ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
17 mars 2021 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Champ d’application – Article 8, paragraphe 1, sous c) – Notion de “jugement exécutoire” – Infraction ayant donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction d’un État tiers – Royaume de Norvège – Jugement reconnu et exécuté par l’État d’émission en vertu d’un accord bilatéral – Article 4, point 7, sous b) – Motifs de non-exécution facultative du mandat
d’arrêt européen – Caractère extraterritorial de l’infraction »
Dans l’affaire C‑488/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 24 juin 2019, parvenue à la Cour le 26 juin 2019, dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre
JR,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader, MM. M. Safjan et N. Jääskinen, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Minister for Justice and Equality, par Mme M. Browne, en qualité d’agent,
– pour JR, par M. K. Kelly, BL, M. M. Forde, SC, et M. T. Hughes, solicitor,
– pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et G. Hodge ainsi que par M. A. Joyce et Mme J. Quaney, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Wilderspin et R. Troosters ainsi que par Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 17 septembre 2020,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’applicabilité de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 ») ainsi que sur l’interprétation de l’article 4, point 1 et point 7, sous b), de celle-ci.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Irlande, d’un mandat d’arrêt européen émis contre JR, afin que celui-ci purge, en Lituanie, une peine privative de liberté à laquelle il a été condamné par une juridiction norvégienne pour trafic de stupéfiants. Ce jugement a été reconnu par la République de Lituanie en vertu de l’accord bilatéral sur la reconnaissance et l’exécution des jugements en matière pénale imposant des peines d’emprisonnement ou des mesures de privation de
liberté, conclu le 5 avril 2011 entre le Royaume de Norvège et la République de Lituanie (ci-après l’« accord bilatéral du 5 avril 2011 »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord sur l’Espace économique européen
3 Le Royaume de Norvège est partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).
L’accord relatif à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, du 18 mai 1999
4 Il ressort de l’article 2 de l’accord conclu par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, du 18 mai 1999 (JO 1999, L 176, p. 36), que la République d’Islande et le Royaume de Norvège mettent en œuvre et appliquent l’acquis de Schengen ainsi que les actes de l’Union visés par cet accord.
L’accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège
5 L’accord conclu entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2006, L 292, p. 2), approuvé, au nom de l’Union, par l’article 1er de la décision 2014/835/UE du Conseil, du 27 novembre 2014, relative à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part, relatif à la procédure de
remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2014, L 343, p. 1), est entré en vigueur le 1er novembre 2019.
6 Le préambule de cet accord annonce, notamment, que les parties contractantes expriment leur confiance mutuelle dans la structure et dans le fonctionnement de leurs systèmes juridiques et dans la capacité de toutes les parties contractantes à garantir un procès équitable.
La décision-cadre 2002/584
7 Les considérants 5 à 8 de la décision-cadre 2002/584 sont ainsi libellés :
« (5) L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition
actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
(6) Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.
(7) Comme l’objectif de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres agissant unilatéralement et peut donc, en raison de sa dimension et de ses effets, être mieux réalisé au niveau de l’Union, le Conseil peut adopter des mesures, conformément au principe de subsidiarité [...]
(8) Les décisions relatives à l’exécution du mandat d’arrêt européen doivent faire l’objet de contrôles suffisants, ce qui implique qu’une autorité judiciaire de l’État membre où la personne recherchée a été arrêtée devra prendre la décision de remise de cette dernière. »
8 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :
« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.
2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.
3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »
9 L’article 2 de ladite décision-cadre, relatif à son champ d’application, énonce :
« 1. Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois.
2. Les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission, donnent lieu à remise sur la base d’un mandat d’arrêt européen, aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait :
[...]
– trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes,
[...]
4. Pour les infractions autres que celles visées au paragraphe 2, la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci. »
10 Aux termes de l’article 4 de cette même décision-cadre, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen » :
« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :
1) si, dans l’un des cas visés à l’article 2, paragraphe 4, le fait qui est à la base du mandat d’arrêt européen ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution ; [...]
[...]
5) s’il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a été définitivement jugée pour les mêmes faits par un pays tiers, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois du pays de condamnation ;
[...]
7) lorsque le mandat d’arrêt européen porte sur des infractions qui :
a) selon le droit de l’État membre d’exécution, ont été commises en tout ou en partie sur le territoire de l’État membre d’exécution ou en un lieu considéré comme tel, ou
b) ont été commises hors du territoire de l’État membre d’émission et que le droit de l’État membre d’exécution n’autorise pas la poursuite pour les mêmes infractions commises hors de son territoire. »
11 L’article 4 bis de la décision-cadre 2002/584 régit l’exécution des mandats d’arrêt européens délivrés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision.
12 L’article 5 de cette décision-cadre permet de subordonner l’exécution d’un mandat d’arrêt européen à l’une des conditions visées à cet article.
13 L’article 8 de ladite décision-cadre, relatif au contenu et à la forme du mandat d’arrêt européen, prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :
[...]
c) l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ;
d) la nature et la qualification légale de l’infraction, notamment au regard de l’article 2 ;
e) la description des circonstances de la commission de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré de participation de la personne recherchée à l’infraction ;
f) la peine prononcée, s’il s’agit d’un jugement définitif, ou l’échelle de peines prévue pour l’infraction par la loi de l’État membre d’émission ;
[...] »
14 L’article 15 de cette même décision-cadre est ainsi libellé :
« 1. L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne.
2. Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, en particulier en relation avec les articles 3 à 5 et 8, et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter les délais fixés à l’article 17.
3. L’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution. »
15 L’article 31 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Relation avec d’autres instruments légaux », dispose :
« 1. Sans préjudice de leur application dans les relations entre États membres et États tiers, la présente décision-cadre remplace, à partir du 1er janvier 2004, les dispositions correspondantes des conventions suivantes, applicables en matière d’extradition dans les relations entre les États membres :
a) la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, son protocole additionnel du 15 octobre 1975, son deuxième protocole additionnel du 17 mars 1978, et la convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 pour autant qu’elle concerne l’extradition ;
[...]
2. Les États membres peuvent continuer d’appliquer les accords ou arrangements bilatéraux ou multilatéraux en vigueur au moment de l’adoption de la présente décision-cadre dans la mesure où ceux-ci permettent d’approfondir ou d’élargir les objectifs de celle-ci et contribuent à simplifier ou faciliter davantage les procédures de remise des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.
[...] »
La décision-cadre 2008/909/JAI
16 L’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), énonce :
« La présente décision-cadre vise à fixer les règles permettant à un État membre, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reconnaître un jugement et d’exécuter la condamnation. »
17 Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de cette décision-cadre :
« L’exécution d’une condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, les autorités de l’État d’exécution sont seules compétentes pour décider des modalités d’exécution et déterminer les mesures y afférentes, y compris en ce qui concerne les motifs de libération anticipée ou conditionnelle. »
La décision-cadre 2008/947/JAI
18 Le considérant 8 de la décision-cadre 2008/947/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution (JO 2008, L 337, p. 102), énonce :
« La reconnaissance mutuelle et la surveillance des peines assorties du sursis avec mise à l’épreuve, des condamnations sous condition, des peines de substitution et des décisions de libération conditionnelle visent à accroître les chances de réinsertion sociale de la personne condamnée en lui donnant la possibilité de conserver ses liens familiaux, linguistiques, culturels et autres ; l’objectif consiste toutefois également à améliorer le contrôle du respect des mesures de probation et des
peines de substitution dans le but de prévenir la récidive et de tenir ainsi compte du souci de protection des victimes et de la société en général. »
19 L’article 1er, paragraphe 1, de cette décision-cadre prévoit :
« La présente décision-cadre vise à faciliter la réhabilitation sociale des personnes condamnées, à améliorer la protection des victimes et de la société en général, et à faciliter l’application de mesures de probation et de peines de substitution appropriées lorsque l’auteur de l’infraction ne vit pas dans l’État de condamnation. En vue d’atteindre ces objectifs, la présente décision-cadre définit les règles selon lesquelles un État membre autre que celui où la personne a été condamnée reconnaît
les jugements et, le cas échéant, les décisions de probation et surveille les mesures de probation prononcées sur la base d’un jugement ou les peines de substitution qu’il comporte et prend toute autre décision en rapport avec ledit jugement, sauf si la présente décision-cadre en dispose autrement. »
Le droit irlandais
La loi de 2003 relative au mandat d’arrêt européen
20 L’European Arrest Warrant Act 2003 (loi de 2003 relative au mandat d’arrêt européen), dans sa version applicable au litige au principal, qui met en œuvre la décision-cadre 2002/584, prévoit à son article 5 :
« Aux fins de la présente loi, une infraction visée par un mandat d’arrêt européen correspond à une infraction au droit [irlandais] lorsque, s’il avait été commis [en Irlande] à la date à laquelle le mandat d’arrêt européen a été émis, l’acte ou l’omission qui constitue l’infraction ainsi visée constituerait une infraction au droit [irlandais]. »
21 L’article 10, sous d), de cette loi dispose :
« Lorsqu’une autorité judiciaire d’un État d’émission émet un mandat d’arrêt européen concernant une personne –
[...]
d) condamnée à une peine d’emprisonnement ou de détention dans cet État pour une infraction visée par le mandat d’arrêt européen, en vertu de la présente loi et conformément à ses dispositions, cette personne est arrêtée et remise à l’État d’émission ».
22 L’article 44 de ladite loi de 2003 énonce :
« En vertu de la présente loi, la remise est refusée si l’infraction visée dans le mandat d’arrêt européen émis à son égard a été commise ou prétendument commise ailleurs que dans l’État d’émission et que l’acte ou l’omission qui constitue l’infraction ne constitue pas une infraction au droit [irlandais] en ce qu’elle a été commise ailleurs qu’en [Irlande] ».
La loi de 1977 sur l’usage illicite de stupéfiants
23 Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la Misuse of Drugs Act, 1977 (loi de 1977 sur l’usage illicite de stupéfiants), dans sa version modifiée :
« Toute personne qui est en possession, légalement ou non, d’un stupéfiant aux fins de le vendre ou de le fournir de toute autre manière à une autre personne en violation des dispositions de l’article 5 de la présente loi commet une infraction. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
24 JR est un ressortissant lituanien. Au mois de janvier 2014, il a été arrêté en Norvège en possession d’une importante quantité de produits stupéfiants qu’il s’était engagé à livrer, depuis la Lituanie, en contrepartie d’une somme d’argent. Par jugement du 28 novembre 2014, il a été condamné par une juridiction norvégienne, à savoir le Heggen og Frøland tingrett (tribunal de district de Heggen et Frøland, Norvège), à une peine d’emprisonnement de quatre ans et six mois pour l’infraction de
« livraison illégale d’une très grande quantité de stupéfiants », réprimée par le code pénal norvégien. Ce jugement est devenu définitif.
25 Par jugement du 18 juin 2015, le Jurbarko rajono apylinkės teismas (tribunal de district de Jurbarkas, Lituanie) a, en vertu de l’accord bilatéral du 5 avril 2011, reconnu le jugement norvégien du 28 novembre 2014, afin que la condamnation puisse être exécutée en Lituanie.
26 Le 7 avril 2016, les autorités norvégiennes ont remis JR aux autorités lituaniennes.
27 Au mois de novembre 2016, les autorités compétentes ont procédé à la libération conditionnelle de JR, accompagnée de mesures de « surveillance intensive ». Celui-ci s’étant soustrait aux conditions qui lui avaient été imposées, le Marijampolės apylinkės teismo Jurbarko rūmai (tribunal de district de Marijampolė, chambre de Jurbarkas, Lituanie) a ordonné, par décision du 5 février 2018, l’exécution du reliquat de la peine d’emprisonnement, soit un an, sept mois et 24 jours.
28 JR a pris la fuite et s’est rendu en Irlande. Le 24 mai 2018, les autorités lituaniennes ont émis un mandat d’arrêt européen en vue de sa remise.
29 Au mois de janvier 2019, JR a été arrêté en Irlande et condamné à une peine d’emprisonnement pour des infractions commises dans cet État membre, liées à la possession de stupéfiants. Selon la juridiction de renvoi, à savoir la High Court (Haute Cour, Irlande), la fin de l’exécution de cette peine devait intervenir le 21 octobre 2019.
30 Parallèlement, la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen a été mise en œuvre. Devant la juridiction de renvoi, JR conteste sa remise aux autorités lituaniennes au motif que, d’une part, seul le Royaume de Norvège pouvait demander son extradition et que, d’autre part, en raison du caractère extraterritorial de l’infraction en cause, à savoir le fait que celle-ci a été commise dans un État autre que celui d’émission, en l’occurrence la Lituanie, l’Irlande devait refuser
d’exécuter le mandat.
31 La High Court (Haute Cour) estime que la décision-cadre 2002/584 doit être appliquée en l’espèce. Si la condamnation en cause a été prononcée dans un État tiers, elle a néanmoins été reconnue et exécutée dans un État membre. L’article 1er de cette décision-cadre permettrait donc à ce dernier État d’émettre un mandat d’arrêt européen afin d’exécuter la peine restante.
32 Toutefois, cette juridiction considère que, en ce qui concerne le motif de non-exécution invoqué par JR, elle doit examiner les conditions prévues à l’article 4, point 1 et point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584.
33 D’une part, conformément au point 1 de cet article, lorsque l’État d’émission n’a pas précisé que l’infraction en cause relève de l’article 2, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, il serait nécessaire de démontrer la double incrimination. À ce titre il conviendrait de vérifier si une personne transportant la quantité de stupéfiants livrée par JR commettrait une infraction au regard de la loi irlandaise. D’autre part, en vertu de l’article 4, point 7, sous b), de cette décision-cadre, il y
aurait lieu de vérifier, dans un premier temps, si l’infraction en cause, qui a été commise dans un État tiers, devait être qualifiée d’« extraterritoriale » et, le cas échéant, dans un second temps, si la loi irlandaise autorise la poursuite de telles infractions commises hors de son territoire.
34 S’agissant, en particulier, de l’extraterritorialité, la juridiction de renvoi s’interroge sur la pertinence de la circonstance que JR a procédé à des actes préparatoires dans l’État d’émission du mandat d’arrêt européen. Si ces actes devaient être pris en compte, aux fins de l’application de la décision-cadre 2002/584, l’infraction ne serait pas extraterritoriale et, partant, le motif de non-exécution facultative, prévu à l’article 4, point 7, sous b), de cette décision-cadre ne serait pas
applicable.
35 Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La décision-cadre [2002/584] est-elle applicable à une situation dans laquelle la personne recherchée a été condamnée et où une peine lui a été infligée dans un État tiers, mais dans laquelle en vertu d’un traité bilatéral entre cet État tiers et l’État d’émission, le jugement de l’État tiers a été reconnu dans l’État d’émission et exécuté en vertu des lois de l’État d’émission ?
2) Si tel est le cas, dans des circonstances dans lesquelles l’État membre d’exécution a appliqué, dans sa législation nationale, les motifs facultatifs de refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen figurant à l’article 4, point 1 et point 7, sous b), de la décision-cadre [2002/584], comment l’autorité judiciaire d’exécution doit-elle apprécier l’existence d’une infraction prétendument commise dans l’État tiers, alors que les circonstances entourant cette infraction montrent que des actes
préparatoires ont eu lieu dans l’État d’émission ? »
La procédure devant la Cour
36 La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence au titre des articles 107 et suivants du règlement de procédure de la Cour. Le 10 juillet 2019, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande.
37 À titre subsidiaire, la juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Cette demande a été rejetée par décision du président de la Cour du 12 août 2019.
38 Cette décision a été justifiée par le constat que la motivation des demandes de la juridiction de renvoi ne permettait pas à la Cour de déterminer si l’affaire nécessitait un traitement accéléré, circonstance qui a été communiquée à cette juridiction.
39 La juridiction de renvoi s’est, en effet, bornée à indiquer, à l’appui de ses demandes d’appliquer la procédure préjudicielle d’urgence et, à titre subsidiaire, la procédure accélérée, « que les réponses aux questions posées dans la présente demande “[sont] déterminante[s] pour l’appréciation de la situation juridique [du défendeur]”, et auront en particulier une incidence sur le point de savoir si le défendeur sera remis à la Lituanie ou remis en liberté lorsqu’une peine d’emprisonnement
nationale contre lui arrivera à échéance : aux environs du 21 octobre 2019. »
40 Toutefois, cette juridiction n’a aucunement précisé les motifs pour lesquels elle considère que les réponses de la Cour pourraient être déterminantes pour une éventuelle libération de JR et dans quelles circonstances une telle libération pourrait avoir lieu. En outre, il ne ressort pas de la décision de renvoi si, sur la base du mandat d’arrêt européen en cause, JR demeure ou devait demeurer effectivement en détention au-delà du 21 octobre 2019 ou si, à titre d’exemple, des mesures moins
contraignantes peuvent être ou ont été envisagées.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
41 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens qu’un mandat d’arrêt européen peut être émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui ordonne l’exécution, dans cet État membre, d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers lorsque, en application d’un accord bilatéral entre ces États, le
jugement en question a été reconnu par une décision d’une juridiction de l’État membre d’émission.
42 À titre préliminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584, le mandat d’arrêt européen contient l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2.
43 Il ressort de ces termes que le mandat d’arrêt européen doit se fonder sur une décision judiciaire nationale, ce qui implique qu’il s’agit d’une décision distincte de la décision d’émission dudit mandat d’arrêt européen (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi, C‑241/15, EU:C:2016:385, points 44 et 49). Une telle décision, qu’il s’agisse d’un jugement ou d’une autre décision judiciaire, doit nécessairement émaner d’une juridiction ou d’une autre autorité judiciaire d’un État membre
(voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2016, Özçelik, C‑453/16 PPU, EU:C:2016:860, points 32 et 33).
44 En effet, ainsi que l’a jugé la Cour, la décision-cadre ne s’applique qu’aux États membres et non aux États tiers (arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 42).
45 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, le 28 novembre 2014, une juridiction norvégienne a condamné JR, un ressortissant lituanien, à une peine privative de liberté de quatre ans et six mois, et que ce jugement a été reconnu et rendu exécutoire en Lituanie par une décision d’une juridiction lituanienne, adoptée le 18 juin 2015 en application de l’accord bilatéral du 5 avril 2011. Au mois de novembre 2016, les autorités lituaniennes ont procédé à la libération
conditionnelle de JR. Toutefois, au motif du non-respect des conditions de cette libération, l’exécution du reliquat de la peine d’emprisonnement a été ordonnée par décision du 5 février 2018. C’est sur le fondement de cette dernière décision que le mandat d’arrêt européen en cause a été émis.
46 Ainsi qu’il vient d’être relevé, aux points 43 et 44 du présent arrêt, un jugement rendu par une juridiction d’un État tiers ne saurait constituer, en tant que tel, le fondement d’un mandat d’arrêt européen.
47 Toutefois, un acte d’une juridiction de l’État d’émission qui reconnaît un tel jugement et qui le rend exécutoire ainsi que les décisions ultérieures adoptées par les autorités judiciaires de cet État en vue de l’exécution du jugement reconnu (ci-après les « actes de reconnaissance et d’exécution ») sont susceptibles de satisfaire aux exigences de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584.
48 À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que les actes de reconnaissance et d’exécution constituent des décisions judiciaires, au sens de ces dispositions, dès lors qu’ils ont été adoptés par les autorités judiciaires d’un État membre aux fins de l’exécution d’une condamnation à une peine privative de liberté (voir, par analogie, arrêt du 13 janvier 2021, MM, C‑414/20 PPU, EU:C:2021:4, points 53 et 57).
49 En deuxième lieu, dans la mesure où ces actes permettent l’exécution, dans ce même État membre, d’un jugement, il convient de les qualifier, selon les cas, de « jugement exécutoire » ou de « décision exécutoire ».
50 En troisième et dernier lieu, il découle de la finalité et de l’objet de ces mêmes actes, à savoir l’exécution d’une condamnation, qu’ils relèvent du champ d’application des articles 1er et 2 de la décision-cadre 2002/584, à condition que la condamnation en question prévoie une peine privative de liberté d’au moins quatre mois.
51 En effet, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort du point 44 des conclusions de Mme l’avocate générale, que le champ d’application des articles 1er et 2 de la décision-cadre 2002/584 est défini en fonction de de la finalité et de l’objet de la décision judiciaire destinée à servir de fondement à un mandat d’arrêt européen. À cet égard, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision-cadre qu’un tel mandat d’arrêt est émis aux fins de la remise d’une personne recherchée pour
l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté. En outre, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ladite décision-cadre, s’agissant de l’exécution d’une condamnation à une peine privative de liberté, l’émission d’un mandat d’arrêt européen est soumise à la condition que celle-ci soit d’au moins quatre mois.
52 En revanche, ces dispositions n’exigent pas que la peine à exécuter procède d’un jugement rendu par les juridictions de l’État membre d’émission ou par celles d’un autre État membre. Elles ne comportent ainsi aucun élément qui pourrait permettre de conclure à l’inapplicabilité de la décision-cadre 2002/584 dans l’hypothèse où la condamnation à une peine privative de liberté aurait été prononcée par une juridiction d’un État tiers et reconnue par une décision d’une juridiction de l’État membre
d’émission. Par conséquent, les articles 1er et 2 de la décision-cadre 2002/584 ne s’opposent pas à l’émission d’un mandat d’arrêt européen aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté d’au moins quatre mois sur le fondement d’actes de reconnaissance et d’exécution.
53 Par ailleurs, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, les règles du droit dérivé de l’Union doivent être interprétées et appliquées dans le respect des droits fondamentaux dont fait partie intégrante le respect des droits de la défense qui dérivent du droit à un procès équitable, consacré aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 60).
54 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a rappelé, au point 49 de ses conclusions, la décision-cadre 2002/584 doit faire l’objet d’une interprétation qui soit de nature à assurer le respect des droits fondamentaux des personnes concernées, sans que soit pour autant remise en cause l’effectivité du système de coopération judiciaire entre les États membres dont le mandat d’arrêt européen, tel que prévu par le législateur de l’Union, constitue l’un des éléments essentiels (arrêt du 10 août 2017, Tupikas,
C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 63).
55 Par conséquent, lorsque les autorités judiciaires d’un État membre émettent un mandat d’arrêt européen en vue d’assurer dans cet État membre l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un État tiers dont la décision a été reconnue dans ledit État membre, elles sont tenues de veiller au respect des exigences inhérentes au système du mandat d’arrêt européen en matière de procédure et de droits fondamentaux.
56 Ce système comporte une protection à deux niveaux dont doit bénéficier la personne recherchée, dès lors que, à la protection judiciaire prévue au premier niveau, lors de l’adoption d’une décision nationale, s’ajoute celle devant être assurée au second niveau, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, laquelle peut intervenir, le cas échéant, dans des délais brefs, après l’adoption de ladite décision judiciaire nationale (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi, C‑241/15,
EU:C:2016:385, point 56).
57 Cette protection implique qu’une décision satisfaisant aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective soit adoptée, à tout le moins, à l’un des deux niveaux de ladite protection [arrêt du 12 décembre 2019, Openbaar Ministerie (Procureur du Roi de Bruxelles), C‑627/19 PPU, EU:C:2019:1079, point 30].
58 Afin de satisfaire à ces exigences dans le cas où les autorités judiciaires d’un État membre reconnaissent un jugement par lequel une juridiction d’un État tiers a prononcé une condamnation à une peine privative de liberté et décident d’émettre, à la suite de cette reconnaissance, un mandat d’arrêt européen, le droit de cet État membre doit prévoir, au moins à l’un des deux niveaux de protection, un contrôle juridictionnel permettant de vérifier que, dans le cadre de la procédure ayant conduit à
l’adoption dans l’État tiers du jugement reconnu par la suite dans l’État d’émission, les droits fondamentaux de la personne condamnée et, en particulier, les obligations découlant des articles 47 et 48 de la Charte ont été respectés.
59 En cas de doute quant au respect des obligations énumérées au point précédent, il appartient à l’autorité judiciaire d’exécution de s’adresser, conformément à l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, à l’État membre d’émission pour que celui-ci lui fournisse les précisions nécessaires de nature à lui permettre de décider de la remise.
60 Par ailleurs, il convient d’observer que le litige au principal concerne un mandat d’arrêt européen qui a été émis sur le fondement des actes de reconnaissance et d’exécution d’un jugement rendu par une juridiction du Royaume de Norvège, État tiers qui entretient des relations privilégiées avec l’Union, dépassant le cadre d’une coopération économique et commerciale, dès lors qu’il est partie à l’accord sur l’Espace économique européen, participe au système d’asile européen commun, met en œuvre et
applique l’acquis de Schengen et a conclu avec l’Union l’accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège, entré en vigueur le 1er novembre 2019. Dans le cadre de ce dernier accord, les parties ont exprimé leur confiance mutuelle dans la structure et dans le fonctionnement de leurs systèmes juridiques ainsi que dans leur capacité à garantir un procès équitable.
61 À la lumière de tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens qu’un mandat d’arrêt européen peut être émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui ordonne l’exécution, dans cet État membre, d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers lorsque, en application d’un accord bilatéral entre ces
États, le jugement en question a été reconnu par une décision d’une juridiction de l’État membre d’émission. Toutefois, l’émission du mandat d’arrêt européen est soumise à la condition, d’une part, que la personne recherchée ait été condamnée à une peine privative de liberté d’au moins quatre mois et, d’autre part, que la procédure ayant conduit à l’adoption dans l’État tiers du jugement reconnu par la suite dans l’État membre d’émission ait respecté les droits fondamentaux et, en particulier,
les obligations découlant des articles 47 et 48 de la Charte.
Sur la seconde question
62 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, en présence d’un mandat d’arrêt européen qui a été émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui permet l’exécution dans cet État membre d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers, dans un cas où l’infraction visée a été commise sur le territoire de ce dernier État, la question
de savoir si cette infraction a été commise « hors du territoire de l’État membre d’émission » doit être résolue en prenant en considération la circonstance que des actes préparatoires ont eu lieu dans l’État membre d’émission.
63 Tout d’abord, il convient de préciser que le motif de non-exécution facultative prévu à l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, visé également par la juridiction de renvoi, ne saurait s’appliquer dans les circonstances de l’affaire au principal. En effet, eu égard à la description des faits opérée par la juridiction de renvoi, l’infraction en cause au principal relève de la catégorie d’infractions visée à l’article 2, paragraphe 2, cinquième tiret, de la décision-cadre 2002/584, à
savoir le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. En outre, il apparaît que les faits commis par JR sont punis en Lituanie et en Norvège d’une peine privative de liberté d’un maximum d’au moins trois ans. Partant, conformément à cette disposition, la remise de la personne recherchée doit avoir lieu sans contrôle de la double incrimination du fait.
64 Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que l’Irlande a adopté une disposition visant à transposer l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 dans son droit national, à savoir l’article 44 de la loi de 2003 relative au mandat d’arrêt européen. Cet article 44 dispose, en substance, que la remise est refusée si, d’une part, l’acte qui constitue l’infraction visée dans le mandat d’arrêt européen a été commis ailleurs que dans l’État membre d’émission et, d’autre part, un
tel acte ne constitue pas une infraction au droit irlandais s’il a été commis ailleurs qu’en Irlande.
65 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 permet de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen si deux conditions cumulatives sont remplies, à savoir, d’une part, l’infraction à l’origine de l’émission du mandat d’arrêt européen a été commise hors du territoire de l’État membre d’émission et, d’autre part, le droit de l’État membre d’exécution n’autoriserait pas la poursuite d’une telle infraction si celle-ci avait été commise hors
du territoire de cet État membre.
66 En ce qui concerne la première condition, qui fait seule l’objet des interrogations de la juridiction de renvoi, il convient de relever que la notion d’« infraction commise hors du territoire de l’État membre d’émission » ne comporte de référence ni au droit de l’État membre d’émission ni à celui de l’État d’exécution. Par conséquent, elle ne saurait être laissée à l’appréciation des autorités judiciaires de chaque État membre en fonction de leur droit national. En effet, il découle de l’exigence
d’application uniforme du droit de l’Union que, dans la mesure où l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 ne renvoie pas au droit des États membres en ce qui concerne cette notion, cette dernière doit trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 38).
67 Dans ce cadre, il y a lieu de tenir compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, Dworzecki, C‑108/16 PPU, EU:C:2016:346, point 28).
68 S’agissant, en premier lieu, de l’objectif du motif de non-exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen prévu à l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584, cette disposition a pour but de garantir que l’autorité judiciaire de l’État d’exécution ne soit pas obligée de faire droit à un mandat d’arrêt européen qui a été émis aux fins de l’exécution d’une peine prononcée pour une infraction poursuivie sur la base d’une compétence pénale internationale plus large que celle
reconnue par le droit de cet État.
69 Force est de constater que cet objectif n’est pas compromis lorsque, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission émet un mandat d’arrêt européen fondé sur une décision d’une juridiction de cet État membre qui reconnaît et rend exécutoire un jugement rendu par une juridiction d’un autre État, dans la mesure où cette dernière a, sur le fondement de sa propre compétence pénale territoriale, condamné la personne recherchée à une peine privative de
liberté.
70 En ce qui concerne, en second lieu, l’objectif de la décision-cadre 2002/584, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 1er, paragraphes 1 et 2, de même que de ses considérants 5 et 7, elle a pour objet de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, du 13 décembre 1957, par un système de remise entre autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de
poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle (arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi, C‑241/15, EU:C:2016:385, point 31).
71 La décision-cadre tend ainsi, par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres (arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi, C‑241/15, EU:C:2016:385,
point 32).
72 Ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 2, TUE, au sein de cet espace de liberté, de sécurité et de justice, est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. Dans ce contexte, la décision-cadre 2002/584 cherche, notamment, à éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction [voir, en ce sens, arrêts du
29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 23, et du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie), C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 86].
73 La réalisation de ces objectifs serait compromise si l’État d’exécution pouvait refuser la remise de la personne recherchée dans l’hypothèse où les juridictions de l’État membre d’émission ont reconnu et accepté d’exécuter le jugement rendu par une juridiction d’un autre État par lequel cette personne a été condamnée à une peine privative de liberté pour une infraction commise sur le territoire de ce dernier État. En effet, un tel refus serait non seulement susceptible de retarder l’exécution de
la peine, mais risquerait également de conduire à l’impunité de la personne recherchée.
74 En outre, une interprétation de l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 qui permettrait de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen dans la situation visée au point précédent du présent arrêt risquerait de nuire au fonctionnement des instruments de coopération judiciaire dont l’objectif est de faciliter la réinsertion des personnes condamnées, tels que la décision-cadre 2008/909.
75 Aux termes de son article 3, paragraphe 1, cette dernière vise à fixer les règles qui, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, permettent à un État membre de reconnaître un jugement et d’exécuter la condamnation prononcée par une juridiction d’un autre État membre. En particulier, il ressort de son article 17, paragraphe 1, que l’exécution d’une condamnation inclut l’adoption de décisions prévoyant la libération conditionnelle de la personne condamnée.
76 Ainsi, si l’interprétation de l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 évoquée aux points 73 et 74 du présent arrêt était retenue, la libération conditionnelle de la personne condamnée pourrait permettre à celle-ci de se soustraire à l’exécution du reliquat de la peine dans l’État qui a reconnu et qui exécute la condamnation en se déplaçant dans un autre État membre qui a transposé, dans son droit national, le motif de non-exécution facultative prévue à cette disposition. Le
risque d’impunité qui en résulterait est susceptible à la fois de décourager les États membres de demander la reconnaissance des jugements et d’inciter les autorités compétentes de l’État d’exécution d’un jugement reconnu de limiter le recours aux instruments de libération conditionnelle.
77 Les mêmes considérations s’appliquent mutatis mutandis à la décision-cadre 2008/947 qui définit les règles selon lesquelles un État membre autre que celui dans lequel la personne a été condamnée reconnaît les jugements et, le cas échéant, les décisions de probation et surveille les mesures de probation prononcées en application d’un jugement ou les peines de substitution que celui-ci prévoit, dès lors que, conformément à son article 1er, paragraphe 1, lu à la lumière de son considérant 8, cette
décision-cadre cherche à prévenir la récidive, à protéger tant les victimes que la société en général et à faciliter la réinsertion sociale des personnes condamnées.
78 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la question de savoir si l’infraction à l’origine de la condamnation prononcée dans un État tiers et reconnue par les juridictions de l’État membre ayant émis un mandat d’arrêt européen afin d’exécuter cette condamnation a été commise « hors du territoire de l’État membre d’émission » doit être résolue en prenant en considération la compétence pénale de cet État tiers, en l’occurrence le Royaume de Norvège, qui a permis de poursuivre
cette infraction, et non celle de l’État membre d’émission.
79 En ce qui concerne les interrogations de la juridiction de renvoi au sujet de la prise en compte de la circonstance que des actes préparatoires ont été commis sur le territoire de l’État membre d’émission, il suffit de relever qu’il découle du point 78 du présent arrêt que cette circonstance est dépourvue de pertinence, dès lors que cet État membre n’a pas poursuivi l’infraction lui-même, mais a reconnu un jugement d’une juridiction d’un autre État que cette dernière avait rendu sur le fondement
de sa compétence pénale territoriale.
80 Il convient, par conséquent, de répondre à la seconde question que l’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, en présence d’un mandat d’arrêt européen qui a été émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui permet l’exécution dans cet État membre d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers, dans un cas où l’infraction visée a été commise sur le territoire de ce dernier État, la question de
savoir si cette infraction a été commise « hors du territoire de l’État membre d’émission » doit être résolue en prenant en considération la compétence pénale de cet État tiers, en l’occurrence le Royaume de Norvège, qui a permis de poursuivre cette infraction, et non celle de l’État membre d’émission.
Sur les dépens
81 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doivent être interprétés en ce sens qu’un mandat d’arrêt européen peut être émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui ordonne l’exécution, dans cet État
membre, d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers lorsque, en application d’un accord bilatéral entre ces États, le jugement en question a été reconnu par une décision d’une juridiction de l’État membre d’émission. Toutefois, l’émission du mandat d’arrêt européen est soumise à la condition, d’une part, que la personne recherchée ait été condamnée à une peine privative de liberté d’au moins quatre mois et, d’autre part, que la procédure ayant conduit à l’adoption dans l’État
tiers du jugement reconnu par la suite dans l’État membre d’émission ait respecté les droits fondamentaux et, en particulier, les obligations découlant des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
2) L’article 4, point 7, sous b), de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens que, en présence d’un mandat d’arrêt européen qui a été émis sur le fondement d’une décision judiciaire de l’État membre d’émission qui permet l’exécution dans cet État membre d’une peine prononcée par une juridiction d’un État tiers, dans un cas où l’infraction visée a été commise sur le territoire de ce dernier État, la question de savoir si cette
infraction a été commise « hors du territoire de l’État membre d’émission » doit être résolue en prenant en considération la compétence pénale de cet État tiers, en l’occurrence le Royaume de Norvège, qui a permis de poursuivre cette infraction, et non celle de l’État membre d’émission.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.