CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 4 mars 2021 ( 1 )
Affaire C‑570/19
Irish Ferries Ltd
contre
National Transport Authority
[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Haute Cour, Irlande)]
« Renvoi préjudiciel – Droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure – Règlement (UE) no 1177/2010 – Annulation – Préavis avant la date de départ initialement prévue à la suite du retard dans la livraison d’un nouveau navire au transporteur – Conséquences »
I. Introduction
1. Si le règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ), qui régit les droits des passagers dans le domaine du transport aérien, fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour, il en est autrement des instruments du droit de l’Union qui régissent leurs droits dans le domaine des transports ferroviaire ( 3 ), routier ( 4 ) ou encore – comme en l’espèce – maritime ( 5 ). Le présent renvoi préjudiciel est le premier dans le cadre duquel une juridiction nationale invite la Cour à procéder à l’interprétation
des dispositions du règlement no 1177/2010.
2. Il trouve son origine dans une procédure opposant Irish Ferries Ltd, un transporteur maritime, à la National Transport Authority (Autorité irlandaise des transports, ci-après la « NTA »), l’organisme national chargé de l’application du règlement no 1177/2010, et concerne l’annulation de toutes les liaisons qu’un des navires de ce transporteur devait assurer entre l’Irlande et la France au cours de l’année 2018, pour plus de 20000 passagers.
3. Par ses dix questions préjudicielles, la juridiction de renvoi invite la Cour à se prononcer sur l’interprétation de plusieurs dispositions du règlement no 1177/2010 et sur la validité de celui-ci. Ces questions soulèvent de nombreux enjeux dans le domaine du transport maritime. Dans la mesure où une quinzaine d’années de développements jurisprudentiels aura été nécessaire pour répondre à des enjeux analogues dans le domaine du transport aérien, il est probable que les réponses de la Cour aux
présentes questions feront l’objet de précisions dans le futur.
4. J’examinerai dans les présentes conclusions, dans le cadre des références que je ferai à ces développements jurisprudentiels, si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, ces derniers peuvent, par voie d’analogie, être transposés au transport maritime.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. L’article 1er du règlement no 1177/2010, intitulé « Objet », énonce qu’il établit des règles pour le transport par voie maritime ou voie de navigation intérieure en ce qui concerne, notamment, les droits des passagers en cas d’annulation ou de retard et le traitement des plaintes.
6. Selon l’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application » :
« 1. Le présent règlement s’applique aux passagers :
a) utilisant des services de transport de passagers lorsque le port d’embarquement est situé sur le territoire d’un État membre ;
b) utilisant des services de transport de passagers lorsque le port d’embarquement est situé hors du territoire d’un État membre et que le port de débarquement est situé sur le territoire d’un État membre, pour autant que le service soit exploité par un transporteur de l’Union tel que défini à l’article 3, [sous] e) ;
c) participant à une croisière lorsque le port d’embarquement est situé sur le territoire d’un État membre. Toutefois, l’article 16, paragraphe 2, les articles 18 et 19 et l’article 20, paragraphes 1 et 4, ne s’appliquent pas à ces passagers.
2. Le présent règlement ne s’applique pas aux passagers voyageant :
a) sur des navires autorisés à transporter jusqu’à douze passagers ;
b) sur des navires dont l’équipage chargé de l’exploitation du navire ne comprend pas plus de trois personnes ou lorsque la longueur totale du service de transport de passagers est inférieure à 500 mètres par aller simple ;
c) dans le cadre d’excursions ou de visites touristiques autres que des croisières ; ou
d) sur des navires qui ne sont pas propulsés par des moyens mécaniques ainsi que sur des navires à passagers historiques originaux, ou des copies individuelles de ces navires conçus avant 1965 et construits essentiellement en matériaux d’origine, autorisés à transporter jusqu’à trente-six passagers.
3. Les États membres peuvent, pendant une période de deux ans à partir du 18 décembre 2012, exempter de l’application du présent règlement les navires de mer de moins de 300 tonnes de jauge brute exploités pour le transport national, à condition que le droit national garantisse d’une manière appropriée les droits des passagers en vertu du présent règlement.
4. Les États membres peuvent exempter de l’application du présent règlement les services de transport de passagers visés par des obligations de service public, des contrats de service public ou des services intégrés, à condition que le droit national garantisse d’une manière comparable les droits des passagers en vertu du présent règlement.
[...] »
7. L’article 3 dudit règlement dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
f) “service de transport passager”, un service commercial de transport de passagers par mer ou par voie de navigation intérieure assuré selon un horaire publié ;
[...]
m) “contrat de transport”, un contrat de transport entre un transporteur et un passager en vue de la fourniture d’un ou de plusieurs services de transport de passagers ou de croisières ;
n) “billet”, un document en cours de validité ou toute autre preuve de l’existence d’un contrat de transport ; »
8. L’article 18 du même règlement, intitulé « Réacheminement et remboursement en cas de départs annulés ou retardés », qui figure en son chapitre III, lui-même intitulé « Obligations des transporteurs et des exploitants de terminaux en cas d’interruption de voyage », dispose :
« 1. Lorsqu’un transporteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un service de transport de passagers soit annulé ou à ce que son départ d’un terminal portuaire soit retardé de plus de quatre-vingt-dix minutes, le passager se voit immédiatement offrir le choix entre :
a) un réacheminement vers la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport, sans aucun supplément, dans des conditions comparables et dans les meilleurs délais ;
b) le remboursement du prix du billet et, s’il y a lieu, un service de transport de retour gratuit dans les meilleurs délais jusqu’au point de départ initial tel qu’établi dans le contrat de transport.
2. Lorsqu’un service de transport de passagers est annulé ou si son départ d’un port est retardé de plus de quatre-vingt-dix minutes, les passagers ont droit au réacheminement ou au remboursement du prix du billet de la part du transporteur.
3. Le remboursement intégral du billet prévu au paragraphe 1, [sous] b), et au paragraphe 2 s’effectue dans un délai de sept jours en espèces, par virement bancaire électronique, mandat ou chèque bancaires, au tarif auquel il a été acheté, pour la ou les parties non effectuées du trajet ainsi que pour la ou les parties déjà effectuées si le trajet ne présente plus aucun intérêt par rapport au plan de voyage initial du passager. Avec l’accord du passager, le remboursement intégral du billet peut
également être fait sous forme de bons et/ou d’autres services d’un montant équivalent au tarif auquel il a été acheté, à condition que les conditions soient flexibles, notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination. »
9. L’article 19 du règlement no 1177/2010, intitulé « Indemnisation relative au prix du billet en cas de retard à l’arrivée », énonce :
« 1. Les passagers qui subissent un retard à l’arrivée à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport peuvent, sans perdre leur droit au transport, demander une indemnisation au transporteur. Les indemnisations minimales sont équivalentes à 25 % du prix du billet en cas de retard d’au moins :
a) une heure dans le cas d’un voyage dont la durée prévue est inférieure ou égale à quatre heures ;
b) deux heures dans le cas d’un voyage dont la durée prévue est supérieure à quatre heures, mais inférieure ou égale à huit heures ;
c) trois heures dans le cas d’un voyage dont la durée est supérieure à huit heures mais n’excède pas vingt-quatre heures ; ou
d) six heures dans le cas d’un voyage dont la durée prévue est supérieure à vingt-quatre heures.
Si le retard est supérieur au double des valeurs énoncées [sous] a) à d), l’indemnisation est égale à 50 % du prix du billet.
2. Les passagers qui détiennent une carte de transport ou un abonnement et sont confrontés à des retards répétés à l’arrivée pendant sa durée de validité peuvent demander une indemnisation adéquate conformément aux dispositions prises par le transporteur en matière d’indemnisation. Ces dispositions fixent les critères applicables en matière de retard à l’arrivée et de calcul de l’indemnisation.
3. L’indemnisation est calculée par rapport au prix que le passager a réellement payé pour le service de transport de passagers ayant subi un retard.
4. Lorsque le transport porte sur un trajet aller-retour, l’indemnisation en cas de retard à l’arrivée, à l’aller ou au retour, est calculée par rapport à la moitié du prix payé pour le transport effectué au moyen du service de transport de passagers.
5. L’indemnisation est payée dans le mois qui suit le dépôt de la demande d’indemnisation. Elle peut être payée sous la forme de bons et/ou d’autres services à condition que les conditions soient flexibles, notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination. Elle est payée en argent à la demande du passager.
6. L’indemnisation relative au prix du billet n’est pas grevée de coûts de transaction financière tels que redevances, frais de téléphone ou timbres. Les transporteurs peuvent fixer un seuil minimal en dessous duquel aucune indemnisation n’est payée. Ce seuil ne dépasse pas 6 [euros]. »
10. L’article 20 de ce règlement, intitulé « Exemptions », énonce :
« 1. Les articles 17, 18 et 19 ne s’appliquent pas aux passagers munis de billets ouverts pour autant que l’heure de départ ne soit pas indiquée, à l’exception des passagers détenant une carte de transport ou un abonnement.
2. Les articles 17 et 19 ne s’appliquent pas si le passager est informé de l’annulation ou du retard avant l’achat du billet ou si l’annulation ou le retard est dû à la faute du passager.
3. L’article 17, paragraphe 2, ne s’applique pas lorsque le transporteur prouve que l’annulation ou le retard sont dus à des conditions météorologiques compromettant l’exploitation du navire en toute sécurité.
4. L’article 19 ne s’applique pas lorsque le transporteur prouve que l’annulation ou le retard sont dus à des conditions météorologiques compromettant l’exploitation du navire en toute sécurité ou à des circonstances extraordinaires empêchant l’exécution du service de transport de passagers, qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »
11. L’article 24 dudit règlement, intitulé « Plaintes », qui figure en son chapitre IV, lui-même intitulé « Règles générales concernant l’information et les plaintes », énonce :
« 1. Les transporteurs et les exploitants de terminaux établissent ou mettent en place un mécanisme accessible de traitement des plaintes concernant les droits et les obligations visés par le présent règlement.
2. Un passager visé par le présent règlement qui souhaite déposer une plainte auprès du transporteur ou de l’exploitant d’un terminal l’introduit dans un délai de deux mois à partir de la date à laquelle le service a été exécuté ou aurait dû être exécuté. Dans un délai d’un mois suivant la réception de la plainte, le transporteur ou l’exploitant de terminal informe le passager que sa plainte a été retenue, rejetée ou est toujours à l’examen. La réponse définitive lui est donnée dans un délai
de deux mois au maximum à partir de la date de réception de la plainte. »
12. L’article 25 du règlement no 1177/2010, intitulé « Organismes nationaux chargés de l’application », figurant en son chapitre V, lui-même intitulé « Application et organismes nationaux chargés de l’application », dispose :
« 1. Chaque État membre désigne un ou plusieurs organismes, nouveaux ou existants, chargés de l’application du présent règlement en ce qui concerne les services de transport de passagers et les croisières à partir de ports situés sur son territoire et les services de transport de passagers en provenance d’un pays tiers à destination de ces ports. Chaque organisme prend les mesures nécessaires pour assurer le respect du présent règlement.
Chaque organisme est indépendant d’intérêts commerciaux en ce qui concerne son organisation, ses décisions de financement, sa structure juridique et son processus de prise de décision.
2. Les États membres informent la Commission de l’organisme ou des organismes désignés conformément au présent article.
3. Tout passager peut déposer une plainte pour infraction alléguée au présent règlement, conformément à son droit national, auprès de l’organisme compétent désigné en vertu du paragraphe 1 ou auprès de tout autre organisme compétent désigné par un État membre. L’organisme compétent fournit aux passagers une réponse motivée à leur plainte dans un délai raisonnable.
Un État membre peut décider :
a) que le passager est tenu, dans un premier temps, de déposer plainte relevant du présent règlement auprès du transporteur ou de l’exploitant de terminal ; et/ou
b) que l’organisme national chargé de l’application ou tout autre organisme compétent désigné par l’État membre agit en tant qu’instance de recours pour les plaintes n’ayant pas été réglées en vertu de l’article 24.
Les États membres ayant choisi d’exempter certains services en application de l’article 2, paragraphe 4, assurent la mise en place d’un mécanisme comparable d’application des droits des passagers. »
13. L’article 27 de ce règlement, intitulé « [c]oopération entre organismes chargés de l’application », prévoit :
« Les organismes nationaux chargés de l’application visés à l’article 25, paragraphe 1, échangent des informations sur leurs travaux ainsi que sur leurs principes et pratiques de prise de décision dans la mesure nécessaire à l’application cohérente du présent règlement. La Commission les assiste dans cette tâche. »
B. Le droit irlandais
14. Les European Union (rights of passengers when travelling by sea and inland waterway) Regulations 2012 (S.I. no 394/2012) [décret de 2012 relatif à l’Union européenne (droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure)] (ci-après le « règlement de 2012 »), adopté le 10 octobre 2012, désigne, à son article 3, la NTA comme organisme chargé de l’application du règlement no 1177/2010 au sens de l’article 25 de celui-ci.
15. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de 2012, la NTA adresse au prestataire, d’office ou à la suite d’une plainte présentée par un passager, si elle estime que ce prestataire ne respecte pas ou enfreint le règlement no 1177/2010, une notification indiquant le manquement ou la violation en cause, qui oblige celui-ci à prendre les mesures qui y sont spécifiées, dans le délai mentionné, afin de se conformer à cette notification. En application de l’article 4, paragraphe 3, du
règlement de 2012, le non-respect de cette notification est sanctionné par des amendes.
III. Les faits de l’affaire au principal, la procédure devant la Cour et les questions préjudicielles
16. En 2016, Irish Continental Group plc (ICG), la société mère d’Irish Ferries, a conclu un contrat avec la société de droit allemand Flensburger Schiffbau‑Gesellschaft (ci‑après le « chantier naval ») pour la construction d’un transbordeur roulier (ci-après le « navire ») avec une livraison prévue de ce navire pleinement certifié à naviguer à ICG fixée à la date du 26 mai 2018 au plus tard.
17. Le navire devait entrer en service pour la saison estivale de l’année 2018 afin d’assurer différentes liaisons, dont un nouveau service d’allers‑retours en continu entre Dublin (Irlande) et Cherbourg (France).
18. Compte tenu de la durée de la traversée (environ 18 heures), Irish Ferries avait prévu d’exploiter le navire pour assurer la liaison un jour sur deux en alternance avec un autre navire qu’elle exploitait pendant la saison 2018 sur les liaisons entre les villes de Rosslare (Irlande) et de Cherbourg, et entre celles de Rosslare et de Roscoff (France), offrant ainsi un service quotidien entre l’Irlande et la France, mais au départ/à destination de différents ports.
19. Au mois de janvier 2017, le chantier naval a annoncé à Irish Ferries qu’il prévoyait la livraison du navire au plus tard le 22 juin 2018.
20. Le 27 octobre 2017, Irish Ferries a ouvert l’enregistrement des réservations pour la saison de l’année 2018, avec une première traversée prévue le 12 juillet 2018. Le chantier naval a, le 1er novembre 2017, confirmé que le navire serait livré le 22 juin 2018.
21. Par courrier électronique du 18 avril 2018, le chantier naval a informé Irish Ferries que le navire ne serait pas livré avant le 13 juillet 2018 en raison du retard pris par des équipementiers externes qu’il avait engagés en qualité de sous-traitants, en évoquant également « la possibilité d’une livraison tardive, en raison notamment de contretemps dans l’aménagement des espaces extérieurs ».
22. Après avoir constaté, le 20 avril 2018, qu’elle ne pouvait remplacer ce navire ni par un navire de sa flotte ni par l’affrètement d’un navire de substitution au moyen d’un courtier maritime, Irish Ferries a annulé les traversées du navire jusqu’à la nouvelle date de livraison, majorée d’un délai de sécurité pour préparer le navire. Irish Ferries a ainsi annulé les traversées prévues aux dates comprises entre le 12 juillet et le 29 juillet 2018 (ci‑après la « première annulation »).
23. Dans le cadre de la première annulation, Irish Ferries a entrepris plusieurs démarches. Elle a, notamment, notifié à tous les passagers concernés l’annulation des traversées avec un préavis de douze semaines, en leur proposant soit un remboursement intégral immédiat sans condition, soit de réserver d’autres traversées de leur choix (ci‑après les « traversées de substitution »). Étant donné qu’il n’existait pas d’autre service identique sur les liaisons concernées, Irish Ferries aurait proposé
aux passagers concernés toute une série de traversées de substitution au départ et à destination de différents ports reliant l’Irlande et la France de manière directe (par exemple la veille ou le lendemain de la date de la traversée initialement prévue – ou à n’importe quelle autre date – selon les capacités) ou indirecte, c’est‑à‑dire en transitant par la Grande‑Bretagne (ci‑après le « pont terrestre »). Le fait qu’Irish Ferries ait proposé à tous les passagers concernés le réacheminement par
le pont terrestre est cependant contesté par la NTA devant la juridiction de renvoi.
24. En ce qui concerne les passagers qui étaient réacheminés à destination ou au départ de Rosslare (au lieu de Dublin) et/ou à destination ou au départ de Roscoff (au lieu de Cherbourg), Irish Ferries ne proposait pas de rembourser les éventuels frais supplémentaires que ceux-ci devaient supporter du fait du changement du port de départ ou de destination (ci‑après les « frais supplémentaires »). En effet, Irish Ferries estimait que des frais supplémentaires n’étaient pas supportés par l’ensemble
des passagers, étant donné que certains d’entre eux se trouvaient plus près de Rosslare et passaient leurs vacances plus près de Roscoff que de Cherbourg.
25. Le 9 mai 2018, la NTA a indiqué à Irish Ferries qu’elle examinait les circonstances de la première annulation pour établir les modalités d’application du règlement no 1177/2010 dans ce cas et lui a demandé de lui communiquer les raisons pour lesquelles Irish Ferries considérait que cette annulation était imputable à des circonstances extraordinaires qui échappaient à sa maîtrise. Irish Ferries a présenté une argumentation détaillée à la NTA concernant l’annulation en cause.
26. Le 1er juin 2018, la NTA a demandé à Irish Ferries de lui fournir des informations relatives au respect, par cette dernière, de l’article 18 du règlement no 1177/2010. Irish Ferries a répondu le 8 juin 2018 et un échange de correspondance a suivi.
27. Le 11 juin 2018, le chantier naval a annoncé à Irish Ferries que la livraison du navire serait retardée jusqu’à une date indéterminée en septembre en raison du retard pris par un sous-traitant dans les travaux relatifs aux câblages électriques et à l’installation du système électrique de la coque et du rouf, ainsi que des retards dans la livraison d’éléments intérieurs destinés aux espaces publics. Dans l’impossibilité d’exploiter le navire, Irish Ferries a décidé d’annuler toutes les traversées
prévues après le 30 juillet 2018 (ci‑après la « seconde annulation »). En tout état de cause, le navire a été livré le 12 décembre 2018, soit avec un retard d’environ 200 jours.
28. Dans le cadre de la seconde annulation, Irish Ferries a entrepris plusieurs démarches à l’égard des passagers concernés, à savoir, notamment, d’une part, les informer de la seconde annulation dès qu’elle a eu confirmation qu’il serait impossible d’affréter un navire de remplacement, en respectant un préavis de sept à douze semaines, et, d’autre part, leur proposer les choix suivants : annuler les traversées initiales et obtenir un remboursement intégral immédiat ; emprunter des liaisons de
substitution vers la France sans remboursement des éventuels frais supplémentaires, et, enfin, être réacheminés par le pont terrestre de leur choix parmi ceux proposés, au départ de n’importe quel port ferry irlandais à destination de ports français tels que Cherbourg, Roscoff, Calais et Caen. Dans ce dernier cas, les frais de carburant supportés pour traverser la Grande-Bretagne étaient remboursés aux passagers.
29. Il a résulté de ces démarches que, sur les 20000 passagers affectés par ces annulations, 82 % ont opté pour les traversées de substitution avec Irish Ferries ou d’autres transporteurs, 3 % ont préféré avoir recours au pont terrestre et les 15 % restants ont opté pour un remboursement intégral.
30. S’agissant des passagers ayant choisi les traversées de substitution, les éventuels frais supplémentaires n’ont pas été facturés aux passagers mais ont été pris en charge par Irish Ferries. En outre, les éventuelles différences du prix du billet ont été remboursées par Irish Ferries.
31. S’agissant des passagers ayant opté pour le pont terrestre, Irish Ferries leur a remboursé le coût du carburant nécessaire à la traversée de la Grande-Bretagne.
32. Toutefois, Irish Ferries n’a pas versé d’indemnisation pour le retard à l’arrivée à la destination finale aux passagers qui en avaient formulé la demande, en application de l’article 19 du règlement no 1177/2010, estimant que, dans la mesure où elle avait proposé un réacheminement et un remboursement du prix du billet conformément à l’article 18 de ce règlement, les articles 18 et 19 de ce règlement ne s’appliquaient pas simultanément.
33. Le 1er août 2018, la NTA a émis à Irish Ferries une notification préliminaire concernant l’application du règlement de 2012 aux traversées annulées, à laquelle Irish Ferries a répondu le 15 août 2018.
34. Le 19 octobre 2018, la NTA a adopté une décision en vertu de laquelle elle considérait, premièrement, que le règlement no 1177/2010 s’appliquait aux annulations des traversées entre Dublin et Cherbourg pendant l’été 2018, deuxièmement, qu’Irish Ferries avait enfreint les exigences prévues à l’article 18 de ce règlement et, troisièmement, que ce transporteur maritime n’avait pas respecté l’article 19 dudit règlement. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement de 2012, cette décision
s’est concrétisée par l’émission de deux notifications. Irish Ferries a présenté ses observations sur cette décision.
35. Par décision du 25 janvier 2019, la NTA a confirmé les notifications émises au titre de l’article 4, paragraphe 1, du règlement de 2012 et concernant les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 (ci-après la « décision litigieuse »).
36. Elle a estimé, d’une part, qu’Irish Ferries avait violé l’article 18 du règlement no 1177/2010 en ce qui concernait des passagers affectés par les traversées annulées, si ces passagers avaient dû voyager à destination ou au départ de Rosslare (au lieu de Dublin), et/ou à destination ou au départ de Roscoff (au lieu de Cherbourg). La NTA a invité Irish Ferries à rembourser les éventuels frais supplémentaires supportés par les passagers affectés par les traversées annulées qui avaient opté pour le
réacheminement à destination ou au départ de Rosslare (au lieu de Dublin), et/ou à destination ou au départ de Roscoff (au lieu de Cherbourg).
37. Elle a considéré, d’autre part, qu’Irish Ferries avait violé l’article 19 du règlement no 1177/2010 et l’a enjointe à verser une indemnisation aux passagers concernés par un retard à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport.
38. Irish Ferries a contesté la décision litigieuse ainsi que les notifications émises au titre des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 devant la High Court (Haute Cour, Irlande), soutenant, en premier lieu, que ce règlement n’était pas applicable lorsqu’une annulation a lieu plusieurs semaines avant la date des traversées prévues. En deuxième lieu, Irish Ferries a contesté l’interprétation et l’application effectuée par la NTA des articles 18 à 20 dudit règlement. Plus particulièrement,
elle a soutenu que le retard dans la livraison du navire constituait une « circonstance extraordinaire » l’exonérant du versement de l’indemnisation prévue à l’article 19 de ce règlement. En troisième lieu, Irish Ferries a reproché à la NTA d’avoir violé l’article 25 de ce même règlement en ayant commis un excès de pouvoir. En effet, la NTA aurait exercé sa compétence sur des services de transport au départ de la France et à destination de l’Irlande alors que ces services relèveraient de la
compétence exclusive de l’autorité française. En quatrième lieu, Irish Ferries fait grief à la NTA d’avoir violé l’article 24 du règlement no 1177/2010 en n’ayant pas limité l’effet de sa décision aux passagers qui avaient déposé une plainte dans la forme et les délais prévus à l’article 24 de ce règlement. En cinquième et dernier lieu, Irish Ferries a contesté la validité dudit règlement au regard des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et d’égalité de traitement, ainsi que des
articles 16, 17 et 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
39. C’est dans ces circonstances que la High Court (Haute Cour), par décision du 22 juillet 2019, parvenue à la Cour le 26 juillet 2019, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre les questions suivantes à l’appréciation de la Cour :
« A. Applicabilité du règlement [no 1177/2010]
1) Le [règlement no 1177/2010] (en particulier ses articles 18 et/ou 19) est-il applicable lorsque des passagers ont effectué des réservations à l’avance et conclu des contrats de transport et lorsque les services de transport de passagers sont annulés avec un préavis d’au moins sept semaines avant le départ prévu en raison du retard de livraison d’un nouveau navire à l’exploitant de transbordeurs ? À cet égard, l’une (ou l’ensemble) des circonstances suivantes est-elle pertinente au regard de
l’applicabilité du[dit] règlement ?
a) la livraison a finalement été retardée de 200 jours ;
b) l’exploitant de transbordeurs a dû annuler toute une saison de traversées ;
c) aucun navire de remplacement adéquat n’a pu être obtenu ;
d) plus de 20000 passagers ont été transférés par l’exploitant de transbordeurs sur différentes traversées ou ont été remboursés du prix de leur traversée ;
e) les traversées ont été effectuées sur une nouvelle liaison ouverte par l’exploitant de transbordeurs, étant précisé qu’il n’existait aucun service de substitution similaire sur la liaison initiale ?
B. Interprétation de l’article 18 du [règlement no 1177/2010]
Cette question n’appelle de réponse que si l’article 18 [du règlement no 1177/2010] est susceptible de s’appliquer.
2) Lorsqu’un passager est réacheminé conformément à [cet] article 18, cela donne-t-il naissance à un nouveau contrat de transport, de sorte que le droit à indemnisation au titre de l’article 19 doit être déterminé en application de ce nouveau contrat et non du contrat de transport initial ?
3) a) Si [ledit] article 18 est applicable et qu’une traversée est ensuite annulée alors qu’il n’y avait aucun service de substitution pour assurer cette liaison (c’est‑à‑dire aucun service direct entre ces deux ports), le fait de proposer une traversée de substitution sur n’importe quelle(s) autre(s) liaison(s) disponible(s) et au choix du passager, y compris via le pont terrestre (c’est‑à‑dire en reliant l’Irlande et la Grande-Bretagne par transbordeur puis en se rendant par la route,
moyennant remboursement des frais de carburant par l’exploitant de transbordeurs, vers un port britannique comme point de départ vers la France, tout en choisissant chacune des traversées) constitue-t-il un “réacheminement vers la destination finale” au sens de ce [même] article 18 ? Dans le cas contraire, quels critères doit-on utiliser pour déterminer si un réacheminement se fait dans des conditions comparables ?
b) S’il n’y a pas de traversée de substitution sur la liaison annulée permettant d’accueillir le passager concerné sur une traversée directe au départ du port d’embarquement initial vers la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport, le transporteur doit-il payer les éventuels suppléments supportés par un passager réacheminé voyageant à destination et au départ du nouveau port d’embarquement et/ou à destination et au départ du nouveau port de destination ?
C. Interprétation de l’article 19 du [règlement no 1177/2010]
4) a) L’article 19 [du règlement no 1177/2010] est-il applicable lorsque le voyage a en fait déjà été annulé au moins sept semaines avant le départ prévu ? Si [cet] article 19 est effectivement applicable, s’applique-t-il lorsque l’article 18 [de ce règlement] a été appliqué et que le passager a été réacheminé sans aucun supplément et/ou remboursé, et/ou a choisi une traversée ultérieure ?
b) Si l’article 19 [du règlement no 1177/2010] est effectivement applicable, quelle est la “destination finale” au sens de [cet article] ?
5) Si l’article 19 [du règlement no 1177/2010] est susceptible de s’appliquer :
a) Comment la durée du retard doit-elle s’apprécier dans ces circonstances ?
b) Comment le prix au sens de [cet] article 19 doit-il être calculé pour déterminer le niveau d’indemnisation à verser et, en particulier, inclut-il les coûts afférents aux suppléments en option (par exemple les cabines, les chenils et les espaces de réception de première catégorie) ?
D. Interprétation de l’article 20, paragraphe 4 [, du règlement no 1177/2010]
6) Si le règlement [no 1177/2010] est effectivement applicable, les circonstances et considérations évoquées dans la première question constituent-elles des “circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises” au sens de l’article 20, paragraphe 4, du [règlement no 1177/2010] ?
E. Interprétation de l’article 24 [du règlement no 1177/2010]
7) L’article 24 [du règlement no 1177/2010] a-t-il pour effet d’imposer une obligation contraignante à tout passager demandant à bénéficier d’une indemnisation au titre de l’article 19 [de ce] règlement, à savoir d’introduire une plainte dans un délai de deux mois à partir de la date à laquelle le service a été exécuté ou aurait dû être exécuté ?
F. Interprétation de l’article 25 [du règlement no 1177/2010]
8) La compétence d’un organisme national chargé de l’application [du règlement no 1177/2010] est-elle limitée aux traversées impliquant les ports spécifiés à l’article 25 [de ce règlement] ou peut-elle également s’étendre à une traversée dans le sens du retour au départ du port d’un autre État membre et à destination du pays de l’organisme national compétent ?
G. Validité de la décision et des notifications
9) a) Quels principes et règles du droit de l’Union la juridiction de renvoi doit‑elle appliquer pour apprécier la validité de la décision et/ou des notifications de l’organisme national chargé de l’application [du règlement no 1177/2010] au regard des articles 16, 17, 20 et/ou 47 de la Charte, et/ou des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de l’égalité de traitement ?
b) Le critère tiré du caractère déraisonnable qui doit être appliqué par la juridiction nationale est-il celui de l’erreur manifeste ?
H. Validité du règlement no 1177/2010
Cette question ne se posera qu’en fonction des réponses aux questions précédentes.
10) Le règlement no 1177/2010 est-il valide en vertu du droit de l’Union, eu égard en particulier :
a) aux articles 16, 17 et 20 de la Charte ?
b) au fait que les exploitants de lignes aériennes n’ont pas l’obligation de verser une indemnisation s’ils informent le passager de la compagnie aérienne de l’annulation au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue [article 5, paragraphe 1, sous c), point i), du règlement no 261/2004] ?
c) aux principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de l’égalité de traitement ? »
40. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, l’Irlande, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. Les mêmes intéressés ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 9 septembre 2020.
IV. Analyse
41. Les dix questions du présent renvoi préjudiciel ont trait à divers aspects du règlement no 1177/2010. En effet, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche d’abord à établir si ce règlement s’applique au litige au principal. Ensuite, par ses deuxième à neuvième questions, elle sollicite l’interprétation d’une série des dispositions spécifiques dudit règlement. Enfin, par sa dixième question, cette juridiction demande à la Cour de se prononcer sur la validité du même règlement.
42. Afin de procéder à l’examen de la validité d’un acte du droit de l’Union, il convient d’écarter, tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle cet examen n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ( 6 ). L’analyse de la première question doit donc précéder celle de la dixième question.
43. Ensuite, lorsque la validité des dispositions d’un acte du droit de l’Union est mise en question en raison de la violation alléguée de certains principes généraux, il convient avant tout d’établir le sens de ces dispositions. Selon un principe général d’interprétation, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause leur validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire ( 7 ). Procéder à l’examen de
leur validité sans, au préalable, établir leur sens reviendrait à ignorer ce principe. Dans la mesure où les deuxième à neuvième questions portent sur l’interprétation d’une série de dispositions du règlement no 1177/2010, dont la validité est visée par la dixième question, il convient donc d’abord de répondre à ces premières questions.
44. Par conséquent, mon analyse respectera l’ordre des questions adressées par la juridiction de renvoi. J’examinerai, tout d’abord, le champ d’application du règlement no 1177/2010 (première question), puis les dispositions spécifiques de celui-ci (deuxième à neuvième questions) et, enfin, la validité de ce règlement (dixième question).
A. Sur l’applicabilité du règlement no 1177/2010
45. Par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge, de manière générale, sur l’applicabilité du règlement no 1177/2010 et, plus précisément, sur l’applicabilité de ses articles 18 et 19, dans l’hypothèse où un service de transport maritime est annulé, avec un préavis d’au moins sept semaines avant le départ initialement prévu, au motif que le navire programmé pour assurer ce service de transport a fait l’objet d’un retard de livraison et n’a pas pu être remplacé.
46. Certes, la juridiction de renvoi s’interroge également sur l’applicabilité du règlement no 1177/2010 au regard d’un ensemble de circonstances figurant dans la formulation de la première question, sous a) à e). Toutefois, Irish Ferries, dont l’argumentation semble être à l’origine de la première question, ne fait référence à ces circonstances que pour appuyer son argumentation relative au principe impossibilium nulla obligatio est. En l’espèce, je suis d’avis que les circonstances visées ne sont
pas susceptibles de modifier mon analyse relative à l’applicabilité du règlement no 1177/2010, de sorte que celles‑ci ne doivent pas faire l’objet d’un examen isolé. En revanche, les mêmes circonstances peuvent être prises en compte dans le cadre de la sixième question et de l’examen relatif aux « mesures raisonnables », au sens de l’article 20, paragraphe 4, de ce règlement.
47. Par ailleurs, dans sa première question, la juridiction de renvoi utilise deux notions distinctes, à savoir celle de « réservations à l’avance » effectuées par les passagers et celle de « contrats de transport » conclus par ceux-ci. La formulation de cette question peut donc a priori faire penser que cette juridiction opère une distinction entre ces deux notions. Toutefois, la première question concerne les passagers qui ont à la fois effectué des réservations et conclu les contrats de
transport. La Cour n’est donc pas invitée à se prononcer séparément sur, d’une part, la situation des passagers ayant effectué une réservation et, d’autre part, sur celle des passagers ayant conclu un contrat de transport.
48. Par souci d’exhaustivité, il y a lieu d’observer que, à la différence du règlement no 261/2004, le règlement no 1177/2010 n’utilise pas la notion de « réservation » dans la définition de son champ d’application ( 8 ).
49. Bien que cette notion ne soit utilisée que dans le chapitre II du règlement no 1177/2010, intitulé « Droits des personnes handicapées et des personnes à mobilité réduite », les dispositions de ce chapitre peuvent laisser à penser qu’une réservation est préalable à la conclusion du contrat de transport. En effet, les articles 7 et 8 de ce règlement opèrent une distinction entre l’acceptation d’une réservation et la délivrance d’un billet.
50. Dans cet ordre d’idées, il ressort des définitions figurant à l’article 3, sous m) et n), du règlement no 1177/2010, que l’existence d’un « contrat de transport » est prouvée, notamment, par un « billet ». En revanche, ce règlement n’établit pas de lien analogue entre un « contrat de transport » et une « réservation » ( 9 ). Par ailleurs, l’article 3, sous m), dudit règlement indique que le contrat de transport est conclu « entre un transporteur et un passager en vue de la fourniture d’un ou de
plusieurs services de transport de passagers ou de croisières ». On ne peut donc pas exclure que le législateur de l’Union a entendu attacher la qualité de « passager » non pas au fait d’effectuer une réservation mais à la conclusion d’un contrat de transport. Toutefois, ainsi que je l’ai indiqué ( 10 ), les conclusions que tire la juridiction de renvoi, dans le cadre de la première question, de l’existence d’éventuelles différences entre les « réservations à l’avance » et les « contrats de
transport » ne sont pas pertinentes. En effet, il ressort de la formulation de cette question que tout passager ayant fait une réservation a également conclu un contrat de transport.
1. Exposé de la première question préjudicielle
51. La première question trouve son origine dans l’argumentation d’Irish Ferries selon laquelle le règlement no 1177/2010 ne s’appliquerait qu’à deux catégories de passagers, à savoir, d’une part, les passagers dont la traversée imminente est retardée ou annulée et qui se trouvent physiquement au port, et, d’autre part, les passagers qui sont en phase de croisière. Ce règlement ne couvrirait pas, en revanche, les passagers qui ont été informés par le transporteur de l’annulation de la traversée avec
un préavis d’au moins sept semaines avant le départ ( 11 ).
52. Pour arguer que cette troisième catégorie de passagers ne relève pas du champ d’application du règlement no 1177/2010, Irish Ferries fait référence, en premier lieu, au libellé des dispositions de ce règlement et à son économie.
53. En particulier, Irish Ferries déduit de l’utilisation du terme « interruption de voyage », dans l’intitulé du chapitre III du règlement no 1177/2010, que ce règlement ne concerne pas le service de transport qui n’a pas encore commencé.
54. Par ailleurs, l’article 17, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1177/2010 obligerait des transporteurs à fournir des informations et certains services (« des collations, des repas ou des rafraîchissements » et « un hébergement à bord ou à terre ») aux passagers en cas d’annulation ou de retard d’un service de transport. Pour Irish Ferries, cette disposition n’a de sens que si elle s’applique aux passagers qui se trouvent déjà au port ou au terminal portuaire.
55. Dans cet ordre d’idées, Irish Ferries indique que, en cas de départ annulé ou retardé, l’article 18, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1177/2010, d’une part, oblige d’offrir « immédiatement » à un passager un réacheminement ou un remboursement et, d’autre part, prévoit que le remboursement correspond au tarif « pour la ou les parties non effectuées du trajet ». De même, l’article 19 de ce règlement vise des passagers « qui subissent un retard à l’arrivée » et ne concernerait donc pas les
passagers qui seraient en transit ou dans un port. En outre, l’étendue des retards au départ et ceux à l’arrivée, visée par ces deux dispositions, signifie, selon Irish Ferries, qu’il s’agit d’une disposition applicable aux passagers qui sont en transit ou aux abords du port.
56. En deuxième lieu, Irish Ferries fait valoir que les passagers aériens et ferroviaires ne sont pas indemnisés lorsqu’ils ont été informés de l’annulation du service de transport au moins deux semaines à l’avance [article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004] ou suffisamment en avance (orientations interprétatives de la Commission ( 12 )). Si le règlement no 1177/2010 vise à assurer, comme l’énonce son considérant 1, un niveau élevé de protection des passagers maritimes, comparable à
celui des autres modes de transport, ce règlement ne saurait s’appliquer lorsque les notifications d’annulation ont été adressées aux passagers avec un préavis de sept semaines au minimum.
57. En troisième lieu, Irish Ferries fait valoir que les circonstances indiquées dans la première question, sous a) à e), témoignent de l’ampleur des difficultés rencontrées dans le retard de livraison. Dans ce cadre, en se référant au principe impossibilium nulla obligatio est, reconnu dans la jurisprudence de la Cour ( 13 ), elle fait valoir, d’une part, qu’une disposition du droit de l’Union ne peut pas imposer une obligation dont l’exécution est impossible à réaliser. D’autre part, elle soutient
en substance que les difficultés rencontrées sont telles que les contrats conclus avec les passagers auraient dû être réputés résolus en raison d’une impossibilité d’exécution.
58. Compte tenu du fait que la première question fait écho à l’argumentation invoquée par Irish Ferries, j’examinerai cette question à la lumière des trois séries d’arguments présentées ci-dessus.
2. Sur le libellé et l’économie du règlement no 1177/2010
59. Il convient d’observer d’emblée que l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, intitulé « Champ d’application », détermine les catégories de passagers auxquelles celui-ci s’applique et que l’article 2, paragraphe 2, définit celles auxquelles celui-ci ne s’applique pas. Rien ne permet pas de considérer que le fait d’être informé au préalable de l’annulation exclut un passager du champ d’application dudit règlement. Une telle condition n’apparaît tout simplement pas dans cette
disposition.
60. Il est certes vrai que, selon l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, celui-ci s’applique aux passagers utilisant des services de transport ou participant à une croisière. Toutefois, on ne saurait en déduire que ce règlement ne s’applique pas aux passagers n’étant pas présents au cours de ces voyages.
61. En effet, le règlement no 1177/2010 contient des dispositions dont l’applicabilité au stade préalable à celle de voyage effectif ne fait aucun doute. Pour illustrer ces propos, l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement prévoit, en substance, que les conditions contractuelles et les tarifs appliqués par les transporteurs ou les vendeurs de billets sont proposés au public sans discrimination. De même, l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement interdit de refuser d’accepter une réservation, de
délivrer ou de fournir un billet, ou d’embarquer des personnes au seul motif de leur handicap ou de leur mobilité réduite.
62. Par ailleurs, dans la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 ( 14 ) (ci-après la « proposition de règlement »), l’article 2 de celle-ci ne faisait pas référence aux passagers auquel ce règlement s’appliquerait. Cet article énonçait que le règlement « s’applique aux services commerciaux de transport de passagers par mer ou par voie de
navigation intérieure ». À la suite de l’avis en première lecture du Parlement ( 15 ) et de la position en première lecture du Conseil ( 16 ), cette disposition a obtenu, en substance, sa formulation définitive. Or, rien ne permet de considérer que ces institutions aient eu l’intention de circonscrire le champ d’application du règlement no 1177/2010 dans le sens envisagé par Irish Ferries. Compte tenu de l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des passagers, comparable à celui des
autres modes de transport, qui sous-tendait la proposition de règlement au début des travaux préparatoires et qui est énoncé à son considérant 1, une telle intention aurait dû faire l’objet d’une attention particulière. En effet, le fait de circonscrire le champ d’application du règlement no 1177/2010 reviendrait à baisser le niveau de protection des passagers.
63. Ensuite, en ce qui concerne, plus précisément, l’applicabilité des dispositions du chapitre III du règlement no 1177/2010, notamment les articles 18 et 19 de celui-ci, je considère que, contrairement à ce que fait valoir Irish Ferries, le terme « interruption de voyage », qui figure dans l’intitulé même de ce chapitre, ne saurait être interprété en ce sens qu’une partie du voyage doit déjà avoir eu lieu avant l’interruption de celui-ci pour qu’une situation relève de ce chapitre. En effet, selon
l’interprétation d’Irish Ferries, la définition de la notion de « voyage » déterminerait, en substance, le champ d’application des dispositions de ce chapitre. Or, dans la mesure où cette notion n’est pas définie dans ce règlement, le sens de cette notion devrait être établi avec la plus grande précision.
64. Par ailleurs, l’article 20 du règlement no 1177/2010, intitulé « Exemptions », énonce les situations dans lesquelles les articles 18 et 19 de ce règlement ne s’appliquent pas. Ni le fait d’être informé au préalable de l’annulation ni le fait de subir une interruption au cours du voyage ne figurent parmi ces situations. En outre, la doctrine a noté que les situations dans lesquelles la responsabilité d’un transporteur est engagée au titre de ces dispositions, sans que le voyage soit interrompu,
sont plus fréquentes et importantes d’un point de vue pratique ( 17 ).
65. Certes, les services offerts gratuitement aux passagers au titre de l’article 17, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1177/2010 semblent être pertinents pour le passager, surtout au cours de son voyage. Cependant, l’obligation d’appliquer cette disposition dans des situations telles que celle décrite dans la première question est « assouplie » par les précisions qui y figurent, selon lesquelles ces services doivent être fournis, en ce qui concerne des collations, des repas ou des
rafraîchissements, « en suffisance compte tenu du délai d’attente, à condition que ceux-ci soient disponibles ou qu’ils puissent raisonnablement être livrés » et, en ce qui concerne un hébergement à bord ou à terre, lorsque cela devient nécessaire ou s’impose.
66. Enfin, il suffit d’observer que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 ne mentionnent pas l’obligation d’être informé au préalable de l’annulation comme une condition de leur non-applicabilité. Par ailleurs, au cours de travaux préparatoires, l’amendement no 59, proposé par le Parlement dans son avis en première lecture, en vertu duquel aucune compensation n’est due par le transporteur maritime lorsque celui-ci a informé le passager de l’annulation de la traversée au plus tard trois
jours avant le départ prévu, n’a pas été repris dans le règlement no 1177/2010. Cette circonstance corrobore la considération selon laquelle le législateur n’a pas entendu restreindre le champ d’application de ce règlement ou de ses articles 18 et 19 dans le sens envisagé par Irish Ferries.
3. Sur le parallèle entre les règlements nos 261/2004, 1371/2007, 1177/2010 et 181/2011
67. Selon le considérant 1 du règlement no 1177/2010, celui-ci vise à assurer un niveau de protection des passagers maritimes, comparable à celui des autres modes de transport. De lege ferenda, certains projets législatifs cherchent à établir un niveau similaire de protection des consommateurs au sein de l’Union ( 18 ). Toutefois, selon une jurisprudence constante, la situation des entreprises intervenant dans le secteur d’activité des différents modes de transport n’est pas comparable dans la
mesure où, compte tenu de leurs modalités de fonctionnement, des conditions de leur accessibilité et de la répartition de leurs réseaux, ces différents modes de transport ne sont pas, quant à leurs conditions d’utilisation, interchangeables ( 19 ).
68. Pour illustrer ces propos, au niveau du droit de l’Union, les droits des voyageurs ferroviaires sont établis par le règlement no 1371/2007. Ce règlement prévoit, notamment, que, lorsque le retard n’a pas donné lieu au remboursement du billet conformément à l’article 16 dudit règlement, le voyageur qui subit un retard entre le lieu de départ et le lieu de destination indiqués sur le billet peut, sans perdre son droit au transport, exiger une indemnisation de l’entreprise ferroviaire ( 20 ). Le
même règlement ne prévoit pas que les entreprises ferroviaires sont exonérées de l’obligation d’indemnisation visée à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007 lorsque le retard est imputable à un cas de force majeure. Dans ces circonstances, pourrait se poser la question de savoir si les causes d’exonération de la responsabilité du transporteur, prévues par les règlements nos 261/2004, 1177/2010 et 181/2011, relatifs, respectivement, au transport de voyageurs par avion, par bateau,
ainsi que par autobus et autocar, sont susceptibles d’être appliquées par analogie au transport ferroviaire.
69. Dans l’arrêt ÖBB-Personenverkehr ( 21 ), la Cour a répondu par la négative à cette question. En faisant référence à la jurisprudence que j’ai citée au point 67 des présentes conclusions, la Cour a reconnu que le législateur de l’Union avait pu instaurer des règles prévoyant un niveau de protection du consommateur divergeant selon le secteur de transport concerné ( 22 ).
70. Compte tenu de ces clarifications jurisprudentielles, on ne saurait, en dressant un parallèle entre les réglementations relatives aux différents modes de transport, introduire par voie jurisprudentielle des solutions conduisant à l’harmonisation, en ce qui concerne tout mode de transport, des obligations des transporteurs en cas d’annulation ou de retard d’un service de transport de passagers. Il convient donc de respecter la volonté du législateur de l’Union de ne pas établir un tel
parallélisme entre ces réglementations.
4. Sur le principe impossibilium nulla obligatio est
71. Ce principe implique que les obligations dont l’exécution est, de manière objective et absolue, impossible à réaliser ne soient pas imposées par ce droit aux individus ( 23 ) et que les dispositions du droit de l’Union soient interprétées dans le sens permettant d’éviter que de telles obligations soient imposées ( 24 ).
72. Toutefois, une impossibilité objective et absolue ne saurait être assimilée à l’existence de difficultés dans l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union. Qui plus est, l’importance que revêt l’objectif de protection des consommateurs, en ce compris les passagers maritimes, est susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques ( 25 ). En outre, tandis que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 imposent
des obligations à un transporteur, l’article 20, paragraphes 3 et 4, de ce règlement permet de libérer ce transporteur de ces obligations dans des circonstances spécifiques et garantit que celui-ci ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’une impossibilité absolue.
73. Pour les mêmes raisons, afin de déterminer si, sur le fondement du droit national, les contrats conclus avec les passagers doivent être réputés avoir été résolus en raison d’une impossibilité d’exécution, la juridiction de renvoi doit tenir compte du fait que, indépendamment de la loi applicable à ces contrats, ces derniers portent sur des obligations découlant du règlement no 1177/2010, lequel, ainsi que je viens de l’expliquer, ne met pas le transporteur dans l’impossibilité d’exécuter ses
obligations contractuelles.
74. Pour conclure l’analyse relative à la première question préjudicielle, je propose de répondre en ce sens que le règlement no 1177/2010, en particulier ses articles 18 et 19, s’applique dans la situation où un service de transport maritime est annulé avec un préavis, avant le départ initialement prévu, au motif que le navire programmé pour assurer ce service de transport a fait l’objet d’un retard de livraison et n’a pas pu être remplacé.
B. Sur la notion de « destination finale » des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010
75. Par sa troisième question, sous a), la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si le réacheminement des passagers, soit au moyen de traversée(s) de substitution empruntant un itinéraire différent par rapport à la traversée initiale, soit au moyen d’un pont terrestre (routier ou ferroviaire), constitue un « réacheminement vers la destination finale » dans « des conditions comparables » au sens de l’article 18 du règlement no 1177/2010.
76. Par sa troisième question, sous b), cette juridiction souhaiterait savoir si, lorsque aucune traversée directe de substitution n’est disponible sur la traversée initiale, les passagers réacheminés, au sens de l’article 18 du règlement no 1177/2010, doivent recevoir une indemnisation pour les éventuelles charges financières supplémentaires qu’ils supportent, d’une part, pour se rendre aux ports d’embarquement et de débarquement de substitution, et, d’autre part, en quittant ces ports.
77. La quatrième question, sous b), concerne également l’interprétation de la notion de « destination finale » au regard du droit à une indemnisation, prévu à l’article 19 du règlement no 1177/2010.
78. Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’interpréter cette notion de « destination finale » qui figure dans les dispositions de ce règlement ( 26 ). Je propose donc d’aborder ces questions de manière conjointe.
1. Sur la notion de « destination finale »
79. La notion de « destination finale » figurant aux articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 vise la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport. Dans le système de ce règlement, cette notion correspond donc toujours à une destination convenue par les parties. Dans la mesure où un « billet », au sens de l’article 3, sous n), dudit règlement, constitue, en substance, une preuve de l’existence d’un contrat de transport, la destination finale, en tant qu’élément essentiel de
celui-ci, doit en principe figurer également sur le billet.
80. En outre, dans le système du règlement no 1177/2010, la notion de « destination finale » est utilisée pour déterminer le lieu auquel le passager doit avoir été acheminé (et, en conjonction avec l’heure d’arrivée, à quel moment) à la suite d’un transport au moyen de services de transport de passagers pour pouvoir considérer que ce service a été effectivement et correctement exécuté. En effet, d’une part, par la conclusion d’un contrat de transport, le passager acquiert le droit au transport vers
la destination finale ( 27 ) et, en cas de départ annulé ou retardé, visé à l’article 18 de ce règlement, le passager a le droit au réacheminement vers cette destination. D’autre part, si le passager subit un retard à l’arrivée à la destination finale, le transporteur est en principe tenu de l’indemniser sur le fondement de l’article 19 dudit règlement.
81. La notion de « destination finale » joue donc un rôle important au regard de la responsabilité d’un transporteur pour l’exécution d’un service de transport de passagers. Il doit donc s’agir d’une destination spécifiée de manière précise et « maîtrisable » pour le transporteur, celui-ci doit être en mesure de déterminer la durée du voyage et l’heure d’arrivée en fonction de cette destination. Par ailleurs, compte tenu du fait que les conditions dans lesquelles la responsabilité d’un transporteur
est engagée au titre des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 sont, en principe, établies pour l’ensemble des passagers dans le contexte du service de transport de passagers concerné, il est peu probable que la destination finale puisse être établie de manière individualisée dans les contrats de transport. Il convient donc de considérer que la notion de « destination finale » correspond, en principe, au port de débarquement indiqué dans le contrat de transport pour une traversée initiale.
82. Cette considération n’est pas remise en cause par l’argument d’Irish Ferries selon lequel le règlement no 1177/2010 utilise la notion de « port de débarquement » et que, partant, la notion de « destination finale » ne saurait revêtir la même signification que cette première notion. En effet, la notion de « port de débarquement » est utilisée uniquement à l’article 2 de ce règlement pour déterminer le champ d’application de celui-ci. La circonstance que cette disposition n’utilise pas la notion
de « destination finale » résulte de la convention terminologique qui y est posée : selon son article 2, le règlement no 1177/2010 s’applique aux services de transport de passager lorsque le port d’embarquement est situé sur le territoire d’un État membre et, en miroir de ce passage, en ce qui concerne les services en provenance d’un État tiers, lorsque le port de débarquement est situé sur le territoire d’un État membre.
2. Sur le réacheminement vers la destination finale
83. Bien que l’article 18 du règlement no 1177/2010 prévoit que, en cas de départ annulé ou retardé, un passager se voit offrir, notamment, un réacheminement vers la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport, sans aucun frais supplémentaire, dans des conditions comparables et dans les meilleurs délais, il est possible que, à la suite d’un transport par voie maritime, le passager ne parvienne pas au port de débarquement indiqué dans le contrat de transport pour une traversée
initiale.
84. En effet, compte tenu du nombre limité de services de transport de passagers disponibles et de ports qui peuvent accueillir les navires de passagers, il ne saurait être exigé que des passagers se voient toujours proposé le transport effectué sur un trajet identique à celui convenu initialement. Comme l’indique Irish Ferries, il est possible qu’il n’existe aucun service de substitution pour transporter ces passagers sur la même liaison ou le même jour. Imposer une telle exigence reviendrait donc
à rallonger les « meilleurs délais » dans lesquels le réacheminement doit être effectué. Pour des raisons analogues, dans le cadre du règlement no 261/2004, le transporteur peut offrir un vol de substitution à destination d’un aéroport autre que celui qui était initialement prévu ( 28 ), malgré le fait que la notion de « destination finale » est définie, en termes strictes, par ce règlement. Cela vaut d’autant pour les services de transport de passagers par mer ou par voie de navigation
intérieure qui, en pratique, ne sont pas fréquemment utilisés pour se rendre au port de débarquement et pour y séjourner.
85. Toutefois, lors d’un réacheminement, le transporteur doit assurer le transport vers la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport pour une traversée initiale, ou prendre à sa charge les frais de transfert ( 29 ). En effet, l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 dispose que le passager a le droit au réacheminement vers la destination finale et, comme je l’ai indiqué au point 81 des présentes conclusions, la notion de « destination finale » correspond, en
principe, au port de débarquement indiqué dans le contrat de transport pour une traversée initiale.
86. Si, dans le cadre d’un service de transport de passagers de substitution, le transporteur n’a pas l’obligation d’acheminer le passager, par voie maritime, au port de débarquement indiqué dans le contrat de transport pour une traversée initiale, l’itinéraire emprunté par le moyen de transport de substitution ne doit pas, a fortiori, obligatoirement être identique à celui indiqué dans le contrat de transport pour la traversée initiale.
87. Toutefois, un réacheminement doit être toujours effectué dans des « conditions comparables » au sens de l’article 18 du règlement no 1177/2010. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge alors sur le point de savoir si une traversée de substitution empruntant un itinéraire différent peut impliquer l’usage d’autres modes de transport, tel qu’un transport routier ou ferroviaire par un pont terrestre.
88. Le règlement no 1177/2010 ne définit pas la notion de « conditions comparables » et se limite à indiquer, à son considérant 13, qu’un passager devrait obtenir un réacheminement « dans des conditions satisfaisantes ». Les conditions du service de transport des passagers sont établies dans le contrat de transport et, dès lors, le point de savoir si les conditions de service de substitution sont « comparables » doit être apprécié au regard de ce contrat. Les termes « conditions comparables »
concernent donc les éléments essentiels du contrat, tels que la durée totale du voyage, l’heure d’arrivée, le nombre de correspondances supplémentaires et la classe de billets. Certes, compte tenu de l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des passagers, un réacheminement ne doit pas se faire au détriment du passager et il convient donc d’adopter la perspective de ce passager pour déterminer si ces conditions sont « satisfaisantes » par rapport à celles établies dans le contrat de
transport. La référence aux conditions contractuelles permet toutefois d’assurer que l’intérêt d’un transporteur n’est pas ignoré.
89. S’il n’existe pas, en droit de l’Union, de cadre législatif de lege lata concernant directement la protection des droits des passagers dans un contexte multimodal ( 30 ), cela ne signifie pas que le transport multimodal ne constitue pas une solution acceptable pour le système de protection des passagers établi en droit de l’Union. En fait, il s’agit même d’une solution fréquemment utilisée par les passagers. Il est également possible que, dans certains cas, cette solution soit le seul service de
substitution disponible dans les meilleurs délais.
90. Le réacheminement au moyen de traversée(s) de substitution empruntant un itinéraire différent de celui de la traversée initiale ou au moyen d’un pont terrestre (routier ou ferroviaire) est donc susceptible de constituer un « réacheminement vers la destination finale » dans « des conditions comparables » au sens de l’article 18 du règlement no 1177/2010, si d’autres conditions de cette traversée ( 31 ) sont comparables à celles fixées pour la traversée initiale dans le contrat de transport.
3. Sur les frais supplémentaires supportés par un passager réacheminé
91. Il convient maintenant de vérifier si le transporteur doit rembourser à un passager réacheminé, d’une part, les frais supplémentaires supportés par celui-ci pour se rendre aux ports d’embarquement et de débarquement de substitution, et, d’autre part, ceux qu’il supporte en quittant ces ports.
92. L’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1177/2010 prévoit que, lorsqu’un service de transport est annulé, le passager se voit offrir le choix entre le remboursement du prix du billet ou le réacheminement vers la destination finale « sans aucun supplément ».
93. Comme je l’ai déjà observé au point 88 des présentes conclusions, un réacheminement ne doit pas se faire au détriment du passager. Un réacheminement n’implique pas non plus de placer le passager dans une situation démesurément plus avantageuse que celle prévue par le contrat de transport auquel il a souscrit.
94. Dans ce contexte, on ne peut pas perdre de vue que, en ce qui concerne les services de transport de passagers non interrompus, le passager doit toujours se rendre aux ports pertinents et les coûts supportés dans ces circonstances ne lui sont pas remboursés. Compte tenu des considérations présentées au point précédent, la mention « sans aucun supplément », figurant à l’article 18 du règlement no 1177/2010, doit être lue en ce sens que sont remboursés au passager les coûts supportés en raison d’un
réacheminement, qui sont plus importants que ceux que le passager aurait dû supporter dans le cas d’un service de transport de passagers non interrompu.
95. Pour résumer l’analyse relative à la troisième question, sous a) et b), ainsi qu’à la quatrième question, sous b), je suis d’avis :
– que la notion de « destination finale », au sens des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010, correspond, en principe, au port de débarquement précisé dans le contrat de transport pour une traversée initiale ;
– qu’un réacheminement au moyen de traversée(s) de substitution empruntant un itinéraire différent de celui de la traversée initiale ou au moyen d’un pont terrestre (routier ou ferroviaire) est susceptible de constituer un « réacheminement vers la destination finale » dans « des conditions comparables », au sens de l’article 18 de ce règlement, si d’autres conditions de cette traversée de substitution sont comparables à celles fixées pour la traversée initiale dans le contrat de transport ;
– que l’article 18, paragraphe 1, sous a), dudit règlement doit être interprété en ce sens qu’un réacheminement doit intervenir sans aucun supplément, de sorte que le transporteur doit rembourser les coûts supportés par les passagers pour se rendre aux ports d’embarquement et de débarquement de substitution ainsi que ceux supportés en quittant ces ports dans la mesure où ces coûts sont dus au réacheminement et sont plus importants que ceux qu’auraient supportés les passagers dans le cas d’un
service de transport de passagers non interrompu.
C. Sur l’indemnisation au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010 au regard du choix dont bénéficie le passager en vertu de l’article 18 de ce règlement
96. Par sa deuxième question, quatrième question, sous a), et cinquième question, sous a), la juridiction de renvoi cherche à établir, en substance, si, lorsqu’un service de transport de passagers a été annulé au moins sept semaines avant le départ prévu et qu’un passager a été remboursé ou réacheminé ou a choisi une traversée à une date ultérieure, ce passager peut prétendre à une indemnisation pour le retard à l’arrivée au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010, au regard de l’heure
d’arrivée établie pour la traversée initiale.
1. Exposé des questions
97. Dans le cadre de sa quatrième question, sous a), la juridiction de renvoi inclut deux sous-questions. La première sous-question concerne le point de savoir si l’article 19 du règlement no 1177/2010 s’applique lorsque le service de transport de passagers a été annulé au moins sept semaines avant le départ prévu. La deuxième sous-question, qui ne se pose que s’il convient de répondre par l’affirmative à la première sous-question, concerne le point de savoir si un passager qui, à la suite d’une
telle annulation, a été remboursé ou réacheminé, ou a choisi une traversée à une date ultérieure, conformément à l’article 18 du règlement no 1177/2010, peut prétendre à une indemnisation au titre de l’article 19 de ce règlement.
98. Par sa cinquième question, sous a), la juridiction de renvoi souhaite savoir comment s’apprécie la durée du retard au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 dans les circonstances correspondant à celles visées par la quatrième question, sous a), à savoir celles où le voyage a été annulé au moins sept semaines avant le départ prévu et où le passager a été réacheminé ou remboursé, ou a choisi une traversée à une date ultérieure.
99. La deuxième question concerne également, en substance, le point de savoir si le choix d’un passager d’opter pour un réacheminement en application de l’article 18 du règlement no 1177/2010 conduit à la conclusion d’un nouveau contrat de transport, de telle sorte que le droit à une indemnisation, prévu à l’article 19 de ce règlement, doit être apprécié non pas au regard de l’heure d’arrivée établie pour la traversée initiale mais au regard de celle établie dans ce « nouveau » contrat de transport.
100. Dans la mesure où ces questions concernent l’application cumulative des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 dans des circonstances identiques, je propose de les analyser conjointement.
2. Sur l’application cumulative des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010
101. En premier lieu, il y a lieu d’observer que, comme il résulte de mon analyse relative à la première question, la circonstance que le service de transport de passagers a été annulé avec un préavis, avant le départ prévu, n’exclut pas l’application de l’article 19 du règlement no 1177/2010 ( 32 ).
102. En deuxième lieu, pour répondre à la deuxième question et à la quatrième question, sous a), il convient d’établir si les articles 18 et 19 de ce règlement peuvent s’appliquer cumulativement, de sorte que le passager qui a recours à cette première disposition peut toujours prétendre à une indemnisation au titre de cette seconde disposition.
103. Pour placer cette question dans un contexte plus large, il y a lieu d’observer que les articles 16 à 18 du règlement no 1177/2010, d’une part, et l’article 19 de celui-ci, d’autre part, concernent, respectivement, les cas de départ retardé et ceux d’arrivée retardée. La doctrine indique que le législateur de l’Union a opéré cette distinction au motif que, dans le transport maritime, contrairement aux autres modes de transport, un retard au départ est susceptible d’être rattrapé au cours du
voyage, de sorte qu’un passager peut arriver à la destination finale à l’heure établie dans le contrat de transport, sans retard ( 33 ).
104. Cela étant précisé, on peut s’interroger sur le point de savoir si, lorsque le service de transport de passagers a été annulé, l’hypothèse d’une arrivée retardée se présente toujours et donne au passager le droit à une indemnisation au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010.
105. La lecture du considérant 14 du règlement no 1177/2010 tend à indiquer qu’il convient de répondre par l’affirmative à cette interrogation. Ce considérant énonce que « [l]es transporteurs devraient, en cas d’annulation ou de retard d’un service de transport de passagers, prévoir le versement aux passagers d’une indemnisation équivalant à un pourcentage du prix du billet » ( 34 ). Dans cet ordre d’idées, la proposition de règlement initiale précisait, à l’une de ses dispositions, que le voyageur
qui subit un retard à l’arrivée en raison d’une annulation ou d’un retard au départ peut exiger une indemnisation à ce titre. Or, à la suite de l’avis en première lecture du Parlement ( 35 ), il a été décidé, conformément à cet avis, de ne pas préciser les potentiels motifs d’un retard à l’arrivée, qui figurent néanmoins au considérant 14 du règlement no 1177/2010.
106. Par ailleurs, selon l’article 20, paragraphes 2 et 4, du règlement no 1177/2010, l’article 19 de celui-ci ne s’applique pas, respectivement, « si le passager est informé de l’annulation ou du retard avant l’achat du billet ou si l’annulation ou le retard est dû à la faute du passager » et « lorsque le transporteur prouve que l’annulation ou le retard sont dus à des conditions météorologiques » ( 36 ). En effet, dans le système du règlement no 1177/2010, l’annulation d’un service de transport de
passager en soi conduit non pas à la perte du droit au transport, mais à choisir entre un remboursement et le réacheminement susceptible d’arriver à la destination finale sans retard. Lorsque, en cas d’annulation, le passager garde son droit au transport, il peut toujours se prévaloir de l’article 19 de ce règlement.
107. En troisième lieu, se pose la question de savoir si le fait d’avoir recours à l’article 18 du règlement no 1177/2010 (et d’avoir bénéficié d’un remboursement, d’un réacheminement ou d’un choix de traversée ultérieure) affecte l’applicabilité de l’article 19 de ce règlement.
108. Dans ce contexte, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 dispose qu’une indemnisation en cas de retard à l’arrivée peut être demandée par un passager sans que celui-ci perde son droit au transport. En effet, le passager a droit au transport pour lequel il a payé. Si l’annulation d’un service de transport de passagers n’a pas pour conséquence la perte de ce droit ( 37 ), il en est autrement lorsque, à la suite d’une annulation, le passager a demandé et obtenu un remboursement
intégral en vertu de l’article 18, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. Dans une telle situation, le passager perd le droit au transport, raison pour laquelle l’article 18, paragraphe 1, sous b), dudit règlement prévoit que le remboursement du prix du billet est accompagné, « s’il y a lieu, [d’]un service de transport de retour gratuit dans les meilleurs délais jusqu’au point de départ initial tel qu’établi dans le contrat de transport ».
109. En revanche, lorsqu’un passager a choisi non pas un remboursement mais un réacheminement ou une traversée à une date ultérieure, il dispose toujours du droit au transport pour lequel il a payé et, par conséquent, peut demander une indemnisation au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010.
110. Il reste maintenant à déterminer si, lorsque le passager a été réacheminé ou a choisi une traversée à une date ultérieure, l’indemnisation prévue à l’article 19 du règlement no 1177/2010 doit être fixée au regard de l’heure d’arrivée établie pour la traversée initiale.
3. Sur le calcul de la durée du retard
111. Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, une indemnisation est due lorsque la durée du retard excède les seuils fixés, à cette disposition, en fonction de la durée du voyage. Ladite disposition concerne le droit à une indemnisation des passagers qui subissent un retard à l’arrivée à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport. Ainsi, le point de savoir si la durée du retard excède ces seuils doit être apprécié au regard de l’heure d’arrivée et
de la durée du voyage fixées dans ce contrat qui établit la destination finale.
112. Il en va de même des droits des passagers réacheminés ou de ceux des passagers ayant choisi une traversée à une date ultérieure.
113. En effet, dans le cadre d’un réacheminement, lorsqu’un départ est retardé ou annulé, l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1177/2010 fait également référence à la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport, en précisant que le réacheminement doit avoir lieu dans des conditions comparables. À cet égard, il est évident que la « destination finale » est celle fixée lors de la conclusion du contrat dans lequel les conditions du transport sont convenues et que
le réacheminement est effectué dans des conditions comparables à celles initialement convenues.
114. Compte tenu du fait que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 peuvent s’appliquer cumulativement et utilisent la même formulation de « destination finale », il convient de considérer que cette formulation a le même sens dans ces deux dispositions. L’existence d’un droit à l’indemnisation au titre de l’article 19 de ce règlement doit donc être déterminée au regard des modalités convenues par les parties au contrat de transport pour la traversée initiale.
115. En conséquence, le retard correspond à la différence entre l’heure d’arrivée contractuellement prévue et l’heure d’arrivée réelle à la destination finale.
116. Si, à la suite d’un service de transport de passagers de substitution, le passager n’a pas été acheminé à la destination finale initialement convenue, il convient alors en principe, comme le propose la NTA et lorsque le passager le demande, de calculer le retard par rapport à l’heure à laquelle le passager serait arrivé à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport, à supposer que le réacheminement ait continué du port de débarquement de substitution vers cette
destination.
117. En revanche, comme il ressort du point 108 des présentes conclusions, lorsque le passager a été intégralement remboursé, conformément à l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1177/2010, la question d’une indemnisation au titre de l’article 19 de ce règlement ne se pose pas.
118. Contrairement à ce que semble faire valoir Irish Ferries, le fait que le réacheminement ou la sélection d’une traversée à une date ultérieure résultent d’un choix d’un passager ne saurait remettre en cause les considérations qui précèdent. En effet, lors de la conclusion du contrat de transport initial, ce passager a déjà choisi la destination finale, l’heure d’arrivée et la durée du voyage. Le fait que le service de transport de passagers n’a pas été effectué en conformité avec ces modalités
résulte de faits imputables au transporteur. Considérer que le choix ultérieur imposé au passager, en raison de ces faits, le prive de son droit à une indemnisation reviendrait à conférer à un transporteur le droit de se libérer des obligations lui incombant au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010 du fait d’un réacheminement vers la destination finale ( 38 ). Contrairement à la situation d’un remboursement intégral, rien dans le texte de ce règlement ne permet de retenir une telle
solution dans la situation d’un réacheminement ( 39 ). Par ailleurs, les situations dans lesquelles cette disposition n’est pas applicable sont annoncées à l’article 20 dudit règlement et le fait que le passager se voit proposé un tel réacheminement n’y est pas mentionné.
119. En conséquence, je propose de répondre à la deuxième question, à la quatrième question, sous a), et à la cinquième question, sous a), que l’article 19 du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que, lorsque le service de transport de passagers a été annulé avec un préavis, avant le départ prévu, et qu’un passager choisit un réacheminement ou une traversée à une date ultérieure, ce passager peut prétendre à une indemnisation au titre de l’article 19 de ce règlement eu égard au
retard à l’arrivée à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport pour la traversée initiale. Lorsque le passager demande une telle indemnisation, le retard correspond à la différence entre l’heure d’arrivée contractuellement prévue et l’heure à laquelle le passager serait arrivé à la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport, à supposer que le réacheminement ait continué du port de débarquement de substitution vers cette destination. En revanche,
un passager ayant choisi et obtenu un remboursement intégral ne peut prétendre à cette indemnisation.
D. Sur la notion de « prix du billet » au sens de l’article 19 du règlement no 1177/2010
120. Par sa cinquième question, sous b), la juridiction de renvoi cherche à déterminer les composantes du « prix du billet » au sens de l’article 19 du règlement no 1177/2010. Dans ce cadre, elle se demande si le prix du billet inclut les coûts afférents aux prestations optionnelles supplémentaires choisies par le passager, telles que la réservation d’une cabine ou d’un chenil, ou encore l’accès à des espaces de réception de première catégorie.
121. Si la notion de « prix du billet » est utilisée aux articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010, ce règlement ne contient cependant pas de définition de cette notion.
122. Au cours des travaux préparatoires du règlement no 1177/2010, le Parlement a proposé d’introduire une définition de la notion de « prix du billet », qui servirait de « base sur laquelle reposera toute indemnisation ». Selon cette proposition, il s’agirait « [des] frais engagés pour le transport et l’hébergement à bord. Il n’inclut pas les frais liés aux repas, aux autres activités et aux achats effectués à bord » ( 40 ). Ladite proposition n’a pas été reprise par le Conseil. En revanche, le
Conseil a établi les modes de calcul détaillés en ce qui concerne les montants à verser au passager, conformément aux articles 18 et 19 de ce règlement.
123. Il ressort de l’article 19 du règlement no 1177/2010 que le prix du billet sert de base pour le calcul de l’indemnisation en cas de retard à l’arrivée. Cette indemnisation correspond à un pourcentage (au minimum 25 % ou 50 %) du prix du billet et est calculée, selon l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement, par rapport au prix que le passager a réellement payé pour le service de transport de passagers ayant subi un retard.
124. J’en déduis que le prix du billet, au sens de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010, correspond au montant total payé par le passager en contrepartie du service de transport de passagers. L’indemnisation visée par cette disposition est calculée par rapport à ce prix et a pour objet de compenser le montant payé pour un service de transport de passagers n’ayant pas été exécuté conformément au contrat de transport ( 41 ). Or, eu égard au contrat, la défaillance dans le service du
transporteur concerne non seulement le non-respect de la destination finale, mais également celui des conditions du transport pour lesquelles le passager a payé. Ces conditions concernent, notamment, le choix d’une cabine, d’un chenil ou d’une classe de billet. En revanche, ne doivent pas être inclus dans le prix du billet les montants payés pour des prestations externes au service de transport de passagers, telle que les commissions d’un agent de voyage.
125. En effet, comme l’observe la Commission, à la différence du règlement no 261/2004, le règlement no 1177/2010 ne prévoit pas d’indemnisation forfaitaire normalisée pour chaque passager, car le montant de celle-ci dépend du prix du billet acheté par le passager. Dans ces conditions, ne pas tenir compte du type du billet et d’éléments tels que la classe (première ou seconde) ou l’hébergement à bord ne respecterait pas le choix du législateur de l’Union de ne pas introduire une telle indemnisation
forfaitaire.
126. Par ailleurs, l’interprétation de l’article 19 du règlement no 1177/2010 que je propose permet au passager d’identifier facilement le montant de l’indemnisation à laquelle il a droit en cas d’annulation. En suivant cette logique, peuvent être exclus de la notion de « prix du billet », au sens de cette disposition, la partie du prix du billet correspondant aux montants payés pour les prestations autonomes par rapport à celle du service de transport de passagers, à condition que cette partie du
prix du billet soit clairement identifiable et « séparable » du montant payé pour le service de transport de passagers.
127. Compte tenu des considérations qui précèdent, je suis d’avis qu’il convient de répondre à la cinquième question, sous b), que l’article 19 du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que le prix du billet englobe les coûts afférents aux prestations optionnelles supplémentaires choisies par le passager, telles que la réservation d’une cabine ou d’un chenil, ou encore l’accès à des espaces de réception de première catégorie.
E. Sur l’interprétation de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010
1. Observations liminaires sur la sixième question préjudicielle
128. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si un retard de 200 jours dans la livraison d’un navire de transport de passagers ayant entraîné l’annulation de toutes les traversées prévues pour une nouvelle liaison maritime peut être considéré comme une circonstance extraordinaire au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 et si un tel retard exonère le transporteur de son obligation d’indemnisation des passagers.
129. Il résulte de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 que le transporteur n’est pas obligé d’indemniser les passagers au titre de l’article 19 de ce règlement lorsqu’il prouve que l’annulation ou le retard sont dus à des circonstances extraordinaires empêchant l’exécution du service de transport de passagers qui n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
130. La juridiction de renvoi se limite, dans cette question, pour décrire les circonstances qu’elle souhaite voir examiner à la lumière de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010, à mentionner les « circonstances et considérations évoquées dans la première question ». Il ressort de la lecture conjointe des première et sixième questions que, pour cette juridiction, c’est, en substance, le retard de livraison qui est à l’origine de l’empêchement de l’exécution du service de transport de
passagers en cause.
131. Par ailleurs, si la première question indique d’autres circonstances, certaines, notamment celles qu’aucun navire de remplacement adéquat n’a pu être obtenu, qu’il n’existait aucun service de substitution similaire, et que plus de 20000 passagers ont été affectés par la livraison tardive, devraient être considérées non pas comme des « circonstances extraordinaires », mais plutôt, à mon avis, comme des « mesures raisonnables », au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010.
2. Sur les critères de détermination des « circonstances extraordinaires »
132. À l’instar des dispositions analogues du règlement no 261/2004, l’article 19 du règlement no 1177/2010 pose le principe du droit à l’indemnisation des passagers, tandis que l’article 20, paragraphe 4, de ce règlement détermine les situations dans lesquelles le transporteur maritime n’est pas tenu de verser cette indemnisation. Cette dernière disposition doit donc être regardée comme dérogeant au principe établi par l’article 19 dudit règlement et ne doit pas faire l’objet d’une interprétation
extensive ( 42 ).
133. Par ailleurs, le considérant 17 du règlement no 1177/2010 indique une liste des événements susceptibles de relever de la notion de « conditions extraordinaires » ( 43 ). Cette liste (« sans s’y limiter ») n’est pas exhaustive. En tout état de cause, ces événements ne s’inscrivent pas naturellement dans l’exercice non perturbé du transport maritime et ne relèvent pas du contrôle du transporteur.
134. Dans cet ordre d’idées, le considérant 19 du règlement no 1177/2010 fait référence à la jurisprudence selon laquelle peuvent relever de la notion de « circonstances extraordinaires » uniquement des événements qui, d’une part, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné et qui, d’autre part, échappent à la maîtrise effective de ce dernier. Ces deux critères ont été dégagés par la Cour dans sa jurisprudence relative au règlement no 261/2004. Le considérant 19
du règlement no 1177/2010 manifeste donc la volonté du législateur de l’Union d’assimiler l’interprétation de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens du règlement no 1177/2010 à celle établie par la Cour dans sa jurisprudence relative au règlement no 261/2004 ( 44 ).
135. Enfin, il découle de cette jurisprudence que les deux critères sont cumulatifs ( 45 ) et sont déterminés au regard de la nature ou de l’origine de l’événement ayant empêché l’exécution du service de transport de passagers ( 46 ). On peut également déduire de ladite jurisprudence que ces deux critères sont les seuls valables pour constater la présence des circonstances extraordinaires. En effet, ni la fréquence ( 47 ) ni le caractère inopiné ( 48 ) d’un événement ne signifient que ce dernier
constitue une circonstance extraordinaire.
136. Compte tenu des clarifications que je viens d’apporter, il convient de relever que, contrairement à ce que font valoir Irish Ferries et l’Irlande, le caractère exceptionnel et inhabituel ou imprévisible du retard de livraison ne permet pas de qualifier ce retard de « circonstance extraordinaire » ( 49 ).
137. En outre, la distinction entre les circonstances extraordinaires et celles qui n’ont pas ce caractère ne saurait opérer sur la base d’une différenciation simplifiée entre les circonstances exogènes et endogènes. Dans sa jurisprudence, la Cour a déjà conclu que, dans certains cas, les faits des tiers n’exonèrent pas le transporteur de son obligation d’indemnisation en tant que circonstances extraordinaires ( 50 ).
3. Sur le critère du caractère inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur maritime
138. En ce qui concerne le critère du caractère inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné, il me faut observer que, pour qu’un transporteur maritime puisse assurer un service de transport de passagers, il doit disposer d’un navire utilisé pour cette fin. A fortiori, le fait d’avoir une flotte mise à sa disposition est indispensable, voire inhérent à l’exercice normal de l’activité de transport maritime. En faisant un parallèle avec le raisonnement que la Cour a développé
dans son arrêt Krüsemann e.a. ( 51 ), on peut considérer alors que l’organisation et l’entretien de la flotte font partie des mesures de gestion normale d’un transporteur maritime et certains risques qui accompagnent ces mesures sont également inhérents à l’exercice normal de l’activité de ce transporteur.
139. Certes, un transporteur peut décider d’anticiper la livraison d’un navire et de proposer les réservations aux passagers, avant que ce navire soit mis à sa disposition. À cet égard, Irish Ferries fait valoir qu’un tel comportement est habituel dans le secteur du transport maritime de passagers. Lorsqu’un transporteur prend une telle décision, alors que le navire concerné est le seul qui puisse être utilisé pour assurer les services de transport sur un itinéraire donné, il s’expose cependant à un
risque économique qu’il doit également gérer. Du point de vue du système du règlement no 1177/2010, le transporteur concerné internalise ce risque, en l’intégrant dans son activité normale.
140. Par ailleurs, les modalités concernant la commande et la livraison du navire sont établies dans le contrat conclu par le transporteur. Or, d’une part, tout contrat comporte des risques ( 52 ). Dans la présente affaire, le retard de livraison résulte de circonstances tenant au comportement de l’une des parties au contrat ou au comportement des sous-traitants de cette partie ( 53 ). Il s’agit donc d’une perturbation qui s’inscrit dans le risque contractuel habituel. En effet, rien n’indique que
le retard ait été causé par un acte extérieur à l’exécution des obligations contractuelles du contractant ou des sous-traitants de celui-ci, voire aux services normaux d’un chantier naval ( 54 ). Dans ce contexte, le risque contractuel habituel comporte également le cas d’une inexécution contractuelle. En conséquence, le fait que le retard était de 200 jours n’est pas susceptible de remettre en cause cette considération.
141. D’autre part, tout contrat est susceptible de constituer un mécanisme de gestion des risques. En effet, la Commission indique que la commande d’un nouveau navire est planifiée à l’avance et fait en général l’objet d’un contrat détaillé qui comporte des clauses relatives aux retards de livraison. Dans cet ordre d’idées, lors de l’audience, la NTA a constaté que le contrat conclu en 2016 était basé sur un modèle standard, utilisé dans la pratique internationale, et comportait un mécanisme
d’indemnisation pour ce qui est des retards non autorisés. L’existence des mécanismes de gestion des risques dans des contrats portant sur la livraison des navires confirme, à mon sens, la reconnaissance de l’existence du risque contractuel habituel qui s’attache à une telle livraison.
142. Cette constatation n’a pas été mise en question par Irish Ferries qui a indiqué, à cet égard, que ce mécanisme n’était pas suffisant pour couvrir les pertes et les dommages qu’elle avait subies. En effet, compte tenu du niveau de protection des passagers que le système du règlement no 1177/2010 vise à établir, le fait que le mécanisme de gestion du risque contractuel habituel ne soit pas suffisant, selon l’une des parties à un contrat, ne saurait conduire à la situation dans laquelle ce risque
est supporté par les passagers. Le transporteur ne saurait externaliser, au détriment des passagers, le risque économique qu’il a intégré dans son activité normale ( 55 ).
143. Ainsi, je propose de considérer que l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens qu’un retard dans la livraison d’un navire, résultant du comportement de l’une des parties au contrat ou de celui des sous-traitants de cette partie, est inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné lorsque celui-ci a commencé à proposer les réservations et a conclu les contrats de transport avec les passagers avant que le navire n’ait été mis à sa
disposition et, dès lors, ne relève pas de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de cette disposition.
144. Compte tenu du fait que les deux critères de détermination des « circonstances extraordinaires » sont cumulatifs, cette considération devrait suffire pour estimer que la livraison tardive d’un navire ne constitue pas une telle circonstance. Toutefois, pour le cas où la Cour ne retiendrait pas ladite considération, je passe maintenant à l’analyse du second critère.
4. Sur le critère de la maîtrise effective
145. Dans sa jurisprudence relative au secteur du transport aérien de passagers, la Cour se réfère au critère de la compétence du transporteur pour apprécier si l’événement a pu échapper à sa maîtrise effective ( 56 ).
146. Dans ce contexte, dans l’arrêt van der Lans ( 57 ), la Cour a considéré que la prévention d’une panne ou la réparation occasionnée par celle-ci n’échappent pas à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné, dès lors que c’est à ce dernier qu’il incombe d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement des aéronefs qu’il exploite aux fins de ses activités économiques.
147. Comme je l’ai observé au point 138 des présentes conclusions, il relève de la compétence d’un transporteur maritime d’assurer l’organisation et l’entretien de la flotte exploitée aux fins de ses activités économiques. À ces fins, il conclut notamment, comme l’illustre la présente affaire, des contrats pour la construction des navires. À la différence donc de la situation visée dans l’arrêt van der Lans ( 58 ), dans un tel cas le transporteur n’exploite pas encore le navire commandé.
148. Dans ce contexte, la conclusion des contrats et leur contenu n’échappe pas à la maîtrise effective du transporteur concerné, ce qui permet à celui-ci de gérer certains risques, y compris le risque économique auquel il est exposé. Se pose donc la question suivante : l’exécution des obligations contractuelles par l’une des parties et par ses sous-traitants dans le délai imparti est-elle effectivement maîtrisable pour le transporteur ? ( 59 )
149. Dans sa jurisprudence, la Cour s’est déjà prononcée sur le critère de la maîtrise effective au regard des faits des tiers qui constituent – ou avaient provoqué – des événements susceptibles de relever de la notion de « circonstances extraordinaires ». Il résulte de la jurisprudence que n’échappent pas à la maîtrise effective du transporteur les faits des tiers intervenus en collaboration avec ce transporteur ou ceux qui trouvent leur origine dans une décision de celui-ci ( 60 ).
150. Dans son arrêt Transportes Aéreos Portugueses ( 61 ), la Cour a récemment apporté de nouvelles clarifications au regard de cette jurisprudence. Tout d’abord, au point 42 de cet arrêt, la Cour a expliqué qu’un passager est lié au transporteur par un contrat de transport et qu’il incombe au passager de veiller à ne pas compromettre la bonne exécution de ce contrat. Ensuite, au point 43, la Cour a considéré, en premier lieu, que le comportement perturbateur d’un passager ayant justifié le
déroutement du vol concerné n’est, en principe, pas maîtrisable par le transporteur aérien effectif concerné, dès lors que le comportement et les réactions d’un passager aux demandes de l’équipage ne sont pas prévisibles et, en second lieu, que, à bord d’un aéronef, le commandant de bord comme l’équipage ne disposent que de moyens limités pour maîtriser un tel passager. J’en déduis que le fait que le transporteur établit les clauses du contrat conclu avec le passager n’implique pas
automatiquement que le comportement de celui-ci est maîtrisable pour ce transporteur. Toutefois, la Cour a précisé, également au regard du critère de la maîtrise effective, qu’il convient de vérifier si le transporteur n’a pas contribué à la survenance du comportement perturbateur du passager concerné ou si ce transporteur était en mesure d’anticiper un tel comportement et de prendre les mesures appropriées, en se fondant sur des signes avant-coureurs ( 62 ). Selon la Cour, dans ces
circonstances, le comportement perturbateur d’un passager serait maîtrisable par ledit transporteur ( 63 ).
151. À cet égard, il me faut observer qu’Irish Ferries affirme que la conclusion du contrat de 2016 a été précédée par une évaluation des chantiers navals et par une sélection prudente. Cette affirmation n’est pas remise en cause par la NTA. Rien ne permet donc de considérer qu’Irish Ferries ou ICG ont contribué, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Transportes Aéreos Portugueses ( 64 ), de manière active ou par négligence, à la livraison tardive du navire. Pour ces raisons, si la Cour ne
partage pas mon analyse relative au premier critère de détermination des « circonstances extraordinaires » et procède à l’analyse du second critère, je propose de considérer que la livraison tardive d’un navire n’était pas maîtrisable pour le transporteur. En conséquence, cette livraison tardive serait susceptible d’exonérer le transporteur de sa responsabilité en tant que circonstance extraordinaire.
5. Sur les mesures raisonnables
152. À supposer même que le retard dans la livraison d’un navire puisse constituer une « circonstance extraordinaire », il incomberait encore au transporteur d’établir que, même en mettant en œuvre toutes les mesures raisonnables, c’est-à-dire tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, il n’aurait manifestement pas pu, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent, éviter que les circonstances
extraordinaires auxquelles il était confronté conduisent à l’annulation ou au retard du service de transport ( 65 ). Dans ce cadre, seules doivent être prises en considération les mesures pouvant effectivement incomber au transporteur concerné, à l’exclusion de celles relevant de la compétence de tiers ( 66 ).
153. Il est certes vrai qu’il convient de laisser à la juridiction de renvoi le soin d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, le transporteur disposait des mesures raisonnables pour éviter la circonstance extraordinaire en question. Néanmoins, afin de guider la juridiction de renvoi et de donner une réponse utile à sa question, la Cour pourrait apporter des clarifications sur la question la plus controversée par les parties au principal ( 67 ).
154. En fait, la NTA soutient qu’Irish Ferries n’a pas pris les mesures raisonnables qui étaient à sa disposition pour éviter l’annulation des services de transport de passagers. En particulier, Irish Ferries aurait enregistré des réservations pour des services de transport de passagers sur le navire à une époque à laquelle elle n’avait ni la propriété ni la possession du navire et où elle ne pouvait pas être certaine que, au moment où les services de transport de passagers devaient être fournis,
elle aurait la propriété ou la possession du navire. En revanche, Irish Ferries fait valoir que le fait de s’abstenir d’enregistrer les réservations pour des services de transport sur une nouvelle liaison constituerait un sacrifice insupportable, au sens de la jurisprudence.
155. Certes, on pourrait arguer que le délai anticipé par Irish Ferries, entre la livraison du navire et sa mise en service, n’était pas suffisant pour considérer que ce transporteur ne disposait pas des mesures plus adéquates pour éviter la défaillance dans l’exécution du service de transport.
156. Cela étant, si, contrairement à ce que je propose dans les présentes conclusions, la Cour considère que le retard dans la livraison d’un navire pour une nouvelle liaison ne constitue pas un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné (premier critère de détermination des « circonstances extraordinaires »), on ne saurait alors, à mon avis, exiger de ce transporteur de s’abstenir d’enregistrer les réservations jusqu’à la mise à sa disposition de ce navire par le
chantier, avec toute la certification nécessaire. En effet, considérer comme une « mesure raisonnable » le fait de s’abstenir d’enregistrer les réservations jusqu’au moment – imprévisible – où ce retard est surmonté, voire sans aucune limitation temporelle, irait à l’encontre de la considération selon laquelle ce retard n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité et est, partant, susceptible de relever de la notion de « circonstance extraordinaire ».
157. Sans préjudice des remarques qui précèdent, relatives au second critère de détermination des « circonstances extraordinaires », je maintiens la position que j’ai avancée au point 143 des présentes conclusions. Compte tenu du fait que, selon cette position, le premier critère de détermination des « circonstances extraordinaires » n’est pas rempli en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner le second critère ni le point de savoir si le transporteur disposait de « mesures raisonnables ».
F. Sur l’interprétation de l’article 24 du règlement no 1177/2010
158. Par sa septième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si une demande d’indemnisation, au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010, peut être assimilée à une plainte, au sens de l’article 24 de ce règlement, de sorte qu’un passager doit introduire sa demande d’indemnisation auprès du transporteur dans un délai de deux mois à partir de la date à laquelle le service de transport a été exécuté ou aurait dû être exécuté pour que l’organisme national chargé de
l’application de ce règlement puisse sanctionner le non-paiement de cette indemnisation.
159. Bien que la juridiction de renvoi ne précise pas le nombre de passagers et ni le moment auquel ceux-ci ont introduit les demandes d’indemnisation au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010, la septième question semble trouver son origine dans l’argument d’Irish Ferries selon lequel la NTA aurait omis de limiter l’effet de la décision et des notifications aux passagers qui avaient déposé une plainte conformément à l’article 24 de ce règlement. On ne peut donc pas considérer qu’il
apparaît de manière manifeste que cette question n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.
160. Il y a lieu de relever d’emblée que l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1177/2010 établit non seulement le délai pour l’introduction d’une plainte, mais également les délais dans lesquels le transporteur doit examiner la plainte et la retenir ou la rejeter. De même, l’article 19 de ce règlement prévoit un délai propre pour traiter des demandes d’indemnisation introduites sur le fondement de cette disposition. En effet, l’article 19, paragraphe 5, dudit règlement oblige le transporteur à
payer l’indemnisation due au passager dans le mois qui suit le dépôt de la demande d’indemnisation. Dans ces conditions, on pourrait certes, a priori, arguer que cette disposition constitue une lex specialis au regard de l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1177/2010, dans la mesure où ces deux dispositions concernent les délais pour traiter les demandes d’indemnisation, sans affecter le délai pour le dépôt d’une plainte établi à l’article 24, paragraphe 2, de ce règlement.
161. Par ailleurs, l’article 24, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 impose aux transporteurs de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes concernant les droits et les obligations visés par ce règlement. Cette disposition pourrait laisser penser que la notion de « plainte » se rapporte à tous les droits et obligations visés par le règlement no 1177/2010, y compris le droit à une indemnisation, prévu à l’article 19 de ce règlement.
162. Toutefois, je suis d’avis que, dans le système du règlement no 1177/2010, une demande d’indemnisation ne saurait être assimilée à une plainte.
163. En effet, en premier lieu, pour décrire l’événement déclencheur pour le délai du transporteur, l’article 19, paragraphe 5, du règlement no 1177/2010 fait référence non pas au moment de la réception de la plainte mais à celui du dépôt de la demande d’indemnisation.
164. En deuxième lieu, à la différence de l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1177/2010, l’article 19, paragraphe 5, de ce règlement ne prévoit pas que le transporteur examine la demande d’indemnisation et peut la retenir ou la rejeter. Selon cette dernière disposition, « [l]’indemnisation est payée dans le mois qui suit le dépôt de la demande d’indemnisation ». Cette différence entre le mode de traitement des plaintes et les demandes d’indemnisation correspond parfaitement à la nature de
ces dernières. En effet, conformément à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, le retard à l’arrivée donne lieu à la naissance d’une créance pécuniaire au profit du passager dont celui-ci peut demander le paiement auprès du transporteur, demande à laquelle ce dernier, en tant que débiteur, doit satisfaire.
165. En troisième lieu, selon l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010, tout passager peut déposer une plainte pour infraction alléguée à ce règlement auprès de l’organisme national chargé de l’application dudit règlement ( 68 ). Cette disposition prévoit également qu’un État membre peut décider que le passager est tenu, dans un premier temps, de déposer sa plainte auprès du transporteur ou que l’organisme national reconnaît cette plainte en tant qu’instance de recours. J’en déduis que
les transporteurs et les organismes nationaux sont chargés de traiter les plaintes dont l’objet est le même ou de traiter les mêmes plaintes.
166. Dans ce contexte, le considérant 24 du règlement no 1177/2010 explique que la désignation des organismes nationaux chargés d’assurer le respect de ce règlement ne porte pas atteinte aux droits des passagers de recourir à une procédure judiciaire devant les tribunaux en vertu du droit national. Le passager peut donc se prévaloir de sa créance au titre de l’article 19 du règlement no 1177/2010 devant des juridictions nationales. Dans le cadre d’une telle procédure judiciaire, le délai de deux
mois ne serait pas applicable. La référence au droit national, qui figure au considérant 24 de ce règlement, corrobore cette interprétation. En effet, considérer que le délai de deux mois s’applique dans le contexte non judiciaire reviendrait à obliger le passager à poursuivre la procédure judiciaire, sans permettre aux organismes nationaux chargés d’assurer le respect du règlement no 1177/2010 de sanctionner le refus d’indemniser ce passager en raison de l’écoulement de ce délai.
167. Ainsi, l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que l’infliction d’une sanction au transporteur pour le non-paiement de l’indemnisation due au passager au titre de l’article 19 de ce règlement n’est pas soumise à la condition que le passager ait introduit la demande d’indemnisation auprès du transporteur dans le délai de deux mois à partir de la date à laquelle le service a été exécuté ou aurait dû être exécuté.
G. Sur l’interprétation de l’article 25 du règlement no 1177/2010
168. Par sa huitième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la compétence d’un organisme national chargé de l’application du règlement no 1177/2010, établie par un État membre conformément à l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement, se limite aux services de transport à partir des ports situés sur le territoire de cet État membre ou bien si cette compétence couvre également les services de transport de retour en provenance d’un autre État membre à destination de ces ports.
169. Le libellé de l’article 25 du règlement no 1177/2010 peut faire penser qu’il convient de répondre par la négative à cette question. En effet, selon cette disposition, l’organisme national désigné par un État membre est chargé de l’application de ce règlement pour les services de transport de passagers à partir de ports situés sur le territoire de cet État membre ainsi que ceux en provenance d’un pays tiers à destination de ces ports.
170. La juridiction de renvoi semble être parfaitement consciente des implications de l’interprétation littérale de ladite disposition. La formulation de la huitième question indique que cette juridiction souhaite savoir si la circonstance que la compétence d’un organisme national soit exercée au regard des services de transport de passagers pour lesquels le transport portait sur le trajet aller-retour, de l’Irlande à la France, pourrait appeler une interprétation différente de la même disposition.
171. Dans ce contexte, lors de l’audience, Irish Ferries a indiqué que, pour certains passagers, le transport ne portait pas sur le trajet aller-retour à partir d’un port situé sur le territoire irlandais. Selon Irish Ferries, plus de la moitié des traversées ont commencé en France. Toutefois, la formulation de la huitième question fait expressément référence à une traversée dans le sens du retour (« a return sailing ») et il convient donc d’analyser cette question sous cet angle.
1. Sur l’article 25, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1177/2010
172. Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, l’argumentation de la NTA, tirée de l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010, selon laquelle tout passager peut déposer une plainte auprès de l’organisme compétent désigné en vertu l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement ou auprès de tout autre organisme compétent désigné par un État membre. La NTA interprète la référence à « tout autre organisme compétent désigné par un État membre » en ce sens qu’un passager peut déposer sa plainte
relative au transport qui porte sur un trajet aller-retour auprès des organismes des deux États membres sur les territoires desquels sont situés les ports concernés par ce transport.
173. Or, je ne suis pas convaincu par l’interprétation de l’article 25 du règlement no 1177/2010 avancée par la NTA, selon laquelle le passager peut choisir l’organisme auprès duquel il peut déposer sa plainte, dans la mesure où cette interprétation reviendrait à reconnaître l’existence de la compétence alternative des organismes nationaux de deux États membres dans le cadre de laquelle ces organismes assureraient le respect de ce règlement en ce qui concerne les mêmes services de transport de
passagers.
174. En effet, la huitième question ne se limite pas au point de savoir dans quel État membre un passager peut déposer sa plainte mais vise, de manière plus générale, la compétence des organismes nationaux chargés de l’application du règlement no 1177/2010 et désignés par les États membres conformément à l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement.
175. À cet égard, un organisme national désigné par un État membre est chargé de la mission d’exercer sa surveillance de caractère général sur l’application du règlement no 1177/2010 au regard des services de transport de passagers à partir de ports situés sur le territoire de cet État membre et les services de transport de passagers en provenance d’un pays tiers à destination de ces ports. Ce faisant, un tel organisme prend, ainsi qu’il ressort de cette disposition, les mesures nécessaires pour
assurer le respect de ce règlement.
176. Conformément à l’article 28 du règlement no 1177/2010, les États membres, à leur tour, déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions de ce règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer leur application. En droit irlandais, le non-respect des notifications concernant de telles violations, émises par la NTA, est sanctionné par des amendes. Or, la compétence d’émettre de telles notifications doit être exercée par un organisme national chargé de
l’application dudit règlement, tel que la NTA, dans les limites prévues à l’article 25, paragraphe 1, du même règlement.
177. On ne saurait donc considérer que n’importe quel organisme national dispose de la compétence en matière de surveillance de caractère général des services de transport de passagers concernés, car cette compétence implique l’infliction de sanctions pour des violations du règlement no 1177/2010 relevant de l’étendue territoriale de cette compétence.
178. Examinant maintenant l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010, il y a lieu d’observer que celui-ci ne concerne que le traitement des plaintes. En outre, selon cette disposition, celles-ci peuvent être déposées auprès de l’organisme compétent désigné en vertu de l’article 25, paragraphe 1, dudit règlement ou auprès de tout autre organisme compétent désigné par un État membre. J’en déduis que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement n’est pas nécessairement le
seul organisme compétent pour connaître des plaintes. Un État membre peut établir un autre organisme compétent à ces fins. La compétence de traiter les plaintes des passagers maritimes peut donc être indépendante de la compétence dans le cadre de laquelle la surveillance de caractère général est exercée ( 69 ).
179. Allant au-delà de cette lecture de l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010, la NTA fait valoir que la référence à un organisme compétent désigné par un État membre implique que le passager peut saisir également des organismes compétents d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel est situé le port d’embarquement.
180. Dans ce contexte, d’une part, l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010 a fait l’objet d’une lecture différente au cours des travaux préparatoires. En effet, le Parlement et le Conseil ont compris cette disposition en ce sens qu’elle concernait plusieurs organismes compétents établis par le même État membre ( 70 ), à savoir l’État membre sur le territoire duquel est situé le port d’embarquement.
181. D’autre part, la Commission semble comprendre cette disposition en ce sens que le passager peut choisir de saisir l’organisme national chargé de l’application du règlement no 1177/2010 désigné par un autre État membre ( 71 ), sans indiquer toutefois que cet organisme national soit compétent au sens de l’article 25, paragraphe 3, de ce règlement. Or, dans le contexte des dispositions analogues du règlement no 261/2004, la Commission indique explicitement que, dans un tel cas, l’organisme saisi
par le passager aérien n’est pas l’organisme compétent et que la plainte doit être transférée à un organisme chargé de l’application du règlement compétent, désigné par un autre État membre ( 72 ).
182. Dans ces conditions, si je considère que le passager peut déposer la plainte relative au transport portant sur un trajet aller-retour auprès des organismes d’un des deux États membres sur les territoires desquels se situent les ports concernés par ce transport, cela n’implique toutefois pas que tous ces organismes sont compétents pour exercer la surveillance de caractère général, visée à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, sur les services de transport de passagers auquel il
est fait référence dans la plainte.
2. Sur la notion de « service de transport de passagers » eu égard à un trajet aller-retour
183. Un raisonnement fondé sur une lecture spécifique des notions utilisées à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 serait susceptible de remettre en cause les implications de l’interprétation littérale de cette disposition.
184. En effet, considérer que, dans le cadre de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, la notion de « service de transport de passagers » inclut, lorsque le transport porte sur un trajet aller-retour, une traversée dans le sens de l’aller et une traversée dans le sens du retour reviendrait à reconnaître la compétence des organismes nationaux de l’État membre sur le territoire duquel se situent les ports d’embarquement de cette première traversée.
185. Irish Ferries fait allusion à ce raisonnement en indiquant que, dans le contexte du règlement no 261/2004, la Cour a considéré que la notion de « vol » au sens de ce règlement consiste, en substance, en une opération de transport aérien, étant ainsi, d’une certaine manière, une « unité » de ce transport ( 73 ). Lors de l’audience, la NTA a semblé faire écho à cette considération en faisant valoir que, en ce qui concerne le règlement no 1177/2010, lorsque le transport porte sur un trajet
aller-retour, le service réservé comprend deux parties.
186. Bien que l’article 3, sous f), du règlement no 1177/2010 définisse la notion de « service de transport de passagers », cette définition ne contient pas d’indication permettant de déterminer si le transport qui porte sur un trajet aller-retour constitue un service unique. De telles indications peuvent toutefois être trouvées dans d’autres dispositions de ce règlement.
187. Dans ce contexte, l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 établit le mode de calcul de l’indemnisation due au passager en cas de retard à l’arrivée eu égard au transport qui porte sur un trajet aller-retour et dispose, dans la version en langue française de ce règlement, que, lorsque le retard intervient à l’aller ou au retour, cette indemnisation est calculée par rapport à la moitié du prix payé pour le transport effectué au moyen du service de transport de passagers. Toutefois,
d’autres versions linguistiques indiquent que cette indemnisation est calculée par rapport à la moitié du prix payé pour le transport effectué au moyen de ce service de transport de passagers ( 74 ) ou par rapport à la moitié du prix payé pour ce service de transport de passagers ( 75 ). Dans ces versions linguistiques, l’utilisation d’un pronom démonstratif dans l’expression « ce service » semble constituer une référence à l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement, qui concerne le service de
transport de passagers ayant subi un retard.
188. À première vue, l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 peut amener à conclure que le transport qui porte sur un trajet aller-retour est effectué au moyen d’un service de transport de passagers unique.
189. Toutefois, en premier lieu, cette disposition ne fait la liaison entre un tel transport et un tel service que pour le cas où l’une des deux traversées a connu un retard.
190. En deuxième lieu, à l’exception de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, la notion de « transport » n’est pas utilisée dans d’autres dispositions de ce règlement. Si la notion de « voyage » constitue un équivalent de la notion de « service de transport de passagers », on pourrait s’interroger sur la raison pour laquelle le législateur n’a pas utilisé cette seconde notion dans la formulation de l’article 19, paragraphe 4, dudit règlement.
191. En troisième lieu, l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 prévoit que, dans des cas visés par cette disposition, le passager se voit immédiatement offrir le choix entre « un réacheminement vers la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport », ou « le remboursement du prix du billet et, s’il y a lieu, un service de transport de retour gratuit dans les meilleurs délais jusqu’au point de départ initial tel qu’établi dans le contrat de transport » ( 76 ).
Considérer, lorsque le transport porte sur un trajet aller-retour, être en présence d’un service de transport de passagers unique reviendrait donc à considérer que la destination finale de ce service serait identique à son point de départ initial ( 77 ).
192. En conséquence, on ne saurait considérer que, lorsque le transport porte sur un trajet aller-retour, le service de transport de passagers est unique.
193. Il convient maintenant de déterminer si la circonstance que la compétence d’exercer la surveillance de caractère général soit exercée au regard des services de transport de passagers pour lesquels le transport portait sur le trajet aller-retour est susceptible d’assouplir les implications de l’interprétation littérale de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010, sans recourir à la lecture nuancée de la notion de « service de transport de passagers ».
3. Sur l’organisme national chargé de l’application du règlement no 1177/2010 eu égard au transport portant sur un trajet aller-retour
194. Afin de placer dans leur contexte les considérations qui suivent, je rappelle que, dans la logique traditionnelle du droit public, voire dans celle du droit international public, la compétence d’un organisme établie par un État membre devrait, en principe, se limiter au territoire de celui-ci ou, pour être plus précis, aux situations présentant un lien de proximité suffisant avec cet État membre et/ou son territoire.
195. Par ailleurs, comme je l’ai déjà mentionné, l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 prévoit de manière explicite que la compétence d’un organisme national englobe également l’exercice de la surveillance des services de transport en provenance des État tiers à destination de l’un des États membres. Le législateur de l’Union ne prive donc pas les passagers de la possibilité de saisir un organisme national désigné par l’un des États membres si le service de transport n’est pas
effectué à partir de ports situés au sein de l’Union.
196. En effet, l’article 25 du règlement no 1177/2010 doit être lu à la lumière de l’article 2 de celui-ci, qui détermine le champ d’application de ce règlement. Selon son article 2, paragraphe 1, sous b), le règlement no 1177/2010 s’applique aux passagers utilisant des services de transport en provenance d’un État tiers à destination de l’un des États membres, pour autant que le service soit exploité par un transporteur établi sur le territoire d’un État membre ou propose un transport au moyen de
services de transport de passagers exploités à destination ou à partir du territoire d’un État membre.
197. Il en résulte que, d’une part, le lien de proximité qui existe entre l’État membre où se situe un port de débarquement et les services de transport de passagers à partir d’un État tiers est, en principe, suffisant pour conférer la compétence, en ce qui concerne la surveillance de ces services, à l’organisme national désigné par cet État membre.
198. D’autre part, l’étendue de la compétence des organismes nationaux désignés par les États membres aux fins de l’application du règlement no 1177/2010 coïncide en principe avec l’étendue territoriale de la protection que ce règlement confère aux passagers. Ces organismes doivent être compétents dans toutes les situations où les droits des passagers reconnus par ledit règlement auraient pu être potentiellement violés ( 78 ) et le partage de compétence entre eux n’a que le caractère subsidiaire par
rapport au souci d’assurer cette coïncidence. Pour répondre à la huitième question, il convient maintenant de déterminer comment ce partage est effectué au sein de l’Union.
199. À cet égard, je suis d’avis que, compte tenu de la confiance réciproque entre les État membres, qui permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures, le partage de compétence entre ceux-ci ne doit pas nécessairement suivre les principes traditionnels du droit public ou du droit international public. Cela étant, dans le système du règlement no 1177/2010, ce partage de compétence semble toujours reposer sur la proximité entre le territoire de l’État membre sur le
territoire duquel est situé le port d’embarquement ou de débarquement et le service de transport de passagers concerné.
200. Dans le cas où le transport portant sur un trajet aller-retour, englobant deux traversées distinctes, qui aurait dû être assuré par le transporteur, a été annulé dans son intégralité, le lien entre la traversée dans le sens du retour et le territoire de l’État membre sur lequel se situe le port d’embarquement pour cette traversée ne semble pas être plus pertinent que celui entre ladite traversée et le territoire de l’État membre sur lequel se situe le port de débarquement pour ladite traversée.
Ce dernier port constitue également, en principe, le port d’embarquement pour la traversée dans le sens de l’aller. En effet, à l’instar de la Commission, je considère que, dans ce cas, l’organisme national de l’État membre de ce dernier est en principe le mieux placé pour apprécier les perturbations et pour superviser l’assistance aux passagers pour ces deux traversées annulées dans leur intégralité.
201. Je suis donc d’avis que la compétence de cet organisme national d’exercer la surveillance de caractère général inclut de veiller au respect des droits de tout passager pour lequel le port d’embarquement pour la traversée dans le sens de l’aller se situe sur le territoire de l’État membre de cet organisme, ainsi qu’en ce qui concerne la traversée dans le sens du retour. Lorsque le transport ayant été annulé dans son intégralité porte sur un trajet aller-retour, il convient d’adopter la
perspective d’un passager pour déterminer l’étendue de la compétence des organismes nationaux, même si l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 mentionne les organismes chargés de l'application de ce règlement non pas en ce qui concerne les passagers mais en ce qui concerne les services de transport de passagers. En effet, cette compétence a pour objet d’assurer le respect du règlement no 1177/2010, qui vise principalement les droits des passagers.
202. Par ailleurs, comme l’observe la Commission, cette interprétation serait conforme à l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des passagers en ce qu’elle permettrait d’éviter la multiplication de procédures lorsque la circonstance à l’origine de l’annulation des deux traversées est la même.
203. À la lumière de toutes ces argumentations, je propose de considérer que l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que relèvent de la compétence d’un organisme national chargé de l’application de ce règlement, désigné par un État membre, les services de transport à partir des ports situés sur le territoire de cet État membre ainsi que, lorsqu’il s’agit d’un transport portant sur un trajet aller-retour qui a été annulé dans son intégralité, les services
de transport de retour en provenance d’un autre État membre à destination des ports situés sur le territoire de ce premier État membre.
H. Sur la validité de la décision et des notifications
204. La neuvième question s’articule en deux sous-questions. Par la première sous-question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser « quels principes et règles du droit de l’Union la juridiction de renvoi [doit] appliquer pour apprécier la validité de la décision et/ou des notifications de l’organisme national chargé de l’application au regard des articles 16, 17, 20 et/ou 47 de la Charte et/ou des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et d’égalité de traitement ». Par
sa seconde sous-question, ladite juridiction demande à la Cour de déterminer si « le critère tiré du caractère déraisonnable qui doit être appliqué par la juridiction de renvoi est celui de l’erreur manifeste ».
205. Ces deux sous-questions semblent trouver leur origine dans les affirmations d’Irish Ferries devant la juridiction de renvoi, contestées par la NTA. Toutefois, en ce qui concerne la première sous-question, sa formulation, même lue à la lumière de ces affirmations, demeure particulièrement large et ambiguë.
206. En effet, d’une part, comme l’observe la Commission, la décision et les notifications visées par cette sous-question se fondent sur une certaine interprétation par la NTA des dispositions de fond du règlement no 1177/2010. Cette interprétation constitue, pour l’essentiel, le fond des huit premières questions de la juridiction de renvoi. Dans le cadre de ladite interprétation, les dispositions de la Charte et les principes généraux du droit de l’Union doivent être également pris en compte. En
outre, dans le contexte de ses observations relatives à la dixième question, Irish Ferries fait valoir que, si la NTA a correctement interprété et appliqué le règlement no 1177/2010, celui-ci – et non pas sa décision ou ses notifications – est invalide.
207. D’autre part, à supposer que se pose la question de savoir si, dans une appréciation de la validité des actes adoptés par des organismes nationaux, qui relèvent du champ d’application du droit de l’Union, une juridiction nationale doit appliquer les dispositions de la Charte ou les principes généraux du droit de l’Union, y compris ceux explicitement mentionnés dans la première sous-question, la réponse ne peut être qu’affirmative.
208. En l’absence de l’exposé des raisons précises ayant conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union, la formulation de la première sous-question permet donc uniquement de donner une réponse formulée dans des termes généraux, presque abstraits. Dans ces conditions, il convient de considérer que la demande de décision préjudicielle, dans la mesure où elle concerne la première sous-question, ne respecte pas les exigences posées par l’article 94 du règlement
de procédure de la Cour et ne permet pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi afin de trancher le litige au principal, et est, dès lors, irrecevable ( 79 ). Cette considération est corroborée par la lecture des observations soumises à la Cour par les parties, qui ne contiennent que des affirmations d’ordre général ( 80 ).
209. Cette considération s’applique également à la seconde sous-question. L’exposé de l’argumentation des parties au principal se borne à deux phrases, selon lesquelles Irish Ferries estimerait que la décision et les notifications sont entachées d’une erreur manifeste, tandis que la NTA nie l’existence d’une telle erreur. En outre, la juridiction de renvoi n’explique pas en quoi consiste « le critère tiré du caractère déraisonnable » qu’elle doit apparemment appliquer en vertu du droit irlandais
lors de son appréciation de la validité de la décision et des notifications de la NTA.
210. Dans ces conditions, j’estime que la seconde sous-question est également irrecevable et, partant, que la neuvième question doit être considérée comme étant irrecevable dans son intégralité.
I. Sur la validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010
211. Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’examiner la validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 au regard des principes de l’égalité de traitement, de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi qu’au regard des articles 16, 17 et 20 de la Charte.
212. Si la formulation de cette question se réfère, de manière générale, au règlement no 1177/2010, il ressort cependant de l’exposé des motifs de la demande de décision préjudicielle que ladite question fait écho à l’argumentation d’Irish Ferries selon laquelle ce règlement, à ses articles 18 et 19, impose, en contradiction avec les principes et les dispositions de la Charte, des obligations onéreuses aux transporteurs maritimes. Dans cet ordre d’idées, dans ses observations écrites, Irish Ferries
se réfère plus précisément aux articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 et indique que la responsabilité du transporteur est susceptible d’être engagée au titre de ces dispositions.
1. Sur le principe de l’égalité de traitement et sur l’article 20 de la Charte
213. Il convient de relever d’emblée que la conformité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 avec le principe de l’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la Charte, a fait l’objet de mon analyse relative à la première question. En effet, dans le cadre du débat relatif à cette question, Irish Ferries invoque un argument tiré d’un parallélisme entre les règlements relatifs aux différents modes de transport. Il suffit donc de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la
situation des entreprises intervenant dans le secteur d’activité des différents modes de transport n’est pas comparable ( 81 ).
214. En conséquence, et compte tenu des considérations déjà présentées dans le contexte de la première question, je propose à la Cour de considérer que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 ne sont pas invalides en raison d’une violation du principe de l’égalité de traitement et de l’article 20 de la Charte.
2. Sur le principe de proportionnalité
215. La validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 au regard du principe de proportionnalité doit également être examinée à la lumière de l’argumentation d’Irish Ferries selon laquelle imposer une obligation d’indemnisation serait disproportionné lorsque le transporteur informe les passagers de l’annulation d’un service plusieurs semaines ou mois avant la date du service.
216. Par ailleurs, dans ses observations écrites, Irish Ferries se limite à affirmer que, dans la mesure où le règlement no 1177/2010 vise à assurer au transport maritime de passagers un niveau de protection comparable à celui des autres modes de transport, il serait disproportionné de traiter le transport maritime de manière moins favorable que les autres modes de transport aérien et ferroviaire.
217. Dans ce cadre, il importe de relever, en premier lieu, que, contrairement à ce que semble faire valoir Irish Ferries, la responsabilité d’un transporteur au titre des obligations prévues aux articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 est loin d’être illimitée ou même déraisonnable. En effet, les situations dans lesquelles ces dispositions ne s’appliquent pas sont déjà établies à l’article 20 de ce règlement, intitulé « Exemptions » ( 82 ). Dans ces circonstances, les conséquences financières
certaines pour les transporteurs maritimes ne sauraient être considérées comme démesurées par rapport à l’objectif de protection élevée des passagers.
218. En second lieu, en ce qui concerne l’argument d’Irish Ferries selon lequel il serait disproportionné de traiter de manière moins favorable le transport maritime que les autres modes de transport, il suffit d’observer qu’il s’agit, en substance, d’une simple critique de la conformité du règlement no 1177/2010 avec le principe de l’égalité de traitement, ce point ayant déjà fait l’objet de mon analyse ( 83 ). À titre surabondant, je note que la Cour a déjà jugé que ne sont pas invalides au regard
du principe de proportionnalité des dispositions du règlement no 261/2004 qui instaurent l’obligation de prise en charge des passagers prévue en cas d’annulation d’un vol du fait de « circonstances extraordinaires », même lorsqu’il s’agit d’une obligation illimitée dans le temps ou financièrement ( 84 ).
219. Je suis donc d’avis que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 ne sauraient être considérés comme invalides en raison d’une prétendue violation du principe de proportionnalité.
3. Sur le principe de sécurité juridique
220. Dans la mesure où la dixième question concerne le principe de sécurité juridique, cette question doit également être lue à la lumière de l’argumentation d’Irish Ferries selon laquelle le règlement no 1177/2010 enfreint ce principe par l’imposition d’obligations lourdes aux transporteurs en l’absence de base juridique claire.
221. Par ailleurs, Irish Ferries affirme que ce principe a été violé au motif que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 impose l’obligation de verser une indemnisation par référence à un pourcentage du « prix du billet » sans définir cette notion. Pour mettre cette affirmation dans le contexte, il me faut observer que, dans le cadre de ses observations relatives à la neuvième question, Irish Ferries remet en cause la validité de la décision et des notifications de la NTA dans la
mesure où celles-ci ne définissent pas la notion de « prix du billet » au sens de l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement et, en particulier, ne précisent pas si cette notion inclut des « suppléments en option », tels que le prix d’une cabine. Il convient de considérer qu’Irish Ferries formule la même critique dans le contexte de la dixième question.
222. Le principe de sécurité juridique constitue un principe fondamental de droit de l’Union qui exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence.
223. Cela étant précisé, en premier lieu, rien ne permet de déterminer en quoi consiste la critique formulée par Irish Ferries dans la mesure où celle-ci repose sur une affirmation générale selon laquelle le règlement no 1177/2010 impose des obligations en l’absence de base juridique claire dans ce règlement. En tout état de cause, les dispositions de ce règlement qui concernent des obligations des transporteurs sont analysées notamment dans le contexte des deuxième à sixième questions.
224. En second lieu, bien que l’article 3 du règlement no 1177/2010 ne comporte pas de définition de la notion de « prix du billet », l’article 19, paragraphe 3, de ce règlement explique que l’indemnisation due au passager en cas de retard à l’arrivée est calculée par rapport au prix que le passager a réellement payé pour le service de transport de passagers ayant subi un retard. Par ailleurs, comme l’illustre mon analyse relative à la cinquième question, la problématique de l’inclusion des
« suppléments en option » dans le prix du billet peut être résolue par voie d’interprétation systémique et téléologique dudit règlement. Considérer que toute disposition nécessitant le recours aux méthodes d’interprétation autres que la méthode textuelle viole le principe de sécurité juridique reviendrait en pratique à écarter ces méthodes d’interprétation.
225. Je propose donc à la Cour de considérer que, dans la mesure où cette disposition concerne la notion de « prix du billet », l’article 19 du règlement no 1177/2010 n’est pas invalide en raison d’une violation du principe de sécurité juridique.
4. Sur les articles 16 et 17 de la Charte
226. Dans la mesure où la dixième question fait référence aux articles 16 et 17 de la Charte, il convient de comprendre cette question en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande si, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 constituent des limitations admissibles à l’exercice de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété.
227. La juridiction de renvoi n’expose pas les éléments l’ayant conduite à poser cette question, qui semble trouver son origine exclusivement dans l’argumentation invoquée par Irish Ferries. Bien que le renvoi préjudiciel ne présente pas cette argumentation de manière détaillée, Irish Ferries la développe dans ses observations écrites dans la mesure où celles-ci concernent les première et dixième questions. Il résulte de ces observations que, par ladite argumentation, Irish Ferries vise
principalement le respect du principe de proportionnalité par les limitations résultant de l’application des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010.
228. Comme la Cour l’a déjà considéré dans le contexte de l’appréciation de la validité du règlement no 261/2004 sous l’angle de sa conformité avec les articles 16 et 17 de la Charte, cette appréciation doit s’effectuer dans le respect de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection de ces différents droits et d’un juste équilibre entre eux ( 85 ). Compte tenu du contexte dans lequel s’inscrit la réglementation des droits de passagers, il importe également de tenir compte de
l’article 38 de la Charte qui tend à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, y compris, par conséquent, des passagers.
229. Ainsi qu’il découle de mon analyse de la question relative à la validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 sous l’angle de leur conformité avec le principe de proportionnalité ( 86 ), ces considérations sont transposables à ce règlement et m’amènent à conclure que ces dispositions respectent le principe de proportionnalité.
230. En conséquence, je suis d’avis que les articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010 ne sont pas contraires aux articles 16 et 17 de la Charte.
231. Il découle des considérations qui précèdent que l’examen de la dixième question n’a pas révélé d’élément de nature à affecter la validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010.
V. Conclusion
232. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles posées par la High Court (Haute Cour, Irlande) :
1) Le règlement (UE) no 1177/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004, doit être interprété en ce sens que ce règlement, en particulier ses articles 18 et 19, s’applique dans la situation où un service de transport maritime est annulé avec un préavis, avant le départ initialement prévu, au motif que le navire programmé pour assurer ce
service de transport a fait l’objet d’un retard de livraison et n’a pas pu être remplacé.
2) La notion de « destination finale », au sens des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010, correspond, en principe, au port de débarquement précisé dans le contrat de transport pour une traversée initiale.
Un réacheminement au moyen de traversée(s) de substitution empruntant un itinéraire différent de celui de la traversée initiale ou au moyen d’un pont terrestre (routier ou ferroviaire) est susceptible de constituer un « réacheminement vers la destination finale » dans « des conditions comparables », au sens de l’article 18 de ce règlement, si d’autres conditions de cette traversée de substitution sont comparables à celles fixées pour la traversée initiale dans le contrat de transport.
L’article 18, paragraphe 1, sous a), dudit règlement doit être interprété en ce sens qu’un réacheminement doit intervenir sans aucun supplément, de sorte que le transporteur doit rembourser les coûts supportés par les passagers pour se rendre aux ports d’embarquement et de débarquement de substitution ainsi que ceux supportés en quittant ces ports dans la mesure où ces coûts sont dus au réacheminement et sont plus importants que ceux qu’auraient supportés les passagers dans le cas d’un
service de transport de passagers non interrompu.
3) L’article 19 du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que, lorsque le service de transport de passagers a été annulé avec un préavis, avant le départ prévu, et qu’un passager choisit un réacheminement ou une traversée à une date ultérieure, ce passager peut prétendre à une indemnisation au titre de l’article 19 de ce règlement eu égard au retard à l’arrivée à la destination finale telle qu’établie dans le contrat de transport pour la traversée initiale. Lorsque le passager
demande une telle indemnisation, le retard correspond à la différence entre l’heure d’arrivée contractuellement prévue et l’heure à laquelle le passager serait arrivé à la destination finale, telle qu’établie dans le contrat de transport, à supposer que le réacheminement ait continué du port de débarquement de substitution vers cette destination.
En revanche, un passager ayant choisi et obtenu un remboursement intégral ne peut pas prétendre à cette indemnisation.
4) L’article 19 du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que le prix du billet englobe les coûts afférents aux prestations optionnelles supplémentaires choisies par le passager, telles que la réservation d’une cabine ou d’un chenil, ou encore l’accès à des espaces de réception de première catégorie.
5) L’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens qu’un retard dans la livraison d’un navire, résultant du comportement de l’une des parties au contrat ou de celui des sous-traitants de cette partie, est inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné lorsque celui-ci a commencé à proposer les réservations et a conclu les contrats de transport avec les passagers avant que le navire n’ait été mis à sa disposition et, dès lors, ne relève
pas de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de cette disposition.
6) L’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que l’infliction d’une sanction au transporteur pour le non-paiement de l’indemnisation due au passager au titre de l’article 19 de ce règlement n’est pas soumise à la condition que le passager ait introduit la demande d’indemnisation auprès du transporteur dans le délai de deux mois à partir de la date à laquelle le service a été exécuté ou aurait dû être exécuté.
7) L’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 doit être interprété en ce sens que relèvent de la compétence d’un organisme national chargé de l’application de ce règlement, désigné par un État membre, les services de transport à partir des ports situés sur le territoire de cet État membre ainsi que, lorsqu’il s’agit d’un transport portant sur un trajet aller-retour qui a été annulé dans son intégralité, les services de transport de retour en provenance d’un autre État membre à
destination des ports situés sur le territoire de ce premier État membre.
8) L’examen de la dixième question n’a pas révélé d’élément de nature à affecter la validité des articles 18 et 19 du règlement no 1177/2010.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).
( 3 ) Voir règlement (CE) no 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires (JO 2007, L 315, p. 14).
( 4 ) Voir règlement (CE) no 181/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant les droits des passagers dans le transport par autobus et autocar et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 (JO 2011, L 55, p. 1).
( 5 ) Voir règlement (UE) no 1177/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 (JO 2010, L 334, p. 1).
( 6 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 1981, Salonia (126/80, EU:C:1981:136, point 6).
( 7 ) Voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 44).
( 8 ) En effet, l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 261/2004 prévoit, en substance, que ce règlement s’applique aux passagers au départ d’un aéroport, à condition que ces passagers disposent d’une réservation confirmée et se présentent à l’enregistrement.
( 9 ) L’article 2, sous g), du règlement no 261/2004 établit toutefois un lien entre la « réservation » et le « billet » au sens de l’article 2, sous f), de ce règlement. Selon cette première disposition, la « réservation » est le fait, pour un passager, d’être en possession d’un billet, ou d’une autre preuve, indiquant que la réservation a été acceptée et enregistrée par le transporteur aérien ou l’organisateur de voyages.
( 10 ) Voir point 47 des présentes conclusions.
( 11 ) Le préavis de sept semaines au minimum, visé dans les questions préjudicielles, est calculé par rapport à la date à laquelle Irish Ferries a communiqué l’annulation des services de transport à ses passagers. Voir point 28 des présentes conclusions.
( 12 ) Communication de la Commission, Orientations interprétatives relatives au [règlement no 1371/2007] (JO 2015, C 220, p. 1), https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52015XC0704(01).
( 13 ) Irish Ferries invoque, dans ce contexte, les arrêts du 3 mars 2016, Daimler (C‑179/15, EU:C:2016:134, point 42), et du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 79).
( 14 ) COM(2008) 816 final.
( 15 ) Selon l’avis du Parlement, P6_TC1-COD(2008)0246, le règlement s’appliquait « au transport commercial, par navires à passagers, de passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure ». Voir, également, amendement no 9 du rapport sur la proposition de règlement [2008/0246(COD)].
( 16 ) Selon la position (UE) no 5/2010 du Conseil (JO 2010, C 122 E, p. 19), le règlement s’appliquait aux passagers utilisant des services de transport ou participant à une croisière.
( 17 ) Voir, en ce sens, Stec, M., « Ochrona pasażera w transporcie morskim i w żegludze śródlądowej w świetle rozporządzenia (UE) nr 1177/2010 », dans Kostański, P., Podrecki, P., et Targosz, T., (dir.), Experientia docet. Księga jubileuszowa ofiarowana Pani Profesor Elżbiecie Traple, Wolters Kluwer, Varsovie, 2017, p. 1408.
( 18 ) Voir Erceg, B., et Vasilj, A., « Current affairs in passengers rights protection in the European Union », EU and Comparative Law Issues and Challenges, 2018, vol. 2, p. 222 et 223.
( 19 ) Voir arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C‑344/04, EU:C:2006:10, point 96) ; du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 56), et du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 47).
( 20 ) Voir article 17, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007.
( 21 ) Arrêt du 26 septembre 2013 (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 48).
( 22 ) Voir arrêt du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 47).
( 23 ) Voir, par analogie avec la jurisprudence relative à l’application de ce principe aux décisions de la Commission, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 82 et jurisprudence citée).
( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2016, Daimler (C‑179/15, EU:C:2016:134, point 42).
( 25 ) Voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a. (C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 81).
( 26 ) Voir mon analyse relative à la deuxième question et à la quatrième question, sous a).
( 27 ) L’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1177/2010 prévoit que, en cas de retard à l’arrivée, un passager peut demander une indemnisation, sans perdre son droit au transport.
( 28 ) Aux termes de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, « [d]ans le cas d’une ville, d’une agglomération ou d’une région desservie par plusieurs aéroports, si le transporteur aérien effectif propose au passager un vol à destination d’un aéroport autre que celui qui était initialement prévu, le transporteur aérien effectif prend à sa charge les frais de transfert des passagers entre l’aéroport d’arrivée et l’aéroport initialement prévu ou une autre destination proche convenue avec
le passager ».
( 29 ) Voir points 91 à 94 des présentes conclusions.
( 30 ) Voir Erceg, B., et Vasilj, A., op. cit. p. 230.
( 31 ) Voir, à cet égard, point 88 des présentes conclusions.
( 32 ) Voir points 63 à 66 des présentes conclusions.
( 33 ) Voir, en ce sens, Stec, M., op. cit., p. 1409.
( 34 ) Mise en italique par mes soins.
( 35 ) Voir amendement no 57 du rapport sur la proposition du règlement [COM(2008)0817, C6-0476/2008, 2008/0246(COD)].
( 36 ) Mise en italique par mes soins.
( 37 ) Voir point 106 des présentes conclusions.
( 38 ) À titre surabondant, le passager qui a choisi un réacheminement peut également subir un retard à l’arrivée de la traversée de substitution. Dans un tel cas, il conviendrait de déterminer si l’article 19 du règlement no 1177/2010 s’applique également à ce retard. Voir, par analogie, arrêt du 12 mars 2020, Finnair (C‑832/18, EU:C:2020:204), dans le cadre duquel la Cour a jugé qu’un passager aérien qui a bénéficié d’une indemnisation en raison de l’annulation d’un vol et qui a accepté le vol de
réacheminement lui ayant été proposé peut prétendre à l’octroi d’une indemnisation en raison du retard du vol de réacheminement. Il est vrai que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 261/2004 ne laisse aucun doute quant au fait que l’indemnisation est due également dans la situation où un réacheminement vers la destination finale, sur un autre vol, est proposé au passager. Il résulte de mon analyse que c’est également le cas dans le cadre du règlement no 1177/2010. Or, bien qu’Irish Ferries
fasse référence à une telle situation, celle-ci n’est pas visée par les questions préjudicielles.
( 39 ) Voir point 108 des présentes conclusions.
( 40 ) Voir amendement no 22 du rapport sur la proposition du règlement [COM(2008) 817, C6-0476/2008, 2008/0246(COD)].
( 41 ) Voir, par analogie, en ce qui concerne l’indemnisation prévue à l’article 17 du règlement no 1371/2007, formulée de manière analogue à l’article 19 du règlement no 1177/2010, arrêt du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr (C‑509/11, EU:C:2013:613, point 38), dans lequel la Cour a indiqué que l’indemnisation, « en tant qu’elle est calculée sur la base du prix du billet de transport, a vocation à compenser le prix payé par le voyageur en contrepartie d’un service qui n’a, en définitive, pas
été exécuté conformément au contrat de transport ».
( 42 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 20).
( 43 ) Selon ce considérant, « [l]es circonstances extraordinaires devraient inclure, sans s’y limiter, les catastrophes naturelles telles que les incendies et les tremblements de terre, les attentats terroristes, les guerres et les conflits armés militaires ou civils, les insurrections, les confiscations militaires ou illégales, les conflits sociaux, le débarquement de personnes malades, blessées ou décédées, les opérations de recherche et de sauvetage en mer ou sur les voies de navigation
intérieure, les mesures nécessaires pour la protection de l’environnement, les décisions prises par les organismes de gestion du trafic ou par les autorités portuaires ou encore les décisions arrêtées par les autorités compétentes en matière d’ordre public et de sécurité publique, ainsi que pour répondre à des besoins de transports urgents ».
( 44 ) La notion de « circonstances extraordinaires » est utilisée pour qualifier les circonstances dans lesquelles un transporteur est exonéré de son obligation d’indemnisation, qui est due, selon le règlement no 261/2004, en cas de départs annulés ou retardés et, selon le règlement no 1177/2010, en cas de retard à l’arrivée. Je suis d’avis que cette différence ne s’oppose pas à ce que les critères de détermination des « circonstances extraordinaire » dégagés par la Cour dans le contexte du
règlement no 261/2004 soient transposables à celui du règlement no 1177/2010.
( 45 ) Voir, récemment, arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 37).
( 46 ) Voir, récemment, arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 37).
( 47 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 36).
( 48 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 41).
( 49 ) En revanche, les circonstances relatives aux caractéristiques du retard peuvent être prises en compte pour déterminer si l’empêchement de l’exécution du service de transport n’aurait pas pu être évité même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
( 50 ) Dans l’arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a. (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258, points 40 à 44), la Cour a jugé qu’une « grève sauvage » ne saurait être qualifiée de « circonstance extraordinaire » dans la mesure où les risques découlant des conséquences sociales qui accompagnent des mesures de restructuration et de réorganisation d’entreprises doivent être considérés comme inhérents à
l’exercice normal de l’activité. Par ailleurs, dans l’arrêt du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 29), la Cour a rappelé, en faisant référence à l’ordonnance du 14 novembre 2014, Siewert (C‑394/14, EU:C:2014:2377), que le choc d’un escalier mobile d’embarquement d’un aéroport contre un avion ne saurait être qualifié de « circonstance extraordinaire ». La Cour a considéré que la circonstance que la mise en place d’un tel dispositif s’effectue normalement en collaboration avec
l’équipage des avions concernés était susceptible d’illustrer le fait que l’événement à l’origine de la défaillance du transporteur était maîtrisable pour ce transporteur. Toutefois, cette considération ne change pas le fait que l’empêchement en cause avait été provoqué par les faits de tiers.
( 51 ) Arrêt du 17 avril 2018 (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258, points 40 à 42).
( 52 ) Voir, notamment, Moisan, P., « Technique contractuelle et gestion des risques dans les contrats internationaux : les cas de force majeure et d’imprévision », Les Cahiers de droit, 1994, vol. 35(2), p. 286.
( 53 ) Comme je l’ai indiqué dans l’exposé du cadre factuel, selon la juridiction de renvoi, la livraison tardive résulte des retards pris par des équipementiers externes engagés en qualité de sous-traitants par le chantier naval et/ou des contretemps dans l’aménagement des espaces extérieurs et dans la livraison d’éléments intérieurs destinés aux espaces publics.
( 54 ) On pourrait imaginer, par exemple, le cas d’un navire en construction qui serait visé par des mesures de confiscation militaire. Voir, par analogie, ordonnance du 14 novembre 2014, Siewert (C‑394/14, EU:C:2014:2377, point 19), dans laquelle la Cour a jugé que relève de la notion de « circonstances extraordinaires » le dommage de l’avion devant effectuer le vol litigieux causé par un acte extérieur aux services normaux d’un aéroport, tel qu’un acte de sabotage ou de terrorisme.
( 55 ) Voir, par analogie, Malenovský, J., « Regulation 261 : Three Major Issues in the Case Law of the Court of Justice of the EU », dans Bobek, M., et Prassl, J. (eds), EU Law in the Member States : Air Passenger Rights, Ten Years On, Hart Publishing, Oxford, 2016, p. 32, qui indique que le fait d’imposer aux passagers la charge du risque économique de l’activité que le transporteur a librement entreprise serait contraire à l’objectif de garantir un niveau élevé de protection des passagers. Par
ailleurs, dans son arrêt du 4 juillet 2018, Wirth e.a. (C‑532/17, EU:C:2018:527, C-532/17, point 23), la Cour a considéré que, compte tenu de l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des passagers, l’interprétation de la notion de « transporteur aérien effectif » qu’il convient de retenir est celle permettant de garantir que les passagers transportés seront indemnisés sans avoir à tenir compte des arrangements pris par le transporteur aérien ayant décidé de réaliser le vol en cause avec un
autre transporteur en vue d’assurer concrètement celui-ci.
( 56 ) Voir, récemment, arrêts du 26 juin 2019, Moens (C‑159/18, EU:C:2019:535, point 20), et du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 26).
( 57 ) Arrêt du 17 septembre 2015 (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 43).
( 58 ) Arrêt du 17 septembre 2015 (C‑257/14, EU:C:2015:618).
( 59 ) Il convient d’observer que le contrat de 2016 a été conclu non pas par Irish Ferries, mais par ICG. Or, rien dans le présent renvoi préjudiciel n’indique que, compte tenu des relations entre ces entités, ce qui était maîtrisable pour ICG ne l’était pas pour Irish Ferries.
( 60 ) Voir note en bas de page 50.
( 61 ) Arrêt du 11 juin 2020 (C‑74/19, EU:C:2020:460).
( 62 ) Voir, récemment, arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 45).
( 63 ) Voir, récemment, arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 47).
( 64 ) Arrêt du 11 juin 2020 (C‑74/19, EU:C:2020:460).
( 65 ) Voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2011, Eglītis et Ratnieks (C‑294/10, EU:C:2011:303, point 25).
( 66 ) Voir, par analogie, arrêts du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 44), et du 26 juin 2019, Moens (C‑159/18, EU:C:2019:535, point 27).
( 67 ) Ce faisant, la réponse de la Cour aurait une portée plus abstraite eu égard à la question relative aux « mesures raisonnables » et serait utile pour l’ensemble des juridictions nationales de l’Union, tout en laissant à la juridiction de renvoi dans la présente affaire le soin d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, les mesures raisonnables au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 étaient disponibles pour le transporteur. Voir, en ce sens, Šváby, D., « La
responsabilité en matière de transport aérien de passagers à l’intersection de trois systèmes juridiques », dans Petrlík, D., Bobek, M., et Passer, J. M. (dir.), Évolution des rapports entre les ordres juridiques de l’Union européenne, international et nationaux. Liber amicorum Jiří Malenovský, Bruylant, Bruxelles, 2020, p. 491.
( 68 ) Il y a lieu de noter que, en donnant une illustration d’une plainte, le considérant 23 du règlement no 1177/2010 fait référence à l’assistance fournie dans un port ou à bord.
( 69 ) Il est vrai que, dans l’arrêt du 17 mars 2016, Ruijssenaars e.a. (C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:187, point 30), la Cour a considéré, en ce qui concerne des dispositions analogues en vigueur dans le domaine du transport aérien, que la compétence de traiter les plaintes, visée à l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 261/2004, constitue un aspect découlant de la tâche d’exercer la surveillance de caractère général incombant à l’organisme évoqué à l’article 16, paragraphe 1, de ce
règlement. Toutefois, en premier lieu, cet arrêt concernait un organisme national chargé de l’application du règlement no 261/2004. Il ne s’agissait donc pas d’un « autre organisme compétent désigné par un État membre ». En second lieu, l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1177/2010 n’a pas repris les termes exacts de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 261/2004.
( 70 ) Voir amendement no 68 clarifié du rapport sur la proposition de règlement [COM(2008) 816, C6-0476/2008, 2008/0246(COD)] ainsi que la position commune arrêtée par le Conseil en vue de l’adoption d’un règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) no 2006/2004, 14849/09 ADD 1, p. 9.
( 71 ) Voir document de la Commission intitulé « National Enforcement Bodies (NEB) for maritime transport have to guarantee the good application of Regulation 1177/2010 and passengers can lodge a complaint with them if believe that their rights were not respected », https://ec.europa.eu/transport/themes/passengers/maritime_fr, selon lequel « the competent NEB is the NEB of the EU country of departure except when the service departs from a third country. Then, the NEB of the EU country of arrival is
competent. However, passengers are free contact the NEB of their choice » (« l’[organisme national chargé de l’application du règlement, ci-après l’« ONE », compétent est l’ONE du pays de départ de l’Union, sauf lorsque le service part d’un pays tiers. Dans ce cas, c’est l’ONE du pays d’arrivée de l’Union qui est compétent. Toutefois, les passagers sont libres de contacter l’ONE de leur choix »).
( 72 ) Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 261/2004, « tout passager peut saisir tout organisme désigné en application du paragraphe 1, ou tout autre organisme compétent désigné par un État membre, d’une plainte concernant une violation du présent règlement survenue dans tout aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou concernant tout vol à destination d’un aéroport situé sur ce territoire et provenant d’un pays tiers » (italique ajouté par mes soins). Dans un document
d’information sur le traitement des plaintes dans le cadre du règlement no 261/2004 [NEB – NEB Complaint Handling Procedure under Regulation (EC) no 261/2004, version du mois de février 2019, point 2, https://ec.europa.eu/transport/sites/transport/files/neb-neb_complaint_handling_procedures.pdf), la Commission constate qu’« [u]n organisme chargé de l’application du règlement est compétent pour les plaintes liées à des retards ou à des annulations de vols à partir de son territoire (État membre de
départ) ». Par ailleurs, dans ce document, à l’instar de la proposition initiale de la Commission, sur laquelle est basé le règlement no 261/2004 [voir article 18 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d’indemnisation des passagers aériens et d’assistance en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol et abrogeant le règlement (CEE) no o 295/91 (COM(2001) 784 final – (COD 2001/0305)], la
transmission des plaintes entre les organes établis par différents États membres est explicitement mentionnée. Il en résulte que l’organisme d’un autre État membre n’est pas compétent au sens de l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement.
( 73 ) Arrêt du 10 juillet 2008, Emirates Airlines (C‑173/07, EU:C:2008:400, point 40).
( 74 ) Voir versions en langues anglaise (« [...] shall be calculated in relation to half of the price paid for the transport by that passenger service ») et espagnole (« [...] se calculará en relación con el 50 % del precio abonado por el transporte en dicho servicio de pasaje »).
( 75 ) Voir versions en langues allemande (« wird [...] auf der Grundlage des halben Fahrpreises für diesen Personenverkehrsdienst berechnet ») et polonaise (« [...] obliczane jest na podstawie połowy ceny zapłaconej za tę usługę przewozu pasażerskiego »).
( 76 ) Italique ajouté par mes soins.
( 77 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Emirates Airlines (C‑173/07, EU:C:2008:400, point 34).
( 78 ) Voir, en ce sens, en matière de marque de l’Union européenne, Szpunar, M., « Territoriality of Union Law in the Era of Globalisation », dans Petrlík, D., Bobek, M., et Passer, J. M. (dir.), Évolution des rapports entre les ordres juridiques de l’Union européenne, international et nationaux. Liber amicorum Jiří Malenovský, op. cit., p. 155.
( 79 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 19 décembre 2019, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (C‑140/19, C‑141/19 et C‑492/19 à C‑494/19, non publiée, EU:C:2019:1103, points 49 et 50).
( 80 ) Voir, par analogie, ordonnance du 19 mars 2020, Boé Aquitaine (C‑838/19, non publiée, EU:C:2020:215, point 26).
( 81 ) Voir point 67 des présentes conclusions.
( 82 ) Voir point 64 des présentes conclusions.
( 83 ) Voir points 213 et 214 des présentes conclusions.
( 84 ) Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, points 45 à 50).
( 85 ) Voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 62).
( 86 ) Voir points 217 et 218 des présentes conclusions.