ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
21 octobre 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion de “ressources d’État” – Responsabilité élargie des producteurs – Éco-organisme agréé par les pouvoirs publics pour percevoir des contributions financières auprès des metteurs sur le marché de certains produits afin de pourvoir pour leur compte à leur obligation légale de traitement des déchets issus de ces produits – Soutiens financiers versés par cet éco-organisme aux opérateurs de tri conventionnés »
Dans l’affaire C‑556/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 12 juillet 2019, parvenue à la Cour le 22 juillet 2019, dans la procédure
Eco TLC
contre
Ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire,
Ministre de l’Économie et des Finances,
en présence de :
Fédération des entreprises du recyclage,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente de la Cour, MM. L. Bay Larsen, M. Safjan et N. Jääskinen, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Eco TLC, par Me F. Molinié, avocat,
– pour la Fédération des entreprises du recyclage, par Me A. Gossement, avocat,
– pour le gouvernement français, par Mme A.-L. Desjonquères et M. P. Dodeller, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Bouchagiar et K.‑P. Wojcik ainsi que par Mme C. Georgieva-Kecsmar, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 mai 2020,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eco TLC au ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire (France) et au ministre de l’Économie et des Finances (France) au sujet de la légalité d’un arrêté prévoyant la revalorisation d’un soutien financier versé par Eco TLC aux opérateurs conventionnés en charge du traitement des déchets issus des produits textiles d’habillement, du linge de maison et des chaussures.
Le cadre juridique
3 L’article L. 541-10-3 du code de l’environnement, dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le « code de l’environnement »), prévoit :
« À compter du 1er janvier 2007, toutes les personnes physiques ou morales qui mettent sur le marché national à titre professionnel des produits textiles d'habillement, des chaussures ou du linge de maison neufs destinés aux ménages sont tenues de contribuer ou de pourvoir au recyclage et au traitement des déchets issus de ces produits.
À compter du 1er janvier 2020, toutes les personnes physiques ou morales qui mettent sur le marché national, à titre professionnel, tous produits finis en textile pour la maison, à l’exclusion de ceux qui sont des éléments d’ameublement ou destinés à protéger ou à décorer des éléments d’ameublement, sont également soumises à l’obligation prévue au premier alinéa.
Les personnes visées aux deux premiers alinéas accomplissent cette obligation :
– soit en contribuant financièrement à un organisme agréé par arrêté conjoint des ministres chargés de l’Écologie et de l’Industrie qui passe convention avec les opérateurs de tri et les collectivités territoriales ou leurs groupements en charge de la gestion des déchets et leur verse un soutien financier pour les opérations de recyclage et de traitement des déchets visés aux deux premiers alinéas qu’ils assurent ;
– soit en mettant en place, dans le respect d’un cahier des charges, un système individuel de recyclage et de traitement des déchets visés aux deux premiers alinéas approuvé par arrêté conjoint des ministres chargés de l’Écologie et de l’Industrie.
Les modalités d’application du présent article, notamment le mode de calcul de la contribution, les conditions dans lesquelles est favorisée l’insertion des personnes rencontrant des difficultés au regard de l’emploi ainsi que les sanctions en cas de non-respect de l’obligation visée au premier alinéa sont fixées par décret en Conseil d’État. »
4 Aux termes de l’article R. 543-214, deuxième alinéa, du code de l’environnement, chaque organisme justifie, à l’appui de sa demande d’agrément, de ses capacités techniques et financières à mener à bonne fin les opérations requises pour favoriser, par le biais des conventions qu’il signe et de la redistribution des contributions financières qu’il collecte, le réemploi, le recyclage, la valorisation matière et le traitement des déchets mentionnés à l’article L. 541-10-3 dudit code et indique les
conditions dans lesquelles il prévoit de satisfaire aux clauses du cahier des charges dont cet agrément sera assorti.
5 Conformément à l’article R. 543-215, premier alinéa, du code de l’environnement, les organismes agréés déterminent le montant global de la contribution financière qu’ils perçoivent auprès des personnes mentionnées à l’article L. 541-10-3, premier alinéa, de ce code, de manière à couvrir, chaque année, les dépenses résultant de l’application du cahier des charges mentionné à l’article R. 543-214 dudit code.
6 Selon l’article R. 543-218 du code de l’environnement, le cahier des charges mentionné à l’article R. 543-214 de ce code précise, notamment, les objectifs fixés en termes de quantités de déchets triées, réemployées, recyclées ou valorisées, ainsi que les objectifs d’insertion des personnes rencontrant des difficultés au regard de l’emploi, au sens de l’article L. 541-10-3 dudit code, et prévoit la minoration de la contribution versée à l’opérateur de tri en cas de non-respect par ce dernier d’un
objectif minimum d’insertion de ces personnes.
7 L’arrêté du 3 avril 2014 relatif à la procédure d’agrément et portant cahier des charges des organismes ayant pour objet de contribuer au traitement des déchets issus des produits textiles d’habillement, du linge de maison et des chaussures, conformément à l’article R. 543-214 du code de l’environnement et portant agrément d’un organisme, en application des articles L. 541-10-3 et R. 543-214 à R. 543-224 du code de l’environnement (JORF du 14 mai 2014, p. 7969, ci-après l’« arrêté du 3 avril
2014 »), a délivré à Eco TLC un agrément pour percevoir auprès des metteurs sur le marché de produits textiles d’habillement, du linge de maison et des chaussures (ci-après les « produits TLC ») des contributions financières au traitement des déchets issus de ces produits et pour les reverser, sous forme de soutiens financiers, notamment aux opérateurs de tri, dans le respect du cahier des charges annexé à cet arrêté.
8 L’annexe de l’arrêté du 3 avril 2014, intitulée « Cahier des charges relatif à l’agrément d’un éco-organisme délivré en application des articles L. 541‑10‑3 et R. 543‑214 à R. 543-224 du code de l’environnement pour la période 2014-2019 », contient elle-même plusieurs annexes. Parmi celles-ci, l’annexe III, intitulée « Barème des soutiens financiers versés aux opérateurs de tri conventionnés, en année N+1, au titre de l’année N », détermine le mode de calcul des différents types de soutiens
financiers susceptibles d’être versés aux opérateurs de tri conventionnés, à savoir le soutien à la pérennisation, le soutien au tri matière et le soutien au développement. Cette annexe prévoit notamment que le montant du soutien à la pérennisation est égal à la somme des aides à la pérennisation au titre de la valorisation matière, de la valorisation énergétique et de l’élimination, et que l’aide à la pérennisation au titre de la valorisation matière est calculée en affectant aux « tonnages triés
ayant fait l’objet d’une valorisation matière (réutilisation + recyclage + autres modes de valorisation matière) » un coefficient fixé à 65 euros par tonne.
9 L’arrêté du 19 septembre 2017 portant modification de l’arrêté du 3 avril 2014 (JORF du 4 octobre 2017, texte no 5, ci-après l’« arrêté du 19 septembre 2017 ») a procédé à la revalorisation du montant du soutien à la pérennisation. Aux termes de l’article 1er de cet arrêté, le coefficient pour le calcul de ce soutien est porté à 82,5 euros par tonne pour les soutiens versés à partir du 1er janvier 2018.
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Eco TLC est un éco-organisme agréé par les pouvoirs publics pour percevoir auprès des metteurs sur le marché de produits TLC des contributions financières en contrepartie du service consistant à pourvoir pour leur compte à leur obligation légale de traitement des déchets issus de ces produits. À ces fins, Eco TLC passe des conventions avec les opérateurs de tri éligibles et leur verse différents types de soutiens financiers, à savoir un soutien à la pérennisation, un soutien au tri matière et un
soutien au développement, pour les opérations de recyclage et de traitement des déchets issus des produits TLC.
11 Alors que l’arrêté du 3 avril 2014 avait fixé à 65 euros par tonne le coefficient aux fins du calcul du soutien à la pérennisation au titre de la valorisation matière, l’arrêté du 19 septembre 2017 a procédé à la revalorisation de ce soutien en portant ce coefficient à 82,5 euros par tonne pour les sommes versées à partir du 1er janvier 2018.
12 Eco TLC a introduit un recours contre l’arrêté du 19 septembre 2017 devant le Conseil d’État (France), en faisant valoir, notamment, que cet arrêté instituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
13 La juridiction de renvoi relève que, conformément à l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement, relatif au principe de responsabilité élargie des producteurs, les metteurs sur le marché de produits TLC sont tenus de contribuer ou de pourvoir au recyclage et au traitement des déchets issus de ces produits. Afin de satisfaire à cette obligation, ladite juridiction précise que lesdits metteurs sur le marché doivent soit pourvoir eux-mêmes au traitement des déchets issus de produits TLC, soit
en transférer la responsabilité à un organisme agréé, chargé de percevoir leurs contributions et de pourvoir pour leur compte au traitement de ces déchets en concluant à cette fin des conventions avec des opérateurs de tri.
14 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi constate, en premier lieu, qu’Eco TLC est le seul organisme agréé à cet effet et que les metteurs sur le marché n’ont pas fait le choix de pourvoir eux-mêmes au traitement des déchets issus des produits TLC.
15 En deuxième lieu, elle précise que le barème des soutiens financiers versés aux opérateurs de tri par Eco TLC a été fixé par l’arrêté du 3 avril 2014 en fonction d’objectifs de valorisation de déchets et d’emploi de personnes en difficulté sociale. La juridiction de renvoi fait observer que, conformément à cet arrêté, Eco TLC doit ajuster le montant des contributions à percevoir auprès des metteurs sur le marché au niveau strictement nécessaire pour remplir ses obligations, à savoir le versement
des soutiens financiers aux opérateurs de tri selon le barème établi par ledit arrêté, ainsi que diverses actions de sensibilisation et de prévention, sans pouvoir réaliser de profits ni de pertes, ni entreprendre des activités dans d’autres domaines.
16 En troisième et dernier lieu, la juridiction de renvoi relève qu’un censeur d’État, désigné par l’État, assiste aux réunions du conseil d’administration d’Eco TLC, sans toutefois y disposer d’un droit de vote, est informé des conditions des placements financiers envisagés par cette société avant leur validation par le conseil d’administration, et peut se faire communiquer tous les documents liés à la gestion financière de ladite société afin, en cas de non-respect des règles de bonne gestion
financière, d’en informer les autorités compétentes de l’État qui peuvent prononcer une amende allant jusqu’à 30000 euros, voire décider la suspension ou même le retrait de l’agrément. Elle précise que, sous ces réserves, Eco TLC détermine librement ses choix de gestion et que, notamment, les fonds destinés aux opérateurs de tri ne sont soumis à aucune obligation particulière de dépôt.
17 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 107 [TFUE] doit-il être interprété en ce sens qu’un dispositif [...] par lequel un éco-organisme privé sans but lucratif, titulaire d’un agrément délivré par les autorités publiques, perçoit auprès des metteurs sur le marché d’une catégorie particulière de produits qui signent avec lui une convention à cet effet des contributions en contrepartie du service consistant à pourvoir pour leur compte au traitement des déchets issus de ces produits, et reverse à des opérateurs chargés du tri
et de la valorisation de ces déchets des subventions d’un montant fixé dans l’agrément au regard d’objectifs environnementaux et sociaux doit être regardé comme une aide d’État au sens de [cette disposition] ? »
Sur la question préjudicielle
18 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son
bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
19 S’agissant de la première de ces conditions, il y a lieu de rappeler que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
20 En outre, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 43 et
jurisprudence citée).
21 Il ressort de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi s’interroge en réalité uniquement sur la première des conditions énoncées au point 18 du présent arrêt et que les éléments factuels qu’elle a fournis à la Cour se rapportent essentiellement à cette première condition.
22 Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un dispositif par lequel un éco-organisme privé sans but lucratif, titulaire d’un agrément délivré par les autorités publiques, perçoit auprès des metteurs sur le marché d’une catégorie particulière de produits qui signent avec lui une convention à cet effet des contributions en contrepartie du service consistant
à pourvoir pour leur compte au traitement des déchets issus de ces produits, et reverse à des opérateurs chargés du tri et de la valorisation de ces déchets des subventions d’un montant fixé dans l’agrément au regard d’objectifs environnementaux et sociaux constitue une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, au sens de cette disposition.
23 En premier lieu, afin d’apprécier l’imputabilité de la mesure à l’État, il convient d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le dispositif relatif à la responsabilité élargie du producteur en vigueur dans la filière de la gestion des déchets issus des produits TLC a été institué par des textes de nature législative et réglementaire, à savoir le code de l’environnement ainsi que l’arrêté du 3 avril 2014, tel que modifié par l’arrêté du 19 septembre 2017. Ce dispositif doit donc être considéré comme étant imputable à l’État, au sens de la jurisprudence mentionnée
au point précédent du présent arrêt.
25 En second lieu, afin de déterminer si l’avantage a été accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tant les aides accordées directement par l’État ou au moyen de ressources d’État que celles accordées par des organismes publics ou privés institués ou désignés par ce dernier en vue de les gérer (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17,
EU:C:2019:407, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
26 La distinction établie dans cette disposition entre les « aides accordées par les États » et les aides accordées « au moyen de ressources d’État » ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par
cet État (arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 53 et jurisprudence citée).
27 En effet, le droit de l’Union ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d’aides permette de contourner les règles relatives aux aides d’État (arrêt du 9 novembre 2017, Commission/TV2/Danmark, C‑656/15 P, EU:C:2017:836, point 45).
28 En l’occurrence, en vertu du principe de responsabilité élargie du producteur posé à l’article L. 541-10-3 du code de l’environnement, les metteurs sur le marché de produits TLC, à savoir les producteurs, importateurs et distributeurs, sont tenus de pourvoir ou de contribuer au traitement des déchets issus de ces produits.
29 Afin de satisfaire à cette obligation, ils doivent soit pourvoir eux-mêmes au traitement des déchets issus des produits TLC, soit contribuer financièrement à un éco-organisme agréé par les pouvoirs publics ayant pour objet d’assurer la gestion de ces déchets en passant des conventions avec les opérateurs de tri et en leur versant des soutiens financiers pour les opérations de recyclage et de traitement desdits déchets.
30 S’il ressort de la décision de renvoi que, pour satisfaire à leur obligation découlant de l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement, les metteurs sur le marché de produits TLC ont choisi d’adhérer à Eco TLC, organisme agréé à cet effet par l’arrêté du 3 avril 2014, une telle circonstance ne permet pas, en soi, de considérer que les contributions qu’ils versent à cet éco-organisme constituent des contributions obligatoires imposées par la législation d’un État.
31 Par ailleurs, Eco TLC perçoit auprès des metteurs sur le marché de produits TLC des contributions financières en contrepartie du service consistant à pourvoir pour leur compte à leur obligation légale de traitement des déchets issus de ces produits. À ces fins, Eco TLC passe des conventions avec les opérateurs de tri éligibles et leur reverse des soutiens financiers pour les opérations de recyclage et de traitement des déchets issus desdits produits.
32 Dans ce cadre, il y a lieu de constater que le dispositif en cause au principal prévoit, dans un premier temps, le transfert de contributions financières provenant d’opérateurs économiques privés vers une société de droit privé et, dans un second temps, le versement par cette société d’une partie de ces contributions vers d’autres opérateurs économiques privés.
33 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 85 de ses conclusions, ces contributions conservent un caractère privé pendant tout leur parcours. Les fonds constitués par le versement desdites contributions ne transitent jamais par le budget de l’État ou par celui d’une autre entité publique et ne passent jamais entre les mains des pouvoirs publics. Par ailleurs, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’État membre concerné ne renonce à aucune ressource, à quelque titre que ce soit,
telle que des impôts, des taxes, des contributions ou autres, qui, selon la législation nationale, aurait dû être versée au budget de l’État.
34 Il s’ensuit que le dispositif en cause au principal n’entraîne aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État.
35 Cela étant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que des mesures ne comportant pas un transfert de ressources d’État peuvent relever de la notion d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 9 novembre 2017, Commission/TV2/Danmark, C‑656/15 P, EU:C:2017:836, point 43 et jurisprudence citée).
36 En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide concernée ne sont pas de façon permanente en la possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des
autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État » (arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, point 37, ainsi que du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 53).
37 Il convient ainsi de vérifier si les fonds utilisés par Eco TLC pour verser des soutiens financiers aux opérateurs de tri conventionnés demeurent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes.
38 À cet égard, en premier lieu, ainsi qu’il a été constaté au point 33 du présent arrêt, ces fonds ne transitent jamais par le budget de l’État ou par celui d’une autre entité publique et ne passent jamais entre les mains des pouvoirs publics.
39 En outre, il ressort du dossier dont dispose la Cour, premièrement, que, lesdits fonds ne sont soumis à aucune obligation particulière de dépôt, deuxièmement, que, en cas de cessation d’activité de l’éco-organisme, les sommes éventuellement disponibles, après imputation des frais liés à la cessation d’activité et après déduction des dettes détenues par cet éco-organisme à l’égard de l’État et de l’ensemble de ses créanciers, ne sont pas versées aux pouvoirs publics, et troisièmement, que les
litiges portant sur le recouvrement des contributions dues par les metteurs sur le marché au titre du dispositif en cause au principal relèvent des juridictions civiles ou commerciales.
40 Il en résulte que l’État ne dispose, à aucun moment, d’un accès effectif auxdits fonds et que l’éco-organisme ne dispose d’aucune prérogative propre aux autorités publiques.
41 En deuxième lieu, les fonds utilisés par Eco TLC dans le cadre du dispositif en cause au principal sont exclusivement affectés à l’exécution des missions qui lui sont légalement assignées. Ce principe légal d’affectation exclusive de ces fonds tend plutôt à démontrer, en l’absence de tout autre élément en sens contraire, que l’État n’est précisément pas en mesure de disposer desdits fonds, c’est-à-dire de décider d’une affectation différente de celle prévue par la loi (voir, en ce sens, arrêt du
28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 76).
42 En troisième lieu, il est vrai que le barème des soutiens financiers versés par l’éco-organisme agréé aux opérateurs de tri est fixé par l’État.
43 Toutefois, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 5 et 15 du présent arrêt, les organismes agréés déterminent le montant global de la contribution financière qu’ils perçoivent auprès des metteurs sur le marché, de manière à couvrir, chaque année, les dépenses résultant de l’application du cahier des charges, à savoir le versement des soutiens financiers aux opérateurs de tri, les frais de fonctionnement ainsi que diverses actions de sensibilisation et de prévention.
44 D’autre part, dans ses observations écrites, le gouvernement français a relevé que, conformément au cahier des charges annexé à l’arrêté du 3 avril 2014, le barème des soutiens financiers versés par l’éco-organisme agréé aux opérateurs de tri correspond au coût net moyen du tri. S’agissant, plus particulièrement, de la revalorisation effectuée par l’arrêté du 19 septembre 2017, celle-ci aurait été déterminée par les pouvoirs publics sur la base des propositions contenues dans le bilan annuel de
l’Observatoire environnemental, économique et social du tri et de la valorisation des déchets de TLC. Cet observatoire, mis en place par Eco TLC, aurait recensé, aux fins de l’établissement de ce bilan, les charges et les recettes des opérateurs du tri et aurait constaté une sous-compensation des activités de tri.
45 L’éco-organisme agréé disposerait ainsi d’un rôle prépondérant dans la détermination et dans l’évolution du barème des soutiens financiers versés aux opérateurs de tri, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.
46 En quatrième lieu, s’il ressort de la décision de renvoi que l’arrêté du 3 avril 2014 prévoit certaines conditions d’éligibilité que les opérateurs de tri doivent respecter afin de bénéficier de ces soutiens financiers, le gouvernement français a toutefois souligné, dans ses observations écrites, que l’éco-organisme agréé dispose d’une certaine liberté contractuelle dans ses relations avec les opérateurs de tri pour fixer des conditions d’éligibilité supplémentaires. Du reste, selon ce
gouvernement, Eco TLC aurait usé de cette liberté en introduisant de son propre chef des conditions d’éligibilité aux soutiens financiers plus contraignantes que celles fixées par l’État.
47 Eco TLC disposerait, de ce fait, d’une influence dans la détermination des bénéficiaires des soutiens financiers susceptibles d’être versés au titre du dispositif en cause au principal. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est bien le cas.
48 En cinquième et dernier lieu, il ressort de la décision de renvoi qu’un censeur d’État, désigné par l’État, assiste aux réunions du conseil d’administration d’Eco TLC, est informé des conditions des placements financiers envisagés par cette société avant leur validation par le conseil d’administration, et peut se faire communiquer tous les documents liés à la gestion financière afin, en cas de non-respect des règles de bonne gestion financière, d’en informer les autorités publiques compétentes
qui peuvent prononcer une amende, voire décider la suspension de l’agrément ou même le retrait de celui-ci.
49 Cependant, il ressort du dossier dont dispose la Cour, d’une part, que ledit censeur d’État ne dispose pas d’un droit de vote au sein du conseil d’administration d’Eco TLC qui lui permettrait d’exercer une influence sur l’administration des fonds utilisés par cette société pour verser des soutiens financiers aux opérateurs de tri. D’autre part, il apparaît que la mission dudit censeur consiste uniquement à veiller au maintien des capacités financières de ladite société.
50 Il résulte de ce qui précède que, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, les fonds utilisés par Eco TLC pour verser des soutiens financiers aux opérateurs de tri ne demeurent pas constamment sous contrôle public, au sens de la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, et qu’ils ne constituent donc pas des ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
51 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un dispositif par lequel un éco-organisme privé sans but lucratif, titulaire d’un agrément délivré par les autorités publiques, perçoit auprès des metteurs sur le marché d’une catégorie particulière de produits qui signent avec lui une convention à cet effet des contributions en contrepartie du service consistant à pourvoir
pour leur compte au traitement des déchets issus de ces produits, et reverse à des opérateurs chargés du tri et de la valorisation de ces déchets des subventions d’un montant fixé dans l’agrément au regard d’objectifs environnementaux et sociaux ne constitue pas une intervention au moyen de ressources d’État, au sens de cette disposition, pour autant que ces subventions ne demeurent pas constamment sous contrôle public, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un dispositif par lequel un éco-organisme privé sans but lucratif, titulaire d’un agrément délivré par les autorités publiques, perçoit auprès des metteurs sur le marché d’une catégorie particulière de produits qui signent avec lui une convention à cet effet des contributions en contrepartie du service consistant à pourvoir pour leur compte au traitement des déchets issus de ces produits, et reverse à des opérateurs chargés du
tri et de la valorisation de ces déchets des subventions d’un montant fixé dans l’agrément au regard d’objectifs environnementaux et sociaux ne constitue pas une intervention au moyen de ressources d’État, au sens de cette disposition, pour autant que ces subventions ne demeurent pas constamment sous contrôle public, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Bonichot
Silva de Lapuerta
Bay Larsen
Safjan
Jääskinen
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 octobre 2020.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de la Ière chambre
J.-C. Bonichot
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( *1 ) Langue de procédure : le français.