ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
5 septembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros – Règlement (UE) no 260/2012 – Espace unique de paiement en euros (SEPA) – Paiement par prélèvement – Article 9, paragraphe 2 – Accessibilité des paiements – Condition de domicile »
Dans l’affaire C‑28/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 20 décembre 2017, parvenue à la Cour le 17 janvier 2018, dans la procédure
Verein für Konsumenteninformation
contre
Deutsche Bahn AG,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. C. Lycourgos, E. Juhász, M. Ilešič et I. Jarukaitis, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2019,
considérant les observations présentées :
– pour le Verein für Konsumenteninformation, par Me S. Langer, Rechtsanwalt,
– pour Deutsche Bahn AG, par Mes C. Pöchhacker et L. Riede, Rechtsanwälte,
– pour la Commission européenne, par Mme H. Tserepa-Lacombe et M. T. Scharf, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mai 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement (UE) no 260/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mars 2012, établissant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et modifiant le règlement (CE) no 924/2009 (JO 2012, L 94, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Verein für Konsumenteninformation (association pour l’information des consommateurs, ci-après le « VKI ») à Deutsche Bahn AG au sujet de l’impossibilité pour les voyageurs n’ayant pas un domicile en Allemagne de payer les billets réservés sur le site Internet de cette société au moyen d’un prélèvement libellé en euros effectué par le biais du schéma de prélèvements établi à l’échelle de l’Union européenne (ci‑après le
« prélèvement SEPA »).
Le cadre juridique
3 Les considérants 1, 6, 9, 10 et 32 du règlement no 260/2012 sont ainsi libellés :
« (1) Afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, il est nécessaire de créer un marché intégré pour les paiements électroniques en euros où il n’existe aucune différence entre paiements nationaux et paiements transfrontaliers. À cette fin, le projet de l’espace unique de paiement en euros [(Single Euro Payments Area)] (ci-après dénommé “SEPA”) prévoit de mettre en place des services de paiement communs à toute l’Union remplaçant les services de paiement nationaux actuels. Le SEPA, en
introduisant des normes, des règles et des pratiques de paiement ouvertes et communes et en assurant un traitement intégré des paiements, devrait offrir aux citoyens et aux entreprises de l’Union des services de paiement en euros qui soient sécurisés, fiables et faciles à utiliser, à des prix concurrentiels. Ces principes devraient s’appliquer aux paiements SEPA, transfrontaliers et nationaux, selon les mêmes conditions de base et conformément aux mêmes droits et obligations, indépendamment
de la localisation dans l’Union. [...]
[...]
(6) Seule une migration rapide et complète vers un des virements et des prélèvements à l’échelle de l’Union permettra d’éliminer les coûts associés à l’exploitation parallèle des anciens instruments et des instruments SEPA et de retirer tous les avantages d’un marché des paiements intégré. Il y a donc lieu d’établir des règles pour couvrir l’exécution de toutes les opérations de virements et de prélèvements en euros dans l’Union. [...]
[...]
(9) Pour qu’un virement puisse être exécuté, le compte de paiement du bénéficiaire doit être accessible. Par conséquent, afin de favoriser l’adoption de services de virement et de prélèvement à l’échelle de l’Union, une obligation d’accessibilité devrait être établie dans toute l’Union. Il importe en outre, pour améliorer la transparence, de consolider dans un acte unique cette obligation ainsi que l’obligation d’accessibilité pour les prélèvements déjà établie par le règlement (CE) no 924/2009
[du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant les paiements transfrontaliers dans la Communauté et abrogeant le règlement (CE) no 2560/2001 (JO 2009, L 266 p. 11)]. Tous les comptes de paiement de bénéficiaires accessibles pour un virement national devraient également l’être via un schéma de virement à l’échelle de l’Union. Tous les comptes de paiement de payeurs accessibles pour un prélèvement national devraient également l’être via un schéma de prélèvement à
l’échelle de l’Union. Ces principes devraient s’appliquer indépendamment du fait que le prestataire de services de paiement décide de participer à un schéma de virement ou de prélèvement particulier.
(10) L’interopérabilité technique est nécessaire à l’exercice de la concurrence. Afin de créer un marché intégré des systèmes de paiement électronique en euros, il est essentiel que le traitement des virements et des prélèvements ne soit pas entravé par des règles commerciales ou des obstacles techniques, tels que la participation obligatoire à plus d’un système de règlement des opérations transfrontalières. Les virements et les prélèvements devraient se conformer à un schéma dont les règles de
base sont acceptées par des prestataires de services de paiement représentant la majorité des prestataires de services de paiement dans la majorité des États membres et constituant une majorité des prestataires de l’Union, et dont les règles sont identiques pour tous les virements et les prélèvements, qu’ils soient transfrontaliers ou nationaux. [...]
[...]
(32) Afin d’assurer l’adhésion du grand public au SEPA, un haut niveau de protection des payeurs est essentiel, notamment pour les opérations de prélèvement. Actuellement, le seul schéma de prélèvement paneuropéen pour les consommateurs, élaboré par le Conseil européen des paiements, prévoit un droit au remboursement “sans autre question” et inconditionnel, qui peut être exercé pour les paiements autorisés dans un délai de huit semaines à compter de la date de débit des fonds, tandis que ce droit
au remboursement est soumis à plusieurs conditions en vertu des articles 62 et 63 de la directive 2007/64/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1)]. Compte tenu de la situation actuelle des marchés et de la nécessité d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs,
l’impact de ces dispositions devrait être évalué dans le rapport que la Commission présente, conformément à l’article 87 de la directive 2007/64/CE, au plus tard le 1er novembre 2012, au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et à la [Banque centrale européenne], en l’assortissant, le cas échéant, d’une proposition de révision de ladite directive. »
4 L’article 1er du règlement no 260/2012, intitulé « Objet et champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement établit les règles pour les virements et les prélèvements libellés en euros dans l’Union lorsque tant le prestataire de services de paiement du payeur que celui du bénéficiaire, ou l’unique prestataire de services de paiement intervenant dans l’opération de paiement, sont situés dans l’Union. »
5 Aux termes de l’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions » :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
2) “prélèvement”, un service de paiement national ou transfrontalier visant à débiter le compte de paiement d’un payeur, lorsque l’opération de paiement est initiée par le bénéficiaire sur la base du consentement du payeur ;
3) “payeur”, une personne physique ou morale qui est titulaire d’un compte de paiement et autorise un ordre de paiement, à partir de ce compte de paiement, ou, en l’absence de compte de paiement du payeur, une personne physique ou morale qui donne un ordre de paiement vers un compte de paiement du bénéficiaire ;
4) “bénéficiaire”, une personne physique ou morale qui est titulaire d’un compte de paiement et qui est le destinataire prévu de fonds ayant fait l’objet d’une opération de paiement ;
5) “compte de paiement”, un compte détenu au nom d’un ou de plusieurs utilisateurs de services de paiement et utilisé aux fins de l’exécution d’opérations de paiement ;
[...]
21) “mandat”, l’expression du consentement et de l’autorisation donnés par le payeur au bénéficiaire et (directement ou indirectement par l’intermédiaire du bénéficiaire) au prestataire de services de paiement du payeur pour permettre au bénéficiaire de présenter un encaissement en vue de débiter le compte de paiement spécifié du payeur et pour permettre au prestataire de services de paiement du payeur de se conformer à ces instructions ;
[...]
26) “opération de paiement transfrontalière”, une opération de paiement initiée par un payeur ou un bénéficiaire lorsque le prestataire de services de paiement du payeur et celui du bénéficiaire sont situés dans des États membres différents ;
27) “opération de paiement nationale”, une opération de paiement initiée par un payeur ou un bénéficiaire lorsque le prestataire de services de paiement du payeur et celui du bénéficiaire sont situés dans le même État membre ;
[...] »
6 L’article 3 dudit règlement, intitulé « Accessibilité », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Un prestataire de services de paiement d’un payeur accessible pour un prélèvement national conformément à un schéma de paiement est accessible, conformément aux règles d’un schéma de paiement à l’échelle de l’Union, pour les prélèvements initiés par un bénéficiaire via un prestataire de services de paiement situé dans tout État membre. »
7 L’article 9 du même règlement, intitulé « Accessibilité des paiements », énonce, à son paragraphe 2 :
« Un bénéficiaire qui accepte un virement ou utilise un prélèvement pour encaisser des fonds provenant d’un payeur détenant un compte de paiement situé au sein de l’Union ne précise pas l’État membre dans lequel ce compte de paiement doit être situé, pour autant que le compte de paiement soit accessible conformément à l’article 3. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Le VKI a, conformément à la législation autrichienne, qualité pour agir en justice aux fins de la protection des consommateurs.
9 Deutsche Bahn est une entreprise de transport ferroviaire dont le siège est établi à Berlin (Allemagne). Elle permet aux consommateurs de réserver des trajets ferroviaires internationaux sur son site Internet. À cet effet, elle conclut, sur le fondement de ses conditions générales de transport, des contrats avec ces derniers.
10 Selon l’une des clauses insérées dans ces conditions générales de transport, les billets réservés sur le site Internet de Deutsche Bahn peuvent être payés par carte de crédit, par PayPal, par virement bancaire instantané ou par prélèvement SEPA. Selon cette clause, cette dernière méthode de paiement n’est cependant acceptée que sous réserve du respect de plusieurs conditions, à savoir que le payeur dispose d’un domicile en Allemagne, qu’il consente au prélèvement sur un compte tenu par une banque
ou une caisse d’épargne ayant son siège dans un État participant au SEPA, qu’il ordonne à la banque ou à la caisse d’épargne d’honorer le prélèvement et qu’il s’inscrive sur le site Internet de Deutsche Bahn. Par ailleurs, l’activation du prélèvement SEPA requiert que le payeur donne son consentement à une analyse de solvabilité.
11 Le VKI a saisi le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) d’une action en cessation afin que Deutsche Bahn soit condamnée à cesser d’utiliser ladite clause dans ses contrats avec les consommateurs. À l’appui de ce recours, le VKI a fait valoir que la clause en cause au principal, selon laquelle le payeur doit, notamment, disposer, pour procéder à un paiement par prélèvement SEPA, d’un domicile en Allemagne, est contraire à l’article 9, paragraphe 2, du règlement
no 260/2012, dès lors que, d’une part, le compte de paiement d’un consommateur se situe, en règle générale, dans l’État membre de son domicile et, d’autre part, cette clause impose une contrainte plus importante encore qu’une condition exigeant l’ouverture, par le payeur, d’un compte de paiement en Allemagne.
12 Deutsche Bahn a soutenu, pour sa part, que le règlement no 260/2012, dès lors qu’il s’adresse aux prestataires de services de paiement, vise à protéger non pas les payeurs mais les paiements. Ce règlement n’imposerait pas aux bénéficiaires de paiements de proposer le prélèvement SEPA à tous les consommateurs dans l’ensemble de l’Union. Par ailleurs, les consommateurs disposeraient de méthodes alternatives de paiement pour l’achat de billets sur son site Internet. En tout état de cause, la
condition relative au domicile du consommateur serait justifiée. En effet, dans le cadre d’un schéma de prélèvement, le prestataire de services de paiement, contrairement à ce qui serait le cas pour d’autres schémas de paiement, ne fournirait aucune garantie de paiement au bénéficiaire.
13 Par jugement du 13 juillet 2016, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) a fait droit à la demande du VKI pour les consommateurs ayant leur domicile en Autriche, après avoir relevé que ladite clause était contraire à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012.
14 Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche), par un arrêt du 14 mars 2017, a infirmé ce jugement et rejeté la demande du VKI, au motif que, si l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 garantit aux payeurs ainsi qu’aux bénéficiaires qu’ils ne doivent avoir qu’un seul compte de paiement afin de pouvoir effectuer des paiements nationaux et transfrontaliers par prélèvement, ce règlement n’oblige pas les bénéficiaires à accepter, dans tous les
cas, des instruments de paiement spécifiques pour le règlement des transactions commerciales avec des consommateurs.
15 Saisie par le VKI d’un pourvoi contre cet arrêt, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) estime que, en interdisant aux payeurs et aux bénéficiaires de préciser l’État membre dans lequel le compte de l’autre partie doit être situé, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 ne s’adresse pas aux prestataires de services de paiement, mais s’applique aux rapports entre les bénéficiaires et les payeurs et, partant, vise à protéger ces derniers. Or, s’il est vrai que, interprétée à la
lettre, cette disposition se borne à interdire la fixation d’un critère de localisation géographique du compte de paiement, il n’en demeure pas moins qu’une clause telle que celle en cause au principal, qui exclut le prélèvement SEPA lorsque le payeur n’a pas son domicile dans le même État membre que celui dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités, pourrait être contraire à ladite disposition, puisque le compte de paiement d’un payeur est, en règle générale, situé dans l’État
membre dans lequel celui-ci est domicilié.
16 Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour Suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 9, paragraphe 2, du règlement [no 260/2012] doit-il être interprété en ce sens qu’il est interdit au bénéficiaire de soumettre l’acceptation des paiements effectués au moyen d’un prélèvement SEPA à la condition que le payeur ait son domicile dans l’État membre dans lequel le bénéficiaire a également son siège ou domicile, lorsque d’autres modes de paiement, par exemple, par carte de crédit, sont également acceptés ? »
Sur la question préjudicielle
17 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, qui exclut le paiement par prélèvement SEPA lorsque le payeur n’a pas son domicile dans le même État membre que celui dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités.
18 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de son considérant 1, le règlement no 260/2012 a été adopté dans le cadre du projet de création du SEPA, destiné à mettre en place, pour les paiements libellés en euros, des services de paiement communs à toute l’Union en remplacement des services de paiement nationaux.
19 Aux termes de son article 1er, ce règlement a pour objet d’établir les règles pour les virements et les prélèvements libellés en euros dans l’Union lorsque tant le prestataire de services de paiement du payeur que celui du bénéficiaire ou l’unique prestataire de services de paiement intervenant dans l’opération de paiement sont situés dans l’Union.
20 Ainsi qu’il ressort, notamment, des considérants 1 et 6 dudit règlement, les exigences techniques et commerciales prévues par celui–ci s’appliquent aux paiements nationaux et transfrontaliers effectués dans le cadre du SEPA selon les mêmes conditions de base et conformément aux mêmes droits et obligations, indépendamment de la localisation dans l’Union, et cela afin d’assurer une migration complète vers les virements et les prélèvements établis à l’échelle de l’Union et ainsi instituer un marché
intégré pour les paiements électroniques en euros, dans lequel il n’existe aucune différence entre paiements nationaux et paiements transfrontaliers.
21 Dans ce contexte, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 prévoit qu’un bénéficiaire qui utilise un prélèvement pour encaisser des fonds provenant d’un payeur détenant un compte de paiement situé au sein de l’Union ne doit pas « préciser » l’État membre dans lequel ce compte de paiement doit être situé, pour autant que le compte de paiement est accessible conformément à l’article 3 de ce règlement, étant observé que la notion de « prélèvement » est définie à l’article 2, point 2,
dudit règlement comme visant un service de paiement national ou transfrontalier visant à débiter le compte de paiement d’un payeur, lorsque l’opération de paiement est initiée par le bénéficiaire sur la base du consentement du payeur.
22 En vertu de l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 260/2012, un prestataire de services de paiement d’un payeur qui est accessible pour effectuer un prélèvement national, conformément à un schéma de paiement, doit être accessible, de la même manière, ainsi qu’il ressort également du considérant 9 de ce règlement, pour effectuer les prélèvements initiés par un bénéficiaire, conformément aux règles d’un schéma de paiement à l’échelle de l’Union, par l’intermédiaire d’un prestataire de services
de paiement situé dans un autre État membre.
23 Il résulte ainsi du libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 2, de celui–ci, qu’il est interdit au bénéficiaire d’un prélèvement d’imposer que le compte du payeur soit situé dans un État membre déterminé, lorsque ce compte est accessible pour un prélèvement national.
24 En l’occurrence, il est constant que, si la clause en cause au principal impose au payeur l’obligation d’avoir son domicile dans le même État membre que celui dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités, à savoir l’Allemagne, elle n’exige pas, en revanche, que le payeur dispose d’un compte de paiement dans un État membre déterminé. Une telle clause n’est donc pas visée explicitement par le libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012.
25 Cependant, selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 17 octobre 2018, Günter Hartmann Tabakvertrieb, C‑425/17, EU:C:2018:830, point 18 et jurisprudence citée).
26 À cet égard, il est vrai que le règlement no 260/2012 a pour objet essentiel, ainsi qu’il a été rappelé aux points 18 à 20 du présent arrêt, de fixer des exigences techniques et commerciales, en ce qui concerne notamment les prélèvements, afin de mettre en place des services de paiement communs dans l’Union.
27 Cela étant, l’article 9, paragraphe 2, de ce règlement, en ce qu’il concerne expressément la relation spécifique entre le payeur et le bénéficiaire, contribue également à la réalisation de l’objectif consistant à atteindre le niveau élevé de protection des consommateurs nécessaire pour assurer, ainsi qu’il ressort du considérant 32 dudit règlement, l’adhésion de ces derniers au SEPA.
28 En effet, cette disposition permet l’utilisation, aux fins d’un paiement par prélèvement, d’un seul et même compte de paiement pour toute opération au sein de l’Union, évitant ainsi les coûts liés au maintien de plusieurs comptes de paiement, et cela en faisant en sorte, comme il ressort du considérant 10 du règlement no 260/2012, que des règles commerciales n’aient pas pour effet d’entraver la possibilité pour les consommateurs d’effectuer, dans le cadre d’un marché intégré pour les paiements
électroniques en euros, tout paiement à destination de comptes détenus par des bénéficiaires auprès de prestataires de services situés dans d’autres États membres.
29 Or, il y a lieu de constater qu’une clause, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une distinction fondée sur le critère du domicile du payeur, risque de jouer principalement au détriment des consommateurs n’ayant pas de compte de paiement dans l’État membre dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités. En effet, il est constant que les consommateurs disposent le plus souvent d’un compte de paiement dans l’État membre dans lequel ils ont leur domicile.
30 Une telle clause revient ainsi indirectement à désigner l’État membre dans lequel le compte de paiement doit être situé, produisant ainsi des effets comparables à ceux résultant d’une telle désignation d’un État membre spécifique.
31 En effet, dans la plupart des cas, cette condition de domicile restreint l’accessibilité au paiement par prélèvement SEPA aux seuls payeurs ayant un compte de paiement dans l’État membre dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités et, partant, exclut de ce mode de paiement les payeurs ayant un compte de paiement dans d’autres États membres.
32 De ce fait, cette clause réserve ce mode de paiement essentiellement aux opérations de paiement nationales, au sens de l’article 2, point 27, du règlement no 260/2012, c’est-à-dire à celles effectuées entre un payeur et un bénéficiaire ayant chacun un compte de paiement auprès de prestataires de services de paiement situés dans le même État membre, et ce à l’exclusion, en conséquence, de la plupart des opérations de paiement transfrontalières, lesquelles impliquent, conformément à l’article 2,
point 26, de ce règlement, des prestataires de services de paiement situés dans des États membres différents.
33 Il s’ensuit qu’une clause telle que celle en cause au principal est de nature à porter atteinte à l’effet utile de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012, dès lors qu’elle prive les payeurs de la possibilité d’effectuer un prélèvement à partir d’un compte situé dans l’État membre de leur choix. Cette clause fait ainsi échec à l’objectif poursuivi par cette disposition, consistant, ainsi qu’il a été rappelé au point 28 du présent arrêt, à empêcher que des règles commerciales portent
atteinte à la mise en place d’un marché intégré pour les paiements électroniques en euros, visé au considérant 1 de ce règlement.
34 Il est sans pertinence à cet égard que le consommateur puisse utiliser des méthodes de paiement alternatives. En effet, si les bénéficiaires de paiements restent libres d’offrir ou non aux payeurs la possibilité de procéder à des paiements par prélèvements SEPA, en revanche, contrairement à ce que soutient Deutsche Bahn, lorsqu’ils offrent une telle possibilité, ces bénéficiaires ne peuvent subordonner l’utilisation de cette méthode de paiement à des conditions qui porteraient atteinte à l’effet
utile de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012.
35 Selon Deutsche Bahn, il peut toutefois être déduit du règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil, du 28 février 2018, visant à contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondées sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur, et modifiant les règlements (CE) no 2006/2004 et (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE (JO 2018, L 60 I, p. 1), que l’article 9, paragraphe 2, du règlement
no 260/2012 ne vise pas une condition de domicile, telle que celle en cause au principal.
36 Cependant, outre qu’il exclut de son champ d’application les services dans le domaine des transports, tels que ceux en cause au principal, et qu’il n’est devenu applicable qu’à partir du 3 décembre 2018, soit postérieurement aux faits du litige au principal, il suffit de constater que le règlement 2018/302, qui concerne spécifiquement le blocage géographique, est dépourvu de toute incidence sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012, ainsi que M. l’avocat général
l’a relevé au point 39 de ses conclusions, en l’absence de lien établi par le législateur de l’Union entre ces deux règlements.
37 Deutsche Bahn fait également valoir qu’une condition de domicile, telle que celle en cause au principal, est justifiée par la nécessité de contrôler la solvabilité des payeurs, dès lors que le risque d’abus et de défaut de paiement serait particulièrement élevé lorsque, comme dans l’affaire au principal, le prélèvement fait suite à un mandat délivré directement par le payeur au bénéficiaire sans intervention du prestataire de services de paiement de l’un ou de l’autre. Dans ces conditions, le
bénéficiaire devrait lui-même apprécier le risque de défaut de paiement du client.
38 Il y a toutefois lieu de faire observer que, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 46 et 47 de ses conclusions, ni l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 ni aucune autre disposition de celui-ci ne prévoient une exception à l’obligation prévue à cette disposition, le législateur de l’Union ayant pris suffisamment en considération les différents intérêts en jeu entre payeurs et bénéficiaires dans le cadre de l’adoption de cette disposition.
39 En tout état de cause, rien n’empêche un bénéficiaire de réduire les risques d’abus ou de défaut de paiement, ainsi que la Commission l’a indiqué lors de l’audience, en prévoyant, par exemple, que la livraison ou l’impression des billets ne soit possible qu’après le moment où ce bénéficiaire a reçu la confirmation de l’encaissement effectif du paiement.
40 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 260/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, qui exclut le paiement par prélèvement SEPA lorsque le payeur n’a pas son domicile dans le même État membre que celui dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 9, paragraphe 2, du règlement (UE) no 260/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mars 2012, établissant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et modifiant le règlement (CE) no 924/2009, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, qui exclut le paiement par prélèvement libellé en euros effectué par le biais du schéma de prélèvements établi à l’échelle de
l’Union européenne (prélèvement SEPA) lorsque le payeur n’a pas son domicile dans le même État membre que celui dans lequel le bénéficiaire a établi le siège de ses activités.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.