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25/11/2020 | CJUE | N°C-49/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République portugaise., 25/11/2020, C-49/19


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

25 novembre 2020 ( *1 )

« Manquement d’État – Communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/22/CE – Réseaux et services – Article 13 – Financement des obligations de service universel – Mécanisme de répartition – Principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑49/19,

ayant pour objet un rec

ours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 25 janvier 2019,

Commission européenne, repr...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

25 novembre 2020 ( *1 )

« Manquement d’État – Communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/22/CE – Réseaux et services – Article 13 – Financement des obligations de service universel – Mécanisme de répartition – Principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑49/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 25 janvier 2019,

Commission européenne, représentée initialement par Mmes L. Nicolae et P. Costa de Oliveira ainsi que par M. G. Braga da Cruz, puis par Mme L. Nicolae et M. G. Braga da Cruz, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes P. Barros da Costa et M. J. Marques, en qualité d’agents, assistés de Me D. Silva Morais, advogado,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Juhász (rapporteur), C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mars 2020,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 mai 2020,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en instaurant une contribution extraordinaire aux fins de la répartition du coût net des obligations de service universel à partir de l’année 2007, conformément à la Lei n.o 35/2012 procede à criação do fundo de compensação do serviço universal de comunicações eletrónicas previsto na Lei das Comunicações Eletrónicas, destinado ao financiamento dos custos líquidos decorrentes da prestação do serviço universal (loi
no 35/2012, portant création du fonds de compensation du service universel prévu par la loi sur les communications électroniques, destiné au financement des coûts nets résultant de la fourniture du service universel), du 23 août 2012 (Diário da República, 1re série, no 163, du 23 août 2012), modifiée et consolidée par la Lei n.o 149/2015 (loi no 149/2015), du 10 septembre 2015 (Diário da República, 1re série, no 177, du 10 septembre 2015) (ci-après la « loi no 35/2012 »), la République portugaise
a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13, paragraphe 3, et de l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2 Le considérant 23 de la directive 2002/22 énonce :

« Le coût net des obligations de service universel peut être réparti entre toutes les entreprises ou certains groupes spécifiés d’entreprises. Les États membres devraient veiller à ce que le mécanisme de répartition respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité. Par “distorsion minimale du marché”, on entend que les contributions devraient être récupérées d’une manière qui, dans la mesure du possible, réduise au minimum
l’incidence de la charge financière supportée par les utilisateurs finals, par exemple par une répartition des contributions aussi large que possible. »

3 L’article 8, paragraphe 2, de cette directive dispose :

« Lorsque les États membres désignent des entreprises pour remplir des obligations de service universel sur tout ou partie du territoire national, ils ont recours à un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire qui n’exclut a priori aucune entreprise. Les méthodes de désignation garantissent que la fourniture du service universel répond au critère de la rentabilité et peuvent être utilisées de manière à pouvoir déterminer le coût net de l’obligation de service
universel, conformément à l’article 12. »

4 L’article 12 de ladite directive, intitulé « Calcul du coût des obligations de service universel », prévoit :

« 1.   Lorsque les autorités réglementaires nationales estiment que la fourniture du service universel, telle qu’elle est énoncée dans les articles 3 à 10, peut représenter une charge injustifiée pour les entreprises désignées comme fournisseurs de service universel, elles calculent le coût net de cette fourniture.

À cette fin, les autorités réglementaires nationales :

a) calculent le coût net de l’obligation de service universel, compte tenu de l’avantage commercial éventuel que retire une entreprise désignée pour fournir un service universel, conformément aux indications données à l’annexe IV, partie A, ou

b) utilisent le coût net encouru par la fourniture du service universel et déterminé par mécanisme de désignation conformément à l’article 8, paragraphe 2.

2.   Les comptes et/ou toute autre information servant de base pour le calcul du coût net des obligations de service universel effectué en application du paragraphe 1, point a), sont soumis à la vérification de l’autorité réglementaire nationale ou d’un organisme indépendant des parties concernées et agréé par l’autorité réglementaire nationale. Le résultat du calcul du coût et les conclusions de la vérification sont mis à la disposition du public. »

5 L’article 13 de la même directive, intitulé « Financement des obligations de service universel », dispose :

« 1.   Lorsque, sur la base du calcul du coût net visé à l’article 12, les autorités réglementaires nationales constatent qu’une entreprise est soumise à une charge injustifiée, les États membres décident, à la demande d’une entreprise désignée :

a) d’instaurer un mécanisme pour indemniser ladite entreprise pour les coûts nets tels qu’ils ont été calculés, dans des conditions de transparence et à partir de fonds publics, et/ou

b) de répartir le coût net des obligations de service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques.

2.   En cas de répartition du coût comme prévu au paragraphe 1, point b), les États membres instaurent un mécanisme de répartition géré par l’autorité réglementaire nationale ou un organisme indépendant de ses bénéficiaires, sous la surveillance de l’autorité réglementaire nationale. Seul le coût net des obligations définies dans les articles 3 à 10, calculé conformément à l’article 12, peut faire l’objet d’un financement.

3.   Un mécanisme de répartition respecte les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité, conformément aux principes énoncés dans l’annexe IV, partie B. Les États membres peuvent choisir de ne pas demander de contributions aux entreprises dont le chiffre d’affaires national est inférieur à une limite qui aura été fixée.

4.   Les éventuelles redevances liées à la répartition du coût des obligations de service universel sont dissociées et définies séparément pour chaque entreprise. De telles redevances ne sont pas imposées ou prélevées auprès des entreprises ne fournissant pas de services sur le territoire de l’État membre qui a instauré le mécanisme de répartition. »

6 L’article 14 de la directive 2002/22, intitulé « Transparence », énonce :

« 1.   Lorsqu’un mécanisme de répartition du coût net des obligations de service universel visé à l’article 13 est établi, les autorités réglementaires nationales veillent à ce que les principes de répartition du coût et les précisions concernant ce mécanisme soient mis à la disposition du public.

2.   Dans le respect de la réglementation communautaire et nationale en matière de secret des affaires, les autorités réglementaires nationales veillent à ce que soit publié un rapport annuel indiquant le coût des obligations de service universel tel qu’il a été calculé, énumérant les contributions faites par toutes les entreprises concernées et signalant les avantages commerciaux, dont la ou les entreprises désignées pour fournir un service universel ont pu bénéficier, dans le cas où un fonds a
été mis en place et fonctionne effectivement. »

7 L’annexe IV de cette directive, intitulée « Calcul, le cas échéant, du coût net des obligations de service universel et mise en place d’un mécanisme de couverture ou de répartition des coûts conformément aux articles 12 et 13 », comprend, notamment, une partie B, elle-même intitulée « Couverture des coûts nets imputables aux obligations de service universel », ainsi libellée :

« Les coûts nets imputables aux obligations de service universel peuvent être couverts ou financés en accordant aux entreprises désignées assumant des obligations de service universel une indemnisation en échange des services fournis à des conditions non commerciales. Cette indemnisation entraînant des transferts financiers, les États membres doivent garantir qu’ils sont effectués de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée. Autrement dit, ces transferts doivent
entraîner la distorsion la plus faible possible de la concurrence et de la demande des usagers.

Conformément à l’article 13, paragraphe 3, un mécanisme de répartition s’appuyant sur un fonds doit utiliser un mécanisme transparent et neutre pour collecter les contributions, qui évite d’imposer doublement les entrées et les sorties des entreprises.

L’organisme indépendant qui administre le fonds est chargé de percevoir les contributions des entreprises jugées aptes à contribuer au coût net des obligations de service universel dans l’État membre concerné. Cet organisme surveille également le transfert des sommes dues et/ou les paiements d’ordre administratif effectués en faveur des entreprises habilitées à recevoir des paiements en provenance du fonds. »

Le droit portugais

La loi no 5/2004

8 La Lei n.o 5/2004 das Comunicações Electrónicas (loi no 5/2004, sur les communications électroniques), du 10 février 2004 (Diário da República I, série I‑A, no 34, du 10 février 2004), telle que modifiée en dernier lieu par le Decreto-Lei n.o 92/2017 (décret-loi no 92/2017), du 31 juin 2017 (Diário da República, 1re série, no 146, du 31 juillet 2017) (ci-après la « loi no 5/2004 »), a transposé la directive 2002/22 dans l’ordre juridique portugais.

9 L’article 97 de la loi no 5/2004 dispose :

« 1.   Après établissement de l’existence de coûts nets afférents au service universel considérés comme excessifs par l’autorité réglementaire nationale, il incombe au gouvernement, à la demande des fournisseurs respectifs, de mettre en place une compensation adéquate par l’un ou l’ensemble des deux mécanismes suivants :

a) un prélèvement sur des fonds publics ;

b) une répartition du coût entre les autres entreprises qui fournissent sur le territoire national des réseaux et services de communications électroniques accessibles au public.

2.   Lorsque le mécanisme prévu au point b) du paragraphe précédent est appliqué, un fonds de compensation doit être établi, auquel contribuent les entreprises fournissant des réseaux et services de communications électroniques accessibles au public, administré par l’autorité réglementaire nationale ou par un autre organisme indépendant désigné par le gouvernement et placé sous la supervision de l’autorité réglementaire nationale.

3.   Les critères de répartition du coût net du service universel entre les entreprises tenues de contribuer sont définis par le gouvernement, dans le respect des principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité.

[...] »

La loi no 35/2012

10 La loi no 35/2012 a mis en place un fonds de compensation du service universel de communications électroniques afin de financer les coûts nets découlant du respect des obligations de service universel et de garantir le partage de ces coûts entre les entreprises tenues d’y contribuer (ci-après le « fonds de compensation »).

11 L’article 6 de la loi no 35/2012 prévoit :

« Le fonds de compensation sert à financer les coûts nets du service universel déterminés dans le cadre des procédures d’appel d’offres visées à l’article 99, paragraphe 3, de la loi no 5/2004 du 10 février 2004, modifiée et consolidée par la loi no 51/2011 du 13 septembre 2011, et considérés comme excessifs par l’[Autoridade Nacional de Comunicações (Anacom) (Autorité nationale des communications, Portugal)], conformément aux dispositions de l’article 95, paragraphe 1, sous b), et de
l’article 97 de la même loi, ainsi qu’à financer les coûts nets du service universel visés au chapitre V. »

12 L’article 17 de la loi no 35/2012, intitulé « Financement des coûts nets pour la période antérieure à la désignation par appel d’offres », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le fonds de compensation institué par la présente loi doit également permettre la compensation des coûts nets du service universel encourus jusqu’au début de la fourniture du service universel par le ou les fournisseurs de services désignés conformément à l’article 99, paragraphe 3, de la loi no 5/2004 du 10 février 2004, modifiée et consolidée par la loi no 51/2011 du 13 septembre 2011, aux conditions cumulatives suivantes :

a) l’existence de coûts nets est établie à la suite d’une vérification et ces coûts sont considérés comme excessifs par l’[Anacom] en vertu des dispositions de l’article 95, paragraphe 1, sous a), de l’article 95, paragraphe 2, et des articles 96 et 97 de la loi no 5/2004 du 10 février 2004, telle que modifiée et consolidée par la loi no 51/2011 du 13 septembre 2011 ;

b) le fournisseur du service universel demande au gouvernement la compensation des coûts visés au paragraphe précédent.

2.   Le montant des coûts nets à compenser au titre de la période antérieure à la désignation à la suite d’un appel d’offres correspond au montant qui viendrait à être approuvé par l’[Anacom], dans les termes prévus au paragraphe précédent, sous a). »

13 L’article 18, paragraphe 1, de la loi no 35/2012 prévoit :

« 1.   Les entreprises fournissant des réseaux de communications publics et/ou des services de communications électroniques accessibles au public sur le territoire national sont tenues de verser une contribution extraordinaire au fonds de compensation pour chacun des exercices 2013, 2014 et 2015. Cette contribution extraordinaire est exclusivement destinée au financement des coûts nets visés à l’article précédent, approuvés par l’[Anacom] au cours de ces années.

[...]

5.   La contribution extraordinaire visée au paragraphe 1 représente 3 % du chiffre d’affaires annuel éligible de chaque entité, dans le respect des plafonds fixés aux points suivants.

6.   Le montant de la contribution extraordinaire que doit verser chaque entreprise ne peut jamais dépasser la valeur qui résulterait de la répartition des coûts nets visée par l’article 17, paragraphe 2, par les entreprises ayant l’obligation de contribuer, proportionnellement à leur chiffre d’affaires éligible.

[...] »

14 Selon l’article 20 de la loi no 35/2012, le montant de la contribution extraordinaire correspondant à chaque exercice doit être payé dans un délai de cinq ans.

La procédure précontentieuse

15 Le 13 décembre 2012, la Commission a envoyé, par l’intermédiaire du système « EU Pilot », une lettre à la République portugaise, dans laquelle elle demandait à celle-ci des éclaircissements sur la compatibilité du fonds de compensation avec l’article 13 et l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22, notamment en ce qui concerne la compensation des coûts nets supportés par le fournisseur du service universel PT Comunicações dans le passé et au cours d’une période antérieure à sa nouvelle
désignation par procédure d’appel d’offres en qualité de fournisseur du service universel.

16 Le 21 février 2013, les autorités portugaises ont répondu à cette lettre. Des informations supplémentaires ont été fournies lors d’une réunion avec les services de la Commission tenue le 23 octobre 2014 et, ultérieurement, par lettre du 5 décembre 2014.

17 N’étant pas satisfaite par ces éléments de réponse, la Commission a adressé, le 27 février 2015, une lettre de mise en demeure à la République portugaise. Dans sa réponse du 29 avril 2015, cette dernière a réaffirmé que la législation portugaise et sa mise en œuvre devaient être considérées comme compatibles avec les exigences de la directive 2002/22, y compris en ce qui concerne le respect des principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non‑discrimination et de
proportionnalité.

18 Après examen de cette réponse, la Commission a adressé à la République portugaise un avis motivé par lettre du 29 avril 2016, invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

19 Par lettre du 1er juillet 2016, les autorités portugaises ont répondu à l’avis motivé. À la suite d’une réunion avec les services de la Commission tenue le 7 septembre 2016, les autorités portugaises ont, par lettre du 14 octobre 2016, complété leur réponse et transmis à la Commission des informations supplémentaires.

20 Deux autres réunions ont eu lieu entre la Commission et les autorités portugaises aux mois de janvier et de juillet 2017. Au cours de cette dernière réunion, plusieurs solutions ont été examinées en vue de résoudre le différend entre les parties. Par la suite, la Commission a demandé qu’une proposition de solution lui soit soumise, assortie de l’indication d’un délai d’exécution. Dans les deux lettres qui ont été adressées ultérieurement à la Commission les 14 mars 2017 et 12 septembre 2018, les
autorités portugaises ont, d’une part, proposé l’organisation d’une nouvelle réunion et, d’autre part, fait observer qu’elles estimaient prudent d’attendre les résultats des procédures engagées par certains opérateurs devant les juridictions nationales ayant pour objet la problématique concernée par la présente affaire.

21 Dans ces conditions, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

22 La Commission reproche à la République portugaise la non-conformité de la contribution extraordinaire au fonds de compensation, visée à l’article 18 de la loi no 35/2012 (ci-après la « contribution extraordinaire »), avec les exigences découlant de l’article 13, paragraphe 3, et de l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22.

23 La Commission relève que, conformément aux dispositions mentionnées au point précédent, si un État membre opte pour le mécanisme de partage des coûts nets découlant de la fourniture du service universel entre les fournisseurs de réseaux et de services de communications, ce mécanisme doit respecter les principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité.

Sur la portée du recours

24 Il convient de relever, en premier lieu, que l’article 13 de la directive 2002/22 détermine les modalités du financement des obligations de service universel.

25 Ainsi, il découle de l’article 13, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, de celle-ci, que le mécanisme de financement ne peut opérer qu’au bénéfice d’une entreprise désignée conformément à l’article 8, paragraphe 2, de ladite directive.

26 Cependant, il est constant que l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/22 ne fait pas l’objet du présent recours, seul le respect de l’article 13, paragraphe 3, de cette directive par la contribution extraordinaire instaurée par la République portugaise aux fins de la compensation du coût net occasionné par la fourniture du service universel étant en cause dans le cadre de ce recours.

27 En deuxième lieu, la Commission souligne, s’agissant de la genèse de la contribution extraordinaire, que l’Anacom a adopté, au cours de l’année 2011, des décisions portant sur la notion de charge injustifiée découlant de la fourniture du service universel et sur la méthodologie à utiliser pour déterminer les coûts nets de ce service. Conformément à ces décisions, la fourniture du service universel constitue une charge injustifiée pour le fournisseur concerné à partir du moment où la part de
marché en termes de recettes provenant du service téléphonique en position déterminée du fournisseur du service universel, calculée sur une base annuelle, est inférieure à 80 % et si le coût du service universel calculé est égal ou supérieur à 2,5 millions d’euros.

28 Elle ajoute que, étant donné que la part de marché de PT Comunicações, ancien opérateur historique, n’est devenue inférieure à ce taux de 80 % qu’à partir de l’année 2007, il a été décidé, d’une part, de n’octroyer aucune compensation pour les années 2001 à 2006 et, d’autre part, pour la période postérieure au 1er janvier 2007 et jusqu’à ce que le ou les fournisseurs du service universel désignés par voie d’appel d’offres entament la fourniture de ce service, de recourir à la méthodologie
d’établissement des coûts nets du service universel fixée par l’Anacom.

29 À cet égard, la Commission ne remet nullement en cause la méthodologie du calcul des coûts du service universel retenu par les autorités portugaises, ni les montants à compenser fixés en application de cette méthodologie.

30 En revanche, elle estime que le mécanisme de partage des coûts découlant de la fourniture du service universel établi par la République portugaise méconnaît l’article 13 de la directive 2002/22 ainsi que l’annexe IV, partie B, de cette directive, dès lors qu’il prévoit une contribution financière de la part des fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques pour des années antérieures. Ainsi, le coût net du service universel pour les exercices 2007 à 2009, 2010 et 2011
ainsi que 2012 et 2013 a été vérifié et le montant final a été approuvé par l’Anacom au cours, respectivement, des années 2013, 2014 et 2015. En outre, par trois décisions des 29 janvier 2015, 28 janvier 2016 et 26 janvier 2017, l’Anacom a identifié les entreprises tenues de contribuer au fonds de compensation et a fixé le montant des contributions extraordinaires à la charge de celles-ci, les contributions des années 2013, 2014 et 2015 étant destinées à compenser, respectivement, les coûts nets
des exercices 2007 à 2009, 2010 et 2011 ainsi que 2012 et 2013.

31 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le recours de la Commission soulève uniquement la question de savoir si la réglementation portugaise instituant le mécanisme de partage des coûts découlant de la fourniture du service universel respecte les principes auxquels doit répondre tout mécanisme de répartition des coûts nets des obligations de service universel mis en place en application de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 2002/22, afin d’être conforme aux exigences
découlant de l’article 13, paragraphe 3, et de l’annexe IV, partie B, de cette directive.

Sur le principe de transparence

Argumentation des parties

32 La Commission soutient que la République portugaise a méconnu le principe de transparence. À cet égard, elle fait valoir que la réglementation portugaise en vigueur avant l’adoption de la loi no 35/2012 ne permettait pas de déterminer la manière dont la compensation éventuelle des coûts nets du service universel serait effectuée. De même, cette réglementation n’imposait aux opérateurs du secteur concerné aucune obligation de contribuer à un fonds de compensation destiné à couvrir les coûts nets
du service universel. À cet égard, l’existence d’une possibilité formelle abstraite de recours à un fonds de compensation ne permettrait pas de considérer que les titulaires de droits et d’obligations au titre de la directive 2002/22 étaient en mesure de connaître la portée de leurs obligations, en méconnaissance du principe de sécurité juridique, que le principe de transparence servirait également à garantir.

33 Le principe de transparence n’impliquerait pas seulement une obligation de publication ou de mise à disposition des actes adoptés et des actions entreprises par les institutions de l’Union européenne et les États membres, telle que celle prévue à l’article 14 de la directive 2002/22 et dont cette institution ne remet pas en cause le respect par la réglementation portugaise. En effet, ainsi qu’il résulterait de l’arrêt du 6 décembre 2001, Commission/France (C‑146/00, EU:C:2001:668, points 48
et 49), portant sur le financement du service universel au titre de la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) (JO 1997, L 199, p. 32), pour qu’un mécanisme de répartition du coût net des obligations de service universel soit conforme au principe de transparence énoncé
à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, il importe que les valeurs retenues soient fixées conformément à des critères objectifs, en tenant compte d’éléments comparables et donc transparents, pour permettre à ces opérateurs de calculer leurs coûts et leurs revenus probables. Tout élément qui rend ce calcul plus difficile découragerait l’entrée sur le marché de tels opérateurs.

34 De même, en matière de marchés publics, les exigences de clarté et de précision feraient partie intégrante du principe de transparence dans une procédure d’adjudication. Quant au principe de sécurité juridique, celui-ci exigerait que les règles de droit susceptibles d’avoir des conséquences défavorables sur les particuliers soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets. Cet impératif de sécurité juridique s’imposerait avec une rigueur particulière lorsque la réglementation concernée
est susceptible de comporter des charges financières.

35 De l’avis de la Commission, il existe un rapport évident entre le principe de transparence et celui de sécurité juridique, dont le champ d’application va au-delà de la protection de la confiance légitime et qui suppose une exigence de clarté et de prévisibilité du droit, cette exigence s’appliquant non seulement à la législation de l’Union, mais également aux dispositions nationales de transposition d’une directive.

36 En défense, la République portugaise conteste l’interprétation faite par la Commission du principe de transparence, qui ne reposerait ni sur la lettre ni sur l’esprit de la directive 2002/22, non plus que sur la jurisprudence du juge de l’Union. Selon elle, ce principe, qui implique une possibilité d’examiner des décisions imputables à des entités publiques notamment à travers leur motivation et leur adoption dans le cadre de procédures ouvertes et accessibles au public, renverrait à
l’objectivité des critères et à la comparabilité des éléments utilisés pour calculer le coût net des obligations de service universel, la prévisibilité des coûts étant une conséquence de ces éléments.

37 Par ailleurs, selon la République portugaise, le principe de sécurité juridique ne saurait être confondu avec le principe de transparence. Or, les arguments invoqués par la Commission concerneraient avant tout les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, puisque ces arguments reviendraient à reprocher à la contribution extraordinaire une prétendue rétroactivité qui serait incompatible avec le principe de sécurité juridique. De tels arguments impliqueraient que le
fournisseur du service universel ne pourrait être dédommagé des coûts nets déjà encourus, vérifiés et approuvés par l’Anacom, alors même que la récupération de ces coûts est prévue par la réglementation nationale.

Appréciation de la Cour

38 Tout d’abord, il convient de relever que, en vertu de l’article 13, paragraphe 3, et de l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22, le mécanisme de répartition instauré, le cas échéant, par les États membres, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de cette directive, doit respecter, notamment, le principe de transparence. Un tel principe, qui est un corollaire du principe d’égalité, exige, à l’instar du principe de sécurité juridique, que toutes les conditions et modalités d’un tel
mécanisme de répartition soient énoncées au moyen de règles suffisamment accessibles, claires, précises, univoques et prévisibles dans leur application afin de permettre à tout opérateur raisonnablement informé et normalement diligent d’en comprendre la portée exacte et d’éviter tout risque d’arbitraire (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, point 57, ainsi que du 3 octobre 2019, Irgita, C‑285/18, EU:C:2019:829,
point 55). Plus particulièrement, ces paramètres doivent être fixés conformément à des critères objectifs, ce que confirme du reste l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22, en tenant compte d’éléments comparables et donc transparents, pour permettre aux opérateurs de calculer leurs coûts et leurs revenus probables (voir, par analogie, arrêt du 6 décembre 2001, Commission/France, C‑146/00, EU:C:2001:668, points 48 et 49).

39 Il s’ensuit que les obligations pour les États membres résultant d’un tel principe diffèrent de celles qui sont spécifiquement imposées par l’article 14 de la directive 2002/22, de sorte que le respect de ces dernières obligations ne saurait suffire à considérer que le principe de transparence, visé à l’article 13 de cette directive, n’a pas été méconnu.

40 À cet égard, il convient de faire observer que, en dépit de l’existence de liens entre le principe de transparence et le principe de sécurité juridique, ceux-ci n’en constituent pas moins des principes autonomes.

41 Par conséquent, dans la mesure où, selon les propres affirmations de la Commission, la contribution extraordinaire a été instaurée par la loi no 35/2012, il ne saurait être reproché à la République portugaise de ne pas avoir respecté le principe de transparence au seul motif que les opérateurs ne pouvaient pas prévoir, avant la date d’adoption de cette loi, la portée de leurs obligations au titre de la contribution extraordinaire que ladite loi a instaurée. En effet, le principe de transparence
ne saurait aller jusqu’à exiger que les redevables d’une contribution puissent en connaître le contenu avant même que celle-ci ne soit instaurée.

42 Il importe d’ajouter que, comme il a été souligné au point 30 du présent arrêt, la Commission n’a pas fait valoir que la méthodologie de calcul de la contribution extraordinaire était fondée sur des critères qui manquaient d’accessibilité, de clarté, de précision, d’objectivité ou de prévisibilité ou qui étaient équivoques.

43 En outre, il y a lieu de relever que, au cours de la période 2007 à 2013, pendant laquelle la directive 2002/22 était pleinement applicable, les opérateurs de télécommunications ne pouvaient pas s’attendre à ce que la République portugaise ne mette pas en œuvre la possibilité qui lui était offerte à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

44 Enfin, dans la mesure où la Commission souligne, dans son mémoire en réplique, que la contribution extraordinaire fait peser sur les opérateurs l’obligation de compenser des coûts qui ont été encourus durant une période antérieure à l’adoption de la loi no 35/2012, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort des écritures de cette institution et comme elle l’a confirmé lors de l’audience, le fondement du présent recours se limite, à cet égard, à une violation du principe de transparence.
Dès lors, il suffit de relever qu’une telle circonstance ne saurait, en tout état de cause, constituer une violation de ce principe.

45 Partant, le grief tiré de ce que l’institution par la République portugaise de la contribution extraordinaire est entachée d’une violation du principe de transparence visé à l’article 13, paragraphe 3, et à l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22 doit être rejeté.

Sur les principes de distorsion minimale du marché et de proportionnalité

Argumentation des parties

46 La Commission estime, en premier lieu, que le principe de distorsion minimale du marché n’a pas été respecté, étant donné que la charge financière résultant de la contribution extraordinaire était significative et imprévisible pour les opérateurs et que chacune des contributions couvrait plusieurs années, de sorte que cette méthode de répartition a fait peser une charge plus importante que ne l’aurait fait une contribution annuelle tenant compte des coûts nets de l’année en cause. Ce constat
vaudrait même si, en pratique, le taux de 3 % du chiffre d’affaires annuel n’a pas toujours été atteint.

47 En défense, la République portugaise considère que ce principe vise avant tout la manière dont il est procédé à la répartition des coûts encourus par les fournisseurs du service universel en vue de minimiser l’impact financier sur les utilisateurs finals. Or, en l’espèce, eu égard aux modalités concrètes de la perception de la contribution extraordinaire, l’impact effectif de celle-ci sur les opérateurs concernés aurait été faible.

48 La Commission soutient, en second lieu, que le principe de proportionnalité n’a pas été respecté dès lors que les entreprises tenues de contribuer à la compensation des coûts nets des entreprises désignées à l’issue de la procédure d’appel d’offres ont été, dans le même temps, obligées de verser la contribution extraordinaire. Cette obligation aurait ainsi entraîné une « double contribution » ou, à tout le moins, une augmentation des charges financières devant être supportées par les premières.
En outre, selon la Commission, les montants de la contribution extraordinaire ont été significatifs en comparaison, notamment, avec le montant de la contribution pour la même période en Espagne.

49 La République portugaise estime que la contribution extraordinaire a pleinement respecté le principe de proportionnalité dès lors que celle-ci a été conçue de manière à répartir entre différents opérateurs en fonction de leur chiffre d’affaires les coûts nets du service universel considérés comme excessifs, tout en ayant soin de dispenser de la contribution les entreprises de moindre dimension ne possédant pas encore de position consolidée sur le marché, moyennant la fixation d’un seuil minimal
de chiffre d’affaires pour le prélèvement de la contribution extraordinaire.

Appréciation de la Cour

50 Il ressort de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/22 que les États membres sont tenus d’instaurer un des deux mécanismes d’indemnisation énoncés à cette disposition lorsque les autorités réglementaires nationales ont constaté, comme en l’espèce, que l’entreprise en charge du service universel est soumise à une charge injustifiée, sur la base du calcul du coût net visé à l’article 12 de cette directive, et que cette entreprise en fait la demande.

51 À cet égard, il importe de souligner que le principe de distorsion minimale du marché est explicité, au considérant 23 de la directive 2002/22, en ce sens qu’il vise à ce que les contributions soient « récupérées d’une manière qui, dans la mesure du possible, réduise au minimum l’incidence de la charge financière supportée par les utilisateurs finals, par exemple par une répartition des contributions aussi large que possible ». Ainsi, à la lumière de cette explicitation et à l’instar de ce qui a
été relevé par la République portugaise, ce principe vise avant tout la manière dont il est procédé au partage de la charge encourue par les fournisseurs du service universel. L’annexe IV, partie B, de cette directive précise encore à cet égard que ces contributions « doivent entraîner la distorsion la plus faible possible de la concurrence et de la demande des usagers ».

52 En l’espèce, l’article 18 de la loi no 35/2012, qui régit les modalités de prélèvement de la contribution extraordinaire, prévoit, à son paragraphe 1, que celle-ci est exclusivement destinée au financement des coûts nets du service universel pour les années 2007 à 2013 qui ont fait l’objet d’une vérification par l’Anacom et dont cette autorité a considéré qu’ils constituaient une charge excessive pour le fournisseur du service universel, ensuite, à son paragraphe 5, que le montant de ladite
contribution peut atteindre 3 % du chiffre d’affaires annuel éligible de chaque entreprise concernée, enfin, à son paragraphe 6, que ce montant ne peut toutefois jamais dépasser la valeur qui résulterait de la répartition, effectuée proportionnellement aux chiffres d’affaires des entreprises obligées, des coûts nets encourus par le fournisseur du service universel et considérés comme excessifs par l’Anacom.

53 Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que la Commission ne conteste ni la méthodologie de calcul des coûts nets adoptée par l’Anacom, ni l’existence d’une charge injustifiée pour le fournisseur du service pour les années 2007 à 2013, ni le résultat auquel cette autorité est parvenue dans les décisions relatives aux années 2013 à 2015.

54 En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel la prétendue imprévisibilité des coûts pour les opérateurs découlant de la contribution extraordinaire violerait le principe de distorsion minimale du marché, il convient de relever que la Commission est restée en défaut de démontrer que cette seule imprévisibilité, à la supposer établie, aboutirait à méconnaître un tel principe. Au demeurant, comme il a été constaté au point 41 du présent arrêt, la Commission n’est pas parvenue à
établir que les paramètres de calcul de la contribution extraordinaire auraient empêché les opérateurs de prévoir, avec un degré de certitude raisonnable, le montant de cette contribution pour chacune des années 2013, 2014 et 2015.

55 Le seul fait que le montant de cette contribution s’est avéré significatif ne saurait pas davantage démontrer que celle-ci a présenté, en elle-même, un caractère disproportionné ou a méconnu le principe de la distorsion minimale du marché. Dès lors que ladite contribution correspondait au montant des coûts nets encourus par le fournisseur du service universel et que ces coûts ont été jugés comme représentant une charge injustifiée pour l’entreprise en charge de la fourniture du service universel,
l’État membre concerné était, d’une part, tenu d’indemniser cette charge injustifiée par l’un des deux mécanismes décrits à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/22 et cette contribution était, d’autre part, propre à constituer une compensation appropriée et limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

56 Par ailleurs, ainsi que l’a fait valoir la République portugaise, les entreprises soumises à la contribution extraordinaire ont disposé de facilités de paiement, dès lors que, ainsi qu’il ressort de l’article 20, paragraphe 4, de la loi no 35/2012, le paiement de cette contribution a pu, pour chaque exercice, être étalé sur une période de cinq ans. Une telle possibilité a ainsi offert aux opérateurs la possibilité de moduler la charge financière qu’ils ont dû supporter pour le paiement de ladite
contribution, de manière à en réduire autant que possible l’incidence.

57 En outre, contrairement à ce que prétend la Commission, la circonstance que la contribution extraordinaire avait pour assiette le chiffre d’affaires des opérateurs pour les années postérieures à l’entrée en vigueur de cette contribution, et non pas leur chiffre d’affaires afférent aux années durant lesquelles le service universel a été fourni par PT Comunicações, ne viole pas le principe de proportionnalité et le principe de la distorsion minimale du marché, étant donné que la charge financière
ainsi imposée aux opérateurs a été proportionnée à la part de marché dont ils pouvaient se prévaloir précisément au moment où cette charge leur a été imposée.

58 Il convient d’ajouter, comme l’a relevé la République portugaise, que la réglementation nationale pertinente a veillé à répartir le montant de la contribution extraordinaire sur un nombre élevé d’opérateurs, comme l’y invitait à le faire le considérant 23 de la directive 2002/22.

59 La Commission fait encore valoir que le prélèvement de la contribution extraordinaire a eu pour conséquence que les entreprises contributrices ont été soumises à une « double contribution », en ce que ces entreprises ont été tenues, à partir de l’année 2013, à la fois de contribuer au financement des coûts liés au service universel pour la période postérieure à l’appel d’offres et de verser la contribution extraordinaire pour les coûts supportés par PT Comunicações antérieurement à l’appel
d’offres.

60 Il est vrai que le choix effectué par la République portugaise de prélever, par la voie de la contribution extraordinaire, une compensation pour les coûts nets encourus par le fournisseur du service universel antérieurement à l’appel d’offres a conduit à une augmentation des charges pesant sur les entreprises concernées au titre des exercices 2013 à 2015.

61 Toutefois, dans la mesure où la contribution extraordinaire visait à compenser les coûts nets du service universel encourus par le fournisseur du service universel lors de périodes antérieures à l’appel d’offres pour lesquelles aucune compensation n’avait encore eu lieu, cette contribution doit être regardée en réalité comme étant une contribution différée dans le temps, de sorte que la Commission n’est pas fondée à invoquer l’existence d’une « double contribution ».

62 À cet égard, le seul fait que le choix opéré par la République portugaise a abouti nécessairement, pour certains exercices, à une augmentation des charges financières pesant sur les entreprises concernées ne saurait, à lui seul, constituer, compte tenu de ce qui a été exposé aux points 54 à 57 du présent arrêt, une violation du principe de proportionnalité.

63 Partant, la Commission n’a pas établi, à suffisance de droit, que la contribution extraordinaire a méconnu le principe de distorsion minimale du marché et le principe de proportionnalité, visés à l’article 13, paragraphe 3, et à l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22.

Sur le principe de non-discrimination

Argumentation des parties

64 La Commission fait valoir que la raison d’être de la compensation des coûts nets est de rétablir une équité concurrentielle entre les entreprises concernées, de sorte que, en l’espèce, le respect du principe de non-discrimination aurait exigé que seul le chiffre d’affaires des opérateurs présents sur le marché des télécommunications au Portugal au moment où les coûts nets ont été encourus soit pris en compte. Or, la contribution extraordinaire se serait appliquée à tous les opérateurs présents
sur le marché au cours de la période 2013 à 2015, y compris à ceux qui étaient absents de celui-ci ou présents selon une autre configuration au cours de la période 2007 à 2013. La Commission fait plus particulièrement observer que d’importants changements auraient eu lieu dans le marché des télécommunications au Portugal, notamment en raison de plusieurs concentrations et transformations d’entreprises. Pour ces raisons, la Commission estime que les entreprises concernées, sous leurs nouvelles
configurations, ont été victimes d’une discrimination en raison du fait qu’elles ont dû s’acquitter d’une contribution calculée en fonction de leurs chiffres d’affaires relatifs à des années qui n’étaient pas celles auxquelles les coûts nets se rapportent.

65 La République portugaise considère que le principe de non-discrimination a été respecté. S’agissant de l’évolution du marché national des télécommunications au Portugal, elle fait valoir que les restructurations intervenues sur ce marché au cours de la période 2007 à 2014 ont consisté en des restructurations intra- et intergroupes, qui ont eu seulement pour effet de modifier la désignation et la structure interne des opérateurs concernés. Ainsi, il y aurait eu une identité économique des
opérateurs pendant la période 2007 à 2014, du fait de l’existence d’une unité économique et/ou de liens d’interdépendance traduisant l’existence d’un pouvoir de contrôle.

Appréciation de la Cour

66 Selon une jurisprudence constante de la Cour, une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes [arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 16, ainsi que du 12 décembre 2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères), C‑450/18, EU:C:2019:1075, point 42].

67 À cet égard, il est vrai que les opérateurs qui étaient présents sur le marché au moment où les coûts que la contribution extraordinaire était censée compenser ont été encourus et les opérateurs qui n’étaient pas présents sur ce marché ont fait l’objet d’un traitement comparable, puisque les uns et les autres ont été soumis à cette contribution.

68 La Commission n’a toutefois pas établi, à suffisance de droit, que ces deux groupes d’opérateurs se trouvaient dans des situations à ce point différentes que l’application d’une même règle aux uns et aux autres devrait être considérée comme une discrimination.

69 En outre, si des restructurations sont intervenues sur le marché des télécommunications au Portugal pendant la période en cause, il reste que, ainsi qu’il a été relevé par M. l’avocat général au point 85 de ses conclusions et comme il ressort notamment du mémoire en défense de la République portugaise et des débats qui ont eu lieu lors de l’audience, ces restructurations ont en substance conservé un caractère intra- et intergroupe, les opérateurs que la Commission qualifie de nouveaux opérateurs
étant, en réalité, des opérateurs issus de fusions entre des opérateurs qui étaient déjà présents sur ce marché.

70 Dans ce contexte, le seul fait qu’une restructuration ou une fusion est intervenue n’a pas eu pour effet de placer, en ce qui concerne le prélèvement de la contribution extraordinaire, les redevables de cette contribution issus de telles opérations dans une situation non comparable à celle des redevables de cette contribution n’ayant pas fait l’objet de telles modifications de leur structure juridique.

71 Dès lors, ainsi qu’il a été constaté au point 68 du présent arrêt, l’évolution du marché des télécommunications au Portugal n’est pas de nature à remettre en cause la comparabilité de la situation juridique de ces entreprises.

72 Dans ces conditions, en mettant en œuvre la contribution extraordinaire, la République portugaise n’a pas porté atteinte au principe de non-discrimination, tel qu’énoncé à l’article 13, paragraphe 3, et à l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22.

73 Aucun des principes figurant à l’article 13, paragraphe 3, et à l’annexe IV, partie B, de la directive 2002/22 n’ayant été violé, le recours de la Commission doit être rejeté.

Sur les dépens

74 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République portugaise ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-49/19
Date de la décision : 25/11/2020
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Manquement d’État – Communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/22/CE – Réseaux et services – Article 13 – Financement des obligations de service universel – Mécanisme de répartition – Principes de transparence, de distorsion minimale du marché, de non-discrimination et de proportionnalité.

Télécommunications

Rapprochement des législations

Politique industrielle


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République portugaise.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Juhász

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:956

Source

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