ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
9 septembre 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Transferts d’entreprises – Directive 2001/23/CE – Articles 3 et 5 – Maintien des droits des travailleurs – Protection des travailleurs en cas d’insolvabilité de l’employeur – Cession réalisée par le syndic de l’entreprise cédante soumise à une procédure d’insolvabilité – Prestations d’assurance vieillesse professionnelle – Limitation des obligations du cessionnaire – Montant de la prestation due au titre du régime complémentaire de prévoyance professionnel
calculé en fonction de la rémunération du travailleur au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité – Directive 2008/94/CE – Article 8 – Effet direct – Conditions »
Dans les affaires jointes C‑674/18 et C‑675/18,
ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décisions du 16 octobre 2018, parvenues à la Cour le 30 octobre 2018, dans les procédures
EM
contre
TMD Friction GmbH (C‑674/18),
et
FL
contre
TMD Friction EsCo GmbH (C‑675/18),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis, E. Juhász (rapporteur), M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 décembre 2019,
considérant les observations présentées :
– pour EM, par M. R. Buschmann, Prozessbevollmächtigter,
– pour FL, par Mes R. Scholten et M. Schulze, Rechtsanwälte,
– pour TMD Friction GmbH et TMD Friction EsCo GmbH, par Mes B. Reinhard et T. Hoffmann-Remy, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Kellerbauer et B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2020,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 3 et 5 de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16), ainsi que de l’article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à
la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, pour le premier (affaire C‑674/18), EM à TMD Friction GmbH et, pour le second (affaire C‑675/18), FL à TMD Friction EsCo GmbH, au sujet des droits accumulés en vue d’une prestation de vieillesse professionnelle en cas de transfert d’établissement réalisé dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2001/23
3 Les considérants 3, 4 et 6 de la directive 2001/23 énoncent :
« (3) Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits.
(4) Des différences subsistent dans les États membres en ce qui concerne la portée de la protection des travailleurs dans ce domaine et il convient de réduire ces différences.
[...]
(6) En 1977, le Conseil a adopté la directive 77/187/CEE [du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26)] pour encourager l’harmonisation des législations nationales garantissant le maintien des droits des travailleurs et demandant aux cédants et aux cessionnaires d’informer et
de consulter les représentants des travailleurs en temps utile. »
4 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de cette directive, celle-ci est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.
5 L’article 3 de ladite directive prévoit :
« 1. Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
[...]
3. Après le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant, jusqu’à la date de la résiliation ou de l’expiration de la convention collective ou de l’entrée en vigueur ou de l’application d’une autre convention collective.
Les États membres peuvent limiter la période du maintien des conditions de travail, sous réserve que celle-ci ne soit pas inférieure à un an.
4.
a) Sauf si les États membres en disposent autrement, les paragraphes 1 et 3 ne s’appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d’invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres.
b) Même lorsqu’ils ne prévoient pas, conformément au point a), que les paragraphes 1 et 3 s’appliquent à de tels droits, les États membres adoptent les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs, ainsi que des personnes qui ont déjà quitté l’établissement du cédant au moment du transfert, en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires visés au
point a). »
6 L’article 5 de cette même directive dispose :
« 1. Sauf si les États membres en disposent autrement, les articles 3 et 4 ne s’appliquent pas au transfert d’une entreprise, d’un établissement ou d’une partie d’entreprise ou d’établissement lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant et se trouvant sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic autorisé par une autorité compétente).
2. Lorsque les articles 3 et 4 s’appliquent à un transfert au cours d’une procédure d’insolvabilité engagée à l’égard d’un cédant (que cette procédure ait ou non été engagée en vue de la liquidation des biens du cédant), et à condition que cette procédure se trouve sous le contrôle d’une autorité publique compétente (qui peut être un syndic désigné par la législation nationale), un État membre peut prévoir que :
a) nonobstant l’article 3, paragraphe 1, les obligations du cédant résultant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail, qui sont dues avant la date du transfert ou avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, ne sont pas transférées au cessionnaire, à condition que cette procédure entraîne, en vertu de la législation de cet État membre, une protection au moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80/987/CEE du Conseil[,] du 20 octobre 1980[,]
concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur [(JO 1980, L 283, p. 23)]
[...]
4. Les États membres prennent les mesures nécessaires en vue d’éviter des recours abusifs à des procédures d’insolvabilité visant à priver les travailleurs des droits découlant de la présente directive. »
La directive 2008/94
7 Le considérant 3 de la directive 2008/94 est libellé comme suit :
« Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur et pour leur assurer un minimum de protection, en particulier pour garantir le paiement de leurs créances impayées, en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté. À cet effet, les États membres devraient mettre en place une institution qui garantisse aux travailleurs concernés le paiement des créances impayées des travailleurs. »
8 Selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive.
9 L’article 2 de la même directive dispose, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, un employeur est considéré comme se trouvant en état d’insolvabilité lorsqu’a été demandée l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives d’un État membre, qui entraîne le dessaisissement partiel ou total de cet employeur ainsi que la désignation d’un syndic, ou une personne exerçant une fonction similaire, et que l’autorité qui est compétente en vertu
desdites dispositions a :
a) soit décidé l’ouverture de la procédure ;
b) soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur, ainsi que l’insuffisance de l’actif disponible pour justifier l’ouverture de la procédure. »
10 L’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de ladite directive se lit comme suit :
« La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition des termes “travailleur salarié”, “employeur”, “rémunération”, “droit acquis” et “droit en cours d’acquisition”. »
11 Aux termes de l’article 8 de la directive 2008/94 :
« Les États membres s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l’entreprise ou l’établissement de l’employeur à la date de la survenance de l’insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d’acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou
interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale. »
Le droit allemand
12 Le Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après le « BGB »), dispose, à son article 613a, intitulé « Droits et obligations en cas de transfert d’entreprise » :
« (1) Lorsqu’une entreprise ou une partie d’entreprise est transférée par acte juridique à un autre propriétaire, ce dernier est subrogé dans les droits et obligations nés des contrats de travail en cours au moment du transfert. Si ces droits et obligations sont régis par les règles juridiques d’une convention collective ou par un accord d’entreprise, ils deviennent partie intégrante du contrat de travail entre le nouveau propriétaire et le travailleur [...].
[...]
(4) Le licenciement d’un travailleur par l’ancien employeur ou par le nouveau propriétaire en raison du transfert d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise est nul. Cela ne porte pas atteinte au droit de licencier un travailleur pour d’autres motifs. »
13 L’Insolvenzordnung (loi relative à l’insolvabilité), du 5 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2866), telle que modifiée par la loi du 23 juin 2017 (BGBl. 2017 I, p. 1693), prévoit, à son article 45, intitulé « Conversion de créances » :
« 1Il convient de faire valoir les créances qui ne sont pas pécuniaires ou dont le montant est indéterminé avec la valeur qui peut être appréciée au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. [...]
[...] »
14 L’article 108 de cette loi, intitulé « Maintien de certaines obligations », est libellé comme suit :
« (1) [...] Les relations de travail du débiteur sont maintenues en produisant des effets à l’égard de la masse. [...]
[...]
(3) L’autre partie ne peut faire valoir des droits concernant la période antérieure à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité qu’en tant que créancier participant à cette procédure. »
15 L’article 191 de ladite loi, intitulé « Prise en compte de créances soumises à une condition suspensive », dispose :
« Une créance soumise à une condition suspensive est prise en compte pour son montant total dans le cadre d’une distribution partielle. La part revenant à cette créance est retenue lors de la distribution. »
16 Selon l’article 198 de la même loi, intitulé « Dépôt des montants retenus », l’administrateur judiciaire doit déposer auprès d’un organisme compétent les montants retenus lors de la distribution finale.
17 Le Gesetz zur Verbesserung der betrieblichen Altersversorgung (Betriebsrentengesetz) [loi sur l’amélioration de la prévoyance retraite professionnelle (loi relative aux retraites professionnelles)], du 19 décembre 1974 (BGBl. I, p. 3610), telle que modifiée par la loi du 17 août 2017 (BGBl. 2017 I, p. 3214) (ci-après la « loi relative aux retraites professionnelles »), dispose, à son article 1b, intitulé « Protection des droits acquis et service des prestations de retraite professionnelle » :
« (1) Le travailleur bénéficiant d’un engagement de prestations au titre du régime de retraite professionnel conserve son droit à prestations si la relation de travail prend fin avant l’ouverture du droit pourvu qu’il ait 21 ans accomplis et que l’engagement soit antérieur d’au moins trois ans à la date de cessation de la relation de travail (droit acquis définitivement). [...]
[...] »
18 L’article 9 de la loi relative aux retraites professionnelles prévoit :
« En cas de procédure d’insolvabilité, les droits ou les droits en cours d’acquisition de l’ayant droit à des prestations d’assurance vieillesse complémentaires de l’employeur, sur lesquels sont fondés le droit envers l’organisme de garantie contre l’insolvabilité, sont transférés à cet organisme à l’ouverture de la procédure [...]. [...]Les droits en cours d’acquisition transférés lors de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sont déclarés dans la procédure d’insolvabilité en tant que
créances inconditionnelles au sens de l’article 45 de la loi relative à l’insolvabilité[, telle que modifiée par la loi du 23 juin 2017]. [...] »
19 L’article 30f de cette loi dispose, à son paragraphe 1, première phrase :
« Lorsqu’un travailleur bénéficie d’un engagement de versement d’une prestations de vieillesse au titre du régime complémentaire de prévoyance professionnel antérieur au 1er janvier 2001, il convient d’appliquer l’article 1b, paragraphe 1, en ce sens que les droits à une prestation sont maintenus si la relation de travail prend fin avant la survenance de l’événement ouvrant droit à une prestation, pourvu que, à la date de cessation de cette relation, le travailleur ait 35 ans accomplis et
l’engagement de versement d’une prestation remonte
1. à au moins dix ans ;
[...]
Dans de tels cas, les droits à une prestation sont également maintenus si l’engagement a encore existé pendant cinq ans après le 1er janvier 2001 et que, à la date de cessation de la relation de travail, le travailleur avait 30 ans accomplis. [...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C‑674/18
20 EM, né en 1980, était employé auprès de Textar GmbH depuis le 1er août 1996. Cette société accordait à ses travailleurs, en vertu d’une convention générale d’entreprise, une retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel. Conformément à ce régime, le montant de la pension de retraite pour chaque année de service imputable se situe entre 0,2 et 0,55 % de la rémunération brute du travailleur à une date déterminée située avant la fin de la relation de travail, sans
toutefois pouvoir dépasser 20,25 %, après 45 ans de service.
21 Lors de la cession des activités de Textar, le contrat de travail d’EM a été transféré à TMD Friction. Le 1er mars 2009, une procédure d’insolvabilité portant sur les actifs de cette société a été ouverte, mais son activité a été maintenue.
22 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, au mois d’avril 2009, l’administrateur judiciaire a cédé certaines activités de TMD Friction à une entité qui a été ultérieurement, le 4 juin 2009, elle-même renommée TMD Friction.
23 Pensions-Sicherungs-Verein (organisme de garantie des pensions professionnelles, ci-après « PSV »), organisme de droit privé qui assure le paiement des retraites professionnelles en cas d’insolvabilité d’un employeur en Allemagne, a informé EM que, en raison de son âge, à savoir 29 ans au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, il n’avait encore acquis aucun droit définitif à des prestations de vieillesse, en vertu de l’article 1b, paragraphe 1, de la loi relative aux retraites
professionnelles, lu en combinaison avec l’article 30f, paragraphe 1, première phrase, point 1, de celle-ci, de sorte qu’il ne percevrait aucune prestation de la part de PSV en cas de survenance d’un événement ouvrant théoriquement droit à des prestations à charge de cet organisme.
24 EM a dès lors introduit une action contre TMD Friction en vue d’obtenir la condamnation de cette dernière à ce que, à l’avenir, lorsqu’il aura atteint l’âge de la retraite ouvrant droit à des prestations, celle-ci lui verse une pension de vieillesse dont le montant prendra en considération les périodes d’emploi accomplies avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
25 TMD Friction s’est opposée à cette demande en soutenant que, en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité portant sur les actifs du cédant, le cessionnaire ne répond plus que de la partie de la pension de vieillesse fondée sur les périodes accomplies après l’ouverture de cette procédure.
26 La demande d’EM ayant été rejetée tant en première instance qu’en appel, celui-ci a saisi la juridiction de renvoi, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) d’un recours en Revision.
27 Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) En cas de transfert d’établissement après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité selon le droit national, qui prescrit en principe l’application de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2001/23 [...] également aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d’invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels, l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive permet-il une restriction en ce sens que le
cessionnaire ne répond pas des droits en cours d’acquisition fondés sur des périodes d’emploi antérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question :
En cas de transfert d’établissement après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité portant sur les actifs du cédant, les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels, au sens de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, doivent‑elles respecter le niveau de protection
requis par l’article 8 de la directive 2008/94 [...] ?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question :
Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23 en ce sens que les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels ont été adoptées lorsque le droit national prévoit que
– l’obligation d’accorder à l’avenir au travailleur concerné par le transfert d’entreprise pendant la procédure d’insolvabilité une prestation de vieillesse au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel ou interprofessionnel est en principe transférée au cessionnaire,
– le cessionnaire répond de droits à prestations futurs dans la mesure où ceux-ci sont fondés sur des périodes d’appartenance à l’entreprise accomplies après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité,
– dans ce cas, l’organisme de garantie contre l’insolvabilité déterminé conformément au droit national n’a pas à répondre de la partie des droits futurs acquise avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, et
– le travailleur peut faire valoir, dans le cadre de la procédure d’insolvabilité du cédant, la valeur de la partie de ses droits futurs acquise avant l’ouverture de ladite procédure ?
4) Si le droit national impose l’application des articles 3 et 4 de la directive 2001/23 en cas de transfert d’entreprise également pendant une procédure d’insolvabilité, l’article 5, paragraphe 2, sous a), de ladite directive est-il applicable à des droits en cours d’acquisition des travailleurs au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels qui, s’ils ont déjà été accumulés avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, ne donnent cependant droit à
des prestations que lors de la survenance de l’événement ouvrant ce droit, c’est-à-dire à un moment ultérieur ?
5) En cas de réponse affirmative à la deuxième ou à la quatrième question :
Le niveau de protection minimal que doivent accorder les États membres conformément à l’article 8 de la directive 2008/94 [...] comprend-il également l’obligation de garantir les droits à des prestations en cours d’acquisition qui, conformément au droit national, n’étaient, légalement, pas encore définitivement acquis lors de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité et le deviennent seulement parce que la fin de la relation de travail n’est pas liée à la procédure d’insolvabilité ?
6) En cas de réponse affirmative à la cinquième question :
Dans quelles circonstances les pertes de prestations de vieillesse au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel subies par l’ancien travailleur en raison de l’insolvabilité de l’employeur doivent-elles être considérées comme manifestement disproportionnées et donc obliger les États membres à assurer une protection minimale contre des telles pertes conformément à l’article 8 de la directive 2008/94, alors que le travailleur obtiendra au moins la moitié des prestations
découlant des droits à la retraite qu’il a acquis ?
7) En cas de réponse affirmative à la cinquième question :
Une protection des droits à des prestations de vieillesse en cours d’acquisition des travailleurs, requise conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous b), ou à l’article 5 de la directive 2001/23 (équivalente à celle prévue à l’article 8 de la directive 2008/94), est-elle accordée également lorsqu’elle résulte non pas du droit national, mais seulement d’une application directe de l’article 8 de la directive 2008/94 ?
8) En cas de réponse affirmative à la septième question :
L’article 8 de la directive 2008/94 produit-il un effet direct, permettant à un [travailleur] de l’invoquer devant la juridiction nationale, également lorsque, même s’il touche au moins la moitié des prestations des droits à la retraite qu’il a acquis, les pertes qu’il a subies en raison de l’insolvabilité de l’employeur doivent cependant être considérées comme disproportionnées ?
9) En cas de réponse affirmative à la huitième question :
Si, en matière de régimes complémentaires de prévoyance professionnels, l’État membre désigne (de manière contraignante pour les employeurs) une entité de droit privé comme organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité, que cet organisme est soumis au contrôle prudentiel exercé par l’autorité publique de contrôle des services financiers, que, de plus, elle prélève auprès des employeurs, selon des modalités de droit public, les cotisations obligatoires nécessaires à la garantie contre
le risque d’insolvabilité et que, à l’instar d’une autorité publique, elle peut créer les conditions d’une exécution forcée en adoptant un acte administratif, cette entité de droit privé est-elle une autorité publique de l’État membre ? »
L’affaire C‑675/18
28 FL, né en 1950, était employé auprès de Textar depuis le 1er octobre 1968. Cette société accordait à ses travailleurs, en vertu d’une convention générale d’entreprise, une retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel. Conformément à ce régime, le montant de la pension de retraite pour chaque année de service imputable est de 0,5 % de la rémunération brute du travailleur à une date déterminée située avant la fin de la relation de travail, sans pouvoir dépasser 22,5 %,
après 45 ans de service.
29 Lors de la cession des activités de Textar, le contrat de travail de FL a été transféré à TMD Friction, dont l’activité a été maintenue après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité la concernant, le 1er mars 2009.
30 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, au mois d’avril 2009, l’administrateur judiciaire a cédé certaines activités de TMD Friction à TMD Friction EsCo, cette dernière ayant acquis, à compter du 22 avril 2009, l’établissement dans lequel le requérant au principal était employé.
31 FL perçoit, depuis le 1er août 2015, une pension de retraite de 145,03 euros par mois à charge de TMD Friction EsCo au titre du régime complémentaire de prévoyance professionnel ainsi que 816,99 euros par mois de la part de PSV. Ce dernier s’est basé, pour le calcul de cette pension, sur la rémunération mensuelle brute perçue par FL au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, de sorte que c’est la date du 1er mars 2009 qui a été déterminante.
32 FL a introduit une action contre TMD Friction EsCo, tendant à la condamnation de cette dernière à lui verser une pension de retraite professionnelle plus élevée. Selon FL, tenant compte de ses 45 années de service accomplies auprès de TMD Friction EsCo ou de son prédécesseur en droit ainsi que du fait que sa rémunération mensuelle brute s’élevait à 4940 euros avant la fin de sa relation de travail, le montant de sa pension de retraite professionnelle aurait dû être fixé à 1111,50 euros par mois.
Selon FL, TMD Friction EsCo pourrait seulement déduire de ce montant la prestation de 816,99 euros versée par PSV. Il réclame donc, à charge de TMD Friction EsCo, en sus de la retraite mensuelle d’un montant de 145,03 euros versée par celle-ci, une somme complémentaire de 149,48 euros par mois.
33 De la même manière que TMD Friction dans le cadre de l’affaire C‑674/18, TMD Friction EsCo a opposé l’argument selon lequel, en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité portant sur les actifs du cédant, le cessionnaire ne répond que de la partie de pension de vieillesse fondée sur les périodes accomplies après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
34 La demande de FL ayant été rejetée tant en première instance qu’en appel, celui-ci a introduit un recours en Revision devant la juridiction de renvoi, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail).
35 Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour neuf questions préjudicielles, les première, deuxième, quatrième et sixième à neuvième questions étant libellées dans les mêmes termes que dans l’affaire C‑674/18 :
« 1) [...]
2) [...]
3) En cas de réponse négative à la deuxième question :
Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23 en ce sens que les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels ont été adoptées lorsque le droit national prévoit que
– l’obligation d’accorder à l’avenir au travailleur concerné par le transfert d’entreprise pendant la procédure d’insolvabilité une prestation de vieillesse au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel ou interprofessionnel est en principe transférée au cessionnaire,
– le cessionnaire répond de droits en cours d’acquisition dont le montant est déterminé notamment en fonction de la durée d’appartenance à l’entreprise et de la rémunération au moment de la survenance de l’événement ouvrant droit à des prestations dans la mesure où ceux-ci sont fondés sur des périodes d’appartenance à l’entreprise accomplies après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité,
– dans ce cas, l’organisme de garantie contre l’insolvabilité désigné conformément au droit national doit intervenir pour la partie des droits futurs acquise avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité dans la mesure où le montant de celle-ci est calculé en fonction de la rémunération perçue par le travailleur au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, et
– ni le cessionnaire ni l’organisme de garantie contre l’insolvabilité ne répondent de l’augmentation des droits en cours d’acquisition à des prestations due à des augmentations de la rémunération intervenues après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité mais concernant des périodes d’activité accomplies avant la date d’ouverture de cette procédure,
– mais le travailleur peut faire valoir cette différence de valeur de ces droits en cours d’acquisition dans la procédure d’insolvabilité du cédant ?
4) [...]
5) En cas de réponse affirmative à la deuxième ou à la quatrième question :
Le niveau de protection minimal que doivent accorder les États membres conformément à l’article 8 de la directive 2008/94 [...] comprend-il également la partie des droits à des prestations en cours d’acquisition accumulés jusqu’au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité qui sont ouverts seulement parce que la fin de la relation de travail n’est pas liée à la procédure d’insolvabilité ?
6) [...]
7) [...]
8) [...]
9) [...] »
36 Par décision du président de la Cour du 23 novembre 2018, les affaires C‑674/18 et C‑675/18 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
37 Les deux affaires au principal concernent des transferts d’établissement intervenus après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité et réalisés par le syndic, dans le cadre desquels tant les contrats de travail que les engagements découlant du régime complémentaire de prévoyance professionnel applicable en vertu d’une convention générale d’entreprise ont été transférés aux cessionnaires. Les travailleurs en cause au principal ont introduit des actions en justice à l’encontre de ces
cessionnaires en faisant valoir que ceux-ci sont redevables également de leurs droits à la pension de retraite au titre des périodes d’emploi accomplies avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, dans la mesure où, selon le droit national, PSV ne répondait pas de ces droits ou en répondait seulement de manière limitée.
38 Selon les explications de la juridiction de renvoi, en droit allemand, conformément à l’article 613a du BGB, le cessionnaire est en principe subrogé dans les droits et obligations issus des relations de travail existant au moment du transfert d’entreprise, y compris dans le cas où cette cession a lieu après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Le cessionnaire devient le débiteur des obligations qui découlent des versements à venir d’une pension de retraite au titre d’un régime
complémentaire de prévoyance professionnel. C’est pourquoi, lors du calcul d’une telle retraite, il convient également de prendre en compte les périodes d’appartenance à l’entreprise déjà accomplies par le travailleur concerné auprès du cédant ou des prédécesseurs en droit de ce dernier.
39 Toutefois, selon l’interprétation du droit national opérée par la juridiction de renvoi, dans son arrêt du 17 janvier 1980, il ne serait pas permis, en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, conformément au principe d’égalité des créanciers, que le personnel transféré soit en mesure de faire valoir sa créance auprès d’un nouveau débiteur solvable et soit ainsi indûment avantagé par rapport à d’autres créanciers, notamment par rapport aux travailleurs dont
la relation de travail a pris fin. Ainsi, en cas d’un tel transfert d’entreprise, le cessionnaire ne répond ni des droits acquis ni des droits en cours d’acquisition à des prestations pour lesquels la période de travail ou d’appartenance à l’entreprise requise a déjà été accomplie par le travailleur avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. En effet, pour les prestations au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, la responsabilité du cessionnaire est limitée à la
partie acquise par le travailleur grâce à son appartenance à l’entreprise après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
40 Par conséquent, ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, aux fins du calcul du montant de la pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel que doit verser le cessionnaire au travailleur en cas de survenance d’un événement ouvrant droit à une prestation, cette pension de retraite doit, dans un premier temps, être déterminée sur la base des prescriptions dudit régime de retraite, en se fondant sur la totalité des périodes d’emploi accomplies par le
travailleur pendant la relation de travail et, le cas échéant, sur la rémunération brute du travailleur avant la fin de la relation de travail, qui est déterminante. Dans un second temps, il convient de répartir le montant résultant de ce calcul entre la part correspondant aux périodes d’appartenance à l’entreprise accomplies dans le cadre de la relation de travail effectuées avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité et la part correspondant aux périodes accomplies après ladite ouverture.
41 Par ailleurs, il convient de souligner que PSV n’est tenu d’intervenir en ce qui concerne la partie des droits à pension que les travailleurs repris par le cessionnaire ont accumulés durant les périodes où ils ont été occupés par l’entreprise cédante avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité que si ces travailleurs, à l’instar de FL, peuvent se prévaloir de droits définitifs à cette date. En outre, même dans un tel cas, et à la différence du montant notionnel utilisé dans le calcul de la
quote-part du cessionnaire, le montant des prestations à charge de PSV serait calculé sur la base de la rémunération mensuelle brute du travailleur à la date de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
42 En conséquence, une différence, estimée par la juridiction de renvoi en l’occurrence à 142,22 euros par mois, pourrait apparaître entre, d’une part, la somme des montants effectivement versés par PSV et le cessionnaire et, d’autre part, le montant notionnel de la retraite total auquel FL aurait droit dans les conditions normales. Néanmoins, un tel travailleur pourrait déclarer sa créance au passif de la masse à concurrence de ce montant (affaire C‑675/18).
43 S’agissant d’un travailleur comme EM (affaire C‑674/18), qui n’avait pas encore acquis de droits définitifs à pension au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, PSV n’interviendrait pas, mais l’intéressé pourrait déclarer sa créance au passif de la masse à concurrence du montant de ces droits.
44 Il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 28 mai 2020, World Comm Trading Gfz, C‑684/18, EU:C:2020:403, point 26 et jurisprudence citée).
45 En l’occurrence, il y a lieu de comprendre les questions préjudicielles dans chacune des affaires jointes en ce sens que la juridiction de renvoi s’interroge, tout d’abord, sur la compatibilité avec les directives 2001/23 et 2008/94 de la réglementation nationale en cause dans ces affaires et de la pratique jurisprudentielle nationale, ensuite, sur le point de savoir si les pertes telles que celles subies par EM et FL doivent ou non être considérées comme manifestement disproportionnées au regard
de l’article 8 de la directive 2008/94 et, enfin, sur l’effet direct que cette disposition est susceptible de déployer ainsi que son applicabilité à l’encontre d’un organisme de garantie de droit privé contre le risque d’insolvabilité des employeurs en matière de retraite professionnelle, tel que PSV.
46 Il convient de relever que, devant la Cour, les requérants au principal éprouvent des doutes quant au point de savoir si, dans les affaires faisant l’objet des litiges au principal, la procédure d’insolvabilité n’a pas été ouverte concernant le cédant dans le but de pouvoir réaliser le transfert d’entreprise de manière à ce que la charge incombant aux cessionnaires au titre des droits accumulés par ces requérants au principal dans leur régime complémentaire de prévoyance professionnel puisse être
réduite. Toutefois, en l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fait aucunement état, dans ses demandes de décision préjudicielle, de l’existence d’une fraude ou d’un abus caractérisant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité concernant le cédant.
Sur les première, deuxième et quatrième questions dans chacune des affaires jointes
47 Par ses première, deuxième et quatrième questions dans chacune des affaires jointes, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si la directive 2001/23, notamment eu égard à l’article 3, paragraphes 1 et 4, ainsi qu’à l’article 5, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose, en cas de transfert d’une entreprise soumise à une procédure d’insolvabilité, réalisé par le syndic de celle-ci, à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par
la jurisprudence nationale, selon laquelle, lors de la survenance, postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, de l’événement ouvrant droit à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, le cessionnaire ne répond pas des droits en cours d’acquisition d’un travailleur à cette pension de retraite accumulés au titre des périodes d’emploi antérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
48 En vue de répondre à ces questions, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort de son article 3, lu à la lumière de son considérant 3, la directive 2001/23 vise à protéger les travailleurs en assurant le maintien de leurs droits en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant. L’objet de cette directive est de garantir, autant que possible, la continuation des contrats ou des
relations de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d’empêcher que les travailleurs concernés ne soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert (voir, en ce sens, ordonnance du 28 janvier 2015, Gimnasio Deportivo San Andrés, C‑688/13, EU:C:2015:46, point 34, et arrêt du 16 mai 2019, Plessers, C‑509/17, EU:C:2019:424, point 52 et jurisprudence citée).
49 Toutefois, ainsi qu’il ressort des considérants 4 et 6 de ladite directive, eu égard aux différences existant dans les États membres en ce qui concerne la portée de la protection des travailleurs dans ce domaine, cette même directive entend réduire ces différences au moyen d’un rapprochement des législations nationales, sans cependant prévoir une harmonisation complète en la matière (ordonnance du 28 janvier 2015, Gimnasio Deportivo San Andrés, C‑688/13, EU:C:2015:46, point 35 et jurisprudence
citée).
50 En outre, si, conformément à l’objectif de la directive 2001/23, il y a lieu de protéger les intérêts des travailleurs concernés par le transfert, il ne saurait cependant être fait abstraction de ceux du cessionnaire. Cette directive ne vise pas uniquement à sauvegarder, lors d’un transfert d’entreprise, les intérêts des travailleurs, mais entend assurer un juste équilibre entre les intérêts de ces derniers, d’une part, et ceux du cessionnaire, d’autre part (arrêt du 26 mars 2020, ISS Facility
Services, C‑344/18, EU:C:2020:239, point 26).
51 À cet égard, il importe cependant de préciser que les règles de la directive 2001/23 doivent être considérées comme étant impératives en ce qu’il n’est pas permis aux États membres d’y déroger dans un sens défavorable aux travailleurs, sous réserve des exceptions prévues par cette directive elle-même (voir, en ce sens, ordonnance du 28 janvier 2015, Gimnasio Deportivo San Andrés, C‑688/13, EU:C:2015:46, point 39 et jurisprudence citée).
52 L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive énonce le principe selon lequel les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont transférés au cessionnaire.
53 Toutefois, il découle, en premier lieu, de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2001/23 que, sauf si les États membres en disposent autrement, les paragraphes 1 et 3 de ce même article ne s’appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d’invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres.
54 Il importe encore de relever que, conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, même lorsque les États membres ne prévoient pas d’appliquer les paragraphes 1 et 3 de cet article aux droits visés au point précédent du présent arrêt, ceux-ci doivent adopter les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs – y compris ceux qui ont déjà quitté l’établissement du cédant au moment du transfert – en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours
d’acquisition à des prestations de vieillesse et de survie au titre des régimes complémentaires visés à l’article 3, paragraphe 4, sous a), de cette directive (ordonnance du 28 janvier 2015, Gimnasio Deportivo San Andrés, C‑688/13, EU:C:2015:46, point 44 et jurisprudence citée).
55 En deuxième lieu, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23 dispose que les articles 3 et 4 de cette dernière ne s’appliquent pas, sauf décision en sens contraire des États membres, au transfert d’entreprise lorsque le cédant fait l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue qui a pour objet la liquidation des biens du cédant et qui se trouve sous le contrôle d’une autorité publique compétente.
56 En outre, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/23 précise que, lorsque les articles 3 et 4 de celle-ci s’appliquent à un tel transfert d’entreprise, que la procédure d’insolvabilité ait ou non été engagée en vue de la liquidation de biens du cédant, un État membre peut, sous certaines conditions, ne pas appliquer certaines garanties visées à ces articles 3 et 4.
57 Ainsi, par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, cet État membre peut prévoir, en application de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, que les obligations du cédant résultant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail qui sont dues avant la date du transfert ou avant celle de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ne sont pas transférées au cessionnaire, à condition que cette procédure assure, en vertu de la réglementation dudit État membre, une
protection au moins équivalente à celle garantie par la directive 80/987.
58 Il convient d’observer qu’il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que, conformément à l’article 613a du BGB, en cas de transfert d’entreprise, le cessionnaire est subrogé dans les droits et obligations issus des relations de travail existant au moment du transfert et que cet article ne prévoit expressément ni que certains types de droit ne sont pas transférés ni qu’il y a lieu de distinguer les différentes circonstances dans lesquelles s’effectuent de tels transferts.
Dès lors, le législateur allemand a entendu, conformément à la faculté ouverte par la directive 2001/23, faire application, en principe, de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive à l’égard des droits des travailleurs à des prestations au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, en ce compris lorsque le transfert advient au cours d’une procédure d’insolvabilité engagée à l’égard du cédant.
59 Partant, il convient de déterminer si, dans le cadre d’une application par principe de l’article 3 de ladite directive, il est néanmoins possible, au titre des dérogations visées à cette même directive, qu’il soit prévu que le cessionnaire ne réponde pas des droits en cours d’acquisition d’un travailleur à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel fondés sur des périodes d’emploi antérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
60 Tout d’abord, en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23, la Cour a itérativement jugé que, afin de déterminer si un transfert d’entreprise relève de cette exception, il convient de s’assurer que ce transfert satisfait aux trois conditions cumulatives posées par cette disposition, à savoir que le cédant fasse l’objet d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue, que cette procédure soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant et
qu’elle se trouve sous le contrôle d’une autorité publique compétente (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2019, Plessers, C‑509/17, EU:C:2019:424, point 40 et jurisprudence citée).
61 En particulier, la Cour a jugé que l’article 5, paragraphe 1, de cette directive exige que la procédure de faillite ou d’insolvabilité analogue soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant et qu’une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise concernée ne satisfait pas à cette condition (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C‑126/16, EU:C:2017:489, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
62 Par conséquent, des procédures, telles que celles en cause dans les affaires au principal, qui ont pour objectif non pas la liquidation des biens du cédant, mais le maintien de ses activités suivi du transfert de celles-ci ne constituent pas une procédure ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Federatie Nederlandse Vakvereniging e.a., C‑126/16, EU:C:2017:489, points 51 et 52).
63 Ensuite, en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/23, il y a lieu de constater que, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, si les droits à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel étaient déjà en cours d’acquisition avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, le bénéfice de la pension de retraite n’adviendra que lors de la
survenance, postérieurement à l’ouverture de cette procédure, de l’événement ouvrant droit à prestation.
64 Dès lors, il ne saurait être considéré que cette réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, porte sur des obligations dues par le cédant avant la date du transfert ou avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sans méconnaître, ainsi que l’a observé M. l’avocat général au point 85 de ses conclusions, l’interprétation stricte dont cette dérogation doit faire l’objet.
65 Il s’ensuit que les dérogations spécifiquement prévues à l’article 5 de la directive 2001/23 ne sauraient s’appliquer à la réglementation nationale en cause au principal, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale.
66 Un tel constat n’exclut toutefois pas que cette réglementation puisse relever des dérogations prévues à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2001/23. En effet, il y a lieu de relever que le postulat de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de ladite directive, qui vise une situation de transfert telle que celle en cause dans les affaires au principal, est l’application des articles 3 et 4 de cette même directive (arrêt du 11 juin 2009, Commission/Italie, C‑561/07, EU:C:2009:363, point 41).
67 À ce titre, il ressort du point 58 du présent arrêt que la réglementation nationale en cause au principal, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, a procédé à un transfert partiel au cessionnaire de l’obligation de s’acquitter des droits des travailleurs à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel.
68 Or, ainsi que l’a souligné la Commission, dès lors que l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2001/23 permet aux États membres tant d’imposer le transfert intégral au cessionnaire d’une telle obligation qu’une absence totale de transfert au cessionnaire de celle-ci, cette disposition ne saurait être interprétée comme interdisant, par principe, à une réglementation nationale de procéder à son transfert partiel.
69 En effet, il convient d’observer, ainsi qu’il a été rappelé aux points 49 et 50 du présent arrêt, que cette directive ne prévoit pas une harmonisation complète et qu’elle vise à assurer un juste équilibre entre les intérêts des travailleurs, d’une part, et ceux du cessionnaire d’autre part.
70 Dans un tel cas de figure, il y a lieu de considérer que, d’une part, l’État membre « dispose autrement », au sens du membre de phrase de l’article 3, paragraphe 4, sous a), de cette directive uniquement pour la partie des droits des travailleurs à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel qui doivent être transférés au cessionnaire et que, d’autre part, l’obligation d’adopter les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs
s’impose à cet État membre, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de celle-ci, tant pour la partie de ces droits qui sont transférés au cessionnaire que pour ceux qui ne demeurent opposables qu’au cédant, le cas échéant, dans une procédure d’insolvabilité ouverte à son encontre, comme c’est le cas dans les litiges au principal.
71 Il en résulte que, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, les États membres peuvent prévoir que, même si le cessionnaire est subrogé dans les droits et obligations issus des relations de travail existant au moment du transfert, celui-ci ne répond que des droits en cours d’acquisition d’un travailleur à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel fondés sur des périodes d’emploi postérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité pour
autant que cet État membre adopte les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs, conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous b), de ladite directive.
72 En effet, une telle interprétation permet, en principe, d’assurer un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts des travailleurs et la sauvegarde de ceux des cessionnaires en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, dans la mesure où elle garantit que les travailleurs voient leurs droits à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel maintenus, tout en prévoyant une limitation de la responsabilité des
cessionnaires susceptible de faciliter les transferts des entreprises faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité.
73 À cet égard, il convient encore de relever que le libellé de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23 reprend, en substance, celui de l’article 8 de la directive 80/987, qui est libellé de manière identique à l’article 8 de la directive 2008/94, cette dernière ayant codifié la directive 80/987. En outre, l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/23, qui concerne les transferts d’entreprise en cas de procédure d’insolvabilité, exige expressément une protection au
moins équivalente à celle prévue dans les situations visées par la directive 80/987. Il s’ensuit que les mesures nécessaires à la protection des intérêts des travailleurs que doivent adopter les États membres en vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23 doivent être comprises comme incluant, en tout cas, les mesures prévues par la directive 2008/94 et visant à compenser l’insolvabilité de leur employeur, que celui-ci soit le cessionnaire ou, comme en l’occurrence, le
cédant.
74 Il en résulte que, en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, la protection des travailleurs en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels, au sens de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, doit être d’un niveau au moins équivalent au niveau de protection requis par l’article 8 de la directive
2008/94.
75 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première, deuxième et quatrième questions dans chacune des affaires jointes que la directive 2001/23, notamment eu égard à l’article 3, paragraphes 1 et 4, ainsi qu’à l’article 5, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en cas de transfert d’une entreprise soumise à une procédure d’insolvabilité, réalisé par le syndic de celle-ci, à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la
jurisprudence nationale, selon laquelle, lors de la survenance, postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, de l’événement ouvrant droit à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, le cessionnaire ne répond pas des droits en cours d’acquisition d’un travailleur à cette pension de retraite accumulés au titre des périodes d’emploi antérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, pour autant que, en ce qui concerne la partie
du montant dont ne répond pas le cessionnaire, les mesures adoptées pour protéger les intérêts des travailleurs sont d’un niveau au moins équivalent au niveau de protection requis en vertu de l’article 8 de la directive 2008/94.
Sur les troisième, cinquième et sixième questions dans chacune des affaires jointes
76 Par ses troisième, cinquième et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, lu en combinaison avec l’article 8 de la directive 2008/94, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, qui prévoit, lors de la survenance d’un événement ouvrant droit à des prestations de vieillesse au titre d’un
régime complémentaire de prévoyance professionnel postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité au cours de laquelle le transfert de l’entreprise a été effectué et, pour ce qui est de la partie de ces prestations qui n’incombe pas au cessionnaire, que, d’une part, l’organisme de garantie contre l’insolvabilité déterminé conformément au droit national n’est pas tenu d’intervenir lorsque les droits en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse n’étaient pas déjà définitifs
au moment de l’ouverture de cette procédure d’insolvabilité et que, d’autre part, aux fins de la détermination du montant relatif à la partie de ces prestations dont la responsabilité revient audit organisme, ce montant est calculé sur la base de la rémunération mensuelle brute qui était celle du travailleur concerné au moment de l’ouverture de ladite procédure.
77 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, ainsi qu’il ressort du point 75 du présent arrêt, la garantie que doit offrir l’État membre concerné pour la partie du montant des prestations de vieillesse au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel qui n’incombe pas au cessionnaire doit être d’un niveau au moins équivalent au niveau de protection imposé par l’article 8 de la directive 2008/94.
78 Dans ce contexte, les États membres disposent, dans le cadre de la transposition de l’article 8 de la directive 2008/94, d’une large marge d’appréciation pour déterminer tant le mécanisme que le niveau de protection des droits acquis par les travailleurs à des prestations de vieillesse au titre des régimes complémentaires de prévoyance. Cette disposition ne pouvant pas être interprétée comme exigeant une garantie intégrale de ces droits, elle ne fait pas obstacle à ce que les États membres
réduisent, en poursuivant des objectifs économiques et sociaux légitimes, les droits acquis des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de leur employeur, pour autant qu’ils respectent notamment le principe de proportionnalité. Les États membres sont donc tenus, conformément à l’objectif poursuivi par cette directive, de garantir aux travailleurs le minimum de protection exigé à l’article 8 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Pensions-Sicherungs-Verein,
C‑168/18, EU:C:2019:1128, points 38 à 40 et jurisprudence citée).
79 S’agissant de la protection minimale requise par l’article 8 de la directive 2008/94, la Cour a déjà jugé que la transposition correcte de cette disposition nécessite qu’un ancien travailleur salarié perçoive, en cas d’insolvabilité de son employeur, au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à pension accumulés dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel et que cette disposition impose aux États membres de garantir, dans ce cas, à chaque ancien
travailleur salarié une indemnité correspondant au moins à la moitié de la valeur de ses droits acquis au titre d’un tel régime (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Pensions-Sicherungs-Verein, C‑168/18, EU:C:2019:1128, points 41, 51 et 52, ainsi que jurisprudence citée).
80 De même, cette protection minimale fait obstacle à une réduction manifestement disproportionnée des prestations de vieillesse professionnelles d’un travailleur salarié qui affecte gravement la capacité de l’intéressé à subvenir à ses besoins. Tel serait le cas d’une réduction des prestations de vieillesse subie par un ancien travailleur salarié qui vit déjà ou devrait vivre du fait de cette réduction en dessous du seuil de risque de pauvreté déterminé pour l’État membre concerné par l’Office
statistique de l’Union européenne (Eurostat). Ainsi, ladite protection minimale exige qu’un État membre garantisse, à un ancien travailleur exposé à une telle réduction de ses prestations de vieillesse, une indemnité d’un montant qui, sans qu’il couvre nécessairement la totalité des pertes subies, soit à même de remédier à leur caractère manifestement disproportionné (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Pensions-Sicherungs-Verein, C‑168/18, EU:C:2019:1128, points 44 et 45).
81 Il convient encore d’ajouter que l’article 8 de la directive 2008/94 vise à garantir une protection des intérêts des travailleurs salariés à long terme, étant donné que de tels intérêts en ce qui concerne les droits acquis ou en cours d’acquisition s’étendent, en principe, sur toute la durée de la retraite (arrêt du 24 novembre 2016, Webb-Sämann, C‑454/15, EU:C:2016:891, point 27).
82 En deuxième lieu, il convient de relever que, en cas de transfert d’entreprise après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, la réglementation nationale en cause au principal prévoit que le cessionnaire est subrogé dans les droits et obligations issus des relations de travail existant au moment du transfert, de telle sorte que, en ce qui concerne un régime complémentaire de prévoyance professionnel tel que celui en cause au principal, aux fins du calcul du montant des prestations de
vieillesse lors de la survenance de l’événement y ouvrant droit, il y a lieu de se fonder sur la totalité des périodes d’emploi accomplies par le travailleur pendant la relation de travail, y compris celles accomplies chez le cédant, ainsi que sur la rémunération brute du travailleur avant la fin de la relation de travail.
83 En outre, ainsi qu’il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, lesquelles sont rappelées aux points 20 et 28 du présent arrêt, conformément au régime complémentaire de prévoyance professionnel en cause au principal, le montant de la pension de retraite pour chaque année de service imputable se situe à un certain pourcentage de la rémunération brute du travailleur au moment de la survenance de l’événement ouvrant droit à ces prestations, sans pouvoir dépasser un certain
pourcentage après 45 ans de service.
84 Il s’ensuit que la réglementation nationale en cause au principal ne respecte la garantie qui découle de l’article 8 de la directive 2008/94, visée au point 79 du présent arrêt, et qui consiste à assurer à un ancien travailleur salarié au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à pension accumulés dans le cadre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, que pour autant que l’ancien travailleur est assuré de percevoir la moitié des sommes qui lui sont dues
en vertu du mécanisme de calcul instauré par la réglementation nationale, rappelé aux points 82 et 83 du présent arrêt.
85 Plus particulièrement, l’article 8 de la directive 2008/94 ne saurait être interprété, dans un cas tel que celui en cause au principal, en ce sens que le montant de la prestation, dont au moins 50 % doit être reconnu à l’ancien travailleur, peut être calculé sans tenir dûment compte, à cette fin, des périodes d’emploi accomplies auprès du cédant, durant lesquelles les droits à des prestations de vieillesse ont été accumulés, et de la rémunération brute du travailleur au moment de l’ouverture de
tels droits.
86 Par ailleurs, un calcul qui ne prendrait pas en compte les périodes d’emploi et la rémunération brute visées au point précédent ne permettrait pas de déterminer s’il y a lieu de remédier, conformément à l’exigence découlant de cet article 8, laquelle est rappelée point 80 du présent arrêt, aux conséquences d’une réduction de ces prestations subie par un ancien travailleur qui vit déjà ou devrait vivre, du fait de cette réduction, en dessous du seuil de risque de pauvreté déterminé pour l’État
membre concerné.
87 À cet égard, il y a lieu d’écarter l’argument du gouvernement allemand selon lequel, étant donné que la version en langue allemande de l’article 8 de la directive 2008/94 utilise le syntagme « ihrer erworbenen Rechte oder Anwartschaftsrechte » et que l’expression « erworbene Anwartschaftrechte » peut être traduite littéralement par les termes « droits en cours d’acquisition acquis », cette disposition ne viserait que les droits en cours d’acquisition qui, conformément aux dispositions nationales,
sont acquis, c’est-à-dire définitifs.
88 En effet, il y a lieu d’observer que, ainsi que le fait valoir le requérant au principal dans l’affaire C‑674/18, d’autres versions linguistiques de cette disposition, telles que les versions en langues espagnole, française ou italienne, ne visent que les « droits acquis et les droits en cours d’acquisition », sans exiger que ces derniers soient également devenus définitifs.
89 Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la nécessité d’une interprétation uniforme d’une disposition du droit de l’Union exige, en cas de divergence entre les différentes versions linguistiques de celle-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 23 novembre 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, EU:C:2016:890, point 84
ainsi que jurisprudence citée).
90 Certes, l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2008/94 prévoit que celle-ci ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne, notamment, la définition des termes « droit acquis », d’une part, et « droits en cours d’acquisition », d’autre part.
91 Dès lors, cette directive ne s’oppose pas à ce qu’un État membre différencie, au sein des droits en cours d’acquisition, ceux qui revêtent un caractère définitif. Pour autant, une telle marge d’appréciation reconnue aux États membres ne saurait aboutir à ce que soit méconnu l’effet utile des dispositions de ladite directive, et notamment de l’article 8 de celle-ci. Or, tel serait le cas s’il était permis à un État membre de soustraire certaines catégories de droits en cours d’acquisition, au sens
de son droit interne, à l’obligation de protection minimale qui s’impose en vertu de l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, lu à la lumière de l’article 8 de la directive 2008/94, pour l’ensemble des droits en cours d’acquisition.
92 Il revient, en définitive, à la juridiction de renvoi de vérifier, compte tenu des principes dégagés aux points précédents du présent arrêt, si, dans les litiges au principal, l’obligation d’assurer une protection minimale du travailleur bénéficiant des prestations au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel a été méconnue.
93 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième, cinquième et sixième questions dans chacune des affaires jointes que l’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, lu en combinaison avec l’article 8 de la directive 2008/94, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, qui prévoit, lors de la survenance d’un événement ouvrant droit à des prestations de vieillesse au titre d’un
régime complémentaire de prévoyance professionnel postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité au cours de laquelle le transfert de l’entreprise a été effectué et pour ce qui est de la partie de ces prestations qui n’incombe pas au cessionnaire, que, d’une part, l’organisme de garantie contre l’insolvabilité déterminé conformément au droit national n’est pas tenu d’intervenir lorsque les droits en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse n’étaient pas déjà définitifs
au moment de l’ouverture de cette procédure d’insolvabilité et que, d’autre part, aux fins de la détermination du montant relatif à la partie de ces prestations dont la responsabilité revient audit organisme, ce montant est calculé sur la base de la rémunération mensuelle brute qui était celle du travailleur concerné au moment de l’ouverture de ladite procédure, s’il en résulte que les travailleurs se voient privés de la protection minimale garantie par cette disposition, ce qu’il revient à la
juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les septième à neuvième questions dans chacune des affaires jointes
94 Par ses septième à neuvièmes questions dans chacune des affaires jointes, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8 de la directive 2008/94, en ce qu’il prévoit une protection minimale des droits acquis, ou des droits en cours d’acquisition, des travailleurs à des prestations de vieillesse, a un effet direct que l’intéressé peut faire valoir à l’encontre d’un organisme de garantie de droit privé, chargé de prélever auprès des employeurs des cotisations obligatoires et pouvant
recourir, à cette fin, à l’exécution forcée, tout en étant soumis à un contrôle prudentiel exercé par une autorité publique de l’État membre concerné.
95 La Cour a déjà répondu, dans son arrêt du 19 décembre 2019, Pensions-Sicherungs-Verein (C‑168/18, EU:C:2019:1128), à la question de savoir si l’article 8 de la directive 2008/94 est susceptible d’avoir un effet direct, de telle sorte qu’il peut être invoqué à l’encontre d’un organisme de droit privé, désigné par l’État membre concerné comme étant l’organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité des employeurs en matière de retraite professionnelle. Aux points 52 à 57 de cet arrêt, elle y
a répondu, en, substance, par l’affirmative, pour autant, d’une part, que, eu égard à la mission de garantie dont cet organisme est investi et aux conditions dans lesquelles il accomplit celle-ci, ledit organisme puisse être assimilé à l’État et, d’autre part, que cette mission s’étende effectivement aux types de prestations de vieillesse pour lesquelles la protection minimale prévue à cet article 8 est demandée.
96 Eu égard à ces considérations, il convient de répondre aux septième à neuvième questions dans chacune des affaires jointes que l’article 8 de la directive 2008/94, en ce qu’il prévoit une protection minimale des droits acquis, ou des droits en cours d’acquisition, des travailleurs à des prestations de vieillesse est susceptible d’avoir un effet direct, de telle sorte qu’il peut être invoqué à l’encontre d’un organisme de droit privé, désigné par l’État membre concerné comme étant l’organisme de
garantie contre le risque d’insolvabilité des employeurs en matière de retraite professionnelle, pour autant que, d’une part, eu égard à la mission de garantie dont cet organisme est investi et aux conditions dans lesquelles il accomplit celle-ci, ledit organisme peut être assimilé à l’État et, d’autre part, que cette mission s’étend effectivement aux types de prestations de vieillesse pour lesquelles la protection minimale prévue à cet article 8 est demandée, ce qu’il appartient à la juridiction
de renvoi de déterminer.
Sur les dépens
97 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) La directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, notamment eu égard à l’article 3, paragraphes 1 et 4, ainsi qu’à l’article 5, paragraphe 2, sous a), de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en cas de transfert d’une entreprise soumise à une procédure
d’insolvabilité, réalisé par le syndic de celle-ci, à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, selon laquelle, lors de la survenance, postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, de l’événement ouvrant droit à une pension de retraite au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel, le cessionnaire ne répond pas des droits en cours d’acquisition d’un travailleur à cette pension de retraite accumulés au titre des périodes
d’emploi antérieures à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, pour autant que, en ce qui concerne la partie du montant dont ne répond pas le cessionnaire, les mesures adoptées pour protéger les intérêts des travailleurs sont d’un niveau au moins équivalent au niveau de protection requis en vertu de l’article 8 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
2) L’article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2001/23, lu en combinaison avec l’article 8 de la directive 2008/94, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, qui prévoit, lors de la survenance d’un événement ouvrant droit à des prestations de vieillesse au titre d’un régime complémentaire de prévoyance professionnel postérieurement à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité au cours de laquelle le
transfert de l’entreprise a été effectué et pour ce qui est de la partie de ces prestations qui n’incombe pas au cessionnaire, que, d’une part, l’organisme de garantie contre l’insolvabilité déterminé conformément au droit national n’est pas tenu d’intervenir lorsque les droits en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse n’étaient pas déjà définitifs au moment de l’ouverture de cette procédure d’insolvabilité et que, d’autre part, aux fins de la détermination du montant relatif à la
partie de ces prestations dont la responsabilité revient audit organisme, ce montant est calculé sur la base de la rémunération mensuelle brute qui était celle du travailleur concerné au moment de l’ouverture de ladite procédure, s’il en résulte que les travailleurs se voient privés de la protection minimale garantie par cette disposition, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.
3) L’article 8 de la directive 2008/94, en ce qu’il prévoit une protection minimale des droits acquis, ou des droits en cours d’acquisition, des travailleurs à des prestations de vieillesse, est susceptible d’avoir un effet direct, de telle sorte qu’il peut être invoqué à l’encontre d’un organisme de droit privé, désigné par l’État membre concerné comme étant l’organisme de garantie contre le risque d’insolvabilité des employeurs en matière de retraite professionnelle, pour autant que, d’une part,
eu égard à la mission de garantie dont cet organisme est investi et aux conditions dans lesquelles il accomplit celle-ci, ledit organisme peut être assimilé à l’État et, d’autre part, que cette mission s’étend effectivement aux types de prestations de vieillesse pour lesquelles la protection minimale prévue à cet article 8 est demandée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.