ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
16 octobre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 21, paragraphe 5, troisième alinéa – Exonération des petits producteurs d’électricité, subordonnée à la taxation de l’électricité produite – Absence, pendant une période transitoire autorisée, d’une taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Obligation d’exonération des produits énergétiques et de l’électricité utilisés pour produire de
l’électricité »
Dans l’affaire C‑270/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 13 avril 2018, parvenue à la Cour le 19 avril 2018, dans la procédure
UPM France SAS
contre
Premier ministre,
Ministre de l’Action et des Comptes publics,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. I. Jarukaitis, E. Juhász, M. Ilešič et C. Lycourgos, juges,
avocat général : Mme E. Sharpston,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2019,
considérant les observations présentées :
– pour UPM France SAS, par Me G. de Cordes, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et A. Alidière, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González et Mme V. Ester Casas, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et C. Perrin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 23 mai 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous a), et de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UPM France SAS (ci-après « UPM ») au Premier ministre et au ministre de l’Action et des Comptes publics au sujet de la taxation de livraisons de gaz naturel destiné à la cogénération de chaleur et d’électricité.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 2 à 5, 24 et 25 de la directive 2003/96 énoncent :
« (2) L’absence de dispositions communautaires soumettant à une taxation minimale l’électricité et les produits énergétiques autres que les huiles minérales peut être préjudiciable au bon fonctionnement du marché intérieur.
(3) Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.
(4) D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.
(5) La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.
[...]
(24) Il y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer certaines autres exonérations ou des niveaux réduits de taxation, lorsque cela ne nuit pas au bon fonctionnement du marché intérieur et n’entraîne pas de distorsions de concurrence.
(25) En particulier, la production combinée de chaleur et d’énergie et, afin de promouvoir l’utilisation de sources d’énergie de substitution, les énergies renouvelables peuvent bénéficier d’un traitement privilégié. »
4 L’article 1er de cette directive prévoit que les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à celle-ci.
5 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive :
« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1),] concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces
exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :
a) les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité. Toutefois, les États membres peuvent taxer ces produits pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement et sans avoir à respecter les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive. Dans ce cas, la taxation de ces produits n’entre pas en ligne de compte dans le niveau minimum de taxation de
l’électricité visé à l’article 10 ».
6 L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la même directive dispose :
« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation :
[...]
c) aux produits énergétiques et à l’électricité utilisés pour la production combinée de chaleur et d’énergie ».
7 L’article 18 de la directive 2003/96 institue des régimes transitoires spécifiques pour certains États membres. En ce qui concerne la République française, l’article 18, paragraphe 10, de cette directive dispose :
« La République française peut appliquer des exonérations totales ou partielles ou des réductions pour les produits énergétiques et l’électricité utilisés par l’État, les autorités régionales et locales ou les autres organismes de droit public pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques jusqu’au 1er janvier 2009.
La République française peut appliquer une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 2009 pour adapter son système actuel de taxation de l’électricité aux dispositions prévues dans la présente directive. Jusqu’à cette date, la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l’électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive. »
8 Aux termes de l’article 21 de ladite directive :
« 1. Outre les dispositions générales définissant le fait générateur et les dispositions relatives au paiement figurant dans la directive [92/12], le montant de la taxe sur les produits énergétiques est également dû lorsque survient un des faits générateurs visés à l’article 2, paragraphe 3, de la présente directive.
[...]
5. [...]
Une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, point a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité.
[...] »
9 L’article 28 de la directive 2003/96 prévoit que les États membres appliquent les dispositions de celle-ci à compter du 1er janvier 2004, à l’exception des dispositions de l’article 16 et de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, que les États membres peuvent appliquer à partir du 1er janvier 2003.
Le droit français
10 L’article 266 quinquies, paragraphe 1, du code des douanes, dans sa version applicable du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, disposait :
« Le gaz naturel [...] est soumis à une taxe intérieure de consommation lors de sa livraison à l’utilisateur final. »
11 L’article 266 quinquies, paragraphe 3, du code des douanes, dans sa version applicable du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2006, prévoyait :
« [...]
Sont également exonérées les livraisons de gaz destiné à être utilisé :
[...]
c) Comme combustible pour la production d’électricité, à compter du 1er janvier 2006 et à l’exclusion des livraisons de gaz destiné à être utilisé dans les installations visées à l’article 266 quinquies A. »
12 L’article 266 quinquies A du code des douanes, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2006, était libellé comme suit :
« Les livraisons de gaz naturel et d’huiles minérales destinés à être utilisés dans des installations de cogénération, pour la production combinée de chaleur et d’électricité ou de chaleur et d’énergie mécanique, sont exonérées des taxes intérieures de consommation prévues aux articles 265 et 266 quinquies pendant une durée de cinq années à compter de la mise en service des installations. [...]
Cette exonération s’applique aux installations mises en service, au plus tard, le 31 décembre 2007. [...]
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 UPM exploite, pour les besoins de son activité de fabrication de papier, une installation de cogénération de chaleur et d’électricité, pour laquelle elle utilise du gaz naturel comme combustible.
14 Le gaz naturel livré à UPM entre le 1er janvier 2004 et le 1er avril 2008 a été soumis, par l’intermédiaire de son fournisseur qui en a acquitté le montant, à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel (ci-après la « TICGN »), prévue à l’article 266 quinquies du code des douanes.
15 Estimant que la fraction de ces livraisons consommée pour produire de l’électricité aurait dû être exonérée de cette taxe en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, UPM a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (France) d’une demande tendant au remboursement de la taxe ainsi supportée ainsi qu’à l’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait du retard de la République française à transposer cette directive.
16 Par jugement du 17 juillet 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer à concurrence des sommes remboursées au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 mars 2008, a rejeté le surplus des demandes d’UPM. Par arrêt du 15 mars 2016, la cour administrative d’appel de Versailles (France) a rejeté l’appel interjeté par UPM, au motif que le gaz naturel utilisé par cette société relevait exclusivement de l’article 15 de ladite directive, et
non de l’article 14 de la même directive, et que le régime de taxation de ce gaz naturel n’était pas dissociable selon qu’il était destiné à la production de chaleur ou à la production d’électricité.
17 Le 17 mai 2016, UPM a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, le Conseil d’État (France).
18 Cette juridiction relève que le moyen soulevé par UPM est fondé sur l’arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union (C‑31/17, EU:C:2018:168), dans lequel la Cour a considéré que l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que l’exonération obligatoire prévue à cette disposition s’applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée de celle-ci et de chaleur, au sens de
l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive.
19 Toutefois, la juridiction de renvoi indique que le ministre de l’Action et des Comptes publics, partie défenderesse au principal, soutient que, à supposer même que l’article 15 de la directive 2003/96 ne soit pas la seule disposition applicable à la situation d’UPM, la taxation dont celle-ci a fait l’objet est conforme aux objectifs de cette directive, dès lors que l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive doit être lu à la lumière de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa,
de celle-ci, duquel il résulte que l’exonération du gaz naturel utilisé pour produire de l’électricité est subordonnée à la taxation de l’électricité produite, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
20 La juridiction de renvoi indique que, en vertu de l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96, la République française bénéficiait, jusqu’au 1er janvier 2009, d’une période transitoire pour adapter son système de taxation de l’électricité avant d’instaurer l’accise harmonisée. Ce ne serait cependant qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi no 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (JORF du 8 décembre 2010, p. 21467)
qu’une taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité aurait été instaurée.
21 Ainsi, la République française n’aurait pas prévu de taxation nationale de l’électricité pendant la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 en cause dans le litige au principal. Seule la contribution au service public de l’électricité ainsi que des taxes locales, alors assises sur le montant hors taxe de la facture d’électricité, auraient frappé la consommation d’électricité. Toutefois, les entités produisant de l’électricité pour leur propre usage étaient exonérées de la taxation locale
de l’électricité.
22 Par conséquent, selon la juridiction de renvoi, il convient de déterminer si l’exonération dont les États membres sont autorisés à faire bénéficier les petits producteurs d’électricité, en vertu de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96, peut résulter, comme le prétend le ministre de l’Action et des Comptes publics, d’une situation, telle que celle existant pour la période antérieure au 1er janvier 2011, pendant laquelle la République française n’avait pas encore
instauré la taxation intérieure sur la consommation finale d’électricité ni, par voie de conséquence, d’exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs. Le cas échéant, il conviendrait, également, de déterminer comment doivent être combinées entre elles les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 et de l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de celle-ci, notamment afin de savoir si elles impliquent une taxation minimale résultant de la
taxation de l’électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit d’une exonération de taxe sur la production d’électricité, l’État membre étant alors tenu de taxer le gaz naturel utilisé.
23 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions de [l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96] doivent-elles être interprétées en ce sens que l’exonération dont elles autorisent les États membres à faire bénéficier les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, peut résulter d’une situation, telle que celle [en cause au principal] pour la période antérieure au 1er janvier 2011, pendant laquelle la [République
française], comme l’y autorisait [cette] directive, n’avait pas encore instauré la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité ni, par voie de conséquence, d’exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs ?
2) En cas de réponse positive à la première question, comment les dispositions de [l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite] directive et celles de [l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de celle-ci] pour les petits producteurs qui consomment l’électricité qu’ils produisent pour les besoins de leur activité doivent-elles être combinées ? Notamment, impliquent-elles une taxation minimale résultant de la taxation de l’électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit
d’une exonération de taxe sur la production d’électricité, l’État membre étant tenu de taxer le gaz naturel utilisé ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
24 Le gouvernement français conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, dès lors que la réponse aux questions posées ne serait pas nécessaire à la solution effective de l’affaire au principal.
25 Selon ce gouvernement, pendant la période transitoire dont la République française bénéficiait pour adapter son régime de taxation de l’électricité en vertu de l’article 18, paragraphe 10, de la directive 2003/96, cet État membre pouvait maintenir son système de taxation national de l’électricité, étant donné qu’il respectait les taux minima d’imposition fixés par cette directive.
26 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la
Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 et jurisprudence citée).
27 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27 et jurisprudence citée).
28 En l’espèce, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi a été saisie d’un pourvoi contre une décision ayant rejeté la demande d’UPM visant à obtenir le remboursement de la TICGN prévue à l’article 266 quinquies du code des douanes, cette société estimant que la fraction du gaz naturel consommé pour produire de l’électricité aurait dû être exonérée de cette taxe, conformément à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96.
29 Dans ces conditions, il n’apparaît pas que les questions préjudicielles, dès lors qu’elles concernent l’interprétation de dispositions du droit de l’Union dans le contexte d’un litige pendant devant la juridiction de renvoi, soient manifestement dépourvues de pertinence.
30 Il est sans incidence, à cet égard, que la République française ait bénéficié, en vertu de l’article 18, paragraphe 10, de la directive 2003/96, d’une période transitoire pour adapter son système de taxation de l’électricité aux dispositions de cette directive, ces considérations se rapportant au fond des réponses à apporter aux questions posées et non à leur recevabilité.
31 En conséquence, il convient de considérer que ces questions sont recevables.
Sur la première question
32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que l’exonération que prévoit cette disposition pour les petits producteurs d’électricité, pour autant que, par dérogation à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité soient taxés, pouvait être appliquée par la République
française durant la période transitoire qui lui a été accordée, conformément à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de ladite directive, jusqu’au 1er janvier 2009 et pendant laquelle cet État membre n’a pas instauré le système de taxation de l’électricité prévu par la même directive.
33 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, entre le 1er janvier 2004 et le 1er avril 2008, UPM a été soumise à la TICGN pour le gaz naturel qu’elle a utilisé en vue de produire de l’électricité. Il est constant, par ailleurs, que l’électricité ainsi produite étant utilisée pour son propre usage, celle-ci échappait aux taxes locales sur l’électricité.
34 Le gouvernement français prétend que lorsque l’électricité produite a, dans les faits, été exonérée, les produits énergétiques destinés à la production de cette électricité doivent être taxés. En effet, la directive 2003/96 impliquerait, en elle-même, une taxation minimale résultant soit de la taxation de l’électricité produite avec exonération des produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, soit de la taxation minimale des produits énergétiques utilisés pour produire
l’électricité lorsque cette dernière est exonérée.
35 C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi cherche à savoir si la taxation du gaz naturel utilisé par la requérante au principal afin de produire de l’électricité, alors que la République française n’avait instauré ni la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, visée au point 20 du présent arrêt, ni, par conséquent, d’exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs, est conforme à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive
2003/96.
36 Il convient de rappeler que la directive 2003/96 prévoit la mise en place d’une taxation harmonisée sur les produits énergétiques et l’électricité.
37 À cet égard, il ressort des finalités poursuivies par cette directive que celle-ci prévoit un régime de taxation harmonisé des produits énergétiques et de l’électricité visant, notamment, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 à 5 et 24, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie en évitant, notamment, les distorsions de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 29, et du 27 juin 2018, Turbogás,
C‑90/17, EU:C:2018:498, point 34).
38 À cette fin, s’agissant, en particulier, de l’électricité, le législateur de l’Union a fait le choix, ainsi qu’il ressort, notamment, de la page 5 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques (JO 1997, C 139, p. 14), d’imposer aux États membres, conformément à l’article 1er de la directive 2003/96, la taxation de l’électricité distribuée, les produits énergétiques utilisés pour la production de celle-ci
devant, corrélativement, être exonérés de la taxation, et cela dans le but d’éviter une double taxation de l’électricité (arrêts du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 30, et du 27 juin 2018, Turbogás, C‑90/17, EU:C:2018:498, point 35).
39 Ainsi, l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96 prévoit que les États membres sont tenus d’exonérer les produits énergétiques et l’électricité utilisés, notamment, pour produire de l’électricité. Conformément à l’article 21, paragraphe 5, premier alinéa, de cette directive, l’électricité et le gaz naturel employés pour produire de l’électricité sont alors soumis à la taxation au moment de leur fourniture par le distributeur ou le redistributeur.
40 L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de ladite directive prévoit cependant une exception à ces dispositions au profit des petits producteurs, les États membres pouvant exonérer l’électricité produite par ceux-ci, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité.
41 Ainsi, c’est par exception à ce principe de la taxation en aval de l’électricité que cet article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, donne aux États membres la faculté d’exonérer l’électricité produite par les petits producteurs et consommée pour leur propre usage, à condition qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité (arrêt du 27 juin 2018, Turbogás, C‑90/17, EU:C:2018:498, point 36).
42 La Cour a déjà jugé, au point 37 de l’arrêt du 27 juin 2018, Turbogás (C‑90/17, EU:C:2018:498), que les dispositions dudit article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, relatives aux petits producteurs, ont trait uniquement aux modalités selon lesquelles l’électricité est soumise au régime de taxation harmonisé instauré par la directive 2003/96 afin d’éviter, notamment, les frais administratifs afférents à la taxation dans cette circonstance particulière.
43 Or, la taxation du gaz naturel en cause au principal ne saurait être considérée comme découlant du régime de taxation dérogatoire prévu à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de cette directive pour les petits producteurs. En effet, la République française n’avait pas instauré le régime de taxation de l’électricité auquel cette disposition permet de déroger.
44 Conformément à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96, la République française bénéficiait, en effet, d’une période transitoire jusqu’au 1er janvier 2009 pour adapter son régime de taxation de l’électricité aux dispositions de cette directive.
45 Ainsi, jusqu’à cette date, le respect des niveaux minima de taxation prévus par la directive 2003/96 constituait, parmi les règles de taxation de l’électricité prévues par le droit de l’Union, la seule obligation qui s’imposait à la République française (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Messer France, C‑103/17, EU:C:2018:587, point 23).
46 La République française était donc libre de maintenir son système de taxation de l’électricité en place avant l’entrée en vigueur de la directive 2003/96.
47 Or, la Cour a déjà constaté, au point 31 de l’arrêt du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587), que pour la période en cause dans l’affaire au principal, la République française n’avait pas modifié son système de taxation de l’électricité pour créer une telle accise. Il ressort du dossier soumis à la Cour que celle-ci aurait été instaurée par la loi no 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, visée au point 20 du présent arrêt, qui a
créé la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité.
48 Comme la Cour l’a rappelé au point 42 du présent arrêt, l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive 2003/96 constituait uniquement une modalité d’application du régime de taxation harmonisée (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2018, Turbogás, C‑90/17, EU:C:2018:498, point 37). Dès lors, en ce qui concerne l’affaire au principal, la République française ne saurait se prévaloir d’une modalité d’application d’un régime qui n’avait pas été mis en place au moment des
faits afférents à cette affaire.
49 S’agissant de l’argument du gouvernement français relatif au régime transitoire prévu à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96, il y a lieu de rappeler que ce régime transitoire doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, par analogie, arrêts du 7 décembre 2006, Eurodental, C‑240/05, EU:C:2006:763, point 54, et du 27 février 2019, Grèce/Commission, C‑670/17 P, EU:C:2019:145, point 52). Or, il ressort du libellé de cette disposition que la période
transitoire y prévue ne vise que la possibilité, pour la République française d’adapter son système de taxation de l’électricité et non pas celui relatif à la taxation des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité.
50 Une telle lecture de l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96 est confirmée par le fait que le législateur de l’Union a explicitement visé de tels produits dans le cadre du régime transitoire prévu au premier alinéa de cet article 18, paragraphe 10, qui précise que la République française peut appliquer des exonérations totales ou partielles ou des réductions pour lesdits produits énergétiques et l’électricité utilisés par l’État, les autorités régionales et locales ou
les autres organismes de droit public.
51 Dès lors, durant la période transitoire visée à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de la directive 2003/96, les dispositions relatives à l’exonération des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité prévues par cette directive étaient pleinement applicables à la République française.
52 Or, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, lorsque le législateur de l’Union a entendu permettre aux États membres de déroger au régime d’exonération obligatoire instauré par la directive 2003/96, il l’a prévu de manière explicite, respectivement à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de cette directive, selon lequel ceux-ci peuvent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement, et à
l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de ladite directive, en vertu duquel les États membres qui exonèrent l’électricité produite par les petits producteurs d’électricité doivent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité (arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 27).
53 Il ressort ainsi de l’économie de la directive 2003/96 que, à l’exclusion de ces deux cas spécifiques, l’exonération obligatoire des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de cette directive s’impose aux États membres de manière inconditionnelle (arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 28).
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que l’exonération que prévoit cette disposition pour les petits producteurs d’électricité, pour autant que, par dérogation à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité soient taxés, ne pouvait
être appliquée par la République française durant la période transitoire qui lui était accordée, conformément à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de ladite directive, jusqu’au 1er janvier 2009 et pendant laquelle cet État membre n’a pas instauré le système de taxation de l’électricité prévu par la même directive.
Sur la seconde question
55 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de statuer sur la seconde question.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, seconde phrase, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doit être interprété en ce sens que l’exonération que prévoit cette disposition pour les petits producteurs d’électricité, pour autant que, par dérogation à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité
soient taxés, ne pouvait être appliquée par la République française durant la période transitoire qui lui était accordée, conformément à l’article 18, paragraphe 10, second alinéa, de ladite directive, jusqu’au 1er janvier 2009 et pendant laquelle cet État membre n’a pas instauré le système de taxation de l’électricité prévu par la même directive.
Regan
Jarukaitis
Juhász
Ilešič
Lycourgos
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 octobre 2019.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de la Vème chambre
E. Regan
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( *1 ) Langue de procédure : le français.