CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PRIIT PIKAMÄE
présentées le 21 octobre 2020 ( 1 )
Affaires jointes C‑517/19 P et C‑518/19 P
Maria Alvarez y Bejarano,
Ana-Maria Enescu,
Lucian Micu,
Angelica Livia Salanta,
Svetla Shulga,
Soldimar Urena de Poznanski,
Angela Vakalis,
Luz Anamaria Chu,
Marli Bertolete,
Maria Castro Capcha,
Hassan Orfe El,
Evelyne Vandevoorde
contre
Commission européenne (C‑517/19 P)
et
Jakov Ardalic,
Liliana Bicanova,
Monica Brunetto,
Claudia Istoc,
Sylvie Jamet,
Despina Kanellou,
Christian Stouraitis,
Abdelhamid Azbair,
Abdel Bouzanih,
Bob Kitenge Ya Musenga,
El Miloud Sadiki,
Cam Tran Thi
contre
Conseil de l’Union européenne (C‑518/19 P)
« Pourvoi – Fonction publique – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Réforme du 1er janvier 2014 – Article 7 de l’annexe V – Articles 4, 7 et 8 de l’annexe VII – Nouvelles dispositions relatives au paiement forfaitaire des frais de voyage annuel du lieu d’affectation au lieu d’origine et à l’octroi du congé dans le foyer – Lien avec le statut de dépaysé ou d’expatrié – Exception d’illégalité – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 20 – Égalité de droit –
Intensité du contrôle juridictionnel »
I. Introduction
1. Par les présents pourvois, les requérants sollicitent l’annulation des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267), et Ardalic e.a./Conseil (T‑523/16 et T‑542/16, non publié, EU:T:2019:272) (ci‑après, ensemble, les « arrêts attaqués ») qui ont rejeté leur recours en annulation, fondé sur une exception d’illégalité de l’article 7 de l’annexe V et de l’article 8 de l’annexe VII du statut des
fonctionnaires de l’Union européenne, des décisions de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne leur refusant, en application de ces dispositions et à compter du 1er janvier 2014, le bénéfice du paiement forfaitaire des frais de voyage annuel et l’octroi d’un congé dans le foyer.
2. Les réformes successives du statut des fonctionnaires de l’Union européenne et les suppressions ou réductions des avantages qui, parfois, les accompagnent sont à l’origine de contentieux entre les fonctionnaires ou agents et les institutions qui les emploient. Après la question de la réduction du nombre de jours de congés annuel pour le personnel affecté dans des pays tiers ( 2 ), la Cour est amenée à devoir se prononcer sur la légalité des dispositions statutaires, issues du règlement (UE,
Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne ( 3 ), restreignant le remboursement des frais de voyage annuel et, sous son ancienne dénomination bien connue, le délai de route.
3. Les affaires dont est saisie la Cour lui donne l’occasion de clarifier, notamment, l’étendue du contrôle juridictionnel du respect de l’égalité de droit dans le contexte de l’exercice par le législateur statutaire de son pouvoir discrétionnaire.
II. Le cadre juridique
4. Le règlement no 31 (CEE) 11 (CEEA) fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique ( 4 ) (ci‑après le « statut ») a été modifié à plusieurs reprises, et, notamment, par le règlement no 1023/2013 qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014.
5. L’article 7 de l’annexe V du statut prévoit :
« Le fonctionnaire ayant droit à une indemnité d’expatriation ou de dépaysement a droit à deux journées et demie de congé supplémentaire, chaque année, pour se rendre dans son foyer d’origine.
Le premier alinéa s’applique au fonctionnaire dont le lieu d’affectation est situé sur le territoire des États membres. Si le lieu d’affectation se trouve en dehors de ce territoire, la durée du congé dans le foyer est fixée par décision spéciale, compte tenu des nécessités. » ( 5 )
6. L’article 4 de l’annexe VII du statut dispose :
« 1. L’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire, est accordée :
a) au fonctionnaire :
– qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et,
– qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l’application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération.
b) au fonctionnaire qui, ayant ou ayant eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, a, de façon habituelle, pendant la période de dix années expirant lors de son entrée en service, habité hors du territoire européen dudit État pour une raison autre que l’exercice de fonctions dans un service d’un État ou dans une organisation internationale.
[…]
2. Le fonctionnaire qui, n’ayant pas et n’ayant jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe 1 a droit à une indemnité d’expatriation égale à un quart de l’indemnité de dépaysement.
3. Pour l’application des paragraphes 1 et 2, le fonctionnaire qui, par mariage, a acquis d’office, sans possibilité d’y renoncer, la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation, est assimilé à celui visé au paragraphe 1, sous a), premier tiret. » ( 6 )
7. L’article 7 de l’annexe VII du statut énonce :
« 1. Le fonctionnaire a droit au paiement forfaitaire des frais de voyage, pour lui‑même, son conjoint et les personnes à charge qui vivent effectivement sous son toit :
a) à l’occasion de l’entrée en fonction, du lieu de recrutement au lieu d’affectation ;
b) à l’occasion de la cessation définitive des fonctions au sens de l’article 47 du statut, du lieu d’affectation au lieu d’origine défini au paragraphe 4 du présent article ;
c) à l’occasion de toute mutation entraînant un changement de lieu d’affectation.
En cas de décès d’un fonctionnaire, le conjoint survivant et les personnes à charge ont droit au paiement forfaitaire dans les mêmes conditions.
[…]
4. Le lieu d’origine du fonctionnaire est déterminé lors de son entrée en fonctions en tenant compte en principe de son lieu de recrutement ou, sur demande expresse et dûment motivée, du centre de ses intérêts. Cette détermination pourra, par la suite, pendant que l’intéressé est en fonctions ou à l’occasion de son départ être révisée par décision spéciale de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Toutefois, tant que l’intéressé est en fonctions, cette décision ne peut intervenir
qu’exceptionnellement et après production, par l’intéressé, de pièces justifiant dûment sa demande.
[…] »
8. L’article 8 de l’annexe VII prévoit :
1. Le fonctionnaire qui a droit à une indemnité de dépaysement ou d’expatriation a droit, chaque année civile et dans la limite fixée au paragraphe 2, à un paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine tel qu’il est défini à l’article 7, pour lui‑même et, s’il a droit à l’allocation de foyer, pour son conjoint et les personnes à sa charge au sens de l’article 2.
[…]
2. Le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique séparant le lieu d’affectation du fonctionnaire de son lieu d’origine.
Lorsque le lieu d’origine défini à l’article 7 est situé à l’extérieur du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou en dehors du territoire des États membres de l’Association européenne de libre-échange, le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique entre le lieu d’affectation du fonctionnaire et la capitale de
l’État membre dont il possède la nationalité. Les fonctionnaires dont le lieu d’origine est situé en dehors du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou en dehors du territoire des États membres de l’Association européenne de libre-échange, et qui ne sont pas des ressortissants de l’un des États membres n’ont pas droit à ce paiement forfaitaire.
[…]
4. Les paragraphes 1, 2 et 3 du présent article sont applicables au fonctionnaire dont le lieu d’affectation est situé sur le territoire d’un État membre […]
Le paiement forfaitaire se base sur le coût du voyage aérien en classe économique. » ( 7 )
III. Les antécédents des litiges
A. Affaire C‑517/19 P
9. Mme Alvarez y Bejarano et onze autres personnes sont des fonctionnaires ou des agents contractuels de la Commission, affectés en Belgique. Ils ont tous une double nationalité, dont celle de leur lieu d’affectation. Ils ne perçoivent ni l’indemnité de dépaysement ni celle d’expatriation, prévues à l’article 4 de l’annexe VII du statut, lequel n’a pas été modifié par le règlement no 1023/2013.
10. Le lieu d’origine de sept de ces douze personnes est situé dans l’Union européenne ou dans les pays et territoires d’outre-mer visés à l’annexe II du traité FUE, tandis que celui des cinq autres est situé en dehors des territoires des États membres de l’Union, de ceux de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ou des territoires visés à ladite annexe II. Onze des fonctionnaires ou agents sont des ressortissants de l’État de leur lieu d’origine, tandis que le lieu d’origine de l’une
d’entre eux, belgo-panaméenne, est situé dans la région autonome des Açores (Portugal).
11. À la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 1023/2013, la Commission a adopté des dispositions générales d’exécution de l’article 8 de l’annexe VII du statut et une décision relative aux congés.
12. Les dossiers personnels de Mme Alvarez y Bejarano et des onze autres personnes en cause ayant été adaptés en conséquence de l’adoption de ces actes, ces personnes n’ont, depuis le 1er janvier 2014, droit ni au paiement forfaitaire des frais de voyage annuel ni au congé dans le foyer (ci‑après les « avantages en cause »), anciennement délai de route, avantages octroyés avant cette date aux fonctionnaires ou agents dont le lieu d’origine était, comme dans le cas des intéressés, fixé dans un lieu
différent du lieu d’affectation.
13. Les réclamations introduites contre ces modifications des dossiers personnels ayant été rejetées par la Commission, les intéressés ont dès lors introduit des recours devant le Tribunal (affaires jointes T‑516/16 et T‑536/16).
B. Affaire C‑518/19 P
14. Les antécédents du litige de l’affaire C‑518/19 P sont, en substance, analogues à ceux de l’affaire C‑517/19 P.
15. M. Ardalic et onze autres personnes sont des fonctionnaires ou des agents contractuels du Conseil et ont tous une double nationalité, dont celle de leur lieu d’affectation, et ne perçoivent ni l’indemnité de dépaysement ni celle d’expatriation.
16. Le lieu d’origine de six d’entre eux est situé dans l’Union ou dans les pays et territoires d’outre-mer visés à l’annexe II du traité FUE, tandis que celui des six autres est situé en dehors des territoires des États membres de l’Union, de ceux de l’AELE ou des territoires visés à ladite annexe II.
17. Onze requérants sont des ressortissants de l’État où leur lieu d’origine se situe, tandis qu’un agent est belgo-croate alors que son lieu d’origine est situé en Serbie.
18. Tout comme les fonctionnaires ou agents dans l’affaire C‑517/19 P, M. Ardalic et les onze autres personnes concernées n’ont plus droit, depuis le 1er janvier 2014, aux avantages en cause, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 1023/2013 et de deux décisions du secrétaire général du Conseil.
19. Les réclamations introduites contre les modifications de leurs dossiers personnels ayant été rejetées par le Conseil, M. Ardalic et les onze autres personnes concernées ont dès lors introduit des recours devant le Tribunal (affaires T‑523/16 et T‑542/16).
IV. La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués
20. Dans leurs recours respectifs en première instance visant à l’annulation des décisions défavorables les concernant, Mme Alvarez y Bejarano et les 23 autres fonctionnaires ou agents (ci‑après les « requérants ») ont soulevé une exception d’illégalité de l’article 7 de l’annexe V et de l’article 8 de l’annexe VII du statut, tels que modifiés par le règlement no 1023/2013, appuyée par trois griefs tirés, premièrement, d’une illégalité découlant d’une « remise en cause du lieu d’origine des
requérants », deuxièmement, d’une illégalité de la condition d’octroi liée au bénéfice de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation et, troisièmement, d’une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique, des droits acquis et de protection de la confiance légitime, ainsi que du droit au respect de la vie familiale.
21. Le Tribunal a rejeté les recours dans leur intégralité.
V. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
A. Dans l’affaire C‑517/19 P
22. Les requérants dans l’affaire C‑517/19 P concluent à ce qu’il plaise à la Cour :
– annuler l’arrêt du Tribunal du 30 avril 2019 dans les affaires jointes T‑516/16 et T‑536/16 Alvarez y Bejarano e.a./Commission ;
– annuler la décision de la Commission de ne plus accorder aux requérants aucun délai de route ni aucun remboursement des frais de voyage annuel à compter de l’année 2014 ;
– condamner la Commission aux dépens.
23. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– rejeter le pourvoi ;
– condamner les requérants aux dépens.
24. Le Parlement européen et le Conseil, qui, en tant que parties intervenantes en première instance, ont déposé un mémoire en réponse conformément à l’article 172 du règlement de procédure de la Cour, concluent également au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.
B. Dans l’affaire C‑518/19 P
25. Les requérants dans l’affaire C‑518/19 P concluent à ce qu’il plaise à la Cour :
– annuler l’arrêt du Tribunal du 30 avril 2019 dans les affaires jointes T‑523/16 et T‑542/16 Ardalic e.a./Conseil ;
– annuler la décision du secrétaire général du Conseil de l’Union européenne de ne plus accorder aux requérants aucun délai de route ni aucun remboursement des frais de voyage annuel à compter du 1er janvier 2014 ;
– condamner le Conseil aux dépens.
26. Le Conseil conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– rejeter le pourvoi ;
– condamner les requérants aux dépens.
27. Le Parlement, qui en tant que partie intervenante en première instance, a déposé un mémoire en réponse conformément à l’article 172 du règlement de procédure, conclut également au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.
28. En application de l’article 54, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la Cour a décidé, le 1er octobre 2019, de joindre les affaires C‑517/19 P et C‑518/19 P aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
29. Les parties ont été entendues lors de l’audience devant la Cour qui s’est tenue le 1er juillet 2020.
VI. Analyse juridique
30. Les requérants soulèvent deux moyens à l’appui de leurs pourvois, tirés, le premier, d’une erreur de droit du Tribunal dans la définition de l’étendue de son contrôle juridictionnel et, le second, de la violation du principe de l’égalité de traitement.
A. Sur le premier moyen
31. Il est constant que, dans les deux arrêts attaqués, le Tribunal a opéré un contrôle de légalité restreint, et ce au motif que la fixation des conditions et des modalités d’application du remboursement des frais de voyage annuel et du délai de route relève d’un domaine de la réglementation dans lequel le législateur jouit d’un large pouvoir d’appréciation. Dans un tel domaine, le Tribunal a considéré qu’il devait se limiter à vérifier, s’agissant du respect du principe de l’égalité de traitement
et celui de non‑discrimination, si l’institution concernée n’avait pas procédé à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate et, en rapport avec le principe de proportionnalité, si la mesure arrêtée n’avait pas un caractère manifestement inapproprié par rapport à l’objectif de la réglementation.
32. Dans leurs pourvois, les requérants font valoir que, ce faisant, le Tribunal a commis une erreur de droit et qu’il aurait dû, dans le cadre de la vérification du respect du principe de l’égalité de traitement, se livrer à un contrôle entier. La circonstance que le législateur de l’Union jouirait d’un large pouvoir d’appréciation serait, en soi, dénuée de pertinence pour répondre à la question de savoir si la réglementation litigieuse créait une inégalité de traitement entre fonctionnaires.
33. Cette argumentation ne saurait, à mon sens, prospérer pour les raisons exposées ci‑après. Après un bref rappel sur les conditions de mise en œuvre d’un contrôle de légalité restreint par le juge de l’Union, j’examinerai la question du contrôle juridictionnel du respect de l’égalité en droit puis celle, débattue lors de l’audience, de l’incidence d’une éventuelle discrimination fondée sur la nationalité sur l’étendue dudit contrôle.
1. Sur la mise en œuvre du contrôle juridictionnel restreint
34. Selon une jurisprudence constante de la Cour, celle‑ci a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale, et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes ( 8 ).
35. Si ce pouvoir discrétionnaire est régulièrement reconnu au législateur en matières agricole, sociale, commerciale ou environnementale, il a également été admis au profit de celui‑ci dans le cadre des réformes du statut. Il résulte ainsi de la jurisprudence que le législateur dispose d’une large marge de manœuvre pour adapter le statut et pour modifier à tout moment, même dans un sens défavorable, les droits et les obligations des fonctionnaires, étant rappelé que le lien juridique entre ces
derniers et l’administration est de nature statutaire et non contractuelle ( 9 ).
36. Ainsi que le souligne le Conseil, la jurisprudence a considéré que la législation dans le domaine de la fonction publique implique des choix de nature politique, économique et sociale et que le législateur statutaire est donc appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes pour lesquelles il dispose d’un large pouvoir d’appréciation.
37. En outre, la Cour a précisé que l’intensité du contrôle de légalité, dans une situation où le législateur de l’Union avait été amené à effectuer des appréciations économiques complexes, devait être d’autant plus réduite que « l’acte concerné a[vait] une portée générale ( 10 )». Or, dans le cas présent, il est constant que les recours présentés devant le Tribunal étaient exclusivement fondés sur une exception d’illégalité de l’article 7 de l’annexe V et de l’article 8 de l’annexe VII du statut.
Les requérants ne reprochent pas aux institutions concernées d’avoir commis une erreur d’appréciation mais prétendent uniquement que les décisions individuelles négatives adressées à chacun d’eux, en ce qui concerne le remboursement des frais de voyage et le congé dans le foyer, sont irrégulières, dans la mesure où elles sont fondées sur des normes elles‑mêmes illégales.
38. Dans ce contexte, la reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation en faveur du législateur statutaire ne fait, selon moi, aucun doute, ce qui a pour conséquence la mise en œuvre par le juge d’un contrôle de légalité restreint. Il incombe à celui‑ci de se limiter à examiner, sur le fond, si l’exercice de ce pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir, ou encore si les institutions concernées n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir
d’appréciation ( 11 ).
39. J’observe avec intérêt que les requérants ne contestent pas l’existence du pouvoir discrétionnaire du législateur statutaire, circonstance considérée par les intéressés comme inopérante au regard du paramètre de légalité auquel ce dernier aurait dû se conformer et qu’il a prétendument méconnu, à savoir le principe de l’égalité de traitement.
2. Sur le contrôle du respect du principe de l’égalité de traitement
40. Le principe de l’égalité de traitement fait partie des principes généraux du droit de l’Union dont le caractère fondamental est consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités. Ainsi qu’il ressort de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle‑ci s’adressent notamment aux institutions de l’Union qui sont, en conséquence,
tenues de respecter les droits qu’elle consacre ( 12 ).
41. La Cour a clairement indiqué que le législateur est tenu, lors de l’adoption de règles applicables notamment en matière de fonction publique européenne, au respect du principe général de l’égalité de traitement ( 13 ). Ce dernier fait donc partie des règles juridiques de rang supérieur qui s’imposent au législateur, y compris dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et dont la Cour vérifie le respect mais en exerçant, dans cette dernière hypothèse, un contrôle de légalité restreint ( 14
). J’observe, à cet égard, que les requérants n’ont fourni aucune référence jurisprudentielle de nature à justifier leur allégation quant à la mise en œuvre d’un contrôle juridictionnel entier en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité de traitement.
42. Il est incontestable que l’examen de la jurisprudence de la Cour peut, à première vue, renvoyer l’image d’une photographie aux contours incertains, un peu floue, en raison d’une relative hétérogénéité des formulations employées. Il me semble cependant que, au bénéfice d’un certain recul, une lecture consolidée des décisions de la Cour est de nature à dégager une ligne jurisprudentielle solide. Ainsi est-il possible de relever que l’existence d’une violation du principe de l’égalité de traitement
suppose que deux catégories de personnes dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différences essentielles se voient appliquer un traitement différent ou que des situations différentes soient traitées de manière identique, sans qu’un tel traitement soit objectivement justifié ( 15 ). Dans l’hypothèse de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par le législateur statutaire, ce dernier n’est censuré par le juge que lorsqu’il procède à une différenciation arbitraire ou
manifestement inadéquate par rapport à l’objectif qu’il entend poursuivre ( 16 ). Cette dernière formulation, relativement imparfaite, n’est certes pas toujours reprise expressis verbis dans les décisions de la Cour mais la mise en œuvre d’un contrôle de légalité limité me paraît indiscutable.
43. Cette détermination de l’intensité du contrôle, retenue à juste titre par le Tribunal, mérite, à mon sens, approbation pour des raisons propres à toute organisation institutionnelle d’un État démocratique et contenues dans une expression : la séparation des pouvoirs. Il convient de rappeler, à cet égard, que les traités ont mis en place un système de répartition des compétences entre les différentes institutions de l’Union, qui attribue à chacune d’entre elles sa propre mission dans la structure
institutionnelle de l’Union et dans la réalisation des tâches qui lui sont confiées. Le respect de l’équilibre institutionnel implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres ( 17 ).
44. La détermination des droits et obligations des agents de la fonction publique européenne ressort en premier lieu de la responsabilité du législateur statutaire. La limitation du contrôle de la Cour s’impose particulièrement lorsque, comme en l’espèce, ledit législateur est amené à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de ses responsabilités propres ( 18 ).
3. Sur l’incidence d’une éventuelle discrimination fondée sur la nationalité
45. Lors de l’audience, des débats ont eu lieu concernant l’incidence sur l’intensité du contrôle juridictionnel d’une éventuelle situation de discrimination en raison de la nationalité. Ces débats font suite à des observations, non pas des parties requérantes, mais du seul Conseil dans son mémoire en réponse, selon lesquelles, si le législateur utilise des classifications suspectes, à savoir liées, notamment, à la race, au sexe, à l’origine ethnique, aux opinions politiques ou religieuses ou à
l’âge, un contrôle de légalité plus étroit, c’est‑à‑dire entier, sera opéré par le juge dans le cadre de la vérification de l’existence d’une discrimination interdite par le droit de l’Union ( 19 ).
46. Il convient, à cet égard, de rappeler que la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Partant, la Cour est uniquement compétente, dans le cadre d’une telle procédure, pour examiner si l’argumentation contenue dans le pourvoi identifie une erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué ( 20 ).
47. Or, force est de constater que les requérants reprochent exclusivement au Tribunal, dans leur premier moyen des pourvois, une appréciation erronée de l’intensité de son contrôle du respect du « principe de l’égalité de traitement », consacré à « l’article 20 de la Charte », et dans leur second moyen, une violation dudit principe. La revendication d’un contrôle entier n’est aucunement liée à l’allégation d’une discrimination en raison de la nationalité et la lecture de la transcription de
l’audience devant le Cour révèle que les représentants des requérants n’ont pas même fait allusion à une telle discrimination. La question de la nationalité n’a été évoquée par ces derniers que dans le cadre de la discussion sur la comparabilité des catégories de fonctionnaires concernées et la contestation de la conclusion négative du Tribunal.
48. Dans ces circonstances, il me semble que l’examen du premier moyen des pourvois n’implique aucunement une discussion sur l’utilisation par le législateur statutaire d’un critère de différenciation suspect, en l’occurrence la nationalité, dans les textes déterminant l’octroi des avantages en cause. À supposer même qu’un tel débat soit nécessaire, il ne saurait aboutir à une annulation des arrêts attaqués sur le fondement dudit moyen.
49. Il est constant que l’octroi aux fonctionnaires des deux avantages en cause est conditionné par la reconnaissance du bénéfice de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut, lequel fait mention, au titre de ses conditions d’application, de la nationalité des fonctionnaires. Or, il importe de souligner que la Cour a considéré que l’indemnité de dépaysement a pour objet de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de
fonctions auprès d’une institution de l’Union pour les fonctionnaires qui sont, de ce fait, obligés de changer de résidence et que le critère primordial du droit à cette indemnité est la résidence habituelle du fonctionnaire, antérieure à son entrée en fonctions, tandis que la nationalité de ce dernier n’est envisagée dans ce cas qu’à titre secondaire puisqu’elle n’a d’importance que pour la question de la durée de la résidence hors du territoire de son affectation ( 21 ).
50. En outre, la Cour a rejeté une demande visant à faire déclarer invalide l’article 21, paragraphe 2, point 2, du règlement (EURATOM, CECA, CEE) no 912/78 du Conseil, du 2 mai 1978, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés ( 22 ) ajoutant l’actuel paragraphe 2 à l’article 4 de l’annexe VII du statut relatif à l’octroi d’une indemnité d’expatriation, au motif que cette première disposition se référait au seul et
exclusif critère de nationalité, pour accorder ou refuser ladite indemnité, et violait ainsi l’interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité contenue à l’ancien article 7 du traité CEE. La Cour a estimé que l’indemnité d’expatriation étant destinée à compenser les désavantages que les fonctionnaires subissent en raison de leur statut d’étranger, c’est à juste titre que le législateur statutaire, dans son appréciation discrétionnaire de cette situation, a eu recours au seul
critère de la nationalité dont le mérite est d’être : premièrement, uniforme, s’appliquant de façon identique à tous les fonctionnaires quel que soit le lieu de leur affectation, deuxièmement, objectif par nature et dans sa généralité au regard de l’impact moyen des inconvénients de l’expatriation sur la situation personnelle des intéressés, et, troisièmement, en rapport direct avec le but de la réglementation qui est de compenser les difficultés et les désavantages résultant du statut
d’étranger dans un pays d’accueil ( 23 ).
51. Ces solutions jurisprudentielles, afférentes à des textes demeurés substantiellement inchangés, me paraissent toujours pertinentes pour écarter toute idée de violation de l’interdiction d’une discrimination exercée en raison de la nationalité, trouvant son expression, en particulier, dans l’article 18 TFUE, en ce qui concerne le remboursement des frais de voyage annuel et l’octroi du congé dans le foyer.
52. Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen des pourvois doit être rejeté.
B. Sur le second moyen
53. Le second moyen des pourvois est tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement, les requérants reprochant au Tribunal d’avoir, premièrement, jugé à tort qu’ils n’étaient pas dans une situation comparable à celle des fonctionnaires percevant l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation et, deuxièmement, apprécié de manière erronée l’objectif et la proportionnalité de la réglementation en cause.
1. Observations liminaires
54. Il est constant que le contrôle juridictionnel du respect de l’égalité en droit comporte nécessairement une première analyse constituée par ce qu’il est convenu d’appeler le test de comparabilité. Dans l’hypothèse où les catégories de personnes concernées sont qualifiées par le juge « de comparables », doit s’opérer une seconde analyse consistant à vérifier si la différence de traitement de ces catégories comparables est ou non justifiée, l’égalité en droit n’étant pas violée dans l’affirmative.
La vérification par la juridiction de l’existence d’une « différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate » relève de cette seconde analyse.
55. Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a effectivement mis en œuvre le test de comparabilité et a estimé que la situation des « dépaysés » ou des « expatriés » n’était pas semblable ou comparable à celle des requérants, constat qui était de nature à clore la discussion juridique. Ainsi que cela a été précisé, pour autant que les situations concernées ne sont pas comparables, une différence de traitement de celles‑ci ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte ( 24 ).
Dans ces conditions, la conclusion du Tribunal, selon laquelle le système consistant à soumettre l’obtention des avantages en cause à la condition du bénéfice de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation n’est « ni manifestement inadéquat ni manifestement inapproprié » au vu de son objectif, suscite pour le moins l’étonnement.
56. Au-delà d’une formule de nature tautologique, qui s’écarte de celle pourtant rappelée par le Tribunal au début de son raisonnement, force est de constater que cette conclusion n’a pas de rapport avec la motivation qui la précède, laquelle ne comporte pas d’analyse du caractère proportionné de la réglementation concernée. La motivation de l’arrêt attaqué m’apparaît ainsi marquée par une certaine confusion dans l’application de la méthode d’analyse du respect du principe de l’égalité de
traitement. Elle est, à mon sens, également erronée quant au résultat du test de comparabilité.
2. Sur la comparabilité des situations concernées
57. Il convient de rappeler que l’existence d’une violation du principe de l’égalité de traitement suppose que deux catégories de personnes dont les situations juridiques et factuelles ne présentent pas de différences essentielles se voient appliquer un traitement différent ou que des situations différentes soient traitées de manière identique, sans qu’un tel traitement soit objectivement justifié. La comparabilité des situations doit être appréciée à la lumière de l’objet et du but de l’acte de
l’Union qui institue la distinction en cause et dont il est allégué qu’il violerait ledit principe. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause ( 25 ).
58. Dans les arrêts attaqués, après avoir rappelé la finalité du seul article 8 de l’annexe VII du statut, le Tribunal a évoqué l’objectif poursuivi par le législateur dans le cadre du règlement no 1023/2013, tel que cela résulte du considérant 24 de celui‑ci. Le Tribunal a ainsi mentionné que le législateur a souhaité moderniser et rationaliser les règles en matière de délais de route et de paiement des frais de voyage annuel, et les lier au statut d’expatrié, ou de dépaysé, afin de les rendre plus
simple d’application et plus transparentes. La démonstration subséquente du Tribunal quant à la comparabilité des situations en cause me paraît clairement fondée sur la prise en compte de cette intention de législateur.
59. Cette motivation du Tribunal révèle, selon moi, une confusion entre, d’une part, l’objet et le but des dispositions prévoyant le paiement forfaitaire des frais de voyage annuel et du congé dans le foyer au seul regard desquels il convient de vérifier si les situations factuelles et juridiques des fonctionnaires concernés sont comparables et, d’autre part, l’objectif poursuivi par le législateur statutaire susceptible de justifier la différenciation de situations préalablement qualifiées de
comparables ( 26 ). Cette erreur méthodologique a conduit le Tribunal à une conclusion erronée en ce qui concerne l’analyse de comparabilité.
60. À cet égard, les requérants soutiennent que les fonctionnaires bénéficiaires des avantages en cause ne sont pas dans une situation substantiellement différente de celle des non‑bénéficiaires qui ont, tout comme les premiers, un lieu d’origine différent de leur lieu d’affectation mais détiennent, en outre, la nationalité de l’État sur le territoire duquel se trouve ce lieu d’affectation.
61. Il importe de souligner que l’objet et le but du paiement forfaitaire des frais de voyage annuel et des jours de congés supplémentaires pour le transport sont demeurés strictement inchangés avec l’entrée en vigueur du règlement no 1023/2013, puisqu’il s’agit toujours de permettre aux fonctionnaires de conserver des liens familiaux, sociaux et culturels avec leur lieu d’origine. La modification intervenue tient uniquement dans l’ajout d’une condition d’octroi, les fonctionnaires dont le lieu
d’origine diffère du lieu d’affectation devant également, depuis le 1er janvier 2014, être bénéficiaires de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation pour obtenir le paiement forfaitaire des frais de voyage annuel et les jours de congés supplémentaires pour le transport.
62. S’agissant du lieu d’origine du fonctionnaire, il est fixé lors de l’entrée en fonctions en tenant compte en principe du lieu de recrutement ou, sur demande expresse et dûment motivée, du centre des intérêts de l’intéressé ( 27 ). Cette notion de « centre d’intérêt » repose sur le principe général du droit de la fonction publique selon lequel le fonctionnaire doit avoir la possibilité de garder ses relations personnelles avec le lieu où résident ses intérêts principaux malgré son entrée en
fonctions et la distance entre le lieu d’affectation et ce lieu. Le centre d’intérêts se définit comme le lieu où le fonctionnaire conserve cumulativement ses attaches principales de nature familiale, ses attaches patrimoniales et ses intérêts essentiels de nature civique aussi bien actifs que passifs ( 28 ).
63. Force est de constater que la notion de « lieu d’origine » continue d’être utilisée pour déterminer l’octroi de certains droits pécuniaires. Ainsi, le fonctionnaire qui a un lieu d’origine différent de son lieu d’affectation, quand bien même détiendrait-il la nationalité de l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu d’affectation, bénéficie du remboursement des frais de voyage de son conjoint et des personnes à sa charge de son lieu d’affectation à son lieu d’origine à l’occasion de la
cessation définitive des fonctions (article 7, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut). En outre, en cas de décès de ce fonctionnaire, l’institution concernée prend en charge les frais nécessités par le transport du corps jusqu’au lieu d’origine (article 75 du statut).
64. Le paiement forfaitaire des frais de voyage annuel du lieu d’affectation au lieu d’origine et l’octroi de deux journées et demie de congés supplémentaires pour se rendre dans son foyer d’origine, tout comme les droits pécuniaires mentionnés dans le point précédent, traduisent la spécificité d’une catégorie de fonctionnaires qui se trouvent, pour des raisons liées à leur activité professionnelle, éloignés de leurs centres d’intérêts et à qui le législateur statutaire veut permettre de conserver
un lien avec ces derniers.
65. Pour fonder sa conclusion d’absence de comparabilité, le Tribunal évoque, en ce qui concerne les requérants, une « certaine rupture » avec le lieu d’origine et le fait qu’ils ne peuvent prétendre avoir un rapport « plus étroit » avec le lieu d’origine que les bénéficiaires de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation, et ce en raison de leur plus grande intégration dans la société de l’État du lieu d’affectation caractérisée par la détention de la nationalité dudit État. Est-ce qu’une simple
et unique différence d’intensité dans la force du lien avec l’État du lieu d’origine, déduite de l’existence d’un rapport avec un autre État, peut être de nature à caractériser une situation objectivement différente, pouvant être qualifiée de « non comparable » ? La réponse à cette question me paraît devoir être négative.
66. Il me faut observer que l’acquisition de la nationalité de l’État sur le territoire duquel se trouve le lieu d’affectation n’a pas pour conséquence obligatoire une modification, dans le dossier du fonctionnaire concerné, de la décision portant fixation du lieu d’origine. Ce dernier demeure identique tout au long de la carrière du fonctionnaire sauf décision spéciale de l’administration, à titre exceptionnel et après production de pièces justifiant dûment la demande de l’intéressé ( 29 ). Il ne
saurait être considéré que les liens familiaux, sociaux et patrimoniaux de ce fonctionnaire avec l’État du lieu d’origine se sont nécessairement étiolés au point de progressivement disparaître et cela est d’autant plus incontestable lorsque l’intéressé possède également la nationalité de cet État, ce qui est le cas de 11 des 24 requérants. Il serait pour le moins paradoxal, pour ne pas dire incohérent, de considérer la détention par le fonctionnaire de la nationalité de l’État du lieu
d’affectation comme un indice sérieux de l’existence de liens multiples et étroits entre cette personne et le pays de sa nationalité, sans reconnaître la même fonction à la possession de la nationalité de l’État du lieu d’origine. Ajoutons à cela que le lieu d’origine du dépaysé ou de l’expatrié n’est pas nécessairement le pays dont le fonctionnaire concerné possède la nationalité, ce qu’admet le Conseil.
67. Dans ces circonstances, la situation des fonctionnaires bénéficiaires des avantages en cause et celle des non‑bénéficiaires qui ont, tout comme les premiers, un lieu d’origine différent de leur lieu d’affectation mais détiennent, en outre, la nationalité de l’État sur le territoire duquel se trouve ce lieu d’affectation, peuvent être considérées, selon moi, comme comparables au regard de l’objet et du but des dispositions statutaires instituant ces avantages, étant rappelé qu’il n’est pas requis
que les situations concernées soient identiques ( 30 ).
68. Si la motivation du Tribunal sur ce point me paraît dès lors erronée, il n’y a pas lieu pour autant d’annuler l’arrêt attaqué portant rejet des recours en annulation. Il convient de rappeler que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs ( 31 ). En l’espèce,
l’erreur du Tribunal quant à la comparabilité des situations concernées ne saurait entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué étant donné que la différenciation opérée à l’article 7 de l’annexe V et à l’article 8 de l’annexe VII du statut se trouve être objectivement justifiée ( 32 ).
3. Sur la justification de différence de traitement
69. Il y a lieu de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits et libertés reconnus par cette dernière, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés, et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection
des droits et libertés d’autrui.
70. La Cour a précisé qu’une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est‑à‑dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné ( 33 ).
71. Il apparaît ainsi, premièrement, que la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale, ce qui, dans le cas présent, ne suscite aucune difficulté, les avantages en cause et leurs conditions d’octroi étant prévus à l’article 7 de l’annexe V et à l’article 8 de l’annexe VII du statut, lus en combinaison avec l’article 4 de cette même annexe VII.
72. S’agissant, deuxièmement, du lien entre la différence de traitement opérée et les objectifs d’intérêt général poursuivi par le législateur, il convient de relever, que, lorsqu’il s’agit d’un acte législatif de l’Union, il appartient au législateur de l’Union d’établir l’existence de critères objectifs avancés au titre d’une justification de différence de traitement et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle‑ci de l’existence desdits critères ( 34 ). À cet égard,
les institutions concernées se sont référées aux considérants 2, 12 et 24 du règlement no 1023/2013, ce dernier énonçant que « les règles en matière de délai de route et de paiement annuel des frais de voyage entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine devraient être modernisées, rationalisées et liées au statut d’expatrié, afin de rendre leur application plus simple et plus transparente ».
73. L’examen des considérants dudit règlement révèle que l’objectif particulier mentionné dans le point précédent s’inscrivait dans une volonté plus large du législateur de parvenir à un bon rapport coût-efficacité s’agissant de la fonction publique européenne, et de garantir celui‑ci, dans un contexte avéré de crise économique impliquant une politique de maîtrise des dépenses publiques, tout en continuant à assurer un recrutement de qualité ayant la base géographique la plus large possible. Le
Conseil a précisé que la modernisation des règles régissant le paiement des frais de voyage annuel vers le lieu d’origine et l’octroi d’un congé dans le foyer prenait en compte le développement du transport aérien, caractérisé par des vols réguliers vers des destinations variées et abordables financièrement. À ce constat objectif peut être ajouté celui de la facilité et de la gratuité des communications par Internet qui participent également au maintien d’un lien avec le lieu d’origine.
74. Il me semble difficile de ne pas considérer comme légitimes les objectifs ainsi poursuivis par le législateur avec l’adoption du règlement no 1023/2013 aux fins d’assurer une gestion de la fonction publique viable d’un point de vue technique et économique. Ces objectifs dépassent, par leur complexité intrinsèque et la difficulté de leur mise en œuvre, de simples et strictes considérations financières d’économie budgétaire.
75. Le Conseil indique que, pour rationaliser les règles relatives au paiement des frais de voyage annuels et au délai de route, tout en garantissant le meilleur rapport coût-efficacité s’agissant de la fonction publique européenne, le législateur de 2013 a introduit un critère de différenciation destiné à cibler au mieux la mesure et à la limiter à ceux dont il a estimé qu’ils en avaient le plus besoin, à savoir le statut de dépaysé ou d’expatrié dont le bénéfice conditionne l’octroi des deux
avantages précités. En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, s’il est exact que les fonctionnaires peuvent subir les inconvénients de leur expatriation d’une manière plus ou moins intense et donc subjective, les dispositions de l’article 4 de l’annexe VII du statut sont fondées sur des éléments objectifs et uniformes ( 35 ), ce qui contredit toute allégation des requérants quant à une différenciation par essence arbitraire.
76. En ce qui concerne, troisièmement, la proportionnalité des dispositions litigieuses, il me semble possible d’exclure toute conclusion de différenciation manifestement inadéquate. La réservation du paiement des frais de voyage annuel vers le lieu d’origine et du congé dans le foyer au profit des seuls fonctionnaires ayant un lieu d’origine différent du lieu d’affectation et bénéficiant de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation me paraît, au contraire, apte à contribuer à la réalisation des
objectifs de modernisation-rationalisation du législateur, visant à garantir un bon rapport coût-efficacité pour la fonction publique européenne tout en préservant un recrutement sur une base géographique la plus large et, subséquemment, l’attractivité et la représentativité de celle‑ci.
77. Les avantages en cause sont ainsi destinés à des fonctionnaires qui ne sont pas ou peu intégrés dans la société de l’État du lieu d’affectation, en raison de leur statut d’étranger dans le pays d’accueil et/ou de l’obligation qui a été la leur de changer de résidence lors de la prise de fonctions pour s’installer sur le territoire de cet État. Ainsi que l’a souligné à juste titre le Conseil à l’audience, le critère du dépaysement ou de l’expatriation pour déterminer les fonctionnaires qui ont le
plus besoin de soutien financier pour conserver des liens avec leur lieu d’origine est parfaitement en ligne avec la logique du système établi par le statut réformé. C’est dans le cadre de sa large marge d’appréciation que le législateur a choisi, parmi les solutions possibles, de restreindre le nombre de bénéficiaires des avantages en cause en excluant la catégorie des fonctionnaires représentée par les requérants dont il a estimé que le rapport avec le lieu d’origine était moins fort.
78. En outre, si l’article 7 de l’annexe V et l’article 8 de l’annexe VII du statut doivent être lus en combinaison avec l’article 4 de l’annexe VII du statut concernant l’allocation de l’indemnité de dépaysement ou d’expatriation, ce dernier est libellé avec suffisamment de précision et de clarté, ce qui garantit une application simple et transparente de ces dispositions statutaires, conformément à l’objectif du législateur mentionné au considérant 24 du règlement no 1023/2013. L’affirmation des
requérants selon laquelle l’ancien système était plus simple et transparent n’est pas de nature à contredire la conclusion susmentionnée.
79. À l’appui de leur reproche d’une différenciation arbitraire ou inadéquate, les requérants excipent encore de deux exemples de situations, à leurs yeux, significatives. La première concerne un éventuel changement de lieu d’affectation d’un requérant ayant son lieu d’origine dans un État tiers dont la conséquence serait le bénéfice de l’indemnité de dépaysement et, surtout, la constatation d’une indemnisation plus importante qu’auparavant des frais de voyage en application des nouvelles modalités
de calcul de l’indemnité kilométrique contenues à l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut. La seconde envisage la situation d’un fonctionnaire dont le lieu d’origine est situé dans un État tiers, éligible à l’indemnité de dépaysement, mais ne percevant pas de remboursement forfaitaire des frais de voyage annuel, car la distance entre la capitale de l’État membre dont il a la nationalité et le lieu d’affectation est inférieure à 200 km.
80. Force est de constater que les deux cas de figure envisagés par les requérants peuvent être qualifiés d’hypothétiques ou de théoriques, car ne correspondant aucunement à leur situation. Or, il importe de souligner qu’un fonctionnaire n’est pas habilité à agir dans l’intérêt de la loi ou des institutions et ne peut faire valoir, à l’appui d’un recours en annulation, que les griefs qui lui sont personnels ( 36 ). À l’appui de l’exception d’illégalité des dispositions statutaires incriminées, les
requérants invoquent une violation du principe de l’égalité de traitement en faisant valoir qu’ils sont dans une situation comparable à celle des bénéficiaires des deux avantages en cause et que la différence de traitement n’est pas justifiée. Il me semble, dès lors, que c’est au seul regard de la situation des requérants, ressortissants belges en poste à Bruxelles mais ayant un lieu d’origine différent du lieu d’affectation, que doit être apprécié le bien‑fondé de l’exception d’illégalité, le
contrôle de la Cour devant s’effectuer in concreto. Il s’ensuit que la Cour ne peut, selon moi, tenir compte de l’argumentation des requérants que dans la mesure où cette dernière a pour objet de démontrer que les dispositions statutaires incriminées ont violé le principe de l’égalité de traitement en ce qui les concerne personnellement.
81. En tout état de cause, s’agissant de la première situation visée par les requérants, il y a lieu de relever que, pour qu’il puisse être reproché au législateur d’avoir violé le principe de l’égalité de traitement, il faut que le traitement en cause ait entraîné un désavantage pour certaines personnes par rapport à d’autres ( 37 ), ce qui ne correspond pas à l’exemple d’une augmentation de l’indemnisation excipée par les requérants. Quant à la seconde situation, elle aborde non pas le principe de
l’éligibilité d’un fonctionnaire au paiement des frais de voyage annuel mais la question des modalités de calcul de l’indemnité kilométrique, lesquelles ne prennent pas en compte la tranche de distance entre 0 et 200 kilomètres. Aucune conclusion d’une différenciation manifestement inadéquate entre les bénéficiaires de cet avantage et les requérants ne saurait être déduite de ces considérations quant à la titularité de ce dernier. Par ailleurs, ainsi que le souligne la Commission, le mode de
calcul précité ne vient pas contredire l’objectif de rationalisation du législateur et de réservation du paiement des frais de voyage annuel à ceux qui en ont le plus besoin.
82. Les requérants n’ont pas formulé d’autres arguments quant à la proportionnalité de la réglementation en cause qui serait de nature à fonder la conclusion d’une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate, ou à une atteinte au contenu essentiel de l’égalité en droit énoncé à l’article 20 de la Charte.
83. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le Tribunal a apprécié de manière erronée la comparabilité des situations concernées, mais que cette erreur ne saurait entraîner l’annulation des arrêts attaqués étant donné que la différence de traitement incriminée se trouve être objectivement justifiée.
84. Dès lors, les griefs dirigés contre cette partie des arrêts attaqués doivent être rejetés.
VII. Conclusion
85. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérants aux dépens.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a. (C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676).
( 3 ) JO 2013, L 287, p. 15.
( 4 ) JO 1962, 45, p. 1385.
( 5 ) Applicable par analogie aux agents contractuels en vertu de l’article 91 du régime applicable aux autres agents.
( 6 ) Avant comme après la réforme du statut entrée en vigueur le 1er janvier 2014, cette disposition est applicable par analogie aux agents contractuels en vertu de l’article 92 du régime applicable aux autres agents.
( 7 ) Les articles 7 et 8 de l’annexe VII du statut, tels que modifiés par le règlement no 1023/2013, sont applicables en principe par analogie aux agents contractuels en vertu de l’article 92 du régime applicable aux autres agents.
( 8 ) Voir, notamment, arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 57), ainsi que du 30 janvier 2019, Planta Tabak (C‑220/17, EU:C:2019:76, point 44).
( 9 ) Voir arrêts du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice (147/79, EU:C:1980:238, point 12) ; du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C‑443/07 P, EU:C:2008:767, points 60 et 91), ainsi que du 4 mars 2010, Angé Serrano e.a./Parlement (C‑496/08 P, EU:C:2010:116, points 82, 86 et 93).
( 10 ) Voir arrêt du 19 novembre 1998, Royaume‑Uni/Conseil (C‑150/94, EU:C:1998:547, point 54).
( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 22 novembre 2001, Pays‑Bas/Conseil (C‑110/97, EU:C:2001:620, point 62), et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia (C‑343/07, EU:C:2009:415, point 82).
( 12 ) Voir arrêts du 19 septembre 2013, Réexamen Commission/Strack (C‑579/12 RX‑II, EU:C:2013:570, point 39), et du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a. (C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 110).
( 13 ) Voir arrêts du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C‑443/07 P, EU:C:2008:767, point 78), ainsi que du 4 mars 2010, Angé Serrano e.a./Parlement (C‑496/08 P, EU:C:2010:116, points 99 et 100).
( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons (58/86, EU:C:1987:164, points 12 à 17) ; du 8 juin 1989, AGPB (167/88, EU:C:1989:234, points 28 à 33) ; du 21 février 1990, Wuidart e.a. (267/88 à 285/88, EU:C:1990:79, points 13 à 18) ; du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 59) ; du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil (C‑176/09, EU:C:2011:290, point 50) ; du 8 juin 2010, Vodafone e.a.
(C‑58/08, EU:C:2010:321, point 52) ; du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, point 97), ainsi que du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen) (C‑611/17, EU:C:2019:332, point 56).
( 15 ) Voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission (C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 70) ; du 6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil (C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, point 78), ainsi que du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C‑443/07 P, EU:C:2008:767, point 76).
( 16 ) Voir arrêts du 7 juin 1972, Sabbatini-Bertoni/Parlement (20/71, EU:C:1972:48, point 13) ; du 15 janvier 1981, Vutera/Commission (1322/79, EU:C:1981:6, point 9) ; du 14 juillet 1983, Ferrario e.a./Commission (152/81, 158/81, 162/81, 166/81, 170/81, 173/81, 175/81, 177/81 à 179/81, 182/81 et 186/81, EU:C:1983:208, point 13) ; du 17 juillet 2008, Campoli/Commission (C‑71/07 P, EU:C:2008:424, point 64) ; du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission (C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 72), ainsi que du
6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil (C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, point 69).
( 17 ) Voir arrêts du 4 octobre 1991, Parlement/Conseil (C‑70/88, EU:C:1991:373, points 21 et 22), ainsi que du 15 novembre 2011, Commission/Allemagne (C‑539/09, EU:C:2011:733, point 56). Il faut ajouter que le propre de toute activité législative est d’effectuer des choix, c’est‑à‑dire d’appliquer des différences de traitement par voie de catégorisation.
( 18 ) Voir arrêt du 8 février 2000, Emesa Sugar (C‑17/98, EU:C:2000:70, point 53).
( 19 ) Dans son mémoire en réponse, le Conseil se réfère aux conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:292) dont il me paraît utile de citer partiellement le point 33 : « Dans certains domaines en revanche, en particulier celui de la réglementation économique et sociale, et dès lors que le législateur ne recourt pas à de telles classifications suspectes, c’est‑à‑dire dès lors que seule l’égalité devant la loi est en cause,
le degré d’intensité du contrôle est moins élevé. »
( 20 ) Voir arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba (C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 40 et jurisprudence citée).
( 21 ) Voir arrêts du 20 février 1975, Airola/Commission (21/74, EU:C:1975:24, points 6 à 8) ; du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice (147/79, EU:C:1980:238, point 12), ainsi que du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission (C‑452/93 P, EU:C:1994:332, point 21).
( 22 ) JO 1978, L 119, p. 1.
( 23 ) Voir arrêt du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice (147/79, EU:C:1980:238, points 12 et 13).
( 24 ) Voir arrêts du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission (C‑443/07 P, EU:C:2008:767, point 79) ; du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12 (EU:C:2014:350, point 84), ainsi que du 6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil (C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, points 78 à 82).
( 25 ) Voir, notamment, arrêts du 14 juin 1990, Weiser (C‑37/89, EU:C:1990:254, point 15) ; du 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (C‑236/09, EU:C:2011:100, point 29) ; du 6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil (C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, points 78 et 79), ainsi que avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada), du 30 avril 2019 (EU:C:2019:341, point 177).
( 26 ) Cette confusion est malheureusement fréquente. Or, ainsi que cela a été précisé à juste titre dans la doctrine, l’objet d’une disposition légale qui consiste à donner un pouvoir à l’administration ne peut en rien justifier la différence de traitement qui résulte de l’exercice de ce pouvoir. Ce qui donc justifie la différence de traitement, ce n’est pas l’objet de la loi, mais bien l’objectif du législateur ou, dit autrement, le rapport moyen-fin. L’égalité est prise dans le rapport
instrumental qu’institue la loi entre le but (légitime) poursuivi par le législateur et le moyen que constitue la différence de traitement. La fin est bien le critère d’appréciation du moyen, sous réserve du correctif de la proportionnalité, en ce sens que n’importe quelle différence de traitement ne saurait être justifiée même par la fin la meilleure (Olivier Jouanjan « Le Conseil constitutionnel, gardien de l’égalité ? », Jus Politicum, no 7).
( 27 ) Article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut.
( 28 ) Voir arrêt du 2 mai 1985, De Angelis/Commission (144/84, EU:C:1985:171, points 13 et 14). Je relève que, si, dans leur pourvoi et à l’audience, les requérants ont fait référence à cet arrêt et au principe général du droit de la fonction publique y mentionné, dont la violation était invoquée devant le Tribunal à l’appui de l’exception d’illégalité, le second moyen des pourvois a uniquement pour objet une méconnaissance du principe de l’égalité de traitement.
( 29 ) Article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut.
( 30 ) Voir arrêt du 10 mai 2011, Römer (C‑147/08, EU:C:2011:286, point 42).
( 31 ) Voir arrêt du 9 juin 2011, Comitato Venezia vuole vivere e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 118).
( 32 ) Je relève que, indépendamment de sa conclusion d’absence de comparabilité des catégories de fonctionnaires concernées, le Tribunal s’est livré à une appréciation spécifique de la proportionnalité de la réglementation en cause. Il a ainsi estimé que les mesures instaurées par le législateur statutaire n’étaient pas manifestement disproportionnées au regard de l’objectif qu’il poursuivait. Les requérants critiquent cette analyse du Tribunal dans le cadre de leur second moyen des pourvois tiré
d’une violation du principe de l’égalité de traitement.
( 33 ) Voir, notamment, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 47 et jurisprudence citée).
( 34 ) Voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 48 et jurisprudence citée).
( 35 ) Voir arrêts du 20 février 1975, Airola/Commission (21/74, EU:C:1975:24, point 9) ; du 16 octobre 1980, Hochstrass/Cour de justice (147/79, EU:C:1980:238, points 12 et 13), ainsi que du 15 janvier 1981, Vutera/Commission (1322/79, EU:C:1981:6, point 9).
( 36 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 8 mars 2007, Strack/Commission (C‑237/06 P, EU:C:2007:156, point 64).
( 37 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 39).