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15/05/2019 | CJUE | N°C-677/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M. Çoban contre Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen., 15/05/2019, C-677/17


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 mai 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE-Turquie – Protocole additionnel – Article 59 – Décision no 3/80 – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Levée des clauses de résidence – Article 6 – Prestation d’invalidité – Suppression – Règlement (CE) no 883/2004 – Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif – Condition de résidence – Directive 2003/109/CE – Statut de résident de longue durée »

Dans l’affaire C

677/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Centrale Raad van Beroep...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 mai 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE-Turquie – Protocole additionnel – Article 59 – Décision no 3/80 – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Levée des clauses de résidence – Article 6 – Prestation d’invalidité – Suppression – Règlement (CE) no 883/2004 – Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif – Condition de résidence – Directive 2003/109/CE – Statut de résident de longue durée »

Dans l’affaire C‑677/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays‑Bas), par décision du 1er décembre 2017, parvenue à la Cour le 4 décembre 2017, dans la procédure

M. Çoban

contre

Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, E. Regan, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

– pour M. Çoban, par Mes R. Akkaya et Z. M. Alaca, advocaten,

– pour le Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen, par Mme J. Hut, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 28 février 2019,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille (JO 1983, C 110, p. 60), lu en combinaison avec l’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom
de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO 1972, L 293, p. 1, ci-après le « protocole additionnel »). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette
dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’« accord d’association »)

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Çoban au Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (conseil d’administration de l’Institut de gestion des assurances pour les travailleurs salariés, Pays-Bas, ci-après l’« Uwv ») au sujet du rejet par ce dernier de sa demande tendant à obtenir une prestation complémentaire au titre de la législation néerlandaise.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’accord d’association

3 Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.

Le protocole additionnel

4 Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé « Circulation des personnes et des services », dont le chapitre I vise « [l]es travailleurs ».

5 L’article 39 du protocole additionnel, qui fait partie du chapitre I dudit titre II, prévoit :

« 1.   Avant la fin de la première année après l’entrée en vigueur du présent protocole, le Conseil d’association arrête des dispositions en matière de sécurité sociale en faveur des travailleurs de nationalité turque qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et de leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.

[...]

4.   Les pensions et rentes de vieillesse, de décès et d’invalidité, acquises en vertu des dispositions prises en application du paragraphe 2, devront pouvoir être exportées vers la Turquie.

[...] »

6 L’article 59 du protocole additionnel, qui figure sous le titre IV de celui‑ci, intitulé « Dispositions générales et finales », est libellé comme suit :

« Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté. »

7 L’article 62 du protocole additionnel dispose :

« Le présent protocole et ses annexes sont partie intégrante de l’[accord d’association]. »

La décision no 3/80

8 L’article 2 de la décision no 3/80, intitulé « Champ d’application personnel », énonce :

« La présente décision s’applique :

– aux travailleurs qui sont ou ont été soumis à la législation de l’un ou de plusieurs des États membres et qui sont des ressortissants de la Turquie,

– aux membres de la famille de ces travailleurs, qui résident sur le territoire de l’un des États membres,

– aux survivants de ces travailleurs. »

9 L’article 4 de ladite décision, intitulé « Champ d’application matériel », prévoit :

« 1.   La présente décision s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

[...]

b) les prestations d’invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain ;

[...]

2.   La présente décision s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1.

[...] »

10 L’article 6 de la décision no 3/80, intitulé « Levée de clauses de résidence [...] », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« À moins que la présente décision n’en dispose autrement, les prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse ou des survivants ainsi que les rentes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside en Turquie ou sur le territoire d’un État membre autre que celui où se trouve
l’institution débitrice. »

Le règlement no 883/2004

11 L’article 7 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (ci-après le « règlement no 883/2004 »), intitulé « Levée des clauses de résidence », énonce :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les prestations en espèces dues en vertu de la législation d’un ou de plusieurs États membres ou du présent règlement ne peuvent faire l’objet d’aucune réduction, modification, suspension, suppression ou confiscation du fait que le bénéficiaire ou les membres de sa famille résident dans un État membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice. »

12 L’article 70 du règlement no 883/2004 prévoit :

« 1.   Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et d’une assistance sociale.

2.   Aux fins du présent chapitre, on entend par “prestations spéciales en espèces à caractère non contributif” les prestations

[...]

c) qui sont énumérées à l’annexe X.

3.   L’article 7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2 du présent article.

4.   Les prestations visées au paragraphe 2 sont octroyées exclusivement dans l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa législation. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge. »

13 L’annexe X dudit règlement, intitulée « Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif », prévoit, concernant les Pays-Bas, les prestations suivantes :

« [...]

b) Loi sur les prestations complémentaires du 6 novembre 1986 (TW). »

La directive 2003/109

14 Les considérants 2, 4, 6 et 12 de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), énoncent :

« (2) Lors de sa réunion extraordinaire de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen a proclamé que le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des États membres et qu’une personne résidant légalement dans un État membre, pendant une période à déterminer, et titulaire d’un permis de séjour de longue durée devrait se voir octroyer dans cet État membre un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont
jouissent les citoyens de l’Union européenne.

[...]

(4) L’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté, énoncé dans le traité.

[...]

(6) Le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être la durée de résidence sur le territoire d’un État membre. Cette résidence devrait avoir été légale et ininterrompue pour témoigner de l’ancrage de la personne dans le pays. Une certaine flexibilité devrait être prévue pour tenir compte des circonstances qui peuvent amener une personne à s’éloigner du territoire de manière temporaire.

[...]

(12) Afin de constituer un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi, le résident de longue durée devrait jouir de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’État membre dans un large éventail de domaines économiques et sociaux, selon les conditions pertinentes définies par la présente directive. »

15 L’article 1er de ladite directive dispose :

« La présente directive établit :

a) les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents, et

b) les conditions de séjour dans des États membres autres que celui qui a octroyé le statut de longue durée pour les ressortissants de pays tiers qui bénéficient de ce statut. »

16 L’article 8 de la directive 2003/109 prévoit :

« 1.   Le statut de résident de longue durée est permanent, sous réserve de l’article 9.

2.   Les États membres délivrent au résident de longue durée le permis de séjour de résident de longue durée – [UE]. Ce permis a une durée de validité d’au moins cinq ans ; à son échéance, il est renouvelable de plein droit, au besoin sur demande.

[...] »

Le droit néerlandais

17 L’article 4a de la Toeslagenwet (loi sur les prestations complémentaires), du 6 novembre 1986 (Stb. 1986, no 567), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « TW »), disposait :

« 1.   La personne visée à l’article 2 n’a pas droit à une prestation complémentaire pour la période où elle ne réside pas aux Pays-Bas.

2.   La personne visée à l’article 2 qui, en vertu du paragraphe 1, n’a pas droit à une prestation complémentaire a droit à cette prestation complémentaire depuis le jour où elle fixe sa résidence aux Pays-Bas si elle satisfait aux conditions prévues à l’article 2, paragraphes 1, 2 ou 3. »

18 L’article 8, paragraphe 1, de la Remigratiewet (loi sur la migration de retour), du 22 avril 1999 (Stb. 1999, no 232), prévoit :

« Les personnes qui ont quitté les Pays-Bas dans le cadre de la présente loi peuvent y revenir au plus tard un an à compter de la date à laquelle elles se sont établies dans le pays de destination. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 M. Çoban est un ressortissant turc qui a exercé pendant une certaine période une activité salariée aux Pays-Bas.

20 Le 11 septembre 2006, M. Çoban a quitté son emploi pour cause de maladie.

21 Depuis le 18 décembre 2006, il est titulaire d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE, délivré conformément aux dispositions de la directive 2003/109.

22 À partir du 8 septembre 2008, l’Uwv a accordé à M. Çoban une allocation au titre de la Wet werk en inkomen naar arbeidsvermogen (loi sur le travail et le revenu en fonction de la capacité de travail), du 10 novembre 2005 (Stb. 2005, no 572), calculée sur la base d’une incapacité de travail de 45 % à 55 %. En outre, l’Uwv a également accordé à M. Çoban une prestation complémentaire sous la forme d’une majoration destinée à lui assurer un revenu minimal, au titre de la TW.

23 Le 10 février 2014, M. Çoban a informé l’Uwv de son intention de retourner en Turquie à partir du 1er avril 2014. Par décision du 12 février 2014, l’Uwv a supprimé la prestation complémentaire préalablement accordée à M. Çoban, avec effet au 1er avril 2014.

24 Dans le cadre de son départ en Turquie, M. Çoban a, à sa demande, obtenu de la part des autorités néerlandaises des allocations d’aide au retour. Le 18 mars 2014, M. Çoban est retourné en Turquie. Il ressort de la décision de renvoi que, à cette dernière date, il était encore titulaire d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE.

25 Le 9 juillet 2014, M. Çoban a présenté, depuis la Turquie, une nouvelle demande de prestation complémentaire auprès de l’Uwv. Selon la juridiction de renvoi, cette nouvelle demande viserait à récupérer la prestation complémentaire supprimée par l’Uwv le 12 février 2014.

26 Par décision du 1er août 2014, l’Uwv a rejeté cette demande.

27 M. Çoban a introduit une réclamation contre cette dernière décision devant l’Uwv, qui, par décision du 20 octobre 2014, a confirmé le rejet de la demande de prestation complémentaire sur le fondement de l’article 4a de la TW, selon lequel seules les personnes résidant aux Pays-Bas ont droit à une telle prestation.

28 Le requérant au principal a introduit un recours contre la décision de l’Uwv du 20 octobre 2014 devant le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas).

29 Par jugement du 18 juin 2015, cette juridiction a rejeté ledit recours au motif, notamment, que M. Çoban ne se trouvait pas dans une situation comparable à celle des ressortissants turcs concernés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mai 2011, Akdas e.a. (C‑485/07, EU:C:2011:346).

30 M. Çoban a interjeté appel de ce dernier jugement devant le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique, Pays-Bas).

31 La juridiction de renvoi relève que M. Çoban a quitté définitivement le marché régulier de l’emploi aux Pays-Bas à un moment donné après le début de son incapacité de travail, de telle sorte qu’il a perdu son droit de séjour dans cet État membre au titre de l’accord d’association. Dans la mesure où cette circonstance le placerait dans une situation comparable à celle des ressortissants turcs concernés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mai 2011, Akdas e.a. (C‑485/07, EU:C:2011:346),
M. Çoban devrait, en principe, pouvoir invoquer le droit d’exporter la prestation complémentaire en cause au principal sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80.

32 Toutefois, la juridiction de renvoi souligne que, contrairement aux ressortissants turcs concernés dans ladite affaire, M. Çoban a quitté les Pays-Bas de son plein gré. En effet, selon cette juridiction, le requérant au principal était titulaire, à la date de son retour en Turquie, du statut de résident de longue durée, au sens de la directive 2003/109, dans cet État membre. En outre, il pouvait, en vertu de la loi sur la migration de retour, revenir dans ledit État membre dans le délai d’un an
après son départ.

33 Ainsi, la situation de M. Çoban présenterait également des similitudes avec celle des ressortissants turcs concernés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 janvier 2015, Demirci e.a. (C‑171/13, EU:C:2015:8).

34 Dès lors, la juridiction de renvoi s’interroge, au regard de la jurisprudence issue des arrêts du 26 mai 2011, Akdas e.a. (C‑485/07, EU:C:2011:346), ainsi que du 14 janvier 2015, Demirci e.a. (C‑171/13, EU:C:2015:8), quant à la question de savoir si, aux fins de l’application de l’article 59 du protocole additionnel, la situation de M. Çoban peut être utilement comparée à celle des citoyens de l’Union, qui ne peuvent exporter une prestation telle que celle en cause au principal.

35 Dans ces conditions, le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« [1)] L’article 6, paragraphe 1, [premier alinéa], de la [décision no 3/80], lu en combinaison avec l’article 59 du [protocole additionnel], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre telle que l’article 4a de la [TW], en vertu de laquelle une prestation complémentaire qui a été accordée est supprimée lorsque le bénéficiaire s’établit en Turquie, y compris lorsque le bénéficiaire a quitté le territoire de l’État membre de son propre gré ?

[2)] Est-il pertinent à cet égard que l’intéressé, au moment de son départ, ne dispose plus d’un droit de séjour sur la base [de l’accord d’association], mais bien d’un [permis de séjour de résident de longue durée – UE fondé sur la directive 2003/109] ?

[3)] Est-il pertinent à cet égard que la réglementation nationale permette à l’intéressé de revenir dans un délai d’un an à dater de son départ et de recouvrer ainsi le droit à la prestation complémentaire et qu’il conserve encore cette possibilité tant qu’il dispose d’un [permis de séjour de résident de longue durée – UE fondé sur ladite directive] ? »

Sur les questions préjudicielles

36 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80, lu en combinaison avec l’article 59 du protocole additionnel, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui supprime le bénéfice d’une prestation complémentaire à un ressortissant turc qui retourne dans son pays d’origine et qui est titulaire, à la date
de son départ de l’État membre d’accueil, du statut de résident de longue durée, au sens de la directive 2003/109.

37 À cet égard, il convient de rappeler que la décision no 3/80 vise à coordonner les régimes de sécurité sociale des États membres en vue de faire bénéficier les travailleurs turcs occupés ou ayant été occupés dans l’Union, ainsi que les membres de la famille de ces travailleurs et leurs survivants, de prestations dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale (arrêt du 10 septembre 1996, Taflan–Met e.a., C‑277/94, EU:C:1996:315, point 26).

38 Selon l’article 2 de la décision no 3/80, celle-ci s’applique, notamment, aux travailleurs turcs qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres.

39 S’agissant du champ d’application matériel de la décision no 3/80, il ressort de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette décision que celle-ci s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent, notamment, les prestations d’invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain, ainsi qu’aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs.

40 En l’occurrence, il est constant que M. Çoban bénéficie d’une pension d’invalidité prévue par la législation néerlandaise en matière de sécurité sociale et que la prestation complémentaire en cause au principal vise à majorer cette pension afin de lui assurer un revenu minimal. Par conséquent, cette prestation doit être assimilée à une prestation d’invalidité, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision no 3/80.

41 Dès lors, la décision no 3/80 est applicable à une situation telle que celle au principal.

42 L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80, qui met en œuvre l’article 39, paragraphe 4, du protocole additionnel, consacre le droit des travailleurs turcs de conserver, en Turquie ou sur le territoire d’un État membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice, le bénéfice des prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse ou des survivants ainsi que des rentes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, acquises au titre de la législation d’un ou
de plusieurs États membres.

43 La décision no 3/80 ne prévoit aucune dérogation ou restriction à la levée des clauses de résidence énoncée à son article 6, paragraphe 1, premier alinéa (arrêt du 26 mai 2011, Akdas e.a., C‑485/07, EU:C:2011:346, point 80).

44 En l’occurrence, l’Uwv a, par décision du 12 février 2014, supprimé la prestation complémentaire en cause au principal avec effet au 1er avril 2014, au motif que M. Çoban l’avait informé de son intention de retourner en Turquie à cette dernière date. Le 9 juillet 2014, M. Çoban a alors présenté, depuis la Turquie, une nouvelle demande de prestation complémentaire, laquelle viserait, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, à rétablir celle supprimée par l’Uwv.

45 Dans la mesure où cette dernière demande introduite par le requérant au principal vise, selon la juridiction de renvoi, à rétablir un droit à une prestation complémentaire acquis au titre de la TW, il y a lieu de considérer, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé en substance aux points 60 et 62 de ses conclusions, que M. Çoban invoque, dans la procédure au principal, le droit à une prestation d’invalidité acquise au titre de la législation d’un État membre, conformément à l’article 6,
paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80.

46 Dans ces circonstances, la situation de M. Çoban relève du champ d’application de ladite disposition.

47 Toutefois, il convient de constater que la prestation complémentaire en cause au principal constitue, en vertu de l’inscription de la TW à l’annexe X du règlement no 883/2004, une « prestation spéciale en espèces à caractère non contributif », au sens de l’article 70, paragraphe 2, de ce règlement.

48 Conformément à l’article 70, paragraphe 3, du règlement no 883/2004, le principe de la levée des clauses de résidence prévu à l’article 7 de ce règlement n’est pas applicable à de telles prestations. En vertu de l’article 70, paragraphe 4, du même règlement, ces prestations sont octroyées exclusivement dans l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa législation.

49 Il en découle que les citoyens de l’Union relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 ne peuvent bénéficier d’une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, telle que la prestation complémentaire en cause au principal, que pour autant qu’ils résident dans l’État membre qui l’a octroyée.

50 Ainsi, les citoyens de l’Union demeurent soumis à la condition de résidence sur le territoire du Royaume des Pays-Bas imposée par l’article 4a de la TW pour bénéficier d’une prestation complémentaire au titre de cette législation.

51 Or, il convient de rappeler que l’article 59 du protocole additionnel prévoit que, dans les domaines couverts par ce protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.

52 Le protocole additionnel couvre notamment, aux termes de son titre II, la circulation des personnes et des services et, en particulier, les dispositions en matière de sécurité sociale en faveur des travailleurs de nationalité turque qui se déplacent à l’intérieur de l’Union, lesquelles figurent dans la décision no 3/80.

53 Il convient donc d’examiner, au regard de l’article 59 dudit protocole, si la circonstance qu’un ressortissant turc, tel que M. Çoban, puisse conserver, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80, le droit à une prestation complémentaire, telle que celle en cause au principal, après avoir transféré sa résidence en Turquie, alors que les citoyens de l’Union demeurent soumis à la condition de résidence imposée par l’article 4a de la TW pour bénéficier d’un
tel droit, aboutirait à réserver à ce ressortissant turc un traitement plus favorable que celui accordé aux citoyens de l’Union se trouvant dans une situation comparable.

54 À cet égard, la Cour a jugé, au point 95 de l’arrêt du 26 mai 2011, Akdas e.a. (C‑485/07, EU:C:2011:346), que la situation d’anciens travailleurs turcs qui sont retournés en Turquie après avoir perdu leur droit de séjour dans l’État membre d’accueil en raison de la circonstance qu’ils ont été atteints d’invalidité dans celui-ci, ne peut pas, pour les besoins de l’application de l’article 59 du protocole additionnel, être utilement comparée à celle des ressortissants de l’Union dans la mesure où
ceux-ci, étant titulaires du droit de circuler ainsi que de séjourner librement sur le territoire des États membres et conservant ainsi leur droit de séjour dans l’État membre qui octroie la prestation en cause, d’une part, peuvent choisir de quitter le territoire de cet État en perdant, de ce fait, le bénéfice de cette prestation et, d’autre part, ont le droit de revenir à tout moment dans l’État membre concerné.

55 En l’occurrence, la situation de M. Çoban ne peut être assimilée à celle des ressortissants turcs concernés dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, dès lors que, à la date de son départ des Pays-Bas vers la Turquie, M. Çoban n’avait pas perdu son droit de séjour dans cet État membre.

56 En effet, il ressort du dossier soumis à la Cour que, à cette date, M. Çoban était titulaire du statut de résident de longue durée aux Pays-Bas, au sens de la directive 2003/109.

57 Or, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 8 de la directive 2003/109, le statut de résident de longue durée est permanent sous réserve des dispositions de l’article 9 de cette directive, relatives au retrait ou à la perte de ce statut.

58 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des considérants 4, 6 et 12 de la directive 2003/109, l’objectif principal de celle-ci est l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres. De même, comme il résulte du considérant 2 de cette directive, celle-ci vise, en octroyant le statut de résident de longue durée auxdits ressortissants de pays tiers, à rapprocher le statut juridique de ces derniers de celui des ressortissants des États membres (arrêt du
18 octobre 2012, Singh, C‑502/10, EU:C:2012:636, point 45).

59 Ainsi, en vertu d’un tel statut, M. Çoban était en mesure, à la date de son départ des Pays-Bas vers la Turquie, de satisfaire à la condition de résidence sur le territoire de cet État membre imposée par la TW pour bénéficier de la prestation complémentaire en cause au principal, à l’instar d’un citoyen de l’Union séjournant aux Pays-Bas.

60 Il s’ensuit que, aux fins de l’application de l’article 59 du protocole additionnel, la situation de M. Çoban doit être considérée comme comparable à celle d’un citoyen de l’Union séjournant aux Pays-Bas qui a acquis le droit à une prestation complémentaire sur le fondement de la TW.

61 Dans ces conditions, la circonstance qu’un ressortissant turc, tel que M. Çoban, puisse conserver, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80, le droit à une prestation complémentaire, telle que celle en cause au principal, après avoir transféré sa résidence en Turquie, alors que les citoyens de l’Union demeurent soumis à la condition de résidence sur le territoire du Royaume des Pays-Bas imposée par l’article 4a de la TW pour bénéficier d’un tel droit,
aboutirait à réserver à ce ressortissant turc un traitement plus favorable que celui accordé aux citoyens de l’Union se trouvant dans une situation comparable, ce qui serait incompatible avec les exigences découlant de l’article 59 du protocole additionnel.

62 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80, lu en combinaison avec l’article 59 du protocole additionnel, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui supprime le bénéfice d’une prestation complémentaire à un ressortissant turc qui retourne dans son pays d’origine et qui est titulaire, à la date de son
départ de l’État membre d’accueil, du statut de résident de longue durée, au sens de la directive 2003/109.

Sur les dépens

63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la décision no 3/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative à l’application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, lu en combinaison avec l’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972, doit
être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui supprime le bénéfice d’une prestation complémentaire à un ressortissant turc qui retourne dans son pays d’origine et qui est titulaire, à la date de son départ de l’État membre d’accueil, du statut de résident de longue durée, au sens de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-677/17
Date de la décision : 15/05/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Centrale Raad van Beroep.

Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE-Turquie – Protocole additionnel – Article 59 – Décision no 3/80 – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Levée des clauses de résidence – Article 6 – Prestation d’invalidité – Suppression – Règlement (CE) no 883/2004 – Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif – Condition de résidence – Directive 2003/109/CE – Statut de résident de longue durée.

Relations extérieures

Libre circulation des travailleurs

Accord d'association


Parties
Demandeurs : M. Çoban
Défendeurs : Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:408

Source

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