’enregistrement ou carte de conducteur ne peut être utilisée pour une période plus longue que celle pour laquelle elle a été destinée.

[...]

7.   

a) Lorsque le conducteur conduit un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I, il doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle :

i) les feuilles d’enregistrement de la semaine en cours et celles qu’il a utilisées au cours des quinze jours précédents ;

ii) la carte de conducteur s’il est titulaire d’une telle carte ; et

iii) toute information recueillie manuellement et toute sortie imprimée pendant la semaine en cours et pendant les quinze jours précédents, tels que prévus par le présent règlement et par le règlement [...] no 561/2006.

Toutefois, après le 1er janvier 2008, les durées visées aux points i) et iii) couvrent la journée en cours et les 28 jours précédents.

b) Lorsque le conducteur conduit un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I B, il doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle :

i) la carte de conducteur dont il est titulaire ;

ii) toute information recueillie manuellement et toute sortie imprimée pour la semaine en cours et pour les quinze jours précédents, tels que prévus par le présent règlement et par le règlement [...] no 561/2006 ; et

iii) les feuilles d’enregistrement correspondant à la même période que celle visée au point ii), dans le cas où il aurait conduit, pendant cette période, un véhicule équipé d’un appareil d’enregistrement conforme à l’annexe I.

Toutefois, après le 1er janvier 2008, les durées visées au point ii) couvrent la journée en cours et les 28 jours précédents.

c) Un agent de contrôle habilité peut vérifier le respect du règlement [...] no 561/2006 en analysant les feuilles d’enregistrement, les données affichées ou imprimées qui ont été enregistrées par l’appareil de contrôle ou par la carte de conducteur ou, à défaut, en analysant tout autre document probant témoignant du non-respect de dispositions telles que celles prévues à l’article 16, paragraphes 2 et 3.

[...] »

9 L’article 19, paragraphe 1, du règlement no 3821/85 prévoyait :

« Les États membres arrêtent, en temps utile, après consultation de la Commission, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à l’exécution du présent règlement.

Ces dispositions portent, entre autres, sur l’organisation, la procédure et les instruments de contrôle ainsi que sur les sanctions applicables en cas d’infraction. »

10 L’annexe I de ce règlement comportait un point I, intitulé « Définitions », ainsi libellé :

« Aux termes de la présente annexe, on entend par :

a) “appareil de contrôle” :

appareil destiné à être installé à bord de véhicules routiers pour indiquer et enregistrer d’une manière automatique ou semi-automatique des données sur la marche de ces véhicules et sur certains temps de travail de leurs conducteurs ;

b) “feuille d’enregistrement” :

feuille conçue pour recevoir et fixer des enregistrements, à placer dans l’appareil de contrôle et sur laquelle les dispositifs scripteurs de celui-ci inscrivent de façon continue les diagrammes des données à enregistrer ;

[...] »

11 L’annexe I B dudit règlement comportait un point I, intitulé « Définitions », libellé comme suit :

« Aux fins de la présente annexe, on entend par :

[...]

t) “carte de conducteur” : une carte tachygraphique délivrée par les autorités d’un État membre à un conducteur donné ;

La carte de conducteur donne l’identité du conducteur et permet le stockage des données relatives à l’activité du conducteur.

[...]

ee) “appareil de contrôle” : l’ensemble des équipements destinés à être installés sur des véhicules routiers pour indiquer, enregistrer et stocker automatiquement ou semi-automatiquement des données concernant le mouvement de ces véhicules et certaines périodes de travail des conducteurs ;

[...] »

Le règlement no 561/2006

12 Les considérants 17, 26 et 27 du règlement no 561/2006 énoncent :

« (17) Le présent règlement vise à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général. [...]

[...]

(26) Les États membres devraient établir des règles concernant les sanctions frappant les infractions au présent règlement et veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent avoir un caractère effectif, proportionné, dissuasif et non discriminatoire. [...]

(27) Il est souhaitable, pour assurer une application claire et effective, d’établir des dispositions uniformes sur la responsabilité des entreprises de transport et des conducteurs pour les infractions au présent règlement. Cette responsabilité peut, selon le cas, aboutir à des sanctions pénales, civiles ou administratives dans les États membres. »

13 L’article 1er de ce règlement est ainsi libellé :

« Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de
contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »

14 L’article 6 dudit règlement fixe les durées maximales de conduite journalières, hebdomadaires et sur deux semaines consécutives, tandis que les articles 7 et 8 de celui-ci sont relatifs aux pauses et aux temps de repos.

15 L’article 19 du même règlement dispose :

« 1.   Les États membres établissent des règles concernant les sanctions pour infraction au présent règlement et au règlement [...] no 3821/85 et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires. Aucune infraction au présent règlement ou au règlement [...] no 3821/85 ne donne lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure. Les États membres notifient à la Commission
ces mesures ainsi que le régime des sanctions au plus tard à la date visée à l’article 29, second alinéa. La Commission informe les États membres en conséquence.

[...]

4.   Les États membres veillent à ce qu’un système de sanctions proportionné, qui peut inclure des sanctions financières, soit mis en place en cas d’infraction au présent règlement ou au règlement [...] no 3821/85 par des entreprises ou des expéditeurs associés, chargeurs, tour-opérateurs, commissionnaires de transport, sous-traitants et agences employant des conducteurs qui leur sont associés. »

La directive 2006/22

16 L’article 9, intitulé « Système de classification par niveau de risque », de la directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du no 3820/85 et no 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35), telle que modifiée par la directive 2009/5/CE de la Commission, du 30 janvier
2009 (JO 2009, L 29, p. 45) (ci-après la « directive 2006/22 »), dispose :

« 1.   Les États membres mettent en place un système de classification des entreprises par niveau de risque, fondé sur le nombre relatif et la gravité relative des infractions aux règlements [...] no 3820/85 ou [...] no 3821/85 commises par chaque entreprise. La Commission apporte son soutien au dialogue entre les États membres afin d’encourager l’uniformité de ces systèmes de classification.

2.   Les entreprises classées “à haut risque” font l’objet de contrôles plus étroits et plus fréquents. Les critères et les modalités d’application de ce système sont examinés par le comité visé à l’article 12, en vue d’établir un système d’échange d’informations sur les meilleures pratiques.

3.   Une première liste d’infractions aux règlements [...] no 3820/85 et [...] no 3821/85 figure à l’annexe III.

Afin de fournir des lignes directrices concernant l’appréciation des infractions aux règlements [...] no 3820/85 et [...] no 3821/85, la Commission peut, le cas échéant, conformément à la procédure visée à l’article 12, paragraphe 2, adapter l’annexe III de manière à établir des lignes directrices sur une échelle commune d’infractions classées en différentes catégories selon leur gravité.

[...] »

17 L’annexe III de la directive 2006/22, intitulée « Infractions », comporte un tableau qui « contient des lignes directrices sur une échelle commune d’infractions aux règlements [...] no 561/[2006] et [...] no 3821/85, classées en différentes catégories en fonction de leur gravité ». Le point 2 de ce tableau, intitulé « Groupes d’infractions au règlement [...] no 3821/85 », comprend un point I, qui énumère sept types d’infractions à l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85, liées au
défaut de présentation de documents et toutes qualifiées d’« infractions très graves (ITG) ». Ces infractions sont, respectivement aux points I1 à I7 dudit tableau, libellées comme suit :

« I1 Article 15, paragraphe 7 Refus d’être contrôlé
I2 Article 15, paragraphe 7 Incapacité de présenter les informations relatives à la journée en cours
I3   Incapacité de présenter les informations relatives aux 28 jours précédents
I4   Incapacité de présenter les informations relatives à la carte de conducteur si le conducteur en détient une
I5   Incapacité de présenter les informations recueillies manuellement et les sorties imprimées pendant la journée en cours et les 28 jours précédents
I6   Incapacité de présenter la carte de conducteur
I7   Incapacité de présenter les sorties imprimées pendant la journée en cours et les 28 jours précédents »

Le droit italien

18 En vertu de l’article 19 de la legge n. 727 – Attuazione del regolamento [...] n. 1463/70 [...], e successive modificazioni e integrazioni, relativo alla istituzione di uno speciale apparecchio di misura destinato al controllo degli impieghi temporali nel settore dei trasporti su strada (loi no 727 mettant en œuvre le règlement no 1463/70, tel que modifié et complété, concernant l'introduction d’un appareil de mesure spécial destiné à contrôler le respect des horaires de travail dans le secteur
du transport routier), du 13 novembre 1978 (GURI no 328, du 23 novembre 1978, ci-après la « loi no 727/1978 »), toute personne qui contrevient aux dispositions du règlement no 1463/70, tel que modifié et complété, ainsi qu’aux dispositions de cette loi et de ses règlements d’application pour lesquelles aucune sanction spécifique n’est prévue, fera l’objet d’une sanction administrative.

19 Il ressort du dossier que le montant maximal de cette sanction administrative, susceptible d’être appliquée au principal, correspond au double du montant minimal de ladite sanction et ne dépasse pas 100 euros.

Les litiges au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

20 Lors de deux contrôles routiers, effectués le 26 juillet et le 8 août 2013 en Italie, les autorités nationales compétentes ont constaté que respectivement MI (affaire C‑870/19) et TB (affaire C‑871/19), en leur qualité de conducteurs de véhicules de transport par route, n’étaient pas en mesure de présenter les feuilles d’enregistrement du tachygraphe installé à bord de leur véhicule, relatives à la journée en cours et à plusieurs des 28 journées précédentes.

21 Ces autorités ont ainsi infligé plusieurs sanctions administratives à MI et à TB, au titre d’un certain nombre d’infractions à la loi no 727/1978.

22 Dans chacune de ces affaires, la juridiction de première instance compétente a rejeté les recours de MI et de TB contre ces décisions.

23 À la suite de l’appel desdites décisions interjeté par MI et TB devant le Tribunale di Firenze (tribunal de Florence, Italie), ce dernier a, par arrêts du 26 juillet 2016, considéré que MI et TB n’avaient commis qu’une seule infraction à la loi no 727/1978, à savoir ne pas avoir été en mesure de présenter les documents requis relatifs à la période concernée. Ce tribunal a, partant, ramené leur condamnation à une seule sanction.

24 La préfecture, bureau territorial du gouvernement de Florence, a saisi la juridiction de renvoi, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), d’un pourvoi contre chacun de ces deux arrêts du Tribunale di Firenze (tribunal de Florence). À l’appui de ses deux pourvois, elle fait valoir que, lorsque le conducteur n’est pas en mesure de produire un certain nombre des feuilles d’enregistrement du tachygraphe installé à bord du véhicule en ce qui concerne la journée en cours et les
28 jours précédents, ce conducteur ne doit pas se voir infliger une sanction unique du chef d’une infraction unique, mais plusieurs sanctions portant sur chacune des périodes plus brèves comprises dans cette période globale couvrant la journée en cours et les 28 jours précédents et pour lesquelles ledit conducteur n’est pas en mesure de produire ces documents.

25 La juridiction de renvoi précise qu’il existe, en Italie, des milliers de litiges identiques aux affaires au principal et que, eu égard à la jurisprudence nationale divergente en la matière, les litiges au principal devraient être tranchés par un arrêt de principe.

26 Cette juridiction indique que MI et TB ont violé l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 et que la solution des litiges au principal dépend de l’interprétation de cette disposition.

27 En effet, si ladite disposition devait être interprétée en ce sens qu’elle impose au conducteur une seule obligation, consistant à être en mesure, en cas de contrôle, de produire l’intégralité des feuilles d’enregistrement portant sur l’ensemble de la période pertinente, la violation de cette même disposition serait constitutive d’une infraction unique et celle-ci ne pourrait donner lieu qu’à l’infliction d’une seule sanction.

28 Au contraire, si l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 devait être interprété en ce sens qu’il prévoit de multiples obligations, les violations de celles-ci pourraient donner lieu à autant d’infractions qu’il y aurait de jours, ou de groupes de jours, pendant la période constituée de la journée du contrôle et des 28 jours précédents, pour lesquels les feuilles d’enregistrement n’ont pas été présentées.

29 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, libellée de manière identique dans chacune des deux affaires jointes :

« L’article 15, [paragraphe 7, du règlement no 3821/85] peut-il être interprété, dans le cas spécifique du conducteur du véhicule, en ce sens qu’il impose un comportement unique global dont le non-respect implique une infraction unique et l’application d’une seule sanction, ou bien peut-il donner lieu, en appliquant le cumul matériel, à autant d’infractions et de sanctions qu’il y a de jours pour lesquels les feuilles d’enregistrement du tachygraphe n’ont pas été produites, dans le cadre de la
période prévue (“la journée en cours et les 28 jours précédents”) ? »

30 Par décision du président de la Cour du 23 décembre 2019, les affaires C‑870/19 et C‑871/19 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et de l’arrêt.

Sur la question préjudicielle

31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 et l’article 19 du règlement no 561/2006 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de non-présentation, par le conducteur d’un véhicule de transport par route faisant l’objet d’un contrôle, des feuilles d’enregistrement de l’appareil de contrôle relatives à plusieurs jours d’activité au cours de la période couvrant la journée du contrôle et les 28 jours précédents, les
autorités compétentes de l’État membre du lieu du contrôle doivent infliger à ce conducteur une sanction unique, au titre d’une infraction unique, ou plusieurs sanctions distinctes, au titre de plusieurs infractions distinctes dont le nombre correspondrait à celui des feuilles d’enregistrement manquantes.

32 Les règlements nos 3821/85 et 561/2006 ont pour objectifs, d’une part, l’amélioration des conditions de travail des conducteurs auxquels s’appliquent ces règlements ainsi que de la sécurité routière en général et, d’autre part, l’établissement de règles uniformes relatives aux durées de conduite et aux temps de repos des conducteurs ainsi que leur contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, point 25).

33 À cette fin, lesdits règlements prévoient un ensemble de mesures, notamment des règles uniformes relatives aux durées de conduite et aux temps de repos des conducteurs ainsi que leur contrôle, dont le respect doit être garanti par les États membres par l’application d’un système de sanctions pour toute infraction à ceux‑ci.

34 Aux termes du considérant 11 du règlement no 3821/85, les objectifs de contrôle des temps de travail et de repos nécessitent que les employeurs et les conducteurs soient tenus de veiller au bon fonctionnement de l’appareil de contrôle en exécutant avec soin les opérations requises par la réglementation.

35 Ainsi qu’il ressort de l’annexe I et de l’annexe I B de ce règlement, l’appareil de contrôle installé à bord des véhicules de transport routier, dont le fonctionnement peut être analogique ou numérique, doit permettre d’indiquer et d’enregistrer certaines données relatives à la marche de ces véhicules ainsi qu’aux périodes de conduite de leurs conducteurs.

36 Dans le cas où le véhicule de transport routier est équipé d’un appareil de contrôle analogique, ces données sont enregistrées sur une feuille d’enregistrement insérée dans l’appareil. Lorsque le véhicule est équipé d’un appareil de contrôle numérique, lesdites données sont stockées sur la carte de conducteur.

37 L’article 15, paragraphe 2, dudit règlement dispose que les conducteurs utilisent les feuilles d’enregistrement ou les cartes de conducteur chaque jour où ils conduisent, dès le moment où ils prennent en charge le véhicule, et que la feuille d’enregistrement ou la carte de conducteur n’est pas retirée avant la fin de la période de travail journalière, à moins que son retrait ne soit autrement autorisé.

38 C’est en relation avec cette obligation que l’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement no 3821/85 prévoit que, à la demande des autorités de contrôle, le conducteur d’un véhicule équipé d’un appareil de contrôle analogique est notamment tenu de présenter, après le 1er janvier 2008, les feuilles d’enregistrement de la journée en cours ainsi que des 28 jours précédents.

39 Conformément à son libellé, l’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement no 3821/85 institue, s’agissant des feuilles d’enregistrement, une obligation, en vertu de laquelle le conducteur doit être en mesure de présenter les feuilles d’enregistrement relatives à la période couvrant la journée du contrôle et les 28 jours précédents. Cette disposition établit une obligation unique couvrant l’ensemble de cette période totale et non pas plusieurs obligations distinctes au titre de chacune des
journées visées ou au titre de chacune des feuilles d’enregistrement correspondantes.

40 Ainsi, la violation de l’obligation instaurée par l’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement no 3821/85 constitue une infraction unique et instantanée, consistant dans l’impossibilité, pour le conducteur concerné, de présenter, au moment du contrôle, tout ou partie de ces 29 feuilles d’enregistrement. Cette infraction ne saurait donner lieu qu’à une seule sanction.

41 En effet, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, aucune infraction au règlement no 3821/85 ne donne lieu à plus d’une sanction.

42 Cette interprétation n’est pas remise en cause par les dispositions de l’annexe III de la directive 2006/22. En effet, dans sa version applicable aux litiges au principal, cette annexe III ne visait pas à établir une liste précise et exhaustive des infractions aux règlements nos 3821/85 et 561/2006, mais se bornait à établir, à destination des États membres, des lignes directrices sur une échelle commune d’infractions à ces règlements. Par conséquent, ces lignes directrices ne sauraient déroger à
l’interprétation de l’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement no 3821/85 découlant de son libellé, telle qu’elle ressort des points 39 et 40 du présent arrêt.

43 Les objectifs poursuivis par les règlements nos 3821/85 et 561/2006, rappelés aux points 32 et 33 du présent arrêt, ne sont pas non plus de nature à infirmer l’interprétation ressortant du libellé de l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85.

44 Il ressort des considérations qui précèdent que, lorsque, à l’occasion d’un contrôle, le conducteur d’un véhicule de transport par route n’est pas en mesure de présenter les feuilles d’enregistrement du tachygraphe relatives à la journée en cours et aux 28 jours précédents, ce comportement constitue une infraction unique qui doit entraîner une sanction unique.

45 Eu égard aux circonstances du litige au principal, évoquées au point 19 du présent arrêt, il convient encore de rappeler que, en vertu de l’article 19 du règlement no 561/2006, les sanctions pour infraction aux règlements nos 3821/85 et 561/2006 doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires. À cet égard, il importe de souligner qu’un manquement à l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 ne saurait être considéré comme une infraction mineure (voir, en ce
sens, arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, points 33 et 34). Par conséquent, la sanction prévue pour ce manquement doit être suffisamment élevée, eu égard à la gravité de cette infraction, afin que celle-ci puisse déployer un réel effet dissuasif.

46 En outre, un manquement à l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 est d’autant plus grave que le nombre de feuilles d’enregistrement qui ne peuvent être présentées par le conducteur est élevé. En effet, un tel manquement empêche le contrôle effectif des conditions de travail des conducteurs et du respect de la sécurité routière sur plusieurs jours.

47 Partant, afin de respecter l’exigence de proportionnalité des sanctions imposée par l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, la sanction doit être suffisamment modulable en fonction de la gravité de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, points 33 et 41).

48 Dans l’hypothèse où le montant de l’amende applicable à une telle violation en vertu du droit d’un État membre serait insuffisant pour avoir un effet dissuasif, la juridiction nationale serait tenue, en vertu du principe d’interprétation conforme du droit interne, de donner à ce droit, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union. L’application de ce principe par la juridiction nationale permet à cette dernière d’assurer, dans le cadre de ses
compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle tranche le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2020, Association française des usagers de banques, C‑778/18, EU:C:2020:831, point 59 et jurisprudence citée).

49 Toutefois, cette juridiction devra également veiller à respecter le principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Selon la jurisprudence de la Cour, ce principe exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à
l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 40).

50 Il s’ensuit que, même si le montant maximal de l’amende susceptible d’être imposée dans les affaires au principal apparaissait à la juridiction nationale comme insuffisamment élevé pour avoir des effets dissuasifs, cette juridiction ne pourrait pas imposer plusieurs sanctions, portant chacune sur un ou plusieurs jours compris dans la période couvrant la journée du contrôle et les 28 jours précédents.

51 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85 et l’article 19 du règlement no 561/2006 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de non-présentation, par le conducteur d’un véhicule de transport par route faisant l’objet d’un contrôle, des feuilles d’enregistrement de l’appareil de contrôle relatives à plusieurs jours d’activité au cours de la période couvrant la journée du contrôle
et les 28 jours précédents, les autorités compétentes de l’État membre du lieu de contrôle sont tenues de ne constater qu’une infraction unique dans le chef de ce conducteur et de ne lui infliger qu’une seule sanction au titre de celle-ci.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  L’article 15, paragraphe 7, du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route, tel que modifié par le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, et l’article 19 du règlement no 561/2006 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de non-présentation, par le conducteur d’un véhicule de transport par route faisant l’objet d’un contrôle, des feuilles d’enregistrement de
l’appareil de contrôle relatives à plusieurs jours d’activité au cours de la période couvrant la journée du contrôle et les 28 jours précédents, les autorités compétentes de l’État membre du lieu de contrôle sont tenues de ne constater qu’une infraction unique dans le chef de ce conducteur et de ne lui infliger qu’une seule sanction au titre de celle-ci.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-870/19
Date de la décision : 24/03/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par la Corte suprema di cassazione.

Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Appareil de contrôle dans le domaine des transports par route – Règlement (CEE) no 3821/85 – Article 15, paragraphe 7 – Règlement (CE) no 561/2006 – Procédure de contrôle – Sanction administrative – Défaut de présentation des feuilles d’enregistrement du tachygraphe relatives à la journée en cours et aux 28 jours précédents – Infraction unique ou multiple.

Transports

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Prefettura Ufficio territoriale del governo di Firenze
Défendeurs : MI et TB.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Juhász

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:233

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