ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
21 mars 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Champ d’application – Article 2, sous b) et sous c) – Notions de “consommateur” et de “professionnel” – Financement de l’acquisition d’une habitation principale – Prêt immobilier consenti par un employeur à son salarié et au conjoint de celui-ci, coemprunteur solidaire »
Dans l’affaire C‑590/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 4 octobre 2017, parvenue à la Cour le 12 octobre 2017, dans la procédure
Henri Pouvin,
Marie Dijoux, épouse Pouvin,
contre
Électricité de France (EDF),
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. M. Vilaras, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Malenovský, L. Bay Larsen, M. Safjan (rapporteur) et D. Šváby, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : Mme R. Şereş, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2018,
considérant les observations présentées :
– pour M. Pouvin et Mme Dijoux, épouse Pouvin, par Me J. Buk Lament, avocate,
– pour Électricité de France (EDF), par Me E. Piwnica, avocat,
– pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et J. Traband ainsi que par Mme A.-L. Desjonquères, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou, D. Tsagkaraki et C. Fatourou ainsi que par M. K. Georgiadis, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. N. Ruiz García et Mme C. Valero, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 novembre 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous b) et sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Henri Pouvain et Mme Marie Dijoux, épouse Pouvin, à Électricité de France (EDF) au sujet d’une demande de paiement de sommes restant dues dans le cadre d’un prêt immobilier que cette société avait accordé à ces derniers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les neuvième, dixième et quatorzième considérants de la directive 93/13 énoncent :
« considérant que [...] les acquéreurs de biens ou de services doivent être protégés contre les abus de puissance du vendeur ou du prestataire, en particulier contre les contrats d’adhésion et l’exclusion abusive de droits essentiels dans les contrats ;
considérant qu’une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives ; que ces règles doivent s’appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ; que, par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des
sociétés ;
[...]
considérant [...] que la présente directive s’applique également aux activités professionnelles à caractère public ».
4 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive :
« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »
5 L’article 2 de ladite directive prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;
c) “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée ».
Le droit français
6 L’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige au principal, a transposé en droit français la directive 93/13.
7 Aux termes du premier alinéa de cet article :
« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Le 3 avril 1995, EDF a consenti à M. Pouvin, salarié de cette société, et à son épouse (ci-après les « emprunteurs ») un prêt relevant du dispositif d’aide à l’accession à la propriété, afin de financer l’acquisition de leur habitation principale, d’un montant de 57625,73 euros, remboursable en 240 mensualités réparties en deux périodes d’amortissement de dix ans, au taux respectif de 4,75 % et de 8,75 % (ci-après le « contrat de prêt »).
9 Aux termes de l’article 7 de ce contrat de prêt, celui-ci devait être résilié de plein droit en cas de cessation d’appartenance de l’emprunteur au personnel d’EDF pour quelque cause que ce soit. Cette clause avait pour effet de rendre immédiatement exigible, en cas de rupture du contrat de travail, le remboursement du capital du prêt, sans que les emprunteurs aient failli à leurs obligations.
10 M. Pouvin ayant démissionné d’EDF le 1er janvier 2002, les emprunteurs ont cessé de régler les échéances du prêt.
11 Le 5 avril 2012, après avoir appliqué la clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt en cas de cessation d’appartenance de l’emprunteur au personnel d’EDF, celle-ci a assigné les emprunteurs en paiement de la somme de 50238,37 euros restant due au titre du capital et des intérêts au 1er janvier 2002, ainsi que de la somme de 3517 euros au titre de la clause pénale.
12 Par jugement du 29 mars 2013, le tribunal de grande instance de Saint-Pierre (France) a déclaré abusive la clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt concerné en cas de cessation d’appartenance au personnel d’EDF. Ainsi, cette juridiction a débouté EDF de sa demande en constatation de la résiliation de plein droit dudit contrat. Dans le même temps, ladite juridiction a prononcé la résiliation du même contrat du fait du défaut de paiement des échéances du prêt et a condamné
solidairement les emprunteurs à payer à EDF la somme de 44551,84 euros, majorée d’intérêts de 6 % à compter du 5 avril 2012, ainsi que la somme de 3118,63 euros, majorée d’un taux d’intérêts de 6 % à compter du prononcé du jugement, au titre des dommages subis par EDF du fait de la carence des emprunteurs.
13 Par arrêt du 12 septembre 2014, la cour d’appel de Saint-Denis (France) a infirmé le jugement du 29 mars 2013 et a jugé que la résiliation de plein droit du contrat en cause était intervenue le 1er janvier 2002. Par conséquent, elle a condamné les emprunteurs à payer à EDF la somme de 50238,37 euros, majorée d’un taux d’intérêts de 6 % à compter du 1er janvier 2002, les sommes versées postérieurement à cette date devant être déduites. En outre, cette juridiction a condamné les emprunteurs à payer
à EDF la somme de 3517 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 1er janvier 2002, au titre de la clause pénale contractuelle.
14 En effet, cette juridiction a considéré que l’article L. 132-1 du code de la consommation n’était pas applicable en l’espèce, puisque EDF avait conclu le contrat de prêt en sa qualité d’employeur et ne pouvait pas, par conséquent, être considérée comme un « professionnel », au sens de cet article.
15 Les emprunteurs ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, soutenant avoir agi en qualité de consommateurs et invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation (France) selon laquelle est abusive la clause qui prévoit la déchéance du prêt pour une cause extérieure au contrat.
16 La Cour de cassation considère que les questions soulevées par le moyen, dont dépend la solution du pourvoi, nécessitent une interprétation uniforme de l’article 2 de la directive 93/13.
17 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 2 de la directive 93/13 [...] doit-il être interprété en ce sens qu’une société, telle que la société EDF, lorsqu’elle consent à un salarié un prêt immobilier relevant du dispositif d’aide à l’accession au logement, auquel ne sont éligibles que les membres du personnel de la société, agit comme un professionnel ?
2) L’article 2 de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens qu’une société, telle que la société EDF, lorsqu’elle consent un tel prêt immobilier au conjoint d’un salarié, qui n’est pas membre du personnel de ladite société, mais coemprunteur solidaire, agit comme un professionnel ?
3) L’article 2 de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens que le salarié d’une société, telle que la société EDF, qui contracte auprès d’elle un tel prêt immobilier, agit comme un consommateur ?
4) L’article 2 de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens que le conjoint de cet employé, qui souscrit le même prêt, non pas en qualité de salarié de la société, mais de coemprunteur solidaire, agit comme un consommateur ? »
Sur les questions préjudicielles
18 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous b) et c), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, d’une part, le salarié d’une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme des
« consommateurs », au sens de cet article 2, sous b), et, d’autre part, si, en ce qui concerne l’octroi de ce crédit, cette même entreprise doit être considérée comme un « professionnel », au sens dudit article 2, sous c).
19 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que l’énonce le dixième considérant de la directive 93/13, les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent s’appliquer à « tout contrat » conclu entre un « professionnel » et un « consommateur », tels que définis à l’article 2, sous b) et c), de cette directive (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 46).
20 Dans le même temps, le dixième considérant de la directive 93/13 énonce que « sont notamment exclus de [celle-ci] les contrats de travail ».
21 Dans ces conditions, il convient de vérifier si le fait que les parties à un contrat de crédit tel que celui en cause dans l’affaire au principal sont également liées par un contrat de travail a une incidence sur leurs qualités respectives de « consommateur » et de « professionnel », au sens l’article 2, sous b) et c), de la directive 93/13, en ce qui concerne ce contrat de crédit.
22 À cet égard, conformément à ladite disposition, est un « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de ladite directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle. Par ailleurs, est un « professionnel » toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la directive 93/13, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée.
23 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, c’est par référence à la qualité des contractants, selon qu’ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive 93/13 définit les contrats auxquels elle s’applique (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 53 et jurisprudence citée).
24 En ce qui concerne, en premier lieu, la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, elle a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, point 21).
25 À cet égard, il convient de rappeler que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, point 18 et jurisprudence citée).
26 Le juge national, saisi d’un litige portant sur un contrat susceptible d’entrer dans le champ d’application de cette directive, est tenu de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve et notamment des termes de ce contrat, si la personne concernée étant partie audit contrat peut être qualifiée de « consommateur » au sens de la directive 93/13. Pour ce faire, le juge national doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, et notamment de la nature du bien ou du
service faisant l’objet du contrat considéré, susceptibles de démontrer à quelle fin ce bien ou ce service est acquis (arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, points 22 et 23).
27 La Cour a déjà jugé que même un avocat, quand bien même il serait considéré qu’il dispose d’un niveau élevé de compétences techniques, peut être considéré comme étant un « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, lorsqu’il conclut un contrat qui n’a pas trait à son activité professionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2015, Costea, C‑110/14, EU:C:2015:538, points 26 et 27).
28 Cette conception large de la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, permet d’assurer la protection accordée par cette directive à l’ensemble des personnes physiques se trouvant dans la situation d’infériorité visée au point 25 du présent arrêt.
29 Il ressort des considérations qui précèdent que le fait qu’une personne physique conclut un contrat, autre qu’un contrat de travail, avec son employeur, ne fait pas, en tant que tel, obstacle à ce que cette personne soit qualifiée de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13.
30 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a fait observer, au point 60 de ses conclusions, la circonstance que certains types de contrats conclus par des consommateurs soient réservés à certains groupes de consommateurs ne prive pas ces derniers de leur statut de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13.
31 Or, l’exclusion du champ d’application de cette directive des nombreux contrats conclus par des consommateurs avec leurs employeurs priverait l’ensemble de ces consommateurs de la protection accordée par ladite directive (voir, par analogie, arrêt du 15 janvier 2015, Šiba, C‑537/13, EU:C:2015:14, point 29).
32 S’agissant de l’exclusion des contrats de travail du champ d’application de la directive 93/13, il importe de constater que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 58 de ses conclusions, un contrat de crédit tel que celui en cause dans l’affaire au principal ne régit pas une relation de travail ni des conditions d’emploi et, par conséquent, ne saurait être qualifié de « contrat de travail ».
33 En ce qui concerne, en second lieu, la notion de « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13, il importe de rappeler que le législateur de l’Union a entendu consacrer une conception large de cette notion (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 48 et jurisprudence citée).
34 En effet, d’une part, l’emploi du terme « toute » dans ladite disposition met en évidence que chaque personne physique ou morale doit être considérée comme un « professionnel », au sens de la directive 93/13, dès lors qu’elle exerce une activité professionnelle (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 49).
35 D’autre part, cette notion vise toute activité professionnelle, « qu’elle soit publique ou privée ». Partant, l’article 2, sous c), de la directive 93/13 est susceptible de s’appliquer aux organismes ayant ou non un but lucratif, sans exclure les entités poursuivant une mission d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, points 50 et 51).
36 La notion de « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13, est une notion fonctionnelle impliquant d’apprécier si le rapport contractuel concret s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 55).
37 La Cour a déjà jugé qu’un établissement d’enseignement, qui fournit à un étudiant à titre complémentaire et accessoire de son activité principale une prestation constituant, fondamentalement, un contrat de crédit, peut être considéré, en ce qui concerne cette prestation, comme un « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, points 57 et 58).
38 En effet, dans un tel cas, il existe, en principe, une inégalité entre l’établissement d’enseignement et l’étudiant, du fait de l’asymétrie de l’information et des compétences techniques entre ces parties, un tel établissement disposant d’une organisation pérenne et de compétences techniques dont ne dispose pas nécessairement l’étudiant, agissant à des fins privées, qui est confronté de manière incidente à un tel contrat (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool
Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 59).
39 Ces considérations sont applicables dans une affaire telle que celle au principal, dans laquelle un employeur, personne morale, conclut avec l’un de ses employés, personne physique, et, le cas échéant, avec l’époux de cet employé, un contrat de crédit destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privées.
40 En effet, même si l’activité principale d’un employeur tel qu’EDF consiste non pas à offrir des instruments financiers, mais à fournir de l’énergie, cet employeur dispose des informations et des compétences techniques, des ressources humaines et matérielles qu’une personne physique, à savoir l’autre partie au contrat, n’est pas censée avoir.
41 Tout comme la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, celle de « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, présente un caractère objectif et ne dépend pas de ce que le professionnel décide de traiter comme son activité principale ou secondaire et accessoire.
42 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance, aux points 43 à 46 de ses conclusions, d’une part, le fait de proposer un tel contrat de crédit à ses employés, leur offrant ainsi l’avantage de pouvoir accéder à la propriété, sert à attirer et à conserver une main-d’œuvre qualifiée et compétente favorisant l’exercice de l’activité professionnelle de l’employeur. Dans ce contexte, l’existence ou l’absence d’un éventuel revenu direct, pour cet employeur, prévu par ce contrat, est
sans incidence sur la reconnaissance dudit employeur en tant que « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de la directive 93/13. D’autre part, l’interprétation large de la notion de « professionnel », au sens de ladite disposition, sert à mettre en œuvre l’objectif de cette directive consistant à protéger le consommateur en tant que partie faible au contrat conclu avec un professionnel et à rétablir l’équilibre entre les parties (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber,
C‑483/16, EU:C:2018:367, point 32).
43 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées de la manière suivante :
– l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que le salarié d’une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme étant des « consommateurs », au sens de cette disposition ;
– l’article 2, sous c), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que ladite entreprise doit être considérée comme étant un « professionnel », au sens de cette disposition, lorsqu’elle conclut un tel contrat de crédit dans le cadre de son activité professionnelle, même si consentir des crédits ne constitue pas son activité principale.
Sur les dépens
44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que le salarié d’une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privés, doivent être considérés comme des « consommateurs », au
sens de cette disposition.
L’article 2, sous c), de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que ladite entreprise doit être considérée comme un « professionnel », au sens de cette disposition, lorsqu’elle conclut un tel contrat de crédit dans le cadre de son activité professionnelle, même si consentir des crédits ne constitue pas son activité principale.
Vilaras
Malenovský
Bay Larsen
Safjan
Šváby
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 mars 2019.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure : le français.