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30/04/2020 | CJUE | N°C-211/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, UO contre Készenléti Rendőrség., 30/04/2020, C-211/19


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

30 avril 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Champ d’application – Dérogation – Article 1er, paragraphe 3 – Directive 89/391/CEE – Article 2, paragraphe 2 – Activités des forces d’intervention de la police »

Dans l’affaire C‑211/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Miskolci Közigazgatási

és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Miskolc, Hongrie), par décision du 21 février 2019, parvenue à la Cour...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

30 avril 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Champ d’application – Dérogation – Article 1er, paragraphe 3 – Directive 89/391/CEE – Article 2, paragraphe 2 – Activités des forces d’intervention de la police »

Dans l’affaire C‑211/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Miskolci Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Miskolc, Hongrie), par décision du 21 février 2019, parvenue à la Cour le 6 mars 2019, dans la procédure

UO

contre

Készenléti Rendőrség,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. E. Juhász et C. Lycourgos (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 janvier 2020,

considérant les observations présentées :

– pour UO, par Mme I. Balázs, kamarai jogtanácsos,

– pour le Készenléti Rendőrség, par Mme A. Kenyhercz, kamarai jogtanácsos,

– pour le gouvernement hongrois, par MM. G. Koós et M. Z. Fehér ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. L. Havas, M. van Beek et N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1), ainsi que de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 2, points 1 et 2, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de
l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UO au Készenléti Rendőrség (police d’intervention, Hongrie), au sujet de la rémunération due pour les services de garde qu’il a assurés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 89/391

3 L’article 2 de la directive 89/391 prévoit :

« 1.   La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).

2.   La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.

Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive. »

La directive 2003/88

4 L’article 1er de la directive 2003/88 dispose :

« 1.   La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

2.   La présente directive s’applique :

a) aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail, et

b) c à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail.

3.   La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la directive 89/391/CEE, sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive.

[...] »

5 L’article 2 de cette directive énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1. “temps de travail” : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

2. “période de repos” : toute période qui n’est pas du temps de travail ;

[...] »

6 L’article 17, paragraphe 3, de ladite directive prévoit :

« Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 :

[...]

c) pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu’il s’agit :

[...]

iii) des services de presse, de radio, de télévision, de productions cinématographiques, des postes ou télécommunications, des services d’ambulance, de sapeurs-pompiers ou de protection civile ;[...]

[...] »

Le droit hongrois

7 L’article 102, paragraphe 1, du rendvédelmi feladatokat ellátó szervek hivatásos állományának szolgálati jogviszonyáról szóló 2015. évi XLII. törvény (loi no XLII de 2015 relative au statut du personnel professionnel des organes chargés du maintien de l’ordre) dispose :

« Tout membre du personnel professionnel est, dans le cadre de l’accomplissement du service, requis

a) de se tenir prêt à agir au lieu et pendant le temps prescrit, de demeurer prêt à agir pendant toute la durée du service et de remplir sa mission, ainsi que d’être disponible à cette fin,

[...] »

8 L’article 141, paragraphe 1, de cette loi énonce :

« Un supérieur peut obliger un membre du personnel professionnel à se trouver à un endroit autre que le lieu d’affectation, où il peut être joint, dans lequel il doit se tenir prêt à agir en dehors des heures de service et dans l’intérêt du service, et d’où il peut être envoyé en mission à n’importe quel moment.

[…] »

9 L’article 364, paragraphe 1 de ladite loi prévoit :

« La présente loi, conjointement avec les décrets adoptés en vertu des pouvoirs conférés par les articles 340 et 341, vise à mettre en œuvre

[...]

5. la directive [2003/88]

[...] »

10 L’article 58, paragraphe 1, du rendőrségről szóló 1994. évi XXXIV. törvény (loi no XXXIV de 1994 relative à la police) énonce :

« Les agents de police peuvent être employés en patrouille [...]

b) en vue de faire cesser des événements de masse mettant en danger la vie et les biens des personnes, ou d’empêcher des actes de violence susceptibles d’avoir de telles conséquences et d’en arrêter les auteurs ;

[...]

j) dans les autres cas déterminés par la loi. »

11 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du rendőrség szerveiről és a rendőrség szerveinek feladat- és hatásköréről szóló 329/2007 korm. rendelet (décret gouvernemental no 329/2007, relatif aux organes de police et aux missions et compétences des organes de police), du 13 décembre 2007 :

« Les organes du service de police générale institués pour remplir des missions spécifiques sont :

a) la police d’intervention ;

[...] »

12 Le magyar köztársaság rendőrségének csapatszolgálati szabályzatának kiadásáról szóló 11/1998 ORFK utasítás (instruction no 11/1998 de l’état-major national de la police, portant réglementation du service en patrouille de la police de la République de Hongrie), du 23 avril 1998, prévoit :

« [...]

12. [...]

[...]

Service d’alerte d’une patrouille

L’objectif du service d’alerte est de maintenir la patrouille dans un état de préparation garantissant que les missions puissent débuter le plus rapidement possible. Il implique la constitution d’une patrouille, son logement et son ravitaillement, la constitution, si nécessaire, d’équipes ou de groupes d’équipes de service, la mise en place de l’approvisionnement matériel nécessaire à l’activité de patrouille, la préparation des unités et leur maintien à niveau.

14. La patrouille peut être postée en service d’alerte soit de manière programmée au préalable, lorsque la mission est prévisible, soit par une affectation d’urgence. Ce dernier cas, en particulier, peut se produire lorsqu’une mission a déjà été affectée à un service d’alerte existant et qu’il est nécessaire de prévoir un nouveau service d’alerte, mais que l’affectation de forces de police exerçant leurs activités sous d’autres formes de service n’est pas possible ou ne suffirait pas.

[...]

17. Le degré de préparation d’une patrouille accomplissant un service d’alerte traduit la rapidité avec laquelle celle-ci est capable de commencer une mission particulière qui lui serait confiée. Cela dépend de la mesure dans laquelle le commandant de l’organe de police a établi au préalable les conditions nécessaires pour commencer la mission. En fonction de l’existence de ces conditions, la patrouille peut se trouver dans un état d’alerte général ou accru.

[...]

19. Le service d’alerte débute lorsque le degré d’alerte requis est atteint et dure aussi longtemps qu’il n’y a pas été mis fin ou tant que ledit service n’a pas été converti en une autre activité. La patrouille assurant un service d’alerte doit, pour accomplir les missions prévues, être capable de se mettre en route dans un délai de 15 minutes lorsqu’elle est en état d’alerte accru ou d’une heure lorsqu’elle est en état d’alerte générale. Ces délais standard peuvent être réduits par le
commandant qui a ordonné le recours à une patrouille selon la nature de la mission annoncée ou l’état de préparation de l’unité. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Le 1er janvier 2011, UO a pris ses fonctions dans les services de la police d’intervention. Cette dernière est un organe spécifique du service de police générale, qui dispose de pouvoirs spéciaux et exerce des missions particulières sur l’ensemble du territoire hongrois. La police d’intervention participe, notamment, à l’accomplissement de missions exigeant une intervention d’urgence, non prévisible, et le recours à des patrouilles. UO a été affecté, au sein de la police d’intervention, au groupe
d’intervention aux frontières de Miskolc (Hongrie).

14 Du mois de juillet 2015 au mois d’avril 2017, UO s’est trouvé en service d’alerte en tant que membre d’une compagnie de patrouille. Pendant cette période, les missions à la frontière ont été assurées non pas sur le lieu d’affectation habituel de Miskolc, mais sur le segment frontalier Sud, dans le comitat de Csongrád (Hongrie).

15 Au cours de ladite période, l’employeur d’UO a ordonné, dans le cadre des missions effectuées à la frontière, d’une part, un service d’alerte extraordinaire et, d’autre part, un service de garde en dehors du temps de service ordinaire, ces deux services devant être assurés en patrouille.

16 Ledit employeur a considéré que le temps de service de garde constituait une période de repos. UO estime, au contraire, que, pendant cette période, il assurait, en réalité, un service d’alerte en dehors du temps de service ordinaire quotidien, lequel devait être qualifié de « temps de travail », pour lequel il devait bénéficier non pas d’une prime de service de garde, mais d’une indemnité de service d’alerte extraordinaire.

17 La juridiction de renvoi relève, d’une part, que, selon les termes de l’article 364, paragraphe 1, point 5, de la loi relative au statut du personnel professionnel des organes chargés du maintien de l’ordre, cette loi vise à mettre en œuvre la directive 2003/88, mais qu’elle ne définit ni la notion de « temps de travail » ni celle de « période de repos » et, d’autre part, qu’UO s’appuie sur cette directive pour fonder ses prétentions.

18 Toutefois, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si ladite directive et, en particulier, les définitions figurant à son article 2, points 1 et 2, peuvent être appliquées à UO, en sa qualité de membre de la police d’intervention, étant donné que l’activité concernée se distingue des activités exercées dans des circonstances ordinaires.

19 À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le champ d’application personnel de la directive 2003/88 est déterminé à l’article 2 de la directive 89/391. Dans l’affirmative, elle s’interroge sur le point de savoir si l’activité de membre de la police d’intervention présente des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques de la fonction publique, qui s’opposent de manière contraignante à l’application de la directive 89/391 et de l’article 2, points 1 et 2, de la
directive 2003/88.

20 Selon la juridiction de renvoi, tel est le cas. En effet, elle relève que la police d’intervention est un organe spécial des forces de police, qui assure des missions de police particulières, telles que définies par la loi, étant entendu que, en l’occurrence, UO a également dû accomplir des missions de police générale. Elle ajoute qu’UO fait partie du personnel de ces unités spéciales et que, dans ce contexte, il exerçait lui-même une activité de police spécifique dans la fonction publique, de
telle sorte que les définitions figurant à l’article 2 de la directive 2003/88 ne devraient pas pouvoir le concerner.

21 Dans ces conditions, le Miskolci Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Miskolc, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Faut-il interpréter l’article 1er, paragraphe 3, de la directive [2003/88] en ce sens que le champ d’application personnel de cette directive est déterminé par l’article 2 de la directive [89/391] ?

2) Dans l’affirmative, faut-il interpréter l’article 2, paragraphe 2, de la directive [89/391] en ce sens que l’article 2, points 1 et 2, de la directive [2003/88] ne doit pas être appliqué en ce qui concerne les agents de police membres du personnel professionnel de la police d’intervention ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

22 Selon le gouvernement hongrois, les questions posées sont irrecevables au motif que le litige au principal porte sur la rémunération des travailleurs.

23 À cet égard, il convient de souligner que, exception faite de l’hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, cette directive se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, afin d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia
Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 35 et jurisprudence citée).

24 Toutefois, cette constatation n’implique pas qu’il n’y a pas lieu de répondre aux questions posées dans la présente affaire.

25 En effet, la juridiction de renvoi estime que l’interprétation de certaines dispositions de la directive 2003/88 lui est nécessaire aux fins de pouvoir statuer sur le litige pendant devant elle. En particulier, cette juridiction cherche à savoir si des membres des services de police assurant des fonctions telles que celles en cause au principal relèvent du champ d’application de la directive 2003/88, afin qu’elle puisse déterminer si la qualification des périodes de garde effectuées par UO, de
« temps de travail » ou de « temps de repos », doit être réalisée eu égard aux définitions figurant à l’article 2, points 1 et 2, de cette directive, avant de fixer le barème salarial qu’il convient d’appliquer auxdites périodes. Il s’ensuit que la question de savoir si ladite directive est applicable au litige pendant devant la juridiction de renvoi, tout comme celle de savoir si cette applicabilité dépend de la directive 89/391, doit être examinée avant celle relative à l’existence d’un droit
au paiement d’un complément de rémunération, qu’il incombe à la juridiction nationale de trancher.

26 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les questions posées sont pertinentes aux fins de la solution du litige pendant devant la juridiction de renvoi, de telle sorte que ces questions sont recevables.

Sur le fond

27 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que l’article 2, points 1 et 2, de cette directive s’applique aux membres des forces de l’ordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontières extérieures d’un État membre, en cas d’afflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontières.

28 Il ressort, en effet, de la décision de renvoi et de l’audience qui s’est tenue devant la Cour que le litige au principal concerne la rémunération des périodes de garde assurées par UO entre le mois de juillet 2015 et le mois d’avril 2017. Entre ces dates, UO a exercé des fonctions de surveillance aux frontières que la Hongrie partage tant avec la République de Serbie qu’avec la République de Croatie et la Roumanie, qui ne font pas partie de l’espace Schengen.

29 L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88 définit le champ d’application de celle-ci par renvoi à l’article 2 de la directive 89/391.

30 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/931, celle-ci s’applique « à tous les secteurs d’activités, privés ou publics », parmi lesquels figurent les « activités de service ».

31 Toutefois, il ressort de l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/931 que celle-ci n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, notamment dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile, s’y opposent de manière contraignante. L’article 2, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive précise néanmoins que, dans ce cas, la sécurité et la
santé des travailleurs doivent être assurées dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de ladite directive.

32 Il convient, dès lors, de déterminer si des fonctions telles que celle en cause au principal sont susceptibles de relever de l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391, laquelle doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts qu’elle permet aux États membres de protéger (arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 54, ainsi que du 20 novembre
2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 53).

33 À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la surveillance des frontières extérieures d’un État membre, dans un contexte d’afflux de ressortissants de pays tiers, constitue une activité qui relève de la fonction publique, au sens de l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/39.

34 En deuxième lieu, il convient de souligner qu’une telle activité est susceptible de présenter certaines spécificités par rapport à d’autres activités relevant de la fonction publique, en général, ou du maintien de l’ordre, en particulier.

35 Il convient, par conséquent, de déterminer, en troisième lieu, si des particularités inhérentes à cette activité spécifique de la fonction publique s’opposent de manière contraignante, en raison de la nécessité absolue de garantir une protection efficace de la collectivité, à ce que la directive 2003/88 soit appliquée à ladite activité (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 55).

36 À cet égard, le gouvernement hongrois fait valoir qu’il était inenvisageable de planifier le temps de travail des membres de la police d’intervention affectés aux frontières extérieures, compte tenu de la nécessité d’assurer une présence et un service continus et de l’impossibilité d’anticiper l’ampleur des missions devant être assurées par ce service. Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour, la police d’intervention a défendu, en substance, la même position.

37 Certes, le fait que certaines activités spécifiques relevant de la fonction publique ne se prêtent pas, par leur nature, à une planification du temps de travail figure au nombre des particularités inhérentes à de telles activités, qui justifient, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391, une exception aux règles en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584,
point 55, ainsi que du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 64).

38 L’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391 permet, ainsi, de préserver l’efficacité des telles activités spécifiques, dont la continuité est indispensable pour assurer l’exercice effectif des fonctions essentielles de l’État (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

39 Cette exigence de continuité doit toutefois être appréciée en tenant compte de la nature spécifique de l’activité considérée (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 66).

40 Ainsi, premièrement, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’exigence de continuité des services actifs dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’ordre publics ne fait pas obstacle à ce que, lorsqu’elles ont lieu dans des conditions normales, les activités de ces services puissent être organisées, y compris quant aux horaires de travail de leurs employés, si bien que l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391 n’est
applicable à de tels services que dans des circonstances d’une gravité et d’une ampleur exceptionnelles (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 55 et 57 ; du 12 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑132/04, non publié, EU:C:2006:18, point 26, ainsi que du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 67).

41 Il découle ainsi de la jurisprudence de la Cour que la directive 2003/88 s’applique à des activités dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’ordre publics, même lorsqu’elles sont exercées par les forces d’intervention sur le terrain et qu’elles ont pour objet de porter secours, dès lors qu’elles sont effectuées dans des conditions habituelles, conformément à la mission impartie au service concerné, et alors même que les interventions auxquelles ces activités peuvent donner lieu sont,
par nature, imprévisibles et susceptibles d’exposer les travailleurs qui les exécutent à certains risques quant à leur sécurité ou à leur santé (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 57, ainsi que ordonnance du 14 juillet 2005, Personalrat der Feuerwehr Hamburg, C‑52/04, EU:C:2005:467, point 52).

42 Il s’ensuit que l’application de l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391 aux services actifs dans le domaine de la santé, de la sécurité et de l’ordre publics ne se justifie qu’en raison d’événements exceptionnels, comme des catastrophes naturelles ou technologiques, des attentats ou des accidents majeurs, dont la gravité et l’ampleur nécessitent l’adoption de mesures indispensables à la protection de la vie, de la santé ainsi que de la sécurité de la collectivité, et
dont la bonne exécution serait compromise si toutes les règles énoncées par la directive 2003/88 devaient être respectées. De tels cas justifient qu’une priorité absolue soit reconnue à l’objectif de protection de la population, au détriment du respect des dispositions de cette dernière directive, lesquelles peuvent provisoirement être méconnues au sein desdits services (voir, en ce sens, ordonnance du 14 juillet 2005, Personalrat der Feuerwehr Hamburg, C‑52/04, EU:C:2005:467, points 53 à 55).

43 Deuxièmement, il convient de rappeler que la jurisprudence visée aux points 40 à 42 du présent arrêt ne saurait être interprétée en ce sens qu’il est exclu que certaines activités particulières de la fonction publique présentent, même lorsqu’elles sont exercées dans des conditions normales, des caractéristiques à ce point spécifiques que leur nature s’oppose, de manière contraignante, à une planification du temps de travail respectueuse des prescriptions imposées par la directive 2003/88 (arrêt
du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 68).

44 Toutefois, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que les missions de surveillance aux frontières extérieures assurées par la police d’intervention présentent des caractéristiques à ce point spécifiques. Ainsi, il n’a pas été établi que le fait de devoir accorder, à intervalles réguliers à un membre de la police d’intervention, le droit à des heures ou à des jours de repos après qu’il a effectué un certain nombre d’heures ou de jours de travail porterait atteinte à un aspect essentiel
des missions que ce travailleur est appelé à exercer de manière habituelle, au motif que ces missions ne peuvent, en raison des spécificités inhérentes à celles-ci, être assurées que de manière continue et uniquement par ce seul travailleur. Il convient d’ajouter que les coûts découlant, pour l’employeur, de la nécessité de remplacer ledit travailleur au cours des périodes de repos qui doivent lui être accordées en vertu de la directive 2003/88 ne sauraient constituer une justification à la
non-application de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger, C‑151/02, EU:C:2003:437, points 66 et 67).

45 Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de déterminer si les missions exercées par UO, au cours de la période litigieuse, l’ont été dans des circonstances d’une gravité et d’une ampleur exceptionnelles justifiant que leur soit appliquée l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391.

46 À cet égard, cette juridiction devra prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment, le fait que la mission en cause au principal s’est étendue sur plusieurs mois.

47 En particulier, il lui appartiendra de déterminer si un afflux de ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures de la Hongrie a empêché que la surveillance desdites frontières soit effectuée, tout au long de la période litigieuse, dans des conditions habituelles, conformément à la mission impartie à la police d’intervention.

48 À cette fin, la juridiction de renvoi devra tenir compte, d’une part, du fait que, selon la décision de renvoi, ce service a précisément été créé pour participer à l’accomplissement de missions d’urgence et, d’autre part, de la jurisprudence de la Cour, rappelée au point 41 du présent arrêt, selon laquelle la directive 2003/88 s’applique aux activités des forces de l’ordre effectuées dans des conditions habituelles, conformément à la mission qui leur est impartie, même lorsque les interventions
auxquelles ces activités peuvent donner lieu sont, par nature, imprévisibles et présentent un risque pour la sécurité ou la santé des travailleurs.

49 En outre, la juridiction de renvoi devra s’assurer qu’il n’était pas possible, eu égard à la gravité et à l’ampleur des circonstances, d’organiser le service concerné de telle manière que chacun de ses membres ait pu bénéficier d’un temps de repos conforme aux exigences fixées par la directive 2003/88.

50 À cette fin, elle devra déterminer s’il était impossible de prévoir, à tout le moins, à partir d’un certain moment au cours de la période litigieuse, un mécanisme de rotation des effectifs permettant de garantir à chaque travailleur un temps de repos conforme à ce qu’exige la directive 2003/88.

51 Enfin, il importe d’ajouter que, à supposer que la juridiction de renvoi aboutisse à la conclusion que les particularités inhérentes aux missions assurées par les membres de la police d’intervention entre le mois de juillet 2015 et le mois d’avril 2017 ne se prêtaient pas, par leur nature, à une planification du temps de travail, elle devra tenir compte du fait que l’article 2, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 89/391 prévoit que, même dans ce cas, les autorités compétentes doivent
assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans toute la mesure du possible.

52 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que l’article 2, points 1 et 2, de cette directive s’applique aux membres des forces de l’ordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontières extérieures d’un État membre en cas d’afflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontières, sauf lorsqu’il apparaît, au vu de l’ensemble des
circonstances pertinentes, que les missions exécutées le sont dans le cadre d’événements exceptionnels, dont la gravité et l’ampleur nécessitent l’adoption de mesures indispensables à la protection de la vie, de la santé ainsi que de la sécurité de la collectivité, et dont la bonne exécution serait compromise si l’ensemble des règles énoncées par ladite directive devaient être respectées, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que l’article 2, points 1 et 2, de cette directive s’applique aux membres des forces de l’ordre qui exercent des fonctions de surveillance aux frontières extérieures d’un État membre en cas d’afflux de ressortissants de pays tiers auxdites frontières, sauf lorsqu’il apparaît, au vu de
l’ensemble des circonstances pertinentes, que les missions exécutées le sont dans le cadre d’événements exceptionnels, dont la gravité et l’ampleur nécessitent l’adoption de mesures indispensables à la protection de la vie, de la santé ainsi que de la sécurité de la collectivité, et dont la bonne exécution serait compromise si l’ensemble des règles énoncées par ladite directive devaient être respectées, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-211/19
Date de la décision : 30/04/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Miskolci Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Champ d’application – Dérogation – Article 1er, paragraphe 3 – Directive 89/391/CEE – Article 2, paragraphe 2 – Activités des forces d’intervention de la police.

Rapprochement des législations

Politique sociale

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : UO
Défendeurs : Készenléti Rendőrség.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:344

Source

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