ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
17 janvier 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes –Procédure pénale concernant des infractions en matière de TVA – Principe d’effectivité – Administration des preuves – Écoutes téléphoniques – Autorisation accordée par une autorité judiciaire incompétente – Prise en compte de ces écoutes en tant qu’éléments de
preuve – Réglementation nationale – Interdiction »
Dans l’affaire C‑310/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 25 mai 2016, parvenue à la Cour le 31 mai 2016, dans la procédure pénale contre
Petar Dzivev,
Galina Angelova,
Georgi Dimov,
Milko Velkov,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász et C. Vajda, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et J. Baquero Cruz ainsi que par Mme P. Mihaylova, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48, ci-après la « convention PIF »), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre M. Petar Dzivev, Mme Galina Angelova MM. Georgi Dimov et Milko Velkov, accusés d’avoir commis des infractions en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes de l’article 325 TFUE :
« 1. L’Union et les États membres combattent la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union.
2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.
[...] »
La convention PIF
4 L’article 1er de la convention PIF prévoit :
« 1. Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes :
[...]
b) en matière de recettes, tout acte ou omission intentionnel relatif :
– à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,
– à la non-communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,
– au détournement d’un avantage légalement obtenu, ayant le même effet.
2. Sous réserve de l’article 2 paragraphe 2, chaque État membre prend les mesures nécessaires et appropriées pour transposer en droit pénal interne les dispositions du paragraphe 1 de telle sorte que les comportements qu’elles visent soient érigés en infractions pénales.
[...] »
5 L’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF dispose :
« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour assurer que les comportements visés à l’article 1er, ainsi que la complicité, l’instigation ou la tentative relatives aux comportements visés à l’article 1er paragraphe 1, sont passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, incluant, au moins dans les cas de fraude grave, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l’extradition, étant entendu que doit être considérée comme fraude grave toute fraude portant
sur un montant minimal à fixer dans chaque État membre. Ce montant minimal ne peut pas être fixé à plus de 50000 [euros]. »
La décision 2007/436/CE
6 La décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007, L 163, p. 17), prévoit, à son article 2, paragraphe 1 :
« Constituent des ressources propres inscrites au budget général de l’Union européenne, les recettes provenant :
[...]
b) [...] de l’application d’un taux uniforme valable pour tous les États membres à l’assiette harmonisée de la TVA, déterminée selon les règles de la Communauté. [...] »
Le droit bulgare
La Constitution de la République de Bulgarie
7 L’article 32, paragraphe 2, de la Constitution de la République de Bulgarie prévoit une interdiction d’intercepter les conversations d’une personne, sous réserve des cas prévus par la loi.
8 L’article 121, paragraphe 4, de cette constitution dispose que les actes judiciaires sont motivés.
Le NPK
9 L’article 348 du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale, ci-après le « NPK ») dispose :
« (1) Le jugement ou la décision peut être révoqué ou modifié en cassation :
[...]
2. lorsqu’il est entaché d’une violation des formes substantielles.
[...]
(3) La violation des règles de procédure est substantielle :
1. si elle a entraîné une limitation des droits procéduraux du prévenu ou des autres parties et qu’il n’y a pas été remédié ;
2. si elle n’est pas motivée ou qu’il n’y a pas de procès-verbal d’audience de première instance ou d’instance d’appel ;
3. si la condamnation ou la décision a été prononcée par une instance incompétente ;
4. si le secret de la délibération a été violé lors du prononcé de la condamnation ou de la décision. »
Le ZIDNPK
10 Le 1er janvier 2012, est entré en vigueur le Zakon za izmenenie i dopalnenie na nakazatelno-protsesualnia kodeks (loi modifiant et complétant le code de procédure pénale, ci-après le « ZIDNPK ») portant sur la création et le fonctionnement du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie). Le ZIDNPK prévoit un transfert de certaines compétences du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) au Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé), qui
dispose de la compétence exclusive pour se prononcer sur les affaires liées à une organisation criminelle.
11 En vertu de l’article 5 du ZIDNPK, la compétence pour autoriser les écoutes téléphoniques de personnes suspectées de participer à une organisation criminelle est transférée du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) au Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé).
12 Conformément à l’article 9, paragraphe 2, du ZIDNPK, les procédures préliminaires déjà entamées sont clôturées par les autorités compétentes avant ce transfert. Cette disposition a fait l’objet d’une modification, le 6 mars 2012, aux termes de laquelle il a été précisé que le contrôle juridictionnel de ces procédures continuait de relever de la juridiction qui était compétente avant le 1er janvier 2012.
Les dispositions relatives aux techniques d’enquête spéciales
13 La procédure permettant d’effectuer des écoutes téléphoniques est régie aux articles 1 à 3, 6 et 12 à 18 du Zakon za spetsialnite razuznavatelni sredstva (loi sur les techniques d’enquête spéciales) ainsi qu’aux articles 172 à 177 du NPK. Selon les explications de la juridiction de renvoi, l’écoute téléphonique peut avoir lieu dans le cadre d’une enquête préliminaire ainsi qu’après l’ouverture d’une procédure pénale. Une telle mesure doit au préalable être autorisée par une juridiction compétente
à la demande, respectivement, du directeur de la direction générale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, ou du procureur. La décision juridictionnelle autorisant une écoute téléphonique doit être motivée et, conformément à l’article 15 de la loi sur les techniques d’enquête spéciales et à l’article 174 du NPK, être émise par le président de la juridiction compétente ou par le vice-président habilité à cet effet.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 M. Dzivev, Mme Angelova MM. Dimov et Velkov sont accusés d’avoir commis, entre le 1er juin 2011 et le 31 mars 2012, des infractions en matière fiscale, par l’intermédiaire de Karoli Kepital EOOD, une société commerciale. À M. Dzivev, il est reproché d’avoir, notamment, dirigé une organisation criminelle impliquant les trois autres prévenus, dont le but était, en l’occurrence, de s’enrichir en se soustrayant au paiement de l’impôt dû au titre du Zakon za danak varhu dobavenata stoynost (loi
relative à la taxe sur la valeur ajoutée) (DV no 63, du 4 août 2006), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal.
15 Au cours de l’enquête préliminaire, plusieurs requêtes d’autorisation de mettre en œuvre des écoutes téléphoniques concernant les quatre prévenus, introduites par le directeur de la Glavna direktsia za borba s organiziranata prestapnost (direction générale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, Bulgarie) entre les mois de novembre 2011 et de février 2012, ont été accueillies favorablement par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia). Après l’ouverture de la procédure
pénale, le procureur a demandé et obtenu, au mois de mars 2012, plusieurs autorisations du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) de recourir à de nouvelles écoutes téléphoniques concernant ces prévenus.
16 La juridiction de renvoi précise qu’aucune des autorisations en cause au principal n’était motivée et que celles émises au cours des mois de novembre 2011 à janvier 2012 n’indiquaient pas de manière correcte, notamment, qui du président ou du vice-président du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) avait agi. Ces défauts n’entraîneraient pas l’illégalité des autorisations en cause au principal. Toutefois, les autorisations émises aux mois de janvier et de février 2012 auraient été
adoptées par une juridiction incompétente. En effet, après cette date, toutes les demandes d’autorisation auraient dû être adressées au président du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) et non plus au président du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia). Ce dernier, n’étant plus compétent pour examiner et accueillir ces demandes, aurait dû les transmettre au président du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé).
17 La juridiction de renvoi relève que, par la suite, auraient été constatées de manière formelle des irrégularités systématiques dans la délivrance des autorisations d’utilisation des moyens d’enquête spéciaux, en particulier des écoutes téléphoniques, ce qui aurait eu pour conséquence une modification de la loi pertinente.
18 En outre, cette juridiction avance que le point de savoir si la règle transitoire prévue à l’article 9 du ZIDNPK concernait également les enquêtes préliminaires en cours n’était pas clair. Cette disposition aurait donné lieu à une abondante jurisprudence contradictoire. L’arrêt interprétatif no 5/14, du 16 janvier 2014, rendu par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), aurait confirmé qu’aucune exception ne pouvait être apportée au principe de la compétence exclusive de
l’autorité judiciaire en matière de justice pénale. À cet égard, la juridiction de renvoi avance que ce principe revêt une grande importance dans le droit national, tout particulièrement en cas de recours à des techniques d’enquête spéciales, dont font partie les interceptions de télécommunications. Toutefois, se référant à l’arrêt de la Cour du 17 décembre 2015, WebMindlicences(C‑419/14, EU:C:2015:832, point 91), cette juridiction se demande si les enseignements découlant de cet arrêt
interprétatif s’imposent également lorsque le respect du droit de l’Union est en cause.
19 La juridiction de renvoi ajoute que, dans le cas de M. Dzivev, seules les écoutes téléphoniques mises en œuvre sur le fondement des autorisations émises par l’autorité judiciaire incompétente prouvent de manière claire et indubitable la commission des infractions dont celui-ci est accusé et permettent sa condamnation, tandis que les autres prévenus pourraient être condamnés sur la base des preuves légalement obtenues.
20 C’est dans ces conditions que le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions suivantes :
– l’article 325, paragraphe 1, TFUE, conformément auquel les États membres doivent prendre des mesures visant à offrir une protection effective contre la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ;
– l’article 2, paragraphe 1, [de la convention PIF,] lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de [celle-ci] et avec l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la décision 2007/436, conformément auxquels l’État membre doit prendre des mesures visant à sanctionner de manière effective la fraude fiscale en matière de TVA ;
– l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte, qui garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal établi préalablement par la loi,
s’opposent-elles à une réglementation nationale, conformément à laquelle des éléments de preuve collectés par le recours à des “techniques d’enquête spéciales”, à savoir à l’écoute de conversations téléphoniques de personnes qui sont ultérieurement accusées d’une infraction fiscale en matière de TVA, doivent être écartés des éléments probants en raison du fait que cette écoute a été autorisée par une autorité judiciaire incompétente, compte tenu des éléments suivants :
– précédemment (un à trois mois plus tôt) une demande a été faite pour mettre sur écoute une partie de ces téléphones et celle-ci a été autorisée par cette même autorité judiciaire, qui était encore compétente à cette époque-là ;
– une demande d’une telle autorisation pour l’écoute téléphonique en cause (tendant à la prolongation de l’écoute précédente et à l’écoute de nouveaux téléphones) a été adressée à cette même autorité judiciaire, alors que cette autorité n’était plus compétente, sa compétence ayant été transférée à une nouvelle autorité judiciaire immédiatement avant cela ; l’ancienne autorité judiciaire a examiné au fond la demande et a donné cette autorisation en dépit de son incompétence ;
– ultérieurement (environ un mois plus tard), une nouvelle demande d’écoute téléphonique des mêmes téléphones a été faite et celle-ci a été autorisée par la nouvelle autorité compétente à cet effet ;
– toutes les autorisations données sont, en pratique, non motivées ;
– la disposition législative transférant la compétence n’était pas claire et a conduit à de nombreux actes juridictionnels contradictoires, ce qui a mené le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) à rendre une décision interprétative contraignante environ deux ans après le transfert légal de compétence et après les écoutes téléphoniques en cause ;
– le tribunal qui examine la présente affaire au fond n’est pas compétent pour se prononcer sur les demandes tendant à l’utilisation de techniques d’enquête spéciales (écoute téléphonique) ; toutefois, il est compétent pour se prononcer sur la légalité d’une écoute téléphonique effectuée, notamment pour considérer qu’une autorisation ne répond pas aux exigences légales et pour refuser, dès lors, de prendre en compte les éléments de preuve collectés à la suite de cette autorisation ; cette
compétence ne naît qu’en cas d’autorisation d’écoute valablement donnée ;
– le recours à ces éléments de preuve (des conversations téléphoniques des prévenus autorisées par une autorité judiciaire qui n’est plus compétente) est essentiel afin de résoudre la question de la responsabilité d’une personne en tant que dirigeant d’une organisation criminelle, ayant pour objectif de commettre des infractions fiscales visées par [la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal], et en tant qu’instigateur des
infractions fiscales concrètes, sachant qu’il ne peut être reconnu coupable et ne peut être condamné que si ces conversations sont prises en compte comme preuve et que, dans le cas contraire, il sera acquitté ?
2) La décision préjudicielle [qui sera rendue dans l’affaire] Ognyanov (C‑614/14) s’applique-t-elle en l’espèce ? »
La procédure devant la Cour
21 Par décision du 25 juillet 2016, parvenue à la Cour le 4 août 2016, la juridiction de renvoi a décidé de retirer sa seconde question préjudicielle. À cet égard, la juridiction de renvoi observe que cette seconde question est devenue sans objet à la suite du prononcé de l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514).
22 En outre, la présente affaire a, par décision du président de la Cour, du 12 mai 2017, été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire M.A.S. et M.B. (arrêt du 5 décembre 2017, C‑42/17, EU:C:2017:936). La procédure devant la Cour a été reprise le 12 décembre 2017.
Sur la question préjudicielle
23 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, lus à la lumière de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, au regard du principe d’effectivité des poursuites pénales concernant des infractions relatives à la TVA, à l’application par le juge national d’une règle nationale prévoyant que doivent être écartés d’une
procédure pénale des éléments de preuve, tels que des écoutes téléphoniques, nécessitant une autorisation judiciaire préalable lorsque cette autorisation a été émise par une autorité judiciaire incompétente, alors même que seuls ces éléments de preuve sont susceptibles de prouver la commission des infractions en cause.
24 Afin de répondre à cette question, il convient de relever que, en l’état actuel de son évolution, le droit de l’Union ne prévoit pas de règles, applicables aux circonstances de l’espèce, relatives aux modalités de l’administration des preuves et à leur utilisation dans le cadre de procédures pénales en matière de TVA. Partant, ce domaine relève, en principe, de la compétence des États membres (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 65, ainsi
que du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 25).
25 Cela étant, l’article 325, paragraphe 1, TFUE oblige les États membres à lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures effectives et dissuasives (arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
26 Les ressources propres de l’Union comprenant notamment, en vertu de l’article 2, sous b), de la décision 2007/436, les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA déterminée selon les règles de l’Union, un lien direct existe entre la perception des recettes provenant de la TVA dans le respect du droit de l’Union applicable et la mise à disposition du budget de l’Union des ressources TVA correspondantes, dès lors que toute lacune dans la perception des
premières se trouve potentiellement à l’origine d’une réduction des secondes (arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 31, ainsi que du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 51).
27 Afin de garantir la perception intégrale desdites recettes et, ce faisant, d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, les États membres disposent d’une liberté de choix des sanctions applicables, lesquelles peuvent prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux. Des sanctions pénales peuvent cependant être indispensables pour combattre de manière effective et dissuasive certains cas de fraude grave à la TVA, ainsi que l’exige
l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 20 ; du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 36, ainsi que du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 54).
28 À cet égard, les États membres doivent veiller à ce que les violations du droit de l’Union, y compris des règles harmonisées issues de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), soient sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à
la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 28).
29 Les États membres doivent également assurer que les règles de procédure pénale, prévues par le droit national, permettent une répression effective des infractions liées à de tels agissements (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 65, ainsi que du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 55).
30 Il s’ensuit que, si les sanctions et les procédures administratives et/ou pénales relatives à ces sanctions, que les États membres mettent en place pour lutter contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA, relèvent de leur autonomie procédurale et institutionnelle, celle-ci est cependant limitée, outre par le principe de proportionnalité et par le principe d’équivalence, dont l’application n’est pas en cause en l’occurrence, par le principe d’effectivité, lequel impose que
lesdites sanctions présentent un caractère effectif et dissuasif (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 29).
31 Dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, ainsi que d’assurer la
protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies (arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 65).
32 Quant aux juridictions nationales, la Cour a jugé qu’il leur incombe de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de laisser inappliquées des dispositions internes, qui, dans le cadre d’une procédure concernant des infractions graves en matière de TVA, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre les fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17,
EU:C:2017:936, point 39).
33 Cependant, l’obligation de garantir un prélèvement efficace des ressources de l’Union ne dispense pas les juridictions nationales du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis par la Charte et des principes généraux du droit de l’Union, dès lors que les procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA constituent une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Dans le domaine pénal, ces droits et ces principes généraux doivent
être respectés non seulement lors des procédures pénales, mais aussi au cours de la phase de l’enquête préliminaire, dès l’instant où la personne concernée se trouve accusée (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 52 ; du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, points 68 et 71, ainsi que du 20 mars 2018, Di Puma et Zecca, C‑596/16 et C‑597/16, EU:C:2018:192, point 31 et jurisprudence citée).
34 Ainsi, l’obligation de garantir un prélèvement efficace des ressources de l’Union ne dispense pas ces juridictions du respect nécessaire du principe de légalité et de l’État de droit, qui constitue l’une des valeurs premières sur lesquelles repose l’Union, ainsi qu’en témoigne l’article 2 TUE.
35 À cet égard, il découle, notamment, des exigences du principe de légalité et de l’État de droit que le pouvoir de répression ne peut, en principe, s’exercer en dehors des limites légales dans lesquelles une autorité est habilitée, selon le droit de l’État membre dont elle relève, à agir (voir, par analogie, arrêt du 1er octobre 2015, Weltimmo, C‑230/14, EU:C:2015:639, point 56).
36 En outre, les écoutes téléphoniques constituent une ingérence dans le droit à la vie privée, consacré à l’article 7 de la Charte. Une telle ingérence ne peut être admise, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, que si elle est prévue par la loi et si, dans le respect du contenu essentiel de ce droit et du principe de proportionnalité, elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015,
WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, points 71 et 73).
37 À cet égard, il est constant que les écoutes téléphoniques en cause au principal étaient autorisées par une autorité judiciaire ne disposant pas de la compétence nécessaire à cette fin. Ces écoutes téléphoniques doivent donc être réputées comme n’étant pas prévues par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
38 Il convient dès lors de relever que la règle en cause au principal reflète les exigences énoncées aux points 35 à 37 du présent arrêt, en ce qu’elle impose au juge national d’écarter de la procédure pénale des éléments de preuve, tels que des écoutes téléphoniques, nécessitant une autorisation judiciaire préalable lorsque cette autorisation a été émise par une autorité judiciaire incompétente.
39 Il s’ensuit que le droit de l’Union ne saurait imposer au juge national d’écarter l’application d’une telle règle de procédure, même si l’utilisation des éléments de preuve recueillis illégalement était susceptible d’augmenter l’efficacité des poursuites pénales permettant aux autorités nationales de sanctionner, dans certains cas, le non-respect du droit de l’Union (voir par analogie, s’agissant des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision
juridictionnelle, arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 53 ainsi que jurisprudence citée).
40 À cet égard, est sans incidence le fait, relevé par la juridiction de renvoi, que l’illégalité commise est due au caractère imprécis de la disposition transitoire de compétence en cause au principal. En effet, l’exigence que toute limitation de l’exercice du droit conféré à l’article 7 de la Charte doit être prévue par la loi implique que la base légale autorisant ladite limitation soit suffisamment claire et précise (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14,
EU:C:2015:832, point 81). Est également sans incidence la circonstance que, dans le cas d’un des quatre prévenus au principal, seules les écoutes téléphoniques mises en œuvre sur la base d’autorisations accordées par une autorité incompétente soient susceptibles de prouver sa culpabilité et de justifier une condamnation.
41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, lus à la lumière de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, au regard du principe d’effectivité des poursuites pénales concernant des infractions relatives à la TVA, à l’application par le juge national, d’une règle nationale prévoyant que
doivent être écartés d’une procédure pénale des éléments de preuve, tels que des écoutes téléphoniques, nécessitant une autorisation judiciaire préalable lorsque cette autorisation a été émise par une autorité judiciaire incompétente, alors même que seuls ces éléments de preuve sont susceptibles de prouver la commission des infractions en cause.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
L’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et l’article 2, paragraphe 1, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995, lus à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, au regard du principe d’effectivité des
poursuites pénales concernant des infractions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à l’application par le juge national, d’une règle nationale prévoyant que doivent être écartés d’une procédure pénale des éléments de preuve, tels que des écoutes téléphoniques, nécessitant une autorisation judiciaire préalable lorsque cette autorisation a été émise par une autorité judiciaire incompétente, alors même que seuls ces éléments de preuve sont susceptibles de prouver la commission des
infractions en cause.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.