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18/06/2020 | CJUE | N°C-639/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, KH contre Sparkasse Südholstein., 18/06/2020, C-639/18


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 juin 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs –Commercialisation à distance de services financiers – Directive 2002/65/CE – Article 1er – Champ d’application – Contrats portant sur des services financiers comportant une première convention suivie d’opérations successives – Application de la directive 2002/65/CE à la seule première convention – Article 2, sous a) – Notion de “contrat portant sur des services financiers” – Avenant à un contrat de prêt portant

modification du taux d’intérêt fixé
initialement »

Dans l’affaire C‑639/18,

ayant pour objet une demand...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 juin 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs –Commercialisation à distance de services financiers – Directive 2002/65/CE – Article 1er – Champ d’application – Contrats portant sur des services financiers comportant une première convention suivie d’opérations successives – Application de la directive 2002/65/CE à la seule première convention – Article 2, sous a) – Notion de “contrat portant sur des services financiers” – Avenant à un contrat de prêt portant modification du taux d’intérêt fixé
initialement »

Dans l’affaire C‑639/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel, Allemagne), par décision du 7 septembre 2018, parvenue à la Cour le 12 octobre 2018, dans la procédure

KH

contre

Sparkasse Südholstein,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.–C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente de la Cour, MM. M. Safjan (rapporteur), L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 septembre 2019,

considérant les observations présentées :

– pour KH, par Me C. Rugen, Rechtsanwalt,

– pour Sparkasse Südholstein, par Me F. van Alen, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann, E. Lankenau et T. Henze, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 12 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous a), de la directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du Conseil, 97/7/CE et 98/27/CE (JO 2002, L 271, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant KH à Sparkasse Südholstein au sujet du droit de rétractation de KH portant sur des avenants à des contrats de prêt modifiant les taux d’intérêt initialement fixés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 1, 3, 13, 16 à 18 de la directive 2002/65 énoncent :

« (1) Il importe, dans le cadre de la réalisation des objectifs du marché intérieur, d’arrêter les mesures destinées à consolider progressivement celui-ci, ces mesures devant par ailleurs contribuer à réaliser un niveau élevé de protection des consommateurs, conformément aux articles 95 et 153 [CE].

[...]

(3) [...] Afin d’assurer la liberté de choix des consommateurs, qui est un droit essentiel de ceux-ci, un niveau élevé de protection des consommateurs est nécessaire pour accroître leur confiance dans la vente à distance.

[...]

(13) Un niveau élevé de protection des consommateurs devrait être assuré par la présente directive, afin d’assurer la libre circulation des services financiers. Les États membres ne devraient pas pouvoir prévoir d’autres dispositions que celles établies par la présente directive pour les domaines qu’elle harmonise, sauf indication contraire expressément mentionnée dans celle-ci.

[...]

(16) Un même contrat comportant des opérations successives ou distinctes de même nature échelonnées dans le temps peut recevoir des qualifications juridiques différentes dans les différents États membres, mais il importe cependant que la présente directive soit appliquée de la même manière dans tous les États membres. À cette fin, il y a lieu de considérer qu’elle s’applique à la première d’une série d’opérations successives ou distinctes de même nature échelonnées dans le temps et pouvant être
considérées comme formant un tout, que cette opération ou cette série d’opérations fasse l’objet d’un contrat unique ou de contrats distincts successifs.

(17) On considère qu’une “première convention de service” peut être constituée, par exemple, par l’ouverture d’un compte bancaire, l’acquisition d’une carte de crédit ou la conclusion d’un contrat de gestion de portefeuille et que les “opérations” peuvent être constituées, par exemple, par le dépôt ou le retrait de fonds sur ou à partir du compte, le paiement au moyen d’une carte de crédit ou les opérations effectuées dans le cadre d’un contrat de gestion de portefeuille. Le fait d’ajouter de
nouveaux éléments à une première convention, comme, par exemple, la possibilité d’utiliser un instrument de paiement électronique en liaison avec son compte bancaire, ne constitue pas une “opération”, mais une convention complémentaire à laquelle s’applique la présente directive. La souscription de nouvelles parts du même organisme de placement collectif est considérée comme étant une opération parmi des “opérations successives de même nature”.

(18) En faisant référence à un système de prestations de services organisé par le fournisseur de services financiers, la présente directive vise à exclure de son champ d’application les prestations de services effectuées sur une base strictement occasionnelle et en dehors d’une structure commerciale dont le but est de conclure des contrats à distance. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :

« 1.   La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs.

2.   Pour les contrats portant sur des services financiers comportant une première convention de service suivie d’opérations successives ou d’une série d’opérations distinctes de même nature échelonnées dans le temps, les dispositions de la présente directive ne s’appliquent qu’à la première convention.

Au cas où il n’y a pas de première convention de service, mais où les opérations successives ou distinctes de même nature échelonnées dans le temps sont exécutées entre les mêmes parties au contrat, les articles 3 et 4 sont applicables uniquement lorsque la première opération est exécutée. Cependant, dans les cas où aucune opération de même nature n’est effectuée pendant plus d’un an, l’opération suivante est considérée comme étant la première d’une nouvelle série d’opérations, en conséquence de
quoi les articles 3 et 4 s’appliquent. »

5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “contrat à distance” : tout contrat concernant des services financiers conclu entre un fournisseur et un consommateur dans le cadre d’un système de vente ou de prestations de services à distance organisé par le fournisseur, qui, pour ce contrat, utilise exclusivement une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à, et y compris, la conclusion du contrat ;

b) “service financier” : tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements ;

c) “fournisseur” : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui, dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles, est le fournisseur contractuel des services faisant l’objet de contrats à distance ;

d) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats à distance, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle ;

[...] »

6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Information du consommateur préalable à la conclusion du contrat à distance », est libellé comme suit :

« 1.   En temps utile avant que le consommateur ne soit lié par un contrat à distance ou par une offre, il reçoit les informations concernant :

[...]

3) le contrat à distance

a) l’existence ou l’absence du droit de rétractation prévu à l’article 6 et, si ce droit existe, sa durée et les modalités de son exercice, y compris des informations sur le montant que le consommateur peut être tenu de payer sur la base de l’article 7, paragraphe 1, ainsi que sur les conséquences découlant de l’absence d’exercice de ce droit ;

[...]

2.   Les informations visées au paragraphe 1, dont le but commercial doit apparaître sans équivoque, sont fournies de manière claire et compréhensible par tout moyen adapté à la technique de communication à distance utilisée, en tenant dûment compte, notamment, des principes de la bonne foi dans les transactions commerciales et de la protection de ceux qui, selon la législation des États membres, sont jugés incapables, comme les mineurs.

[...] »

7 L’article 6 de la directive 2002/65, intitulé « Droit de rétractation », énonce :

« 1.   Les États membres veillent à ce que le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours calendrier pour se rétracter, sans pénalité et sans indication de motif. [...]

Le délai pendant lequel peut s’exercer le droit de rétractation commence à courir :

– soit à compter du jour où le contrat à distance est conclu, sauf pour lesdites assurances sur la vie, pour lesquelles le délai commence à courir au moment où le consommateur est informé que le contrat à distance a été conclu,

– soit à compter du jour où le consommateur reçoit les conditions contractuelles et les informations, conformément à l’article 5, paragraphe 1 ou 2, si cette dernière date est postérieure à celle visée au premier tiret.

[...]

3.   Les États membres peuvent prévoir que le droit de rétractation ne s’applique pas :

a) à tout crédit destiné principalement à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire, ou à permettre la rénovation ou l’amélioration d’un immeuble, ou

b) à tout crédit garanti par une hypothèque sur un bien immobilier ou par un droit lié à un bien immobilier [...]

[...] »

Le droit allemand

8 L’article 312b, paragraphe 1, du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version en vigueur à la date des faits en cause au principal (ci–après le « BGB »), est ainsi libellé :

« Les contrats à distance sont des contrats portant sur la livraison de biens ou la prestation de services, y compris les services financiers, qui sont conclus entre un professionnel et un consommateur en utilisant exclusivement des techniques de communication à distance, sauf lorsque la conclusion du contrat n’intervient pas dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance. Les services financiers au sens de la première phrase sont les services ayant trait à la
banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements. »

9 L’article 312d du BGB reconnaît au consommateur qui a conclu un contrat à distance un droit de rétractation et précise en substance que le délai de rétractation ne commence pas à courir avant que les obligations d’information en ce sens aient été remplies et, en cas de prestation de services, pas avant la conclusion du contrat.

10 Selon l’article 495, paragraphe 1, du BGB :

« Lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt conclu par un consommateur, l’emprunteur dispose d’un droit de rétractation [...] »

11 Le contenu des articles 312b et 312d du BGB a été modifié par le Gesetz zur Umsetzung der Verbraucherrechterichtlinie und zur Änderung des Gesetzes zur Regelung der Wohnungsvermittlung (loi transposant la directive sur les consommateurs et modifiant la loi sur les agences immobilières), du 20 septembre 2013 (BGBl. 2013 I, p. 3642). L’article 229, paragraphe 32, de l’Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch (loi d’introduction au code civil) prévoit cependant que les modifications ainsi
apportées au BGB ne sont pas pertinentes pour les accords conclus avant le 13 juin 2014. Il ressort par ailleurs dudit article 229, paragraphe 32, que le droit de rétractation d’un consommateur ne s’éteint pas pour les contrats de services financiers tant que le consommateur, s’agissant d’un contrat à distance conclu avant le 13 juin 2014, n’a pas été informé de son droit de rétractation ou ne l’a pas été conformément aux exigences légales en vigueur à la date de la conclusion du contrat.

12 L’article 495 du BGB, dans sa version applicable du 1er août 2002 au 12 juin 2014, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il s’agit d’un contrat de prêt conclu par un consommateur, l’emprunteur dispose d’un droit de rétractation conformément à l’article 355. »

13 Dans sa version applicable à la date des faits au principal, l’article 355 du BGB disposait, à son paragraphe 3 :

« Le droit de rétractation s’éteint au plus tard six mois après la conclusion du contrat. En cas de vente d’un bien, le délai ne commence pas à courir avant le jour de sa réception par le destinataire. Par dérogation à la première phrase, le droit de rétractation ne s’éteint pas si le consommateur n’a pas été dûment informé de son droit de rétractation ; concernant les contrats à distance portant sur des services financiers, il ne s’éteint pas non plus si le professionnel ne s’est pas dûment
acquitté de ses obligations d’information en vertu de l’article 312c, paragraphe 2, point 1. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Les 1er juillet 1994, 17 juillet 1994 et 4 novembre 1999, l’établissement bancaire aux droits duquel vient Sparkasse Südholstein a conclu trois contrats de prêt avec KH. Le premier contrat, d’un montant de 114000 marks allemands (DEM) (environ 57000 euros) et au taux d’intérêt de 6,95 %, portait sur le financement d’un bien immobilier et était garanti par une sûreté réelle immobilière. Le deuxième contrat, d’un montant de 112000 DEM (environ 56000 euros) et au taux d’intérêt de 5,7 %, portait
également sur le financement d’un bien immobilier et était garanti par une sûreté réelle immobilière. Quant au troisième contrat, d’un montant de 30000 DEM (environ 15000 euros) et au taux d’intérêt de 6,6 %, il portait sur le financement de biens de consommation.

15 Les clauses contractuelles figurant dans ces contrats prévoyaient que chaque partie était en droit de demander, après un certain délai, l’adaptation du taux d’intérêt initialement convenu et que, à défaut, l’établissement prêteur pourrait fixer un taux d’intérêt variable comparable à celui appliqué aux prêts de ce type.

16 Conformément à ces clauses, les parties ont conclu, au cours des années 2008 à 2010, en utilisant exclusivement des techniques de communication à distance, des avenants aux trois contrats, portant sur la fixation de nouveaux taux d’intérêt annuels. À l’occasion de la conclusion de ces avenants, Sparkasse Südholstein n’a pas informé KH qu’elle bénéficiait d’un droit de rétractation.

17 Par déclaration du 2 septembre 2015, reçue par Sparkasse Südholstein le 8 septembre 2015, KH a informé celle-ci qu’elle entendait se rétracter des avenants. Après avoir souligné que ces derniers constituaient chacun un contrat à distance, elle a fait valoir que, n’ayant pas été informée de son droit de rétractation, elle disposait encore de la possibilité de se rétracter, en vertu de l’article 495, paragraphe 1, du BGB ou, à titre subsidiaire, de l’article 312d, paragraphe 1, du BGB.

18 KH a introduit un recours devant le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel, Allemagne) afin que soit constaté que la rétractation des avenants aux deuxième et troisième contrats avait eu pour effet la disparition de tout accord entre les parties sur les taux d’intérêt convenus par ces avenants, et que Sparkasse Südholstein soit condamnée à lui rembourser les intérêts et le principal versés depuis la conclusion des avenants, ainsi que les frais de tenue de compte acquittés, et à lui payer une
indemnité.

19 Sparkasse Südholstein a conclu au rejet du recours en contestant l’existence d’un droit de KH de se rétracter des avenants. En effet, selon l’établissement bancaire, outre que les contrats initiaux n’avaient pas été conclus en utilisant des techniques de communication à distance, les avenants, qui ne portaient pas sur d’autres services financiers, ne pouvaient faire l’objet d’une rétractation séparée. À titre subsidiaire, les rétractations effectuées par KH seraient-elles valables que la seule
conséquence en serait l’annulation des avenants, et non celle des contrats initiaux, et ceux-ci demeureraient assortis d’intérêts à taux variables conformément aux dispositions contractuelles.

20 La juridiction de renvoi expose que l’issue du litige au principal dépend des questions de savoir si les avenants doivent être regardés, premièrement, comme ayant été conclus dans le cadre d’un système de prestations de services à distance organisé par le fournisseur, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2002/65, et, deuxièmement, comme relevant de la notion de « contrats concernant des services financiers », visée par cette même disposition. En particulier, la juridiction de renvoi
souligne que la réponse à cette seconde question serait nécessaire pour pouvoir, le cas échéant, appliquer au litige au principal l’article 312b, paragraphe 1, ainsi que l’article 312d, paragraphes 1 et 2, du BGB et ajoute que, conformément à la volonté du législateur allemand, la notion de « contrats sur la prestation de services, y compris les services financiers », visée à l’article 312b, paragraphe 1, première phrase, du BGB, devrait être interprétée en conformité avec la directive 2002/65.

21 Dans ces circonstances, le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Un contrat par lequel un contrat de prêt existant est modifié uniquement en ce qui concerne le montant du taux d’intérêt convenu (avenant relatif au taux d’intérêt) constitue-t-il un contrat “conclu [...] dans le cadre d’un système de vente ou de prestations de services à distance organisé par le fournisseur”, au sens de l’article 2, sous a), de la directive [2002/65], lorsqu’une banque entretenant un réseau d’agences ne conclut des contrats de prêt immobilier, garanti par des sûretés
réelles immobilières, que dans ses agences, mais que, dans le cadre de relations contractuelles en cours, elle conclut aussi parfois uniquement à l’aide de techniques de communication à distance des contrats modifiant des contrats de prêt déjà conclus ?

2) La notion de “contrat concernant des services financiers”, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2002/65, englobe-t-elle la modification d’un contrat de prêt existant, lorsque cette modification porte uniquement sur le taux d’intérêt convenu (avenant relatif au taux d’intérêt) sans prolonger la durée du prêt ni modifier son montant ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

22 Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 2, sous a), de la directive 2002/65 doit être interprété en ce sens qu’un avenant à un contrat de prêt relève de la notion de « contrat concernant des services financiers », au sens de cette disposition, lorsque l’avenant se borne à modifier le taux d’intérêt initialement convenu, sans prolonger la durée dudit prêt ni modifier son montant, et que les clauses
initiales du contrat de prêt prévoyaient la conclusion d’un tel avenant ou, à défaut, l’application d’un taux d’intérêt variable.

23 À titre liminaire, il y a lieu de relever, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 45 de ses conclusions, que la directive 2002/65 procède, en principe, à l’harmonisation complète des aspects qu’elle régit et que, en conséquence, son libellé doit recevoir une interprétation commune à tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Romano, C‑143/18, EU:C:2019:701, points 34 et 55).

24 Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité qu’une disposition du droit de l’Union, qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, doit normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte de la
disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du 23 mai 2019, WB, C‑658/17, EU:C:2019:444, point 50 et jurisprudence citée).

25 S’agissant du libellé de la notion de « contrat concernant des services financiers », qui figure à l’article 2, sous a), de la directive 2002/65, il convient de faire observer que la référence qui y est faite aux « services financiers » constitue l’élément distinctif de cette notion, dès lors qu’il s’agit d’identifier une catégorie spécifique de contrats.

26 L’article 2, sous b), de cette directive définit la notion de « service financier » comme visant tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements.

27 S’agissant, plus spécifiquement, d’un contrat de crédit, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’obligation caractéristique en est l’octroi même de la somme prêtée, alors que l’obligation de l’emprunteur de rembourser cette somme n’est que la conséquence de l’exécution de la prestation par le prêteur (arrêt du 15 juin 2017, Kareda, C‑249/16, EU:C:2017:472, point 41).

28 S’agissant, ensuite, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 2, sous a), de la directive 2002/65, il importe de faire observer, ainsi que l’ont relevé, à juste titre, tant la juridiction de renvoi que Mme l’avocate générale au point 41 de ses conclusions, que, dans le cas des contrats portant sur des services financiers comportant une « première convention de service » suivie d’autres opérations, les dispositions de cette directive ne s’appliquent, conformément à l’article 1er, paragraphe 2,
premier alinéa, de celle-ci, qu’à la première convention de service. Le considérant 17, deuxième phrase, de ladite directive précise à cet égard que le fait d’ajouter de nouveaux éléments à une première convention constitue non pas une « opération », mais une convention complémentaire à laquelle s’applique la même directive.

29 Or, au regard des exemples d’opérations fournis à ce considérant 17, il y a lieu de considérer que la fixation, par avenant, d’un nouveau taux d’intérêt, en exécution d’une clause de renégociation déjà prévue par le contrat initial, imposant, à défaut d’accord, une clause supplétive instituant un taux d’intérêt variable, ne constitue ni une opération au sens de l’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2002/65 ni l’ajout d’éléments à la première convention.

30 Ainsi, il découle d’une interprétation tant littérale que systématique de l’article 2, sous a), de la directive 2002/65 qu’un « contrat concernant des services financiers » doit être considéré comme étant un contrat prévoyant la prestation de tels services. Or, cette condition n’est pas satisfaite dans le cas où, comme dans l’affaire au principal, l’avenant concerné n’a pour objet que d’adapter le taux d’intérêt dû en contrepartie d’un service déjà convenu.

31 Cette interprétation est corroborée par l’analyse d’autres dispositions de la directive 2002/65 dont il résulte que celle-ci couvre, en principe, les accords qui portent sur l’obligation caractéristique à fournir par le prestataire. Ainsi, l’article 3 de ladite directive prévoit que le consommateur doit, en particulier, être pleinement informé de l’identité du fournisseur ou des principales caractéristiques du service financier, y compris de l’existence ou de l’absence d’un droit de rétractation.
Or, dans le cas d’un avenant relatif au seul taux d’intérêt, une nouvelle information du consommateur sur ces aspects serait dépourvue d’intérêt.

32 S’agissant, enfin, de la finalité de la directive 2002/65, il y a lieu de constater que, conformément à ses considérants 3 et 13, celle-ci a pour objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs afin d’accroître leur confiance dans la vente à distance et d’assurer la libre circulation des services financiers.

33 Or, un tel objectif n’exige pas nécessairement que, dans les cas où, conformément à une clause initiale d’un contrat de prêt, un avenant à celui-ci fixe un nouveau taux d’intérêt, cet avenant doive être qualifié de nouveau contrat concernant des services financiers.

34 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 2, sous a), de la directive 2002/65 doit être interprété en ce sens qu’un avenant à un contrat de prêt ne relève pas de la notion de « contrat concernant des services financiers », au sens de cette disposition, lorsque l’avenant se borne à modifier le taux d’intérêt initialement convenu, sans prolonger la durée du prêt ni modifier son montant, et que les clauses initiales du contrat de prêt prévoyaient la
conclusion d’un tel avenant ou, à défaut, l’application d’un taux d’intérêt variable.

Sur la première question

35 Compte tenu de la réponse apportée à la seconde question, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.

Sur les dépens

36 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 2, sous a), de la directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du Conseil, 97/7/CE et 98/27/CE, doit être interprété en ce sens qu’un avenant à un contrat de prêt ne relève pas de la notion de « contrat concernant des services financiers », au sens de cette disposition, lorsque l’avenant se borne à modifier le taux d’intérêt
initialement convenu, sans prolonger la durée du contrat de prêt ni modifier son montant, et que les clauses initiales du prêt prévoyaient la conclusion d’un tel avenant ou, à défaut, l’application d’un taux d’intérêt variable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-639/18
Date de la décision : 18/06/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Kiel.

Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs –Commercialisation à distance de services financiers – Directive 2002/65/CE – Article 1er – Champ d’application – Contrats portant sur des services financiers comportant une première convention suivie d’opérations successives – Application de la directive 2002/65/CE à la seule première convention – Article 2, sous a) – Notion de “contrat portant sur des services financiers” – Avenant à un contrat de prêt portant modification du taux d’intérêt fixé initialement.

Rapprochement des législations

Protection des consommateurs


Parties
Demandeurs : KH
Défendeurs : Sparkasse Südholstein.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Safjan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:477

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