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12/12/2019 | CJUE | N°C-380/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid contre E.P., 12/12/2019, C-380/18


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Règlement (UE) 2016/399 – Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) – Article 6 – Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers – Notion de “menace pour l’ordre public” – Décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier »

Dans l’affaire C‑380/18,

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t pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 décembre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Règlement (UE) 2016/399 – Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) – Article 6 – Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers – Notion de “menace pour l’ordre public” – Décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier »

Dans l’affaire C‑380/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 6 juin 2018, parvenue à la Cour le 11 juin 2018, dans la procédure

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

E.P.

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente de la Cour, MM. M. Safjan, L. Bay Larsen (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mai 2019,

considérant les observations présentées :

– pour E.P., par Me Š. Petković, advocaat,

– pour le gouvernement néerlandais, par M. J. M. Hoogveld ainsi que par Mmes M. A. M. de Ree, M. L. Noort et M. K. Bulterman, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement belge, par Mmes C. Van Lul et C. Pochet ainsi que par M. P. Cottin, en qualité d’agents, assistés de Me C. Decordier, avocate, et de Me T. Bricout, advocaat,

– pour le gouvernement allemand, initialement par MM. T. Henze et R. Kanitz, puis par M. R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement suisse, par M. S. Lauper, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. G. Wils et J. Tomkin ainsi que par Mme C. Cattabriga, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1, ci-après le « code frontières Schengen »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas, ci-après le « secrétaire d’État ») à E.P. au sujet de la légalité d’une décision ordonnant à celui-ci de quitter le territoire de l’Union européenne.

Le cadre juridique

La convention d’application de l’accord de Schengen

3 L’article 5, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 (JO 2000, L 239, p. 19, ci-après la « convention d’application de l’accord de Schengen »), prévoyait :

« Pour un séjour n’excédant pas trois mois, l’entrée sur les territoires des Parties Contractantes peut être accordée à l’étranger qui remplit les conditions ci-après :

a) posséder un document ou des documents valables permettant le franchissement de la frontière, déterminés par le Comité Exécutif ;

[...]

c) présenter le cas échéant les documents justifiant de l’objet et des conditions du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants [...] ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;

d) ne pas être signalé aux fins de non-admission ;

e) ne pas être considéré comme pouvant compromettre l’ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationales de l’une des Parties Contractantes. »

4 L’article 20, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen, telle que modifiée par le règlement (UE) no 610/2013, du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1), dispose :

« Les étrangers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Parties Contractantes pendant une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e). »

La directive 2004/38/CE

5 L’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et
JO 2005, L 197, p. 34), énonce :

« Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.

Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. »

Le règlement (CE) no 1987/2006

6 L’article 24, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) no 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (JO 2006, L 381, p. 4), précise :

« 1.   Les données relatives aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’un signalement aux fins de non-admission ou d’interdiction de séjour sont introduites sur la base d’un signalement national résultant d’une décision prise par les autorités administratives ou juridictions compétentes dans le respect des règles de procédure prévues par la législation nationale, sur la base d’une évaluation individuelle. Les recours contre cette décision sont formés conformément à la législation
nationale.

2.   Un signalement est introduit lorsque la décision visée au paragraphe 1 est fondée sur la menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ou pour la sécurité nationale que peut constituer la présence d’un ressortissant d’un pays tiers sur le territoire d’un État membre. Tel peut être notamment le cas :

a) d’un ressortissant d’un pays tiers qui a été condamné dans un État membre pour une infraction passible d’une peine privative de liberté d’au moins un an ;

b) d’un ressortissant d’un pays tiers à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de croire qu’il a commis un fait punissable grave, ou à l’égard duquel il existe des indices réels qu’il envisage de commettre un tel fait sur le territoire d’un État membre. »

La directive 2008/115/CE

7 L’article 3 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2) “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du règlement [(CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1)], ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet
État membre ;

[...] »

8 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5. »

Le code des visas

9 L’article 21, paragraphe 1, du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas (code des visas) (JO 2009, L 243, p. 1, ci-après le « code des visas »), énonce :

« Lors de l’examen d’une demande de visa uniforme, le respect par le demandeur des conditions d’entrée énoncées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du règlement [no 562/2006] est vérifié et une attention particulière est accordée à l’évaluation du risque d’immigration illégale ou du risque pour la sécurité des États membres que présenterait le demandeur ainsi qu’à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d’expiration du visa demandé. »

Le code frontières Schengen

10 Les considérants 6 et 27 du code frontières Schengen sont ainsi rédigés :

« (6) Le contrôle aux frontières n’existe pas seulement dans l’intérêt de l’État membre aux frontières extérieures duquel il s’exerce, mais dans l’intérêt de l’ensemble des États membres ayant aboli le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures. Le contrôle aux frontières devrait contribuer à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations
internationales des États membres.

[...]

(27) Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, toute dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes doit être interprétée de manière restrictive et la notion d’ordre public suppose l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société. »

11 L’article 2 de ce code prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

5) “personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union” :

a) les citoyens de l’Union, au sens de l’article 20, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que les ressortissants de pays tiers membres de la famille d’un citoyen de l’Union exerçant son droit à la libre circulation, auxquels s’applique la directive [2004/38] ;

b) les ressortissants de pays tiers et les membres de leur famille, quelle que soit leur nationalité, qui, en vertu d’accords conclus entre l’Union et ses États membres, d’une part, et ces pays tiers, d’autre part, jouissent de droits en matière de libre circulation équivalents à ceux des citoyens de l’Union ;

[...] »

12 L’article 6, paragraphe 1, dudit code dispose :

« Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

[...]

d) ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [système d’information Schengen (SIS)] ;

e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. »

13 L’article 8, paragraphe 2, troisième alinéa, du même code prévoit :

« Lorsqu’ils effectuent des vérifications minimales sur des personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, les gardes-frontières peuvent toutefois, d’une manière non systématique, consulter les bases de données nationales et européennes afin de s’assurer que ces personnes ne représentent pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité intérieure, l’ordre public ou les relations internationales des États membres, ou une menace pour la santé
publique. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Alors qu’il se trouvait aux Pays-Bas au titre d’un court séjour pour lequel il bénéficiait d’une exemption de l’obligation de visa, E.P., ressortissant d’un pays tiers, a été soupçonné d’avoir commis une infraction à la législation pénale néerlandaise relative aux stupéfiants.

15 Par décision du 19 mai 2016, le secrétaire d’État a ordonné à E.P. de quitter le territoire de l’Union, au motif qu’il ne remplissait plus la condition énoncée à l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen, en tant qu’il représentait une menace pour l’ordre public.

16 E.P. a formé un recours contre cette décision devant le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas).

17 Par un jugement du 13 septembre 2016, cette juridiction a accueilli le recours et a annulé la décision du secrétaire d’État.

18 Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement.

19 Au regard notamment de la nature de la décision prise à l’encontre d’E.P., de la complexité des appréciations que le secrétaire d’État était appelé à porter pour adopter une telle décision et de la circonstance qu’E.P. se trouvait sur le territoire d’un État membre le jour où celle-ci a été adoptée, la juridiction de renvoi se demande si le constat d’une menace pour l’ordre public, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen, supposait d’établir que le comportement
personnel d’E.P. représentait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société.

20 Elle estime que, en l’état, la jurisprudence de la Cour, résultant des arrêts du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862), du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377), du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413), du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), ainsi que du 4 avril 2017, Fahimian (C‑544/15, EU:C:2017:255), ne permet pas d’apporter une réponse univoque à cette question.

21 Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 6, paragraphe 1, sous e), du [code frontières Schengen] doit-il être interprété en ce sens que la décision selon laquelle le séjour régulier d’une durée n’excédant pas 90 jours sur une période de 180 jours a pris fin parce que l’étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public doit être motivée par le fait que le comportement personnel de l’étranger concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux
de la société ?

2) S’il convient de répondre à la première question par la négative, quelles sont les conditions de motivation qui s’appliquent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du [code frontières Schengen], à la décision qu’un étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public ?

L’article 6, paragraphe 1, sous e), du [code frontières Schengen] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle un étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public pour la seule raison qu’il est constant que cet étranger est soupçonné d’avoir perpétré une infraction ? »

Sur les questions préjudicielles

22 Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes peuvent adopter une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers non soumis à l’obligation de visa, présent sur le territoire des États membres pour un court séjour, en raison du fait
que celui-ci est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, parce qu’il est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale.

23 Il résulte de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen que, parmi les conditions d’entrée pour un court séjour sur le territoire des États membres, figure l’exigence de ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres.

24 Si cette disposition présente cette exigence comme une condition d’entrée sur le territoire des États membres, il convient de constater que, à la suite de l’entrée sur ce territoire, la régularité du séjour sur ledit territoire demeure également subordonnée au respect de ladite exigence.

25 En effet, d’une part, l’article 20, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen prévoit que les ressortissants de pays tiers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur le territoire des États membres pendant la période que cette disposition définit, pour autant que ces ressortissants de pays tiers remplissent les conditions d’entrée visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et c) à e), de cette convention.

26 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, du code frontières Schengen a remplacé l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 562/2006, qui s’était lui-même substitué à l’article 5, paragraphe 1, de la convention d’application de l’accord de Schengen. Ainsi, l’article 20, paragraphe 1, de cette convention doit être compris comme renvoyant désormais à l’article 6, paragraphe 1, du code frontière Schengen.

27 D’autre part, il ressort de l’article 3, point 2, de la directive 2008/115 qu’un ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du règlement no 562/2006, désormais remplacé par l’article 6 du code frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence, se trouve, de ce fait, en séjour irrégulier sur ce territoire (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C‑47/15,
EU:C:2016:408, point 59).

28 Dans ces conditions, étant donné que l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres prennent, en principe, une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, il y a lieu de considérer qu’un État membre peut adopter une telle décision à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers non soumis à l’obligation de visa présent sur le territoire des États membres pour un court séjour lorsque celui-ci constitue
une menace pour l’ordre public, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen.

29 Dans ce contexte, en vue de déterminer la portée de la notion de « menace pour l’ordre public » figurant à cette dernière disposition, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un citoyen de l’Union ayant fait usage de son droit à la libre circulation et certains membres de sa famille ne peuvent être considérés comme représentant une menace pour l’ordre public que si leur comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave,
affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, points 66 et 67, ainsi que du 10 juillet 2008, Jipa, C‑33/07, EU:C:2008:396, points 23 et 24).

30 La notion de « menace pour l’ordre public » a, par la suite, été interprétée de la même façon dans le contexte de plusieurs directives régissant la situation de ressortissants de pays tiers ne faisant pas partie de la famille d’un citoyen de l’Union (voir arrêts du 11 juin 2015, Zh. et O., C‑554/13, EU:C:2015:377, point 60 ; du 24 juin 2015, T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 79, et du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 67).

31 Pour autant, toute référence, par le législateur de l’Union, à la notion de « menace pour l’ordre public » ne doit pas nécessairement être comprise comme renvoyant de manière exclusive à un comportement individuel représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre concerné.

32 Ainsi, en ce qui concerne la notion voisine de « menace pour la sécurité publique », la Cour a jugé que, dans le contexte de la directive 2004/114/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, relative aux conditions d’admission des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, d’échange d’élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat (JO 2004, L 375, p. 12), cette notion doit être interprétée plus largement qu’elle ne l’est dans la jurisprudence relative aux personnes jouissant du droit à la
libre circulation et que ladite notion peut notamment couvrir des menaces potentielles à la sécurité publique (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Fahimian, C‑544/15, EU:C:2017:255, point 40).

33 Il apparaît donc nécessaire, en vue de préciser la portée de la notion de « menace pour l’ordre public », au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen, de tenir compte des termes de cette disposition, de son contexte et des objectifs poursuivis par la législation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2015, T., C‑373/13, EU:C:2015:413, point 58, et du 4 avril 2017, Fahimian, C‑544/15, EU:C:2017:255, point 30).

34 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 6, paragraphe 1, sous e), de ce code, il convient de faire observer que, à la différence, notamment, de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il n’exige pas expressément que le comportement de la personne concernée représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, pour que cette personne puisse être considérée comme constituant une menace pour l’ordre public.

35 Cette appréciation est corroborée, en deuxième lieu, par le contexte dans lequel se place l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen.

36 À cet égard, il importe, tout d’abord, de relever que cette disposition entretient également un lien étroit avec le code des visas, dès lors que le respect de la condition d’entrée qu’elle énonce doit, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de ce code, être vérifié avant la délivrance d’un visa uniforme.

37 Partant, la large marge d’appréciation reconnue par la Cour aux autorités compétentes des États membres lors de la vérification du respect des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance d’un visa uniforme doit logiquement, compte tenu de la complexité d’un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Koushkaki, C‑84/12, EU:C:2013:862, points 56 à 60), être reconnue à ces autorités également lorsque celles-ci déterminent si un ressortissant d’un pays tiers constitue une menace
pour l’ordre public, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen.

38 Ensuite, s’il est vrai que le considérant 27 et l’article 8, paragraphe 2, troisième alinéa, de ce code se réfèrent expressément à la situation dans laquelle une personne représente « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave » pour l’ordre public, ces références visent seulement la situation de personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, au sens de l’article 2, point 5, dudit code.

39 Dans ces conditions, si le législateur de l’Union avait également entendu subordonner l’application de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen à l’existence d’une telle situation, il aurait logiquement formulé cette disposition de la même manière que l’article 8, paragraphe 2, troisième alinéa, de ce code.

40 Enfin, l’article 6, paragraphe 1, sous d), du code frontières Schengen prévoit que l’exigence de ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le SIS constitue également une condition d’entrée pour un court séjour sur le territoire des États membres.

41 Or, il ressort de l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1987/2006 qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a été condamné pour une infraction passible d’une peine privative de liberté d’au moins un an ou à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de croire qu’il a commis un fait punissable grave peut être signalé aux fins de non-admission dans le SIS en tant qu’il constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique.

42 Il s’ensuit que la notion de « menace pour l’ordre public ou la sécurité publique », au sens de cette disposition, diffère donc sensiblement de celle visée au point 27 du présent arrêt (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C‑503/03, EU:C:2006:74, point 48).

43 Dans ce contexte, considérer que la notion de « menace pour l’ordre public », au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen, serait plus restreinte que celle dont dépend l’application de l’article 6, paragraphe 1, sous d), de ce code introduirait une incohérence dans ledit code.

44 En ce qui concerne, en troisième lieu, les objectifs du code frontières Schengen, il ressort du considérant 6 de ce code que le contrôle aux frontières devrait contribuer à la prévention de « toute menace » pour l’ordre public.

45 Partant, il apparaît, d’une part, que la préservation de l’ordre public constitue, en tant que telle, l’un des objectifs poursuivis par ledit code, et, d’autre part, que le législateur de l’Union a entendu lutter contre l’ensemble des menaces pour l’ordre public.

46 Au vu de l’ensemble de ces considérations, l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen ne saurait être interprété comme s’opposant, par principe, à une pratique nationale en vertu de laquelle une décision de retour est adoptée à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers non soumis à l’obligation de visa, présent sur le territoire des États membres pour un court séjour, dès lors que celui-ci est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale, sans avoir établi que le
comportement de celui-ci représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre concerné.

47 Cela étant, une telle pratique nationale doit être conforme au principe de proportionnalité, lequel constitue un principe général du droit de l’Union, et ne doit donc notamment pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger l’ordre public (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 2019, Lavorgna, C‑309/18, EU:C:2019:350, point 24 ; du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 68, ainsi que du 9 juillet 2015, K et A, C‑153/14, EU:C:2015:453, point 51).

48 Il s’ensuit, d’une part, que l’infraction que le ressortissant d’un pays tiers en cause est soupçonné d’avoir commise doit être d’une gravité suffisante, au regard de sa nature et de la peine encourue, pour justifier qu’il soit mis fin immédiatement au séjour de ce ressortissant sur le territoire des États membres.

49 D’autre part, en l’absence de condamnation, les autorités compétentes ne peuvent se prévaloir d’une menace pour l’ordre public qu’en présence d’éléments concordants, objectifs et précis, permettant de soupçonner ledit ressortissant d’avoir commis une telle infraction.

50 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la pratique nationale en cause au principal satisfait à ces exigences.

51 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une pratique nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes peuvent adopter une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers non soumis à l’obligation de visa, présent sur le territoire des États membres pour un court séjour, en raison du fait que
celui-ci est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, parce qu’il est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale, pour autant que cette pratique ne trouve à s’appliquer que si, d’une part, cette infraction présente une gravité suffisante, au regard de sa nature et de la peine encourue, pour justifier qu’il soit mis fin immédiatement au séjour de ce ressortissant sur le territoire des États membres et, d’autre part, ces autorités disposent d’éléments concordants, objectifs
et précis pour étayer leurs soupçons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, sous e), du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une pratique nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes peuvent adopter une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers non soumis à l’obligation de visa, présent sur
  le territoire des États membres pour un court séjour, en raison du fait que celui-ci est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, parce qu’il est soupçonné d’avoir commis une infraction pénale, pour autant que cette pratique ne trouve à s’appliquer que si, d’une part, cette infraction présente une gravité suffisante, au regard de sa nature et de la peine encourue, pour justifier qu’il soit mis fin immédiatement au séjour de ce ressortissant sur le territoire des États membres
et, d’autre part, ces autorités disposent d’éléments concordants, objectifs et précis pour étayer leurs soupçons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-380/18
Date de la décision : 12/12/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Raad van State (Pays-Bas).

Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Règlement (UE) 2016/399 – Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) – Article 6 – Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers – Notion de “menace pour l’ordre public” – Décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier.

Contrôles aux frontières

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid
Défendeurs : E.P.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:1071

Source

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