CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 13 juin 2019 ( 1 )
Affaire C‑377/18
Procédure pénale
contre
AH,
PB,
CX,
KM,
PH,
en présence de
MH
[demande de décision préjudicielle formée par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie)]
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/343 – Présomption d’innocence – Article 4 – Références publiques à la culpabilité – Droit de ne pas être présenté, dans une déclaration publique ou dans une décision judiciaire, comme étant coupable avant même qu’un jugement définitif n’ait été rendu – Commission d’une infraction en réunion – Accord portant reconnaissance préalable de culpabilité conclu entre l’autorité de poursuite et l’une des personnes
poursuivies – Mention et identification des personnes poursuivies séparément comme coauteurs de l’infraction – Compatibilité – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 48 – Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Article 6, paragraphe 2 »
I. Introduction
1. Dans le cadre d’un accord portant reconnaissance préalable de culpabilité conclu entre une autorité de poursuite et une personne poursuivie ( 2 ) au titre de la commission d’une infraction en réunion, le droit à la présomption d’innocence s’oppose-t-il à une règle de procédure nationale qui exige que cet accord mentionne la participation à l’infraction des autres personnes poursuivies séparément et procède à l’identification de ces dernières ?
2. Tel est, en substance, l’objet de la question préjudicielle que pose le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie).
3. Cette question s’inscrit dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de six personnes en raison de leur appartenance présumée à un groupe criminel organisé. Dans le cadre de cette procédure, l’une des personnes poursuivies a souhaité conclure un accord de plaider coupable dont le contenu doit être approuvé par la juridiction de renvoi, conformément à la législation nationale applicable. C’est dans ce contexte que cette juridiction est appelée à déterminer si la mention, dans cet
accord, des cinq autres personnes poursuivies séparément comme coauteurs de l’infraction et l’identification de ces dernières par leurs noms et leur numéro national d’identité risquent de méconnaître le droit à la présomption d’innocence dont bénéficient ces cinq personnes au titre de l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 3 ) et, ainsi, de violer les termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/343 ( 4 ).
4. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser la portée de l’une des principales exigences requises afin de garantir le respect du droit à la présomption d’innocence, à savoir celle de ne pas présenter, dans une déclaration publique ou dans une décision judiciaire, une personne poursuivie comme étant coupable, alors même que sa culpabilité n’a pas été préalablement légalement établie. Cette question s’inscrit dans la lignée de l’affaire ayant donné lieu à
l’arrêt du 19 septembre 2018, Milev ( 5 ).
II. Le cadre juridique
A. La convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
5. L’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 6 ), intitulé « Droit à un procès équitable », prévoit :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
B. Le droit de l’Union
1. La Charte
6. L’article 48 de la Charte, intitulé « Présomption d’innocence et droits de la défense », dispose :
« 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. »
2. La directive 2016/343
7. En vertu de son article 1er, la directive 2016/343 établit des règles minimales concernant, d’une part, certains aspects de la présomption d’innocence et, d’autre part, le droit d’assister à son procès.
8. Les considérants 9, 10, 16, 17, 47 et 48 de cette directive énoncent :
(9) La présente directive a pour objet de renforcer le droit à un procès équitable dans le cadre des procédures pénales, en définissant des règles minimales communes concernant certains aspects de la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès.
(10) En établissant des règles minimales communes relatives à la protection des droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies, la présente directive vise à renforcer la confiance des États membres dans le système de justice pénale des autres États membres et, par conséquent, à faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale. [...]
[...]
(16) La présomption d’innocence serait violée si des déclarations publiques faites par des autorités publiques, ou des décisions judiciaires autres que des décisions statuant sur la culpabilité, présentaient un suspect ou une personne poursuivie comme étant coupable, aussi longtemps que la culpabilité de cette personne n’a pas été légalement établie. De telles déclarations et décisions judiciaires ne devraient pas refléter le sentiment que cette personne est coupable. [...]
(17) L’expression “déclarations publiques faites par des autorités publiques” devrait s’entendre comme toute déclaration qui porte sur une infraction pénale et qui émane d’une autorité impliquée dans la procédure pénale concernant cette infraction pénale, telle que les autorités judiciaires, la police et d’autres autorités répressives, ou d’une autre autorité publique, telle que des ministres et d’autres agents publics, cela étant entendu sans préjudice des dispositions de droit national
relatives à l’immunité.
[...]
(47) La présente directive respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus par la [Charte] et la [CEDH], y compris [...] le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense. [...]
(48) La présente directive établissant des règles minimales, les États membres devraient pouvoir étendre les droits définis dans celle‑ci afin d’offrir un niveau plus élevé de protection. Le niveau de protection offert par les États membres ne devrait jamais être inférieur aux normes prévues par la Charte et la CEDH, telles qu’elles sont interprétées par la Cour de justice [de l’Union européenne] et par la Cour européenne des droits de l’homme. »
9. L’article 2 de la directive 2016/343, intitulé « Champ d’application », dispose :
« La présente directive s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elle s’applique à tous les stades de la procédure pénale, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou une infraction pénale alléguée, ou est poursuivie à ce titre, jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale concernée soit devenue définitive. »
10. L’article 3 de cette directive consacre le droit à la présomption d’innocence. Cette disposition est libellée comme suit :
« Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies soient présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été légalement établie. »
11. Les articles 4 à 7 de ladite directive réglementent certains aspects du droit à la présomption d’innocence.
12. En particulier, l’article 4 de la directive 2016/343, dont l’interprétation est ici demandée, intitulé « Références publiques à la culpabilité », énonce :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les déclarations publiques des autorités publiques, ainsi que les décisions judiciaires, autres que celles statuant sur la culpabilité, ne présentent pas un suspect ou une personne poursuivie comme étant coupable aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Cette disposition s’entend sans préjudice des actes de poursuite qui visent à prouver la culpabilité du suspect ou de la personne poursuivie
et sans préjudice des décisions préliminaires de nature procédurale qui sont prises par des autorités judiciaires ou par d’autres autorités compétentes et qui sont fondées sur des soupçons ou sur des éléments de preuve à charge.
2. Les États membres veillent à ce que des mesures appropriées soient prévues en cas de manquement à l’obligation fixée au paragraphe 1 du présent article de ne pas présenter les suspects ou les personnes poursuivies comme étant coupables, conformément à la présente directive et, notamment, à son article 10.
3. L’obligation fixée au paragraphe 1 de ne pas présenter les suspects ou les personnes poursuivies comme étant coupables n’empêche pas les autorités publiques de diffuser publiquement des informations sur les procédures pénales lorsque cela est strictement nécessaire pour des raisons tenant à l’enquête pénale ou à l’intérêt public. »
C. Le droit bulgare
13. La Konstitutsiya (constitution), à son article 31, paragraphe 3, ainsi que le nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale, ci-après le « NPK »), à son article 16, énoncent que la personne poursuivie est présumée innocente jusqu’à ce que le contraire soit établi par une condamnation ayant acquis force de chose jugée.
14. L’article 381, paragraphes 1 et 6, du NPK permet à la personne poursuivie de reconnaître sa culpabilité et de conclure un accord avec le procureur par l’intermédiaire de son avocat, une fois l’enquête terminée.
15. L’article 381, paragraphe 5, point 1, du NPK dispose :
« L’accord doit être établi par écrit et comporter une reconnaissance concernant les questions suivantes :
1. un acte a-t-il été commis, a-t-il été commis par la personne poursuivie, est-il imputable à cette dernière, l’acte constitue-t-il une infraction pénale, ainsi que la qualification juridique de cet acte ? »
16. L’article 381, paragraphe 7, du NPK prévoit que, « [l]orsque la procédure concerne plusieurs personnes [...], l’accord peut être conclu par certaines de ces personnes [...] ».
17. L’article 382, paragraphe 5, du NPK énonce :
« La juridiction peut proposer des modifications de l’accord qui sont examinées avec le procureur et les avocats des personnes poursuivies. La personne poursuivie est entendue en dernier. »
18. Aux termes de l’article 382, paragraphe 7, du NPK, la juridiction approuve l’accord si ce dernier n’est pas contraire à la loi et aux bonnes mœurs.
19. Conformément à l’article 383, paragraphe 1, du NPK, l’accord produit les effets d’un jugement ayant force de chose jugée.
20. Enfin, en vertu des articles 12 à 14 du zakon za grazhdanskata registratsia (loi relative à l’état civil) ( 7 ), les ressortissants bulgares ont trois noms, à savoir le prénom, le patronyme et le nom de famille. Ils ont également, selon l’article 11, paragraphe 1, de la loi relative à l’état civil, un numéro national d’identité, en tant qu’identifiant administratif permettant de déterminer clairement la personne en cause.
III. Les faits du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour
21. La présente affaire s’inscrit dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de six personnes, à savoir MM. AH, PB, CX, KM, PH et MH. Ces dernières sont poursuivies au titre de l’article 321, paragraphe 2 et paragraphe 3, point 2, du nakazatelen kodeks (code pénal, ci-après le « NK ») en raison de leur appartenance présumée à un groupe criminel organisé. Ce groupe aurait agi du mois de novembre 2014 au mois de novembre 2015 à Sofia (Bulgarie). L’acte d’accusation soutient que ces six
personnes se sont réparti les tâches dans le but de s’enrichir en fabriquant de faux documents officiels ou en falsifiant le contenu de ces documents, à savoir des documents d’identité et des permis de conduire de véhicules à moteur.
22. Une seule de ces personnes, M. MH, a exprimé le souhait de conclure un accord de plaider coupable en échange d’une réduction de peine.
23. Les cinq autres personnes poursuivies ont consenti à ce que M. MH conclue cet accord, tout en indiquant expressément que cela ne signifiait pas pour autant qu’elles reconnaissaient leur culpabilité et qu’elles renonçaient à leur droit de plaider non coupable.
24. L’accord conclu entre le procureur et M. MH indique que ce dernier se reconnaît coupable : « de novembre 2014 au 26 novembre 2015, à Sofia et à Pavlikeni [Bulgarie], [d’]avoir participé à un groupe criminel organisé, une association durable et structurée de plus de trois personnes avec pour participants [noms et numéro d’identification national des cinq autres personnes poursuivies] dans le but de commettre une infraction pénale [au sens de l’article 308, paragraphes 2 et 7, et de l’article 321,
paragraphe 2 et paragraphe 3, point 2, du NK]» ( 8 ). Il ressort du texte de cet accord que toutes les personnes poursuivies sont identifiées de la même manière, c’est-à-dire par leurs trois noms et leur numéro national d’identité. La seule différence réside dans le fait que M. MH est, en outre, identifié par sa date et son lieu de naissance, son adresse, sa nationalité, son appartenance ethnique, sa situation de famille ainsi que ses antécédents judiciaires.
25. Conformément aux règles de procédure nationale, l’accord conclu entre le procureur et M. MH a été soumis pour approbation à la juridiction de renvoi, laquelle est habilitée à y apporter des modifications.
26. À cet égard, la juridiction de renvoi se demande s’il est conforme à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 que cet accord mentionne clairement et expressément en tant que membres de ce groupe criminel organisé les cinq autres personnes, qui n’ont pas conclu ledit accord et qui sont poursuivies dans le cadre de la procédure pénale ordinaire, et identifie ces dernières par leurs trois noms ainsi que par leur numéro national d’identité.
27. La juridiction de renvoi indique que, selon une jurisprudence nationale constante, le texte de l’accord de plaider coupable doit correspondre entièrement au texte de l’acte d’accusation, dans lequel toutes les personnes poursuivies sont indiquées en tant que coauteurs de l’infraction pénale. Par conséquent, il conviendrait qu’elles soient mentionnées en tant que telles dans l’accord conclu entre le procureur et M. MH. En outre, la mention des coauteurs de l’infraction pourrait avoir une grande
importance afin que soient réunis les éléments constitutifs de l’acte infractionnel concerné dans la mesure où un groupe criminel organisé n’est constitué que si trois personnes au moins y participent.
28. La juridiction de renvoi relève, néanmoins, que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 interdit à une autorité judiciaire de présenter une personne poursuivie comme étant coupable dans une décision autre que celle statuant sur sa culpabilité. Selon elle, il existe donc une contradiction entre la jurisprudence nationale, qui exige que l’accord mentionne les autres personnes poursuivies comme étant les coauteurs de l’infraction pénale en cause, et l’obligation édictée par le
législateur de l’Union de ne pas présenter ces dernières comme étant coupables.
29. Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Une jurisprudence nationale requérant que, dans le texte d’un accord (conclu dans le cadre d’une procédure pénale), soient indiqués en tant qu’auteurs de l’infraction pénale en cause non seulement la personne poursuivie, qui a reconnu sa culpabilité concernant ladite infraction pénale et a conclu cet accord, mais aussi d’autres personnes poursuivies, les coauteurs de l’infraction, qui n’ont pas conclu cet accord, qui n’ont pas reconnu leur culpabilité et contre lesquels l’affaire se poursuit
selon la procédure pénale ordinaire, mais qui sont d’accord pour que la première personne poursuivie conclue l’accord, est-elle conforme à l’article 4, paragraphe 1, première phrase, lu conjointement avec le considérant 16, première phrase, et avec le considérant 17 de la directive 2016/343 ? »
30. Les gouvernements allemand et italien ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites ainsi que, à l’exception du gouvernement italien, des observations orales.
IV. Analyse
A. Observation liminaire relative à l’applicabilité de la directive 2016/343
31. Au regard des débats qui se sont déroulés devant la Cour, je pense que l’examen de la question préjudicielle nécessite de formuler une observation liminaire relative à l’application ratione personae et ratione materiae de la directive 2016/343 et, en particulier, de l’article 4, de celle-ci ( 9 ).
32. En premier lieu, la situation de MM. AH, PB, CX, KM et PH entre, sans conteste, dans le champ d’application de cette directive.
33. Celui-ci est défini à l’article 2 de la directive 2016/343. En application de cette disposition, cette directive s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale, à tous les stades de celle-ci, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou est poursuivie à ce titre, et ce jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale
concernée soit devenue définitive.
34. Or, il est constant, dans l’affaire au principal, que ces cinq personnes sont poursuivies en raison de la commission d’une infraction pénale et que leur culpabilité n’a pas encore été légalement établie.
35. En second lieu, les mentions litigieuses relatives à la participation de MM. AH, PB, CX, KM et PH à la commission de l’infraction pénale en cause peuvent être appréhendées sous l’angle de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343, compte tenu de la nature et de la portée de l’accord conclu entre le procureur et M. MH.
36. En effet, cet accord constitue, à l’égard de ces cinq autres personnes, une décision judiciaire ne statuant pas sur leur culpabilité au sens de cette disposition.
37. D’une part, un accord de plaider coupable constitue une décision judiciaire, relevant de ce que l’on appelle communément la « transaction pénale» ( 10 ).
38. L’accord, par lequel une personne poursuivie reconnaît sa culpabilité concernant la commission d’une infraction pénale en échange, souvent, d’une réduction de peine, est conclu avec l’autorité de poursuite, en l’occurrence, le procureur, avant d’être approuvé, au cours d’une audience, par l’autorité judiciaire compétente.
39. Un accord de plaider coupable a donc un caractère judiciaire, puisque sa conclusion nécessite l’intervention d’un juge du fond exerçant le pouvoir juridictionnel dans le cadre d’une procédure accélérée.
40. En l’occurrence, il ressort des articles 381 à 384 du NPK que le juge de renvoi doit statuer sur l’accord conclu entre le procureur et M. MH dans le cadre d’une audience où la présence de ce dernier est expressément exigée par la loi nationale. Ce juge est alors tenu de vérifier si l’accord de plaider coupable a été conclu dans le respect des règles de procédure et de fond applicables et si la personne poursuivie l’a conclu de son plein gré et en toute connaissance de cause. Le juge de renvoi
est expressément habilité à formuler des propositions de modification quant aux termes employés dans le cadre de cet accord et c’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il pose sa question préjudicielle.
41. L’accord conclu entre le procureur et M. MH conduit donc à ce qu’il soit statué, à l’issue d’un examen judiciaire simplifié, non seulement sur la qualification juridique d’une infraction pénale, mais également sur sa responsabilité pénale et sur la peine infligée à celui-ci. Cet accord, tel qu’homologué par le juge de renvoi, est juridiquement contraignant et, ainsi que cela ressort de l’article 383 du NPK, entraîne les conséquences d’un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée. Or, la
force exécutoire et l’autorité de la chose jugée sont les deux traits caractéristiques de toute décision judiciaire.
42. Au vu de ces éléments, il ne fait aucun doute, à mon sens, que l’accord conclu entre le procureur et M. MH est l’expression du ius punendi et que, à travers celui-ci, une décision judiciaire est rendue sur les faits poursuivis ainsi que sur la culpabilité de ce dernier.
43. D’autre part, ledit accord constitue une décision judiciaire qui ne statue pas sur la culpabilité de MM. AH, PB, CX, KM et PH.
44. La notion de « décisions judiciaires autres que celles statuant sur la culpabilité », visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343, doit être interprétée de manière à garantir l’effet utile de cette disposition et, en particulier, à assurer le respect concret et effectif des droits dont bénéficient les personnes poursuivies de ne pas être présentées comme étant coupables aussi longtemps que leur culpabilité n’a pas été légalement établie.
45. Certes, ainsi que l’y autorise l’article 381, paragraphe 7, du NPK, l’accord conclu entre le procureur et M. MH l’a été dans le cadre d’une procédure pénale impliquant plusieurs personnes. Néanmoins, sur le fond, il ne statue que sur la culpabilité de la personne qui, se reconnaissant coupable, est partie à celui-ci. Les autres personnes poursuivies, qui ne sont pas parties à cet accord, n’ont renoncé à aucun de leurs droits procéduraux, parmi lesquels figure leur droit à la présomption
d’innocence. Il ressort ainsi de la décision de renvoi que, malgré l’« accord procédural » exprimé par les cinq autres personnes poursuivies quant à la conclusion d’une telle transaction pénale, celles‑ci ont expressément indiqué qu’elles ne reconnaissaient pas leur culpabilité et qu’elles ne renonçaient pas à leur droit de plaider non coupable.
46. Par conséquent, je ne partage pas les doutes exprimés à cet égard par le gouvernement allemand.
47. Selon lui, même si l’accord conclu entre le procureur et M. MH ne statue pas sur la culpabilité des autres personnes poursuivies séparément, il n’en demeure pas moins qu’il constitue une décision judiciaire statuant sur la culpabilité de M. MH et qu’il doit, par conséquent, être qualifié comme tel à l’égard de ces autres personnes.
48. Cette interprétation souffre, à mon sens, d’un trop grand formalisme et aboutit à priver de tout effet utile les garanties consacrées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343.
49. Elle est, par ailleurs, contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi que je l’exposerai dans le cadre de mon analyse, celle-ci a en effet jugé que le droit à la présomption d’innocence s’applique également lorsqu’une décision judiciaire rendue à l’issue d’une procédure qui n’est pas directement dirigée contre le requérant en qualité d’accusé, mais qui, néanmoins, concerne une procédure pénale en cours contre ce requérant et est liée à cette procédure, implique
une appréciation prématurée de sa culpabilité ( 11 ).
50. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que l’accord conclu entre le procureur et M. MH constitue à l’égard de MM. AH, PB, CX, KM et PH, une décision judiciaire ne statuant pas sur leur culpabilité au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343. Ces derniers peuvent donc se prévaloir des droits qui leur sont reconnus à ladite disposition.
B. Examen de la question préjudicielle
51. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si, dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de plusieurs personnes en raison de la commission d’une infraction en réunion, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 s’oppose à une règle de procédure nationale qui exige que l’accord de plaider coupable conclu par l’une des personnes poursuivies mentionne la participation à l’infraction des autres personnes poursuivies séparément et
procède à l’identification de ces dernières par leurs noms ainsi que par leur numéro national d’identité.
52. En d’autres termes, la juridiction de renvoi s’interroge sur la formulation à adopter dans le cadre d’un tel accord, afin que ce dernier ne méconnaisse pas le droit à la présomption d’innocence des personnes poursuivies dans une procédure distincte et, en particulier, leur droit à ne pas être présentées, dans une décision judiciaire, comme étant coupables avant même que leur culpabilité n’ait été préalablement légalement établie.
53. La juridiction de renvoi est confrontée à une difficulté particulière tenant à la nature de l’infraction en cause.
54. Je rappelle que six personnes sont poursuivies au titre de leur participation à un « groupe criminel organisé », au sens de l’article 321, paragraphe 2 et paragraphe 3, point 2, du NK. La participation à un groupe criminel organisé est une infraction collective par nature, au même titre que l’association de malfaiteurs, qui incrimine la participation en général. Ainsi qu’en témoigne le terme « groupe », elle n’est donc constituée que dans la mesure où plusieurs auteurs ont participé à sa
commission ( 12 ). La doctrine les considère classiquement comme étant coauteurs de l’infraction commise. Tous participent à la même infraction et leurs comportements sont étroitement liés. Dans la mesure où il existe une véritable solidarité entre les coauteurs lors de la réalisation de l’infraction, la logique voudrait que cette solidarité se retrouve dans la procédure qui leur est appliquée ( 13 ). Cette interdépendance propre à la coaction entraîne des conséquences, a fortiori lorsque les
coauteurs ne sont pas jugés ensemble. Le juge de renvoi relève ainsi que, dans le contexte d’un accord de plaider coupable conclu par l’un d’eux, cette interdépendance peut exiger que les autres coauteurs soient identifiés afin de déterminer la qualification juridique de l’acte incriminé ainsi que la responsabilité pénale de l’intéressé. Une telle exigence peut toutefois affecter les garanties procédurales des coauteurs et, en particulier, le droit à la présomption d’innocence dont bénéficient
ces derniers.
55. Dans l’arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi exprimé des réserves importantes lorsque l’autorité judiciaire décide de juger les coaccusés d’une infraction pénale dans le cadre de procédures disjointes, alors même que la nature des charges implique, aux fins de la détermination de la responsabilité juridique de l’un, d’établir la participation à l’infraction des autres ( 14 ).
56. Elle a, par conséquent, formulé des exigences précises aux fins du respect du droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, lorsqu’une autorité judiciaire décide de procéder à la disjonction de la procédure en raison de la conclusion d’un accord de plaider coupable par l’un d’eux.
57. D’une part, l’autorité judiciaire doit, préalablement à l’adoption d’une telle décision, procéder à un examen minutieux de l’ensemble des intérêts en jeu et permettre aux coaccusés de contester cette décision ( 15 ).
58. D’autre part, l’autorité judiciaire doit assortir la procédure de plaider coupable de deux garanties qu’elle juge essentielles afin de permettre aux coaccusés de bénéficier d’un procès équitable dans le cadre des procédures pendantes dirigées contre eux ( 16 ).
59. Premièrement, l’autorité judiciaire a l’obligation de ne pas revêtir de l’autorité de la chose jugée les faits admis dans une procédure à laquelle les autres coaccusés n’étaient pas parties, l’établissement de ces faits ayant une portée limitée à la procédure en question.
60. Deuxièmement, l’autorité judiciaire doit s’abstenir de toute mention ou déclaration susceptible de compromettre l’examen équitable des charges retenues contre ces derniers dans le contexte d’une procédure distincte et, notamment, de méconnaître leur droit à la présomption d’innocence.
61. C’est sur ce dernier point que porte la présente question préjudicielle et, en particulier, sur les modalités relatives à l’identification et à la mention, dans l’accord conclu entre le procureur et M. MH, de MM. AH, PB, CX, KM et PH au titre de leur participation à l’infraction.
1. Les dispositions prévues à l’article 4 de la directive 2016/343
62. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 dispose qu’il incombe aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que, notamment, les décisions judiciaires, autres que celles statuant sur la culpabilité, ne présentent pas un suspect ou une personne poursuivie comme étant coupable aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement établie.
63. L’article 4, paragraphe 2, de cette directive ajoute que les États membres doivent veiller à ce que des mesures appropriées soient prévues en cas de manquement à cette obligation.
64. Les dispositions prévues à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2016/343 ne fournissent donc aucune indication quant aux mesures que les autorités nationales compétentes doivent concrètement adopter afin de garantir, dans une situation telle que celle en cause au principal, le respect du droit à la présomption d’innocence des personnes poursuivies séparément. Aucune autre disposition de cette directive n’est, en outre, pertinente ( 17 ). Seul son considérant 16, expressément visé par
le juge de renvoi, précise que les décisions judiciaires ne doivent pas refléter le sentiment que ces personnes sont coupables.
65. Il ressort de l’article 1er, mais également des considérants 10 et 48 de la directive 2016/43 que les règles tendant à prévenir et à corriger toutes références publiques à la culpabilité sont des normes minimales, les États membres étant invités, aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive, à adopter les mesures « nécessaires » ou « appropriées » à cette fin.
66. Le législateur de l’Union laisse donc aux États membres le soin de déterminer, en fonction des particularités de son système juridique national, la nature et la portée concrètes de ces mesures. La Cour a ainsi expressément reconnu que ladite directive ne constituait pas un instrument complet et exhaustif qui aurait pour objet de fixer l’ensemble des conditions d’adoption d’une décision judiciaire, telle que la décision de placement en détention provisoire ( 18 ). Ce constat est évidemment
applicable s’agissant des conditions d’adoption d’une décision judiciaire, telle que l’accord de plaider coupable en cause.
67. Toutefois, la marge d’appréciation dont disposent les États membres à cet égard a des limites. En effet, ces derniers doivent respecter les droits fondamentaux et les principes reconnus par la Charte et par la CEDH, tel que cela ressort d’ailleurs du considérant 47 de la directive 2016/343, et les mesures adoptées doivent, en particulier, permettre de prévenir ou de corriger toute violation du droit à la présomption d’innocence.
68. L’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 devrait donc, en principe, être effectuée à l’aune du standard de protection prévu à l’article 48 de la Charte ( 19 ). Néanmoins, force est de constater que ni cette disposition ni la jurisprudence de la Cour ne permettent de déterminer la nature et la portée des mesures que les autorités nationales compétentes doivent mettre en œuvre.
69. La Cour européenne des droits de l’homme a, en revanche, été saisie d’un contentieux abondant dont il convient, dans ces circonstances, de résumer les principes.
70. Ainsi qu’il ressort des explications relatives à la Charte ( 20 ), le droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 48, paragraphe 1, de celle-ci correspond à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH. Afin d’assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH, le législateur de l’Union a posé la règle selon laquelle le sens et la portée de ce droit sont les mêmes que ceux que lui confère la CEDH ( 21 ).
71. En outre, il ressort de la proposition de directive de la Commission ( 22 ) que le législateur de l’Union a entendu renforcer et garantir une application effective du droit à la présomption d’innocence dans le cadre des procédures pénales en intégrant, dans le droit de l’Union, la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l’homme quant au respect de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH ( 23 ). Le législateur de l’Union a clairement exposé sa volonté de favoriser
l’application des articles 6, 47 et 48 de la Charte en s’appuyant sur l’article 6 de la CEDH, tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme.
72. L’article 3 de la directive 2016/343 consacre ainsi le droit à la présomption d’innocence dans des termes identiques à ceux employés à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH.
73. Quant aux articles 4 à 7 de cette directive, ils réglementent certains aspects du droit à la présomption d’innocence, tels que ceux-ci ont été développés dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
74. Ainsi, à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, le législateur de l’Union formule l’une des principales exigences posées par cette Cour, dès 1983, afin de garantir le respect du droit à la présomption d’innocence, à savoir le droit de ne pas être présenté dans une déclaration publique ou dans une décision judiciaire comme étant coupable avant même qu’un jugement définitif n’ait été rendu ( 24 ).
75. Cette disposition édicte une règle minimale et n’a donc pas vocation, en l’état actuel du droit de l’Union, à accorder une protection plus étendue que celle accordée par la CEDH ( 25 ).
76. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est donc pertinente aux fins de l’interprétation du droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 48 de la Charte et, en particulier, de l’un de ses aspects visés à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343. Cette jurisprudence fournit, en effet, des indications très utiles quant aux mesures que les autorités nationales sont tenues d’adopter afin de garantir que, par les motifs d’une décision ou par les termes
employés dans le cadre de celle‑ci, il ne soit pas porté atteinte au droit à la présomption d’innocence des personnes poursuivies séparément.
2. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au respect du droit à la présomption d’innocence dans l’hypothèse où des coaccusés sont jugés dans le cadre de procédures distinctes
77. En application de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, « [t]oute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie» ( 26 ).
78. Dans l’arrêt Karaman c. Allemagne, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que la présomption d’innocence est un élément du procès pénal équitable exigé par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Selon cette Cour, cette présomption se trouve méconnue si, dans une décision judiciaire, le juge du fond exprime prématurément l’opinion selon laquelle la personne poursuivie est coupable, alors que la culpabilité de cette dernière n’a pas été préalablement légalement établie. Il suffit, même
en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable ( 27 ).
79. Afin d’apprécier si cette motivation constitue une violation du droit à la présomption d’innocence, la Cour européenne des droits de l’homme accorde une importance « déterminante » au choix des termes employés par l’autorité judiciaire ( 28 ). Elle tient, également, compte des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été formulés et, notamment, de la nature de la procédure et de la nature des charges retenues contre la/les personne(s) poursuivie(s) ( 29 ). En effet, ces facteurs
permettent d’apprécier la mesure dans laquelle l’autorité judiciaire est tenue de mentionner le rôle concret et les intentions de toutes les personnes susceptibles d’être impliquées dans la commission d’une infraction pénale ( 30 ).
80. Dans l’arrêt Karaman c. Allemagne ( 31 ), la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi admis que, « dans les procédures pénales complexes où sont mis en cause plusieurs suspects ne pouvant être jugés ensemble, il arrive que la juridiction de jugement doive impérativement, pour apprécier la culpabilité des prévenus, faire mention de la participation de tiers qui seront peut-être jugés séparément ensuite» ( 32 ). Elle a souligné que, dans ces circonstances, les « juridictions pénales sont
tenues d’établir les faits de la cause qu’il faut retenir pour que l’analyse de la responsabilité juridique du prévenu soit aussi exacte et précise que possible et [qu’]elles ne peuvent présenter des faits établis comme s’il s’agissait de simples allégations ou de soupçons» ( 33 ). Elle a jugé qu’« [i]l en va de même des faits relatifs à l’implication de tiers» ( 34 ).
81. Cette Cour a toutefois nuancé son propos en précisant que, « si pareils faits doivent être introduits, le juge devrait éviter de communiquer plus d’informations qu’il n’est nécessaire à l’analyse de la responsabilité juridique des personnes passant en jugement devant lui» ( 35 ).
82. Dans cette affaire, le jugement mentionnait à plusieurs reprises non seulement le nom ainsi que les prénoms complets du requérant, mais également le rôle joué par celui-ci dans le cadre de l’escroquerie. L’identification du requérant était néanmoins suivie de l’expression « poursuivi séparément ».
83. La Cour européenne des droits de l’homme devait apprécier si la motivation de ce jugement était de nature à faire naître des interrogations sur l’existence d’un jugement prématuré quant à la culpabilité du requérant et donc à compromettre l’examen équitable des charges retenues contre celui-ci dans le contexte d’une procédure distincte en Allemagne et/ou en Turquie.
84. Cette Cour n’a pas conclu à une violation du droit à la présomption d’innocence. Elle a relevé que, pour apprécier le degré de responsabilité de la personne poursuivie dans le cadre du jugement en cause, l’autorité judiciaire était tenue de déterminer « qui avait formé le projet de détourner l’argent [...] et, sur cette base, qui avait donné quelles instructions à qui» ( 36 ). Elle n’a pas non plus condamné l’identification du requérant par son nom complet dans la mesure où, tout au long du
jugement, cette identification était suivie de l’expression « poursuivi séparément ». Selon elle, l’autorité judiciaire avait ainsi mis en évidence le fait qu’elle n’était pas appelée à statuer sur la culpabilité du requérant, mais que, conformément aux règles de procédure pénale nationale, elle avait pour seul souci d’apprécier la responsabilité pénale de la personne jugée dans les limites de la procédure en question ( 37 ).
85. Dans l’arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé cette jurisprudence tout en exprimant, à titre liminaire, de nombreuses réserves lorsqu’un accord de plaider coupable est conclu dans une procédure où la nature des charges aurait, au contraire, justifié que les coaccusés soient jugés ensemble ( 38 ). Elle a ainsi relevé à quel point il est « essentiel » que l’autorité judiciaire assortisse la procédure de plaider coupable de garanties procédurales
propres à assurer l’équité des procédures en cours engagées à l’encontre des coaccusés, parmi lesquelles figure celle de s’abstenir de tout propos susceptible de nuire à la présomption d’innocence ( 39 ). C’est aux fins d’apprécier les termes mêmes de cette motivation qu’elle s’est ensuite référée à sa grille d’analyse établie dans l’arrêt Karaman c. Allemagne.
86. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie, le jugement rendu contre X dans le cadre d’une procédure de plaider coupable mentionnait que celui-ci avait commis l’infraction reprochée avec deux autres personnes. Si le nom de celles-ci faisait l’objet d’une anonymisation, le jugement mentionnait néanmoins les fonctions professionnelles exercées par ces personnes au sein du gouvernement ou d’entreprises de premier plan ainsi que leur rôle dans la commission de cette
infraction ( 40 ). La Cour européenne des droits de l’homme a condamné les termes employés dans ce jugement dans la mesure où il ne subsistait aucun doute quant à l’identité des coaccusés et quant à leur participation à l’infraction pour laquelle X avait été condamné ( 41 ).
3. Les apports de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme quant à l’interprétation de l’article 48 de la Charte et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343
87. Cette jurisprudence permet de tirer un certain nombre d’enseignements quant à la portée du droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 48 de la Charte et, en particulier, quant aux modalités concrètes permettant de prévenir et de corriger toute référence publique à la culpabilité au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343.
88. Les références publiques doivent être appréciées au cas par cas, au regard des circonstances particulières dans lesquelles celles-ci ont été formulées et, notamment, de la nature et du contexte de la procédure en cause.
89. Ces circonstances peuvent être déterminantes lorsque des coaccusés sont jugés dans le cadre de procédures pénales distinctes, en particulier lorsque l’un d’eux fait l’objet d’une procédure accélérée de plaider coupable.
90. En principe, l’autorité judiciaire doit adopter les mesures propres à garantir l’examen équitable des charges retenues contre les autres coaccusés dans le cadre de la procédure pendante dont ils font l’objet et doit, par conséquent, s’abstenir, dans l’accord de plaider coupable, de toute mention ou référence susceptible de méconnaître le droit à la présomption d’innocence de ces derniers.
91. Néanmoins, il peut être admis que cet accord fasse mention de la participation à l’infraction de ces autres coaccusés et procède à l’identification de ces derniers si, premièrement, ces mentions sont nécessaires aux fins de la qualification juridique de l’acte incriminé et de l’analyse de la responsabilité pénale de la personne reconnaissant sa culpabilité et si, deuxièmement, elles sont accompagnées d’une indication claire que lesdits coaccusés sont poursuivis séparément et que leur culpabilité
n’a pas été légalement établie.
92. Cela signifie que l’autorité judiciaire doit prêter une attention décisive non seulement aux termes employés aux fins de la mention et de l’identification des autres personnes poursuivies séparément, mais également à la motivation, prise dans son ensemble, de l’accord de plaider coupable.
93. D’une part, s’agissant des termes employés aux fins de la mention du rôle joué par les autres personnes poursuivies et de leur identification, je rappelle ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas à ce que l’autorité judiciaire identifie ces dernières par leur nom complet. Cependant, elle exige que, dans ce cas, ces mentions soient suivies d’une expression ou d’une formulation permettant à tous de comprendre que celles-ci sont nécessaires aux fins de
l’appréciation non pas de la culpabilité des autres personnes poursuivies séparément, mais de la seule responsabilité pénale de l’intéressé ( 42 ).
94. D’autre part, il est nécessaire de procéder à un contrôle de la motivation, prise dans son ensemble, de l’accord de plaider coupable en cause. Comme l’a relevé à juste titre la Commission dans le cadre de ses observations, toute expression ou formulation attachée à la mention et à l’identification des autres personnes poursuivies serait vidée de son sens si d’autres parties du raisonnement ou de l’analyse juridique de la décision étaient susceptibles d’être comprises comme une appréciation de la
culpabilité de ces dernières.
95. Au regard de l’ensemble de ces considérations, je pense, par conséquent, que, dans une situation où une autorité judiciaire juge une personne poursuivie au titre de la commission d’une infraction en réunion dans le cadre d’une procédure accélérée de plaider coupable, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que cette autorité fasse mention, dans l’accord de plaider coupable, de la participation à l’infraction des autres
personnes poursuivies et procède à l’identification de ces dernières à la condition que celle-ci s’assure, premièrement, que ces mentions sont nécessaires aux fins de la qualification juridique de l’acte incriminé ainsi que de l’analyse de la responsabilité pénale de la personne reconnaissant sa culpabilité et, deuxièmement, qu’elles sont accompagnées de termes mettant clairement en évidence que ces personnes sont poursuivies dans une procédure pénale distincte et qu’il n’a pas encore été statué
légalement sur leur culpabilité.
96. Je pense qu’il est également important de rappeler que la directive 2016/343 édicte des règles minimales et que le législateur de l’Union autorise expressément les États membres à étendre les droits définis dans celle-ci afin d’offrir un niveau plus élevé de protection ( 43 ). Par conséquent, cette directive ne s’oppose pas à ce qu’un État membre adopte des mesures plus protectrices tendant à prévenir, dans une situation telle que celle en cause au principal, toute référence susceptible de
méconnaître le droit à la présomption d’innocence des personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale distincte.
97. Dans le cas d’espèce, il est constant que la procédure pénale engagée à l’encontre de MM. AH, PB, CX, KM, PH et MH en raison de leur appartenance présumée à un groupe criminel organisé a été disjointe, à la suite des souhaits exprimés par le premier de conclure un accord de plaider coupable. Il est également admis que les cinq autres personnes poursuivies ont consenti à ce que M. MH conclue cet accord, tout en indiquant que ce consentement ne valait pas reconnaissance de leur culpabilité ni
renonciation à leur droit de plaider non coupable.
98. Il ressort aussi de la décision de renvoi que les mentions relatives à la participation de MM. AH, PB, CX, KM et PH à la commission de l’infraction et leur identification par leur nom complet ainsi que par leur numéro d’identité dans le cadre de l’accord conclu entre le procureur et M. MH découle d’une application de la jurisprudence nationale, laquelle exige que le texte de l’accord corresponde entièrement à celui de l’acte d’accusation.
99. Cette exigence relève de la marge d’appréciation dont disposent les États membres en ce qui concerne les conditions d’adoption d’un accord tel que celui en cause, et ce en raison de l’harmonisation minimale à laquelle procède la directive 2016/343.
100. Toutefois, la mise en œuvre de cette exigence nécessite d’adopter des précautions particulières afin que l’accord conclu entre le procureur et M. MH ne compromette pas l’examen équitable des charges retenues contre MM. AH, PB, CX, KM et PH dans le cadre de la procédure pendante dont ils font l’objet et, en particulier, ne méconnaisse pas leur droit à la présomption d’innocence. En effet, dans sa rédaction actuelle, cet accord contient des mentions qui, en l’absence de toute précision, sont
susceptibles d’être comprises comme une expression prématurée de leur culpabilité.
101. Il n’appartient pas à la Cour de formuler des suggestions ou de proposer des modifications quant aux termes employés dans ledit accord. Cette tâche incombe à la juridiction de renvoi qui est, d’une part, seule en mesure d’interpréter le droit national applicable et de tenir compte des circonstances de la procédure et, d’autre part, seule compétente aux fins de l’homologation de cet accord.
102. Afin de satisfaire aux exigences visées à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2016/343, cette juridiction doit apprécier la mesure dans laquelle les mentions litigieuses sont nécessaires aux fins de la qualification juridique de l’acte incriminé et de l’analyse de la responsabilité pénale de M. MH. Je relève, à cet égard, que celle-ci souligne dans sa décision de renvoi que ces mentions peuvent avoir une grande importance pour que soient réunis les éléments constitutifs de l’infraction
en cause.
103. Le cas échéant, la juridiction de renvoi est tenue d’apprécier dans quelle mesure lesdites mentions peuvent être suivies d’une expression ou d’une formulation mettant clairement en évidence le fait que MM. AH, PB, CX, KM et PH sont poursuivis dans le cadre d’une procédure pénale distincte et qu’il n’a pas encore été statué légalement sur leur culpabilité.
104. Enfin, il lui appartient de s’assurer que l’accord conclu entre le procureur et M. MH ne comporte aucune autre mention susceptible d’être comprise comme une expression prématurée de la culpabilité de ces cinq personnes.
V. Conclusion
105. Eu égard aux réflexions qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) comme suit :
L’article 4, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, dans une situation telle que celle en cause, où l’autorité judiciaire nationale juge une personne poursuivie au titre de la commission d’une infraction en réunion dans le cadre de la
conclusion d’un accord portant reconnaissance préalable de culpabilité, à ce que cette autorité judiciaire fasse mention, dans cet accord, de la participation à l’infraction des autres personnes poursuivies séparément et procède à l’identification de ces dernières à la condition que cette autorité s’assure, premièrement, que ces mentions sont nécessaires aux fins de la qualification juridique de l’acte incriminé ainsi que de l’analyse de la responsabilité pénale de la personne reconnaissant sa
culpabilité et, deuxièmement, qu’elles sont accompagnées de termes mettant clairement en évidence que ces personnes sont poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale distincte et qu’il n’a pas encore été statué légalement sur leur culpabilité.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Ci-après l’« accord de plaider coupable ». La procédure y afférente sera ci-après visée sous l’expression « procédure de plaider coupable ».
( 3 ) Ci-après la « Charte ».
( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1).
( 5 ) C‑310/18 PPU, EU:C:2018:732.
( 6 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».
( 7 ) DV no 67, du 27 juillet 1999.
( 8 ) Texte de l’accord communiqué par la juridiction de renvoi à la demande de la Cour.
( 9 ) L’application ratione temporis de la directive 2016/343 ne soulève, à mon sens, aucune difficulté particulière. En application de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, les États membres étaient tenus de transposer ladite directive au plus tard le 1er avril 2018. Or, je constate que l’accord en cause a été conclu entre le procureur et M. MH le 18 mai 2018 et doit encore être approuvé par la juridiction de renvoi.
( 10 ) Voir, à cet égard, développements consacrés à la transaction pénale au sein de l’Union européenne dans les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Gözütok et Brügge (C‑187/01, EU:C:2002:516, points 61 à 106). Voir, également, s’agissant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, arrêt de la Cour EDH du 23 février 2016, Navalnyy et Ofitserov c. Russie (CE:ECHR:2016:0223JUD004663213, § 100 et jurisprudence citée), ci-après l’« arrêt Navalnyy et
Ofitserov c. Russie ».
( 11 ) Voir Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne (CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, § 41 et jurisprudence citée), ci-après l’« arrêt Karaman c. Allemagne ».
( 12 ) Il ressort de la décision de renvoi ainsi que des termes de l’accord en cause qu’un nombre minimal de trois participants est ainsi exigé pour caractériser ce groupe.
( 13 ) Voir, à cet égard, Baron, E., La coaction en droit pénal, thèse de doctorat soutenue le 7 décembre 2012, en particulier point 371.
( 14 ) Arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 100 ainsi que jurisprudence citée, et § 103 et 104 ainsi que jurisprudence citée). Au § 104, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé ce qui suit : « If the nature of the charges makes it unavoidable for the involvement of third parties to be established in one set of proceedings and those findings would be consequential on the assessment of the legal responsibility of the third parties tried separately, this should be considered as a serious
obstacle for disjoining the cases. »
( 15 ) Arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 104).
( 16 ) Arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 103 à 105).
( 17 ) Les dispositions prévues à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2016/343 ne sont pas pertinentes dans la présente affaire.
( 18 ) Arrêt du 19 septembre 2018, Milev (C‑310/18 PPU, EU:C:2018:732, points 45 à 47).
( 19 ) Voir, par analogie, arrêts du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a. (C‑203/15 et C‑698/15, EU:C:2016:970, points 127 et 128 ainsi que jurisprudence citée), et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 62).
( 20 ) JO 2007, C 303, p. 17.
( 21 ) Voir explication ad article 52 de la Charte.
( 22 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales [COM(2013) 821 final].
( 23 ) Voir points 13 à 17 de cette proposition.
( 24 ) Dans le cadre de sa proposition de directive, la Commission s’est ainsi expressément référée à l’arrêt de la Cour EDH du 25 mars 1983, Minelli c. Suisse (CE:ECHR:1983:0325JUD000866079, § 37), dans lequel celle-ci a jugé que « la présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu, et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il
est coupable. Il peut en aller ainsi même en l’absence de constat formel ; il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable ».
( 25 ) Il convient de rappeler, conformément à une jurisprudence constante, que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte ne porte pas atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour, le législateur de l’Union pouvant dès lors accorder une protection plus étendue que la CEDH [voir, à cet égard, arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a. (C‑203/15 et C‑698/15, EU:C:2016:970, point 129 et jurisprudence citée)].
( 26 ) Voir, s’agissant du droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, Kjølbro, J. F., Den Europaeiske Menneskerettighedskonvention – for praktikere, Jurist – og Okonomforbundets Forlag, Copenhague, 2017, en particulier p. 655 et suiv.
( 27 ) Voir, à cet égard, arrêt Karaman c. Allemagne (§ 41 et jurisprudence citée).
( 28 ) Voir, à cet égard, arrêt Karaman c. Allemagne (§ 63 et jurisprudence citée), ainsi que, dans le même sens, Cour EDH, 31 octobre 2013, Mosinian c. Grèce (CE:ECHR:2013:1031JUD000804510, § 23 et jurisprudence citée).
( 29 ) Voir, à cet égard, arrêts Karaman c. Allemagne (§ 64) et Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 104), ainsi que Cour EDH, 25 janvier 2018, Bikas c. Allemagne (CE:ECHR:2018:0125JUD007660713, § 46 et jurisprudence citée).
( 30 ) Ainsi que l’a relevé la Cour européenne des droits de l’homme au § 63 de l’arrêt Karaman c. Allemagne, « lorsque l’on tient compte de la nature et du contexte de la procédure en question, même l’usage de termes malencontreux peut ne pas être déterminant ».
( 31 ) Dans cette affaire, le requérant invoquait une violation de son droit à la présomption d’innocence en raison des mentions de sa participation à la commission d’une infraction pénale qui figuraient dans le cadre d’un jugement rendu contre d’autres suspects poursuivis séparément en Allemagne. La décision judiciaire en cause était donc rendue à l’issue d’une procédure qui n’était pas directement dirigée contre le requérant, en qualité d’accusé, mais qui, néanmoins, concernait une procédure
pénale en cours contre le requérant et se trouvait liée à celle-ci.
( 32 ) Arrêt Karaman c. Allemagne (§ 64), souligné par mes soins.
( 33 ) Arrêt Karaman c. Allemagne (§ 64).
( 34 ) Idem.
( 35 ) Idem.
( 36 ) Ibidem (§ 66).
( 37 ) Ibidem (§ 69).
( 38 ) Voir développements consacrés à cette problématique aux points 56 à 61 des présentes conclusions.
( 39 ) Arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 103 et 104).
( 40 ) Ce jugement mentionnait que X avait conspiré avec deux autres personnes, « N., ancien conseiller bénévole du gouverneur » et « O., ancien directeur de VLK », et précisait en particulier que « N. » avait « nourri le dessein criminel de détourner des actifs [...] » (voir communiqué de presse de l’arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie, disponible à l’adresse Internet suivante : http://hudoc.echr.coe.int/fre-press?i=003-5307100-6607284).
( 41 ) Arrêt Navalnyy et Ofitserov c. Russie (§ 106).
( 42 ) Voir points 82 à 84 des présentes conclusions.
( 43 ) Voir considérant 48 de cette directive.