ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
21 novembre 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 273 – Redressement fiscal – Méthode d’évaluation de la base d’imposition par induction – Droit à déduction de la TVA – Présomption – Principes de neutralité et de proportionnalité – Loi nationale basant le calcul de la TVA sur le chiffre d’affaires présumé »
Dans l’affaire C‑648/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Commissione tributaria provinciale di Reggio Calabria (commission fiscale provinciale de Reggio de Calabre, Italie), par décision du 3 mai 2016, parvenue à la Cour le 16 décembre 2016, dans la procédure
Fortunata Silvia Fontana
contre
Agenzia delle Entrate – Direzione provinciale di Reggio Calabria,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2018,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme R. Guizzi, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme F. Tomat et M. R. Lyal, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mars 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 273 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Fortunata Silvia Fontana à l’Agenzia delle Entrate – Direzione provinciale di Reggio Calabria (administration fiscale – direction provinciale de Reggio de Calabre, Italie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’un avis d’imposition portant sur un rappel de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 59 de la directive TVA est libellé comme suit :
« Il convient que, dans certaines limites et conditions, les États membres puissent prendre ou continuer à appliquer des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines formes de fraude ou d’évasion fiscales. »
4 L’article 2, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
b) les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre :
i) par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel qui ne bénéficie pas de la franchise pour les petites entreprises prévue aux articles 282 à 292 et qui ne relève pas des dispositions prévues aux articles 33 et 36 ;
ii) lorsqu’il s’agit de moyens de transport neufs, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dont les autres acquisitions ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, ou par toute autre personne non assujettie ;
iii) lorsqu’il s’agit de produits soumis à accises, au titre desquelles les droits d’accise sont exigibles sur le territoire de l’État membre en vertu de la directive 92/12/CEE, par un assujetti ou par une personne morale non assujettie, dont les autres acquisitions ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1 ;
c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
d) les importations de biens. »
5 L’article 73 de la directive TVA dispose :
« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »
6 Aux termes de l’article 242 de cette directive :
« Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale. »
7 L’article 244 de ladite directive prévoit :
« Tout assujetti doit veiller à ce que soient stockées des copies des factures émises par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, ainsi que toutes les factures qu’il a reçues. »
8 L’article 250, paragraphe 1, de la directive TVA énonce :
« Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées. »
9 Aux termes de l’article 273 de cette directive :
« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.
[...] »
Le droit italien
10 L’article 39, paragraphe 1, du decreto del Presidente della Repubblica no 600 recante disposizioni comuni in materia di accertamento delle imposte sui redditi (décret du président de la République no 600, portant dispositions communes en matière d’établissement de l’impôt sur le revenu), du 29 septembre 1973 (GURI no 268, du 16 octobre 1973), dispose :
« Concernant les revenus des personnes physiques exerçant une activité économique ou professionnelle indépendante, le bureau [des recettes] procède au redressement :
[...]
d) si les éléments indiqués dans la déclaration et ses annexes s’avèrent incomplets, faux ou inexacts au terme du contrôle des écritures comptables et des autres vérifications prévues à l’article 33, ou du contrôle du caractère complet, exact et véridique des enregistrements comptables en tenant compte des factures et des autres actes et documents relatifs à l’entreprise, ainsi que des données et des informations recueillies par le bureau, conformément aux modalités prévues à l’article 32.
L’existence d’activités non déclarées ou l’inexistence des déficits déclarés peut également être constatée sur la base de présomptions simples, [à la condition] qu’elles soient graves, précises et concordantes. »
11 Le decreto del Presidente della Repubblica no 633, istituzione e disciplina dell’imposta sul valore aggiunto (décret du président de la République no 633, instituant et régissant la taxe sur la valeur ajoutée), du 26 octobre 1972 (GURI no 292, du 11 novembre 1972), réglemente les modalités selon lesquelles le redressement des déclarations relatives à la TVA est opéré. L’article 54 de ce décret prévoit, en substance, que le contrôle de la véracité des déclarations relatives à cette taxe peut se
réaliser par une révision formelle de la déclaration présentée ou de manière plus approfondie soit sur la base des éléments et des données dont dispose l’administration fiscale, soit sur la base de ceux recueillis par cette administration en vertu de ses pouvoirs d’instruction.
12 L’article 62 bis du décret législatif no 331/93 (GURI no 203, du 30 août 1993), converti en loi no 427, du 29 octobre 1993 (GURI no 255, du 29 octobre 1993), dispose :
« 1. Les bureaux des recettes du ministère des Finances, après avoir entendu les associations professionnelles, commerciales et industrielles, élaborent au plus tard le 31 décembre 1996, en ce qui concerne différents secteurs économiques, des études sectorielles spécifiques afin de rendre plus efficace l’action de recouvrement et de permettre une définition plus circonstanciée des coefficients de présomption visés à l’article 11 du décret-loi no 69, du 2 mars 1989, converti, après
modifications, en loi no 154, du 27 avril 1989, et ses modifications successives. À cette fin, ces bureaux déterminent les échantillons significatifs de contribuables appartenant aux mêmes secteurs nécessitant un contrôle afin de définir les éléments qui caractérisent l’activité exercée. Les études sectorielles sont approuvées par décrets du ministère des Finances, qui sont publiés à la Gazzetta ufficiale [della Repubblica italiana] au plus tard le 31 décembre 1995. Elles peuvent être révisées et
sont valables aux fins du redressement fiscal à compter de la période d’imposition de 1995. »
13 L’article 62 sexies, paragraphe 3, du décret législatif no 331/93 est libellé comme suit :
« Les redressements fiscaux prévus à l’article 39, premier alinéa, point d), du décret du président de la République no 600, du 29 septembre 1973, et ses modifications successives et à l’article 54 du décret du président de la République no 633, du 26 octobre 1972, et ses modifications successives, peuvent également être fondés sur l’existence de graves divergences entre les revenus, les rétributions et les contreparties déclarés et ceux que les caractéristiques et conditions d’exercice de
l’activité particulière exercée, ou les études sectorielles élaborées en vertu de l’article 62 bis du présent décret, permettent de déduire de manière fondée. »
14 L’article 10 de la loi no 146, du 8 mai 1998 (GURI no 110, supplément ordinaire à la GURI no 93), dispose :
« 1) Les redressements fiscaux fondés sur les études sectorielles, prévus à l’article 62 sexies du décret législatif no 331, du 30 août 1993, modifié et converti en loi no 427, du 29 octobre 1993, visent les contribuables suivant les modalités prévues au présent article lorsque les revenus ou rétributions déclarés s’avèrent inférieurs aux revenus ou rétributions qui peuvent être déterminés sur la base desdites études.
[...]
3 bis) Dans les hypothèses visées au paragraphe 1, le service, avant de notifier l’avis d’imposition, invite le contribuable à comparaître en vertu de l’article 5 du décret législatif no 218, du 19 juin 1997.
3 ter) En cas de non-adéquation aux revenus ou rétributions déterminés sur le fondement des études sectorielles, les causes justifiant la non–adéquation des revenus ou rétributions déclarés à ceux qui découlent de l’application de ces études peuvent être attestées. Les causes justifiant une incohérence entre la déclaration et les indices économiques relevés par les études susmentionnées peuvent également être attestées. Une telle attestation est délivrée, à la demande des contribuables, par les
personnes indiquées sous a) et b) de l’article 3, paragraphe 3, du règlement établi par le décret du président de la République no 322, du 22 juillet 1998, lesquelles sont habilitées à transmettre les déclarations par voie électronique, par les préposés à l’assistance fiscale des centres constitués par les personnes visées à l’article 32, paragraphe 1, sous a), b), et c), du décret législatif no 241, du 9 juillet 1997, et par les employés et fonctionnaires des associations professionnelles
habilitées à fournir l’assistance technique prévue à l’article 12, paragraphe 2, du décret législatif no 546, du 31 décembre 1992.
[...]
5) Aux fins de la [TVA], on applique au montant des revenus ou rétributions plus élevés, déterminé sur le fondement desdites études sectorielles, compte tenu de l’existence d’opérations non imposables ou soumises à des régimes spéciaux, le taux moyen résultant du rapport entre l’impôt sur les opérations imposables et le chiffre d’affaires déclaré, déduction faite de l’impôt relatif aux livraisons de biens amortissables, et le chiffre d’affaires déclaré.
[...]
7) Une commission d’experts désignés par le ministre compte tenu également des signalements effectués par les organisations économiques professionnelles et les ordres professionnels est instituée par décret du ministère des Finances. Cette commission, avant approbation et publication de chaque étude sectorielle, émet un avis relatif à la capacité de ces études à représenter la réalité à laquelle elles se réfèrent. Aucune contrepartie n’est prévue pour l’activité de consultation des membres de
la commission.
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
15 Assujettie à la TVA, Mme Fontana a fait l’objet d’une procédure de redressement fiscal portant sur l’exercice 2010.
16 L’administration fiscale a adressé à la requérante au principal, le 14 mai 2014, une invitation à comparaître, qui a abouti à l’ouverture d’une procédure contradictoire de redressement.
17 À l’occasion de cette procédure, Mme Fontana a contesté le montant du redressement fiscal qu’il était envisagé de lui notifier et qui était déterminé sur la base de l’étude sectorielle se rapportant à la catégorie des experts comptables et des conseillers fiscaux.
18 Le 24 décembre 2014, l’administration fiscale a notifié à Mme Fontana un avis d’imposition portant sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la taxe régionale sur les activités productives et la TVA dus au titre de l’exercice 2010.
19 La requérante au principal a saisi la Commissione tributaria provinciale di Reggio Calabria (commission fiscale provinciale de Reggio de Calabre, Italie) afin de contester, notamment, le montant des arriérés de TVA qui lui étaient réclamés par l’administration fiscale. En particulier, elle a fait valoir que l’administration fiscale avait appliqué à tort à sa situation l’étude sectorielle se rapportant aux experts comptables et aux conseillers fiscaux, et non celle relative aux conseillers en
gestion du personnel, que la requérante au principal estime être sa principale activité. En outre, elle a fait valoir que le montant de la TVA avait été évalué sur la base d’une étude sectorielle qui ne permet pas de donner une image cohérente des revenus générés par son entreprise en termes de proportionnalité et de cohérence.
20 La Commissione tributaria provinciale di Reggio Calabria (commission fiscale provinciale de Reggio de Calabre) indique que la contestation soulevée par la requérante au principal et relative au fait que l’administration fiscale aurait rattaché, à tort, ses activités à celle des experts comptables et des conseils en fiscalité n’est pas fondée, dans la mesure où « [l]es arguments de la requérante [au principal] ne sont pas étayés par une base factuelle incontestable ».
21 Elle fait toutefois part de ses doutes, notamment au regard des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité, en ce qui concerne la méthode d’évaluation des arriérés de TVA, basée sur une étude sectorielle.
22 À cet égard, la juridiction de renvoi souligne qu’une telle méthode d’évaluation ne tient compte que d’un revenu global, sans prendre en considération chacune des opérations économiques réalisées par l’assujetti et son droit de déduire le montant de la TVA dont il s’est acquitté en amont.
23 Dans ces conditions, la Commissione tributaria provinciale di Reggio Calabria (commission fiscale provinciale de Reggio de Calabre) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les articles 113 et 114 TFUE [ainsi que la directive TVA] font–ils obstacle à la réglementation nationale italienne figurant à l’article 62 sexies, paragraphe 3, et à l’article 62 bis du décret législatif no 331/93, [converti en loi] no 427, du 29 octobre 1993, en ce qu’elle autorise l’application de la TVA à un chiffre d’affaires global, établi par induction, eu égard au respect des obligations de déduction et de répercussion et, sur un plan plus général, au principe de neutralité et de
transfert de la taxe ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
24 Le gouvernement italien estime que la question posée est hypothétique, dans la mesure où la contestation de la requérante au principal, qui portait essentiellement sur la classification erronée appliquée à son activité professionnelle dans le cadre des études sectorielles, a été rejetée par la juridiction de renvoi, laquelle aurait déjà, de fait, exclu que l’étude sectorielle en cause au principal ne représente pas la réalité de cette activité économique.
25 À cet égard, il convient de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des
éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 26 octobre 2017, BB construct, C‑534/16, EU:C:2017:820, point 16 et jurisprudence citée).
26 En l’occurrence, la requérante au principal a contesté les résultats de l’étude sectorielle, au motif qu’ils ne reflétaient pas la réalité de son activité économique. Cela a amené la juridiction de renvoi à s’interroger sur le point de savoir si la méthode d’évaluation, basée sur cette étude sectorielle, qui se fonde sur un chiffre d’affaires global, sans prendre en compte chacune des opérations économiques réalisées par l’assujetti, est conforme ou non au traité FUE, à la directive TVA ainsi
qu’aux principes de neutralité fiscale et de proportionnalité.
27 Par conséquent, la question posée par la juridiction de renvoi n’apparaissant pas dépourvue de lien avec la réalité ou l’objet du litige au principal, il y a lieu de la déclarer comme étant recevable.
Sur le fond
28 À titre liminaire, il convient de relever que les articles 113 et 114 TFUE, auxquels se réfère la juridiction de renvoi dans la question posée, ne sont pas pertinents en l’occurrence, dans la mesure où ces articles concernent les modalités institutionnelles d’adoption des mesures de rapprochement des législations des États membres au sein de l’Union européenne.
29 Compte tenu de cette observation, il y a lieu de comprendre que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’administration fiscale de recourir à une méthode inductive basée sur des études sectorielles approuvées par décret ministériel pour déterminer
le montant du chiffre d’affaires réalisé par un assujetti et de procéder, en conséquence, à un redressement fiscal imposant le paiement d’un montant supplémentaire de TVA.
30 À cet égard, il convient de souligner que, conformément à la règle générale énoncée à l’article 73 de la directive TVA, la base d’imposition pour la livraison d’un bien ou la prestation d’un service, effectuées à titre onéreux, est constituée par la contrepartie réellement reçue à cet effet par l’assujetti (arrêt du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin, C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
31 Afin de permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale, les articles 242 et 244 ainsi que l’article 250, paragraphe 1, de la directive TVA imposent aux assujettis redevables de cette taxe de tenir une comptabilité adéquate, de stocker la copie de toutes les factures qu’ils ont émises, ainsi que toutes les factures dont il se sont acquittés et, enfin, de déposer auprès de l’administration fiscale une déclaration dans laquelle figurent toutes les données nécessaires
pour constater le montant de la TVA exigible.
32 Afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter la fraude, l’article 273, premier alinéa, de la directive TVA permet aux États membres de prévoir d’autres obligations que celles énoncées dans cette directive qu’ils jugent nécessaires à ces fins, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre les États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu, dans les échanges entre les États
membres, à des formalités liées au passage d’une frontière. En outre, selon le considérant 59 de la directive TVA, celle-ci vise à autoriser les États membres à prendre, dans certaines limites et conditions, des mesures particulières dérogatoires à cette directive afin de simplifier la perception de la taxe et d’éviter certaines formes de fraude ou d’évasion fiscales.
33 La Cour a jugé qu’il découle de l’article 273, premier alinéa, ainsi que de l’article 2, de l’article 250, paragraphe 1, de la directive TVA et de l’article 4, paragraphe 3, TUE que chaque État membre a l’obligation de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur son territoire et à lutter contre la fraude (arrêts du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C‑576/15, EU:C:2016:740, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que
du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 18).
34 À cet égard, il convient de souligner que l’absence de déclaration par un assujetti de la totalité du chiffre d’affaires réalisé ne saurait faire obstacle à la perception de la TVA et qu’il appartient aux institutions nationales compétentes de rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence d’un tel comportement de l’assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C‑576/15, EU:C:2016:740, point 42).
35 La Cour a jugé que, en dehors des limites qu’elles fixent, les dispositions de l’article 273 de la directive TVA ne précisent ni les conditions ni les obligations que les États membres peuvent prévoir et qu’elles confèrent, dès lors, à ceux-ci une marge d’appréciation quant aux moyens visant à atteindre les objectifs de recouvrer l’intégralité de la TVA et de lutter contre la fraude. Toutefois, ils sont tenus d’exercer leur compétence dans le respect du droit de l’Union et de ses principes
généraux et, notamment, dans le respect du principe de proportionnalité et du principe de neutralité fiscale (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C‑576/15, EU:C:2016:740, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée, et du 17 mai 2018, Vámos, C‑566/16, EU:C:2018:321, point 41).
36 Ainsi, l’article 273 de la directive TVA ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui détermine le montant de la TVA due par un assujetti, sur la base du chiffre d’affaires global, tel qu’évalué de manière inductive sur le fondement des études sectorielles approuvées par décret ministériel, afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et de prévenir la fraude fiscale.
37 Néanmoins, cette réglementation nationale et l’application qui en est faite ne peuvent être conformes au droit de l’Union que si elles respectent les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C‑576/15, EU:C:2016:740, point 44).
38 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité des mesures nationales en cause au principal avec les exigences indiquées au point précédent. La Cour peut néanmoins lui fournir toute indication utile afin de résoudre le litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2016, Maya Marinova, C‑576/15, EU:C:2016:740, point 46).
39 En ce qui concerne le principe de neutralité fiscale, selon la jurisprudence de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de TVA. Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques, à condition que ses activités soient en
principe elles-mêmes soumises à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, points 56 et 57 ainsi que jurisprudence citée).
40 Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité (arrêt du 26 avril 2018, Zabrus Siret, C‑81/17, EU:C:2018:283, point 33 et jurisprudence citée).
41 Il ressort de l’application du principe de neutralité fiscale que, lorsque l’administration fiscale envisage d’adresser un redressement de TVA, dont le montant résulte d’un chiffre d’affaires supplémentaire global, établi par la méthode inductive, l’assujetti concerné doit avoir le droit de déduire la TVA dont il s’est acquitté en amont, dans les conditions prévues à cet effet dans le titre X de la directive TVA.
42 S’agissant du principe de proportionnalité, ce principe ne s’oppose pas à une législation nationale prévoyant que seules des divergences importantes entre le montant du chiffre d’affaires déclaré par l’assujetti et celui déterminé par la méthode inductive, en tenant compte du chiffre d’affaires réalisé par des personnes exerçant la même activité que cet assujetti, sont susceptibles de déclencher la procédure aboutissant au redressement. Les études sectorielles utilisées afin d’établir ce chiffre
d’affaires par induction doivent être exactes, fiables et à jour. Une telle divergence peut seulement donner naissance à une présomption réfragable, qui peut être renversée par l’assujetti, sur la base de preuves contraires.
43 Dans ce contexte, il convient de relever que, tout au long de la procédure de redressement fiscal, les droits de la défense de l’assujetti doivent être assurés, ce qui implique notamment que, avant d’adopter une mesure faisant grief à l’assujetti, celui-ci soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments sur lesquels les autorités entendent fonder leur décision (arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics,
C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 30).
44 Ainsi, l’assujetti doit, d’une part, avoir la possibilité de contester tant l’exactitude de l’étude sectorielle en cause et/ou la pertinence de cette étude aux fins de l’appréciation de sa situation spécifique. D’autre part, l’assujetti doit être en mesure d’expliciter les circonstances pour lesquelles le chiffre d’affaires déclaré, bien qu’il soit inférieur au chiffre d’affaires déterminé par la méthode inductive, correspond à la réalité de son activité au cours de la période concernée. Dans la
mesure où l’application d’une étude sectorielle implique pour ledit assujetti de devoir prouver, le cas échéant, des faits négatifs, le principe de proportionnalité exige que le niveau de preuve requis ne soit pas excessivement élevé.
45 Dans ces conditions, il convient de constater que le mécanisme en cause au principal, par sa conception, sa structure et les dispositions concrètes le régissant, n’apparaît pas porter atteinte au principe de proportionnalité, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.
46 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive TVA ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise une administration fiscale, en cas de graves divergences entre les recettes déclarées et les recettes estimées sur la base d’études sectorielles, à recourir à une
méthode inductive, fondée sur de telles études sectorielles, pour déterminer le montant du chiffre d’affaires réalisé par un assujetti et de procéder, en conséquence, à un redressement fiscal imposant le paiement d’un montant supplémentaire de TVA, à condition que cette réglementation et son application permettent à l’assujetti, dans le respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité ainsi que des droits de la défense, de remettre en cause les résultats obtenus par cette
méthode, sur la base de l’ensemble des preuves contraires dont il dispose, et d’exercer son droit à déduction conformément aux dispositions figurant sous le titre X de la directive TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui autorise une administration fiscale, en cas de graves divergences entre les recettes déclarées et les recettes estimées sur la base d’études sectorielles, à recourir à une méthode
inductive, fondée sur de telles études sectorielles, pour déterminer le montant du chiffre d’affaires réalisé par un assujetti et de procéder, en conséquence, à un redressement fiscal imposant le paiement d’un montant supplémentaire de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à condition que cette réglementation et son application permettent à l’assujetti, dans le respect des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité ainsi que des droits de la défense, de remettre en cause les résultats
obtenus par cette méthode, sur la base de l’ensemble des preuves contraires dont il dispose, et d’exercer son droit à déduction conformément aux dispositions figurant sous le titre X de la directive 2006/112, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.