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27/02/2020 | CJUE | N°C-298/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Reiner Grafe et Jürgen Pohle contre Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH et OSL Bus GmbH., 27/02/2020, C-298/18


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 février 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Transfert d’entreprise – Maintien des droits des travailleurs – Exploitation de lignes d’autobus – Reprise du personnel – Absence de reprise des moyens d’exploitation – Motifs »

Dans l’affaire C‑298/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Arbeitsgericht Cottbus – Kammern Senftenberg (tribunal du tr

avail de Cottbus – division de Senftenberg, Allemagne), par décision du 17 avril 2018, parvenue à la Cour le 2 mai 2018, dans la ...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

27 février 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Transfert d’entreprise – Maintien des droits des travailleurs – Exploitation de lignes d’autobus – Reprise du personnel – Absence de reprise des moyens d’exploitation – Motifs »

Dans l’affaire C‑298/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Arbeitsgericht Cottbus – Kammern Senftenberg (tribunal du travail de Cottbus – division de Senftenberg, Allemagne), par décision du 17 avril 2018, parvenue à la Cour le 2 mai 2018, dans la procédure

Reiner Grafe,

Jürgen Pohle

contre

Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH,

OSL Bus GmbH,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. S. Rodin, D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mars 2019,

considérant les observations présentées :

– pour Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH, par Mes A.-K. Pfeifer, M. Sandmaier et O. Grimm, Rechtsanwälte,

– pour OSL Bus GmbH, par Mes A. Braun et D. Ledwon, Rechtsanwälte,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Kellerbauer et C. Hödlmayr, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 1977, L 61, p. 26).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Reiner Grafe et Jürgen Pohle à Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH (ci-après « SBN ») et OSL Bus GmbH (ci-après « OSL ») au sujet de la légalité de leur licenciement par SBN.

Le cadre juridique

3 La directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO 2001, L 82, p. 16), entrée en vigueur le 11 avril 2001, a procédé, ainsi que le précise son considérant 1, à la codification de la directive 77/187.

4 Le considérant 3 de la directive 2001/23 énonce que « [d]es dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits ».

5 Aux termes du considérant 8 de cette directive, « [l]a sécurité et la transparence juridiques ont requis une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice » et « [c]ette clarification n’a pas modifié le champ d’application de la directive [77/187] telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice ».

6 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 prévoit :

« a) La présente directive est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

b) Sous réserve du point a) et des dispositions suivantes du présent article, est considéré comme transfert, au sens de la présente directive, celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire.

[...] »

7 L’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “cédant” : toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, perd la qualité d’employeur à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’entreprise ou d’établissement ;

b) “cessionnaire” : toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, acquiert la qualité d’employeur à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’entreprise ou d’établissement ;

[...]

d) “travailleur” : toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 SBN exploitait, pour le compte du Landkreis Oberspreewald-Lausitz (arrondissement d’Oberspreewald-Lausitz, Allemagne), le transport public de voyageurs par autobus depuis le 1er août 2008, lorsque cet arrondissement a procédé, au mois de septembre 2016, à une nouvelle adjudication des services de transport concernés.

9 SBN a préféré ne pas soumissionner, estimant qu’elle ne pouvait déposer une offre économiquement viable. Elle a cessé son activité et a informé ses salariés de leur licenciement. Le 19 janvier 2017, cette société a conclu un accord de réorganisation et de plan social avec son comité d’entreprise, cet accord prévoyant le versement d’indemnités de licenciement en l’absence d’offre de reprise par le nouvel adjudicataire ou de pertes de rémunération en cas de réembauche par ce dernier.

10 Kraftverkehrsgesellschaft Dreiländereck mbH s’est vu attribuer le marché des services de transport public par autobus en cause au principal à compter du 1er août 2017. Pour fournir ces services, cette société a créé une filiale, OSL, qu’elle détient intégralement. Cette dernière a embauché la majeure partie des conducteurs et du personnel d’encadrement de SBN.

11 Au mois d’avril 2017, Kraftverkehrsgesellschaft Dreiländereck a fait savoir à SBN qu’elle ne comptait ni acheter ni louer les autobus, dépôts et autres installations d’exploitation de cette dernière, ni recourir à ses prestations d’atelier.

12 M. Grafe était employé à temps complet en qualité de conducteur d’autobus et de contremaître par SBN ainsi que par son prédécesseur en droit, depuis le mois de juillet 1978. Par une lettre du 27 janvier 2017, SBN l’a licencié avec effet au 31 août 2017. Depuis le 1er septembre 2017, il est employé par OSL en tant que conducteur. Cette dernière, ne reconnaissant pas les périodes antérieures de travail de l’intéressé, l’a classé au premier grade prévu par la convention collective applicable.

13 Dans ce contexte, M. Grafe conteste son licenciement par SBN et fait valoir qu’OSL est tenue de prendre en compte son ancienneté au sein de SBN, aux fins de son classement professionnel. Ce requérant au principal et son précédent employeur considèrent que le contrat de travail de l’intéressé a été transféré à OSL dans le cadre d’un transfert d’entreprise, au sens de la directive 2001/23.

14 M. Pohle était également employé à temps complet en qualité de conducteur d’autobus et de contremaître par SBN, depuis le mois de novembre 1979. Cette société lui a notifié, par une lettre du 27 janvier 2017, son licenciement à compter du 31 août 2017. Il n’a pas été embauché par le nouvel adjudicataire. Dans ce contexte, il conteste son licenciement et réclame, à titre subsidiaire, le versement d’une indemnité de 68034,56 euros au titre du plan social mis en place par SBN. Cette dernière, par
voie de demande reconventionnelle, fait valoir que le contrat de travail de M. Pohle a été transféré lors du transfert d’entreprise à OSL et que, par conséquent, elle n’est pas tenue au versement d’une indemnité.

15 OSL se fonde sur l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), pour soutenir que les moyens de production matériels, notamment les autobus, n’ayant pas, en l’occurrence, été repris, il ne peut y avoir transfert d’entreprise, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23.

16 SBN fait valoir que la reprise des autobus par le nouveau titulaire du marché public concerné était exclue, compte tenu des normes techniques et environnementales en vigueur. En effet, les prescriptions relatives aux appels d’offres exigeraient que ceux-ci ne dépassent pas un âge maximal de 15 ans. Ils devraient également répondre au moins à la norme environnementale « Euro 6 ». Or, à la date de la passation de ce marché public, lequel aurait été conclu pour une durée de dix ans, l’âge moyen des
autobus de SBN était, selon cette dernière, de 13 ans. En outre, ceux-ci ne respecteraient que les normes « Euro 3 » ou « Euro 4 ». Par ailleurs, ils ne satisferaient pas aux exigences d’accessibilité aux personnes handicapées. SBN ajoute que le recours aux services de dépôts d’autobus n’est plus nécessaire, dans la mesure où la maintenance ou la réparation de ces derniers pourraient être confiées à des ateliers spécialisés.

17 Selon SBN, il résulte de l’appel d’offres concerné que les conducteurs d’autobus doivent être en possession d’une autorisation valide, disposer de connaissances relatives au cadre légal et à la réglementation professionnelle en vigueur, être en mesure de fournir aux passagers des informations, avoir une bonne connaissance du réseau et des routes, des itinéraires et des horaires dans la zone desservie, des lignes d’autobus régionales, des correspondances ainsi que des lignes ferroviaires et des
conditions tarifaires. Elle ajoute que ces conducteurs constituent une « ressource rare » dans les zones rurales. Leur savoir-faire et leur connaissance du réseau auraient rendu les conducteurs d’autobus de SBN opérationnels dès le 1er août 2017, la continuité du service de transports publics étant ainsi assurée dans l’arrondissement. Elle en déduit que ce sont les conducteurs qui caractérisent l’entité économique.

18 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, qui juge exacte la description du cadre réglementaire et factuel présentée par SBN, se demande si la solution dégagée par l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), trouve à s’appliquer dans la présente affaire au principal.

19 Dans ces conditions, l’Arbeitsgericht Cottbus – Kammern Senftenberg (tribunal du travail de Cottbus – division de Senftenberg, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le transfert de l’exploitation de lignes d’autobus par une société d’autobus à une autre sur la base d’une procédure de marché public conformément à la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services [(JO 1992, L 209, p. 1),] constitue-t-il un transfert d’entreprise au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive [77/187], même s’il n’y a aucun transfert notable des moyens de production, notamment
d’autobus, entre les deux entreprises mentionnées ?

2) La supposition que, en cas d’adjudication des services pour une durée déterminée, les autobus ne revêtent plus, sur la base d’une décision commerciale raisonnable, une importance considérable pour la valeur d’exploitation en raison de leur âge et des exigences techniques accrues (valeurs des émissions polluantes, véhicules à plancher) justifie-t-elle que la [Cour] s’écarte de son arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), en ce sens que, dans ces conditions, la reprise de
l’essentiel du personnel pourrait conduire à l’applicabilité de la directive [77/187] ? »

Sur les questions préjudicielles

20 À titre liminaire, il convient de relever que, si la question porte sur l’interprétation de la directive 77/187, le texte applicable à la date des faits en cause au principal est la directive 2001/23, laquelle vise précisément, comme l’énonce son considérant 8, à codifier la directive 77/187, afin de clarifier la notion de transfert d’entreprise à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

21 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une reprise, par une entité économique, d’une activité selon une procédure de passation d’un marché public, l’absence de reprise, par celle-ci, des moyens d’exploitation dont était propriétaire l’entité économique qui exerçait cette activité précédemment, fait obstacle à la
qualification de cette opération de transfert d’entreprise.

22 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive, est considéré comme transfert celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire. La notion d’entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et de biens permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.

23 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le critère décisif pour établir l’existence d’un tel transfert réside dans la circonstance que l’entité économique garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l’exploitation ou de sa reprise (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

24 Afin de déterminer si cette condition est remplie, il importe de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération concernée, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le
transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert, et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

25 Ainsi, l’importance respective à accorder aux différents critères varie nécessairement en fonction de l’activité exercée, voire des méthodes de production ou d’exploitation utilisées dans l’entreprise, dans l’établissement ou dans la partie d’établissement concernée (arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a., C‑160/14, EU:C:2015:565, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

26 Il convient également de préciser que la simple reprise, par une entité économique, de l’activité d’une autre entité économique ne permet pas de conclure au maintien de l’identité de cette dernière. En effet, l’identité d’une telle entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée. Cette identité ressort d’une pluralité indissociable d’éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l’organisation de son travail, ses méthodes d’exploitation ou encore, le cas
échéant, les moyens d’exploitation à sa disposition (arrêts du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 41, et du 20 juillet 2017, Piscarreta Ricardo, C‑416/16, EU:C:2017:574, point 43).

27 Il résulte de ce qui précède que la qualification de transfert suppose un certain nombre de constats d’ordre factuel, cette question devant être appréciée in concreto par la juridiction nationale à la lumière des critères dégagés par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 7 août 2018, Colino Siguënza, C‑472/16, EU:C:2018:646, point 45), ainsi que des objectifs poursuivis par la directive 2001/23, tels qu’énoncés, notamment, au considérant 3 de celle-ci.

28 Dans ce cadre, la juridiction de renvoi s’interroge plus spécifiquement sur l’application, dans la présente affaire, de la solution dégagée dans l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), dans lequel était en cause un marché portant sur la fourniture d’un service de transport par autobus couvrant sept lignes régionales pour une période de trois ans. Le nouvel exploitant avait racheté les tenues de travail de certains des conducteurs passés à son service et, dans l’attente de
la livraison des véhicules commandés, avait uniquement loué deux autobus, pendant quelques mois, au précédent exploitant.

29 Interrogée sur l’existence d’un transfert d’entreprise, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187, la Cour a tout d’abord souligné, au point 39 de l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), que le transport par autobus ne peut être considéré comme une activité reposant essentiellement sur la main-d’œuvre, dans la mesure où il exige un matériel et des installations importants. La Cour a ajouté que, dès lors, l’absence de transfert, de l’ancien au nouveau
titulaire du marché, des actifs corporels utilisés pour l’exploitation des lignes d’autobus concernées constitue une circonstance qu’il convient de prendre en considération, aux fins de la qualification de transfert d’entreprise. Elle a ensuite jugé, au point 42 de cet arrêt, que les éléments corporels contribuant de manière importante à l’exercice de cette activité, l’absence de transfert de tels éléments de l’ancien au nouveau titulaire du marché de transport public par autobus, qui sont
indispensables au bon fonctionnement de l’entité concernée, doit conduire à considérer que cette dernière n’a pas conservé son identité. Enfin, la Cour a conclu, au point 43 dudit arrêt, que, dans une situation telle que celle en cause dans cette affaire, la directive 77/187 ne s’appliquait pas, en l’absence de transfert d’éléments corporels significatifs entre l’ancien et le nouveau titulaire du marché.

30 Il importe cependant de relever que, dès lors que, au point 39 de l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), la Cour a pris soin de souligner que l’absence de transfert, de l’ancien au nouveau titulaire du marché, des actifs corporels utilisés pour l’exploitation des lignes d’autobus concernées constitue une circonstance qu’il convient de prendre en considération, il ne peut être inféré de ce point que la reprise des autobus doit être considérée in abstracto comme le seul
facteur déterminant d’un transfert d’entreprise dont l’activité consiste dans le transport public de voyageurs par autobus.

31 Partant, afin de déterminer si l’absence de transfert des moyens d’exploitation que sont les autobus fait obstacle à la qualification de transfert d’entreprise, la juridiction de renvoi doit tenir compte des circonstances propres à l’affaire dont elle est saisie.

32 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que le respect des normes techniques et environnementales nouvelles imposées par le pouvoir adjudicateur en ce qui concerne les moyens d’exploitation ne permettait pas, d’un point de vue tant économique que juridique, à l’entreprise adjudicataire de reprendre les moyens d’exploitation de l’entreprise précédemment titulaire du marché des services de transport public en cause au principal. En effet, il n’aurait pas été raisonnable, d’un point de vue
économique, pour un nouvel exploitant, de reprendre un parc d’autobus existant composé de véhicules qui, ayant atteint la durée d’exploitation autorisée et ne respectant pas les contraintes imposées par le pouvoir adjudicateur, étaient inexploitables.

33 En d’autres termes, la décision du nouvel opérateur de ne pas reprendre les moyens d’exploitation de ladite entreprise a été dictée par des contraintes extérieures, alors que, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 54 de ses conclusions, rien dans l’exposé des faits en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 janvier 2001, Liikenne (C‑172/99, EU:C:2001:59), n’indique que tel était le cas dans cette affaire.

34 Il ressort d’ailleurs des indications fournies par la juridiction de renvoi, résumées au point 16 du présent arrêt, que, compte tenu des normes techniques et environnementales imposées par le pouvoir adjudicateur, l’entreprise précédemment titulaire du marché de services de transport public en cause au principal aurait elle-même été contrainte, si elle avait soumissionné pour ce marché et se l’était vu attribuer, de procéder, dans un futur proche, au remplacement de ses moyens d’exploitation.

35 Dans ce contexte, l’absence de transfert des moyens d’exploitation, en ce qu’elle résulte de contraintes juridiques, environnementales ou techniques ne fait donc pas nécessairement obstacle à la qualification de la reprise de l’activité concernée de « transfert d’entreprise », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23.

36 Il appartient, en conséquence, à la juridiction de renvoi de déterminer si d’autres circonstances de fait parmi celles mentionnées aux points 24 à 26 du présent arrêt permettent de conclure au maintien de l’identité de l’entité concernée et, partant, à l’existence d’un transfert d’entreprise.

37 À cet égard, il y a lieu d’indiquer, en premier lieu, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 40 de ses conclusions, qu’il ressort de la décision de renvoi que le nouvel opérateur fournit un service de transport par autobus, pour l’essentiel analogue à celui qui était fourni par l’entreprise précédente, lequel n’a pas été interrompu et a probablement été exploité en grande partie sur les mêmes lignes et pour les mêmes passagers.

38 En second lieu, la juridiction de renvoi souligne que la présence de conducteurs d’autobus expérimentés, dans une région rurale telle que l’arrondissement d’Oberspreewald-Lausitz, est cruciale aux fins d’assurer la qualité du service de transport public concerné. Elle relève notamment que ceux-ci doivent avoir une connaissance suffisante des itinéraires, des horaires de la zone desservie et des conditions tarifaires ainsi que des autres lignes d’autobus régionales, des lignes de transport
ferroviaire et des correspondances existantes, afin de pouvoir assurer non seulement la vente des titres de transport, mais également de fournir aux passagers les informations nécessaires à la réalisation du trajet envisagé.

39 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, dans la mesure où une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique, une telle entité est susceptible de maintenir son identité par-delà son transfert, quand le nouveau chef d’entreprise ne se contente pas de poursuivre l’activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétence, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à
cette tâche. En effet, dans cette hypothèse, le nouveau chef d’entreprise acquiert l’ensemble organisé d’éléments qui lui permettra la poursuite des activités ou de certaines activités de l’entreprise cédante de manière stable (arrêt du 20 janvier 2011, CLECE, C‑463/09, EU:C:2011:24, point 36 et jurisprudence citée).

40 Ainsi, dans l’affaire au principal, dans la mesure où, comme il a été relevé aux points 32 et 35 du présent arrêt, l’absence de reprise des moyens d’exploitation nécessaires à la poursuite de l’activité économique ne fait pas nécessairement obstacle au maintien de l’identité de l’entité en cause au principal, la reprise de l’essentiel des conducteurs doit être considérée comme une circonstance de fait à prendre en considération afin de qualifier l’opération concernée de transfert d’entreprise. À
cet égard, il ressort des faits en cause au principal que le personnel repris par le nouvel exploitant est affecté à des tâches identiques ou similaires et dispose de qualifications et de compétences spécifiques indispensables à la poursuite, sans interruption, de l’activité économique concernée.

41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une reprise, par une entité économique, d’une activité dont l’exercice exige des moyens d’exploitation importants, selon une procédure de passation d’un marché public, l’absence de reprise, par celle-ci, de ces moyens, propriétés de l’entité économique exerçant précédemment cette activité,
en raison de contraintes juridiques, environnementales et techniques imposées par le pouvoir adjudicateur, ne saurait nécessairement faire obstacle à la qualification de cette reprise d’activité de transfert d’entreprise, dès lors que d’autres circonstances de fait, telles que la reprise de l’essentiel des effectifs et la poursuite, sans interruption, de ladite activité, permettent de caractériser le maintien de l’identité de l’entité économique concernée, ce qu’il appartient à la juridiction de
renvoi d’apprécier.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une reprise, par une entité économique, d’une activité dont l’exercice exige des moyens d’exploitation importants, selon une procédure de passation
  d’un marché public, l’absence de reprise, par celle-ci, de ces moyens, propriétés de l’entité économique exerçant précédemment cette activité, en raison de contraintes juridiques, environnementales et techniques imposées par le pouvoir adjudicateur, ne saurait nécessairement faire obstacle à la qualification de cette reprise d’activité de transfert d’entreprise, dès lors que d’autres circonstances de fait, telles que la reprise de l’essentiel des effectifs et la poursuite, sans interruption, de
ladite activité, permettent de caractériser le maintien de l’identité de l’entité économique concernée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-298/18
Date de la décision : 27/02/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Arbeitsgericht Cottbus - Kammern Senftenberg.

Renvoi préjudiciel – Directive 2001/23/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Transfert d’entreprise – Maintien des droits des travailleurs – Exploitation de lignes d’autobus – Reprise du personnel – Absence de reprise des moyens d’exploitation – Motifs.

Politique sociale

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Reiner Grafe et Jürgen Pohle
Défendeurs : Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH et OSL Bus GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Piçarra

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:121

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