ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
14Â mars 2019Â ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Égalité de traitement – Impôt sur le revenu – Législation visant à éviter les doubles impositions – Pension perçue dans un État membre autre que celui de résidence – Modalités du calcul de l’exonération dans l’État membre de résidence – Perte d’une partie du bénéfice de certains avantages fiscaux »
Dans l’affaire C‑174/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 8 février 2018, parvenue à la Cour le 5 mars 2018, dans la procédure
Jean Jacob,
Dominique Lennertz
contre
État belge,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. E. Juhász et C. Vajda (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement belge, par MM. P. Cottin et J.-C. Halleux ainsi que par Mme C. Pochet, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme N. Gossement, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 45 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Jean Jacob et Mme Dominique Lennertz, un couple résidant en Belgique, à l’État belge au sujet de la prise en compte, dans le cadre du calcul de leur imposition commune en Belgique, de la pension perçue par M. Jacob dans un autre État membre, exonérée d’impôts en Belgique mais incluse dans l’assiette pour l’octroi de certains avantages fiscaux, avec pour conséquence de leur faire perdre une partie des avantages auxquels ils
auraient eu droit en l’absence d’une telle prise en compte.
Le cadre juridique
La convention de 1970
3 L’article 18 de la convention entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 17 septembre 1970, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention de 1970 »), intitulé « Pensions », prévoit, à son paragraphe 3 :
« [...] les pensions et autres rémunérations similaires provenant du Luxembourg et payées à un résident de la Belgique, ne sont pas imposables en Belgique si ces paiements découlent des cotisations, allocations ou primes d’assurance versées à un régime complémentaire de pension par le bénéficiaire ou pour son compte, ou des dotations faites par l’employeur à un régime interne, et si ces cotisations, allocations, primes d’assurance ou dotations ont été effectivement soumises à l’impôt au
Luxembourg. »
4 L’article 23, paragraphe 2, point 1, de la convention de 1970 dispose :
« En ce qui concerne les résidents de la Belgique, la double imposition est évitée de la manière suivante :
1° les revenus provenant du Luxembourg – à l’exclusion des revenus visés aux 2° et 3° – et les éléments de la fortune situés au Luxembourg, qui sont imposables dans cet État en vertu des articles précédents, sont exemptés d'impôts en Belgique. Cette exemption ne limite pas le droit de la Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux de ses impôts, des revenus et des éléments de la fortune ainsi exemptés ».
Le droit belge
5 L’article 131 du code des impôts sur le revenu de 1992, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « CIR de 1992 »), régit les quotités exemptées d’impôt.
6 Les réductions d’impôt accordées au titre de l’épargne à long terme, des prestations payées avec des titres-services, des dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, des dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie ainsi que des libéralités sont régies, respectivement, par les articles 145/1, 145/21, 145/24, 145/31 et 145/33 du CIR de 1992.
7 Aux termes de l’article 155 de ce code :
« Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus.
Il en est de même pour :
– les revenus exonérés en vertu d’autres traités ou accords internationaux, pour autant que ceux-ci prévoient une clause de réserve de progressivité ;
[...]
Lorsqu’une imposition commune est établie, la réduction est calculée par contribuable sur l’ensemble de ses revenus nets. »
8 À la suite de l’arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750), le Royaume de Belgique a adopté la circulaire no CI.RH.331/575.420, du 12 mars 2008, prévoyant une réduction d’impôt pour revenus exonérés en vertu d’une convention internationale, en sus de la réduction prévue à l’article 155 du CIR de 1992 (ci-après la « circulaire de 2008 »).
9 La circulaire de 2008 énonce dans son introduction :
« 1. Dans le système fiscal belge, les avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale du contribuable [...] sont appliqués tant sur les revenus d’origine belge que sur les revenus d’origine étrangère. Si la situation familiale ou personnelle en question n’a pas été prise en compte à l’étranger, une partie de ces avantages est perdue.
Les Pays-Bas appliquaient une méthode d’exemption avec réserve de progressivité analogue à celle pratiquée en Belgique. Dans son arrêt [du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750), la Cour] a toutefois jugé que cette manière de procéder était contraire à la réglementation en matière de libre circulation des personnes dans l’[Union européenne].
La Belgique a été invitée par la Commission européenne à mettre les dispositions fiscales belges relatives à l’application de la méthode d’exemption avec réserve de progressivité [...] en conformité avec les obligations au titre des articles 18, 39, 43 et 56 CE [...]
La solution suivante a été retenue : dans les cas où la situation personnelle et familiale du contribuable n’a pas été prise en considération à l’étranger, une réduction d’impôt pour revenus d’origine étrangère sera accordée en sus de la réduction prévue à [l’article 155 du CIR de 1992].
Cette réduction supplémentaire ne sera toutefois accordée que si le total de l’impôt calculé avec application de la méthode d’exemption avec réserve de progressivité prévue à [l’article 155 du CIR de 1992], augmenté de l’impôt dû à l’étranger sur les revenus exonérés, excède l’impôt qui aurait été dû si les revenus provenaient exclusivement de source belge et que les impôts y afférents avaient été dus en Belgique.
Cette réduction correspondra à la différence entre l’impôt belge sur le revenu (calculé avec application de la méthode d’exemption avec réserve de progressivité telle qu’elle est actuellement prévue à [l’article 155 du CIR de 1992]), augmenté de l’impôt de même nature dû sur les revenus d’origine étrangère, et l’impôt qui aurait été dû si les revenus provenaient exclusivement de source belge et que les impôts y afférents avaient été dus en Belgique.
Pour déterminer le montant de la réduction supplémentaire, il sera donc nécessaire de calculer l’impôt qui aurait été dû si les revenus provenaient exclusivement de source belge et que les impôts y afférents avaient été dus en Belgique.
2. En attendant une adaptation de la législation belge dans le sens de ce qui précède, cette réduction devra être appliquée aux conditions et dans les limites prévues dans la présente circulaire.
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Dans la déclaration d’impôt commune des requérants au principal pour l’exercice d’imposition au titre de l’année 2013, M. Jacob a mentionné l’existence de deux pensions qu’il perçoit, à savoir l’une d’origine belge d’un montant de 15699,57 euros et l’autre d’origine luxembourgeoise d’un montant de 14330,75 euros. Ces deux pensions étaient complétées par des revenus de biens immobiliers déclarés par M. Jacob à hauteur de 1181,60 euros, amenant ainsi la totalité des revenus de ce dernier à un
montant de 31211,92Â euros.
11 En ce qui concerne M. Jacob, l’administration fiscale belge a calculé, sur le fondement de la totalité de ses revenus, y compris la pension d’origine luxembourgeoise exonérée d’imposition en Belgique en vertu de la convention de 1970, un impôt de base de 11448,36 euros correspondant à un taux d’imposition de près de 36,68 %. À ce montant ont été appliquées des réductions d’impôt, d’une part, d’un montant de 3032,46 euros au titre des quotités exemptées d’impôt, de l’épargne à long terme, des
prestations payées avec des titres-services, des dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, des dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie ainsi que des libéralités et, d’autre part, d’un montant de 1349,45 euros au titre des revenus de remplacement, de pension et de prépension. L’impôt de base réduit en résultant, à savoir 7066,45 euros, a par la suite été minoré d’une réduction pour revenus étrangers exonérés d’un montant de 3220,14 euros, en
proportion de la part représentée par la pension d’origine luxembourgeoise dans le total des revenus, ce qui a donné un montant d’impôt principal de 3846,31 euros.
12 Les requérants au principal ont contesté ce calcul, en relevant que la réduction de 3220,14 euros accordée au titre des revenus étrangers exonérés correspond non pas à  36,68 %, mais à  22,47 % de la pension d’origine luxembourgeoise, si bien que celle-ci a été soumise, in fine, à un taux d’imposition net de 14,21 % au lieu d’être exonérée de l’imposition en Belgique conformément à la convention de 1970. Selon M. Jacob, afin de respecter l’exonération de sa pension d’origine luxembourgeoise, il
aurait fallu appliquer à celle-ci, directement après le calcul de l’impôt de base, un taux de réduction de 36,68 %, ce qui aurait minoré l’impôt de base, avant l’application des réductions d’impôt, de 5256,44 euros et ce qui aurait abouti au final à un montant d’impôt principal de 1810,01 euros au lieu de 3846,31 euros.
13 En rejetant cette contestation par décision du 25 septembre 2014, l’administration fiscale belge a rappelé que, conformément à l’article 155 du CIR de 1992, les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, étant entendu que celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus, après application des réductions d’impôt. Elle a également affirmé
que les requérants au principal ne remplissaient pas les conditions prévues par la circulaire de 2008 pour pouvoir bénéficier de la réduction d’impôt au titre des revenus d’origine étrangère, accordée en sus de la réduction prévue à cet article 155.
14 Saisi d’un recours dirigé contre cette décision de l’administration fiscale belge, le tribunal de première instance de Liège (Belgique) a introduit une demande de décision préjudicielle devant la Cour qui, par ordonnance du 29 novembre 2016, Jacob et Lennertz (C‑345/16, non publiée, EU:C:2016:911), a rejeté celle-ci au titre de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure comme étant manifestement irrecevable, ladite demande ne répondant pas aux exigences prévues à l’article 94 de ce
règlement en raison de lacunes tenant au cadre factuel et réglementaire de l’affaire.
15 La juridiction de renvoi a alors soumis à la Cour une seconde demande de décision préjudicielle pour remédier à ces lacunes, invoquant notamment l’arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822).
16 À la lumière dudit arrêt, la juridiction de renvoi estime qu’elle est tenue de garantir le bénéfice effectif de l’avantage fiscal auquel la situation personnelle et familiale des contribuables donne droit, quelle que soit la manière dont les États membres ont réparti entre eux l’obligation d’assurer la prise en compte de l’intégralité de tels avantages fiscaux. Elle relève que la méthode d’exemption prévue par la convention de 1970 impose que l’État membre de résidence exonère totalement d’impôt
des pensions qui, conformément à cette convention, ne peuvent être taxées que dans l’État membre de la source, la réserve de progressivité admise dans celle-ci signifiant que les revenus étrangers exonérés peuvent être pris en compte uniquement aux fins de la détermination du taux d’imposition applicable aux autres revenus, imposables en Belgique. Or, en raison du mode de calcul des impôts des requérants au principal, ceux-ci perdraient une partie du bénéfice des avantages fiscaux auxquels ils
peuvent prétendre et les revenus d’origine étrangère de M. Jacob, en principe exonérés, se trouveraient impactés fiscalement.
17 Dans ces conditions, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 39 [TUE] s’oppose-t-il à ce que le régime fiscal belge, en son article 155 du CIR [de 1992], qu’il soit fait abstraction ou application de la circulaire [de 2008], ait pour conséquences que les pensions luxembourgeoises du requérant, exonérées par application de l’article 18 de la [convention de 1970], soient incluses dans le calcul de l’impôt belge, servent d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux prévus par le CIR [de 1992] alors qu’elles devraient ne pas en faire partie, en
raison de leur exonération totale voulue par [ladite convention], et que le bénéfice de ceux-ci, tels celui de la quotité exemptée d’impôt, épargne à long terme, dépenses payées avec des titres-services, en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie, pour libéralités du requérant, soit en partie perdu, réduit ou accordé dans une moindre mesure que si les requérants avaient tous les deux des revenus d’origine belge, qui, quant à eux,
sont imposables en Belgique et non exonérés et peuvent ainsi absorber la totalité des avantages fiscaux ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la liberté applicable à la situation des requérants au principal
18 La juridiction de renvoi se réfère, dans sa question, à l’article 39 TUE, tout en mentionnant, dans les motifs de sa décision de renvoi, tant la liberté d’établissement que la libre circulation des travailleurs.
19 Or, ainsi que la Cour l’a jugé, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 février 2006, Ritter-Coulais, C‑152/03, EU:C:2006:123, point 29, et du 23 avril 2009, Rüffler, C‑544/07, EU:C:2009:258,
point 57).
20 La juridiction de renvoi ne précise cependant pas si M. Jacob perçoit sa pension d’origine luxembourgeoise en raison d’une activité salariée ou non salariée exercée au Luxembourg.
21 Conformément à une jurisprudence constante, la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice (voir, notamment, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, EU:C:1986:37, point 13 ; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C‑311/97, EU:C:1999:216, point 22, et du 1er octobre 2009, Gaz de France – Berliner Investissement, C‑247/08, EU:C:2009:600, point 54). En revanche,
tout ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de sa résidence relève du champ d’application de l’article 45 TFUE (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, de Groot, C‑385/00, EU:C:2002:750, point 76, et du 28 février 2013, Petersen, C‑544/11, EU:C:2013:124, point 34).
22 À cet égard, si la pension d’origine luxembourgeoise perçue par M. Jacob procède d’une activité salariée, c’est effectivement l’article 45 TFUE relatif à la liberté de circulation des travailleurs qui est pertinent. Si, en revanche, M. Jacob a exercé une activité non salariée au Luxembourg, ce sera alors la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE qui aura vocation à s’appliquer. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier quelle disposition du traité FUE est applicable.
23 Même si la Cour examinera la question préjudicielle sous l’angle de la liberté de circulation des travailleurs, il convient de relever que l’application de la liberté d’établissement dans l’affaire au principal n’affecterait en rien la substance de la réponse de la Cour, laquelle serait transposable mutatis mutandis.
Sur la question
24 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État, dont l’un des membres perçoit une pension dans un autre État membre qui est exonérée d’imposition dans le premier État membre en vertu d’une convention bilatérale tendant à éviter les doubles impositions,
d’une partie du bénéfice des avantages fiscaux octroyés par celui-ci.
25 Il importe, d’emblée, de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si les États membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale, cette répartition de la compétence fiscale ne leur permet toutefois pas d’appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité. En effet, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir
d’imposition ainsi réparti dans le cadre de conventions bilatérales préventives de la double imposition, les États membres sont tenus de se conformer aux règles de l’Union (voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, de Groot, C‑385/00, EU:C:2002:750, points 93 et 94 ; du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet, C‑303/12, EU:C:2013:822, points 41 et 42, ainsi que du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 66) et, plus particulièrement, de respecter le principe d’égalité de traitement
(voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2002, de Groot, C‑385/00, EU:C:2002:750, point 94).
26 Il convient également de rappeler que, selon une jurisprudence de la Cour, c’est, en principe, à l’État membre de résidence qu’il incombe d’accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, cet État membre étant, sauf exception, le mieux à même d’apprécier la capacité contributive personnelle dudit contribuable, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, dans la mesure où ce
dernier y dispose du centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux (voir, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C‑279/93, EU:C:1995:31, point 32 ; du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink, C‑182/06, EU:C:2007:452, point 34 ; du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet, C‑303/12, EU:C:2013:822, point 43, ainsi que du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 55).
27 LaCour a également jugé que l’État membre de résidence ne peut pas faire perdre à un contribuable une partie du bénéfice de la quotité du revenu exonérée d’impôt et de ses avantages fiscaux personnels, en raison du fait qu’il a également perçu, pendant l’année considérée, des rémunérations dans un autre État membre qui y ont été imposées sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale (arrêt du 12 décembre 2002, de Groot, C‑385/00, EU:C:2002:750, point 110).
28 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la perte partielle du bénéfice d’avantages fiscaux tels que ceux en cause au principal, par l’effet de l’application du droit national, est contraire à l’article 45 TFUE.
29 La réglementation fiscale belge en cause au principal prévoit que les revenus d’origine étrangère exonérés sont tout d’abord intégrés dans la base imposable qui sert à déterminer le taux applicable aux revenus d’origine belge non exonérés, l’impôt de base étant calculé sur le fondement de cette base imposable. Les réductions d’impôt au titre de la quotité exemptée, de l’épargne à long terme, des prestations payées avec des titres-services, des dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans
une habitation, des dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie et des libéralités sont ensuite imputées sur l’impôt de base. Ce n’est qu’une fois ces réductions effectuées que l’impôt de base est réduit proportionnellement à la part que les revenus d’origine étrangère exonérés représentent dans le total des revenus, conformément à l’article 155 du CIR de 1992.
30 Il convient d’observer que l’inclusion des revenus d’origine étrangère exonérés dans le calcul du taux d’imposition belge, dans le calcul de l’impôt belge et dans l’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux relève du libre choix du Royaume de Belgique d’organiser son régime fiscal en vertu du principe d’autonomie fiscale et ne saurait être considérée comme étant contraire à la liberté de circulation des travailleurs dès lors que les effets d’une telle inclusion n’emportent pas de traitement
discriminatoire contraire au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2007, Columbus Container Services, C‑298/05, EU:C:2007:754, point 53). En effet, une telle inclusion n’empêche pas, en soi, d’assurer une exonération effective de ces revenus au regard du droit de l’Union, le cas échéant au moyen de compensations ultérieures.
31 Cela étant, en imputant les réductions d’impôt sur une base incluant à la fois les revenus d’origine belge non exonérés et les revenus d’origine étrangère exonérés et en ne déduisant qu’ultérieurement de l’impôt la part représentée par ces derniers dans le montant total des revenus formant la base imposable, la réglementation fiscale belge est susceptible, ainsi que le gouvernement belge l’a lui-même reconnu dans ses observations écrites, de faire perdre à des contribuables tels que les
requérants au principal une partie du bénéfice des avantages fiscaux qui leur aurait été pleinement octroyé si l’ensemble de leurs revenus avaient été d’origine belge et si les réductions d’impôt avaient ainsi uniquement été imputées sur ces revenus ou si la circulaire de 2008 avait trouvé à s’appliquer aux avantages en cause.
32 Il ressort de la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt que c’est bien au Royaume de Belgique, en tant qu’État membre de résidence des requérants au principal, d’accorder à ces derniers la totalité des avantages fiscaux liés à leur situation personnelle et familiale. Le gouvernement belge affirme à cet égard que, à l’exception des réductions d’impôt au titre de la quotité exemptée, les autres réductions d’impôt en cause ne sont pas liées à la notion de « situation personnelle et
familiale » des requérants au principal et ne doivent donc pas être considérées, à l’instar de l’interprétation qu’ont donnée les autorités belges de cette notion dans la circulaire de 2008, comme des avantages fiscaux personnels dont la perte non compensée, à la suite de l’exonération de revenus étrangers et de l’inapplicabilité de la circulaire de 2008, serait prohibée par l’article 45 TFUE.
33 En premier lieu, force est de constater que les réductions d’impôt au titre de la quotité exemptée sont, comme le gouvernement belge l’a admis dans ses observations écrites, reconnues par la jurisprudence de la Cour comme des avantages liés à la situation personnelle et familiale du contribuable, ainsi que cela résulte du point 27 du présent arrêt.
34 Il s’ensuit que, à cet égard, la réglementation fiscale belge n’est pas conforme à cette jurisprudence.
35 Quant à la question de savoir, en second lieu, si les autres réductions d’impôt en cause au principal, à savoir les réductions d’impôt au titre de l’épargne à long terme, des prestations payées avec des titres-services, des dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, des dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie et des libéralités, peuvent être considérées comme étant liées à la situation personnelle et familiale des requérants au principal, il
convient, à titre liminaire, de préciser le contexte dans lequel cette notion s’inscrit.
36 À cet égard, il découle de la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt et, notamment, de l’arrêt du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink (C‑182/06, EU:C:2007:452), que l’État membre de résidence doit apprécier, aux fins d’accorder d’éventuels avantages fiscaux, la capacité contributive personnelle du contribuable dans sa globalité.
37 L’interprétation proposée par le gouvernement belge, selon laquelle les avantages fiscaux liés à la situation personnelle et familiale devraient être entendus dans un sens restrictif comme des avantages qui poursuivent une finalité sociale en permettant de garantir au contribuable un minimum vital non soumis à l’impôt et qui répondent ainsi à une nécessité sur le plan social, ne peut pas être retenue.
38 En particulier, contrairement à ce que le gouvernement belge soutient dans ses observations écrites, une telle interprétation ne saurait être déduite de l’arrêt du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink (C‑182/06, EU:C:2007:452). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le refus par l’État membre dans lequel le contribuable exerce une activité salariée de prendre en compte, aux fins de déterminer le taux d’imposition applicable aux revenus de ce contribuable résidant dans un autre État membre,
des revenus locatifs négatifs relatifs à des immeubles non occupés personnellement par ledit contribuable et situés dans cet autre État membre était contraire à la libre circulation des travailleurs visée à l’article 39 CE, lorsque l’État membre de résidence n’est pas en mesure d’accorder au contribuable les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale. En prenant en compte de tels revenus locatifs négatifs, la Cour a retenu un sens large de la notion de
« situation personnelle et familiale », sans référence à une quelconque finalité sociale.
39 Dans ces conditions, afin de déterminer si les requérants au principal ont été indûment privés du bénéfice intégral des avantages fiscaux liés à leur situation personnelle et familiale, autres que la réduction au titre de la quotité exemptée, il convient de vérifier si lesdits avantages sont liés à leur capacité contributive personnelle.
40 À cet égard, il y a lieu de considérer que des réductions d’impôt telles que celles en cause au principal, à savoir des réductions au titre de l’épargne à long terme, des prestations payées avec des titres-services, des dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans une habitation, des dépenses de sécurisation des habitations contre le vol ou l’incendie ainsi que des libéralités, ont vocation, pour l’essentiel, à inciter le contribuable à effectuer des dépenses et des investissements qui ont
nécessairement un impact sur sa capacité contributive.
41 Par conséquent, de telles réductions d’impôt peuvent être considérées comme étant liées à la « situation personnelle et familiale » des requérants au principal, au même titre que les réductions d’impôt au titre de la quotité exemptée.
42 Il s’ensuit que les requérants au principal ont, en tant que couple, subi un désavantage dans la mesure où ils n’ont pas pleinement bénéficié des avantages fiscaux auxquels ils auraient eu droit s’ils avaient perçu tous deux l’intégralité de leurs revenus en Belgique.
43 La réglementation en cause au principal établit ainsi une différence de traitement fiscal entre les couples de citoyens de l’Union résidant sur le territoire du Royaume de Belgique en fonction de l’origine de leurs revenus, différence qui est susceptible de produire un effet dissuasif sur l’exercice par ces derniers des libertés garanties par le traité et, notamment, de la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et
Garcet, C‑303/12, EU:C:2013:822, point 51).
44 Il est de jurisprudence constante qu’une mesure qui est susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs consacrée à l’article 45 TFUE ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir,
par analogie, arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet, C‑303/12, EU:C:2013:822, point 64 ainsi que jurisprudence citée).
45 Toutefois, en l’occurrence, aucune justification n’a été avancée par le gouvernement belge ni envisagée par la juridiction de renvoi.
46 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État, dont l’un des membres perçoit une pension dans un autre État membre qui est exonérée d’imposition dans le premier État membre en vertu d’une convention bilatérale tendant à éviter
les doubles impositions, d’une partie du bénéfice des avantages fiscaux octroyés par celui-ci.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
 Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
 L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre, telle que celle en cause au principal, ayant pour effet de priver un couple résidant dans cet État, dont l’un des membres perçoit une pension dans un autre État membre qui est exonérée d’imposition dans le premier État membre en vertu d’une convention bilatérale tendant à éviter les doubles impositions, d’une partie du bénéfice des avantages fiscaux octroyés par celui-ci.
Jürimäe
Juhász
Vajda
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mars 2019.
Â
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le français.