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03/10/2019 | CJUE | N°C-285/18

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure engagée par Kauno miesto savivaldybė et Kauno miesto savivaldybės administracija., 03/10/2019, C-285/18


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

3 octobre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 12, paragraphe 1 – Application dans le temps – Liberté des États membres quant au choix du mode de prestation de services – Limites – Marchés publics faisant l’objet d’une attribution dite “in house” – Opération interne – Chevauchement d’un marché public et d’une opération interne »

Dans l’affaire C‑285/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de

l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), par décision du 13 avril 2...

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

3 octobre 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 12, paragraphe 1 – Application dans le temps – Liberté des États membres quant au choix du mode de prestation de services – Limites – Marchés publics faisant l’objet d’une attribution dite “in house” – Opération interne – Chevauchement d’un marché public et d’une opération interne »

Dans l’affaire C‑285/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), par décision du 13 avril 2018, parvenue à la Cour le 25 avril 2018, dans la procédure engagée par

Kauno miesto savivaldybė,

Kauno miesto savivaldybės administracija,

en présence de :

UAB « Irgita »,

UAB « Kauno švara »,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. D. Šváby (rapporteur), S. Rodin et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Kauno miesto savivaldybės administracija, initialement par Mes L. Ziferman, advokatė, M. Dobilas et A. Mikočiūnienė, advokato padėjėjai, puis par Mes K. Kačerauskas, V. Vaitkutė Pavan advokatai, et A. Mikočiūnienė, advokato padėjėja,

– pour UAB « Irgita », par Me D. Pakėnas, advokatas,

– pour UAB « Kauno švara », par M. V. Masiulis, advokatas,

– pour le gouvernement lituanien, par M. K. Dieninis ainsi que par Mmes R. Butvydytė, J. Prasauskienė et R. Krasuckaitė, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. S. L. Kalėda et P. Ondrůšek ainsi que par Mme L. Haasbeek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), et de l’article 2 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), des articles 1er, 12 et 18 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et
abrogeant la directive 2004/18 (JO 2014, L 94, p. 65), des articles 18, 49, 56 et 106 TFUE, ainsi que de l’article 36 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été introduite dans le cadre d’une procédure engagée par la Kauno miesto savivaldybė (commune de la ville de Kaunas, Lituanie) (ci-après la « ville de Kaunas ») et la Kauno miesto savivaldybės administracija (administration communale de la ville de Kaunas, ci-après le « pouvoir adjudicateur ») au sujet de la conclusion, entre UAB « Kauno švara » et le pouvoir adjudicateur, d’un contrat de prestation de services.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 1, 2, 5, 7, 31 et 32 de la directive 2014/24 énoncent :

« (1) La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité [FUE], notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, des
dispositions devraient être élaborées pour coordonner les procédures nationales de passation de marchés afin de garantir que ces principes soient respectés en pratique et que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence.

(2) Les marchés publics jouent un rôle essentiel dans la stratégie Europe 2020, exposée dans la communication de la Commission du 3 mars 2010 intitulée “Europe 2020, une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive” [...], dans la mesure où ils constituent l’un des instruments fondés sur le marché à utiliser pour parvenir à une croissance intelligente, durable et inclusive, tout en garantissant l’utilisation optimale des fonds publics. À cette fin, les règles de passation des
marchés publics adoptées en application de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1)], ainsi que de la directive [2004/18] devraient être révisées et modernisées pour accroître l’efficacité de la dépense publique, en facilitant notamment la participation des petites et moyennes entreprises (PME)
aux marchés publics, et pour permettre aux acheteurs de mieux utiliser l’instrument des marchés publics au service d’objectifs sociétaux communs. Il est également nécessaire d’éclaircir certains concepts et notions fondamentaux afin de garantir la sécurité juridique et de prendre en compte certains aspects de la jurisprudence bien établie de la Cour.

[...]

(5) Il convient de rappeler que rien dans la présente directive ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux-mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public au sens de la présente directive. [...]

[...]

(7) Enfin, il convient de rappeler que la présente directive est sans préjudice de la liberté des autorités nationales, régionales et locales de définir, conformément au droit de l’Union, des services d’intérêt économique général, leur champ d’application et les caractéristiques des services à fournir, et notamment toute condition relative à leur qualité, afin d’assurer la poursuite de leurs objectifs de politique publique. La présente directive devrait également s’entendre sans préjudice de la
compétence des autorités nationales, régionales et locales de fournir, de faire exécuter et de financer des services d’intérêt économique général, conformément à l’article 14 [TFUE] et au protocole no 26 sur les services d’intérêt général annexé au traité [FUE] ou au traité [UE]. En outre, la présente directive ne concerne pas le financement des services d’intérêt économique général ni les systèmes d’aides accordées par les États membres, en particulier dans le domaine social, conformément aux
règles de l’Union [européenne] sur la concurrence.

[...]

(31) Il existe une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre entités appartenant au secteur public. La jurisprudence applicable de la [Cour] fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs. Il est dès lors nécessaire de préciser dans quels cas les marchés conclus au sein du secteur public ne sont pas soumis à
l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.

Ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la [Cour]. La seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles-mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics. L’application de ces règles ne devrait toutefois pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources,
ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.

Il convient de veiller à ce qu’aucune coopération public-public ainsi exclue n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés dans la mesure où cela place un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

(32) Les marchés publics attribués à des personnes morales contrôlées ne devraient pas être soumis à l’application des procédures prévues par la présente directive si le pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, à condition que la personne morale contrôlée consacre plus de 80 % de ses activités à l’exécution de missions qui lui ont été confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres
personnes morales contrôlées par ledit pouvoir adjudicateur, quel que soit le bénéficiaire de l’exécution du marché.

[...] »

4 L’article 1er de cette directive, qui s’intitule « Objet et champ d’application », dispose, à son paragraphe 4 :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit de l’Union, ce qu’ils entendent par services d’intérêt économique général, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État et les obligations spécifiques auxquelles ils devraient être soumis. De même, la présente directive n’a pas d’incidence sur le droit qu’ont les pouvoirs publics de décider si, comment et dans quelle
mesure ils souhaitent assumer eux-mêmes certaines fonctions publiques conformément à l’article 14 du traité [TFUE] et au protocole no 26. »

5 L’article 12 de ladite directive, qui se rapporte aux « [m]archés publics passés entre entités appartenant au secteur public », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Un marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ;

b) plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ; et

c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

[...] »

6 Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, intitulé « Principes de la passation de marchés » :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »

7 En vertu de son article 91, premier alinéa, la directive 2014/24 a abrogé la directive 2004/18 avec effet au 18 avril 2016.

Le droit lituanien

8 Selon l’article 10, paragraphe 5, du Lietuvos Respublikos viešųjų pirkimų įstatymas (loi lituanienne sur les marchés publics, ci-après la « loi sur les marchés publics »), dans sa version en vigueur du 1er janvier 2014 au 1er juillet 2017, une opération interne « ne p[ouvait] être lancée [...] qu’après autorisation de l’autorité des marchés publics ».

9 Dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2017, l’article 10 de la loi sur les marchés publics prévoit :

« 1.   Les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas aux opérations internes que le pouvoir adjudicateur réalise avec un autre pouvoir adjudicateur, lorsqu’il est satisfait à toutes les conditions suivantes :

1) Le pouvoir adjudicateur exerce sur l’autre pouvoir adjudicateur un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ou organes, exerce une influence déterminante sur ses objectifs stratégiques et sur ses décisions importantes, y compris les décisions en matière d’investissement à long terme, cession, bail, nantissement, hypothèque ; acquisition ou cession de participations dans d’autres entités économiques ; cession de la gestion d’une branche d’une autre entité. Ce contrôle peut
également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur.

2) Au cours des trois années précédentes, le pouvoir adjudicateur contrôlé a réalisé plus de 80 % de son chiffre d’affaires au moyen de contrats conclus avec le pouvoir organisateur qui le contrôle ou avec des personnes morales contrôlées par celui-ci et destinés à satisfaire ses (leurs) besoins ou à lui (leur) permettre d’exercer ses (leurs) fonctions. Si le pouvoir adjudicateur contrôlé exerce son activité depuis moins de trois ans, ses résultats doivent être estimés en fonction de son plan
d’activité.

3) Le capital du pouvoir adjudicateur contrôlé ne comporte pas de participation directe de capitaux privés.

2.   Une opération interne ne peut être conclue qu’à titre exceptionnel, lorsqu’il est satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 1 du présent article et que la passation d’un marché public ne permettrait pas de garantir la continuité, la bonne qualité et l’accessibilité du service.

[...]

5.   Les entreprises publiques, sociétés anonymes et sociétés à responsabilité limitée dans lesquelles l’État dispose de parts qui lui confèrent plus de la moitié des droits de vote à l’assemblée générale des actionnaires ne peuvent pas conclure d’opérations internes. »

10 L’article 4 du Lietuvos Respublikos konkurencijos istatymas (loi lituanienne sur la concurrence), du 23 mars 1999 (Žin., 1999, no 30-856, ci-après la « loi sur la concurrence »), dispose :

« 1.   Dans l’exécution des tâches qui leur sont confiées en matière de réglementation de l’activité économique en République de Lituanie, les administrations publiques doivent garantir la concurrence loyale et libre.

2.   Il est interdit aux administrations publiques d’adopter des actes ou autres décisions qui privilégient ou discriminent certains opérateurs économiques ou des groupes d’opérateurs économiques et qui entraînent ou peuvent entraîner des disparités des conditions de concurrence pour les opérateurs économiques concurrents sur le marché en cause, sauf lorsque des disparités des conditions de concurrence sont impossibles à éviter en respectant la législation. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Le 7 février 2014, le pouvoir adjudicateur a publié un avis de marché portant sur la prestation de services d’entretien et d’aménagement des plantations, des forêts et des parcs de la ville de Kaunas.

12 Ce marché, composé de trois parties, a été attribué dans son ensemble à Irgita et a notamment donné lieu à la signature, le 18 mars 2014, d’un contrat de prestation de services de fauchage pour une durée de trois ans, soit jusqu’au 18 mars 2017.

13 Ce contrat prévoyait le volume maximal des services qui pourraient être demandés à Irgita. Cependant, le pouvoir adjudicateur ne s’engageait pas à commander tous les services ni tout le volume des services prévus audit contrat. En outre, le pouvoir adjudicateur ne devait rémunérer Irgita que pour les services effectivement réalisés selon les tarifs prévus au même contrat.

14 Le 1er avril 2016, le pouvoir adjudicateur a sollicité l’autorisation de la Viešųjų pirkimų tarnyba (autorité des marchés publics, Lituanie) en vue de conclure avec Kauno švara une opération interne portant sur des services en substance analogues à ceux dont Irgita avait été chargée par contrat du 18 mars 2014.

15 Kauno švara, qui dispose de la personnalité juridique, est contrôlée par le pouvoir adjudicateur qui en détient la totalité du capital. En outre, elle a réalisé, en 2015, 90,07 % de son chiffre d’affaires en exerçant son activité au seul bénéfice du pouvoir adjudicateur.

16 Le 20 avril 2016, l’autorité des marchés publics a autorisé la conclusion d’un contrat entre Kauno švara et le pouvoir adjudicateur en vue de la fourniture des services concernés, tout en imposant à ce dernier d’évaluer, avant de conclure ledit contrat, la possibilité de se procurer ces services en organisant une procédure de marché public. En toute hypothèse, le pouvoir adjudicateur était tenu de se conformer à l’article 4, paragraphe 2, de la loi sur la concurrence.

17 Le 3 mai 2016, la ville de Kaunas a décidé de conclure un contrat de prestation de services de fauchage avec Kauno švara et a fixé les tarifs des services à réaliser (ci-après la « décision litigieuse »).

18 Le 19 mai 2016, le pouvoir adjudicateur et Kauno švara ont conclu ledit contrat (ci-après le « contrat litigieux »). Ce contrat, dont la durée a été fixée à cinq ans, prévoit notamment que les commandes de services dépendront des besoins du pouvoir adjudicateur, que les services seront rémunérés selon les tarifs prévus au contrat et que le terme de celui-ci pourra être prorogé.

19 Le 20 mai 2016, Irgita a, devant la juridiction lituanienne de première instance compétente, formé un recours dirigé contre la décision litigieuse et le contrat litigieux. Dans le cadre de ce recours, elle alléguait que, eu égard au contrat du 18 mars 2014 conclu entre elle et le pouvoir adjudicateur, ce dernier ne pouvait pas conclure le contrat litigieux.

20 Après avoir été déboutée en première instance, Irgita a obtenu gain de cause devant le Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie), lequel a, par une décision du 4 octobre 2017, annulé la décision litigieuse et déclaré nul le contrat litigieux.

21 Cette juridiction a relevé que le droit de conclure une opération interne, prévu à l’article 10, paragraphe 5, de la loi sur les marchés publics, dans sa version en vigueur du 1er juillet 2014 au 1er juillet 2017, ne saurait déroger aux interdictions de porter atteinte à la concurrence entre les opérateurs économiques, d’accorder des privilèges à l’un d’eux et de discriminer les autres, telles qu’elles sont énoncées à l’article 4, paragraphe 2, de la loi sur la concurrence. Or, le contrat
litigieux serait illégal, aux motifs notamment qu’il aurait entraîné une diminution du volume des commandes de services auprès d’Irgita et que, en concluant une opération interne, sans besoin objectif, le pouvoir adjudicateur aurait accordé à l’entreprise placée sous son contrôle des privilèges susceptibles de fausser les conditions de concurrence entre opérateurs économiques sur le marché de l’entretien des zones boisées de la ville de Kaunas.

22 Dans le cadre du pourvoi en cassation dont il est saisi par la ville de Kaunas et le pouvoir adjudicateur, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) relève, d’une part, que le contrat litigieux est clairement une opération interne et, d’autre part, que l’affaire au principal soulève la question générale de la relation entre les opérations internes et le respect du principe de libre concurrence entre opérateurs indépendants.

23 Il observe par ailleurs que, de la fin de l’année 2011 jusqu’au milieu de l’année 2015, la jurisprudence du Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) était fixée en ce sens que les opérations internes conformes aux critères posés dans l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), étaient légales. Cependant, à partir du milieu de l’année 2015, compte tenu notamment de deux ordonnances du Lietuvos Respublikos Konstitucinis Teismas (Cour
constitutionnelle de la République de Lituanie), le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a subordonné la légalité des opérations internes au respect non seulement des critères posés dans l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), mais aussi d’autres critères d’appréciation issus notamment de la loi sur la concurrence. Parmi ces critères figurent notamment la continuité, la bonne qualité et l’accessibilité du service ainsi que
les effets de l’opération interne envisagée, d’une part, sur l’égalité de traitement des autres opérateurs économiques et, d’autre part, sur la faculté de ces derniers à concourir pour fournir les services concernés.

24 La juridiction de renvoi estime que la notion d’« opération interne » constitue une notion autonome, propre au droit de l’Union dans la mesure où, au vu de l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), elle paraît dériver de la notion générale de « marché public ». Or, la définition de cette notion ne comportant pas de renvoi au droit des États membres, ladite notion relèverait du droit de l’Union, ainsi que cela ressortirait de l’arrêt du 18 janvier 2007, Auroux e.a. (C‑220/05,
EU:C:2007:31).

25 En outre, il ressortirait de l’article 12 de la directive 2014/24, lu à la lumière des considérants 2, 31 et 32 de cette directive, que la légalité d’une opération interne au sens de cet article dépend exclusivement des conditions posées dans l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), ce qui exclurait la prise en compte d’autres éléments et suggérerait que la directive 2014/24 procède à une harmonisation stricte des opérations internes.

26 La juridiction de renvoi n’exclut cependant pas que les États membres conservent une certaine marge d’appréciation. À cet égard, aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24, celle-ci ne porterait pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit de l’Union, ce qu’ils entendent par « services d’intérêt économique général », la manière dont ces services devraient être organisés et financés, conformément aux règles relatives aux aides d’État, ainsi
que les obligations spécifiques auxquelles ils devraient être soumis. De même, cette directive n’aurait pas d’incidence sur le droit qu’ont les pouvoirs publics de décider si et selon quelles modalités ils souhaitent assumer eux-mêmes certaines fonctions publiques conformément à l’article 14 TFUE et au protocole no 26. L’article 36 de la Charte prévoirait également que l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et
pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

27 Selon la juridiction de renvoi, les États membres devraient pouvoir subordonner la possibilité de recourir à une opération interne au respect d’exigences de clarté, de prévisibilité et de protection de la confiance légitime en particulier, sous réserve que ces exigences soient clairement prévues dans leur législation et qu’elles ne résultent pas uniquement de la jurisprudence.

28 De surcroît, même dans l’hypothèse où les juridictions nationales pourraient prévoir des restrictions à la réalisation d’opérations internes, la juridiction de renvoi doute du bien-fondé de ces restrictions. En effet, selon la juridiction de renvoi, le raisonnement du Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie) aboutirait à remettre en cause le droit du pouvoir adjudicateur de réaliser une opération interne conforme aux critères posés dans l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal
(C‑107/98, EU:C:1999:562), dès lors que d’autres opérateurs économiques que l’entreprise contrôlée sont en mesure de réaliser les services concernés.

29 C’est dans ce contexte que le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Dans les circonstances de l’affaire au principal, où la procédure, notamment administrative, de conclusion de l’opération interne (in house) litigieuse a commencé sous l’empire de la directive 2004/18, mais où le contrat lui-même a été conclu le 19 mai 2016, après [l’abrogation] de [ladite] directive, cette opération relève‑t‑elle du champ d’application de la directive 2004/18 ou de celui de la directive 2014/24 ?

2) Dans l’hypothèse où l’opération interne litigieuse relève du champ d’application de la directive 2004/18 :

a) l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de cette directive (mais sans se limiter à cette disposition), eu égard à la jurisprudence de la Cour, entre autres [les] arrêt[s] du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), [...] du 18 janvier 2007, Auroux e.a. (C‑220/05, EU:C:2007:31), et [...] du 6 avril 2006, ANAV (C‑410/04, EU:C:2006:237), doit-il être compris et interprété en ce sens que la notion d’opération interne relève du droit de l’Union et que le contenu et l’application de
cette notion ne sont pas affectés par la législation nationale des États membres, notamment par des restrictions à la conclusion de telles opérations, par exemple par l’obligation de satisfaire à la condition que la passation d’un marché public ne permette pas de garantir la qualité des services [fournis], leur accessibilité ou leur continuité ;

b) si la réponse à la [deuxième] question[, sous a),] est négative, c’est-à-dire que la notion d’opération interne relève en tout ou en partie de la législation nationale des États membres, cette disposition de la directive 2004/18 doit‑elle être interprétée en ce sens que les États membres jouissent d’un pouvoir d’appréciation pour édicter des restrictions ou conditions supplémentaires à la conclusion d’opérations internes (par rapport au droit et à la jurisprudence de l’Union), mais que ce
pouvoir d’appréciation ne peut être mis en œuvre qu’au moyen de règles précises et claires du droit positif des marchés publics ?

3) Dans l’hypothèse où l’opération interne litigieuse relève du champ d’application de la directive 2014/24 :

a) l’article 1er, paragraphe 4, et l’article 12 de cette directive et l’article 36 de la Charte, conjointement ou séparément (mais sans se limiter à ces dispositions), eu égard à la jurisprudence de la Cour, entre autres [les] arrêt[s] du 18 novembre 1999, Teckal (C‑107/98, EU:C:1999:562), [...] du 18 janvier 2007, Auroux e.a. (C‑220/05, EU:C:2007:31), et [...] du 6 avril 2006, ANAV (C‑410/04, EU:C:2006:237), doivent-ils être compris et interprétés en ce sens que la notion d’opération interne
relève du droit de l’Union et que le contenu et l’application de cette notion ne sont pas affectés par la législation nationale des États membres, notamment par des restrictions à la conclusion de telles opérations, par exemple par l’obligation de satisfaire à la condition que la passation d’un marché public ne permette pas de garantir la qualité des services [fournis], leur accessibilité ou leur continuité ;

b) si la réponse à la [troisième] question[, sous a),] est négative, c’est-à-dire que la notion d’opération interne relève en tout ou en partie de la législation nationale des États membres, ces dispositions de la directive 2014/24 doivent-elles être interprétées en ce sens que les États membres jouissent d’un pouvoir d’appréciation pour édicter des restrictions ou conditions supplémentaires à la conclusion d’opérations internes (par rapport au droit et à la jurisprudence de l’Union), mais que
ce pouvoir d’appréciation ne peut être mis en œuvre qu’au moyen de règles précises et claires du droit positif des marchés publics ?

4) Quelle que soit la directive dont relève l’opération interne litigieuse, les principes d’égalité et de non-discrimination des opérateurs économiques et le principe de transparence (article 2 de la directive 2004/18, article 18 de la directive 2014/24), l’interdiction générale de la discrimination exercée en raison de la nationalité (article 18 TFUE), le droit d’établissement (article 49 TFUE) et la libre prestation des services (article 56 TFUE), la possibilité d’accorder des droits exclusifs
(article 106 TFUE) et la jurisprudence de la Cour (arrêt[s du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, EU:C:1999:562 ; du 6 avril 2006, ANAV, C‑410/04, EU:C:2006:237 ; du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, EU:C:2009:532 ; du 8 décembre 2016, Undis Servizi, C‑553/15, EU:C:2016:935] et autres) doivent-ils être compris et interprétés en ce sens qu’une opération interne qu’un pouvoir adjudicateur conclut avec une entité juridiquement distincte sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu’il
exerce sur ses propres services, cette entité réalisant l’essentiel de son activité pour le pouvoir adjudicateur, est légale en soi et, en particulier, ne porte pas atteinte au droit des autres opérateurs économiques à une concurrence loyale, ne crée pas de discrimination entre ces derniers et ne confère pas de privilèges à l’entité contrôlée avec laquelle l’opération interne est réalisée ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un marché public a été attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, dans le cadre d’une procédure engagée alors que la directive 2004/18 était encore en vigueur et qui a donné lieu à la conclusion d’un contrat postérieurement à l’abrogation de cette
directive, relève du champ d’application de la directive 2004/18 ou de celui de la directive 2014/24.

31 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la directive applicable à un marché public est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et où il tranche définitivement la question de savoir s’il est tenu de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public (voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C-213/13, EU:C:2014:2067, point 31, et du 7 avril 2016, Partner
Apelski Dariusz, C-324/14, EU:C:2016:214, point 83).

32 La directive 2004/18 ayant, conformément à l’article 91, premier alinéa, de la directive 2014/24, été abrogée avec effet au 18 avril 2016, il convient d’examiner si, à cette date, le pouvoir adjudicateur avait déjà pris, dans l’affaire au principal, la décision définitive de recourir à une opération interne.

33 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le pouvoir adjudicateur a sollicité, le 1er avril 2016, l’autorité des marchés publics en vue d’obtenir l’autorisation de conclure l’opération interne en cause au principal et que cette autorisation lui a été délivrée le 20 avril 2016, soit postérieurement à l’abrogation de la directive 2004/18.

34 Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 34 de ses conclusions, l’autorité des marchés publics ayant délivré son autorisation postérieurement à l’abrogation de la directive 2004/18, la situation en cause au principal relève nécessairement du champ d’application de la directive 2014/24.

35 En outre, dans la mesure où cette autorisation était subordonnée à l’évaluation par le pouvoir adjudicateur de la possibilité de se procurer les services en cause au principal au moyen d’une procédure classique de marché public, le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas avoir définitivement tranché la question de savoir s’il était tenu de procéder à une mise en concurrence préalable à l’adjudication du marché public en cause au principal à la date d’abrogation de la directive 2004/18, soit le
18 avril 2016.

36 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question qu’une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un marché public est attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, dans le cadre d’une procédure engagée alors que la directive 2004/18 était encore en vigueur et qui a donné lieu à la conclusion d’un contrat postérieurement à l’abrogation de cette
directive, soit le 18 avril 2016, relève du champ d’application de la directive 2014/24 lorsque le pouvoir adjudicateur a définitivement tranché la question de savoir s’il était tenu de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public après cette date.

Sur la deuxième question

37 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la troisième question, sous a)

38 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la troisième question, sous a), se réfère, notamment, à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24 ainsi qu’à l’article 36 de la Charte, qui visent les services d’intérêt économique général.

39 Pour autant, la décision de renvoi ne contenant aucun élément de nature à justifier que l’interprétation de la notion de « services d’intérêt économique général » soit pertinente en vue de la résolution du litige au principal, elle n’est pas de nature à mettre la Cour en mesure de répondre utilement à la troisième question, sous a), en tant qu’elle vise l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24 et l’article 36 de la Charte.

40 Il convient donc de reformuler la troisième question, sous a), et de considérer que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale par laquelle un État membre subordonne la conclusion d’opérations internes, notamment, à la condition que la passation d’un marché public ne permette pas de garantir la qualité des services réalisés, leur accessibilité ou leur continuité.

41 Il y a lieu de relever, d’emblée, que la directive 2014/24 a pour objet, ainsi que l’énonce son considérant 1, de coordonner les procédures nationales de passation de marchés dépassant un certain montant.

42 C’est à la lumière de cette considération qu’il y a lieu d’interpréter l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, aux termes duquel « [u]n marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions [énoncées aux points a) à c) de ce paragraphe] sont réunies ».

43 Cette disposition, qui se limite ainsi à préciser les conditions qu’un pouvoir adjudicateur doit respecter lorsqu’il souhaite conclure une opération interne, a seulement pour effet d’habiliter les États membres à exclure une telle opération du champ d’application de la directive 2014/24.

44 Elle ne saurait, par conséquent, priver les États membres de la liberté de privilégier un mode de prestation de services, d’exécution de travaux ou d’approvisionnement en fournitures au détriment des autres. En effet, cette liberté implique un choix qui s’effectue à un stade antérieur à celui de la passation d’un marché et qui ne saurait, dès lors, relever du champ d’application de la directive 2014/24.

45 La liberté des États membres quant au choix du mode de prestation de services par lequel les pouvoirs adjudicateurs pourvoiront à leurs propres besoins découle également du considérant 5 de la directive 2014/24, qui énonce que « rien dans la présente directive ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux-mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public au sens de la présente directive »,
consacrant, en cela, la jurisprudence de la Cour antérieure à ladite directive.

46 Ainsi, de même que la directive 2014/24 n’oblige pas les États membres à recourir à une procédure de passation de marché public, elle ne saurait les contraindre à recourir à une opération interne lorsque les conditions prévues à l’article 12, paragraphe 1, sont remplies.

47 D’ailleurs, la liberté ainsi laissée aux États membres est plus nettement mise en lumière à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1), aux termes duquel :

« La présente directive reconnaît le principe de libre administration par les autorités nationales, régionales et locales, conformément au droit national et de l’Union. Ces autorités sont libres de décider du mode de gestion qu’elles jugent le plus approprié pour l’exécution de travaux ou la prestation de services, pour assurer notamment un niveau élevé de qualité, de sécurité et d’accessibilité, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des usagers en matière de
services publics.

Les autorités peuvent choisir d’exécuter leurs missions d’intérêt public en utilisant leurs propres ressources ou en coopération avec d’autres autorités, ou de déléguer ces missions à des opérateurs économiques. »

48 La liberté dont disposent les États membres quant au choix du mode de gestion qu’ils jugent le plus approprié pour l’exécution de travaux ou la prestation de services ne saurait toutefois être illimitée. Elle doit, au contraire, s’exercer dans le respect des règles fondamentales du traité FUE, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi que des principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination,
la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence (voir, par analogie, arrêts du 9 juillet 1987, CEI et Bellini, 27/86 à 29/86, EU:C:1987:355, point 15 ; du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, C‑324/98, EU:C:2000:669, point 60, ainsi que du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, EU:C:2009:532, point 38).

49 Dans ces limites, il est loisible à un État membre d’imposer à un pouvoir adjudicateur des conditions, non prévues à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, pour qu’il conclue une opération interne, notamment afin de garantir la continuité, la bonne qualité et l’accessibilité du service.

50 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question, sous a), que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle nationale par laquelle un État membre subordonne la conclusion d’une opération interne, notamment à la condition que la passation d’un marché public ne permette pas de garantir la qualité des services réalisés, leur accessibilité ou leur continuité, tant que le choix exprimé en
faveur d’un mode de prestation de services en particulier, et effectué à un stade antérieur à celui de la passation de marché public, respecte les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de reconnaissance mutuelle, de proportionnalité et de transparence.

Sur la troisième question, sous b)

51 Par sa troisième question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, lu à la lumière du principe de transparence, doit être interprété en ce sens que les conditions auxquelles les États membres subordonnent la conclusion d’opérations internes doivent être énoncées au moyen de règles précises et claires du droit positif des marchés publics.

52 Ainsi que cela a été relevé au point 44 du présent arrêt, la directive 2014/24 n’a pas pour effet de priver les États membres de la liberté de privilégier, à un stade antérieur à celui de la passation d’un marché public, un mode de prestation de services, d’exécution de travaux ou d’approvisionnement en fournitures au détriment des autres.

53 Il s’ensuit que, lorsqu’un État membre introduit des règles suivant lesquelles un tel mode de prestation de services, d’exécution de travaux ou d’approvisionnement de fournitures est privilégié par rapport à d’autres, comme il a été fait, en l’occurrence, s’agissant des conditions auxquelles le droit lituanien subordonne la conclusion d’opérations internes au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, l’introduction de ces règles ne saurait relever de la transposition de cette
directive.

54 Il n’en reste pas moins que, lorsque les États membres décident de procéder de la sorte, ils demeurent soumis, ainsi que cela a été souligné au point 48 du présent arrêt, au respect de divers principes, dont le principe de transparence.

55 Le principe de transparence exige, à l’instar du principe de sécurité juridique, que les conditions auxquelles les États membres subordonnent la conclusion d’opérations internes soient énoncées au moyen de règles suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application afin d’éviter tout risque d’arbitraire.

56 Eu égard aux considérations qui précèdent, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’évolution de l’interprétation des dispositions de la loi sur la concurrence opérée par les juridictions suprêmes lituaniennes à partir du milieu de l’année 2015 s’est manifestée avec suffisamment de clarté et de précision et si elle a fait l’objet d’une publicité suffisante pour que tant les pouvoirs adjudicateurs que les opérateurs économiques intéressés aient raisonnablement pu en être informés.

57 Il convient donc de répondre à la troisième question, sous b), que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, lu à la lumière du principe de transparence, doit être interprété en ce sens que les conditions auxquelles les États membres subordonnent la conclusion d’opérations internes doivent être énoncées au moyen de règles précises et claires du droit positif des marchés publics, qui doivent être suffisamment accessibles et prévisibles dans leur application afin d’éviter tout risque
d’arbitraire, ce qu’il appartiendra, en l’occurrence, à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la quatrième question

58 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la conclusion d’une opération interne qui remplit les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2014/24 est, en soi, conforme au droit de l’Union.

59 Il résulte de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2014/24 que ne relève pas du champ d’application de cette directive un marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public lorsque, premièrement, le pouvoir adjudicateur exerce sur cette personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres activités, deuxièmement, plus de 80 % des activités de ladite personne morale sont exercées dans le
cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle et, troisièmement, la même personne morale ne comporte, en principe, pas de participation directe de capitaux privés.

60 Toutefois, cette disposition porte uniquement sur le champ d’application de la directive 2014/24 et ne saurait être comprise comme fixant les conditions dans lesquelles un marché public doit être attribué dans le cadre d’une opération interne.

61 Ainsi que cela découle, en substance, du point 48 du présent arrêt, le fait qu’une opération interne, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, ne relève pas du champ d’application de cette directive ne saurait affranchir les États membres mais aussi les pouvoirs adjudicateurs du respect, notamment, des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de proportionnalité et de transparence.

62 Il convient d’ailleurs de relever que le considérant 31 de cette directive énonce, à propos des coopérations entre entités appartenant au secteur public, qu’il convient de veiller à ce qu’aucune coopération de ce type, qui est exclue du champ d’application de ladite directive, n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés.

63 En l’occurrence, il incombe tout particulièrement à la juridiction de renvoi d’apprécier si, en concluant l’opération interne en cause au principal, dont l’objet chevauche celui d’un marché public en cours d’exécution par Irgita, en sa qualité d’adjudicataire, le pouvoir adjudicateur n’a pas méconnu ses obligations contractuelles issues de ce marché, ainsi que le principe de transparence, s’il devait s’avérer que ce dernier n’a pas défini suffisamment clairement ses besoins, notamment en ne
garantissant pas la fourniture d’un volume minimal de services à l’adjudicataire, ou encore si ladite opération constitue une modification substantielle de l’économie générale du marché conclu avec Irgita.

64 Il convient donc de répondre à la quatrième question que la conclusion d’une opération interne qui remplit les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2014/24 n’est pas en soi conforme au droit de l’Union.

Sur les dépens

65 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  1) Une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un marché public est attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, dans le cadre d’une procédure engagée alors que la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, était encore en
vigueur et qui a donné lieu à la conclusion d’un contrat postérieurement à l’abrogation de cette directive, soit le 18 avril 2016, relève du champ d’application de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18, lorsque le pouvoir adjudicateur a définitivement tranché la question de savoir s’il était tenu de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication d’un marché public
après cette date.

  2) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle nationale par laquelle un État membre subordonne la conclusion d’une opération interne, notamment à la condition que la passation d’un marché public ne permette pas de garantir la qualité des services réalisés, leur accessibilité ou leur continuité, tant que le choix exprimé en faveur d’un mode de prestation de services en particulier, et effectué à un stade antérieur à celui de
la passation de marché public, respecte les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de reconnaissance mutuelle, de proportionnalité et de transparence.

  3) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, lu à la lumière du principe de transparence, doit être interprété en ce sens que les conditions auxquelles les États membres subordonnent la conclusion d’opérations internes doivent être énoncées au moyen de règles précises et claires du droit positif des marchés publics, qui doivent être suffisamment accessibles et prévisibles dans leur application afin d’éviter tout risque d’arbitraire, ce qu’il appartiendra, en l’occurrence, à la
juridiction de renvoi de vérifier.

  4) La conclusion d’une opération interne qui remplit les conditions énoncées à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2014/24 n’est pas en soi conforme au droit de l’Union.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le lituanien.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-285/18
Date de la décision : 03/10/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas.

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 12, paragraphe 1 – Application dans le temps – Liberté des États membres quant au choix du mode de prestation de services – Limites – Marchés publics faisant l’objet d’une attribution dite “in house” – Opération interne – Chevauchement d’un marché public et d’une opération interne.

Rapprochement des législations

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Procédure engagée par Kauno miesto savivaldybė et Kauno miesto savivaldybės administracija.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan
Rapporteur ?: Šváby

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:829

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